Sommaire :
- Introduction
- 1/ Chronologies des faits
-> en 1787 : l’appartement attribué à Fersen à Versailles
-> Marie-Antoinette et le comte de Fersen La Correspondance secrète d’Evelyn Farr - 2/ Le dagbok
- 3/ La correspondance entre Marie-Antoinette et Fersen
- 4/ Analyse de ce qu’en disent les historiens du XIXe siècle
-> Madame Eloffe, Gustave-Armand de Reiset
-> Louis Geoffroy
-> Arthur-Léon Imbert de Saint-Amand - 5/ Analyse de ce qu’en disent les historiens du XXe siècle
-> Alma Söderhjelm
-> Stefan Zweig
-> André Castelot
-> Paul et Pierrette Girault de Coursac
-> Françoise Kermina
-> Evelyne Lever
-> Simone Bertière - 6/ Les femmes autour de Fersen
-> Hedwige-Charlotte de Sudermanie
-> Catherine Leyel
-> Eléonore Sullivan et la baronne de Korff - 7/ Les relations franco-suédoises (du point de vue du mythe de Fersen)
Marie-Antoinette et Axel de Fersen Correspondance Secrète d’IsabelleAristide-Hastir - Sources et bibliographie
- Historiographie
Introduction
Notre propos n’est pas de déterminer s’ils l’ont fait ou pas. Nous cherchons à mettre en exergue tout ce qui concerne cette histoire d’amour et de mettre en lumière ses failles. Car elles sont nombreuses. Le mystère restera toujours. Seulement, ce qui nous en est généralement raconté repose sur du faux.
Voyons l’histoire telle qu’elle nous est contée, expurgée de toutes ses aspérités, incohérences et contradictions. Cette histoire est tellement belle ! Une jeune princesse mal mariée s’ennuie dans une cour frelatée, avec un époux gentil mais qui ne la fait pas du tout vibrer et qui tente vainement à la rendre femme. Un soir d’opéra, la jeune princesse de dix-huit ans tombe sur le plus beau jeune gentilhomme d’Europe, le plus à la mode, l’objet de désirs de toutes les femmes ! Elle joue incognito à le séduire. Coup de foudre ! Quelques années plus tard, Elle est Reine, Elle s’ennuie toujours, Elle est entourée de courtisans et dames ambitieux qui ne se préoccupent d’Elle que pour lui retirer mille et une faveurs.
Son mari Lui a enfin fait un enfant, mais bon ce n’est pas l’extase… Que voulez-vous, il est gros, il n’a aucun goût raffiné, il est ennuyeux car très intellectuel mais aussi très manuel (le rustre ! ) et Elle fait ce qu’Elle veut de lui !
Alors Elle oublie Sa vie sans profondeur dans un tourbillon de fêtes, de jeux, de bals… Elle attend, attend qu’arrive enfin un événement qui Lui change ce quotidien si vide ! Et là, qui débarque ? Elle ne l’a jamais oublié ! Il entre dans Sa coterie, forcément jalouse ! Car lui ne demande rien, la contemplation de l’être aimé lui suffit.
Il se montre habillé de son costume suédois, il joue de la musique avec Elle… Amour, amour… En toute innocence mais c’est si dur de lutter ! Alors inquiet des ravages qu’il commet dans le coeur d’une femme qu’il n’a pas droit de compromettre, il fuit, il part se battre en Amérique ! Si ça, ce n’est pas romantique !
Il revient quelques années plus tard, plus mûri, plus sage. Mais hélas, il sait qu’il ne peut plus lutter contre cet amour de plus en plus fort, renforcé par l’éloignement. Désormais, Elle va tout faire pour le garder à sa Cour, il sera de plus en plus proche de Sa personne.
Mais hélas, il doit suivre malgré lui son Roi que forcément Elle déteste car il sépare ces deux âmes qui n’en font qu’une (plus que Son propre mari qui ne voit rien de rien ), à travers un tour d’Europe. Alors à l’arrivée du Roi de Suède en France, Elle organise officiellement une fête à ce Roi, dans Son domaine privé, mais tous savent qu’officieusement, c’est pour célébrer Son amour, avec feux d’artifices, illumination du Temple de l’Amour ! Et neuf mois plus tard, naîtra Son Chou d’Amour, Son enfant préféré… On essaye de prévenir le Roi, pauvre type, il fait de la peine. Mais Marie-Antoinette, tellement puissante sur l’esprit du Roi arrive à lui faire accepter qu’ils n’ont pas meilleur ami que Son amant. Et pour couronner le tout, réussit à faire comprendre à Son époux, tellement brave, qu’après quatre enfants (dont un Dauphin malade et deux filles), il est temps de cesser les liens conjugaux. Arrivent maintenant les premiers nuages. Sur qui peut-Elle compter ? L’homme de Sa vie, évidemment, qui ne cessera de faire des lieues et des lieues pour La réconforter ! Et à partir de maintenant, Elle pleurera beaucoup !
Tellement plus que Son propre mari qui depuis toujours a prouvé sa faiblesse ! Il sera le seul à rester quand tous les ambitieux des beaux jours fuient cette Reine désormais maudite. Il La suivra à Paris. Un dernier bel été leur permet de se retrouver en toute intimité, de grandes balades à cheval qui laissent espérer partir un jour plus loin…. Leur amour impose tellement le respect que La Fayette lui-même fermera les yeux sur ces rencontres.
Il va tout faire pour La sortir de Paris, tout organiser, seul ! Quitte à se sacrifier ! La nuit tant attendue arrive : mais là pour la seule et unique fois, Louis XVI se réveille, à la fois pour son honneur de Roi et d’époux. Il était temps ! Mais cette décision si inattendue sera la cause de l’échec de l’expédition !
Après un retour cauchemardesque, Marie-Antoinette lui lâche entièrement ses sentiments, tant contenus depuis des années.
Elle l’appelle au secours. Elle n’a plus que lui, et lui seul, abandonnée de tous. Il arrive clandestinement aux Tuileries quelques mois plus tard. Une folle nuit les attend…. Enfin, depuis toutes ces années d’amour contenu !
Ils ne savent pas ou peut-être le ressentent-ils inconsciemment que ce sera leur dernière rencontre. Ils s’écriront, toujours avec des mots fous d’amour, à tout tenter, à eux seuls, pour sauver la monarchie. Mais, au lieu d’une victoire, Elle se retrouvera prisonnière dans une tour, puis dans un cachot pour finir sur l’échafaud. Et notre malheureux héros errera désormais comme une âme en peine.
Vous ne trouvez pas que c’est plus le scénario d’un roman à l’eau de rose que la réalité historique ? Et c’est bien celui-là qu’on nous présente depuis plus d’un siècle, dans la plupart des livres sur le sujet et dans tous les films, séries…
Le problème est de savoir où caser les éléments qui ne vont pas avec ce synopsis si parfait, décortiqués un par un par de nombreux historiens, collectionnés et mis en forme, essentiellement par Marie-Rose Demasy (le Boudoir de Marie-Antoinette, https://maria-antonia.forumactif.com/, Autour de Marie-Antoinette, https://www.facebook.com/autourdemarieantoinette ), Benjamin Warlop et moi (Olivia Legrand). Mais qui existent bien, nous ne les avons pas inventés ! Et je suis sûre que nous pouvons encore en trouver !
A partir du moment où l’on sait que ce scénario est je ne dirais pas faux, mais seulement un vague reflet de la réalité, tel un iceberg dont on ne connaît que la partie immergée, on comprend nettement mieux !
La réalité, que nous ne connaîtrons jamais (et je n’en ai pas la prétention) a été objectivement déformée pour qu’elle devienne, au départ, une brique parmi tant d’autres construisant l’abominable réputation faite à Marie-Antoinette, puis par la suite, un mythe, qui fait vibrer tous ceux qui ont garder leur âme de midinettes (Hiiiiiiii !!!! Ferseeeeeeeeennnnnnnnnnn!!!!).
Voici la conclusion du livre Jeanne d’Arc Vérités et légendes de Colette Beaune qui est un parfait résumé de ma pensée :
Et c’est ainsi que tous les mythes du XVe siècle ont tous été examinés et intégrés progressivement à une histoire, dont les progrès actuels reposent sur le refus de confondre foi et raison, raison et conviction. Parfois le chercheur n’aboutit à aucune certitude et l’indique, quitte à laisser ses lecteurs insatisfaits. L’historien, je l’avoue, se soucie de vérité plus que de proximité.
Le mythographe, lui, sait et affirme. Il n’a pas besoin de sources. L’hypothèse lui suffit. De celle-ci il en déduit une autre, bientôt transformée en certitude. Son discours est plus une affaire de conviction que de méthode. Sera-t-il assez persuasif pour faire croire à des résultats évidemment plus sensationnels et plus rapides que ceux de l’historien ?Colette Beaune
Ce qui est vrai pour Jeanne d’Arc l’est tout autant pour de nombreuses autres figures historiques, le plus souvent féminins. Ainsi pour Marguerite de France, dite la Reine Margot, et évidemment pour Marie-Antoinette. Colette Beaune rajoute que pour les mythographes, les vrais historiens et ceux qui les suivent ne font que raconter une Histoire « officielle ». Ceux qui préfèrent les on-dit, les rumeurs, les légendes, les explications simplistes feraient de la véritable Histoire. C’est ce qu’a voulu faire croire un certain journaliste d’extrême-droite candidat aux élections présidentielles de 2022.
Le comble, quand on connaît le bord politique de la plupart des mythographes, refuser une relation adultère pour Marie-Antoinette est automatiquement cataloguer de leur part comme intégriste catholique royaliste. Des ayatollahs de la vertu de la Reine, selon Nathalie Colas des Francs sous le pseudo de madame de Sabran du forum de Marie-Antoinette, pourtant elle-même très réactionnaire quant à la vie amoureuse de ses proches. Il est tellement plus simple de trouver des formules chocs que d’exposer de vrais arguments et contrecarrer de manière rationnelle les arguments adverses ! Ce qui leur a toujours été impossible bien que je ne désespère pas qu’un jour nous tomberons sur de vrais arguments de leur part. Comme on le verra tout le long de cet exposé, les tenants de l’amour à tout prix entre Marie-Antoinette et Fersen ont la fâcheuse tendance de prêter à ceux qui pensent le contraire leurs propres travers.
Indéniablement, la grande majorité des réactionnaires, héritiers de la Restauration, ne contestent l’adultère de la Reine de France. Une des premières historiennes attaquant cette histoire d’amour, Nesta Webster dans son Marie-Antoinette intime, 1957 en est l’exemple le plus extrêmiste. Sympathisante du régime nazi, il est évident que ses propos sont à lire de manière très circonspecte. Elle charge ainsi comme il se doit les francs-maçons, mais aussi madame de Polignac. Nous plaignons Nathalie Colas des Francs, à la fois très anti «francsmacs» mais en même temps biographe pleine de sympathie pour l’amie de Marie-Antoinette. Comment alors concilier les deux ? De même incontestablement Nesta Webster pose de bonnes questions sur l’affaire du collier, bien plus complexe qu’elle n’en paraît à première vue. Sans pour autant conclure comme elle que tout est la faute des francs-maçons. Preuve est donc qu’il faut trier ces propos, certains pertinents et d’autres à rejeter comme liées à ses idées malsaines. Contrairement aux pro-histoire d’amour fersinienne, Nesta Webster a au moins la qualité de citer ses sources. A nous de faire la bonne sélection. Mais pour beaucoup, ses opinions détestables interdiraient de prendre en compte ne serait-ce que deux ou trois paragraphes de son livre. Ce qui reviendrait à jeter au bûcher sa biographie. Curieuse attitude de souhaiter un autodafé au nom de la lutte contre le nazisme !
Cet exemple est le plus trouble des biographes de Marie-Antoinette mais sans aller aussi loin dans l’extrême, il est quasi impossible de trouver un biographe de Marie-Antoinette aux sympathies marxistes affichées.
Or nous concernant Maryse Demasy, Benjamin Warlop et moi, il est impossible d’avoir le moindre doute quant à nos opinions politiques. Nous sommes plus que très éloignés de la frange réactionnaire de la population. J’ai voté Philippe Poutou aux dernières élections présidentielles et je souhaite vivement à cette heure voir Jean-Luc Mélenchon (Olivia écrivait cela en 2022…) devenir notre prochain Premier Ministre (mais non Président car ses positions sur Louis XVI et Marie-Antoinette et l’Histoire en général me dérangent fortement). Cet argument qui ferait de nous d’affreux réacs n’a donc pas de poids. Je rajouterai même que les mythographes sur ce sujet sont pour la plupart bien plus de droite que nous trois !
Dans le même ordre d’idée, quitte à rejeter tout historien selon ses opinions, même les pires, il faudrait aussi s’interdire les auteurs dont la maladie mentale est avérée (et qu’est-ce que le nazisme si ce n’est une maladie mentale ?). Or des biographes bien connues de madame de Polignac ou de Louis XVI sont incontestablement atteintes de troubles psychiques avérés et pourtant elles apparaissent comme référence dans nombre d’ouvrages historiques récents. Non, à nous de faire le tri parmi le fatras de théories farfelues, voire nauséabondes. Si le travail de recherche existe, autant l’exploiter. Le contraire serait absurde.
Colette Beaune, historienne reconnue, avoue l’avantage flagrant des mythographes : le sensationnel ! Tellement plus croustillant auprès du grand public que la triste réalité ! La liste est longue des ouvrages consacrés aux amours supposées de Marie-Antoinette. Elles font bien plus vendre qu’un livre basé sur des recherches scientifiques. Face à des prétendues historiennes que sont Evelyn Farr ou Sophie Herfort, les véritables historiens et leurs lecteurs consciencieux se contentent juste d’un humble «Nous ne saurons jamais».
Qu’on nous laisse au moins le droit de l’exprimer !!!
Car évidemment à critiquer ces dames pour leurs ouvrages dits historiques mais en réalité véritables romans, la dernière contre-attaque trouvée de leur part après la seule critique qui ne tient pas la route (qui ferait de nous des réacs) reste la menace de procès. Toujours promise, jamais exécutée. Nous serions accusés de quoi ? De diffamation ? Or tous nos propos ne sont que des citations des leurs. Ce qui signifierait que les mythographes n’assument même pas ce qu’ils écrivent. Et n’en déplaise à Jérôme Barbet et Sébastien Letzebuerger, avocats de leur état, la loi est de notre côté :
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000044365551/2022-04-26
L’article L122-5 nous permet bien «sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source :
a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées. »
Les auteurs qui se sont posé la question du lien qui unissait Fersen à Marie-Antoinette l’ont résolue différemment, selon leurs conceptions personnelles, leur imagination de la correspondance de la Reine, du journal du comte suédois et de certains témoignages…
Les mythographes et leurs partisans d’une liaison avérée sont prêts à tout pour interdire la parole à ceux qui les critiquent, à les accuser du contraire de ce qu’ils sont (et ce qu’ils sont eux en réalité) mais aussi à brandir la loi, en l’interprétant à leur sauce, se pensant intouchables car avocats ! Et c’est nous les ayatollahs…
Ces mêmes personnes ne cachent pas qu’il s’agit de leur propre conception de l’amour qu’ils tentent d’imposer à Marie-Antoinette et Fersen. Quelqu’un de fleur bleue, gavé de romans à l’eau de rose n’aura pas du tout la même vision qu’un libertin à la sexualité débridée. Malgré leurs affirmations contraires, intimement persuadés de penser la même chose. Non, comme nous le verrons, chacun vit dans son propre fantasme. Marie-Antoinette a toujours été l’objet des fantasmes de tout le monde depuis plus de deux siècles.
Comme l’écrit Chantal Thomas dans La Reine scélérate :
«Avec une énergie d’imagination infatigable, orgiaque, le peuple roi fornique avec la reine de toutes les façons, lui fait tout ce que le roi est impuissant à lui faire.»
Et le peuple devenu souverain a décidé de Lui faire l’amour à travers Fersen. Marie-Antoinette est un réceptacle à fantasmes depuis son avènement en 1774 et rien n’a changé depuis.
Voilà ce qu’on peut lire dans le Forum de Marie-Antoinette à ce propos :
« Il est vrai que nous avons largement discuté sur ce couple emblématique, et je ne vais pas à nouveau noircir cette page, mais permettez-moi de dire simplement que je SOUHAITE ARDEMMENT que ces deux êtres aient vécu un grand amour et réciproquement.»
«Je reste sur ma position car je comprends trop bien la Reine comme si j’avais vécu à ses côtés à cette époque. C’est mince comme explication, soit je l’admets. Pourquoi refusez-vous de vous mettre au moins une fois à la place de Marie-Antoinette pour ESSAYER de mieux la comprendre ? Laissez l’Histoire de côté pour une fois, ces bouquins à tire-larigot qui arrangent tels ou tels historiens (que je respecte bien sûr). Mais, il est fort possible qu’Axel de Fersen n’ait pas existé ? Il n’y aurait pas lieu là d’en parler et de se donner autant de peines. Même à l’époque où je ne connaissais pas encore la Reine, j’ai toujours eu le nom (juste le nom) de Fersen au fond de moi. Allez savoir pourquoi ? Je suis très sérieuse, j’en ignore totalement la raison. Peut-être un don de voyance»
Propos de Trianon, membre du Forum de Marie-Antoinette
Que répondre après cela ? Nous sommes dans la foi la plus totale, le dogme.
Nier une histoire d’amour chez Marie-Antoinette, ce serait lui refuser un minimum de bonheur dans sa terrible vie, quelle cruauté ! Bref, c’est confondre souhait ardent qui relève de ses propres fantasmes et triste réalité que nous apportent les données purement historiques. C’est malheureux, mais c’est ainsi.
Pire, comme le signale dans cet échange Reinette, qui n’est autre que moi-même à l’époque où je circulais encore dans ces fora, les amours de Marie-Antoinette et Fersen deviennent l’unique préoccupation de certains, l’essentiel de la vie de Marie-Antoinette, plus rien d’autre ne compte.
Même un 16 octobre comme le montre la capture d’écran, certains préfèrent créer de nouveaux sujets sur ces amours (pourtant déjà très nombreux !) ce jour-là précisément au lieu de commémorer de manière décente un deuil envers une personne à laquelle les membres de ce forum sont censés consacrer leur temps !
Non pour eux, ces mythographes de Fersen ou plus simplement fersiniens, Marie-Antoinette n’a d’intérêt que parce qu’il y a eu Fersen dans sa vie. Peu importe qu’elle soit morte dans de si terribles conditions ! De toute façon, seul Fersen en a souffert.
On le voit, la liaison supposée entre Marie-Antoinette et Fersen ne relève en rien de l’Histoire.
C’est ce que nous allons démontrer ici, en commençant par les faits chronologiques, avant de s’attaquer aux sources.
1/ Chronologie des faits
Voir cet article :
Le 4 septembre 1755
Naissance à Stockholm de Hans-Axel de Fersen, fils aîné du feld-maréchal Fredrick Axel de Fersen (1719-1794) et de Hedwige-Catherine de La Gardie (1732-1800).
En plus de leur intelligence et de leur ambition, les deux familles sont réputées pour leur beauté qui ne laissent pas indifférents les Wasa puis les Holstein-Gottorp, maisons royales de Suède. Les Fersen, comme les La Gardie sont des membres éminents du parti des Chapeaux, favorables à l’alliance française au contraire des Bonnets pro-russes. La lutte est rude entre les deux partis au sein du sénat suédois, le Riksdag. Les Chapeaux sont largement financés par la France :
«Pour aider ce parti à se maintenir au pouvoir et pour assurer le dévouement de ses membres, le gouvernement français distribue de l’argent en espèces, des pensions et des gratifications diverses à des personnes clefs.»
L’aristocratie suédoise et la France dans la seconde moitié du XVIIIe siècle par Charlotta WOLFF
Après des études universitaires poussées en Suède, Fredrick Axel de Fersen entre dans l’armée suédoise en 1737. En 1738, il est autorisé à rejoindre l’armée française en tant que caporal puis capitaine du Royal-Alsace en 1740. En 1741, il devient adjudant du duc de Boufflers, lieutenant de Louis XV des armées de Flandres et du Nord. Il participe au siège de Prague qui met momentanément à mal la reine de Bohême Marie-Thérèse mais qui lui permet à la fin d’assurer sa couronne.
Suite à une brève campagne en Finlande Fredrick Axel von Fersen s’assure une place au sénat de Suède. Il repart en 1743 pour la France où il devient cette fois-ci adjudant du maréchal-duc de Noailles (1678-1766), doyen des maréchaux français.
Il se distingue rapidement lors de la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748). Le 1er avril 1744, il est nommé colonel du Royal-Alsace. En 1748, il devient brigadier du Royal-Suédois, c’est-à-dire major général. De fait, c’est lui qui dirige réellement le régiment, au contraire de son colonel-propriétaire. De retour en Suède en 1749 après un mois à Berlin, il obtient une lettre de recommandation de Frédéric II auprès de sa soeur Louise-Ulrique, épouse du prince héritier de Suède.
Ambitieuse, la princesse pense donner plus de pouvoir à la monarchie en aidant Fersen à soutenir sa place au sénat. Le gentilhomme rejoint le parti des Chapeaux au pouvoir au Riksdag. Sa position dans le parti est rehaussée non seulement par le fait que son propre père en avait été l’un des fondateurs, mais aussi par son mariage avec l’autre éminente famille du parti Chapeau, les La Gardie (1752), d’origine française, émigrés huguenots sous François Ier. Leur fils aîné porte les prénoms de Hans-Axel, Hans de son grand-père paternel, Axel de son père. Il est comte dès sa naissance, montrant ainsi la puissance de la famille.
Le 2 novembre 1755
Naissance à Vienne de l’Archiduchesse Maria-Antonia-Josepha-Johanna, quinzième enfant de Marie-Thérèse d’Autriche, Reine de Hongrie et de Bohême et de François-Etienne de Lorraine, Empereur du Saint-Empire Germanique.
En 1756
Fredrick Axel de Fersen devient feld-maréchal. De fait, il dirige la diète suédoise. Il est le deuxième personnage de l’état. Il utilise cette fonction afin de freiner tous les efforts de la couronne pour regagner le pouvoir qu’elle a perdu au profit du parlement en 1720. Le nouveau roi Adolphe-Frédéric et la reine Louise-Ulrique, soeur de Frédéric II doivent le ménager. C’est donc un homme qui compte, en Suède, en France et avec leurs alliés anciens et nouveaux, la Prusse comme l’Autriche.
1756-1760 ou la guerre de Poméranie
Prétextant de l’invasion de la Saxe par Frédéric II, la Suède, alliée de la France, déclare la guerre à la Prusse. Dominé par le parti des Chapeaux, le sénat veut à la fois humilier la reine Louise-Ulrique soeur de Frédéric II aux prétentions absolutistes mais aussi prendre sa revanche sur le conflit de 1720 qui a vu s’achever l’influence de la Suède sur l’Allemagne. Fredrick Axel de Fersen se distingue en 1759 lors des opérations autour d’Usedom et de Wollin où il inflige de lourdes pertes aux Prussiens. De ce fait, les forces navales suédoises tiennent un temps la Baltique, soulageant les troupes franco-impériales.
Après cela, Axel Fredrick est considéré comme un héros, tant chez lui en Suède, que partout en Europe, chez ses alliés mais aussi chez ceux qu’il a combattus.
En 1765
Les Bonnets prennent le pouvoir contre la monarchie et les Chapeaux. Le duc de Choiseul, ministre des Affaires étrangères français, conseille à l’ambassadeur le baron de Breteuil, d’être particulièrement vigilant. Les Bonnets sont pro-Russes et pro-Anglais.
Le 16 mai 1770
Mariage de l’Archiduchesse Marie-Antoinette et du Dauphin Louis-Auguste.
Ce n’est pas du tout un mariage d’amour…
Le 3 juillet 1770
Le jeune comte de Fersen quitte Stockholm en compagnie de son précepteur afin d’effectuer un tour d’Europe. Son père veut qu’il apprenne l’art militaire en Allemagne et l’art tout court en Italie. L’éducation politique doit se faire ensuite en France puis en Angleterre. C’est l’occasion pour l’adolescent de commencer son dagbok qui finira par atteindre six tomes et plus de vingt mille pages. Il y inscrit les principaux événements de sa vie mais aussi ses conquêtes féminines.
Le 12 février 1771
L’héritier du trône de Suède alors de séjour à Paris devient Roi sous le nom de Gustave III. Avec le soutien de Louis XV, il entame une révolution absolutiste permettant de reprendre la main sur les Bonnets mais aussi de briser les élans aristocratiques et oligarchiques du comte Fredrick Axel de Fersen.
Celui-ci donne ordre à son fils de croiser la route du jeune souverain en Allemagne afin de lui jurer sa loyauté. Gustave III déjà amoureux dans sa jeunesse de la comtesse Hedvig tombe sous le charme de ce magnifique jeune homme. Afin d’aider le jeune souverain, Louis XV nomme Charles Gravier de Vergennes (1719-1787) comme nouvel ambassadeur à Stockholm. Celui-ci, sous les ordres du Roi de France, ouvre grands les cordons de la bourse afin d’obtenir le soutien des Chapeaux.
En 1772
Un autre danger guette la Suède et son Roi : le démembrement. Frédéric II et Catherine II lorgnent l’un sur la Poméranie, l’autre sur la Finlande. Seul le soutien de la France peuvent arrêter les ambitions des despotes éclairés : en effet celle-ci a permis à Gustave III d’affermir son pouvoir. Ce sera donc la Pologne, beaucoup plus faible politiquement qui assouvira leurs appétits, soutenus par Joseph II qui prendra également sa part.
En avril 1773
Après Rome, Axel de Fersen se rend à Naples où il est reçu par la Reine Marie-Caroline (1752-1814).
Il loge chez l’ambassadeur de France, le baron de Breteuil, et sa fille madame de Matignon. Il avait été en poste à Stockholm de 1763 à 1766 où il tissa des liens avec le comte de Fersen père. Le jeune Axel s’y sent rapidement en famille.
Le 17 mai 1773
Après plus trois ans de mariage, le mariage entre la Dauphine et l’héritier du trône est presque consommé. Pas suffisamment en tout cas pour espérer une descendance.
Le 15 novembre 1773
Arrivée à Paris. Fersen loge chez l’ambassadeur de Suède le comte de Creutz à l’hôtel de Bonnac rue de Grenelle.
Toute la politique de la Suède est tournée vers la France. Cette alliance date de Louis XIII et la Guerre de Trente ans, poursuivie sous Louis XIV, notamment avec l’épisode désastreux du séjour de la Reine Christine. L’union des deux pays est davantage renforcée encore au XVIIIème siècle, avant même l’avènement de Gustave III qui vit en France ses derniers moments de prince héritier qui reçoit ensuite l’aide de Louis XV pour abattre les volontés aristocratiques des Chapeaux et populaires des Bonnets.
Tous les ambassadeurs et le haut personnel diplomatique suédois de 1739 à 1783 sont reliés par parenté en plus d’appartenir au même réseau partisan. Ainsi le baron Carl Gustav Tessin, qui participe à la mise au pouvoir des Chapeaux, en poste à Paris en 1739 est le gendre d’Erik Sparre qui fut ambassadeur sous Louis XIV. Et que serait notre connaissance de la Cour de France sans la fabuleuse collection de l’ambassadeur Tessin, mine essentielle de la recherche sur l’art du XVIIIe siècle ?
Son successeur, le comte Clas Ekeblad a épousé la comtesse Eva de La Gardie, issue d’une famille très influente à la diète, fort riche, et francophile de tradition. De surcroît famille maternelle d’Axel de Fersen. Ensuite les deux frères Carl Fredrik et Ulric Scheffer se succèdent à l’ambassade, ce dernier étant aussi le lieutenant-colonel du Royal-Suédois, régiment déjà évoqué et dont nous reparlerons plus loin. Les deux Scheffer doivent revenir en Suède afin de maintenir les Chapeaux au pouvoir. L’un des deux deviendra même gouverneur du futur Gustave III.
En 1765, les Bonnets ont pris le pouvoir. Leur politique est tournée vers la Russie et l’Angleterre. La légation française reste donc vide plusieurs mois. Mais il leur faut accepter un homme du parti des Chapeaux pour l’ambassade française. Ce sera Creutz, formé par les frères Scheffer, nommé ministre plénipotentiaire à Paris en 1765 et enfin confirmé officiellement comme ambassadeur en 1772, quand Gustave III se sera débarrassé du système bipartiste. L’ambassadeur ne vient pas seul. Il est largement entouré de proches, de sa famille, de son parti et forment tous ensemble une cour princière en miniature. Les secrétaires, le pasteur de la paroisse suédoise participent à cette collégialité qui fonctionne depuis Louis XIV.
Les intérêts politiques s’unissent à ceux des grandes familles qui y voient un élargissement de leur carrière et un accès aisé à la culture française alors dominante.
«De nombreux membres de cette élite cosmopolite séjournent en France pour s’instruire, pour se former au métier des armes, ou parce qu’ils y ont été envoyés en mission diplomatique, ce qui leur donne l’occasion et la nécessité de développer des réseaux de relations, et souvent d’amitiés, dans les sphères influentes du pouvoir politique et littéraire français.»
L’aristocratie suédoise et la France dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, Charlotta Wolff
file:///Users/olivialegrand/Downloads/HES_101_0056.pdf
La jeunesse dorée suédoise, le roi en tête, admire la culture française, ne respire qu’à la française, pense en français. Elle n’aspire donc qu’à s’approcher de l’ambassade ou d’obtenir une place dans l’armée française. Quitte à se ruiner tant le train de vie français est dispendieux. Ce sera donc la course aux subsides, aux pensions, aux charges honorifiques, aux cadeaux de valeur… Axel de Fersen n’y fait pas exception et il est même, dès ses dix-huit ans, un élément clé de cette relation si spéciale entre la France et la Suède. Creutz accueille donc à bras ouverts le fils d’un de ses protecteurs les plus importants, président de la noblesse au sénat suédois.
Le 18 novembre 1773
Le ministre des Affaires étrangères, le duc d’Aiguillon, reçoit le jeune homme à souper : son père est un élément essentiel de la diplomatie franco-suédoise.
