Le mythe Fersen : état de la recherche

Tyrone Power & Norma Shearer dans Marie-Antoinette (1938) de Van Dyke
La signature d'Axel de Fersen
Sommaire : 
  • Introduction 
  • 1/ Chronologies des faits
    -> en 1787 : l’appartement attribué à Fersen à Versailles
    -> Marie-Antoinette et le comte de Fersen La Correspondance secrète d’Evelyn Farr
  • 2/ Le dagbok
  • 3/ La correspondance entre Marie-Antoinette et Fersen
  • 4/ Analyse de ce qu’en disent les historiens du XIXe siècle
    -> Madame Eloffe, Gustave-Armand de Reiset
    -> Louis Geoffroy
    -> Arthur-Léon Imbert de Saint-Amand
  • 5/ Analyse de ce qu’en disent les historiens du XXe siècle
    -> Alma Söderhjelm
    -> Stefan Zweig
    -> André Castelot
    -> Paul et Pierrette Girault de Coursac
    -> Françoise Kermina
    -> Evelyne Lever
    -> Simone Bertière
  • 6/ Les femmes autour de Fersen
    -> Hedwige-Charlotte de Sudermanie
    -> Catherine Leyel
    -> Eléonore Sullivan et la baronne de Korff
  • 7/ Les relations franco-suédoises (du point de vue du mythe de Fersen)

    Marie-Antoinette et Axel de Fersen Correspondance Secrète d’IsabelleAristide-Hastir
  •  Sources et bibliographie
  •  Historiographie

Introduction

Notre propos n’est pas de déterminer s’ils l’ont fait ou pas. Nous cherchons à mettre en exergue tout ce qui concerne cette histoire d’amour et de mettre en lumière ses failles. Car elles sont nombreuses. Le mystère restera toujours. Seulement, ce qui nous en est généralement raconté repose sur du faux.

Voyons l’histoire telle qu’elle nous est contée, expurgée de toutes ses aspérités, incohérences et contradictions. Cette histoire est tellement belle !  Une jeune princesse mal mariée s’ennuie dans une cour frelatée, avec un époux gentil mais qui ne la fait pas du tout vibrer et qui tente vainement à la rendre femme. Un soir d’opéra, la jeune princesse de dix-huit ans tombe sur le plus beau jeune gentilhomme d’Europe, le plus à la mode, l’objet de désirs de toutes les femmes ! Elle joue incognito à le séduire. Coup de foudre !  Quelques années plus tard, Elle est Reine, Elle s’ennuie toujours, Elle est entourée de courtisans et dames ambitieux qui ne se préoccupent d’Elle que pour lui retirer mille et une faveurs.

Son mari Lui a enfin fait un enfant, mais bon ce n’est pas l’extase… Que voulez-vous, il est gros, il n’a aucun goût raffiné, il est ennuyeux car très intellectuel mais aussi très manuel (le rustre ! ) et Elle fait ce qu’Elle veut de lui !

Alors Elle oublie Sa vie sans profondeur dans un tourbillon de fêtes, de jeux, de bals… Elle attend, attend qu’arrive enfin un événement  qui Lui change ce quotidien si vide ! Et là, qui débarque ?    Elle ne l’a jamais oublié   ! Il entre dans Sa coterie, forcément jalouse ! Car lui ne demande rien, la contemplation de l’être aimé lui suffit.
Il se montre habillé de son costume suédois, il joue de la musique avec Elle… Amour, amour… En toute innocence mais c’est si dur de lutter !  Alors inquiet des ravages qu’il commet dans le coeur d’une femme qu’il n’a pas droit de compromettre, il fuit, il part se battre en Amérique ! Si ça, ce n’est pas romantique ! 
Il revient quelques années plus tard, plus mûri, plus sage. Mais hélas, il sait qu’il ne peut plus lutter contre cet amour de plus en plus fort, renforcé par l’éloignement. Désormais, Elle va tout faire pour le garder à sa Cour, il sera de plus en plus proche de Sa personne.
Mais hélas, il doit suivre malgré lui son Roi que forcément Elle déteste car il sépare ces deux âmes qui n’en font qu’une (plus que Son propre mari qui ne voit rien de rien ), à travers un tour d’Europe. Alors à l’arrivée du Roi de Suède en France, Elle organise officiellement une fête à ce Roi, dans Son domaine privé, mais tous savent qu’officieusement, c’est pour célébrer Son amour, avec feux d’artifices, illumination du Temple de l’Amour ! Et neuf mois plus tard, naîtra Son Chou d’Amour, Son enfant préféré… On essaye de prévenir le Roi, pauvre type, il fait de la peine. Mais Marie-Antoinette, tellement puissante sur l’esprit du Roi arrive à lui faire accepter qu’ils n’ont pas meilleur ami que Son amant. Et pour couronner le tout, réussit à faire comprendre à Son époux, tellement brave, qu’après quatre enfants (dont un Dauphin malade et deux filles), il est temps de cesser les liens conjugaux. Arrivent maintenant les premiers nuages. Sur qui peut-Elle compter ? L’homme de Sa vie, évidemment, qui ne cessera de faire des lieues et des lieues pour La réconforter ! Et à partir de maintenant, Elle pleurera beaucoup !

Tellement plus que Son propre mari qui depuis toujours a prouvé sa faiblesse ! Il sera le seul à rester quand tous les ambitieux des beaux jours fuient cette Reine désormais maudite. Il La suivra à Paris. Un dernier bel été leur permet  de se retrouver en toute intimité, de grandes balades à cheval qui laissent espérer partir un jour plus loin…. Leur amour impose tellement le respect que La Fayette lui-même fermera les yeux sur ces rencontres.
Il va tout faire pour La sortir de Paris, tout organiser, seul ! Quitte à se sacrifier ! La nuit tant attendue arrive : mais là pour la seule et unique fois, Louis XVI se réveille, à la fois pour son honneur de Roi et d’époux. Il était temps !   Mais cette décision si inattendue sera la cause de l’échec de l’expédition ! 
Après un retour cauchemardesque, Marie-Antoinette lui lâche entièrement ses sentiments, tant contenus depuis des années.
Elle l’appelle au secours. Elle n’a plus que lui, et lui seul, abandonnée de tous. Il arrive clandestinement aux Tuileries quelques mois plus tard. Une folle nuit les attend…. Enfin, depuis toutes ces années d’amour contenu !     
Ils ne savent pas ou peut-être le ressentent-ils inconsciemment que ce sera leur dernière rencontre. Ils s’écriront, toujours avec des mots fous d’amour, à tout tenter, à eux seuls, pour sauver la monarchie. Mais, au lieu d’une victoire,  Elle se retrouvera prisonnière dans une tour, puis dans un cachot pour finir sur l’échafaud. Et notre malheureux héros errera désormais comme une âme en peine.

Axel de Fersen à l'annonce de la mort de Marie-Antoinette dans Lady Oscar

Vous ne trouvez pas que c’est plus le scénario d’un roman à l’eau de rose que la réalité historique ? Et c’est bien celui-là qu’on nous présente depuis plus d’un siècle, dans la plupart des livres sur le sujet et dans tous les films, séries…

Le problème est de savoir où caser les éléments qui ne vont pas avec ce synopsis si parfait, décortiqués un par un par de nombreux historiens, collectionnés et mis en forme, essentiellement par Marie-Rose Demasy (le Boudoir de Marie-Antoinettehttps://maria-antonia.forumactif.com/Autour de Marie-Antoinettehttps://www.facebook.com/autourdemarieantoinette ), Benjamin Warlop et moi (Olivia Legrand). Mais qui existent bien, nous ne les avons pas inventés !  Et je suis sûre que nous pouvons encore en trouver ! 


A partir du moment où l’on sait que ce scénario est je ne dirais pas faux,  mais seulement un vague reflet de la réalité, tel un iceberg dont on ne connaît que la partie immergée, on comprend nettement mieux !
La réalité, que nous ne connaîtrons jamais (et je n’en ai pas la prétention) a été objectivement déformée pour qu’elle devienne, au départ, une brique parmi tant d’autres construisant l’abominable réputation faite à Marie-Antoinette, puis par la suite, un mythe, qui fait vibrer tous ceux qui ont garder leur âme de midinettes (Hiiiiiiii !!!! Ferseeeeeeeeennnnnnnnnnn!!!!).   

Voici la conclusion du livre Jeanne d’Arc Vérités et légendes de Colette Beaune qui est un parfait résumé de ma pensée :

Et c’est ainsi que tous les mythes du XVe siècle ont tous été examinés et intégrés progressivement à une histoire, dont les progrès actuels reposent sur le refus de confondre foi et raison, raison et conviction. Parfois le chercheur n’aboutit à aucune certitude et l’indique, quitte à laisser ses lecteurs insatisfaits. L’historien, je l’avoue, se soucie de vérité plus que de proximité.
Le mythographe, lui, sait et affirme. Il n’a pas besoin de sources. L’hypothèse lui suffit. De celle-ci il en déduit une autre, bientôt transformée en certitude. Son discours est plus une affaire de conviction que de méthode. Sera-t-il assez persuasif pour faire croire à des résultats évidemment plus sensationnels et plus rapides que ceux de l’historien ?

Colette Beaune

Ce qui est vrai pour Jeanne d’Arc l’est tout autant pour de nombreuses autres figures historiques, le plus souvent féminins. Ainsi pour Marguerite de France, dite la Reine Margot, et évidemment pour Marie-Antoinette. Colette Beaune rajoute que pour les mythographes, les vrais historiens et ceux qui les suivent ne font que raconter une Histoire « officielle ». Ceux qui préfèrent les on-dit, les rumeurs, les légendes, les explications simplistes feraient de la véritable Histoire. C’est ce qu’a voulu faire croire un certain journaliste d’extrême-droite candidat aux élections présidentielles de 2022.

Le comble, quand on connaît le bord politique de la plupart des mythographes, refuser une relation adultère pour Marie-Antoinette est automatiquement cataloguer de leur part comme intégriste catholique royaliste. Des ayatollahs de la vertu de la Reine, selon Nathalie Colas des Francs sous le pseudo de madame de Sabran du forum de Marie-Antoinette, pourtant elle-même très réactionnaire quant à la vie amoureuse de ses proches. Il est tellement plus simple de trouver des formules chocs que d’exposer de vrais arguments et contrecarrer de manière rationnelle les arguments adverses ! Ce qui leur a toujours été impossible bien que je ne désespère pas qu’un jour nous tomberons sur de vrais arguments de leur part. Comme on le verra tout le long de cet exposé, les tenants de l’amour à tout prix entre Marie-Antoinette et Fersen ont la fâcheuse tendance de prêter à ceux qui pensent le contraire leurs propres travers. 

Indéniablement, la grande majorité des réactionnaires, héritiers de la Restauration, ne contestent l’adultère de la Reine de France. Une des premières historiennes attaquant cette histoire d’amour, Nesta Webster dans son Marie-Antoinette intime, 1957 en est l’exemple le plus extrêmiste. Sympathisante du régime nazi, il est évident que ses propos sont à lire de manière très circonspecte. Elle charge ainsi comme il se doit les francs-maçons, mais aussi madame de Polignac. Nous plaignons Nathalie Colas des Francs, à la fois très anti «francsmacs» mais en même temps biographe pleine de sympathie pour l’amie de Marie-Antoinette. Comment alors concilier les deux ? De même incontestablement Nesta Webster pose de bonnes questions sur l’affaire du collier, bien plus complexe qu’elle n’en paraît à première vue. Sans pour autant conclure comme elle que tout est la faute des francs-maçons. Preuve est donc qu’il faut trier ces propos, certains pertinents et d’autres à rejeter comme liées à ses idées malsaines. Contrairement aux pro-histoire d’amour fersinienne, Nesta Webster a au moins la qualité de citer ses sources. A nous de faire la bonne sélection. Mais pour beaucoup, ses opinions détestables interdiraient de prendre en compte ne serait-ce que deux ou trois paragraphes de son livre. Ce qui reviendrait à jeter au bûcher sa biographie. Curieuse attitude de souhaiter un autodafé au nom de la lutte contre le nazisme !