D’anciens ministres des Affaires étrangères, comme le comte d’Argenson, cultivaient volontiers une réelle amitié avec les ambassadeurs suédois en place. Cette «relation spéciale» est une clé essentielle de la politique française. D’après l’abbé Véri qui sera aux premières loges du pouvoir à la nomination du comte de Maurepas auprès du futur Louis XVI, le duc d’Aiguillon pousse un peu trop loin cette alliance durant cette année :
«A l’égard de la Suède, il fit craindre à la France des effets trop étendus de l’alliance. On parla quelque temps de faire marcher des escadres et des troupes vers la Suède. Il y eut même, dans l’intérieur du royaume, des ordres donnés aux matelots classés pour se rendre dans différents ports. Les citoyens craignirent que ces montres militaires engageassent trop la France. L’événement les rassura. Le fait est que la Russie voulait envoyer des troupes en Finlande, en 1773, pour troubler la révolution de 1772. M. d’Aiguillon menaça de brûler les escadres russes qui étaient dans la Méditerranée et d’envoyer des régiments en Suède. Il était secrètement d’accord avec milord Rochefort, qui lui fit savoir qu’en feignant d’armer aussi puisque la France armait, il lui laisserait le temps de faire son expédition. Cette montre menaçante fit résoudre Catherine II à rester tranquille. Ainsi la révolution de Suède resta dans son entier. Ce fut dans cette révolution que l’autorité passa des mains anarchiques des États dans celles du souverain.»
Journal de l’abbé de Véri, p. 77
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k119184g/f90.item.texteImage
C’est dire combien il est important aux yeux du ministre d’accueillir ce jeune seigneur suédois dont le père a une situation politique majeure dans son pays.
Le 19 novembre 1773
Axel de Fersen est présenté à la famille royale. Et c’est donc à ce moment précis, malgré toutes les mises en scène romantiques, que se voient pour la première fois Marie-Antoinette et Fersen.
Marie-Antoinette l’accueille comme toute autre personne qui compte en Europe et qui a donc sa place à la cour de Versailles. Comme l’accueillent Louis XV, le Dauphin, les comtes de Provence, d’Artois et leurs épouses, Mesdames Filles du Roi et Mesdames Clotilde et Elisabeth, petites-filles de Sa Majesté. C’est tout simplement l’activité quotidienne de la famille royale : recevoir courtisans et visiteurs étrangers de marque.
En son temps, la Reine Marie Leszczyńska a beaucoup protégé les Suédois et était une amie proche des ambassadeurs Tessin et Carl Scheffer qu’elle recevait volontiers ainsi que leurs protégés venus de Suède. Il ne faut pas oublier que son père Stanislas Leszczyński est devenu Roi de Pologne par l’entremise du Roi de Suède Charles XII.
La famille royale se doit donc de recevoir aimablement tout ce qui a trait à la Suède : non seulement l’alliance politique est majeure depuis longtemps dans le système international mais c’est aussi cette nation qui a permis à la feue Reine d’accéder au statut royal.
Le 24 novembre 1773
Présentation à madame du Barry qui en tant que favorite compte beaucoup pour la diplomatie. Le futur Gustave III l’avait bien compris quelques années auparavant. Fersen dîne ensuite de nouveau avec le duc d’Aiguillon. Le poids diplomatique du jeune homme est indéniable.
Le 27 novembre 1773
Parmi ses innombrables réceptions (opéras, dîners, soupers, à plusieurs reprises chez le duc d’Aiguillon), il est désormais reçu par la comtesse de Noailles, dame d’honneur de la Dauphine qui appartient au réseau de Creutz.
Le 4 décembre 1773
Axel prend des cours de danse. Sa visite chez la dame d’honneur de la Dauphine y est sûrement pour quelque chose.
Le 6 décembre 1773
Bal chez Madame la Dauphine.
Ces bals sont des moments d’étiquette et ne sont pas du tout des lieux d’amusement et de plaisir, obligatoires pour tous les jeunes princes et princesses de la famille royale, et qu’ils prennent pour la plupart comme une corvée à laquelle ils ne peuvent échapper. Ces bals sont d’ailleurs organisés par la comtesse de Noailles et à cette date il y a peu de chances que Marie-Antoinette ait son mot à dire quant aux invités. On comprend mieux du coup les cours de danse de l’avant-veille.
A l’occasion de ces bals, Evelyn Farr dans sa Correspondance secrète n’hésite pas à écrire :
«L’attirance entre les deux jeunes gens est immédiate.»
Marie-Antoinette et le comte de Fersen, la correspondance secrète p. 23
Par quel moyen, quelle source cette autrice peut-elle affirmer ceci puisque ni l’un ni l’autre n’a exprimé le moindre mot à ce propos à cette date ? Madame Farr se permet juste d’anticiper sur la suite. Ce n’est en rien une démarche historique.
Le 21 décembre 1773
Nouveau bal chez la Dauphine.
Le 1er janvier 1774
Cérémonie des chevaliers de l’ordre du Saint-Esprit à la chapelle de Versailles puis accueil chez madame du Barry. Les visites de la nouvelle année auprès des ambassadeurs et leurs épouses, de dames importantes de la Cour de France se poursuivent.
Le 5 janvier 1774
Il y a bal de l’opéra. Ce soir là :
«j’y trouvai un masque fort joli et aimable, qui me dit tout bas, qu’elle était fâchée que je ne fus pas son mari, pour pouvoir coucher avec moi, je lui dis que cela n’empêchait pas. Je voulus le lui persuader mais elle s’enfuit, une autre que Plomenfeldt poursuivait pour savoir qui elle était, ne fut pas si difficile, elle s’assit dans un corridor, et nous eûmes avec elle une longue conversation (…)»
Dagbok
Des romanciers bien intentionnés n’ont pu s’empêcher d’imaginer que la première dame n’était autre que Marie-Antoinette…
Le 10 janvier 1774
Il y a bal chez la Dauphine.
Le 17 janvier 1774
Bal chez la Dauphine. Il part aussitôt le bal fini à neuf heures et demie du soir. C’est donc pour lui plus une contrainte qu’un plaisir ! Rien ne montre une parole, un regard entre les deux.
Le 30 janvier 1774
Enfin le moment fatidique, tant attendu des coeurs sensibles !
«(…) d’où je partis à une heure pour aller au bal de l’opéra, il y avait une foule de monde : Madame la Dauphine, Monsieur le Dauphin et le Comte de Provence y vinrent, et y furent au bal une demi-heure sans être connus, la Dauphine me parla longtemps sans que je la connus, enfin quand elle fut connue tout le monde s’empressa autour d’elle et elle se retira dans une loge, à trois heures, je quittai le bal.»
Dagbok
En moins d’une demi-heure, nous assistons à ce qui constitue une des scènes les plus romantiques de l’Histoire de France.
Il n’y a rien de plus naturel pour Marie-Antoinette d’adresser la parole à une personne qui se rend toutes les semaines à son bal. Les privautés ont dû être très limitées puisque le Dauphin et son frère sont près d’elle. D’autant que nous avons vu plus haut que Fersen ne se gêne pas pour retranscrire les paroles libertines des dames séduites. Il n’y a même pas eu quelques pas de danse entre les deux. Entre l’arrivée des membres. de la famille royale et la fin de leur incognito, une demi-heure s’écoule. On imagine bien qu’entre le moment où Marie-Antoinette peut marcher un peu librement dans la salle, et le début de leur conversation, plusieurs minutes sont passées, au moins dix. Mais les historiens et romanciers restent bloqués sur le «la Dauphine me parla longtemps» : un longtemps très relatif !
Fersen note surtout le fait qu’elle le reconnaisse et qu’il ne se rend donc pas toutes les semaines à son bal pour rien. Leur échange n’a jamais été aussi long. Le cadre de l’Opéra est aussi nettement moins rigide que les bals de Cour. Il continue ensuite à suivre les bals de la Dauphine.
Le passage intéressant tant est marqué par un trait dans la marge.
Le 8 février 1774
Second bal au Palais-Royal chez les Orléans. Quand il n’y a plus de bals à l’Opéra,
«le carnaval se passa fort tranquillement pour moi, comme je n’étais point répandu dans les maisons de Paris, je ne pouvais pas être des bals particuliers qui s’y donnent abondamment, je n’allais qu’aux bals de Madame la Dauphine.»
Qui se réduit chez Evelyn Farr p. 13 par un :
«Février : carnaval. Fersen note dans son journal »Je n’allais qu’aux bals de Madame la Dauphine. »»
Le jeune homme ne se rend uniquement aux bals de la Dauphine non parce que celle-ci serait devenue l’unique objet de ses pensées et de son coeur, mais tout simplement parce qu’il n’a pas à cette date toutes ses entrées dans Paris ! Comme il est bien placé auprès de la famille royale et de ceux qui comptent autour de celle-ci, il se rend à tous les bals de la Cour, assurés essentiellement par Marie-Antoinette et sa dame d’honneur. Le meilleur moyen aussi d’être ensuite invité dans Paris. Il n’y a donc pas besoin d’imaginer autre chose.
Dès que cela lui est possible, Fersen se rend ailleurs, au Palais-Royal par exemple.
Le 15 février 1774, Mardi Gras
«Il y avait bal à Versailles, j’y fus sur la fin du bal. Madame la Dauphine, Madame de Provence, Madame d’Artois, Madame de Lamballe et deux autres dames arrivèrent avec Monsieur le Dauphin, Monsieur de Provence, Monsieur d’Artois, monsieur de Ségur, monsieur de Coigny et un autre tous habillés avec l’habit d’Henri IV, qui est l’ancien habit français et dansèrent différentes entrées, quelques-uns très mal comme Monsieur le Dauphin et monsieur de Provence, les autres assez bien, le coup d’oeil en était charmant.»
Si l’on raisonnait à la manière d’Evelyn Farr, on pourrait en déduire que le coup d’oeil «en était charmant» parce que Marie-Antoinette est présente. Sauf qu’en lisant correctement, tout le monde y contribue, la maladresse des danseurs comprise.
Le 4 mars 1774
«Petit bal charmant» chez la duchesse d’Arville.
L’adjectif charmant n’a jamais été employé pour les bals de la Dauphine qu’il quitte dès leur fin, sauf quand Marie-Antoinette danse entourée de son époux, ses beaux-frères et belles-soeurs, tous en costume du temps d’Henri IV.
Le 10 mai 1774
Après de nombreux autres bals, même durant le Carême, et ailleurs que chez la Dauphine, une course-poursuite avec madame de Brancas qui ne cache pas son émoi à son égard, des visites chez des ambassadeurs et des descriptions des plus belles places et des plus beaux monuments de Paris, Louis XV meurt.
Fersen ne dit rien entretemps au sujet de la Dauphine devenue Reine de France. Il n’y a pas eu coup de foudre, quoi qu’en dise Evelyn Farr. Même Evelyne Lever, Françoise Kermina et Alma Söderhjelm n’ont pas osé. A moins de se croire dans Lady Oscar.
Le 12 mai 1774
Visite du château de Chantilly, puis départ pour l’Angleterre.
Le 29 mai 1774
Le comte de Creutz écrit à son Roi :
«Le jeune comte de Fersen vient de partir pour Londres. De tous les Suédois qui ont été ici de mon temps, c’est celui qui a été le mieux accueilli dans le grand monde. Il a été extrêmement bien traité par la famille royale. Il n’est pas possible d’avoir une conduite plus sage et plus décente que celle qu’il a tenue. Avec la plus belle figure et de l’esprit, il ne pouvait manquer de réussir dans la société, aussi l’a-t-il fait complètement. V. M. en sera sûrement contente ; mais ce qui rendra surtout M. de Fersen digne de ses bontés, c’est qu’il pense avec une noblesse et une élévation singulières.»
Le succès diplomatique est total. Être bien vu de la famille royale française c’est la porte ouverte à toutes les carrières. Ses intérêts personnels et les intérêts de son pays sont intrinsèquement liés. Et de manière la plus officielle qui soit ! Creutz n’en attendait pas moins de son protégé. Bien que son rang et le souvenir de son père y aient largement contribué, il a su montrer de véritables qualités. L’ambassadeur suédois n’est pas loin de voir en lui un fils spirituel.
Notons : la famille royale. Pas uniquement la Dauphine ou la nouvelle Reine. C’est bien la famille royale qui a merveilleusement bien traité ce pion essentiel aux relations entre la France et la Suède.
Le 7 juin 1774
La comtesse de Fersen écrit à son époux à propos des succès mondains de leur fils :
«J’ai été fort aise des éloges que ma soeur donne à notre fils, j’ai aussi reçu une lettre du comte de Creutz, qui me parle beaucoup de lui, et qui, sans nommer madame de Brancas, me parle de liaisons de notre fils dans une des plus grandes maisons de France.»
Alma Söderhjelm, Fersen et Marie-Antoinette,édition de 1930, p. 44
Pour une personne du rang du jeune Axel, les succès mondains (et amoureux !) sont la même chose que les succès diplomatiques.
Le 16 juin 1774
Nouvelle lettre de la comtesse de Fersen à propos du baron Kurtzrock :
«(…)il m’a beaucoup parlé de notre fils et m’en dit mille bien, vous pouvez penser mon cher combien cela m’a fait de plaisir, il a été frappé de la ressemblance de Sophie avec son frère.»
Alma Söderhjelm, p. 44
Le jeune Axel et sa soeur sont très proches, bien plus qu’avec leurs deux autres frère et soeur Fabian et Hedda.
En juin 1774
Le jeune comte est déçu de son séjour londonien. Il est aussi bien reçu par la famille royale britannique et assiste à tous les grands événements aristocratiques mais tout lui apparaît comme vilain comparativement à ce qu’il a vécu de si brillant en France.
«Je fus présenté à la reine qui est très gracieuse et très aimable, mais elle n’est pas du tout jolie.»
Söderhjelm, p. 46
Il doit ensuite repasser par la France mais uniquement par Dunkerque et Lille et de là Bruxelles, les Pays-Bas puis Berlin.
Le 11 juillet 1774
L’abbé Baudeau (1730-1792), économiste et journaliste, écrit :
«On tire à boulets rouges sur la Reine ; il n’y a pas d’horreurs qu’on n’en débite, et les plus contradictoires sont admises par certaines gens. On lui donne M. le duc de Chartres et M. de Lamballe, le premier à son corps défendant, et le second de bonne voglie puis madame de Lamballe, madame de Pecquigny, etc., etc. C’est la cabale jésuitique du chancelier Maupeou et des vieilles bigotes de tantes qui fait courir tous ces bruits-là, pour perdre, s’ils peuvent, cette pauvre princesse, et pour être seuls maîtres de la cour».
Fleischmann Les pamphlets libertins contre Marie-Antoinette : d’après des documents nouveaux et les pamphlets tirés de l’Enfer de la Bibliothèque nationale, p. 133
Dès le début du règne, on n’hésite pas à prêter à Marie-Antoinette un amant (le prince de Lamballe 1747-1768) qu’Elle n’a jamais connu puisque mort deux ans avant Son arrivée en France. Ce n’est qu’un début.
Le 28 juillet 1774
Arrestation de l’abbé Mercier à la Bastille, soupçonné d’être l’auteur du Lever de l’Aurore, texte qui attaque Marie-Antoinette. Du souhait de celle-ci de voir le lever du soleil dans les jardins de Marly, la rumeur transforme ce voeu innocent en d’abominables bacchanales. L’opinion reproche à la jeune Reine de ne pas accueillir son époux la nuit et de préférer les nuits blanches. C’est oublier que Marie Leszczyńska a aussi très souvent préféré passer la nuit à jouer hors des résidences royales.
Traditionnellement, on fait de cet texte le premier libelle contre la Reine. La réflexion de l’abbé Baudeau montre que non.
En août 1774
L’Impératrice Marie-Thérèse fait arrêter Beaumarchais qu’elle soupçonne être l’auteur du pamphlet Avis important de la branche espagnole sur ses droits à la couronne de France, à défaut d’héritiers, et qui peut être utile à toute la famille de Bourbon, surtout au roi Louis XVI.
Ce dernier a donné mission à son agent secret Beaumarchais d’arrêter l’écrit avant sa publication. Seulement, à Vienne Marie-Thérèse est persuadée qu’il en est lui-même le véritable auteur.
Dans ce pamphlet, on exhorte les princes Bourbons de surveiller au mieux la jeune Reine qui risque de donner un héritier illégitime à la Couronne puisque son mari est dit-on impuissant. Les principaux ingrédients de la soi-disant infidélité de Marie-Antoinette sont en place.
Le 17 septembre 1774
Après négociations, Beaumarchais est libéré. Marie-Thérèse ne peut s’empêcher de penser qu’on veut du mal à sa fille au plus haut.
Les écrits et dessins orduriers ne vont désormais cesser, inondant autant la Ville que la Cour. Malgré la police, rien n’y fait. L’Histoire a communément admise que les premiers responsables en sont Monsieur, frère du Roi, le duc de Chartres qui deviendra plus tard duc d’Orléans puis Philippe-Egalité, tous deux entourés d’un aréopage d’hommes de lettres à leur dévotion, et peut-être même Mesdames, du moins l’aînée Madame Adélaïde. Il est certain que celle-ci est la première à avoir surnommée Marie-Antoinette l’Autrichienne, avant même Son arrivée en France. Sans y mettre forcément la main, la petite cour de Mesdames peut surtout en avoir été l’un des plus profitables relais.
Cela rejoint la polémique de la légende de la brioche qu’on prête à Marie-Antoinette encore trop souvent :
Le 28 novembre 1774
Fersen est désormais en Prusse où il est maintenant accueilli par Frédéric II.
Le vieux renard ne semble pas en vouloir au fils de celui qui lui a infligé une grave défaite : il admire avant tout le génie militaire. Fersen père est aussi un francophile comme lui, un homme de lettres reconnu et un politicien hors pair. Que des qualités qu’il estime. D’ailleurs les opérations en Poméranie se sont avérées inutiles par la suite et Frédéric II a réussi à en tirer profit au détriment de la Suède. Il n’a donc aucune raison d’en vouloir à Fredrick Axel et son fils.
Axel en profite pour écrire une longue lettre à sa chère Sophie qu’il n’a pas revu depuis quatre ans :
«Ma chère soeur
Il y a bien longtemps que. je n’ai reçu de vos lettres, ma chère soeur, mais j’en conçois maintenant la raison facilement, depuis que je sais que vous êtes dans le grand monde, cela doit vous occuper considérablement et vous laisser peu de temps à vous, d’ailleurs je ne suis pas en droit de vous faire des reproches car je n’ai pas non plus été fort exact à vous donner de mes nouvelles, mais j’espère que ne serez pas moins généreuse que je ne le suis et que vous m’excuserez facilement, car je voyage, et j’ai par conséquent beaucoup à faire et à écrire. Je suis charmé d’apprendre que la robe que j’ai fait faire pour vous sous soit parvenue, je souhaite que vous l’ayez trouvée jolie, au moins c’était mon intention en la faisant faire, j’ai même outrepassé les ordres de ma mère qui m’avait écrit de faire faire une petite robe, mais j’ai pris ce qu’il y avait de plus joli et de plus nouveau, c’est avec une impatience extrême que je désire de vous en voir parée, j’espère que j’aurai ce plaisir à Noël, et je me flatte de ne pas être mal reçu car je suis porteur d’une lettre, devinez de qui ; c’est de mademoiselle Leyel qui est charmante et qui me charge de vous faire un million de compliments, je l’ai vue à Dresde, je les ai laissés il y a neuf jours et je crois qu’elles se mettront bientôt en route pour l’Angleterre. Madame et monsieur de Lövenhielm vous font mille compliments, ils m’ont reçu à merveille, et vous ne sauriez croire ma chère petite soeur tout le bien qu’ils ont dit de vous, que vous étiez grande, jolie, aimable, gaie et que sais-je moi, mille autres jolies choses de façon, m’ont-ils dit, que je ne vous reconnaitrais pas si je vous voyais avec plusieurs autres, mais j’en doute, car mon coeur vous retrouverait toujours. Je suis à Postdam pour voir le roi et c’est demain que je lui serai présenté ensuite je retourne à Berlin pour y rester cinq à six jours, et me mettre en route pour ne plus m’arrêter qu’à Stockholm si Dieu me donne la santé. Je suis en attendant le moment de vous voir votre très affectionné frère
Axel de Fersen. »Alma Söderhjelm p. 48-49
A aucune autre femme il n’exprimera autant de sentiments.
Le jeune homme a fini son éducation, il a énormément appris, sur tous les plans, militaire, intellectuel, scientifique, littéraire, il parle couramment le français, l’allemand, l’italien, l’anglais. Ses succès diplomatiques, mondains et amoureux sont considérables. Il connaît personnellement tous ceux qui comptent en Europe. Il va désormais passer plusieurs années à s’ennuyer chez lui, partagé entre la vie de cour suédoise et sa famille.
En mars 1775
Après avoir refusé d’être en poste en Prusse comme ambassadeur auprès de Frédéric II qui l’apprécie beaucoup, Armand-Louis de Gontaut-Biron, duc de Lauzun (1747-1793) rentre en France et se retrouve très vite en faveur auprès du nouveau couple royal. Dès lors, le public s’attend à ce que ce grand séducteur, qui a semé les coeurs à travers toute l’Europe, attire la jeune Reine si mal mariée.
Il aura d’ailleurs l’occasion de fréquenter Fersen, ce que nous verrons plus loin. Pour l’instant, il intègre le cercle de la princesse de Guéménée, gouvernante des Enfants de France, chez qui Marie-Antoinette passe de nombreuses soirées.
Voir cet article :
Le gentilhomme démarre sa faveur auprès de la Reine en remportant de nombreuses courses hippiques (ou du moins son cheval et son jockey !) durant l’année 1775 contre d’autres grands seigneurs, notamment le comte d’Artois et le duc de Chartres. Il est de tous les soupers du Roi et participe au Jeu de la Reine, à sa table. Marie-Antoinette le réclame ensuite auprès de la princesse de Lamballe, qui par sa charge de Surintendante de la Maison de la Reine, doit organiser toutes les semaines des soupers et des bals chez elle où Marie-Antoinette peut recevoir qui elle souhaite avec moins de rigueur que dans ses propres appartements.
A l’automne 1775
Lauzun se rêve conseiller politique auprès de la jeune souveraine pour qui il ne se refuse aucune ambition. Il lui évoque un projet chimérique qui permettrait de réunir la France et la Russie, avec l’accord de la Tsarine dont il est aussi le favori. Lauzun voit dans la réaction de non-recevoir de Marie-Antoinette un manque de courage et d’intelligence politique. Marie-Antoinette est peut-être tout simplement plus raisonnable qu’Elle ne le montre…
Elle lui offre ensuite la survivance de la compagnie des gardes du corps du duc de Villeroy. Lauzun refuse, ne souhaitant aucune place à la cour, de crainte d’une défaveur. Marie-Antoinette se récrie, cela n’arrivera jamais, lui affirme-t-Elle !
Alors d’après les mémoires du duc se joue une scène des plus éloquentes :
« Madame la princesse de Bouillon me reprocha chez madame de Guéménée d’être triste et occupé, et me dit, en riant, que j’avais une grande passion dans le coeur; — Si cela est, répondis-je en plaisantant, elle est malheureuse ; car il faut convenir que j’en vois rarement l’objet. — On ne dit pas cela, répliqua madame de Bouillon, et on assure que vous êtes fort bien reçu, — Au moins dites-moi le nom de ma passion; il est juste que je le sache aussi. — Il s’agit d’un trop grand personnage pour oser le nommer ; il y a cependant si peu de monde dans la pièce, que je veux bien vous confier que c’est la reine. — Madame de Guéménée rougit et s’embarrassa. — Il faut donc, lui dis-je le plus froidement possible, qu’elle soit informée de cette belle nouvelle, et je vais sur le champ la lui apprendre sans citer personne, comme de raison (en fixant madame de Bouillon, qui me parut entièrement déconcertée) ; et je sortis de la chambre. Je montai chez la reine que je rencontrai en allant au salut. Je la suppliai de m’accorder une demi- heure d’audience après le salut. Elle me dit de l’attendre, me fit entrer dans son cabinet dès qu’elle fût revenue, et me dit : — Qu’y a-il-de nouveau ? —J’ai cru devoir informer Votre Majesté que l’on osait mal interpréter mon attachement sans bornes à sa personne, et que l’on poussait l’audace jusqu’à blâmer les bontés dont elle m’honore. J’ose la supplier d’en diminuer les marques trop frappantes, et de me permettre de me présenter moins souvent devant elle. —Y pensez-vous ? reprit-elle avec colère; devons-nous céder à d’insolents propos que je n’aurai pas dû craindre ? et serais-je excusable de leur sacrifier l’homme du monde sur qui je compte le plus et de qui l’attachement m’est le plus nécessaire? — Oui, Votre Majesté le doit, et j’ai dû m’y attendre ; quelque affreux qu’il soit pour moi de renoncer à la douceur de lui consacrer mes services et ma vie, je dois m’y résoudre, profiter puisque les circonstances l’exigent, de l’asile que m’offre une grande princesse, et fuir les persécutions que l’on me prépare de toutes parts dans ma patrie. —Vous croyez donc que je ne vous défendrai pas ?
— J’ose supplier Votre Majesté, j’ose même exiger, comme seul prix de mon dévouement absolu, qu’elle ne se compromette pas en me soutenant ; je suffis pour me défendre. —Comment ! vous voulez que j’aie la lâcheté……. Non, M. de Lauzun, notre cause est inséparable, on ne vous perdra pas sans me perdre ! — Oh ! Madame, l’intérêt particulier d’un sujet peut-il être comparé aux grands intérêts de la reine ? — D’un sujet tel que vous, Lauzun ? Ne m’abandonnez pas, je vous en conjure; que deviendrai-je, si vous m’abandonnez ? Ses yeux étaient remplis de larmes. Touché moi-même jusqu’au fond du coeur je me jetai à ses pieds : — Que ma vie ne peut-elle payer tant de bontés ! Une si généreuse sensibilité ! Elle me tendit la main, je la baisai plusieurs fois avec ardeur sans changer de posture. Elle se pencha vers moi avec beaucoup de tendresse ; elle était dans mes bras lorsque je me relevai, je la serrai contre mon coeur qui était fortement ému ; elle rougit, mais je ne vis pas de colère dans ses yeux. — Eh bien! reprit-elle en s’éloignant un peu,
n’obtiendrai-je rien? — Le croyez-vous, répartis-je avec beaucoup de chaleur, suis-je à moi? N’êtes-vous pas tout pour moi? C’est vous seule que je veux servir, vous êtes mon unique souveraine! Oui! (continuai-je plus tristement), vous êtes ma reine, vous êtes la reine de France ! Ses regards semblaient me demander encore un autre titre, je fus tenté de jouir du bonheur qui paraissait s’offrir. Deux raisons me retinrent; je n’ai jamais voulu devoir une femme à un instant dont elle pût se repentir et je n’eusse pu supporter l’idée que madame Czartoryska se crût sacrifiée à l’ambition ; je me remis donc assez promptement : — Je ne prendrai point de parti, dis-je sérieusement, sans les ordres de Votre Majesté; elle disposera de mon sort.— Allez-vous-en, me dit-elle ; cette conversation a duré assez, et n’a peut-être été que trop remarquée. Je fis une profonde révérence, et me retirai.»
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58316323/f301.item.r=reine
On est consterné devant tant de fatuité ! Lauzun représente dans ses mémoires la caricature de ces aristocrates internationaux devant qui le pouvoir, les succès diplomatiques, les batailles et les femmes de toute l’Europe s’inclinent. Le modèle d’un Fersen.
Notons cependant que Lauzun, entretemps devenu duc de Biron, puis général révolutionnaire meurt guillotiné en 1793. Il n’a donc pas lui-même entièrement rédigé ses mémoires qui courent de 1747 à 1783 mais seulement laissé quelques papiers épars. L’ensemble fut remonté et sûrement complété par d’autres mains. La version manuscrite qui en résulte sera lu clandestinement sous l’Empire et contre laquelle va s’opposer Talleyrand jugeant la plupart des anecdotes apocryphes mais en confirmant d’autres. Madame Campan va quant à elle s’offusquer des passages concernant Marie-Antoinette. Le manuscrit sera interdit par Napoléon mais finalement édité sous Louis XVIII en 1822.
Les mémoires continuent sur les intrigues internationales, notamment son plan avec la Russie, Lauzun jugeant Marie-Antoinette, par sa lâcheté politique, responsable de la mauvaise opinion des ministres à son égard, et qui d’après lui n’ont qu’un souhait : l’enfermer à la Bastille. Mais celle-ci lui promet toujours les plus éclatantes faveurs et en attendant lui suggère la charge de premier écuyer de sa maison, en succession du comte de Tessé. Comme si cela ne suffisait pas, elle espère en faire le gouverneur du fils qu’elle n’a toujours pas. Lauzun joue alors la carte de l’humilité en arguant n’avoir pas les qualités nécessaires pour éduquer le futur roi. On est confondu devant tant d’exagérations !
Mais le pire arrive :
«La conversation dura encore quelque temps; ensuite là reine parla bas à madame de Guéménée qui s’approcha de moi et me dît, en riant, à mi-voix :
—Etes-vous très attaché à la plume de héron blanche qui était à votre casque lorsque vous avez pris congé ; la reine meurt d’envie de l’avoir, la lui refuserez-vous ? —Je répondis que je n’oserais la lui offrir, mais que je me trouverais très heureux
qu’elle voulut bien la recevoir de madame de Guéménée. J’envoyai un courrier la chercher à Paris, et madame de Guéménée la lui porta le lendemain au soir. Elle la porta dès le jour suivant et lorsque je parus à son dîner, elle me demanda comment je la trouvais coiffée, je répondis : — Fort bien ! — Jamais, reprît-elle avec infiniment de grâce, je ne me suis trouvée si parée, il me semble que je possède des trésors inestimables !
Il eût assurément mieux valu qu’elle n’en eût pas parlé, car le duc de Coigny remarqua et la plume et la phrase, et il demanda d’où venait cette plume ; elle dit avec assez d’embarras que je l’avais rapportée à madame de Guéménée de mes voyages et qu’elle la lui avait donnée. Le duc de Coigny en parla le soir à madame de Guéménée avec beaucoup d’humeur, lui dit que rien n’était plus ridicule et plus indécent que ma manière d’être avec la reine, qu’il était inouï de faire aussi publiquement l’amoureux, et incroyable qu’elle eût l’air de le trouver bon. Il fut assez mal reçu et songea aux moyens de m’éloigner.