Cet exemple est le plus trouble des biographes de Marie-Antoinette mais sans aller aussi loin dans l’extrême, il est quasi impossible de trouver un biographe de Marie-Antoinette aux sympathies marxistes affichées.

Or nous concernant Maryse Demasy, Benjamin Warlop et moi, il est impossible d’avoir le moindre doute quant à nos opinions politiques. Nous sommes plus que très éloignés de la frange réactionnaire de la population. J’ai voté Philippe Poutou aux dernières élections présidentielles et je souhaite vivement à cette heure voir Jean-Luc Mélenchon (Olivia écrivait cela en 2022…) devenir notre prochain Premier Ministre (mais non Président car ses positions sur Louis XVI et Marie-Antoinette et l’Histoire en général me dérangent fortement). Cet argument qui ferait de nous d’affreux réacs n’a donc pas de poids.  Je rajouterai même que les mythographes sur ce sujet sont pour la plupart bien plus de droite que nous trois !

Dans le même ordre d’idée, quitte à rejeter tout historien selon ses opinions, même les pires, il faudrait aussi s’interdire les auteurs dont la maladie mentale est avérée (et qu’est-ce que le nazisme si ce n’est une maladie mentale ?). Or des biographes bien connues de madame de Polignac ou de Louis XVI sont incontestablement atteintes de troubles psychiques avérés et pourtant elles apparaissent comme référence dans nombre d’ouvrages historiques récents. Non, à nous de faire le tri parmi le fatras de théories farfelues, voire nauséabondes. Si le travail de recherche existe, autant l’exploiter. Le contraire serait absurde.

Colette Beaune, historienne reconnue, avoue l’avantage flagrant des mythographes : le sensationnel ! Tellement plus croustillant auprès du grand public que la triste réalité ! La liste est longue des ouvrages consacrés aux amours supposées de Marie-Antoinette. Elles font bien plus vendre qu’un livre basé sur des recherches scientifiques. Face à des prétendues historiennes que sont Evelyn Farr ou Sophie Herfort, les véritables historiens et leurs lecteurs consciencieux se contentent juste d’un humble «Nous ne saurons jamais».

Qu’on nous laisse au moins le droit de l’exprimer !!!

Car évidemment à critiquer ces dames pour leurs ouvrages dits historiques mais en réalité véritables romans, la dernière contre-attaque trouvée de leur part après la seule critique qui ne tient pas la route (qui ferait de nous des réacs) reste la menace de procès. Toujours promise, jamais exécutée. Nous serions accusés de quoi ? De diffamation ? Or tous nos propos ne sont que des citations des leurs. Ce qui signifierait que les mythographes n’assument même pas ce qu’ils écrivent.  Et n’en déplaise à Jérôme Barbet et Sébastien Letzebuerger, avocats de leur état, la loi est de notre côté : 

https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000044365551/2022-04-26

L’article L122-5 nous permet bien «sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source :
a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées. »

Les auteurs qui se sont posé la question du lien qui unissait Fersen à Marie-Antoinette l’ont résolue différemment, selon leurs conceptions personnelles, leur imagination de la correspondance de la Reine, du journal du comte suédois et de certains témoignages…

Les mythographes et leurs partisans d’une liaison avérée sont prêts à tout pour interdire la parole à ceux qui les critiquent, à les accuser du contraire de ce qu’ils sont (et ce qu’ils sont eux en réalité) mais aussi à brandir la loi, en l’interprétant à leur sauce, se pensant intouchables car avocats ! Et c’est nous les ayatollahs…

Ces mêmes personnes ne cachent pas qu’il s’agit de leur propre conception de l’amour qu’ils tentent d’imposer à Marie-Antoinette et Fersen. Quelqu’un de fleur bleue, gavé de romans à l’eau de rose n’aura pas du tout la même vision qu’un libertin à la sexualité débridée. Malgré leurs affirmations contraires, intimement persuadés de penser la même chose. Non, comme nous le verrons, chacun vit dans son propre fantasme. Marie-Antoinette a toujours été l’objet des fantasmes de tout le monde depuis plus de deux siècles. 

Comme l’écrit Chantal Thomas dans La Reine scélérate

«Avec une énergie d’imagination infatigable, orgiaque, le peuple roi fornique avec la reine de toutes les façons, lui fait tout ce que le roi est impuissant à lui faire.»

Et le peuple devenu souverain a décidé de Lui faire l’amour à travers Fersen. Marie-Antoinette est un réceptacle à fantasmes depuis son avènement en 1774 et rien n’a changé depuis. 

Voilà ce qu’on peut lire dans le Forum de Marie-Antoinette à ce propos :

« Il est vrai que nous avons largement discuté sur ce couple emblématique, et je ne vais pas à nouveau noircir cette page, mais permettez-moi de dire simplement que je SOUHAITE ARDEMMENT que ces deux êtres aient vécu un grand amour et réciproquement.»

«Je reste sur ma position car je comprends trop bien la Reine comme si j’avais vécu à ses côtés à cette époque. C’est mince comme explication, soit je l’admets. Pourquoi refusez-vous de vous mettre au moins une fois à la place de Marie-Antoinette pour ESSAYER de mieux la comprendre ? Laissez l’Histoire de côté pour une fois, ces bouquins à tire-larigot qui arrangent tels ou tels historiens (que je respecte bien sûr). Mais, il est fort possible qu’Axel de Fersen n’ait pas existé ? Il n’y aurait pas lieu là d’en parler et de se donner autant de peines. Même à l’époque où je ne connaissais pas encore la Reine, j’ai toujours eu le nom (juste le nom) de Fersen au fond de moi. Allez savoir pourquoi ? Je suis très sérieuse, j’en ignore totalement la raison. Peut-être un don de voyance»

Propos de Trianon, membre du Forum de Marie-Antoinette

Que répondre après cela ? Nous sommes dans la foi la plus totale, le dogme.