Mon projet, et c’était le parti le plus sage, était de passer une grande partie de l’hiver en Italie ; mais jamais la reine n’y voulut consentir ; et pour m’éloigner au moins quelques jours de la cour,
vers la fin de Fontainebleau, je fis un voyage à Chanteloup, où je trouvai tout le monde extrêmement occupé de ma faveur. Madame la duchesse de Gramont surtout, fondait les plus hautes espérances sur mon crédit près de la reine. Elle ne tarda pas à m’en parler et à me dire que le goût que la reine avait pour moi ne me rendait rien difficile près d’elle. Je lui dis qu’elle me traitait avec distinction, à la vérité, mais que ne prétendant à aucun crédit, et étant résolu à ne jamais rien demander, je ne
pouvais juger quelle en était la mesure. Madame de Gramont répliqua qu’elle ne voulait pas m’engager à lui confier mon secret, si je n’en avais pas l’intention, mais que personne ne doutait que le goût de la reine pour moi n’eût eu les suites qu’il devait naturellement avoir, et que je ne fusse son amant ; que par conséquent elle ne me faisait pas l’injure de penser que je ne ferais pas tous mes efforts pour ramener le duc de Choiseul à la tête du ministère. J’assurai madame de Gramont qu’elle ne saurait plus mal juger l’espèce de liaison que j’avais avec la reine ; que je n’étais nullement à portée d’intriguer ni de lui donner des conseils ; et que, quand j’aurais sur elle une influence que je n’avais pas, je lui étais trop attaché pour la porter jamais
à se mêler des ministres du roi ; que tout le monde savait combien j’étais dévoué à M. le duc de Choiseul, et que, quand je le pourrais, je croirais lui rendre un très-mauvais service en le mettant à la tête des affaires. — Et pourquoi ? reprit madame de Gramont avec une grande vivacité. — C’est, lui dis-je, que M. le duc de Choiseul n’aurait plus maintenant qu’à perdre ; que le but des gens les plus ambitieux ne pouvait être que de réunir une grande réputation et une haute considération à de belles places et à une fortune considérable ; qu’il n’y avait pas en Europe de ministre qui eût joui d’autant de réputation et de considération; qu’il était peut-être le seul qui eût vu le prince qui l’avait exilé abandonné pour lui de ses courtisans même ; qu’en redevenant ministre, on le rendrait peut-être responsable des événements malheureux amenés par les fautes de ses prédécesseurs. —M. le duc et madame la duchesse de Choiseul furent de mon avis ; mais madame de Gramont continua de répéter avec chaleur que tous ceux qui aimaient M. de Choiseul devaient désirer le voir encore gouverner un grand royaume, et dans tous les genres augmenter sa, fortune. Je ne me laissai pas persuader ; malgré son attachement pour la reine, je ne pouvais me dissimuler tous les inconvénients qu’aurait pour elle M. de Choiseul subjugué par une femme aussi impérieuse que sa soeur. On continua de me fort bien traiter à Chanteloup. où je restai encore quelques jours; mais madame de Gramont me jura une haine éternelle.»
A notre connaissance, jamais cet extrait n’est apparu aussi complet dans aucune biographie consacrée à Marie-Antoinette. Seule l’histoire de la plume de héron ornant la coiffure de la jeune et jolie reine a intéressé ses biographes, soulignant seulement dans quel embarras elle se retrouve vis-à-vis d’un grand séducteur.
Or ici, il est explicitement dit que tout est orchestré de Chanteloup, lieu d’exil de l’ancien ministre de Louis XV et dont la soeur ne cache pas l’ambition.
Marie-Antoinette est ici clairement l’enjeu de la lutte entre les deux bords politiques qui s’opposent depuis le règne de Louis XV. D’un côté le parti anti-autrichien, plus ou moins représenté par Mesdames, dit aussi le parti dévot, héritier de la ligne du Dauphin père de Louis XVI, de l’autre les choiseulistes que Marie-Antoinette soutient ostensiblement depuis son mariage. Les anti-autrichiens financent la campagne de calomnies contre la jeune reine, lui attribuant des amants les plus improbables (dont le prince de Lamballe décédé en 1768 !). Avec ce passage, nous découvrons que le parti choiseuliste n’est pas en reste car lui souhaite réellement lui donner un amant, non seulement le moins discret mais surtout à leurs bottes. Ainsi, Choiseul, et surtout sa soeur (qui n’a jamais digéré avoir été évincée par madame du Barry auprès de Louis XV dont elle se rêvait favorite) pensent pouvoir manipuler la jeune Reine et de là son époux le Roi, pauvre benêt qui cède à tous les caprices de sa femme.
Comment aucun biographe, historien n’a-t-il pu évoquer ce fait ? Même les Girault de Coursac l’occultent, eux dont la thèse principale est de montrer Marie-Antoinette comme la créature des choiseulistes amenée à dominer son mari ? Les Girault de Coursac ont aussi un autre cheval de bataille : ignorer les mémorialistes, à leurs yeux tous menteurs, flagorneurs ou apocryphes. On ne peut leur donner entièrement tort sur ce point mais même si Lauzun n’a jamais écrit cela de lui-même, même si jamais la cour concurrente de Chanteloup n’a jamais fomenté un tel complot, il était une évidence pour l’auteur post-Lauzun de ces mémoires rédigées entre la Terreur et la Restauration que les choiseulistes voulaient donner à Marie-Antoinette un amant de leur parti, puissant et célèbre dans toute l’Europe. Impossible de savoir si cela relève de la rumeur lancée par le parti adverse ou bien une réalité incontestable de la part des choiseulistes.
On lit bien avec ce passage et ceux précédents que Marie-Antoinette est en effet terriblement embarrassée. Elle se sait l’enjeu de ces partis. D’un côté ceux qui veulent la voir «repasser la Barrière», mettant fin à l’alliance avec l’Autriche car reine pourvue d’amants aux yeux du public et de l’autre ceux qui veulent effectivement lui donner un amant bien réel afin de retrouver ou renforcer leur pouvoir. Marie-Antoinette se sait piégée et doit en même temps ménager ses amis choiseulistes qu’elle croit être ses seuls soutiens à la cour. D’où son port de la plume de héron au Grand Couvert.
Mais le plus difficile à cerner reste l’attitude de Louis XVI. En effet, dans la suite de ses mémoires, Lauzun explique :
« Le roi me renvoyait toujours près d’elle, et me disait d’y rester. Il paraissait approuver cette manière d’être avec moi, et avait d’autant plus de mérite que les propos tenus dans le public étaient venus jusqu’à lui, qu’il ne s’était pas contenté de très-mal recevoir ceux qui avaient osé les lui répéter, mais que dès cet instant, il avait commencé à me traiter infiniment mieux, et à être aussi honnête pour moi que son caractère pouvait le comporter.»
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58316323/f314.item.r=reine
Bref, cela ne dérange pas le moins du monde Louis XVI que le public puisse imaginer son épouse pourvue d’un amant et le favorise d’autant plus. D’un côté, le choiseuliste qu’est Lauzun ne cache pas son mépris qu’il a du Roi et de l’autre, le piège dans lequel se retrouve Marie-Antoinette est d’autant plus profond que c’est son propre époux qui l’y plonge !
Mais d’autres choiseulistes commencent à voir le danger dans lequel se retrouve Marie-Antoinette : Lauzun se plaint de la faveur en hausse du baron de Besenval et de la comtesse de Polignac ce même automne 1775 qui chacun dans son style va assurer une véritable influence sur la Reine, en faveur de Louis XVI de surcroît. Nous l’avons vu, le duc de Coigny fait tout aussi de son côté pour prévenir le danger. Lauzun parle de rivalité d’amants potentiels, mais c’est bien une lutte politique que nous avons sous les yeux. Un autre ami de la Reine vient ensuite s’interposer entre Lauzun et Marie-Antoinette : le comte d’Esterhàzy.
Voir cet article :
Madame Campan, de son côté, ne décolère pas, bien des années plus tard :
« Le duc de Lauzun (depuis duc de Biron ), qui a figuré dans la révolution parmi les intimes du duc d’Orléans, a laissé des Mémoires encore manuscrits, où il insulte au caractère de Marie-Antoinette. Il raconte une anecdote d’une plume de héron : voici la version véritable.
M. le duc de Lauzun avait de l’originalité dans l’esprit, quelque chose de chevaleresque dans les manières. La reine le voyait aux soupers du roi et chez la princesse de Guéménée : elle l’y traitait bien. Un jour il parut chez madame de Guémenée en uniforme avec la plus magnifique plume de héron blanc qu’il fût possible de voir ; la reine admira cette plume : il la lui fit offrir par la princesse de Guémenée. Comme il l’avait portée, la reine n’avait pas imaginé qu’il pût vouloir la lui donner ; fort embarrassée du présent qu’elle s’était, pour ainsi dire, attiré, elle n’osa pas le refuser, ne sut si elle devait en faire un à son tour, et, dans l’embarras, si elle lui donnait quelque chose, de faire ou trop ou trop peu, elle se contenta de porter une fois la plume, et de faire observer à M. de Lauzun qu’elle s’était parée du présent qu’il lui avait fait.
Dans ses Mémoires secrets, le duc donne une importance au présent de son aigrette, ce qui le rend bien indigne d’un honneur accordé à son nom et à son rang. Son orgueil lui exagéra le prix de la faveur qui lui avait été accordée. Peu de temps après le présent de la plume de héron, il sollicita une audience ; la reine la lui accorda, comme elle l’eût fait pour tout autre courtisan d’un rang aussi élevé. J’étais dans la chambre voisine de celle où il fut reçu ; peu d’instants après son arrivée, la reine rouvrit la porte, et dit d’une voix haute et courroucée : « Sortez, Monsieur. » M. de Lauzun s’inclina profondément et disparut. La reine était fort agitée. Elle me dit : « Jamais cet homme ne rentrera chez moi. » Peu d’années avant la révolution de 1789, le maréchal de Biron mourut. Le duc de Lauzun héritier de son nom, prétendait au poste important de colonel, du régiment des gardes-françaises. La reine en fit pourvoir le duc du Châtelet : voilà comme se forment les implacables haines. Le duc de Biron s’attacha aux intérêts du duc d’Orléans, et devint un des plus ardents ennemis de Marie- Antoinette.»Mémoires de madame Campan
Rassurons-nous, le duc de Lauzun est resté encore bien en Cour longtemps après cette histoire. Madame Campan prouve que comme tout bon mémorialiste qui se respecte elle n’hésite pas à exagérer. La version de Lauzun étant encore manuscrite quand elle écrit, elle se doute que peu de gens en feront la comparaison. Or, même aujourd’hui, malgré les deux textes sous les yeux, peu d’historiens remettent en cause les dires de la bonne Henriette. Or Lauzun n’a pas été expulsé de la cour après sa visite à la Reine. Mais on se doute aussi que cette visite ne s’est aucunement déroulée comme il l’a décrite.
Tous les ingrédients d’une faveur qui a eu l’air d’être plus qu’elle ne fut sont là. Or, on le voit Lauzun n’a fait que vivre dans ses fantasmes.
En parallèle, Louis XVI fait tout également pour nourrir l’amitié entre Lauzun et son jeune frère le comte d’Artois :
«Il apprit un jour, pendant l’hiver, que M. le comte d’Artois était sorti seul, à cheval, très matin; il en fut fort inquiet, et craignit qu’il n’eût eu quelque querelle. On lui dit que j’étais avec lui, et il étonna beaucoup tous les gens qui l’entouraient, en disant fort tranquillement :
— Puisque M. de Lauzun est avec lui, je n’ai pas d’inquiétude; il ne lui laissera pas faire de sottises, et il en eût prévenu la reine s’il en eût prévu qu’il n’eût pu empêcher.»
On a l’impression de deux relations tissées par Louis XVI avec un Lauzun au coeur de sa toile.
Le 15 décembre 1775
Marie-Antoinette se moque superbement des libelles qui courent sur le Roi et Elle-même :
« Nous sommes dans une épidémie de chansons satiriques. On en a fait sur toutes les personnes de la Cour, hommes et femmes, et la légèreté française s’est même étendue sur le Roi. La nécessité de l’opération a été le mot principal contre le Roi. Pour moi, je n’ai pas été épargnée. On m’a très libéralement supposé les deux goûts, celui des femmes et celui des amants. Quoique les méchancetés plaisent assez dans ce pays-ci, celles-ci sont si plates et de si mauvais ton qu’elles n’ont eu aucun succès, ni dans le public ni dans la bonne compagnie.»
Marie-Antoinette, Correspondance, édition établie par Evelyne Lever, p. 235
Marie-Antoinette qui n’a que vingt ans fait preuve ici d’une grande naïveté. Elle rit de la supposée impuissance de Son époux, Elle rit de ce qu’en conséquence, on ne peut que Lui prêter des amants et des maîtresses. Elle pense ces méchancetés si bêtes qu’elles ne peuvent avoir de succès auprès de l’opinion. Ce n’est tellement pas sérieux à Ses yeux qu’Elle expose la situation de manière amusante à Sa mère qu’Elle sait pourtant extrêmement bigote et pointilleuse sur le sujet. Et qui ne risque certainement pas d’en rire. D’année en année, Marie-Antoinette va déchanter et prendra dans une dizaine d’année la mesure des horreurs débitées sur Elle.
Une chose est sûre : tout le monde s’attend à ce que la jeune Reine se désennuie de Son triste mari auprès des femmes qui forment son entourage, mais aussi auprès des seigneurs qui composent Sa Cour. Lauzun en première ligne.
A l’hiver 1775-1776
Le duc de Lauzun file le parfait amour avec lady Barrymore, dame dont évidemment d’après ses mémoires Marie-Antoinette est jalouse. Cependant, le comte d’Artois humilie le duc de Lauzun en plein bal de l’Opéra : le jeune prince et lady Barrymore sont retrouvés ensemble dans une loge. Le héros des mémoires qui ne tarit pas sur toutes les faveurs qui lui tombent dessus, se retrouve ridiculisé par le frère du Roi. Un Roi qui a tout fait pour que Lauzun ne quitte plus son cadet.
Alors a-t-on vraiment en face de nous un Louis XVI si aveugle faisant tout pour rendre sa femme heureuse, lui ne pouvant lui procurer ce bonheur ? Ou bien sommes-nous devant celui décrit par Aurore Chéry qui est prêt à tout pour se débarrasser de sa femme ? Et si c’est encore autre chose ? Et si, lorsqu’il a compris que sa femme avait été piégée par les choiseulistes n’avait-il pas à son tour orchestré une intrigue ? Louis XVI serait bien un intrigant mais apparemment Aurore Chéry n’a pas réussi à correctement démêler ses intrigues, en en supposant là où il n’y en avait pas et négligeant celles pourtant flagrantes.
Il sait que son épouse doit ménager les choiseulistes et lui-même s’il refuse de revoir le duc de Choiseul à Versailles, nombre de personnes de son entourage appartiennent à ce parti. Il a fait croire l’été précédent qu’il avait cédé au caprice de sa femme pour revoir le duc de Choiseul mais son accueil montre bien ce qu’il en était réellement. Que son épouse porte ostensiblement la plume de héron au Grand Couvert. Les choiseulistes se croiront récompensés de leurs efforts. Louis XVI favorise encore plus Lauzun qui ne se connaît plus de bornes. Mais tout s’écroule ensuite. Celui sur qui pleut toutes les faveurs se retrouve ridiculisé. Et son parti du coup également. On comprend mieux dès lors la haine de madame de Gramont contre Lauzun, trop fat pour s’apercevoir du piège. Des choiseulistes plus édulcorés ont tenté de prévenir Lauzun. Mais celui-ci est trop sûr de lui pour s’imaginer piégé par le Roi lui-même.
Louis XVI n’a pas forcément envie de se débarrasser de sa femme, comme le pense Aurore Chéry. Elle lui est utile à plus d’un titre. Là clairement Marie-Antoinette lui sert dans sa lutte contre les choiseulistes.
Au même moment se déclenche l’affaire de Guines qui met encore en jeu l’opposition entre choiseulistes et dévots. Marie-Antoinette sera vivement éclaboussée dans cette affaire. Elle apparaît comme victorieuse, imposant ses vues à son mari, mais sa réputation en est au final altérée. Le duc de Coigny fait tout pour que Marie-Antoinette s’en mêle le moins possible, voulant la sauvegarder contre Son propre orgueil, quand Lauzun l’y entraîne, prétextant l’honneur de la Reine tenue à protéger Ses fidèles.
Au printemps 1776
Suite aux réforme du comte de Saint-Germain dans l’armée, Marie-Antoinette fait tout pour offrir au duc de Lauzun un nouveau régiment.
En avril 1776
Course aux Sablons avec pour principaux concurrents le comte d’Artois, le duc de Chartres et le duc de Lauzun, vainqueur. Marie-Antoinette se montre une fois de plus enthousiaste pour ces courses.
Le public murmure.
Peu après, lors d’une chasse aux bois de Boulogne Marie-Antoinette a le caprice d’échanger un de ses chevaux avec celui d’un piqueur du duc de Lauzun. Le duc de Coigny qui les accompagne est scandalisé.
Mai-Juin 1776
Le comte de Saint-Germain propose à Lauzun un régiment de dragons. Celui-ci refuse mais Louis XVI lui promet le premier régiment étranger vacant en échange.
Tout dans cette histoire de Lauzun semble être comme le moule où se déroulera ensuite l’histoire de Fersen.
Le 30 juin 1776
Nous apprenons dans une lettre entre l’ambassadeur Creutz et le comte Fredrik Axel von Fersen, que ce dernier lui a envoyé ses cuisiniers afin d’apprendre la cuisine française. Monsieur de Fersen et l’ambassadeur en poste à Paris n’hésitent donc sur rien pour le développement d’une véritable culture française en Suède !
Le 6 juillet 1774 ou 1775 ou 1777
Söderhjelm date cette lettre de 1778 mais cela est impossible puisque Fersen est alors en Angleterre.
A sa soeur :
«Vous me dites, ma chère amie, que vous me regrettez en ville mais il est impossible que ce soit autant que je vous regrette ici, ce séjour aurait été charmant pour moi si j’avais pu y voir ma chère Sophie et passer les journées avec elle, maintenant cela est tout différent, je passe ma journée tête à tête avec mon père et ma Mère, qui jouent tous les soirs une partie de piquet et pendant ce temps je monte dans ma chambre où je joue de la flûte ou fais une lecture… En arrivant je fus reçu des mieux, et ils sont encore de fort bonne humeur, surtout ma Mère qui est charmante, pour nos plaisirs vous les connaissez, et savez qu’ils ne sont pas fort vifs, ajoutez à cela qu’une pluie presque continuelle nous interdit même la promenade… Il n’y a plus de déjeuners, chacun déjeune dans sa chambre, nous nous voyons qu’au dîner.»
Alma Söderhjelm p. 51-52
On veut bien croire l’ennui du jeune homme après une vie si intense à travers l’Europe. En effet, bientôt on ne parlera du premier écuyer que comme amant de la jeune Reine. Lauzun reste cependant bien en cour même si désormais en province avec son régiment.
Le 24 août 1776
Aux yeux d’Axel, la vie de cour suédoise n’a vraiment pas les agréments de la vie parisienne :
« Pardonnez chère Sophie si je n’ai pu vous remercier plutôt de votre petit billet de Stiernsund, mais nous avons tant à faire ici que j’ai n’ai pu vous écrire. Nous montons à cheval le matin et le soir pendant quatre ou cinq heures nous courons les têtes et les bagues tant que nous pouvons, mais malgré cela je m’ennuie très fort je voudrais être loin d’ici, toutes ces figures de cour me paraissent si vieilles, elles me déplaisent toutes, mais il faut pourtant me résoudre à les voir jusqu’au mois de novembre patience… Notre tournoi est fixé au 27 nous serons tous habillés de fer, j’ai une armure de 40 skâlpund (livres) que je dois porter pendant trois jours depuis deux heures après midi jusqu’à ce que je me couche ; nous devons souper avec nos armures, plaignez un peu mon dos et mes épaules.»
En Suède, Fersen n’a de plaisir qu’en compagnie de Sophie. Le reste est d’un ennui mortel. Et rien n’indique, n’en déplaise à certains, que c’est parce qu’il se serait langui de la Reine de France !
En Octobre 1776
Séjour à Choisy.
Après quelques mois d’absence, Marie-Antoinette revoit le duc de Lauzun. Le duc de Coigny ne cache pas sa jalousie :
« La reine me reçut parfaitement bien, montra une grande joie de me revoir, et me parla bas longtemps. Je sortis de la chambre ; et lorsque je rentrai j’eus le temps d’entendre le duc de Coigny disant :
— Vous n’avez pas tenu votre parole : vous aviez promis de ne pas lui parler beaucoup et de le traiter comme tout le monde.
Il ne me fut pas difficile de deviner qu’il parlait de moi. Quelques instants après, la reine vint me parler, et je lui dis :
— Prenez garde, vous vous ferez gronder encore une fois.
— Elle fut embarrassée, et finit cependant par en convenir et en plaisanta avec moi.»
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58316323/f338.item.r=reine
Néanmoins est-ce vraiment de la jalousie ou bien une manière de protéger une jeune femme de vingt ans contre un élément du parti choiseuliste des plus dangereux ?
Si Lauzun se plaint dans ses mémoires de la lutte des favoris de Marie-Antoinette contre sa personne, il ne se gêne pas de son côté, bien que n’en parlant pas dans ses mémoires plus que douteuses :
« Le duc de Lauzun a imaginé d’attaquer la comtesse de Polignac et de la perdre, en produisant des preuves d’infidélité envers la Reine, en ce que des lettres de cette auguste princesse à sa favorite auraient été communiquées à d’autres personnes. Quoique le fait soit très possible, et que j’en ai eu moi-même de violents soupçons, la tête désordonnée et légère de l’accusateur, son défaut absolu de preuves, et le caractère d’intrigue que portait son projet, l’ont fait avorter .»
Mercy à Marie-Thérèse
En novembre 1776
Séjour à Fontainebleau.
Lauzun souhaite partir pour les Indes où des rumeurs de guerres se profilent. Marie-Antoinette refuse ce départ. Lauzun explique ne pouvoir en parler au comte de Maurepas car Marie-Antoinette le lui aurait interdit. C’est surtout parce que le vieux conseiller du Roi lutte vigoureusement contre les choiseulistes. Tous les favoris de la Reine tentent alors désespérément de réduire le crédit de Lauzun, inutilement semble-t-il d’après lui. Marie-Antoinette «mourait de peur de sa société».
Nous apprécions une fois de plus le degré d’exagération du mémorialiste. En tout cas, il est certain qu’il s’est mis à dos une grosse partie de la cour, notamment nombre de choiseulistes, dont le duc de Choiseul, qui peuvent craindre à juste titre ses excès. Heureusement pour eux, et certainement pour Marie-Antoinette, le duc de Lauzun se retrouve peu après endetté jusqu’au cou, le plaçant dans une situation très gênante. La Cour et le Ville le blâment d’y entraîner la duchesse de Lauzun qui n’a qu’à se plaindre d’un tel époux. Elle se console alors avec le duc de Guines. Bref, tout le monde le lâche.
Pour la première fois apparemment, Marie-Antoinette «m’offrit sa protection, un peu trop en reine pour la circonstance.»
Louis XVI lui promet pour services rendus à la Couronne de belles sommes d’argent que Lauzun refuse en gentilhomme. Le Roi le traite toujours merveilleusement bien à son coucher. On peut se demander si ce n’est pas encore stratégique de sa part. D’un côté, il s’oppose à l’attitude des choiseulistes qui rejettent celui qui fut leur héros et sur lequel reposait tous leurs espoirs, de l’autre, il atténue sa chute qu’il a lui-même désirée pour la rendre encore plus difficile.
Lauzun se retrouve obligé de vendre une grande partie de ses biens. Au prince de Guéménée. Pour ceux connaissant la suite, je vous laisse savourer l’ironie. Si c’est vrai, c’est sidérant. Si c’est uniquement de la main de l’auteur des mémoires post-Lauzun, il appréciait l’humour.
Le 17 janvier 1777
«Nous sommes parvenus à lui démasquer le duc de Lauzun, qui est un des plus dangereux personnages et la reine s’est décidée à lui refuser désormais tout accès de confiance.»
Lettre de l’ambassadeur Mercy
Lauzun se sentant abandonné par son parti tente de se rapprocher de Maurepas. Ainsi, il perd tout : ses anciens alliés, dont Marie-Antoinette et ne se fait pas pour autant accepté de ceux qui le voient comme un dangereux arriviste. Tous ceux souhaitant donner un amant à Marie-Antoinette, qu’ils soient pour une répudiation ou pour assurer un pouvoir auprès d’un roi soi-disant malléable, ont compris la leçon. Il leur faut trouver un nouveau Lauzun. Néanmoins celui-ci exerce toujours une certaine influence sur la Reine si l’on se fie à ses mémoires, mais aussi par d’autres sources bien plus crédibles que nous verrons plus loin.
En février 1777
L’architecte de Marie-Antoinette Richard Mique présente à la Reine son projet du Temple de l’Amour qui doit être le point de vue principal de son jardin anglo-chinois du Petit Trianon. Bien qu’Elle n’y dorme pas, Marie-Antoinette a récupéré l’ancienne chambre de madame du Barry. De Sa fenêtre, Elle peut ainsi voir le Temple de l’Amour.
Les dates parlent d’elles-mêmes : Marie-Antoinette ne peut en aucun cas réclamer une telle fabrique en l’honneur de Fersen, un homme qu’Elle n’a pas revu depuis trois ans. Ni Elle ni lui ne peuvent penser à cette date un jour se revoir.
Evelyn Farr est pourtant incapable d’imaginer cette oeuvre autrement que pour célébrer l’amour de Marie-Antoinette pour le beau Suédois (voir sa page Facebook inondée de photos du Temple de l’Amour). Il suffit pourtant de placer les faits chronologiquement pour se rendre compte de l’erreur.
J’ai presque mal pour elle tant elle semble y croire…
C’est triste, on est loin de l’exaltation des coeurs, mais Marie-Antoinette a conçu ce Temple dédié à l’Amour en l’honneur de son époux. Qu’elle n’aime pas certes et réciproquement. Son époux qui lui a offert ce domaine, son époux qu’elle reçoit très régulièrement chez elle à dîner et souper _jamais pour y dormir_, son époux qu’elle doit séduire afin d’espérer un jour donner un Dauphin, un époux qui dans sa jeunesse avait déjà été associé à l’Amour :
Marie-Antoinette doit Son statut de Reine de France à Son époux. Elle se doit donc d’officiellement l’aimer, comme lui obligé d’admettre ne pouvoir obtenir d’héritiers que de son épouse. C’est le dur sort des couples royaux et une règle immuable de la monarchie française.
Le 30 août 1777
Marie-Antoinette écrit à Sa mère quant à la consommation de Son mariage :
« Il y a déjà plus huit jours que mon mariage est parfaitement consommé. L’épreuve a été réitérée, et encore hier plus complètement que la première fois.»
Marie-Antoinette, Correspondance, édition établie par Evelyne Lever, p. 291-292
Le 12 septembre 1777
Lettre de l’ambassadeur Mercy à l’Impératrice Marie-Thérèse :
« Il s’était établi en dernier lieu un nouveau genre d’amusement peu convenable, mais qui heureusement doit cesser avec la belle saison. Cet objet a été, depuis un mois, de faire établir vers dix heures du soir, sur la grande terrasse des jardins de Versailles, les bandes de musique de la garde française et suisse. Une foule de monde, sans en excepter le peuple de Versailles, se rendait sur cette terrasse, et la famille royale se promenait au milieu de cette cohue, sans suite et presque déguisée. Quelquefois, la Reine et les princesses royales étaient ensemble, quelquefois aussi elles se promenaient séparément, prenant une seule de leurs dames sous le bras. Le Roi a été une fois ou deux de son côté et seul à ces promenades ; il a paru s’en amuser, et cela les a d’autant plus autorisées. Cependant, surtout pour la Reine, de pareilles promenades peuvent produire de grands inconvénients. Parmi cette nation, où la jeunesse est si étourdie et si inconsidérée, on ne saurait être trop en garde contre les occasions d’être méconnu.»
Marie-Antoinette, Correspondance, édition établie par Evelyne Lever, p. 295
L’ambassadeur voit d’un très mauvais oeil ces soirées pourtant très innocentes. Il a peur du quand-dira-t-on concernant la Reine de France mêlée presque incognito avec le peuple. Il n’a pas tort car très vite, les pamphlets s’empareront de ce thème et imagineront Marie-Antoinette s’enfuir dans les bosquets avec des hommes qui ne sont pas le Roi, en particulier Son beau-frère le comte d’Artois. Sophie Herfort prend ces pamphlets au pied de la lettre et jamais elle ne s’est dit qu’un prince si près du trône ne peut en aucun cas provoquer ce qui l’en éloignerait !
Pour d’autres qui ne souhaitent accorder à Marie-Antoinette qu’un seul et unique amour, on imagine très bien ce qu’ils pourraient penser si Fersen avait été présent en France cet été-là. Les romans n’ont que faire de la chronologie.
La réalité des dates montre qu’au contraire le couple royal est enfin épanoui.
Le 19 mars 1778
Conception du premier enfant du couple royal au matin, lorsque Marie-Antoinette sort de Son bain.
Le 16 avril 1778
Fersen quitte enfin la Suède ! Non pour la France mais pour l’Angleterre. Il passe par l’Allemagne et retourne une fois de plus à Lille puis de là Calais. En chemin, il entend les bruits de guerre quant à la succession de Bavière sur laquelle Joseph II a des vues. Il est accompagné de son valet Joseph et de son chien. Son père l’autorise à quitter le sol suédois avec mission de trouver une riche épouse afin de renflouer les caisses familiales bien entamées avec le grand tour de son fils aîné. L’héritière choisie n’est autre que mademoiselle Leyel rencontrée quelques années auparavant et que le jeune Axel apprécie. Son père d’origine suédoise est installé à Londres et s’est fortement enrichi grâce à la Compagnie des Indes Orientales.
De surcroît si Fredrik Axel von Fersen est un défenseur bien connu de l’alliance française, il ne mésestime pas non plus les Anglais dont la politique pourrait déranger son roi qui doit soutenir Louis XVI au début du conflit franco-anglais. Fersen père est avant tout un opposant envers Gustave III.
Le 26 mai 1778
Embarquement à Calais pour Douvres. Les bruits de guerre continuent, cette fois-ci entre la France et la Grande-Bretagne à propos de l’Indépendance des futurs Etats-Unis.
Il reste trois mois à Londres où il est toujours aussi bien reçu par George III et son épouse Charlotte de Mecklembourg-Strelitz.
Le 30 juin 1778
Par contre ses affaires maritales n’avancent pas. Mademoiselle Leyel refuse de quitter Londres pour vivre en Suède. Fersen, blessé, se confie comme toujours à Sophie :
« Tout est fini, ma chère amie, la fille m’a assuré qu’elle ne voulait pas quitter ses parents, et qu’elle ne changerait pas d’avis et elle m’a toujours prié de la mander à son père. J’ai cependant insisté, j’ai dit tout ce que l’amant passionné peut dire mais en vain ; elle m’a assuré qu’elle ne doutait pas que je l’aimasse, je l’ai assurée que je ferais mon unique étude de lui plaire, et de la rendre heureuse, enfin mille autres choses, nonobstant tout cela, elle m’a répondu, que la peine de se séparer de ses parents était trop grande pour elle, qu’elle ne pouvait s’y résoudre. Elle l’a déclaré à son père, il m’en a parlé en me disant qu’il en était bien fâché ; et me faisant de jolis compliments, il m’a assuré de son amitié et m’a demandé la mienne il compte écrire une lettre à mon Père, et je me vois obligé de lui mander cette nouvelle. J’en suis au désespoir, cela lui fera de la peine, mais j’ai fait tout mon possible. La fille est fort aimable, remplie de talents, bien de figure, elle est charmante et remplie de douceur, je sens la perte que je fais, mais je ne puis m’empêcher de trouver la raison bonne, je sais par moi-même la peine qu’on doit avoir de se séparer pour toujours de ses parents, et d’un endroit où l’on a des amis, je me consolerai de cette perte si je suis sûr, que mon Père soit persuadé que j’ai fait tout ce que j’ai pu pour lui plaire, et obtenir. le consentement de mademoiselle Leyel. Si au contraire, il en doute, j’en serais au désespoir, j’aurais l’âme bien basse, et je serais le plus ingrat des hommes, si pour prix de toutes les bontés qu’il a pour moi, je le trompais. Je luis écris aujourd’hui pour le prier de différer mon retour en Suède, vous savez le plaisir que j’aurais de vous revoir, mais je crois qu’il n’y a que ce seul moyen pour faire un peu oublier ce mariage rompu, et m’éviter le désagrément affreux d’entendre railler et faire des bons mots sur ce sujet, je propose à mon Père, de me laisser aller, ou dans les provinces méridionales de France, ou à Vienne, ou à Paris pour travailler avec Creutz, ou à la guerre et c’est ce dernier parti que je préfèrerais. Mais quelque soit l’intention de mon père, je m’y soumettrais avec plaisir, plaire à un si bon père est tout ce que je veux. Adieu, ma chère et tendre amie, je suis au désespoir d’avoir une si mauvaise nouvelle à mander à mon Père, et inconsolable, s’il soupçonnait qu’il y eut de ma faute.»
Alma Söderhjelm, p. 54
La jeune fille n’a pas cru les serments prononcés par Fersen. Ils ne font pas le poids face à une séparation irrémédiable avec sa famille. Outre son amour-propre blessé, c’est la déception de son père qui fait souffrir Fersen. Il ne peut pas le regarder en face, il le supplie de l’envoyer où il veut, mais il n’est pas en état de rentrer en Suède. C’est donc en quelque sorte un chagrin d’amour qui le ramène à Paris.
Peu de biographes de Marie-Antoinette ou de Fersen s’étendent sur ce coup du sort. Pour les uns, cela l’arrange car son coeur est déjà pris (évidemment par Marie-Antoinette en dépit de toute rationalité !), pour d’autres comme Françoise Kermina, cela lui permet de se rendre plus vite à Paris «véritable but de son voyage» (Françoise Kermina, Fersen, Perrin, p. 35) alors que cette lettre démontre qu’il ne sait pas encore qu’il va pouvoir retourner à Paris !
Que ce soit d’amour ou vis-à-vis de son père, en tout cas Fersen souffre, c’est indéniable.
Le 7 août 1778
Dans ses lettres à son père, Axel lui montre à quel point le sujet militaire le passionne. Il visite des camps, des plaines qui permettent de voir arriver un possible débarquement des Français.
Il ne cache pas son mépris envers les officiers anglais. Ces visites militaires lui permettent aussi de se rendre à la campagne des Leyel et de retenter sa chance. Inutilement.
Axel se dit que c’est le meilleur moment pour commencer une carrière militaire entre le conflit allemand d’un côté et le conflit américain de l’autre. Il n’a plus qu’à attendre les ordres de son père pour savoir chez qui offrir ses services.
Le 19 août 1778
Axel reçoit enfin la réponse de son père datant du 22 juillet dernier. La joie est forte. Fredrik Axel de Fersen donne finalement son accord pour Paris où il est plus aisé de trouver une place militaire. Il sait que son fils en rêve. Et peut compter sur Creutz.
En effet, l’une des missions les plus importantes de l’ambassadeur en poste à Paris est de soutenir les jeunes nobles suédois dans leurs ambitions diplomatiques et militaires. Creutz fera tout pour aider le jeune Fersen et sera même prêt à le former à la diplomatie tant ses talents sont faits pour ce domaine. Il parle notamment plusieurs langues. Néanmoins, un Fersen ne peut envisager une place subalterne au sein de l’ambassade française et le successeur de Creutz est déjà choisi : le baron de Staël plus âgé que le jeune homme. Les deux sont amis et il ne viendrait pas à l’esprit de Fersen de l’évincer. Staël a travaillé dur et il n’a pas reçu comme lui toutes les facilités liées à sa naissance. Ce sera donc avant tout la carrière militaire et Creutz possède un si large réseau qu’il ne peut que lui procurer une belle place.
La France n’est pas l’unique destination des jeunes nobles suédois et elle n’est pas forcément le premier choix d’Axel. La Prusse et la Grande-Bretagne qu’il connaît bien offrent aussi de belles perspectives d’emplois. Il a même pensé à Vienne. Et tout ceci peut se négocier de la France, avec l’aide du baron de Breteuil qu’il connaît bien, alors ambassadeur à Vienne ou le comte de Vergennes, ministre des Affaires étrangères qui comme son prédécesseur le duc d’Aiguillon ménage ce jeune homme du fait de son père. Cependant, la situation de crise militaire extrême du moment empêche les jeunes aristocrates étrangers d’obtenir aussi facilement que d’habitude des places dans toute l’Europe.
Malgré cela, la noblesse suédoise a depuis longtemps su tisser des liens très forts avec l’armée française. De nombreux régiments sont dits étrangers, c’est-à-dire constitués à l’origine par des princes étrangers ou des prisonniers de guerre. Ces régiments étrangers sont dits allemands et le plus prestigieux d’entre eux est le Royal-Suédois. Il devient le rêve de toute cette aristocratie suédoise.
À son origine, il est constitué des restes d’un régiment suédois au service des Provinces-Unies faits prisonniers à la bataille de Fleurus en 1690. Pendant vingt ans, de 1694 à 1714, il est commandé par Erik Sparre, l’ambassadeur suédois qui lui prête son nom. En 1740, l’ambassadeur extraordinaire Tessin et l’envoyé ordinaire Axel Fleming obtiennent de Louis XV que le régiment prenne le nom de Royal Suédois et que son corps d’officiers soit constitué uniquement de Suédois. En 1742, le régiment passe à Jospeh Sparre, cousin de l’ambassadeur, puis à son fils Alexandre Sparre en 1756. Les grades à l’intérieur sont nombreux : le premier des officiers est le colonel, le propriétaire du régiment, réservé à la famille Sparre. Le deuxième officier est le lieutenant-colonel, charge qu’a obtenu Ulric Scheffer avant de devenir ambassadeur. On a ensuite le brigadier, ce qu’a été Fredrik Axel von Fersen et qui a ensuite pu briguer le rang de feld-maréchal à la diète suédoise. Et d’en devenir le chef incontesté.
Mais ces régiments restent extrêmement coûteux, même pour un Fersen. Il existe donc d’autres moyens de s’enrichir facilement en France. La voie privilégiée de l’aristocratie étrangère est le brevet sans obligation de servir mais avec une pension personnelle attachée au titre. Ces titres, presque purement honorifiques, sont généralement des grades de lieutenant ou de capitaine « à la suite » du régiment. Le gouvernement français en accorde à volonté, car les titres « à la suite » et les pensions sur le trésor royal permettent de promouvoir des étrangers sans déranger la hiérarchie interne des compagnies et des régiments et sans épuiser l’extraordinaire des Guerres. Par ce moyen, l’officier suédois qui en bénéficie, peut, à son retour en Suède, faire valoir un rang qu’il n’aurait pas obtenu autrement et prétendre à un avancement meilleur.
Ces pensions sont souvent plus élevées que les salaires des offices de rang correspondant et elles sont généralement accordées aux personnes très proches du pouvoir, des fils de sénateurs ou des favoris de la cour, ou encore des personnes dont on estime qu’elles peuvent avoir de l’influence sur la politique suédoise. Autant qu’une reconnaissance de mérites, les pensions sont des moyens privilégiés pour attacher de telles personnes à la France. Dans la redistribution de ces faveurs politiques, le représentant diplomatique de la Suède à Paris tient un rôle crucial. Et tant qu’il est en France, en charge du Royal-Suédois en second, Fredrik Axel von Fersen note toujours la naissance, l’origine et la religion de ses officiers, mais aussi, le cas échéant, des liens de parenté ou des intérêts politiques particuliers qui peuvent être décisifs. Il protège la carrière des La Gardie, sa belle-famille. Bref, on fait jouer à fond le népotisme.
Lettre de Fredrik Axel von Fersen au comte d’Argenson, ministre des Affaires étrangères du 13 août 1747 :
« Il est a supposer que l’intention du Roi en accordant des graces a la nation suedois est de se former un parti sollide dans la noblesse suedois qui par les constitutions du pais influe dans les affaires politiques. Si elle est telle il paroit aussi que lon ne scauroit avoir assez dattention au choix de ceux a qui on les distribue. Le Conte Delagardie et le Baron de Torvigge lun Beaufrere du Commte dEkeblad senateur de Suede et lautre Neveu du Senateur de Wreden sont de ceux qui meritent avoir la preference sur leur compatriotes […] tant par rapport a leur naissance et meritte personnell que par rapport a leur parentée laquelle exersant les premieres dignités en [Suède] est a meme tous les jours de se rendre utile au Roi dans le senat de Suede.»
RA, Stafsundsarkivet, Axel von Fersen d.ä.:s arkiv, vol. 14
Axel de Fersen, de par son rang, l’amitié que lui portent à la fois Gustave III et Creutz, l’importance de son père, ne peut être que le premier des Suédois à bénéficier de ce système. Cependant, il ne souhaite pas une place uniquement lucrative. Il veut servir !
Le 22 août 1778
Enfin Paris !
«Je n’ai eu de plus pressé à mon arrivée que d’aller embrasser le comte de Creutz, qui m’a reçu avec toute la joie possible, et des témoignages d’amitié sincères, il a toutes sortes de bontés pour moi.»
Lettre à son père du 26 août 1778
Il s’installe à l’hôtel d’York rue du Colombier. Dans la même rue, il retrouve le couple Ramel, le comte étant secrétaire de l’ambassade. La femme de chambre de la comtesse, Julie, lui procure aussi d’agréables plaisirs.
Fersen fréquente de nombreuses dames de renom, la comtesse de Fitz-James qui a ses habitudes au Palais-Royal où il se promène avec son ami suédois Curt de Stedingk et que leur présente Creutz ami avec elle depuis longtemps. Sa belle-soeur la princesse de Chimay est dame d’honneur de la Reine et en 1781 madame de Fitz-James sera nommée par Louis XVI dame du palais.
Voir cet article :
Creutz se promène aussi avec madame de Brunoy. Née Françoise-Émilie de Pérusse des Cars (1745-1823), de bonne noblesse d’épée, elle épouse en 1767 Armand Louis Joseph Pâris de Montmartel (1748-1781), marquis de Brunoy, fils du célèbre financier Jean Pâris de Monmartel. Dans la première moitié du règne de Louis XV, celui-ci est le banquier de la Cour. Tout passe par lui, ainsi que l’expliquent le maréchal de Saxe ou le cardinal de Bernis, pourtant de plus haut rang. Il est si puissant que c’est lui qui soutiendra la faveur de la future madame de Pompadour dont il est le parrain et elle à son tour marraine de son fils. Comme on l’a vu les Suédois sont à la recherche de pensions et places et tout leur train, en France comme chez eux, notamment le premier d’entre eux, le roi, passe par les subsides de la Cour de Versailles, et donc jusqu’en 1759, date de sa chute, de la main de Pâris de Montmartel. C’est dire que Fersen père lui doit beaucoup.
Cependant, on s’explique mal qu’en 1778 l’ambassadeur Creutz soit si bien avec la belle-fille de l’ancien banquier de la Cour. En effet, le fils de celui-ci et donc l’époux de celle-là, après une vie faite de scandales, est ruiné en 1774. Il est obligé de céder son château de Brunoy au comte de Provence.
Il semble que les habitudes de fréquenter le monde de la finance ne se perdent pas, même dans la disgrâce.
Fersen dit de ces deux dames à son père :
«ce sont les plus aimables et les plus à la mode»
Dans la même lettre du 26 août, nous apprenons que ce n’est pas Fersen qui se présente au comte de Vergennes, mais le ministre lui-même qui l’invite à dîner. Les bonnes habitudes entre les ministres des Affaires étrangères et la famille Fersen ne se perdent pas. D’autant que c’est Vergennes qui a permis à Gustave III de récupérer la totalité de son pouvoir. Révolution qu’a soutenu en partie Fersen père car supprimant définitivement le pouvoir des Bonnets mais en partie seulement car le sien se trouve lui aussi amoindri.
Ce même jour, il est de nouveau présenter à la famille royale :
« La Reine, qui est charmante dit en me voyant : Ah ! c’est une ancienne connaissance, le reste de la famille ne me dit pas le mot.»
Les mots soulignés le sont dans la lettre autographe et l’ensemble du paragraphe retranscrit sont annotés d’un trait dans la marge.
Cette scène est un grand must des films et des biographies sur Marie-Antoinette car l’affirmation des sentiments entre les deux.
C’est oublier que Marie-Antoinette est particulièrement charmante avec tous les étrangers et les courtisans qui ne lui déplaisent pas. Quand la Reine s’adresse à un groupe, tous s’imaginent que ce n’est que de soi-même dont elle s’est véritablement préoccupé. C’est un don qu’elle tient de sa mère et celle-ci s’est aperçue très vite que sa benjamine en était particulièrement douée. Marie-Antoinette doit aussi visiblement redoubler d’effort face à la froideur du reste de sa famille. Ses belles-soeurs n’ont aucune grâce, le comte d’Artois n’en voit pas l’intérêt et si Monsieur et Louis XVI veulent cultiver au mieux les relations franco-suédoises, la représentation n’est pas leur fort et préfèrent les tête-à-tête dans des cabinets retirés.
C’est ignorer également que Marie-Antoinette a une excellente mémoire, travaillée notamment par son goût du théâtre. Elle se doit de connaître tous les visages, tous les noms de ceux qui l’approchent. Et elle le prouve au quotidien. Il est donc tout à fait naturel que la Reine de France se souvienne de ce gentilhomme suédois qui avait été toute une saison de Ses bals, à qui Elle a parlé incognito au bal de l’Opéra et qu’on _par l’entremise de madame de Noailles _ Lui avait présenté comme devant être très bien reçu à la Cour de par le rang de son père en Suède.
Mais non, pour tout le monde c’est bien la preuve de leur histoire d’amour.
La phrase est aussi très souvent modifiée dans les biographies, ainsi que le montre celle de Kermina, page 35 de l’édition Perrin 1985 :
« Ah ! dit-elle en l’accueillant à Versailles où il ne tarda pas à se présenter, mais voilà une vieille connaissance !»
Françoise Kermina va encore plus loin dans ses erreurs. Elle écrit pour cette présentation (p. édition Perrin 198…) :
«Tel qu’il se montra, il impressionna sûrement la jeune reine, et il fut lui-même très ému, puisque vingt ans plus tard, il s’en souvenait encore. On peut lire en effet dans son journal, à la date du 15 juillet 1798 : « Ce jour était remarquable pour moi, c’était celui où je revins de Dunkerque chez madame de Matignon et où j’allais l’après-dîner chez Elle.»
Or cette présentation date du mardi 25 août 1778, Fersen l’écrivant à son père dans sa lettre du 26 août et parlant de mardi dernier (donc la veille, puisqu’il n’est à Paris que depuis le 22). Nous ne sommes donc pas du tout le 15 juillet 1778 où il est encore coincé en Angleterre à s’interroger sur son avenir. Pourquoi cette erreur flagrante ? Pourquoi avoir mis en rapport cet extrait de son Journal datant de 1798 avec cette scène de présentation puisqu’il n’y a aucun rapport entre les deux ? Ceci uniquement pour renforcer l’aspect amoureux qui n’existe pourtant pas dans ces lignes écrites par Fersen lui-même. D’ailleurs comment aurait-il pu se rendre l’après-dîner chez Elle ce jour-là comme s’il y était attendu et qu’ils s’étaient donné rendez-vous ? C’est réellement du grand n’importe quoi. De la mauvaise foi de biographe ? Ce ne sera pas la dernière fois, Kermina comme tant d’autres… C’est du montage de sources balayant d’une revers de main toute chronologie. Pourtant la base chez les historiens.
Ce type d’erreurs ne semblent d’ailleurs pas plus que cela déranger les partisans de l’histoire d’amour «complète» :
Mais il est vrai que pour Nathalie Colas des Francs (madame de Sabran du forum de Marie-Antoinette), il n’y a pas besoin d’exiger des sources leur cohérence chronologique du moment que ce soit dans le sens voulu. Si Kermina dit qu’il se rappelle de cette présentation vingt ans plus tard c’est que c’est vrai. Et même si Farr, qui est pourtant la sainte parole pour Nathalie Colas des Francs, trouve autre chose pour cette date du 15 juillet, ce que nous verrons à la date concernée, les deux affirmations aux yeux de Nathalie Colas des Francs ne seront jamais antinomiques, malgré les dates qui n’ont rien à voir.
Pour Nathalie Colas des Francs, inutile de se rappeler que 1 -1 = 0.
Donc plusieurs choses : il s’agit d’un autre 15 juillet qui voit Fersen partant de Dunkerque se retrouver à bride abattue dans l’après-midi auprès de Marie-Antoinette. mais quelle année ? 1783, à son retour d’Amérique ? Plus tard ? Mais alors pourquoi Kermina place-t-elle cet extrait de 1798 pour évoquer cette présentation ? Notons au passage la présence de madame de Matignon, la fille du baron de Breteuil.
Söderhjelm ne parle pas de cette date du 15 juillet 1798.
Il faut juste déterminer quand précisément Fersen passe par Dunkerque. Nous l’avons vu c’est le cas pour l’instant à quatre reprises :
- quand il quitte la France pour l’Angleterre en mai 1774 ;
- quand il quitte la Grande-Bretagne pour la Prusse en automne 1774 ;
- quand il repasse en Angleterre en avril 1778 ;
- puis à son arrivée en France le 22 août 1778. Rien en juillet.
Il est même certain que nous sommes après 1778 car comment aurait-il pu passer l’après-dîner près d’Elle si elle ne le (re)connaît pas encore ?
Cet extrait peut aussi se lire autrement : «Ce jour était remarquable pour moi, c’était celui où je revins de Dunkerque chez madame de Matignon et où j’allais l’après-dîner chez Elle.» On pourrait en effet penser que Elle c’est justement madame de Matignon ou encore une autre dame. L’idéal est de connaître cet extrait sous sa forme manuscrite. En effet, les Elle, elle avec ou sans majuscule ne sont pas forcément de la main de Fersen dans leur version manuscrite mais retranscrit avec majuscule lors de leurs versions imprimées. Il s’agit d’un fait établi qui veut que le Elle désigne toujours la Reine. Pourquoi ? Cet extrait prouve au contraire que ce n’est pas forcément une évidence.
Toujours dans la même lettre du 26 août 1778, Fersen annonce à son père qu’il compte se rendre sous huit jours avec son ami Stedingk visiter les camps de Normandie durant deux semaines comme il l’avait fait en Angleterre. On le voit, ce n’est pas (encore) Marie-Antoinette qui compte à ses yeux mais l’armée.
Le 8 septembre 1778
Fersen se réjouit d’être aussi bien accueilli à Paris qu’à Versailles :
«Il est impossible d’être mieux reçu que je l’ai été tant à la Cour qu’en Ville, tout le monde me fait politesse grâce aux soins du comte de Creutz.»
Il continue, montrant jusqu’à quel point vont les amabilités à son égard :
« La Reine qui est la plus jolie et la plus aimable princesse que je connaisse a eu la bonté de s’informer souvent de moi, elle a demandé à Creutz pourquoi je ne venais pas à son jeu les dimanches et ayant appris que j’étais venu un jour qu’il n’y en avait pas, elle m’en a fait une espèce d’excuse, sa grossesse avance et elle est très visible.»
Ce paragraphe concernant Marie-Antoinette est encore annoté d’un trait dans la marge. Ce qui laisserait penser que ces traits sont en lien avec l’idylle. Ont-ils été tracés par Fersen au moment où il écrivait ? Plus tard lorsqu’il a retrouvé les lettres envoyées à son père et qu’il a voulu se souvenir du début de son histoire d’amour ? Par quelqu’un bien des années plus tard ? Mystère. Je n’ai jamais lu un historien se penchant sur la question, ni Söderhjelm, ni Kermina, ni Farr, toutes pourtant réputées spécialistes de Fersen. Je pense bien être la première non à les remarquer mais à les évoquer. Nous y reviendrons.
Indéniablement en lisant ce passage, Marie-Antoinette se préoccupe de ce jeune seigneur suédois et tient à ce qu’il soit au mieux à la Cour. Néanmoins pour Fersen c’est surtout l’occasion de montrer à son père à quel point il est en faveur en France. Cependant, on peut comprendre aussi que c’est Creutz qui rapporte ces mots attribués à Marie-Antoinette. Creutz dont l’objectif principal est de placer au mieux son protégé. Ce que rappelle justement Fersen lui-même :
«tout le monde me fait politesse grâce aux soins du comte de Creutz.»
Certes, que Mercy n’évoque jamais Fersen peut paraître étonnant. Mais plaçons les faits dans sa chronologie. Marie-Thérèse disparaît fin 1780. Peut-être qu’avant cette date il n’est pas si important pour que Mercy s’empresse d’en parler à Marie-Thérèse. Fersen fait un séjour à Versailles de quelques mois en 1778. Marie-Antoinette est déjà enceinte et quand il repart, elle n’a toujours pas accouché, ce n’est donc pas trop long et il ne loge pas encore à demeure. Séjour où il est bien remarqué en effet, et part ensuite pour l’Amérique. Pas de quoi fouetter un chat non plus apparemment aux yeux de Mercy…
Il n’est pas exclu non plus de penser que Mercy n’avait peut-être pas envie d’apporter de nouveaux sujets d’inquiétudes à Marie-Thérèse. Il y en avait suffisamment comme cela. Notamment en 1778 entre cette première grossesse et l’affaire de Bavière. Pas le moment de parler d’un nouveau favori, après la longue liste précédente (hommes comme femmes) qui leur donnait à chaque fois du souci. Etranger de surcroît, avec toutes les implications politiques que cela occasionnent. Dans un contexte de guerre européenne. Et Mercy de se dire que de toute façon, il ne pouvait rester bien longtemps à la Cour. Et ensuite, sa faveur repart de plus belle en 1783. Je n’ai pas souvenir d’avoir lu que Marie-Antoinette se désespérait de son amour au loin pendant toutes ces années d’absence et en tout cas pas suffisamment pour que Mercy rapporte à l’impératrice une tristesse marquée chez la Reine. Ou des mots de sa part qui montrerait son manque. Or quand Fersen revient, Marie-Thérèse est morte… Donc difficile de lui en parler ! Et je ne crois pas que Joseph II fut aussi friand que sa mère de détails croustillants concernant sa soeur. La correspondance de Mercy se réduit nettement au moment du décès de Marie-Thérèse. En tout cas concernant le moindre des faits et gestes de Marie-Antoinette. De plus, ce serait faux de dire que Mercy ne parle jamais de Fersen dans sa correspondance ! Il est en lien permanent avec lui durant la période révolutionnaire !
Mais pour celle avec Marie-Thérèse, fatalement les dates parlent d’elles-mêmes…
Revenons aux dates de ces jeux, qui ont lieu le dimanche comme le rappelle Fersen. Il est présenté à la famille royale le mardi 25 août. Il est donc en droit de se rendre au Jeu de la Reine le dimanche suivant, le 30 août. Il reste ensuite le dimanche 6 septembre puisqu’il écrit à son père le 8. Il n’a donc assisté à aucun de ces jeux puisqu’un des deux a été annulé, semble-t-il en lisant la lettre à cause de la grossesse de Marie-Antoinette et que pour l’autre la Reine s’étonne justement de ne pas le voir.
Söderhjelm n’hésite pourtant pas à écrire, p. 58 :
«Fersen fut aussitôt introduit dans le cercle de Marie-Antoinette et était un des convives habituels à sa table de jeu.»
Or non puisqu’il n’y a que deux possibilités, l’une annulée et l’autre où il n’est pas venu. Sinon pourquoi Marie-Antoinette en aurait-elle parlé à Creutz ? Il suffit une fois de plus de tout replacer chronologiquement pour s’apercevoir que ce que tout le monde croit depuis toujours est faux.
Evelyn Farr de son côté prouve encore sa propension à balayer d’un revers de main le temps :
«A son retour, au mois d’août 1778, il devient l’un des membres du cercle de la jeune reine, qu’il décrit alors comme »une princesse charmante ».»
Evelyn Farr, page 23
Cependant, il est certain qu’après cette lettre et seulement après, Fersen peut se rendre au Jeu de la Reine. Et il se rend au Jeu, pas à la table de la Reine car ceci n’est pas explicitement exprimé par Fersen. Comme il se rendait auparavant au bal de la Dauphine. Söderhjelm et tout le monde après elle vont trop vite en besogne. Pour la plupart des auteurs, Fersen devient un intime de Marie-Antoinette avant le 8 septembre 1778, alors que ce ne peut être qu’après. Il suffit de se munir d’un calendrier.
Le Jeu de la Reine accueillant toute la Cour, nous pouvons constater que Marie-Antoinette remarque aisément l’absence du beau Suédois, parmi une très large foule (plus d’une centaine) et qui pourtant n’était jamais venu auparavant. Alors pouvons-nous déjà imaginer qu’elle y tient ? Pourquoi pas mais plus prosaïquement, Marie-Antoinette agit en cela en souveraine qui a très bien compris, malgré ce qu’on en dit, les leçons de Louis XIV. Et que n’a pas manqué de lui inculquer sa mère l’Impératrice. Tout courtisan, toute dame qui lui ont été présenté se doivent d’assister aux événements de cour. C’est leur devoir comme les remarquer est le sien.
Toujours dans cette lettre du 8 septembre 1778, c’est l’armée qui intéresse en premier lieu Fersen. En effet son père lui fait part d’un projet pour le faire entrer dans l’armée saxonne mais Axel lui répond qu’il a une meilleure piste grâce à Creutz pour l’armée prussienne, bien plus prestigieuse. Par l’ambassadeur, il compte sur la recommandation de d’Alembert, en correspondance suivie avec Frédéric II. Comme quoi les salons littéraires peuvent ouvrir toutes les portes.
Lors de son premier séjour parisien, il suivait des études à la Sorbonne auprès de mademoiselle Diderot. Voltaire l’avait reçu à Ferney. Maintenant, il attend la recommandation de D’Alembert. Les Fersen, le père comme le fils, ont donc les meilleurs écrivains de leur temps à leur service.
Axel prévoit de se rendre d’ici là à Bayeux visiter un camp militaire en compagnie de Stedingk. Creutz a quant à lui une seule exigence : qu’ils se rendent au camp en tenue suédoise. Ce costume fait l’objet d’une grande curiosité.
D’après son journal :
«Nous fîmes faire nos uniformes d’après le nouveau costume. Madame de Boufflers marqua beaucoup de curiosité de les voir, et nous allâmes chez elle, ainsi habillés, une couple de jours avant notre départ. Elle trouva l’habit très leste, mais seulement mon uniforme seul joli.»
Alma Söderhjelm p. 58
La même scène dans quelques mois avec Marie-Antoinette sera un élément majeur de la construction de l’idylle entre les deux. Personne n’a pourtant évoqué madame de Boufflers, née en 1711, très réputée dans le monde parisien et ancienne favorite de Stanislas Leszczyński. Il est clair que les Suédois ont mission de la part de Creutz de ménager cette vieille dame qui a sûrement une certaine influence. Sinon, on ne comprend guère pourquoi deux jeunes hommes se présentent chez elle et cèdent à son caprice. N’oublions pas non plus les liens forts entre les Suédois et l’ancien roi de Pologne, arrière-grand-père de Louis XVI, qui a porté la couronne polonaise grâce au Roi de Suède Charles XII. Sa fille la Reine Marie Leszczyńska, grand-mère du Roi actuel, a aussi toujours très bien accueilli les Suédois.
Une fois de plus tout est relié à la diplomatie. Toujours dans sa lettre du 8 septembre, le jeune Fersen écrit à son père :
«Monsieur de Vergennes me comble de politesses, il m’a prié de ne jamais vous écrire, mon cher Père, sans le rappeler à votre souvenir.»
Cela a le mérite d’être clair : le ministre des Affaires étrangères déroule le tapis rouge sous les pieds du jeune héritier suédois et comme il se doit, la Reine de France participe par son charme à cette importante mission diplomatique.
Le 10 septembre 1778
Stedingk et Fersen se rendent donc au camp militaire de Normandie. Ils doivent donner des lettres au maréchal de Broglie qui commande le camp, de la part de Vergennes et du prince de Montbarrey, ministre de la Guerre.
C’est dire que les Suédois de haut rang ont la confiance de la Couronne française. Ils doivent y rester une quinzaine de jours et se renseigner sur une possible descente de l’armée française sur l’île de Jersey. Fersen est entièrement dans son élément entre armée et diplomatie. Si le débarquement se fait, Fersen supplie son père de le laisser suivre cette action militaire.
Fersen est très bien reçu par le maréchal de Broglie et ses officiers, en premier lieu en souvenir de son père qui a laissé une trace très positive dans l’armée française :
« Nous descendîmes chez le maréchal, au quartier général. Il faisait un temps affreux, une pluie horrible, et un froid très vif. Nous étions fort embarrassé l’un et l’autre de nous présenter ainsi, sans être connus, dans un habillement aussi extraordinaire, et notre embarras augmenta considérablement en voyant la quantité de monde qu’il y avait et qui allaient tous nous examiner. Le premier moment, quand nous entrâmes dans la chambre où étaient tous les aides de camp et les officiers, fut horrible, et j’aurais voulu, pour beaucoup d’argent, n’y pas être ; cependant il fallait prendre son parti. Nous trouvâmes tout de suite un des aides de camp de monsieur de Bois-Rouvraye, qui nous accosta, nous lui dîmes que nous étions Suédois, et que nous avions des lettres à remettre au maréchal. Un moment après les portes s’ouvrirent et les officiers entrèrent pour l’ordre. On nous fit entrer aussi, et je trouvai un petit homme fort bien mis, qui avait l’air fort éveillé. Je lui présentai mes lettres. Après les avoir lues, il me fit les plus jolis compliments sur mon père, en me disant que mon nom était fort connu en France. Le prince de Beauvau et plusieurs autres dirent la même chose. On parla beaucoup de mon père, je reçus beaucoup de compliments sur son compte, par nombre de personnes, qui vinrent me dire qu’elles avaient servi avec lui et me demandèrent de ses nouvelles.