Nier une histoire d’amour chez Marie-Antoinette, ce serait lui refuser un minimum de bonheur dans sa terrible vie, quelle cruauté ! Bref, c’est confondre souhait ardent qui relève de ses propres fantasmes et triste réalité que nous apportent les données purement historiques. C’est malheureux, mais c’est ainsi.

Pire, comme le signale dans cet échange Reinette, qui n’est autre que moi-même à l’époque où je circulais encore dans ces fora, les amours de Marie-Antoinette et Fersen deviennent l’unique préoccupation de certains, l’essentiel de la vie de Marie-Antoinette, plus rien d’autre ne compte. 

Même un 16 octobre comme le montre la capture d’écran, certains préfèrent créer de nouveaux sujets sur ces amours (pourtant déjà très nombreux !) ce jour-là précisément au lieu de commémorer de manière décente un deuil envers une personne à laquelle les membres de ce forum sont censés consacrer leur temps ! 

Non pour eux, ces mythographes de Fersen ou plus simplement fersiniens, Marie-Antoinette n’a d’intérêt que parce qu’il y a eu Fersen dans sa vie. Peu importe qu’elle soit morte dans de si terribles conditions ! De toute façon, seul Fersen en a souffert. 

On le voit, la liaison supposée entre Marie-Antoinette et Fersen ne relève en rien de l’Histoire. 

C’est ce que nous allons démontrer ici, en commençant par les faits chronologiques, avant de s’attaquer aux sources.

1/ Chronologie des faits

Voir cet article : 

Le 4 septembre 1755

Naissance à Stockholm de Hans-Axel de Fersen, fils aîné du feld-maréchal Fredrick Axel de Fersen (1719-1794) et de Hedwige-Catherine de La Gardie (1732-1800). 

Fredrik Axel de Fersen
Hedwige-Catherine de La Gardie

En plus de leur intelligence et de leur ambition, les deux familles sont réputées pour leur beauté qui ne laissent pas indifférents les Wasa puis les Holstein-Gottorp, maisons royales de Suède.  Les Fersen, comme les La Gardie sont des membres éminents du parti des Chapeaux, favorables à l’alliance française au contraire des Bonnets pro-russes. La lutte est rude entre les deux partis au sein du sénat suédois, le Riksdag. Les Chapeaux sont largement financés par la France :

«Pour aider ce parti à se maintenir au pouvoir et pour assurer le dévouement de ses membres, le gouvernement français distribue de l’argent en espèces, des pensions et des gratifications diverses à des personnes clefs.»

L’aristocratie suédoise et la France dans la seconde moitié du XVIIIe siècle par Charlotta WOLFF

Après des études universitaires poussées en Suède, Fredrick Axel de Fersen entre dans l’armée suédoise en 1737. En 1738, il est autorisé à rejoindre l’armée française en tant que caporal puis capitaine du Royal-Alsace en 1740. En 1741, il devient adjudant du duc de Boufflers, lieutenant de Louis XV des armées de Flandres et du Nord. Il participe au siège de Prague qui met momentanément à mal la reine de Bohême Marie-Thérèse mais qui lui permet à la fin d’assurer sa couronne.

Le Siège de Prague

Suite à une brève campagne en Finlande Fredrick Axel von Fersen s’assure une place au sénat de Suède. Il repart en 1743 pour la France où il devient cette fois-ci adjudant du maréchal-duc de Noailles (1678-1766), doyen des maréchaux français.

Le maréchal-duc de Noailles, huile sur toile, d'après François de Troy, château de Versailles

Il se distingue rapidement lors de la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748). Le 1er avril 1744, il est nommé colonel du Royal-Alsace. En 1748, il devient brigadier du Royal-Suédois, c’est-à-dire major général. De fait, c’est lui qui dirige réellement le régiment, au contraire de son colonel-propriétaire. De retour en Suède en 1749 après un mois à Berlin, il obtient une lettre de recommandation de Frédéric II auprès de sa soeur Louise-Ulrique, épouse du prince héritier de Suède.

Louise-Ulrique de Prusse, Reine de Suède, par Ulrika Pasch, huile sur toile, galerie nationale du portrait en Suède

Ambitieuse, la princesse pense donner plus de pouvoir à la monarchie en aidant Fersen à soutenir sa place au sénat. Le gentilhomme rejoint le parti des Chapeaux au pouvoir au Riksdag. Sa position dans le parti est rehaussée non seulement par le fait que son propre père en avait été l’un des fondateurs, mais aussi par son mariage avec l’autre éminente famille du parti Chapeau, les La Gardie (1752), d’origine française, émigrés huguenots sous François Ier. Leur fils aîné porte les prénoms de Hans-Axel, Hans de son grand-père paternel, Axel de son père. Il est comte dès sa naissance, montrant ainsi la puissance de la famille. 

Le 2 novembre 1755

Naissance à Vienne de l’Archiduchesse Maria-Antonia-Josepha-Johanna, quinzième enfant de Marie-Thérèse d’Autriche, Reine de Hongrie et de Bohême et de François-Etienne de Lorraine, Empereur du Saint-Empire Germanique.

L'Archiduchesse Antonia emmaillotée

En 1756

Fredrick Axel de Fersen devient feld-maréchal. De fait, il dirige la diète suédoise. Il est le deuxième personnage de l’état.  Il utilise cette fonction afin de freiner tous les efforts de la couronne pour regagner le pouvoir qu’elle a perdu au profit du parlement en 1720. Le nouveau roi Adolphe-Frédéric et la reine Louise-Ulrique, soeur de Frédéric II doivent le ménager.  C’est donc un homme qui compte, en Suède, en France et avec leurs alliés anciens et nouveaux, la Prusse comme l’Autriche. 

1756-1760 ou la guerre de Poméranie

 Prétextant de l’invasion de la Saxe par Frédéric II, la Suède, alliée de la France, déclare la guerre à la Prusse. Dominé par le parti des Chapeaux, le sénat veut à la fois humilier la reine Louise-Ulrique soeur de Frédéric II aux prétentions absolutistes mais aussi prendre sa revanche sur le conflit de 1720 qui a vu s’achever l’influence de la Suède sur l’Allemagne. Fredrick Axel de Fersen se distingue en 1759 lors des opérations autour d’Usedom et de Wollin  où il inflige de lourdes pertes aux Prussiens. De ce fait, les forces navales suédoises tiennent un temps la Baltique, soulageant les troupes franco-impériales.

Les campagnes de 1756, Académie militaire des Etats-Unis

Après cela, Axel Fredrick est considéré comme un héros, tant chez lui en Suède, que partout en Europe, chez ses alliés mais aussi chez ceux qu’il a combattus.

En 1765

Les Bonnets prennent le pouvoir contre la monarchie et les Chapeaux. Le duc de Choiseul, ministre des Affaires étrangères français, conseille à l’ambassadeur le baron de Breteuil, d’être particulièrement vigilant. Les Bonnets sont pro-Russes et pro-Anglais. 

Le 16 mai 1770

Mariage de l’Archiduchesse Marie-Antoinette et du Dauphin Louis-Auguste.

Louis-Auguste, Dauphin de France par Louis-Michel Van Loo
Marie-Antoinette peinte vers 1770 par Joseph Ducreux

Ce n’est pas du tout un mariage d’amour…

Le 3 juillet 1770

Le jeune comte de Fersen quitte Stockholm en compagnie de son précepteur afin d’effectuer un tour d’Europe. Son père veut qu’il apprenne l’art militaire en Allemagne et l’art tout court en Italie. L’éducation politique doit se faire ensuite en France puis en Angleterre. C’est l’occasion pour l’adolescent de commencer son dagbok qui finira par atteindre six tomes et plus de vingt mille pages. Il y inscrit les principaux événements de sa vie mais aussi ses conquêtes féminines. 

Morphing du visage d'Axel de Fersen
Tranche Dagbok de Hans Axel de Fersen, Riksarkivet
Dagbok de Fersen, R0000789_000011, Riksarkivet

Le 12 février 1771

L’héritier du trône de Suède alors de séjour à Paris devient Roi sous le nom de Gustave III. Avec le soutien de Louis XV, il entame une révolution absolutiste permettant de reprendre la main sur les Bonnets mais aussi de briser les élans aristocratiques et oligarchiques du comte Fredrick Axel de Fersen. 

Gustave III, Roi de Suède, par Pasch

Celui-ci donne ordre à son fils de croiser la route du jeune souverain en Allemagne afin de lui jurer sa loyauté.  Gustave III déjà amoureux dans sa jeunesse de la comtesse Hedvig tombe sous le charme de ce magnifique jeune homme. Afin d’aider le jeune souverain, Louis XV nomme Charles Gravier de Vergennes (1719-1787) comme nouvel ambassadeur à Stockholm. Celui-ci, sous les ordres du Roi de France, ouvre grands les cordons de la bourse afin d’obtenir le soutien des Chapeaux. 

En 1772

Un autre danger guette la Suède et son Roi : le démembrement. Frédéric II et Catherine II lorgnent l’un sur la Poméranie, l’autre sur la Finlande. Seul le soutien de la France peuvent arrêter les ambitions des despotes éclairés : en effet celle-ci a permis à Gustave III d’affermir son pouvoir. Ce sera donc la Pologne, beaucoup plus faible politiquement qui assouvira leurs appétits, soutenus par Joseph II qui prendra également sa part.

En avril 1773

Après Rome, Axel de Fersen se rend à Naples où il est reçu par la Reine Marie-Caroline (1752-1814).

Marie-Caroline d'Autriche, future Reine de Naples, 1768, Georg Weikert, Kunsthistorisches Museum, Vienne

Il loge chez l’ambassadeur de France, le baron de Breteuil, et sa fille madame de Matignon. Il avait été en poste à Stockholm de 1763 à 1766 où il tissa des liens avec le comte de Fersen père. Le jeune Axel s’y sent rapidement en famille. 

Le 17 mai 1773

Après plus trois ans de mariage, le mariage entre la Dauphine et l’héritier du trône est presque consommé. Pas suffisamment en tout cas pour espérer une descendance. 

Louis-Auguste, Dauphin de France par Louis-Michel Van Loo
Marie-Antoinette (1772) par Duplessis

Le 15 novembre 1773

Arrivée à Paris. Fersen loge chez l’ambassadeur de Suède le comte de Creutz à l’hôtel de Bonnac rue de Grenelle.

Le comte de Creutz, de Alexander Roslin, Musée des beaux-arts de Gotteborg

Toute la politique de la Suède est tournée vers la France. Cette alliance date de Louis XIII et la Guerre de Trente ans, poursuivie sous Louis XIV, notamment avec l’épisode désastreux du séjour de la Reine Christine. L’union des deux pays est davantage renforcée encore au XVIIIème siècle, avant même l’avènement de Gustave III qui vit en France ses derniers moments de prince héritier qui reçoit ensuite l’aide de Louis XV pour abattre les volontés aristocratiques des Chapeaux et populaires des Bonnets.

Tous les ambassadeurs et le haut personnel diplomatique suédois de 1739 à 1783 sont reliés par parenté en plus d’appartenir au même réseau partisan. Ainsi  le baron Carl Gustav Tessin, qui participe à la mise au pouvoir des Chapeaux, en poste à Paris en 1739 est le gendre d’Erik Sparre qui fut ambassadeur sous Louis XIV.  Et que serait notre connaissance de la Cour de France sans la fabuleuse collection de l’ambassadeur Tessin, mine essentielle de la recherche sur l’art du XVIIIe siècle ?

Son successeur, le comte Clas Ekeblad a épousé la comtesse Eva de La Gardie, issue d’une famille très influente à la diète, fort riche, et francophile de tradition. De surcroît famille maternelle d’Axel de Fersen. Ensuite les deux frères Carl Fredrik et Ulric Scheffer se succèdent à l’ambassade, ce dernier étant aussi le lieutenant-colonel du Royal-Suédois, régiment déjà évoqué et dont nous reparlerons plus loin. Les deux Scheffer doivent revenir en Suède afin de maintenir les Chapeaux au pouvoir. L’un des deux deviendra même gouverneur du futur Gustave III.