J’étais fort content de ma réception. Le maréchal nous fit tout de suite donner un logement, et nous devions y faire porter nos effets. Le lendemain il nous présenta à sa femme, à sa fille, à sa soeur, etc, etc. Nous y dinâmes, il nous fit tout plein de politesses, on nous combla d’amitiés, et nous fit promettre que nous entrerions dans notre nouveau logement le lendemain.»Alma Söderhjelm, p. 59
Si Fersen est fier de son père, il a par contre terriblement honte de l’uniforme conçu par Gustave III :
« Nous nous sommes présentés Stedingk et moi aux dames dans nos nouveaux uniformes et vous pouvez facilement vous imaginer mon cher Père notre embarras d’arriver dans un endroit où nous ne connaissions personne, affublés d’une manière aussi curieuse qu’extraordinaire, nous eûmes un million de questions à essuyer plus singulières les unes que les autres, on prit Stedingk pour une femme quand on le vit arriver, ce chapeau avec les panaches, et l’habit boutonné qui formait une poitrine haute y avait donné lieu, et à l’exercice quand il était à cheval tout le monde le prenait pour une amazone. Les gens sensés trouvaient que l’habit avait l’air colifichet et les jeunes gens disaient qu’il n’était pas joli. Cependant tous se réunissaient à trouver le mien fort bien à cause des couleurs, et parce qu’il ressemblait assez à un habit d’housard (hussard), ce costume n’a pas été goûté et je crois que c’est à juste titre car il a beaucoup plus d’inconvénients que de commodités.»
Ceci relativise donc énormément le fameux épisode de la présentation à la Reine du jeune homme dans ce costume qui aura lieu dans quelques mois.
Dans l’attente d’une descente sur Jersey, le maréchal réclame sa présence et celle de Stedingk à ses côtés toute la journée, au détriment de tous les autres officiers français, et le soir ce ne sont que bals et divertissements auprès des épouses et filles des officiers.
Fersen est dans son élément et adore cette vie de camp, tout en profitant des charmes des dames et demoiselles. Il admire la belle tenue des troupes françaises, qu’il peut comparer aux anglaises qu’il n’avait pas du tout appréciées.
Le 25 septembre 1778
Retour à Paris. Le baron de Breteuil, ami de son père, lui conseille vivement de rester jusqu’au printemps à Paris en attendant une occasion de servir. Visiter les personnes d’importance, faire sa cour à Versailles sont les meilleurs moyens de trouver une situation militaire digne de son rang.
Mais il faut pour cela en convaincre son père qui ne peut que voir un long séjour parisien comme une source importante de dépenses :
« Vous ne pouvez pas doutez mon cher Père du plaisir extrême que me ferait cet arrangement s’il vous convenait, tout le monde me reçoit si bien ici, et on me parle tant de vous, mon cher Père, qu’il me semble que c’est une seconde patrie, ceux mêmes qui ne vous ont pas connu, se font honneur de me parler de vous et disent du moins qu’ils vous ont vus, il n’y a pas jusqu’à la Reine qui ne me fasse politesse, et qui ne m’ait parlé de vous. Quelque décision que vous fassiez, mon cher Père, je suis persuadé que ce sera pour mon bien et pour mon avantage et vous pourrez être sûr de trouver en moi un fils respectueux et obéissant.»
Evoquer Marie-Antoinette ici n’a rien à voir avec une ébauche d’idylle entre les deux mais bien la preuve ultime pour son père que par le biais de la Reine de France, il ne peut qu’obtenir une place digne de son rang dont rêverait tout père ambitieux pour son fils aîné.
Marie-Antoinette a compris que ce jeune homme est à ménager, voire à séduire, parce que son père est d’une importance capitale pour la diplomatie européenne. Elle peut très bien avoir reçu des instructions de Son époux, de Vergennes, mais aussi de l’ambassadeur autrichien Mercy, Son principal conseiller politique. Instructions qu’Elle avait déjà reçues à l’automne 1773 par l’entremise de la comtesse de Noailles.
Et tant mieux s’il est jeune, beau, charmant, élégant, issu d’une grande famille, parfaitement éduqué et au mieux dans toutes les cours et salons d’Europe !
Malgré leur grande fortune, Fersen tente d’atténuer l’aspect financier de son séjour en promettant à son père de réduire ses dépenses. Il change même d’hôtel pour payer moins cher. Et leur cuisinier est placé à Londres. Si Fersen père a souhaité il y a quelques années que celui-ci apprenne la cuisine française, dûment chapeauté par Creutz, il veut désomrais que son cuisinier connaisse l’anglaise. Nous pouvons largement nous interroger. En relisant le manuscrit de la lettre, comment expliquer que Fersen fils écrive trois fois en si peu de jours au cuisinier de sa famille ? Et attend désespérément de ses nouvelles ? Y est-il si attaché ? Et en fasse part à son père qui n’est pas du tout le genre d’hommes qui se préoccupe de détails domestiques ? Il ne dit aucun mot de son valet, pourtant devant être plus proche de sa personne, rien sur son cocher ou autre domestique ? Alors pourquoi leur cuisinier ? On imagine mal les Fersen père et fils, s’intéresser à un domestique !
Peu importe pour Fersen père que son cuisinier sache apprêter des grenouilles ou des puddings ! Non ce qui l’intéresse, et c’est l’évidence même, c’est que son cuisinier puisse entendre, transmettre des renseignements qui circulent plus facilement dans les lieux qu’il fréquente plutôt que dans les salons aristocratiques aux conversations bien moins libres où se rendent ses maîtres. Bref un espion. La maison des Fersen a donc au moins un espion à son service. Et Axel partage cette information avec son père. Par conséquent, leurs lettres ne sont pas qu’une simple correspondance entre un père et un fils, avec quelques détails mondains, politiques ou militaires. Non, la diplomatie la plus secrète y a son importance. Il y a donc forcément des codes, des messages cryptés entre les deux que nous ne pourrons jamais résoudre.
Nous pouvons seulement affirmer que dès ses vingt-trois ans, Fersen est au point pour la correspondance diplomatique secrète.
Le dimanche 27 septembre 1778
Jeu de la Reine.
Ce n’est qu’à cette date que nous pouvons affirmer que Fersen s’y présente régulièrement. Son emploi du temps prouve que cela lui était impossible auparavant. Certes c’est un honneur de pouvoir s’y rendre et même d’y être convié personnellement par la Reine, mais ce n’est pas non plus la faveur la plus éclatante :
«Si au XVIIIe siècle, de par la généralisation des formes publiques du jeu royal, assister au jeu du souverain ne peut plus être défini comme une faveur particulière, jouer à la table du roi ou de la reine – et donc être de leur partie – demeure un symbole fort auquel les différentes maîtresses de Louis XV, par exemple, semblent avoir été particulièrement attachées pour manifester aux yeux de la cour entière la faveur exceptionnelle dont elles jouissaient.»
https://www.chartes.psl.eu/fr/positions-these/jeu-du-roi-jeu-reine-aux-xviie-xviiie-siecles
Fersen dit être présent au Jeu, pas qu’il joue directement à la table de Marie-Antoinette. La nuance est de taille selon le système de faveurs de la Cour. Nuance qu’ont oubliée Söderjhelm, Kermina et Farr, comme tant d’autres. Pas Fersen père qui a suffisamment fréquenté la Cour de France pour saisir la distinction.
Le 1er octobre 1778
Staël se fait l’intermédiaire des lettres entre Fersen père et Fersen fils. Staël qui rappelons-le est le successeur désigné de l’ambassadeur suédois. Parmi les autres protecteurs du jeune gentilhomme, le baron de Breteuil écrit régulièrement au feld-maréchal et promet au jeune soldat de lui trouver une nouvelle campagne s’il reste jusqu’au printemps à Paris.
Staël et Breteuil sont deux personnages éminents dans les relations franco-suédoises.
Certains dimanches parmi les 4, 11, 18, 25 octobre 1778
Jeu de la Reine.
Axel s’enthousiasme toujours de découvrir à quel point les gens de grand intérêt veulent le voir, le connaître en tant que fils de son père. Un ministre du Wurtemberg qui avait séjourné en Angleterre et en France avec Fersen père demande à Axel de le rappeler à son bon souvenir. C’est aussi le comte de Broglie (1756-1794), le fils du maréchal qui l’a si bien reçu au camp de Bayeux qui réclame à Creutz de rencontrer le fils du maréchal suédois.
« Tout cela me fait sentir encore plus vivement le bonheur d’être votre fils, je jouis de tous les éloges qu’on vous donne et je ressens les effets de votre mérite pour la manière jolie et honnête avec laquelle on me reçoit partout.»
Ces louanges universelles à l’égard de son père expliquent suffisamment sa situation privilégiée à Versailles. Pas besoin d’y voir une ébauche d’idylle avec la Reine de France… Sinon, nous pourrions penser la même chose de toutes celles et tous ceux qui comptent en France et ailleurs qui l’accueillent à bras ouverts.
Dans ses lettres à son père, outre les louanges, c’est surtout la question militaire qui occupe le jeune homme. Il lui parle de tactique, pense lui envoyer des livres sur la question et se range surtout de l’avis du maréchal de Broglie, référence qui ne peut que plaire à son père. De là, il peut espérer trouver un emploi.
Le 1er novembre 1778
Naissance du prince héritier de Suède, Gustave-Adolphe, fils aîné de Gustave III et de la Reine Sophie-Madeleine de Danemark.
Cette naissance a fait couler beaucoup d’encre. Son père, homosexuel avéré, a été accusé d’avoir demandé à un de ses proches le comte Munck de faire un enfant à la reine à sa place. Il est vrai qu’après onze ans de mariage stérile, le terrain est propice à toutes sortes de rumeurs. Comme ce sera le cas pour Louis XVI, traité d’impuissant et Marie-Antoinette, enceinte au bout de huit ans de mariage. La reine mère est la première à lancer l’accusation. En effet, Louise-Ulrique de Prusse ne supporte pas que son fils aîné gouverne sans elle au profit de ses frères cadets Charles, duc de Sudermanie et Frédéric-Adolphe, duc d’Ostrogothie. Elle déteste plus encore ses belles-filles, la reine Sophie-Madeleine, qu’elle juge trop effacée et la duchesse de Sudermanie, Hedwige de Schleswig-Holstein-Gottorp, trop frivole.
L’annonce de la naissance du prince héritier de Suède au Conseil du Roi à Versailles est aussi l’occasion d’une comparaison insultante envers Louis XVI et Marie-Antoinette :
« L’opinion sourde de bien des gens, à Stockholm, est que Gustave III ne saurait avoir un enfant ; que cependant il en désire pour son intérêt et que lui-même a favorisé son écuyer pour le remplacer auprès de sa femme. Le lecteur sent bien qu’on ne peut avoir aucune certitude sur de pareils bruits. Ainsi je n’ai garde de les garantir ; je me borne à dire que ces bruits ont été assez forts pour les faire mander par les ministres étrangers à leurs cours avec le soupçon que le frère même de Gustave III les autorisait. Cette dépêche a été lue au Conseil de Versailles dans le temps où les bruits populaires de Paris, bien moins fondés encore que ceux de Suède, attribuaient au Premier Ecuyer l’enfant dont la Reine va bientôt accoucher. Les membres du Conseil, que cette lecture inattendue surprit en pareille circonstance, ne purent s’empêcher de regarder le Roi. Ils virent, par la manière gaie dont il plaisanta sur la nouvelle, combien il était loin du mauvais bruit qui courait à Paris et à Versailles.»
Journal de l’abbé de Véri, p. 161
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k119184g/f694.item
Bref, on est dans la rumeur la plus complète, dans un cas comme dans l’autre. L’abbé insiste bien sur le peu de véracité de ces fausses paternités supposées et davantage encore celle de France. Mais néanmoins, il les rapporte et contribue à leur propagation. N’assistant pas au Conseil, mais ayant ses informateurs en son sein, on imagine très bien que Louis XVI ait pu en rire, tant il sait ne pouvoir avoir aucun doute sur la question le concernant lui et son épouse enfin enceinte.
Un peu en amont, l’abbé écrit justement :
«Un second défaut qu’on pourra me reprocher c’est de ne pas suivre toujours les événements déjà entamés et de me contredire quelquefois dans les idées que je peux donner des personnages. Voici ma réponse sur ce reproche. Je ne fais pas une histoire longtemps après l’événement lorsqu’on a devant les yeux le passé, le présent et le futur, c’est-à-dire les principes des événements et les effets qui en ont résulté. (…) Ainsi les personnages, dont je raconte les faits, peuvent s’être contredits, comme moi je puis me contredire dans mes jugements prononcés à différentes époques. Je ne suis pas d’ailleurs habituellement dans le secret du cabinet.
Je ne vois que de temps à autre ceux qui en sont instruits par leur place, je voyage souvent hors de Paris et, pour lors, je n’ai que les gazettes et les lettres pour savoir les résultats. Les détails de la conduite ministérielle ne se disent que dans la conversation journalière de confidences. Cela doit expliquer et produire plusieurs défectuosités dans ma narration. Si quelqu’un plus habile et plus assidu en fait une meilleure que la mienne, le lecteur fera bien de la choisir et de jeter la mienne au feu.»
Lui comme n’importe quel mémorialiste ou diariste peut se tromper. Il le dit lui-même. Ces témoignages ne sont donc pas à rejeter mais à être sérieusement confrontés avec d’autres sources. C’est le travail de base d’un historien.
Véri évoque ici le premier écuyer, c’est-à-dire le duc de Coigny qui apparemment a ravi la place du duc de Lauzun dans le coeur de Marie-Antoinette.
D’après l’abbé de Véri, quand on lui lit la dépêche en son Conseil venue de Suède (tiens, tiens…) racontant que le fils nouveau-né de Gustave III serait d’un écuyer du Roi, les membres du Conseil ne purent s’empêcher de regarder le Roi. La Reine est alors enceinte pour la première fois et on parle du duc de Coigny, premier écuyer… Et conclut Véri :
« Ils virent par la manière gaie dont il plaisanta sur la nouvelle ; combien il était loin du mauvais bruit qui courait à Paris et à Versailles.»
Paul et Pierrette Girault de Coursac, Vie Conjugale, Vie Politique page 691
Voir cet article :
Ce gentilhomme, «ni jeune, ni beau, ni même spirituel» d’après Kermina passe dans le grand public pour l’amant de Marie-Antoinette et ne peut être que le père de l’enfant qu’Elle attend.
« Chacun raisonna sur cette grossesse : les femmes qu’elle avait eues, et qui l’avaient crue uniquement attachée au sexe, ne lui pardonnèrent pas d’avoir eu un amant ; c’est l’usage des dames de cette religion. On chercha le héros, il fut aisé à trouver : on nomma le duc de Coigny, et toutes les conjectures se réunirent en sa faveur. Ce seigneur aimable, d’une belle figure, ayant les mœurs les plus douces et la tournure la plus satisfaisante, des yeux qui parlent beaucoup et une santé en tout point différente de l’expirant Dillon, avait, depuis quelque temps, fixé les regards de la reine ; il s’était conduit avec la plus grande circonspection et l’aurait ménagée si elle n’eût pas elle-même cherché la publicité par ses imprudences. On calcula l’heure, le moment et le lieu où la grossesse s’était opérée. On rappela un bal de l’Opéra où la reine s’était masquée d’une capote grise, et avait fait masquer de même plusieurs femme de sa suite ; le duc était seul dans une loge aux secondes ; à la faveur du déguisement, Antoinette se perd parmi les compagnes, se glisse dans la foule et va à la loge. Quelques minutes après, la suite, inquiète, cherche la princesse ; on la trouve sortant de la loge, et si agitée de l’acte qu’elle venait de faire, qu’elle tomba presque évanouie sur l’escalier ; une femme marqua cet instant sur ses tablettes ; elles circulèrent, et presque toutes les femmes de la Cour l’eurent sur leurs écrits en lettres d’or.»
Pamphlet anglais de l’époque
Une rare anecdote le concernant auprès de Marie-Antoinette est la fameuse histoire du bal de l’Opéra (encore !) rapportée par madame Campan :
« Un événement fort simple en lui-même attira des soupçons fâcheux sur la conduite de la Reine . Elle partit un soir avec la duchesse de Luynes, dame du Palais : sa voiture cassa à l’entrée de Paris; il fallut en descendre; la duchesse la fit entrer dans une boutique, tandis qu’un valet de pied fit avancer un fiacre . On était masqué et, en sachant garder le silence, l’événement n’aurait même pas été connu, mais aller en fiacre est pour une reine une aventure si bizarre qu’à peine entrée dans la salle d’opéra, elle ne put s’empêcher de dire : » C’est moi en fiacre, n’est-ce pas bien plaisant ?»
De ce moment tout Paris fut instruit de l’aventure du fiacre : on dit que tout avait été un mystère dans cette aventure de nuit, que la Reine avait donné un rendez-vous, dans une maison particulière, à un seigneur honoré de ses bontés, ; on nommait hautement le duc de Coigny, à la vérité très-bien vu à la cour, mais autant par le Roi que par la Reine.»Mémoires de madame Campan
Le duc de Coigny est surtout l’amant avéré de la princesse de Guéménée, gouvernante des Enfants de France, chez qui Marie-Antoinette passe de nombreuses soirées.
Madame de Guéménée qui avait tout fait semble-t-il pour rapprocher Lauzun et la Reine. Ce ne sera pas la dernière fois que Marie-Antoinette se verra attribuer pour amant celui de son amie. Il en sera ainsi également pour le marquis de Vaudreuil qu’elle ne tolère pourtant que par amitié envers madame de Polignac.
En attendant, Coigny est certes très bien en cour, mais comme le précise madame Campan, de la part aussi de Louis XVI, et suscite du coup énormément de jalousies, et donc de rumeurs. Nous l’avons vu, l’ambassadeur Mercy n’est pas le dernier à s’en plaindre.
A cette date, la liste des soupirants de Marie-Antoinette ne cesse de s’allonger : après le duc de Lauzun, le duc de Coigny gardera longtemps une place importante dans le public, mais on parle aussi du comte Arthur Dillon, «le beau Dillon», du chevalier de Luxembourg «homme d’esprit, mêlant des folies à son amabilité, croyant même à la magie», d’après le baron de Besenval et bien d’autres. Sans oublier évidemment les femmes, comme le rappelle si bien le pamphlet anglais cité ci-haut.
Le comte de Dillon est l’époux de Thérèse Lucy de Rothe, tous deux de l’immigration irlandaise. La comtesse de Dillon est dame du palais de la Reine et fait donc partie des proches de Marie-Antoinette. Elle est aussi la maîtresse du prince de Guémenée, après avoir hésité pour le duc de Lauzun. On reste dans son petit monde !
Voir cet article :
En plus d’Arthur, il y aussi Edouard, lui aussi qualifié de «beau Dillon» :
«Je le connaissais particulièrement; il descendait, je crois, collatéralement, de la noble famille irlandaise des comtes de Roscommon, quoique son père fit le commerce des vins à Bordeaux. On l’appelait ordinairement le comte Edouard Dillon et le beau Dillon ; à mon avis, il ne possédait que peu de droits à la dernière épithète, mais il surpassait en stature plusieurs personnages, comme lord Whitworth et autres, sur lesquels Marie-Antoinette jetait un oeil favorable. Il est vrai qu’elle lui donna dans un bal quelques imprudentes marques de prédilection ; on en causa, mais de la part de la reine ce ne fut qu’indiscrétion et légèreté. »
Mémoires d’Horace Walpole
L’épouse d’Edouard s’appelle Fanny Harland et sa soeur Marianne a été la maîtresse du duc de Lauzun !
Si nous résumons : la princesse de Guéménée qui a voulu donner Lauzun à Marie-Antoinette est la maîtresse du duc de Coigny ; l’épouse d’Arthur est quant à elle la maîtresse du prince de Guéménée et Lauzun d’avoir été probablement très proche de la future épouse d’Edouard et l’est toujours de sa soeur !
Et Marie-Antoinette fréquente tout ce beau monde qui avant de rêver belles histoires d’amour pense avant tout à assouvir ses ambitions, qui comme chacun le sait passe très souvent par le lit, évidemment adultère. La Reine de France est donc évidemment la première cible de ce système. Louis XVI semble intouchable de ce côté. Il n’est pas comme Louis XV dont l’essentiel du règne se résume à qui placer dans son lit afin de gouverner en son nom. Louis XVI se trouvant hors de portée, ce sera Marie-Antoinette qui en deviendra la victime.
Une fois de plus, nous pouvons nous demander si cela n’est pas calculé par Louis XVI. Son épouse lui est encore une fois de plus utile. Et un autre de ses proches le sert parfaitement dans cette optique : son frère le comte d’Artois.
Il est peut-être celui qui a reçu la palme de détenir le plus longtemps le titre d’amant supposé. Il faut croire que les gens adhérant à cette thèse _aujourd’hui comme à cette époque_ ne conçoivent un instant qu’un prince si proche du trône éviterait justement ce qui l’en écarterait. Sophie Herfort dans son ouvrage récent se fait l’ardente avocate de cette théorie absurde, n’hésitant pas ainsi à marier Madame Royale à son demi-frère !
Marie-Antoinette, alors très jeune femme peu épanouie dans Son mariage, peut très bien avoir eu quelques emballements du coeur devant certains messieurs bien de leur personne et pour la plupart hommes de grande culture, voire hommes de lettres reconnus. Et qui pour beaucoup La font rire. Elle ne sait dissimuler Ses sentiments, Ses coups de coeur et montre toujours beaucoup d’affection dans Ses amitiés. C’est un besoin bien compréhensible. Mais Elle sait avant tout qu’Elle est Reine et fille de l’Impératrice. Celle-ci, bien que grande séductrice envers Ses serviteurs (ministres, militaires, grands seigneurs de ses multiples territoires) prêts à tout pour leur souveraine, ne badine pas avec la galanterie et place l’amour conjugal avant tout.
Notons cependant que tous sont militaires, laissant penser que Marie-Antoinette n’est pas insensible au charme de l’uniforme. Ce sont tous de grands seigneurs, de très haute naissance, enfants gâtés du siècle. Ils ne s’interdisent rien et rien ne leur est refusé.Toutes les femmes sont à leurs pieds. Pourquoi ne pas séduire la plus célèbre, la plus prestigieuse femme de leur temps ? Qui de surcroît a un mari qui ne semble guère s’en préoccuper ? Marie-Antoinette en rit, en joue. Sa dignité de jeune et jolie femme est largement récompensée. Sa dignité de Reine n’en reste pas moins intacte. Ces hommes qui L’entourent vivent dans l’illusion.
Le prince de Ligne, un de ces grands seigneurs, homme de lettres, haut militaire et à l’aise dans toutes les cours d’Europe, évoque cette séduction si innocente de la part de Marie-Antoinette :
«Qui a pu voir tous les jours l’infortunée reine sans l’adorer ? Je ne m’en suis pourtant aperçu qu’un jour qu’elle me dit : «Ma mère trouve mauvais que vous soyez si longtemps à Versailles. Allez passer quelques jours à votre commandement. Ecrivez bien des lettres à Vienne pour qu’on sache que vous y êtes : et revenez.»
Cette bonté, cette délicatesse et plus encore l’idée de passer quinze jours sans la voir m’arracha des larmes que sa jolie étourderie d’alors, qui la tenait à cent lieues de la galanterie, l’empêcha de remarquer. Comme je ne crois pas aux passions qu’on sait, pour trente-six raisons, ne pouvoir jamais devenir réciproques, ces quinze jours me guérirent de ce que je m’avoue ici à moi-même pour la première fois, et que je n’aurais jamais avoué à personne, de peur qu’on se moquât de moi.
Jugez comme ce sentiment, qui a fait place à la plus vive amitié, aurait éclairé celui de cette charmante reine, si elle en avait eu pour quelqu’un ; et avec quelle horreur, je lui ai vu donner à Paris, et de là, dans toute l’Europe, grâce aux infâmes libelles : le duc de Coigny, M. le comte d’Artois, M. de Lambertye, M. de Fersen, le prince Georges de Darmstadt, le duc de Dorset, M. Conway, milord Strativen, quelques autres Anglais aussi sots que lui, deux ou trois Allemands bien bêtes, etc. »Mémoires du prince de Ligne, édition Mercure de France, p. 97
Et encore :
« Sa prétendue galanterie, dit-il, ne fut jamais qu’un sentiment profond de l’amitié et peut-être distingué pour une ou deux personnes, et une coquetterie générale de femme et de reine pour plaire à tout le monde. Dans le temps même où la jeunesse et le défaut d’expérience pouvaient engager à se mettre trop à son aise vis-à-vis d’elle, il n’y eut jamais aucun de nous, qui avions le bonheur de la voir tous les jours, qui osât en abuser par la plus petite inconvenance ; elle faisait la reine sans s’en douter; on l’adorait sans songer à l’aimer. »
Un sourire de sa part, une parole bienveillante, une grâce et ces gentilshommes sont sous son charme, enclin à un sentiment amoureux qu’ils ignoraient jusque-là. Eux qui ne rencontrent aucune défaite amoureuse, pourquoi en serait-il autrement avec la plus haute princesse d’Europe ? Certains tombent dans leurs rêves, d’autres comprennent rapidement qu’ils peuvent la servir autrement.
Le prince de Ligne, au contraire du duc de Lauzun, a écrit lui-même ses mémoires, il est le plus grand auteur wallon à ce jour. Il n’a de compte à rendre à personne. Il peut lui aussi exagérer, plonger entièrement dans sa subjectivité, mais il est libre. Il n’a aucunement besoin de se justifier auprès de ses contemporains qui tous l’admirent, ni auprès de la postérité.
Voir cet article :
Plus loin, il nous confirme le complot des choiseulistes, mais apparemment il y a d’autres partis de la cour qui manoeuvrent eux aussi :
«C’est à de semblables promenades à cheval, tout seul avec la reine, quoique entourée de son fastueux cortège royal, qu’elle m’apprenait mille anecdotes intéressantes qui la regardaient, et tous les pièges qu’on lui avait tendus pour lui donner des amants. Tantôt c’était la maison de Noailles qui voulut qu’elle prit le vicomte. Tantôt la cabale Choiseul qui lui destinait Biron.»
Certains dimanches parmi le 1er, 8, 15 novembre 1778
Jeu de la Reine.
«Dans les stratégies courtisanes de course aux honneurs et à la distinction, le jeu des monarques apparaît comme un moment clef où le roi ou la reine semblent plus accessibles et où il devient possible de leur adresser la parole.»
https://www.chartes.psl.eu/fr/positions-these/jeu-du-roi-jeu-reine-aux-xviie-xviiie-siecles
Fersen n’a pour l’instant que cette occasion d’approcher Marie-Antoinette. Il l’écrit lui-même :
« La Reine me traite toujours avec bonté, je vais souvent lui faire ma cour au Jeu, elle me parle toujours.»
Mots aussi qui permettent d’affirmer qu’il ne se rend pas toujours au Jeu de la Reine, mais souvent. Il n’est donc pas un courtisan si assidu que cela mais suffisamment bien reçu pour y revenir régulièrement. Nous pouvons alors supprimer virtuellement quelques-uns des dimanches évoqués sans savoir précisément lesquels. Il est juste certain qu’il est bien présent dans le Salon de la Paix le 15 novembre. En effet, c’est à cette occasion que Marie-Antoinette lui demande de se rendre chez Elle le mardi suivant. Entretemps, il peut annoncer la nouvelle à son père dans sa lettre du 19.
Marie-Antoinette lui parle toujours. Ce qui signifie qu’elle lui adresse la parole, ne l’ignore pas et traite très convenablement ce gentilhomme si important sur la scène internationale. Bref, elle agit en Reine, pas en femme éprise. Fersen n’est pas plus favorisé que d’autres courtisans présents et dont seuls quelques rares élus peuvent s’asseoir à sa table. Ce qui n’est pas son cas car sinon, Fersen en aurait obligatoirement informé son père.
«La sociabilité qui préside au jeu royal lors de ces occasions se situe entre familiarité et majesté, héritage durable même si les soirées d’appartement hebdomadaires disparaissent de Versailles à la mort de Louis XIV.»
https://www.chartes.psl.eu/fr/positions-these/jeu-du-roi-jeu-reine-aux-xviie-xviiie-siecles
Le Jeu de la Reine du dimanche, héritier des soirées d’appartement de Louis XIV, accueille toute la Cour et tous ses visiteurs occasionnels, étrangers pour la plupart, comme l’est Fersen. On peut donc compter des centaines de personnes présentes dans le salon de la Paix. Un cadre qui n’invite aucunement à l’intimité !
Le 19 novembre 1778
S’il avoue qu’il ne l’aime pas, Fersen ne désespère pas de renouer avec mademoiselle Leyel dont la fortune est ce que lui et son père convoitent avant tout. Mais avant cela, il veut absolument faire la guerre.
«Vous savez mon cher père, que je n’aime pas mademoiselle Leyel, mais je ne suis pas assez déraisonnable pour ne pas voir que c’est un parti fort avantageux, c’est même le seul qui me convienne et que je veux faire, j’ai fait tout mon possible pour l’obtenir, plus pour vous plaire, mon cher Père, et par raison, que par inclination, je n’ai pas réussi et je vous avoue que j’en ai été bien aise, dès que j’ai su que vous consentiez à me laisser aller faire la guerre. Mais puisque cette affaire est rompue, suivons d’abord l’objet militaire, je suis jeune, j’ai encore beaucoup de choses à apprendre, surtout dans un métier, où l’expérience est si nécessaire, je voudrais pouvoir suivre vos traces, mon cher Père, et tâcher de me rendre utile à ma patrie, la servir comme vous est tout ce que je désire, mais pour cela il faut acquérir des connaissances nécessaires et je crois qu’une femme et une maison à mener, sont des occupations assez fortes. Mon idée serait donc, non pas d’abandonner entièrement un établissement aussi solide, cela ne serait pas raisonnable, mais de le différer, de laisser les choses aller leur train tout naturellement, si elle m’aime et continue de m’aimer on pourra toujours renouer, et je crois que dans quatre ou cinq, même six ans il sera assez temps de s’en occuper sérieusement ; pendant ce temps je pourrais peut-être faire quelque campagne. Le père Leyel est vieux et maladif, s’il mourrait tout obstacle de sa part cesserait, tout son bien me viendrait tout de suite, enfin, il y a mille incidents qu’on ne peut pas prévoir et d’après lesquels il faut prendre son parti. Vous m’avez recommandé la franchise, vous n’en aviez pas besoin, ce n’est pas avec un Père comme vous qu’on dissimule. Vous m’avez tant accoutumé par vos bontés à vous regarder comme un ami, que la confiance que j’ai en vous n’est qu’un devoir mais bien cher à mon coeur.»