En 1765, les Bonnets ont pris le pouvoir. Leur politique est tournée vers la Russie et l’Angleterre. La légation française reste donc vide plusieurs mois. Mais il leur faut accepter un homme du parti des Chapeaux pour l’ambassade française. Ce sera Creutz, formé par les frères Scheffer, nommé ministre plénipotentiaire à Paris en 1765 et enfin confirmé officiellement comme ambassadeur en 1772, quand Gustave III se sera débarrassé du système bipartiste.  L’ambassadeur ne vient pas seul. Il est largement entouré de proches, de sa famille, de son parti et forment tous ensemble une cour princière en miniature. Les secrétaires, le pasteur de la paroisse suédoise participent à cette collégialité qui fonctionne depuis Louis XIV.

Les intérêts politiques s’unissent à ceux des grandes familles qui y voient un élargissement de leur carrière et un accès aisé à la culture française alors dominante.

«De nombreux membres de cette élite cosmopolite séjournent en France pour s’instruire, pour se former au métier des armes, ou parce qu’ils y ont été envoyés en mission diplomatique, ce qui leur donne l’occasion et la nécessité de développer des réseaux de relations, et souvent d’amitiés, dans les sphères influentes du pouvoir politique et littéraire français.»

L’aristocratie suédoise et la France dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, Charlotta Wolff

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La jeunesse dorée suédoise, le Roi en tête, admire la culture française, ne respire qu’à la française, pense en français. Elle n’aspire donc qu’à s’approcher de l’ambassade ou d’obtenir une place dans l’armée française. Quitte à se ruiner tant le train de vie français est dispendieux. Ce sera donc la course aux subsides, aux pensions, aux charges honorifiques, aux cadeaux de valeur… Axel de Fersen n’y fait pas exception et il est même, dès ses dix-huit ans, un élément clé de cette relation si spéciale entre la France et la Suède. Creutz accueille donc à bras ouverts le fils d’un de ses protecteurs les plus importants, président de la noblesse au sénat suédois. 

Le 18 novembre 1773

Le ministre des Affaires étrangères, le duc d’Aiguillon,  reçoit le jeune homme à souper : son père est un élément essentiel de la diplomatie franco-suédoise.

Emmanuel-Armand de Richelieu, duc d'Aiguillon, école française du XVIIIème siècle, musée d'Agen

D’anciens ministres des Affaires étrangères, comme le comte d’Argenson, cultivaient volontiers une réelle amitié avec les ambassadeurs suédois en place. Cette «relation spéciale» est une clé essentielle de la politique française. D’après l’abbé Véri qui sera aux premières loges du pouvoir à la nomination du comte de Maurepas auprès du futur Louis XVI, le duc d’Aiguillon pousse un peu trop loin cette alliance durant cette année :

«A l’égard de la Suède, il fit craindre à la France des effets trop étendus de l’alliance. On parla quelque temps de faire marcher des escadres et des troupes vers la Suède. Il y eut même, dans l’intérieur du royaume, des ordres donnés aux matelots classés pour se rendre dans différents ports. Les citoyens craignirent que ces montres militaires engageassent trop la France. L’événement les rassura. Le fait est que la Russie voulait envoyer des troupes en Finlande, en 1773, pour troubler la révolution de 1772. M. d’Aiguillon menaça de brûler les escadres russes qui étaient dans la Méditerranée et d’envoyer des régiments en Suède. Il était secrètement d’accord avec milord Rochefort, qui lui fit savoir qu’en feignant d’armer aussi puisque la France armait, il lui laisserait le temps de faire son expédition. Cette montre menaçante fit résoudre Catherine II à rester tranquille. Ainsi la révolution de Suède resta dans son entier. Ce fut dans cette révolution que l’autorité passa des mains anarchiques des États dans celles du souverain.»

Journal de l’abbé de Véri, p. 77

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k119184g/f90.item.texteImage

C’est dire combien il est important aux yeux du ministre d’accueillir ce jeune seigneur suédois dont le père a une situation politique majeure dans son pays. 

Le 19 novembre 1773

Axel de Fersen est présenté à la famille royale. Et c’est donc à ce moment précis, malgré toutes les mises en scène romantiques, que se voient pour la première fois Marie-Antoinette et Fersen.

Marie-Antoinette l’accueille comme toute autre personne qui compte en Europe et qui a donc sa place à la cour de Versailles. Comme l’accueillent Louis XV, le Dauphin, les comtes de Provence, d’Artois et leurs épouses, Mesdames Filles du Roi et Mesdames Clotilde et Elisabeth, petites-filles de Sa Majesté. C’est tout simplement l’activité quotidienne de la famille royale : recevoir courtisans et visiteurs étrangers de marque. 

En son temps, la Reine Marie Leszczyńska a beaucoup protégé les Suédois et était une amie proche des ambassadeurs Tessin et Carl Scheffer qu’elle recevait volontiers ainsi que leurs protégés venus de Suède.  Il ne faut pas oublier que son père Stanislas Leszczyński est devenu Roi de Pologne par l’entremise du Roi de Suède Charles XII.

Marie Leszczyńska, lisant la Bible (1748) par Jean-Marc Nattier

La famille royale se doit donc de recevoir aimablement tout ce qui a trait à la Suède : non seulement l’alliance politique est majeure depuis longtemps dans le système international mais c’est aussi cette nation qui a permis à la feue Reine d’accéder au statut royal. 

Le 24 novembre 1773

Présentation à madame du Barry qui en tant que favorite compte beaucoup pour la diplomatie.  Le futur Gustave III l’avait bien compris quelques années auparavant.  Fersen dîne ensuite de nouveau avec le duc d’Aiguillon. Le poids diplomatique du jeune homme est indéniable. 

Le 27 novembre 1773

Parmi ses innombrables réceptions (opéras, dîners, soupers, à plusieurs reprises chez le duc d’Aiguillon), il est désormais reçu par la comtesse de Noailles, dame d’honneur de la Dauphine qui appartient au réseau de Creutz. 

Le 4 décembre 1773

Axel prend des cours de danse. Sa visite chez la dame d’honneur de la Dauphine y est sûrement pour quelque chose. 

Le 6 décembre 1773

Bal chez Madame la Dauphine.

Ces bals sont des moments d’étiquette et ne sont pas du tout des lieux d’amusement et de plaisir, obligatoires pour tous les jeunes princes et princesses de la famille royale, et qu’ils prennent pour la plupart comme une corvée à laquelle ils ne peuvent échapper. Ces bals sont d’ailleurs organisés par la comtesse de Noailles et à cette date il y a peu de chances que Marie-Antoinette ait son mot à dire quant aux invités. On comprend mieux du coup les cours de danse de l’avant-veille.

Noémie Lvovsky interprète la comtesse de Noailles dans Jeanne du Barry (2023) de Maywenn

A l’occasion de ces bals, Evelyn Farr dans sa Correspondance secrète n’hésite pas à écrire : 

«L’attirance entre les deux jeunes gens est immédiate.»

Marie-Antoinette et le comte de Fersen, la correspondance secrète p. 23

Par quel moyen, quelle source cette autrice peut-elle affirmer ceci puisque ni l’un ni l’autre n’a exprimé le moindre mot à ce propos à cette date ? Madame Farr se permet juste d’anticiper sur la suite. Ce n’est en rien une démarche historique.

Le 21 décembre 1773

Nouveau bal chez la Dauphine. 

Le 1er janvier 1774

Cérémonie des chevaliers de l’ordre du Saint-Esprit à la chapelle de Versailles puis accueil chez madame du Barry. Les visites de la nouvelle année auprès des ambassadeurs et leurs épouses, de dames importantes de la Cour de France se poursuivent. 

Remise de l'ordre du Saint-Esprit sous Louis XV dans la chapelle du château de Versailles, le 3 mai 1724, par Nicolas Lancret, Louvre

Le 5 janvier 1774

Il y a bal de l’opéra. Ce soir là :

«j’y trouvai un masque fort joli et aimable, qui me dit tout bas, qu’elle était fâchée que je ne fus pas son mari, pour pouvoir coucher avec moi, je lui dis que cela n’empêchait pas. Je voulus le lui persuader mais elle s’enfuit, une autre que Plomenfeldt poursuivait pour savoir qui elle était, ne fut pas si difficile, elle s’assit dans un corridor, et nous eûmes avec elle une longue conversation (…)»

Dagbok

Des romanciers bien intentionnés n’ont pu s’empêcher d’imaginer que la première dame n’était autre que Marie-Antoinette… 

Le 10 janvier 1774

Il y a bal chez la Dauphine.

Le 17 janvier 1774

Bal chez la Dauphine. Il part aussitôt le bal fini à neuf heures et demie du soir. C’est donc pour lui plus une contrainte qu’un plaisir ! Rien ne montre une parole, un regard entre les deux. 

Le 30 janvier 1774

Enfin le moment fatidique, tant attendu des coeurs sensibles !

«(…) d’où je partis à une heure  pour aller au bal de l’opéra, il y avait une foule de monde : Madame la Dauphine, Monsieur le Dauphin et le Comte de Provence y vinrent, et y furent au bal une demi-heure sans être connus, la Dauphine me parla longtemps sans que je la connus, enfin quand elle fut connue tout le monde s’empressa autour d’elle et elle se retira dans une loge, à trois heures, je quittai le bal.»

Dagbok

Emmanuelle Béart et Laurent Le Doyen dans Marie-Antoinette, Reine d'Un seul Amour (1988) de Caroline Huppert

En moins d’une demi-heure, nous assistons à ce qui constitue une des scènes les plus romantiques de l’Histoire de France.

Il n’y a rien de plus naturel pour Marie-Antoinette d’adresser la parole à une personne qui se rend toutes les semaines à son bal. Les privautés ont dû être très limitées puisque le Dauphin et son frère sont près d’elle. D’autant que nous avons vu plus haut que Fersen ne se gêne pas pour retranscrire les paroles libertines des dames séduites.  Il n’y a même pas eu quelques pas de danse entre les deux. Entre l’arrivée des membres. de la famille royale et la fin de leur incognito, une demi-heure s’écoule. On imagine bien qu’entre le moment où Marie-Antoinette peut marcher un peu librement dans la salle, et le début de leur conversation, plusieurs minutes sont passées, au moins dix.  Mais les historiens et romanciers restent bloqués sur le «la Dauphine me parla longtemps» : un longtemps très relatif !

Fersen note surtout le fait qu’elle le reconnaisse et qu’il ne se rend donc pas toutes les semaines à son bal pour rien. Leur échange n’a jamais été aussi long. Le cadre de l’Opéra est aussi nettement moins rigide que les bals de Cour. Il continue ensuite à suivre les bals de la Dauphine.

Dagbok de Fersen, R0000789_00089, Riksarkivet

Le passage intéressant tant est marqué par un trait dans la marge. 

Le 8 février 1774

Second bal au Palais-Royal chez les Orléans.  Quand il n’y a plus de bals à l’Opéra, 

«le carnaval se passa fort tranquillement pour moi, comme je n’étais point répandu dans les maisons de Paris, je ne pouvais pas être des bals particuliers qui s’y donnent abondamment, je n’allais qu’aux bals de Madame la Dauphine.»

Dagbok de Fersen, R0000789_00091, Riksarkivet

Qui se réduit chez Evelyn Farr p. 13 par un :

«Février : carnaval. Fersen note dans son journal  »Je n’allais qu’aux bals de Madame la Dauphine. »»

Le jeune homme ne se rend uniquement aux bals de la Dauphine non parce que celle-ci serait devenue l’unique objet de ses pensées et de son coeur, mais tout simplement parce qu’il n’a pas à cette date toutes ses entrées dans Paris ! Comme il est bien placé auprès de la famille royale et de ceux qui comptent autour de celle-ci, il se rend à tous les bals de la Cour, assurés essentiellement par Marie-Antoinette et sa dame d’honneur. Le meilleur moyen aussi d’être ensuite invité dans Paris.  Il n’y a donc pas besoin d’imaginer autre chose.