On est confondu devant tant de cynisme. Envers la jeune fille et son père mais aussi envers son propre père ! Car enfin, à comparer les deux lettres sur mademoiselle Leyel à quelques mois d’intervalle, l’une écrite à sa soeur, sa confidente, et l’autre à son père, son Commandeur, on voit bien le mensonge. A qui ment-il ? A sa soeur adorée ? A son père à qui il a le culot d’écrire : «Vous m’avez recommandé la franchise, vous n’en aviez pas besoin, ce n’est pas avec un père comme vous qu’on dissimule.»
Fersen qui passe pour un véritable héros de roman, pour l’archétype du parfait gentilhomme n’est rien d’autre qu’un chasseur de dots qui attend le décès d’un vieil homme pour lui prendre son argent. On est heureux pour mademoiselle Leyel que ce mariage n’ait pas eu lieu !
Et compte tenu du calendrier, en aucun cas Marie-Antoinette y serait pour quelque chose.
Fersen attend d’être choisi comme major ou colonel en second dans les troupes légères dont le duc de Chartres vient d’être nommé colonel général (souligné dans le texte manuscrit) dans la perspective d’être envoyé ensuite en Amérique. Ce qui est la première fois que l’idée est évoquée auprès de son père. Et non pour fuir un amour impossible envers la Reine de France ! Amérique ou Allemagne dont la paix va bientôt être signée, peu importe à Fersen. Il veut un emploi militaire et c’est uniquement pour cette raison qu’il passe ses journées à faire sa cour à Versailles, auprès de la Reine, des ministres et de visiter tout ce qui compte à Paris.
Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Ut elit tellus, luctus nec ullamcorper mattis, pulvinar dapibus leo.
Le duc de Chartres a voulu en premier lieu servir en mer, revendiquant la charge de Grand Amiral de France appartenant à son beau-père le duc de Penthièvre. Mais durant l’été précédent, il se ridiculise à la bataille navale d’Ouessant l’obligeant à stopper net ses ambitions maritimes. De plus, le duc de Penthièvre refuse de lui remettre sa charge, un des plus grands offices de la Couronne. En compensation, il réclame au Roi de créer pour lui une charge de colonel général des troupes légères ou des hussards.
Les houzards, plus tard hussards, existent depuis la Guerre de Trente Ans. Ils servent d’éclaireurs mais aussi à effrayer les troupes ennemies par leur rapidité et hardiesse.
A cette date, il n’y a encore que trois régiments de houzards en France et Louis XVI en crée donc une quatrième pour son cousin.
De son côté Fersen rêve d’y entrer comme officier.
Le 22 novembre 1778
Jeu de la Reine. Fersen s’y est-il rendu ?
Le 23 novembre 1778
Le comte de Fersen prévoit de se rendre chez le duc de Choiseul lors d’un de ses rares séjours dans la capitale mais les portes lui restent fermées.
Voir cet article :
Ministre tout puissant sous Louis XV, il a été exilé en décembre 1770, suite à une grande fureur du feu Roi à son égard. Malgré le soutien de la jeune Reine qui lui doit sa position, le nouveau souverain ne cache pas son mépris envers celui qu’il considère comme l’ennemi de son père le Dauphin. Fersen se doit tout de même de faire sa cour à celui qui a tant compté dans la diplomatie européenne.
Nous savons aussi que les choiseulistes rêvent de donner à la Reine un amant issu de leurs rangs, capable de la gouverner et ainsi le Roi. Ou du moins est-ce l’accusation que leurs adversaires leur portent.
Le 24 novembre 1778
Arrive enfin un nouveau moment-clé du roman d’amour entre Marie-Antoinette et Fersen. En effet, la jeune Reine, enceinte de plus de huit mois (détail souvent omis), a eu le caprice de voir se présenter chez elle le beau Suédois en uniforme de son pays. Nous savons par le courrier de Fersen à son père que la demande en a été faite le 15 novembre. Il lui a donc fallu patienter neuf jours, ce qui écarte l’idée de caprice d’une femme amoureuse.
«… elle avait entendu parler de mon uniforme, et elle me témoigna beaucoup d’envie de le voir, je dois y aller mardi ainsi habillé, non pas au lever mais chez la Reine, c’est la princesse la plus aimable que je connaisse.»
Remarquons le passage annoté d’un trait dans la marge.
Remettons les choses en contexte : comme nous l’avons lu précédemment, Fersen a honte de cet uniforme. Il ne compte certainement pas séduire Marie-Antoinette ainsi attifé. De son côté, celle-ci a toujours eu un goût prononcé pour les costumes militaires. De son enfance à Vienne, elle a toujours été habituée à fréquenter des uniformes venus de toute l’Europe. Elle n’a donc aucun a priori sur l’excentricité d’un tel costume et s’en montre curieuse. Elle apprécie tant les costumes un peu originaux qu’elle n’hésite pas à se faire portraiturer ainsi vêtue quitte à affronter un possible scandale :
Non seulement la Reine porte un costume masculin mais affirme aussi Ses origines non pas simplement autrichiennes mais carrément hongroises !
Lisons ce qu’il écrit à son père attentivement. Fersen dit ne pas se rendre au lever mais chez la Reine. Ce qui a été interprété par certains comme ayant ses entrées dans les petits cabinets. C’est le cas par exemple d’André Castelot :
Qui en plus parle de petits appartements alors que ce sont les petits cabinets, c’est-à-dire les pièces attenantes à son appartement officiel. Le petit appartement de la Reine n’existera qu’en 1782.
De son côté, le suédois Herman Lindqvist n’hésite pas lui à réécrire le passage cité plus haut à sa sauce :
« La reine me reçoit toujours avec bonté, j’assiste souvent à ses séances de jeux et, chaque fois, elle m’adresse quelques mots plein d’amabilité. Comme quelqu’un lui avait parlé de mon uniforme, elle exprima un vif désir de me voir en tenue. J’irai la voir mardi, revêtu de cet uniforme, non pas à la Cour mais chez elle.»
Je replace l’original manuscrit afin de savourer la comparaison :
https://www.persee.fr/doc/dhs_0070-6760_1996_num_28_1_2140_t1_0638_0000_7
Comme quoi les non francophones qui tentent des traductions en français risquent fort de très hasardeuses interprétations. Et réciproquement, ce que pour ma part, je sais devoir prendre avec considération. Les conséquences peuvent en être graves.
Mais la palme revient peut-être à Emmanuel de Valicourt qui a pourtant été plutôt fin dans son interprétation des relations de Marie-Antoinette avec Fersen :
«Comme on lui a parlé de mon uniforme suédois, elle m’a témoigné beaucoup d’envie de me voir, dans ce costume.»
Et lui n’a pas l’excuse d’une mauvaise traduction ! Puis Valicourt imagine toute une scène bucolique au Petit Trianon sous un beau soleil automnal. Rappelons seulement qu’à huit mois et demi de grossesse, la Reine ne séjourne certainement pas au Petit Trianon qui est avant tout un lieu de promenade pour les beaux jours !
Même Evelyne Lever, historienne renommée, membre du CNRS, spécialiste incontestée du XVIIIème siècle modifie les sources :
Fersen ne doit pas se rendre à la cour mais chez la reine ? Comment est-ce possible ? Evelyne Lever ne sait pas lire lever dans un texte manuscrit ? Un comble !
Non. Quand Fersen évoque le lever, c’est celui du Roi. Pas besoin d’expliquer à son père, celui-ci connaît les us et coutumes de Versailles, contrairement à nous, lecteurs modernes. On ne parle pas de Lever pour la Reine, mais de Toilette de représentation :
Voir cet article :
Or Marie-Antoinette a pour habitude d’y recevoir ambassadeurs et étrangers tous les mardis. Il n’y a donc rien d’exceptionnel à recevoir un gentilhomme étranger dans son costume national puisqu’il s’agit tout simplement d’une tradition de Cour, encore une fois d’une obligation de Reine. La scène se déroule dans Sa chambre, en public, avec tous les hauts dignitaires de la Cour, juste avant le départ pour la messe.
En novembre 1778
La chambre est recouverte de son meuble d’hiver et non celui d’été comme montré ici. Il y a aussi de fortes chances que le mobilier des couches soit déjà installé.
La plupart des biographes reprennent alors que la Reine examine le gentilhomme «soigneusement» ou «très soigneusement» c’est selon. Mais rares sont ceux qui donnent la référence de ces mots. Quel est donc ce témoin ? Pas Fersen en tout cas.
Il s’agit du futur archevêque luthérien Lindblom, lui aussi de la diaspora suédoise entourant Creutz. Söderjhelm nous dit que l’original est en suédois et date de Versailles du 24 décembre 1778, soit un mois après les faits. Nous devons donc nous contenter de sa version en français que reprennent également les Girault de Coursac dans Vie conjugale, vie politique :
«L’habit suédois… jugé au point de vue du bon goût n’est en aucune façon inférieur à l’habit français. Le Français qui croit posséder un goût raffiné, le reconnait volontiers et tout Versailles ne parle que d’un comte Fersen qui est venu à la cour portant l’habit national suédois que la Reine, d’après ce qu’on m’a dit, a examiné très soigneusement.»
Alma Söderjhelm, page 61
Deux points essentiels sont à noter. Tout d’abord, même s’il s’agit d’une traduction, il est évident que ce témoin exprime avant tout son patriotisme. L’habit conçu par Gustave III est à l’égal de celui des Français, autoproclamés détenteurs du meilleur goût. Il est avant tout fier que la Reine de France l’ait reconnu en l’observant chez un de ses compatriotes. Nous savons pourtant quoi en penser, Fersen ne cachant pas lui-même qu’il en a honte.
Mais surtout, ce témoin dit clairement ne pas avoir été présent à cette scène : «d’après ce qu’on m’a dit». Il ne fait que rapporter ce que l’on a bien voulu lui raconter en y ajoutant son sentiment personnel, c’est-à-dire national. Fréquentant l’ambassade suédoise, il participe comme toutes les créatures de Creutz à l’exaltation de sa nation qui se doit d’être en première ligne à la cour de France. En tout cas dans la version que nous en avons en français. Peut-être que la version originale ne permet pas le doute qu’il ait été aux côtés de Fersen ce matin-là dans la Chambre de la Reine. Mais en français, cette source est inexploitable. Par conséquent, c’est une grave faute de la part des historiens francophones qui l’ont repris sans se poser de questions.
Chez Kermina, page 44 :
«Marie-Antoinette demanda à le voir, et elle l’examina, dit-on, « soigneusement ».»
Et chez Françoise Wagener, dans L’Enigme Fersen, page 83 :
«au dire de témoins, elle l’examina très soigneusement… »Tout Versailles en parla », paraît-il.»
Même si Kermina et Wagener admettent à demi-mots qu’il ne s’agit que de rumeurs, le mal est fait : Marie-Antoinette, d’après un témoin qui n’en est pas un (au singulier, pas au pluriel !), a observé «très soigneusement» Fersen, dans Son intérieur privé, voire sur une île enchantée du Petit Trianon (!). C’est donc la preuve d’une faveur très particulière. Non, tout prosaïquement, la Reine de France a voulu connaître ce fameux costume suédois et le reçoit donc comme il se doit le mardi dans Sa chambre lors des grandes entrées avant le départ pour la messe. Et rien n’indique si Elle l’a plus observé qu’un autre visiteur étranger ce matin-là. Nous pouvons juste supposer que l’originalité de l’uniforme aurait pu lui faire arrêter son regard plus longuement. Et c’est juste une supposition. Pas besoin d’imaginer comme Valicourt, sans le moindre conditionnel, une lumière de gloire sur ce prince charmant directement issu de contes de fées. C’est nettement moins romantique mais plus réaliste.
Jacob Axelsson Lindblom est docteur de belles-lettres en 1779, évêque luthérien de Linköping de 1786 à 1805 puis archevêque d’Uppsala en Suède de 1805 à 1819.
Sa fonction l’obligeant à être en Suède en 1779 et aucun voyage en France de sa part n’ayant été retrouvé, on peut se demander s’il n’est pas depuis toujours confondu avec son frère Gabriel-Axel Lindblom (1750-1827) secrétaire-interprète de Louis XVI et traducteur à succès d’une description de l’Islande. Qui serait donc nettement mieux placé au sein du personnel diplomatique. Nous pouvons dire que nous n’avons aucune certitude sur cette personne, sauf qu’elle n’a pas été près de Fersen à ce moment précis.
Pas besoin d’attendre le procès de Marie-Antoinette pour utiliser de faux témoins.
Le 15 décembre 1778
Nouvelle lettre à son père :
Il y évoque sa tante née La Gardie qui a été volée par sa domestique et depuis à la dernière extrémité. De plus, il n’a toujours pas pu rendre visite au duc de Choiseul. Ce passage évoqué est aussi marqué d’un trait dans la marge, ce qui ne peut que susciter notre étonnement. Quel lien entre Choiseul et l’histoire d’amour entre Fersen et Marie-Antoinette puisqu’à chaque fois que nous avons vu ce trait dans la marge, cela concernait seulement l’idylle ? Il est difficile de ne pas faire un lien avec le fait que le parti du duc de Choiseul et notamment son ambitieuse de soeur, ait souhaité mettre Lauzun dans le lit de la Reine.
Il faudrait au moins savoir de qui sont ces traits, Fersen ou quelqu’un d’autre après lui. On peut comprendre un archiviste soucieux d’aider de futurs historiens à voir d’un seul coup d’oeil dans ces lettres manuscrites quand cela concerne Marie-Antoinette. Mais alors pourquoi y mêler le duc de Choiseul ? Nous n’aurons certainement jamais de réponse.
Fersen est toujours heureux de son séjour parisien et n’oublie pas de jouer une fois de plus au fils parfait :
«où il ne me manque, pour être parfaitement content, que la satisfaction de vous y voir, mon cher Père.»
Il continue ensuite sur mademoiselle de Leyel et attend les attentions de son père à ce sujet. Fredrick Axel est-il aussi peu dénué de scrupules que Hans Axel ? Nous pouvons certainement répondre par l’affirmative car sinon comment ce dernier aurait-il pu oser avoir l’idée de lui transmettre son plan odieux ? Il sait à qui il s’adresse.
Il poursuit avec Marie-Antoinette et ses couches qui ne peuvent qu’arriver d’un moment à l’autre. Malgré le trait dans la marge, il n’y a rien qui montre un intérêt particulier pour la Reine de France, sauf celui d’un visiteur étranger bien placé qui comme l’Europe entière attend un Dauphin pour la Couronne de France. Il insiste surtout sur la bêtise des Français. Remarquons également que Fersen ne dit rien à son père de la visite proprement dite chez la Reine en uniforme mais uniquement du rendez-vous qui en a été pris le 15 novembre dernier. C’est le fait d’avoir pu montrer le costume national chez la Reine devant la Cour et tous les ambassadeurs et étrangers en visite qui est important.
Il termine par l’évocation d’une bataille navale et la chance du nouvel élève de Bolemani, son ancien précepteur, de se rendre en Prusse sous les ordres de Frédéric II. Lui-même attend toujours avec impatience une place, tandis qu’il voit son argent diminuer.
Le 19 décembre 1778
Naissance de Madame Royale.
Une partie du public est persuadé que son vrai père est soit le duc de Coigny, soit le comte d’Artois.
Ne prêtant pas attention aux rumeurs, le couple royal se rapproche davantage dans leur amour partagé pour leur petite fille.
Le 20 janvier 1779
Dans sa nouvelle lettre à son père Fersen se plaint amèrement des pourparlers de paix menés par le baron de Breteuil en Allemagne. C’est en effet pour lui un véritable «malheur» car une saison inutilement passée à Paris pour y trouver un emploi dans le conflit.
Le 30 mars 1779
Après ses soucis de santé et la guerre, je découvre un nouveau trait dans la marge. Il ne concerne ni Marie-Antoinette, ni Choiseul mais Stedingk qui a fait son entrée au service de l’armée française et est parti dans les Antilles. Pourquoi donc ce passage a-t-il été jugé plus important que d’autres concernant également des opérations militaires ? Pour l’instant, Fersen ne parle pas de son prochain enrôlement à son tour. Il ne sait rien de son avenir, regrette que la guerre d’Allemagne soit finie. Mais dans sa lettre précédente, il a dit à son père que Creutz lui a promis quelque chose et qu’il ne peut rien en dire encore à son père qui l’apprendra par un autre courrier. Et là, il parle à son père d’un de leurs compatriotes qui s’engage pour l’Amérique. Ce trait dans la marge signifie-t-il qu’à ce moment démarre enfin sa carrière ? Ou encore autre chose ?
Mi-avril 1779
Séjour à Chantilly (dix jours trois jours avant le 30 avril).
Ce voyage à Chantilly correspond pile poil aux dates de la rougeole de Marie-Antoinette au Petit Trianon. A ces dates, elle n’a donc pas pu se déplacer et encore moins passer elle aussi quelques jours chez le prince de Condé. Résultat, début 1779, entre la suite de ses couches, ses maladies à lui puis la rougeole de la reine au printemps, on se demande s’ils ont pu beaucoup se voir…
Du 12 au 21 avril 1779
Rougeole de la Reine au Petit Trianon.
Pense à une descente sur l’Angleterre.
Ou formation auprès de Creutz pour devenir ministre.
Le 22 avril 1779
Louis XVI confirme la charge de colonel général des hussards pour son cousin le duc de Chartres.
Le 30 avril 1779
Nouveau trait dans la marge : Fersen se charge de demander à son père, pour Staël une très belle somme d’argent en prêt. Ceci pour une histoire qui se passe en Angleterre entre Staël et un autre type, B… quelque chose, sous l’égide de Creutz, Leur affaire finit par capoter, Staël est dans le caca… Et si papa Fersen peut y faire quelque chose, Staël lui devra une reconnaissance éternelle.
Les dettes des Suédois à Paris sont énormes tant le train de vie est dispendieux. Afin de protéger le nom suédois auprès des banquiers et auprès de la cour, les diplomates font sans trop d’hésitation des avances à leurs compatriotes de qualité. La solidarité économique est aussi un élément important de la confiance amicale, ce qui explique en partie la phrase insouciante du comte de Creutz à Curt von Stedingk : « Quand tu as besoin d’argent, tire une lettre de change sur moi.»
RA, Stedingkska samlingen, svenska arkivet, Curt von Stedingks arkiv, vol. 103, Lettre de Creutz à Curt von Stedingk, 23 juillet 1773. Original en suédois, cité dans C. Wolff, Vänskap och makt, op. cit., p. 117
Creutz lui-même est surendetté jusqu’au cou mais il n’a pas le choix au nom du prestige de la couronne suédoise. L’honneur de la nation et les devoirs du rang sont des motifs de dépenses qui dépassent de beaucoup ses revenus.
« Mais à Paris qui est le centre où tous les etrangers arrivent il est plus necessaire que partout ailleurs de Soutenir l’honneur de Sa cour par une maniere de vivre noble et decente. Et la considération qu’on acquiert par là influe prodigieusement sur les succès des affaires mêmes »
Comte de Creutz, op. cit., p. XXV, Lettre de Creutz à Gustave III, 28 avril 1776
La police française laisse faire tant la réputation de l’ambassadeur suédois est immense, l’alliance d’importance. Dans le même temps, elle poursuit l’ambassadeur russe pour ses dettes de jeu. Il n’y a immunité diplomatique que pour les représentants suédois.
Dimanche 13 juin 1779
Il arrive à la fin du dîner de Vergennes, toujours pas de trait dans la marge et Vergennes l’accueille à bras ouvert, Fersen lui demande s’il peut avoir un espoir pour son affaire d’Amérique, Vergennes lui répond qu’il allait justement s’en occuper dans l’après-midi, ça tombe bien, parmi ses invités à table se trouve monsieur de Vaux dont l’armée de 25000 hommes attend l’ordre de mobilisation pour une mission inconnue, on recrute encore, Fersen espère encore. Donc Vergennes ne peut lui présenter meilleure personne ! Il le lui présente :
« si j’avais un fils à vous donner, je le ferais mais je vous recommande monsieur de Fersen comme mon fils, c’est un jeune homme pour lequel je m’intéresse…»
et là, ce passage n’est pas marqué d’un trait dans la marge mais souligné.
Promotion exceptionnelle car Gustave a interdit à tous ses sujets de s’engager mais exception est faite pour Fersen.
Et en même temps il croise Rochambeau, qu’il écrit Rochambaut qui lui demande de le rappeler au bon souvenir de papa Fersen. Il le sait de l’expédition mais ne sait pas encore qu’il en sera le général et en chef et qu’il deviendra son aide de camp. Justement il s’interroge à ce sujet car qui le prendra, sans expérience, étranger et que personne ne connaît ?
Le 18 août 1779
Promenades et concerts noctures sur les terrasses.
Début 1780
Colonel du Royal-Deux-Ponts, pas faramineux. Joue sur la carrière de son père.
Lettre de Creutz placée par Kermina à son départ de 1780, or date de 1779.
Dans la protection des intérêts d’amis et de parents de cette aristocratie suédoise puissante, il s’agit aussi, suivant une logique aristocratique, de protéger et de maintenir l’image d’un passé glorieux, et d’éviter que l’honneur et le renom de la noblesse suédoise ne soient entachés. L’amitié affichée avec les détenteurs du pouvoir politique est un aspect de la diplomatie et de la crédibilité des ambassadeurs, tout comme la magnificence matérielle dans la représentation (l’hôtel, les carrosses, les fêtes). La faveur de la Reine de France est donc essentielle.
Creutz, pendant ses dix-sept ans passés en France, a le temps de développer un immense réseau, dont le point d’équilibre change suivant les conjonctures et les circonstances politiques. Proche ami de Choiseul à la fin des années 1760, s’entendant ensuite avec le duc d’Aiguillon, il évolue dix ans plus tard dans les coteries très aristocratiques de la jeune reine, fréquentant entre autres les Rohan, les Noailles, et les Polignac. Ces réseaux se superposent aux contacts dans les milieux littéraires et philosophiques, peut-être plus importants pour la diplomatie suédoise qu’on ne l’imagine.
Dans la vie sociale de ces diplomates il n’y a pas de limite nette entre, d’un côté, l’exercice du pouvoir politique, et, de l’autre, la sociabilité littéraire et philosophique. Au contraire, ces deux aspects sont intimement liés. L’espionnage européen se fait essentiellement dans les salons. La composition des salons est souvent très aristocratique. Les diplomates vont dans les salons pour cultiver leurs liens avec les personnes au pouvoir dans un cadre informel et intellectuel, ainsi que pour se tenir informé des nouvelles, de « l’on-dit » mondain et des rumeurs politiques. Pour l’ambassadeur comme pour l’apprenti diplomate, il s’agit d’observer et de rapporter, mais aussi d’être vu dans la bonne compagnie.
Creutz fréquente en particulier et très assidument celui de madame Necker.
Mais il fréquente tout autant le salon de madame Geoffrin et celui de madame du Deffand. Il est aussi un convive régulier chez la comtesse de La Marck, la maréchale de Luxembourg, et madame de Boufflers, amie de Gustave III. Après la mort de madame Geoffrin et de madame du Deffand, les cercles de madame de La Reynière et de madame de La Ferté-Imbault prennent une place encore plus importante dans la vie sociale de l’ambassadeur de Suède. Madame du Deffand dira de lui :
«un pédant, un doucereux, un flagorneur, un admirateur des philosophes modernes».
Benedetta Craveri
Fersen, à l’exemple de Creutz sera toujours un invité de choix de ces salons et ceux apparaissant plus tard dans la vie mondaine parisienne (Hézecques).
Le 23 mars 1780
Départ de Paris, au comble de la joie (donc Marie-Antoinette, s’en moque).
Le 16 mai 1780
Fersen, à bord du Jason depuis plusieurs semaines, part avec la flotte française pour l’Amérique.
Le 30 juin 1779
Sainte-Croix va arriver en Suède, protégé de Choiseul, Fersen l’a beaucoup vu. Le recommande à son père. Sainte-Croix futur ministre des Affaires étrangères ?
Le 1er juillet 1779
Toujours pas nommé colonel. Mais Creutz le lui promet dès le premier travail.
Fersen part ce jeudi pour Le Havre. Couche à Rouen, arrive vendredi.
Le 4 juillet 1779
Description des préparatifs, munitions, vivres, artillerie et troupes au Havre, départ prévu dans dix-neuf jours, chiffres modifiés, certains disent que tout ceci n’est qu’une démonstration mais Fersen ne le pense pas, ce serait un simulacre qui coûterait trop cher, attente de la flotte d’Orvilliers qui a fait la jonction avec vingt vaisseaux espagnols
En ps : la flotte attendue est entrée dans la Manche et celle anglaise entre … et Plymouth.
Le 10 juillet 1779
Même blablas sur vivres, munitions, etc , certains croient qu’ils vont aller à Portsmouth, d’autres sur l’île de Wight,d’autres sur côtes anglaises, mais Fersen croit que c’est pour forcer Anglais à se rendre à un endroit et donc pouvoir débarquer en Irlande, bloquer Cork pour empêcher envois anglais en Amérique et donc plus facile ensuite pour envahir l’Angleterre mais possible que ce ne soit pas le projet, comte de Vaux part pour Saint-Malo vérifier si tout va bien, doit revenir ce jour ou lendemain.
Du 6 au 9 août 1779
Flotte anglaise arrive de Jamaïque avec cent vingt vaisseaux, Orgivilliers. Que va-t-il se passer ? Fersen ne sait rien. Secret bien garder. Espère qu’il va se passer quelque chose. Commence à en désespérer.
Passage biffé.
Attendre jusqu’à octobre ? Pas au delà espère-t-il.
Quatre-vingt vaisseaux en construction à Brest, rumeurs de vaisseaux construits en Angleterre pour dévaster côtes françaises.
Angleterre a pris deux vaisseaux suédois, même pas de contrebande, Fersen estime que bientôt aura contre elle toutes les puissances maritimes européennes si Angleterre continue une telle attitude.
Le 9 novembre 1780
« 9 novembre 4780. M. Arthur Dillon, appelé le beau à la Cour, singulièrement protégé de la reine, a eu le malheur de se casser encore une fois le bras. C’est le jour de la Saint-Hubert, à la chasse avec le roi, que cet accident lui est arrivé. Si quelque chose a pu calmer ses douleurs, c’est le spectacle de leurs majestés présentes au pansement, qui a eu lieu sur-le-champ et lui prodiguant les plus tendres soins. »
Le 22 octobre 1781
Naissance du Dauphin, Louis-Joseph-Xavier-François (1781-1789).
Printemps 1782
Alexandre de Sparre, propriétaire du Royal-Suédois est ruiné. Si ses héritiers préfèreraient voir le régiment resté dans la famille, Alexandre souhaite lui le vendre. Très cher.
En octobre 1782
Grâce à l’intercession de Marie-Antoinette, Fersen obtient la place de colonel en second du régiment de Royal-Deux-Ponts. Il déclare alors à son père qu’il souhaite rester en Amérique jusqu’à la fin du conflit, et ensuite passer au service de Gustave III.
Le 23 juin 1783
Fersen rentre de campagne , et se rend à Versailles où il sollicite toujours par la faveur de Gustave III et de la Reine, le Royal-Suédois en pleine propriété. La rumeur va alors bon train à la Cour.
Sitôt arrivé à Paris, Fersen multiplie les démarches pour obtenir le régiment hors de prix. Il demande à Sophie de persuader leur père, et supplie Gustave III :
« Dans une lettre que j’eus l’honneur de Vous écrire du Cap, Sire, je Vous demande Votre consentement pour accepter la propriété du Régiment de Monsieur le Duc de Lauzun maintenant il se présente une occasion d’avoir celui du Royal-Suédois et si Votre Majesté veut en faire la demande pour moi je suis sure de l’obtenir; je ne m’arrête pas sur les avantages qui résulteraient pour moi d’un pareil arrangement, ils sont fort grands, et Votre Majesté les sent comme moi; malgré cela je n’y aurais jamais songé si cette place avait due me priver du plaisir de faire mon service auprès de la personne de Votre Majesté, et si elle eut due m’empêcher d’avoir l’honneur de lui faire ma cour, mais elle n’exige pas de résidence, et fournit a Votre Majesté le moyen de placer de jeunes gens dans ce Régiment, qui rapporteraient ensuite pour le service de leur patrie les talents et l’expérience qu’ils auraient pu acquérir dans celui de France qui va être plus actif que jamais.
J’ose supplier Votre Majesté en faveur des bontés qu’elle a toujours eu pour moi, de consentir à cet arrangement, et j’ose me flatter que vous voudrez bien, Sire, ajouter a tous Vos bienfaits celui d’y contribuer.
La permission que je Vous avais demandée de ne revenir qu’au printemps, est mal d’accord avec l’impatience extrême que j’ai de Vous faire ma cour, et je viens de proposer a mon Père de passer cet hiver en Suède, et que Votre Majesté veuille me promettre de retourner en France au printemps pour faire mon service d’été au Régiment ou je suis, de passer ensuite l’hiver a Paris pour faire mes arrangements, finir mes affaires, et revenir en Suède au printemps, ce nouveau projet satisferait la grande impatience que j’ai de Vous faire ma cour, Sire. J’ose me flatter et je supplie Votre Majesté de vouloir bien consentir a celui de ces deux projets pour lequel mon Père se décidera, et d’être mon avocat auprès de lui.»
Mais le vieux sénateur met aussi tous ses efforts à voir son fils atteindre le poste d’ambassadeur, avec une loyauté qui force le respect :
« Staël me traite avec toutes sortes d’égards, je loge chez lui, écrit-il à son père, on ne saurait être mieux dans un palais, qu’il n’est dans celui-ci, il y est aimé de tout le monde. C’est la seule personne que le Roi puisse y envoyer et qui y soit agréable, tout le monde désire le voir ambassadeur et si vous pouviez y contribuer, ce serait une nouvelle preuve de vos bontés pour moi et vous feriez du bien a un sujet, qui le mérite et qui ne serait point ingrat.»
Axel de Fersen à son père
Le 15 juillet 1783
« Aujourd’hui est un jour remarquable pour moi. C’était quand je rentrais de chez Mme de Mat.[ignon] à Dangu et allais chez Elle après le dîner. »
Fersen évoque ici le moment où il a vu la Reine « en privé », car sinon il aurait écrit « chez la Reine ». Mais il écrit « Elle » avec une majuscule et souligné : le nom de code pour Marie-Antoinette dans son journal. En revanche, le marquis de Bombelles note dans son journal que Fersen aurait quitté la fête chez madame de Matignon à Dangu pour rejoindre Louis XVI à la chasse. L’emploi du temps d’Axel de Fersen ne coïncide pas tout-à-fait. Nul doute que c’est pour dissimuler une intimité avec la Reine de France comme le suppute Farr :
Ceci est donc un mensonge. Un des nombreux mensonges pour masquer que Fersen fréquentait la reine en secret.
Une autre indice que Fersen aurait passé davantage de temps dans l’intimité de Marie-Antoinette cet été-là peut se trouver dans la lettre qu’il écrit à son père le 31 juillet 1783 : « Je souffre toujours de ce rhume que j’ai attrapé il y a 15 jours. C’était un des pires rhumes que j’ai eu et je viens de passer trois jours dans ma chambre buvant je ne sais pas quoi, et cela a l’air d’aller mieux. »
Pourtant, dans ses lettres du 11, 21 ou 28 juillet, aucune mention d’un quelconque rhume ni d’une chasse avec Louis XVI.
Il a donc menti à son père afin de rendre son absence dans le beau monde crédible. Il n’aurait nullement eu besoin de mentir s’il n’y avait une bonne raison pour cela : l’intimité grandissante entre Marie-Antoinette et lui.
Pour masquer ses mouvements, Fersen a l’art aussi d’antidater ses lettres (sûrement déjà évoqué ici) et de mettre un autre lieu de départ. Une lettre adressée à son père le 10 août 1783 est par exemple datée depuis Paris, et le même jour une lettre écrite à sa sœur Sophie est datée depuis Versailles.
Evelyn Farr « Marie Antoinette & Count Fersen: The Untold Love Story« , London, 2013, Peter Owen Publishers
Ce qui est terrible, c’est que l’on voit Fersen mentir à longueur de temps. Cette missive en est la preuve. Il ment à madame de Matignon et à ses invités de Dangu, il ment à son père… Quitte à faire passer ce brave Bombelles pour un menteur, lui qui innocent rapporte tout simplement l’excuse de Fersen pour son abandon. Au passage, Les Breteuil et cie ont un avis assez mitigé à son propos.
« Le comte de Fersen est parti pour aller chasser à Versailles avec le Roi. Dans le peu de temps qu’il a passé ici, nous lui avons trouvé de la bonhomie, de bons propos, les indices d’un zèle dirigé par des vues nobles. Il ne nous a pas paru doué de beaucoup d’esprit ; la vivacité de la jeunesse en tient souvent lieu. Une gaîeté franche amuse les spectateurs et les dispose à bien juger de la facilité d’une jeune homme à s’énoncer, mais souvent quelques années ensuite, lorsque son sang circule plus lentement, lorsqu’il n’a rien acquis par le travail et qu’au contraire il a perdu son temps, il tombe tout à plat, rit moins, ne fait plus rire, s’étonne de son insuffisance, s’en tourmente et ne trouve rien en lui pour y remédier (…). Le comte de Fersen n’éprouvera jamais ce désagrément parce que son nom, ses places, sa fortune et sa bonne conduite le soulèveront ; mais je crois qu’il restera toujours fort au-dessous de ce qu »on a cru qu’il deviendrait lorsqu’il a paru dans le monde. (…)»
Axel de Fersen a beau déjà construire sa légende, certains courtisans voient clair dans son jeu.
Ce qui fait dire à l’une des plus fersinophiles du forum de Marie-Antoinette, madame de Sabran, alias Nathalie Colas des Francs :
Il y a mensonge et mensonge, je crois, mensonges de finesse, pieux mensonges aussi pour préserver la réputation de la reine …
Ce n’est peut-être pas si simple à démêler !
Et Françoise Kermina de renchérir :
On était loin d’imaginer l’importance qu’il ( Fersen ) avait prise dans son coeur. Axel en effet affichait une réserve proche de la pose, qui correspondait certes à son tempérament : « Moi, j’aime à écouter et à me taire », écrivait-il déjà d’Amérique à son père. Mais elle témoignait aussi d’une prudence étonnante pour son âge. On pouvait, a-t-on dit, le faire répondre à une question, à deux peut-être, jamais à trois.
Et Louis de Bouillé :
« Un flegme naturel l’avait garanti de l’ivresse du succès qu’il justifiait presque par une discrétion à toute épreuve. Il était tel enfin que devrait toujours être l’amant d’une reine » .
Nous noterons le conditionnel …
Le 31 juillet 1783
Fersen écrit à sa sœur Sophie qu’il ne se mariera jamais, parce qu’il ne peut pas être à la seule personne à qui il voudrait être, à la seule qui l’aime véritablement, ainsi il ne veut être à personne
« J’ai reçu il y a trois jours une lettre de mon ami Creutz, qui m’a fait le plus grand de tous les plaisirs. Or que je suis heureux ma chère Sophie, il me mande que le Roi et mon Père ont consentis a tout, jugés de mon bonheur. J’en écris aujourd’hui à mon Père pour lui en faire mes remerciements, et lui témoigner toute ma joie. J’ai peine a le croire tant je suis heureux, j’ai plus d’une raison pour cela, que je vous direz quand nous nous verrons.
Je partirai d’ici vers le 13 Sept: et je serai en Suède le 15 oct: que j’aurai de plaisir à vous voire ma chère amie a pouvoir causer avec vous, a vous dire combien je vous aime. Ah ! Soyez toujours sure de l’amitié vive et tendre que je vous porte elle ne finira qu’avec ma vie.
Malgré tout le plaisir que j’aurai à vous voir je ne puis quitter Paris, sans regret. Vous trouverez cela très naturel quand vous en saurés le sujet, je vous le direz car je ne veux avoir rien de caché pour vous.
Je suis bien aise que Mademoiselle Lyell soit mariée, on ne m’en parlera plus et j’espère qu’on n’en trouvera pas d’autre, j’ai pris mon parti je ne veux jamais former le lien conjugal, il est contre nature. Lorsque j’aurai une fois le malheur de perdre mon Père et ma Mère, ce sera vous ma chère amie qui me tiendrez lieu de l’un et de l’autre et même de femme. Vous serez la maîtresse de ma maison, elle sera la vôtre, et nous ne nous quitterons pas. Si cet arrangement vous convient il fera le bonheur de ma vie. Je ne puis pas être a la seule personne a qui je voudrais être la seule qui m’aime véritablement, ainsi je ne veux être à personne.»Axel de Fersen à sa sœur Sophie von Piper
Cette seule personne à qui il voudrait être n’est-elle pas sa sœur Sophie elle-même et non Marie-Antoinette comme les auteurs qui utiliseront les termes tronqués de cette lettre se plairont à le croire ?
Car dans la famille Fersen, ce n’est pas un sang royal qui empêcherait une conquête… mais une emme de son propre sang, à moins d’être de la famille Lannister…
Le 25 août 1783
La Cour apprend une nouvelle grossesse de Marie-Antoinette. La Reine en est mécontente et s’enferme dans Ses appartements ; Ses dames trouvent porte close.
Le 20 septembre 1783
La somme est telle (100 000 livres), les démarches si difficiles, la famille Sparre si réticente que la vente du Royal-Suédois n’est toujours pas décidée.
Fersen quitte la France pour retourner en Suède. Gustave III le nomme en compensation Lieutenant Colonel des Dragons du Roi. Dans sa lettre de remerciements même, Axel revient avec son envie de régiment en France, sollicitant l’intervention personnelle de Gustave auprès de Louis XVI.
Et voici la lettre de recommandation que Gustave III écrit à Louis XVI :
« Monsieur, mon frère et cousin, le comte de Fersen, ayant servi dans les armées de Votre Majesté en Amérique avec une approbation générale, et s’étant rendu par là digne de votre bienveillance, je ne crois pas commettre une indiscrétion en vous demandant un régiment – propriétaire pour lui. Sa naissance, sa fortune, la place qu’il occupe auprès de ma personne, la sagesse de sa conduite, les talents et l’exemple de son père, qui a joui auparavant de la même faveur en France, tout m’autorise à croire, que ses services ne pourront qu’être agréables à Votre Majesté, et, comme il restera également attaché au mien et qu’il se partagera entre les devoirs qu’exige son service en France et en Suède je vois avec plaisir, que la confiance que j’accorde au comte de Fersen et la grande existence dont il jouit dans sa patrie étendront encore davantage les rapports qui existent entre les deux nations et prouveront le désir constant que j’ai de cultiver de plus en plus l’amitié qui m’unit à vous, et qui me devient de jour en jour plus chère. C’est avec ces sentiments et ceux de la plus haute considération et de la plus parfaite estime que je suis, monsieur, mon frère et cousin, de Votre Majesté le bon frère, cousin, ami et allié.»
Gustave
« Le Roi a consenti tout de suite, et a témoigné la plus grande envie de faire quelque chose qui put être agréable a. Votre Majesté, la Reine a bien voulu s’en mêler, des qu’elle a su que Vous le désiriez, tout va bien, et je crois pouvoir assurer à Votre Majesté que j’aurai le Régiment de Royal Suédois, on a imaginé ici que c’était celui qui ferait le plus de plaisir a Votre Majesté, et celui qui me conviendrait le mieux, on a offert a messieurs de Sparre des avantages assez considérables pour les faire quitter, le comte Ernst a déjà renoncé a sa survivance, et le Comte Alexandre a depuis longtemps témoigné le désir de rendre son Régiment, il s’agit seulement de régler les prétentions exorbitantes qu’il fait. Parmi ces demandes il fait celle du Cordon des Séraphins. Le Comte de Cheffer le lui a presque assuré dans une lettre ou il l’engage a ne pas accepter le Cordon Rouge qu’on lui offrit alors; je n’ose me flatter que les bontés et l’intérêt que Votre Majesté daigne prendre a moi puissent l’engager a lui accorder cette grâce a laquelle il a véritablement les droits tant par sa naissance, que par la promesse du Comte de Cheffer, et s’il consent a me céder son Régiment ce dont je ne doute pas, c’est en grande partie pour plaire a Votre Majesté .»
Axel de Fersen à Gustave III
Voici la lettre de Marie-Antoinette à Gustave :
« Monsieur mon frère et cousin, je profite du départ du comte Fersen pour vous renouveler les sentiments qui m’attachent à Votre Majesté; la recommandation qu’elle a faite au roi a été accueillie comme elle devait l’être, venant de vous et en faveur d’un aussi bon sujet. Son père n’est pas oublié ici: les services qu’il a rendus et sa bonne réputation ont été renouvelés par le fils, qui s’est fort distingué dans la guerre d’Amérique, et qui, par son caractère et ses bonnes qualités a mérité l’estime et l’affection de tous ceux qui ont eu l’occasion de le connaître. J’espère, qu’il ne tardera pas à être pourvu d’un régiment. Je n’oublierai rien pour seconder les vues de Votre Majesté et vous donner en cette occasion comme en toute autre des preuves du sincère attachement avec lequel je suis, monsieur mon frère et cousin, votre bonne sœur et cousine.»
Marie-Antoinette
Franchement, on ne lit que de la civilité entre souverains désireux de se rendre mutuellement service.
Fersen ne parle à sa sœur et confidente Sophie que de ce qui importe réellement pour lui :
« Mon affaire est décidée, ma chère amie, je suis Colonel Propriétaire du Royal Suédois, mais je n’ai pas encore mon brevet, n’en dites rien à mon Père, s’il ne vous en parle pas; il y a encore l’article des 100,000 à arranger avec lui.»
Axel de Fersen à Sophie von Piper
Les régiments et les compagnies sont des investissements incertains, très coûteux au départ, et dont le rendement se compte plus en honneur qu’en espèces. Pour la plupart des officiers suédois servant en France pendant quelques années, ce genre d’investissement est de toute façon hors de question. Il n’y a que les Fersen qui en ont les moyens. Son père en son temps avait ainsi soutenu son beau-frère La Gardie pourtant lui aussi issu d’une famille très riche. Mais pas autant que les Fersen.
En septembre 1783
Fersen quitte Versailles et rejoint Gustave III qui se rend incognito en Italie, en tant que capitaine des garde du corps du souverain.
Le 29 octobre 1783
Axel a pour projet de rentrer en Suède, mais Gustave III décide de l’emmener dans son voyage en Italie. Le sujet rencontre donc son souverain à Erlanger, rencontre dont il rend fièrement compte à son père :
« C’est à Erlang le 16 de ce mois que j’ai joint le Roi, jamais un frère séparé pendant longtemps d’un frère qu’il aime tendrement, n’a été reçu comme je l’ai été par ce charmant monarque, il n’y a pas de paroles qui pussent l’exprimer, il pleurait de joie et de sensibilité, et j’étais très touché depuis ce moment, il n’y a aucune sorte de marques d’amitié et de confiance que je n’éprouve tous les jours.»
Axel à son père
Le 8 novembre 1783
Il renchérit :
« [Le roi Gustave] était encore au lit, quand j’arrivai, il me fit entrer sur le champ, il m’embrassa mille et mille fois, me dit les choses les plus tendres et les plus flatteuses sur le désir et l’impatience qu’il avait eu de me revoir, et sur la manière dont je m’étais conduit en Amérique, il était attendri jusqu’aux larmes, il en versait de joie, et j’étais vivement touché, il me répéta mainte et mainte fois combien il sentait vivement l’étendue du sacrifice que je lui faisais, en ne vous voyant, qu’il concevait la peine que cela vous faisait; qu’il la partageait, et que s’il n’y avait été force, n’ayant aucun autre capitaine de gardes en état de le suivre, il ne m’aurait pas pris avec lui, quelque envie qu’il en eut, et quelque convenable que cela fut, moi étant le seul qui fut fait pour lui faire honneur… enfin il me reçut non en Roi mais en ami tendre et sensible…, Il me distingue de tous les autres en tout et partout.»
Axel à son père
A lire cette lettre de Fersen , on croirait plutôt avoir affaire à l’amant du Roi de Suède qu’à «celui» prétendu de la Reine de France…
Le 7 juin 1784
Le comte de Haga, c’est-à-dire le Roi Gustave III de Suède, arrive à la Cour de France incognito et à l’improviste. Dans la matinée, il arrive à Paris et descend chez son ambassadeur, le baron de Staël-Holstein, qui n’a pas encore épousé la future romancière.
Le 21 juin 1784
Fête donnée en l’honneur du comte de Haga ( Gustave III), souper, spectacle et illumination à Trianon.
Le 19 juillet 1784
Axel de Fersen rentre en Suède pour huit mois.
Le 27 mars 1785
Naissance de Louis-Charles, duc de Normandie, surnommé Chou d’Amour par Marie-Antoinette, Dauphin en 1789 et déclaré Roi de France en 1793 par les princes émigrés sous le nom de Louis XVII.
Le 18 avril 1785
Axel quitte Stockholm pour arriver sans encombres à Paris le 10 mai 1785.
« Mais il est 8 h. du soir, il faut que je vous quitte, je suis à Versailles depuis hier, ne dites pas que je vous écris d’ici, car je date mes autres lettres de Paris. Adieu, il faut que j’aille au jeu de la Reine. Adieu.
A 9 h. du soir le même jour.
Je sors dans le moment du jeu de la Reine et n’ai que le temps de finir ma lettre, car je dois aller dans le moment souper chez Madame d’Ossun, dame du Palais, la Reine y sera; au sortir du souper à 1 h. je retourne à Paris, et cette lettre part demain matin à 8 h. Adieu, je vous quitte…»Axel de Fersen à Sophie von Piper
En mai 1785
Il revient en France prendre possession de son régiment, à Landrecies, près de Valenciennes, et partage son temps entre la Cour et son régiment.
Le 8 mai 1785
Retour de Fersen en France. Le registre de lettres fait état de l’existence d’un logement de Fersen à Versailles dans l’hôtel de Luynes.
Le 1er août 1785
Fersen est de retour à Landrecies. La correspondance reprend avec Marie-Antoinette. Il reste à son régiment jusqu’au 27 septembre 1785.
Le 30 septembre 1785
Fersen est de retour à la Cour. Il reprend son logement à l’hôtel de Luynes, rue de la Surintendance à Versailles. Il dispose également d’un pied-à-terre à Paris.
Le 4 octobre 1785
Retour « officiel » de Fersen à la Cour.
En janvier 1786
Fersen passe plusieurs jours à son régiment.
En mars 1786
Annonce de la grossesse de Marie-Antoinette. Ses lettres à Son frère trahissent Son inquiétude de se trouver encore grosse. L’accouchement est prévu fin juin. Le retour de Fersen en Suède, prévu en mai, est reporté à la fin juin.
Du 2 au 10 juin 1786
Fersen est à son régiment à Valenciennes.
Du 11 au 25 juin 1786
Fersen est auprès de Marie-Antoinette à Versailles.
Le 25 juin 1786
Départ de Fersen pour la Suède, via l’Angleterre.
Le 9 juillet 1786
Naissance à Versailles de Sophie Hélène Béatrice, fille cadette de Marie-Antoinette et Louis XVI.
Le 26 juillet 1786
Retour de Fersen en Suède.
Il y reste jusqu’au 15 avril 1787.
En 1787
Il part quelques semaines pour accompagner Gustave III dans sa guerre en Finlande contre Catherine II de Russie.
Le 20 avril 1787
« Ce qu’elle doit me trouver pour loger en haut».
A partir de mai 1787
Axel de Fersen est de retour en France. Il fera cependant plusieurs séjours à Valenciennes où se tenait son régiment dont il était colonel.
Le 3 mai 1787
« Projet de loger en haut».
Du 15 au 20 mai 1787
Fersen inspecte son régiment à Maubeuge.
Du 21 mai au 24 juin 1787
Fersen est à Versailles au moment de la maladie, puis de la mort de la petite Madame Sophie.
Le 18 juin 1787
La mort de Madame Sophie avant son premier anniversaire, éprouve la Reine qui s’inquiète aussi pour la santé de Son fils aîné.
Le 23 juin 1787
Fersen est de retour à Maubeuge.
En août 1787
Fersen passe le mois à Maubeuge.
De septembre au 5 octobre 1787
Fersen est à Paris et Versailles.
Du 5 au 18 octobre 1787
Fersen est à Valenciennes pour y établir son régiment.
Le 8 octobre 1787
« Qu’elle fasse faire une niche au poêle».
Le 19 octobre 1787
Fersen est de retour à Paris et chez la Reine à Versailles. Elle a commandé un poêle pour son logement « en haut », au château.
Aménagement logement :
L’appartement attribué à Fersen
( texte et illustrations de Christophe Duarte ; Versailles -passion )
Marie-Antoinette l’a-t-Elle logé dans les deux pièces en enfilade des valets de chambre à l’étage de ses cabinets intérieurs, comme l’affirme le baron de Besenval ?
Dans une lettre datée du 8 octobre 1787, Fersen demande à Marie-Antoinette de faire installer un poêle dans son logement : «Qu’elle fasse faire une niche au poêle». Marie-Antoinette fait faire ces modifications dans ses appartements intérieurs qui correspondent aux demandes de Fersen.
Le 9 octobre 1787, on retire les glaces dans un cabinet du petit appartement de la Reine au deuxième étage, on les replace le 23 octobre et le 18 octobre on livre des tables de marbre pour servir de foyer au poêle.
Une lettre de la Direction générale des bâtiments du Roi confirme que Marie-Antoinette ordonna de faire les travaux nécessaires à l’installation d’un poêle. Loiseleur écrit au Directeur général des bâtiments, le 10 octobre 1787 :
« J’ai l’honneur de rendre compte à M. le Directeur Général des Bâtiments que la Reine a envoyé chercher le poêlier suédois qui a fait des poêles à l’Appartement de Madame et que Sa Majesté lui a ordonné d’en faire un dans ses cabinets intérieurs avec tuyaux de chaleur pour échauffer une petite pièce à côté. La Reine m’a ordonné aussi de faire disposer l’emplacement dudit poêle qui consiste dans la dépose de deux parties de lambris, dans la démolition d’un bout de cloison pour la refaire en briques et de la dépose d’une partie du parquet pour y faire un âtre en brique.»
Evelyn Farr , « Marie-Antoinette et le Comte Fersen – La correspondance secrète »
On est loin du luxe déployé pour la réception éphémère du Roi de Suède ou de celui des appartements de madame de Polignac à ce moment-là ou ceux de mesdames de Pompadour et du Barry. Ce n’est donc pas l’appartement d’un favori. Il s’agit juste là de pièce où déposer ses bagages, une sorte de boudoir-placard où se retirer, mais qui ne présente pas la possibilité de recevoir et faire salon. Fersen n’a pu loger ici, à moins d’y installer son lit de camp…
Il s’agit d’un pied-à-terre lorsqu’il loge dans un hôtel extérieur à Versailles.
Alexandre Tilly, page de Marie-Antoinette, écrit avec raison :
« Pauvres gens! Se persuader que si une reine de France avait eu ce penchant irrésistible à la galanterie, elle eût pu l’assouvir au travers de son rang et de cette involontaire mais continuelle surveillance de la cour ou de son service intérieur ! La plus habile des courtisanes, portée au trône, eût échoué dans un tel système, elle eût été forcée d’apprendre, par intervalles, la sagesse… La reine fut invariable dans les sentiments qu’elle porta à Fersen, cette longue et tendre constance est la meilleure réfutation des infamies dont elle est accusée…»
En somme, Marie-Antoinette loge un homme dans ses appartements privés, auxquels il peut accéder sans être vu de personne, dans lesquels il se cache de tous ( il est censé être à Paris ) sauf de Marie-Antoinette qui, en actionnant un cordon peut bloquer les quatre portes de sa chambre ou les débloquer, à volonté … hum ! …
Nathalis Colas des Francs du forum de Marie-Antoinette
D’où tiens-tu ce détail de mécanisme qui bloque les portes? Il me semble découvrir cela en te lisant…
Benjamin Warlop
Je le tiens de Marguerite Jallut :
Cela me semblait tellement sidérant que je me le suis fait confirmer par le guide que nous avions en décembre dans la visite-conférence des Lieux cachés de Versailles.
Nathalie Colas des Francs
Dans ce passage, il y a déjà un point qui me frappe : Marguerite Jallut cite-t-elle sa source, nous donne-t-elle une preuve, une image qui prouve son propos ? Je suis pourtant à la page 156 de son ouvrage et je ne vois aucune note en bas de page ou à la fin du livre. Pour une telle affirmation, qui est censée confirmée sa théorie sur les relations de Marie-Antoinette avec Fersen, la moindre des choses serait de donner une preuve. Dire, écrire ne suffit pas. Qu’elle soit conservateur du château de Versailles n’y suffit pas non plus. Au contraire même. C’est grave venant d’une personne de son niveau professionnel.
De toute façon, croire ce qu’elle dit parce qu’elle travaille à Versailles serait trop simple. Dans ces conditions pourquoi ne pas croire non plus Baraton qui décrit les jardins de Versailles comme le lieu des pires turpitudes sous les rois, sous prétexte qu’il les connaît bien en tant que jardinier en chef…
L’argument du guide n’est pas non plus recevable : pour la visite des appartements dits de Fersen que j’ai faite l’an dernier, notre guide a dit au groupe que c’était justement bien la preuve qu’ils ne pouvaient être amants car impossible alors que Louis XVI lui accorde ces lieux. S’il l’a fait, c’est qu’il savait qu’il n’avait rien à craindre. C’est donc à se demander qui croire puisque les guides de Versailles ne sont pas d’accords entre eux.
Pas de chance pour nous, nous tombons justement sur celui qui confirme ce que nous pensons ! :
Enfin revenons à l’objet en lui-même qui peut en effet tout à fait exister, pourquoi pas. Mais que des gens bien attentionnés placent aussitôt dans le dossier Fersen.
Marie-Antoinette a-t-elle oui ou non chercher toute sa vie, bien avant 1774, date de sa rencontre avec Fersen ou 1778, date du début de leur prétendue liaison chercher à sa cacher, à s’isoler, à se permettre une vie privée ? Pas besoin de Fersen pour ça !
Combien de personnes dès cette époque qui ont vu la reine fuir des contraintes publiques se sont dit, ont écrit, que c’était pour se livrer à une conduite inqualifiable, à recevoir des amants ? Et ceci bien avant la faveur de Fersen ! Que n’a-t-on glosé sur le cabinet des glaces mouvantes dont le mécanisme cherchait forcément à cacher l’attitude sulfureuse de la reine ?
Nous replongeons donc dans l’argumentation des pamphlets…
Non, nous savons tous très bien, sans y voir des amants ou un en particulier, voire des maîtresses, que Marie-Antoinette cherchait tout simplement à protéger sa vie privée. Quoi de plus légitime ?
Qui peut vraiment penser qu’elle s’enfermait, attitude très connue de sa part, dans l’attention de recevoir un amant ? Elle s’enfermait avec Rose Bertin dans ses cabinets privés, au grand dam des courtisans. Que faut-il en conclure ?
Il faudrait croire que Marguerite Jallut avait l’esprit bizarrement tourné…
Bref, que Marie-Antoinette ait pu avoir un tel mécanisme n’implique pas du tout qu’elle avait forcément un amant. Après, oui, si elle a eu un amant, celui-ci aurait été bien pratique. Mais il ne faut pas inverser les données du problème.
Enfin il faut croire si l’on se fie sans réfléchir à madame Jallut que Marie-Antoinette aurait reçu Fersen pour des privautés (sinon pourquoi s’enfermer ? ) dans sa chambre officielle !!! Mais c’est doubler le crime de lèse-majesté !!! Qu’elle s’organise une vie privée, qu’elle s’installe des lieux privés, qu’elle mène la vie d’une femme privée avec ce que cela peut impliquer, pourquoi pas à la rigueur, mais pas dans le lieu où s’incarne sa majesté, sa propre essence de reine donnant des successeurs au trône de France dans cette chambre même ! Elle aurait conçu des bâtards dans la chambre où doit naître le futur roi de France ?
Marie-Antoinette aurait donc perdu toute vergogne à ce point ?
Ce n’est pas nier à Marie-Antoinette sa nature de femme de ne pas accepter qu’elle soit coupable d’un crime. Ce n’est pas non plus placer Marie-Antoinette sur un piédestal. Quand je relis ce que j’ai écrit sur elle dans un autre sujet, je suis loin d’en faire une déesse. C’est une femme avec ses passions, ses qualités, ses goûts mais aussi ses défauts, ses peurs, etc.
Je rappelle d’ailleurs au passage que la Reine n’est jamais seule : non la reine ne fait pas la cuisine au Petit Trianon et n’assure pas le service quand elle reçoit des intimes.
Si elle s’enferme dans sa chambre officielle, les domestiques autour savent qu’elle est seule ou bien avec le Roi. Elle écrit des lettres qui parlent et de sa vie intime et aussi de politique, s’engageant à soutenir sa famille au détriment du pays de son mari. Et elle ne ménage pas ses critiques sur certaines personnes qui auraient pu lui nuire si cela leur était revenu aux oreilles… Il lui faut donc écrire très souvent en cachette.
Elle reçoit aussi peut-être des intimes à qui elle confie des secrets privés ou politiques.
Mais la femme de chambre qui est sortie de la chambre et attend dans un petit cabinet juste derrière le lit sait qu’il ne peut y avoir rien à craindre. Si elle accepte de laisser la reine avec un homme suspect de vouloir plus que discuter, ou même si c’est la Reine qui souhaite plus, la femme de chambre de service commet également un crime de lèse-majesté. De la trahison d’Etat. On a condamné à mort pour moins que ça. Je ne vois pas qui aurait pu s’y risquer…
D’ailleurs quand le roi ne rejoint pas la Reine, ce qui arrive souvent, la femme de chambre de service est tenue à dormir auprès de la reine dans un lit à côté de celui de la reine. Comme le Roi d’ailleurs avec son premier valet de chambre.
Marie-Antoinette a pu peut-être réussi à écarter sa femme de chambre jusqu’au petit cabinet que j’ai signalé précédemment. mais où il est situé ne permet pas de cacher grand chose de ce qui se passe dans le lit de la Reine…
Pourquoi si Marie-Antoinette reçoit seule l’abbé de Vermond, madame de Polignac, ou je ne sais qui d’autre, Lauzun au hasard, il ne se passe rien et dès que cela concerne Fersen allez, tout s’emballe ? Marie-Antoinette s’enferme, donc c’est bien la preuve…
Juste avant de finir : personne ne se serait étonné que la reine se fasse installer un tel mécanisme ? Si c’est pour recevoir son amant comme semble le croire Marguerite Jallut, elle aurait bien été obligée de faire les travaux de façon privée, non ? Or, tout ce qui implique sa chambre officielle est du domaine public. Le Garde-meuble de la Couronne est au courant, son intendant Thierry de Ville d’Avray qui se trouve être également le premier valet de chambre de Louis XVI. Et il aurait accepté un moyen pour que la reine reçoive son amant en toute discrétion ? Soyons sérieux ! Les ouvriers auraient pu confirmer les libelles…
Non, si ce mécanisme fut installé, c’est qu’il n’avait rien de secret et que n’importe qui, le Roi en premier, comprenait très bien que la Reine avait envie de s’enfermer dans sa chambre.
D’ailleurs quand on connaît sa chambre, on peut comprendre d’avoir envie d’en fermer toutes les issues tant cela doit être impressionnant de dormir là-dedans.
Et remarquons que personne n’a eu l’idée de l’utiliser au matin du 6 octobre… Même pas Fersen heureux bénéficiaire de ce mécanisme et censé être auprès de Marie-Antoinette à ce moment…
D’ailleurs Marguerite Jallut admet elle-même qu’elle est si peu convaincue de sa preuve qu’elle termine ce passage par « Plus convaincant encore… » pour évoquer ensuite le fameux appartement. C’est donc bien qu’elle sait que ce qu’elle dit précédemment ne l’est guère…
Le livre de Mme Jallut ne traite pas de la chambre de la reine, que je sache.
Nathalie Colas des Francs
Un peu quand même…
Son livre est une somme des architectures, peintures, sculptures, dessins, gravures, bibliothèques, objets d’art, tissus, modes, meubles, décorations se rapportant à Marie-Antoinette, avec force descriptions et illustrations à l’appui.
Inutile de rappeler que sa chambre officielle est la pièce principale qui montre à tous ceux qui y ont accès et ils sont nombreux à la fois le rang et le goût de Marie-Antoinette et son intérêt pour l’aménagement intérieur. C’est en quelque sorte la vitrine de ce que la reine commande aux arts et aux plus grands artisans de son temps.
Mais pour s’assurer que la chambre de la reine a bien une place importante dans cet ouvrage, feuilletons ensemble notre livre qui semble être de la même édition.
De la page 82 à 88, nous pouvons justement lire toute une explication sur les meubles, matériaux employés, tissus du XVIIIème siècles et la part majeure de Marie-Antoinette à cet égard. Sa chambre est bien évidemment incluse implicitement dans ce passage.
Olivia Legrand
Mme Jallut n’a pas besoin de sources : elle est dans les lieux . Il y a sans doute des vestiges de ce système, sinon elle n’en parlerait pas.
Mais non, c’est trop simple. Tu trouves plus crédible que cette dame invente une histoire de cordon, qu’elle mente, purement et simplement, au vu et au su de tous ses éminents collègues du château ?
Non mais franchement, je vous le demande, qui sommes-nous pour nous permettre un ton suspicieux et arrogant à l’égard de Marguerite Jallut ?
Comment douter qu’un Conservateur du château ne connaisse mieux Versailles que quiconque ?
Nathalis Colas des Francs
C’est qu’il reste encore quelque chose de ce mécanisme in situ.
Ce n’est pas la connaissance d’une source écrite.
Nathalie Colas des Francs
Alors pourquoi pas de photo à l’appui dans le livre pourtant très bien documenté de Marguerite Jallut ? La guide qui t’en a parlé t’a montré de visu ce mécanisme ?
Olivia Legrand
Non. Nous n’étions pas dans la chambre en question, mais à l’extérieur devant le petit escalier dit des Dupes. C’était la visite intitulée des lieux cachés.
Nathalis Colas des Francs
Le problème est que Marguerite Jallut prend ce mécanisme comme une preuve de leurs relations intimes. Alors que de toi-même tu es d’accord pour dire qu’en effet la reine pouvait s’enfermer évidemment pour autre chose.
Je rappelle que ceux qui critiquaient la reine parce qu’elle s’isolait l’accusaient justement de galipettes !
Ce que Marguerite Jallut affirme et toi aussi à ton tour !!!
Non la reine veut s’isoler parce qu’elle en a tout simplement besoin. Rien de compliqué à comprendre. C’est naturel, pas besoin d’y voir la preuve qu’elle avait un amant.
Si l’on donne des preuves à leurs relations, qu’elles soient crédibles ! Celle-ci n’est en aucun cas recevable.
1/Parce que nous n’avons pas de preuve formelle pour l’instant d’un tel mécansime.
2/Parce que si mécanisme existant, ceci ne signifie pas pour autant qu’il ait été prévu pour recevoir Fersen.
Olivia Legrand
Le mécanisme des glaces mouvantes de Trianon n’ayant pas été modifié ni à la révolution, ni après, pourquoi celui-ci n’existerait-il plus?
Benjamin Warlop
Peut-être parce qu’un système de cordon est autrement plus léger, donc plus fragile, que de grandes glaces mouvantes.
Nathalie Colas des Francs
Pourquoi Evelyne Lever n’en a jamais parlé?
Ca aurait appuyé bien des choses dans ce qu’elle aimerait voir comme historique…
Pourtant… non…
Ca me donne envie de lui passer un coup de fil, tiens !
Benjamin Warlop
C’est que, précisément, un Conservateur de Versailles a une bien meilleure connaissance des lieux qu’un bon historien .
Nathalie Colas des Francs
J’ai reparcouru tous les ouvrages de Xavier Salmon ce matin… tous ou presque évoque la chambre de la Reine et Ses installations pour Son aise…
Or Xavier Salmon a été conservateur au musée national du Château de Versailles depuis 1993, il semble ne plus l’être, mais a occupé un poste qui lui permettait, ce me semble d’apporter aussi des détails intéressants quant à l’installation que Marie-Antoinette aurait pu avoir faite dans Sa chambre…
Benjamin Warlop
Mais enfin je me répète, je l’ai dit et redit ce cordon, je ne nie pas son existence !!! Il est en effet plus que plausible que Marie-Antoinette se fasse installer un tel système un peu partout où elle vivait car elle voulait avoir la paix. C’est une donnée essentielle de sa personnalité. Pas besoin de Fersen pour ça.
Mais :
1/Madame Jallut n’apporte aucune preuve à ses dires.
2/Qui dit cordon ne dit pas forcément roucoulades puisque certainement utiliser à d’autres desseins.
Non, madame Jallut l’utilise comme argument à sa démonstation des amours de Marie-Antoinette et Fersen. Ce n’est pas sérieux.
Olivia Legrand
Cette histoire de cordon me fait penser à un pamphlet (les amours de Charlot et Toinon, ou quelque chose comme ca), dans lequel tout le monde est averti des ébats d’Antoinette et d’Artois, car les amants trop pressés ont coincé sous leurs anatomies le…cordon de sonnette qui ne cesse d’agiter la clochette dans la pièce voisine…
Gérard Ousset
Ils s’aimaient et ils étaient amants . L’hypothèse est largement dépassée, sauf sacralisation mystique de Marie-Antoinette avec aveuglement délibéré à la clef, ou pudibonderie XIXème à la gomme.
Nathalie Colas des Francs
Là tu avances une thèse auxquelles tes preuves ne répondent pas ! Et ta thèse doit être LA vraie vérité à imposer à tous !
Pour ma part, je me pose toujours la question mais je demande à avoir des preuves pour avancer historiquement et scientifiquement : Même Evelyne Lever , qui a assurément lu Marguerite Jallut, n’en tire pas les conclusions que tu affirmes avec autant d’assurance.
Tu exposes des arguments qui se trouvent n’être pas des preuves… mais peut-être des traces anti-scientifiques puisque ce n’est pas là une conclusions à partir de constats, mais des éléments qu’on apporte à une conclusion déjà formulée et qu’on défend bec et ongles…
Alors merci d’apporter une eau plus sérieuse à ton moulin !
Benjamin Warlop
Lors d’une soirée spéciale mécènes, Vincent Bastien, conservateur en chef du château, menait l’un de ces groupes. Or voilà-t-y pas que ce monsieur a évoqué ce fameux cordon disparu, et le livre de Marguerite Jallut comme la référence incontournable pour une connaissance approfondie de Versailles .
Comment les historiens du château savent-ils que ce mécanisme de fermeture et ouverture simultanée des portes de la chambre de la reine a existé autrefois alors qu’il n’en reste plus de vestiges aujourd’hui ?
C’est tout simple : il faut en chercher la trace dans les archives des travaux effectués à Versailles . L’on trouve alors des mémoires de paiement des serruriers ( comme on appelait les factures à l’époque ) , avec l’objet du travail effectué .
M. Vincent Bastien a non seulement confirmé l’installation de ce mécanisme à Versailles mais il a ajouté que Marie-Antoinette avait fait installer le même à Trianon également, en même temps qu’était réalisé le salon des glaces mouvantes (dont l’ingéniosité fait toujours notre admiration ).
L’ingénieur de la reine, Jean-Tobie Mercklein, est l’inventeur du système de poulies permettant de faire monter ou descendre les glaces à volonté.
Est-ce aussi Mercklein qui a conçu pour Marie-Antoinette le mécanisme du cordon? Ce n’est pas impossible …
Explication de M. Vincent Bastien :
Quelques guides et conférenciers ignorent encore l’existence passée de ce dispositif faute d’être allés fouiller les archives et d’avoir eu connaissance des mémoires de paiement des serruriers .
Nathalie Colas des Francs
Intéressante découverte ! Puisque ces documents existent, il nous faut les retrouver !
L’on saura ainsi dans le détails des hommes d’oeuvre ce en quoi consistait ce mécanisme !
Benjamin Warlop
Si je reprends ces mots qui sont ceux d’une personne que tu cites, et non explicitement en plus, M. Vincent Bastien a évoqué ce fameux cordon disparu, parle du livre de Marguerite Jallut comme une référence (qui le nierait ? ) pour une connaissance approfondie de Versailles.
Mais est-il bien sûr que l’évocation de ce cordon puis celle du livre de Marguerite Jallut s’est fait au même moment ? Car j’ose espérer que les conservateurs de Versailles ne citent pas Marguerite Jallut uniquement pour parler de ce cordon. Elle a écrit autre chose.
Ce sont peut-être deux infos totalement étrangères l’une à l’autre. Tu ne peux pas le savoir plus que moi n’ayant pas été visiblement à cette conférence. Si c’est parce que machin ou Momo te l’a’ dit, c’est difficilement recevable historiquement.
L’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours…
Je parlais plus haut de raccourcis d’historiens. Qu’en est-il lorsqu’il s’agit de paroles rapportés indirectement ?
Et je constate pour finir que M. Vincent Bastien confirme l’installation de ce mécanisme à Versailles. C’est grand Versailles !!!
Ou confirme-t-il qu’il fut installé dans la chambre officielle de la reine ? Nulle part si je me fie aux paroles rapportées. Le témoin apparemment a ensuite fait le lien avec les glaces mouvantes du Petit Trianon et de son concepteur et en suppose pourquoi pas le nom de celui qui installa le cordon, on ne sait où, quelque part à Versailles. Aucune preuve, puisqu’il s’agit d’une supposition. Même pas explicitée par l’intéressé.
Olivia Legrand
C’est dans la chambre du rez de chaussée que fut installée le fameux dispositif permettant à la reine d’ouvrir et de fermer les portes de cette pièce et à volonté depuis son lit.
Monsieur de Castelnau du Boudoir de Marie-Antoinette
Je crois que c’est bien de ce cordon de la chambre verte que Vincent Bastien parlait et que nous étions donc d’accord depuis le début, mais qu’il y a eu confusion car LA chambre de Marie-Antoinette était celle-ci et non la chambre officielle , trop haute et trop difficile à chauffer en hiver.
Benjamin Warlop
Et Marie-Antoinette préférait le rez-de-chaussée à cause de sa mauvaise jambe. Nous remarquons que l’aménagement de cet appartement date de 1782, année où elle se blessa.
C’est aussi pour cela, que malgré les risque encourus, elle logea au rez-de-chaussée aux Tuileries. C’est désormais tout à fait logique : il y a bien eu cordon, mais dans la chambre du bas, à destination privée.
Olivia Legrand
Pas tout à fait .
Au début , il y avait contestation de l’existence-même de ce cordon, ainsi que des écrits de Mme Jallut
Nathalie Colas des Francs
Ce qui nous interpellait c’était l’installation de ce mécanisme dans la chambre officielle…
Il semblait incongru de n’y rien retrouver aujourd’hui. Cela est désormais expliqué.
En plus la chambre verte a nécessité tout un aménagement pour en faire le lieu de la Reine à partir de la bibliothèque de Madame Sophie.
Tout semble ainsi plus logique !
Benjamin Warlop
Mme Jallut et M. Vincent Bastien parlent bien de la chambre officielle .
Quand on parle de la chambre du bas, c’est explicité.
La chambre de la reine signifie normalement celle du haut.
Nathalie Colas des Francs
C’est bien là qu’est sans doute l’erreur.
J’avais donc des raisons de contester.
Si cela s’appuie sur des factures de serruriers pour la chambre de la Reine, l’une comme l’autre répondent à cette appellation. Or on sait finalement depuis le début que c’est de celle du rez de chaussé qu’il s’agit !
Benjamin Warlop
Oui mais même l’historien le plus chevronné n’est pas exempt de raccourcis. Volontaires ou non.
Olivia Legrand
Michelle Sapori rapporte dans son livre sur Rougeville qu’elle a dû corriger des affirmations du grand Gosselin Lenôtre en reprenant les dossiers qu’il avait pourtant consultés, parce qu’elle est allée plus loin que lui dans la recherche…
Benjamin Warlop
Encore une fois, on se demande pourquoi ce sujet se trouve dans la rubrique Fersen.
Olivia Legrand
Ce cordon ressemblait à cela, en tous cas dans le principe :
Anthony Spawforth, historien britannique, spécialiste du château de Versailles est auteur de Versailles, a biography of a palace :
du 16 Avril 1785
Livré à Monsieur Campan Secrétaire
du Cabinet de la Reine, par Gagnelin
Graveur Ciseleur, ce que suit,
— — — — —
= Un porte mousqueton à Barrette, ressort
et la vis recouverte d’une bobinette d’or
tournante pour moins user la soie
= Un petit Globe d’or uni percé de quatre
trous à passer le cordon, et une petite chasse
= Et trois anneaux d’or ouvrants, dont
l’or et la façon de tout monte à la somme
de . . . . . . . . £ 50
Cent quatre … ( ? )
Observations pour monter
ce cordon solidement
Fortifier la soie d’une faveur étroite à
l’endroit du frottement ou arrêt d’en haut
— — —
Défaire la vis et en sortir la bobinette
pour y placer dessus et contre le centre
le haut du cordon fortifié plat pour
le couper, et qu’il n’échappe.
Remettre ces deux pièces à leur place
telles qu’elles étaient tournées, pour
rencontrer l’écrou juste.
— — —
Je ne parle pas du petit globe où
l’on trouvera moins d’écartement
dans le bas que l’autre fois.
— — —
Et il est mieux d’embrasser les an-
neaux ouvrants avec la soie, que de
les passer après coup, en risquant de
couper et forcer sans nécessité.
— — —
Haleter sur les pièces et les ressuyer d’une
vieille mousseline.
» locks and system of movement made in the château in the bedroomsss (sic) of the Queen so that she can open and close the doors from her bed at will. «
( Richard Mique )
» bedroomsss » must refer also to Marie Antoinette’s second bedroom on the floor below
( Anthony Spawforth )
Nathalie Colas des Francs
Cela concerne donc la chambre verte du rez-de-chaussé car l’on sait que c’est là que logeait Marie-Antoinette en 1785 . Je continue à penser que s’il y avait eu de pareils aménagements dans une pièce aussi officielle que la chambre d’apparat, cela ne pourrait être aussi peu connu de nos jours.
En bas, en face de la chambre verte de Marie-Antoinette, se trouve Sa salle-de-bain avec son lit de repos qui peut logiquement la faire qualifier de bedroom … vu son emplacement, on en comprendrait d’autant plus la demande d’un tel mécanisme.
Benjamin Warlop
Je ne comprendrai jamais l’acharnement sur ce sujet. Marie-Antoinette avait des moyens pour s’enfermer : dans toutes ses résidences, elle installe des espaces intimes.
Normal, elle passe son temps à vouloir s’isoler, se créer une vie privée. Bien avant de tomber amoureuse en 1778 !
Elle ferme le verrou de sa chambre à Fontainebleau aux yeux de toute la cour qui voit Louis XVI rentrer tout penaud dans sa propre chambre. Je n’ai plus la date en tête. Mais deux possibilités : si c’est avant 1778, pas de Fersen. Si c’est après, personne ne va me dire qu’elle ferme sa porte au roi pour y recevoir Fersen !!! Dans les deux cas : elle veut la paix, être tranquille.
Cela n’indique pas une bonne entente conjugale, certes. Mais cela ne prouve pas non plus qu’elle ait un amant. Avec un tel coup, rien de plus logique pour que Louis XVI prenne une maîtresse. Ce n’est pas le cas.
Pourquoi le serait-ce pour Marie-Antoinette ? Revenons à son désir d’intimité. Il n’y a qu’à lister sa méridienne à Versailles, son boudoir turc à Fontainebleau, son Cabinet aux Glaces mouvantes au Petit Trianon… Souhaiter accéder à une vie privée est tout ce qu’il y a de plus naturel.
C’est une part essentielle de la personnalité de Marie-Antoinette.
Pas besoin de placer un tel sujet dans la rubrique Axel de Fersen.
Là encore, je ne vois toujours pas le lien.
La recherche pourrait être passionnante, si elle n’était biaisée d’avance.
Que Marie-Antoinette s’enferme ne prouve en rien qu’elle recevait un amant. Ou plusieurs, comme le disaient les pamphlets pour qui rappelons-le, la volonté constante de la reine de vouloir s’enfermer constituait la preuve de ses débauches.
Affirmer pour un ou pour plusieurs ne diffère pas : penser que s’enfermer est suspect, louche, suffit.
Oui Marie-Antoinette s’enfermait. Personne ne le nie. Et alors ?
On a l’impression que pour certains prouver l’existence de ce cordon de fermeture est « la » preuve tant espérée.
Je rappellerais d’autre part que si Marie-Antoinette est seule dans une pièce, ou avec un ou deux intimes auprès d’elle, plusieurs personnes, se trouvaient dans les pièces attenantes, ne serait-ce que pour servir la reine et ses invités si besoin est. Elle ne préparait pas le thé et les biscuits toute seule !
Olivia Legrand
Le fait est que Marguerite Jallut était taxée d’avoir inventé cette histoire de cordon ( comme si un conservateur de Versailles pouvait affabuler ) .
Nous voilà tous d’accord sur l’existence de ce système de fermeture, à Versailles, à Trianon : tout est bien.
Nathalie Colas des Francs
Personne n’a dit qu’elle affabulait, mais qu’elle pouvait se tromper.
Pourquoi serait-ce impossible qu’un conservateur puisse se tromper ?
L’erreur est humaine. Marguerite Jallut est bien un être humain ?
Il y a la lettre de Mique comme nouvel élément. Or, toujours pas trace de cette lettre.
Qui ferait pourtant bien avancer le schmiblick. Des cordons, il dut y en avoir beaucoup ! Si tu relis tout ce sujet, tu admettras peut-être que je n’ai jamais nié l’existence de ce cordon. Je pense même dėsormais qu’il y en a eu de nombreux.
C’est la façon dont Marguerite Jallut a agencé son texte, sans apporter de preuve tangible qui me dérange. Et encore plus de placer un détail d’avancée technologique destiné à un meilleur confort dans la rubrique Fersen.
Je ne vois pas le rapport.
Olivia Legrand
La personne qui assistait Jean Delannoy dans la mise en scène du film Marie-Antoinette (avec Michèle Morgan) et qui est dans le DVD avait parlé avec le conservateur de Versailles de l’époque du film sorti en 1956, donc tourné en 1955. Ce doit donc être de Gérald Van der Kemp (contemporain de Marguerite Jallut) qu’il s’agit… Il avait affirmé que la relation de Marie-Antoinette et Fersen était impossible pour lui tant la Reine était suivie où qu’Elle soit…
Monsieur Van der Kemp parlait du film comme ayant renforcé cette relation pour émouvoir les spectateurs, mais que cela n’était pas historique…
Ce serait-ce un document que Monsieur Van der Kemp aurait ignoré?
Non point. Comme tu l’as dit, un conservateur (surtout celui là, auquel le château doit tant !) ne pouvait que connaître ces informations.
Eh pourtant! Voilà quels furent ces mots !
Benjamin Warlop
Une chose me turlupine : si le cordon existait dans la chambre du premier étage, pourquoi ne pas l’avoir actionné le matin du 6 octobre 1789 ?
S’il y a bien eu un moment dans sa vie où celui-ci lui devenait indispensable, c’est bien là !!!
Cela n’aurait peut-être pas suffit devant une foule en furie, mais c’était déjà un peu de temps de gagné. Personne n’en parle.
D’autant qu’elle l’avait forcément actionné cette nuit-là puisque Fersen avait passé la nuit auprès d’elle.
Si ce n’est pas le cas, ce sujet n’a toujours pas de sens dans la rubrique consacrée à Axel de Fersen puisqu’elle ne l’utilise pas quand il est avec elle (ni quand elle vit le pire danger de sa vie).
Olivia Legrand
Tous ces développements sont-ils réellement nécessaires tant que nous n’avons pas trouvé l’article de la Gazette des Arts de 1964? Quant à la présence du cordon dans le sujet Fersen (vos interventions répétitives à ce sujet) , elle me semble procéder d’une certaine logique dans la mesure où il s’agit d’un élément qui, s’il était avéré, permettrait de penser que la reine avait la possibilité de s’isoler dans sa chambre sans être dérangée. Cela ne démontre pas bien évidemment l’existence d’une liaison Fersen Marie-Antoinette mais il me semble que cela la rend possible dans des conditions de relative sûreté pour la reine au sein même du château. En fin, grâce au ciel, je vous en prie, prenons un peu de recul par rapport à cette affaire. Rechercher l’existence éventuelle d’une liaison entre ces deux personnages historiques n’est pas manquer de respect à la reine mais simplement rechercher la vérité sur des rumeurs qui ont couru à (et depuis ) cette époque. La vérité historique n’aura qu’à y gagner.
Jean-Pierre Bernard, auteur d’Au Coeur du Pouvoir (2016) sur la coterie Polignac
Mais pourquoi mettre ceci dans le dossier Fersen, alors que nous pouvons consacrer cette recherche de cordon(s) dans des sujets consacrés aux aménagements intérieurs de Marie-Antoinette ? C’est un domaine qui est si passionnant.
Pourquoi ne demandez-vous pas à madame de Sabran (pseudonyme de Nathalie Colas des Francs) de prendre du recul vis-à-vis de ce sujet ? Qui a ouvert ce sujet ?
Qui l’a réouvert hier ?
Madame de Sabran a écrit plus de cinquante messages dans ce sujet.J’en suis à 38. J’ai bien le droit d’écrire si je le souhaite.
Apporte-t-elle plus que mes contributions ?
Consulter les Versalia sur ce sujet est une mauvaise idée ?
Si pour vous ce n’est pas manquer de respect envers la reine d’enquêter sur ces rumeurs, tant mieux. C’était bien un manque de respect à l’époque, je ne vois pas en quoi cela changerait aujourd’hui.
Depuis que je suis enfant, j’ai décidé de lutter contre les insultes faites à Marie-Antoinette. Je l’accepterais encore moins dans un forum qui lui est consacré.
Je comprends votre bonté d’âme de vouloir défendre madame de Sabran. C’est tout à votre honneur. Mais je vous jure, complètement inutile, je pense mieux la connaître que vous.Je tiens quand même à préciser qu’une des passions que m’a apportées Marie-Antoinette, c’est cette connaissance de ses aménagements intérieurs (et de là les arts décoratifs du XVIIIème siècle).
J’ai consacré deux ans de recherche notamment à sa chambre officielle. Je me suis occupée des naissances royales et de tous les meubles qu’ont connus les reines et dauphines des Bourbons.
Il est donc tout à fait légitime de ma part de vouloir connaître un élément « nouveau »de la chambre de Marie-Antoinette.
Ceux qui étudient ce sujet uniquement dans le but de prouver que Fersen y rejoignait la reine ont une curieuse conception de la recherche.
Olivia Legrand
Pour répondre à votre post, n’allez pas croire que je défends particulièrement l’hypothèse soulevée sur les éventuelles amours illégitimes de la reine. Je n’ai ni les connaissances nécessaires ni les accès aux archives ad hoc qui me permettraient d’entrer utilement dans ce débat. Je me contente simplement de vous expliquer que tenter de faire la part du vrai et du faux dans les rumeurs qui ont couru sur le sujet n’est pas faire insulte à Marie-Antoinette. La recherche historique devrait-elle se mettre des œillères devant les yeux pour ne pas risquer de porter atteinte à la réputation d’un personnage historique ? Drôle de manière alors de concevoir l’histoire! En ce sens Mme de Sabran me semble avoir eu raison de soulever la question de ce fameux cordon dans le sujet portant sur les relations de Fersen avec Marie-Antoinette car comme je viens de vous l’expliquer, si sa présence est bien confirmée, certes cela ne démontre rien, mais cela prouverait que la reine avait la possibilité de s’isoler de son entourage quand elle le souhaitait et affaiblirait l’argument que l’on entend souvent à ce propos selon lequel la reine n’aurait pas pu rencontrer Fersen dans son privé sans que cela se sache parce qu’elle n’était jamais seule.
Par ailleurs n’allez surtout pas croire que je mets en doute vos connaissances sur ce type de sujet ou la compétence que vous avez acquise par des études sanctionnées certainement par des diplômes universitaires bien mérités. Je noterai simplement qu’en nous dévoilant que, depuis l’enfance, vous avez décidé de lutter contre les insultes faites à Marie-Antoinette, vous reconnaissez vous même que vous faites preuve d’un à priori tout à fait subjectif qui ne convient pas à l’objectivité nécessaire dans toute débat historique. Car, il y aurait effectivement une atteinte à la mémoire de Marie-Antoinette, si l’on persistait à lui attribuer cette liaison alors qu’il serait démontré qu’il ne s’est rien passé entre eux. Mais comme ce n’est toujours pas le cas, retirons donc le mot insulte pour le remplacer par un simple désir de connaitre la réalité du personnage derrière l’image que les uns où les autres et pour des raisons diverses et pas toujours honorables, vous en conviendrez, ont voulu en donner.
Enfin et je terminerai sur ce point, si vous m’en croyez, évitons de personnaliser ce débat et gardons pour nous nos appréciations sur la bonne foi des uns et des autres. Il s’agit simplement d’une joute entre personnes d’avis différents qui ne doit pas se transformer en un pugilat désagréable pour tous par posts interposés.
Jean-Pierre Bernard
Certaines personnes n’ont pas votre humilité et en prétendant prouver leurs dires font une démonstration du contraire puisque l’Histoire est réécrite pour mieux correspondre à leur version des faits.
On en vient à conclure que la vérité historique diffère de ce qu’ils racontent. N’est-ce pas une singulière conception que de s’appuyer sur le fait que Marie-Antoinette était en chemise de nuit le matin du 6 octobre 1789 pour conclure qu’Elle s’est donc couchée…. et que comme Fersen ne peut s’être séparé d’Elle, ils ont forcément passé cette nuit tragique ensemble?
TOUS les témoignages démentent cette farce. Si , alors, vous considérez que la réputation de Marie-Antoinette n’est pas mise à mal pour complaire au scénario du roman qu’il faut que Marie-Antoinette aient vécu, il sera difficile de poursuivre le débat… Le seul nouvel argument étant » ( Gazette des Beaux Arts 1964 ) , a letter of Mique » adressée à Monsieur Campan, secrétaire des cabinets de la Reine, à savoir Ses petits appartements privés, pas Son grand appartement, il serait profitable de retrouver cette Gazette des Beaux-Arts afin de ne pas supposer mais de constater, peut-être…
Car dans l’inventaire très précis de la chambre de la Reine qu’a cité Reinette, où la moindre embrase est mentionnée , on ne retrouve pas ce fameux cordon.
« Si sa présence est bien confirmée » disiez-vous, eh bien elle ne l’est pas ! Vous n’êtes pas sans savoir que les propos de Reinette s’appuient sur un livre que vous avez , vous aussi, lu qui transpire de subjectivité, puisqu’il s’appuie sur une conviction…
Emmanuel de Waresquiel rappelait justement que c’est une même conviction des jurés de Son procès (puisqu’ils n’avaient vu aucune preuve de Sa « culpabilité ») que Marie-Antoinette a été condamnée à mourir…
Dans un tel contexte, il n’y a point à rougir de penser et d’agir avec subjectivité… pour contrer les pamphlets qui ont détruit la réputation de la Reine …. et qui L’ont tuée, comme Elle l’avait pressentie …en les comparant aux poisons du siècle précédent. J’étais du même point de vue que vous avant de constater que les preuves de cette liaison étaient grossièrement fabriquées… Vous n’avez que raison, évidemment, mais Marie-Antoinette tient une place si importante dans l’existence de certains d’entre nous que La défendre indifféremment de nous nous est impossible, aussi est-ce avec cœur, âme et tripes que nous nous acquittons à cette tâche…
Sans doute le débat serait-il plus facile pour tous si l’on pouvait effectivement compter sur la bonne foi de chacun. Mais cela reste une utopie !
Benjamin Warlop
J’ai lu avec attention votre message et, croyez le bien, je comprends parfaitement les nobles sentiments qui vous animent. Mais ne m’entrainez pas dans le fond d’un débat dans lequel je ne veux pas aller au-delà d’un point sur lequel, à peu près tout le monde s’accorde (y compris l’éminent historien qu’est Emannuel Waresquiel), et que les dernières découvertes scientifiques donc objectives dans le domaine de la cryptographie n’ont fait que renforcer, je veux parler de l’existence indéniable d’un sentiment amoureux de la part de Marie-Antoinette à l’égard du comte de Fersen. Aller plus loin serait pour l’instant encore pures conjectures mais conjectures qu’à mon humble avis il ne faut esquiver si l’on veut faire preuve d’objectivité dans la recherche de la vérité.
Non, si je suis intervenu dans ce débat c’est simplement par ce que l’argumentation de Reinette me gênait quant à la logique du raisonnement. Je veux parler bien évidemment de son refus d’admettre qu’introduire des informations sur l’existence éventuelle d’un cordon permettant de bloquer les portes dans la chambre de la reine est un élément important de ce débat. Je veux également parler de son refus d’admettre qu’émettre l’hypothèse d’une liaison physique entre ces deux personnages historiques et chercher à la vérifier n’est pas faire injure à la reine (je préférerais dire pour être plus exact porter atteinte à sa mémoire). Je me suis bien gardé d’aller plus loin sur le fond du problème et il me semble que nous devrions en rester là en attendant que d’autres découvertes nous permettent de confirmer ou d’infirmer les positions des uns et des autres.
Bien amicalement.
Jean-Pierre Bernard
Sinon, nous avons un intéressant échange, sûrement très daté dans Passion Histoire entre M. de Choisy et Gentilhomme de la Chambre qui évoque cet article de Marguerite Jallut mais dont le coeur ne semble pas du tout être ce cordon.
J’ai l’inventaire de la chambre en 1787 (pour rappel, c’est le sujet de mon mémoire de maîtrise)!!!
En hiver :
Un grand meuble d’hiver complet, Brocard d’or et argent sur fond cramoisi, dessin à grand cartouche avec pilastre à colonne torse, orné ainsi que le meuble de broderie en enrichissement de paillette (bouillon ?), bombé or et argent dans toutes les parties du dessin, orné de frange d’or à guirlande de cartisane doré et (bouillonnades ?)
Le dit meuble composé, Savoir :
– Un lit à la duchesse à grande impériale en voussure, surmonté d’un couronnement richement sculpté orné d’une corniche à contour fleurons et guirlandes surmonté d’enfants et divers attributs tenant des branches de lys et couronnes de fleurs le tout doré
Le chantourné orné id sculpté doré
les 2 colonnes du chevet et les 2 piliers recouvert de satin cramoisi,
Les étoffes composées de la courtepointe brodée et soubassement, orne de franges et galon
Un chantourné, grand dossier, 4 bonnes grâces bordé de mollet,
L’impériale voussée, 4 pentes intérieures ornées de franges, 3 grandes pentes,
Les rideaux du lit en gros de tours cramoisi bordé de mollet
– La tapisserie en 4 pièces dudit brocard orné de pilastres à colonnes torses et bordures en broderie, doublée de toile.
– 4 portières dudit brocard bordé de mollet doublé de gros de tours
– 4 cantonnières du dit brocard doublé de gros de tours bordé de mollet
– 4 parties de rideaux de croisée de gros de tours bordé de mollet<