Dès que cela lui est possible, Fersen se rend ailleurs, au Palais-Royal par exemple.

Le 15 février 1774, Mardi Gras

«Il y avait bal à Versailles, j’y fus sur la fin du bal. Madame la Dauphine, Madame de Provence, Madame d’Artois, Madame de Lamballe et deux autres dames arrivèrent avec Monsieur le Dauphin, Monsieur de Provence, Monsieur d’Artois, monsieur de Ségur, monsieur de Coigny et un autre tous habillés avec l’habit d’Henri IV, qui est l’ancien habit français et dansèrent différentes entrées, quelques-uns très mal comme Monsieur le Dauphin et monsieur de Provence, les autres assez bien, le coup d’oeil en était charmant.»

Dagbok de Fersen, R0000789_00092, Riksarkivet
Dagbok de Fersen, R0000789_00093, Riksarkivet
Bal en costumes Henri IV par Benjamin Warlop

Si l’on raisonnait à la manière d’Evelyn Farr, on pourrait en déduire que le coup d’oeil  «en était charmant» parce que Marie-Antoinette est présente. Sauf qu’en lisant correctement, tout le monde y contribue, la maladresse des danseurs comprise. 

Le 4 mars 1774

«Petit bal charmant» chez la duchesse d’Arville. 

L’adjectif charmant n’a jamais été employé pour les bals de la Dauphine qu’il quitte dès leur fin, sauf quand Marie-Antoinette danse entourée de son époux, ses beaux-frères et belles-soeurs, tous en costume du temps d’Henri IV. 

Le 10 mai 1774

Après de nombreux autres bals, même durant le Carême, et ailleurs que chez la Dauphine, une course-poursuite avec madame de Brancas qui ne cache pas son émoi à son égard, des visites chez des ambassadeurs et des descriptions des plus belles places et des plus beaux monuments de Paris, Louis XV meurt.

Louis XV par Armand-Vincent de Montpetit
Louis XVI d'après Duplessis
Mort de Louis XV dans Madame du Barry de 1919

Fersen ne dit rien entretemps au sujet de la Dauphine devenue Reine de France. Il n’y a pas eu coup de foudre, quoi qu’en dise Evelyn Farr. Même Evelyne Lever, Françoise Kermina et Alma Söderhjelm n’ont pas osé. A moins de se croire dans Lady Oscar

Le 12 mai 1774

Visite du château de Chantilly, puis départ pour l’Angleterre.

Le 29 mai 1774

Le comte de Creutz écrit à son Roi :

«Le jeune comte de Fersen vient de partir pour Londres. De tous les Suédois qui ont été ici de mon temps, c’est celui qui a été le mieux accueilli dans le grand monde. Il a été extrêmement bien traité par la famille royale. Il n’est pas possible d’avoir une conduite plus sage et plus décente que celle qu’il a tenue. Avec la plus belle figure et de l’esprit, il ne pouvait manquer de réussir dans la société, aussi l’a-t-il fait complètement. V. M. en sera sûrement contente ;  mais ce qui rendra surtout M. de Fersen digne de ses bontés, c’est qu’il pense avec une noblesse et une élévation singulières.»

Le succès diplomatique est total. Être bien vu de la famille royale française c’est la porte ouverte à toutes les carrières. Ses intérêts personnels et les intérêts de son pays sont intrinsèquement liés. Et de manière la plus officielle qui soit ! Creutz n’en attendait pas moins de son protégé. Bien que son rang et le souvenir de son père y aient largement contribué, il a su montrer de véritables qualités. L’ambassadeur suédois n’est pas loin de voir en lui un fils spirituel. 

Notons : la famille royale. Pas uniquement la Dauphine ou la nouvelle Reine. C’est bien la famille royale qui a merveilleusement bien traité ce pion essentiel aux relations entre la France et la Suède.

La famille royale en 1770

Le 7 juin 1774

La comtesse de Fersen écrit à son époux à propos des succès mondains de leur fils : 

«J’ai été fort aise des éloges que ma soeur donne à notre fils, j’ai aussi reçu une lettre du comte de Creutz, qui me parle beaucoup de lui, et qui, sans nommer madame de Brancas, me parle de liaisons de notre fils dans une des plus grandes maisons de France.»

Alma Söderhjelm, Fersen et Marie-Antoinette,édition de 1930, p. 44

Pour une personne du rang du jeune Axel, les succès mondains (et amoureux !) sont la même chose que les succès diplomatiques. 

Le 16 juin 1774

Nouvelle lettre de la comtesse de Fersen à propos du baron Kurtzrock : 

«(…)il m’a beaucoup parlé de notre fils et m’en dit mille bien, vous pouvez penser mon cher combien cela m’a fait de plaisir, il a été frappé de la ressemblance de Sophie avec son frère.»

Alma Söderhjelm, p. 44

Sophie Eva von Fersen, comtesse Piper par le chevalier de Chateaubourg

Le jeune Axel et sa soeur sont très proches, bien plus qu’avec leurs deux autres frère et soeur Fabian et Hedda. 

En juin 1774

Le jeune comte est déçu de son séjour londonien. Il est aussi bien reçu par la famille royale britannique et assiste à tous les grands événements aristocratiques mais tout lui apparaît comme vilain comparativement à ce qu’il a vécu de si brillant en France.

George III, la Reine Charlotte et leurs six premiers enfants, par Johan Joseph Zoffany (1770)

«Je fus présenté à la reine qui est très gracieuse et très aimable, mais elle n’est pas du tout jolie.»

Söderhjelm, p. 46

Il doit ensuite repasser par la France mais uniquement par Dunkerque et Lille et de là Bruxelles, les Pays-Bas puis Berlin. 

Le 11 juillet 1774

L’abbé Baudeau (1730-1792), économiste et journaliste, écrit : 

«On tire à boulets rouges sur la Reine  ; il n’y a pas d’horreurs qu’on n’en débite, et les plus contradictoires sont admises par certaines gens. On lui donne M. le duc de Chartres et M. de Lamballe, le premier à son corps défendant, et le second de bonne voglie puis madame de Lamballe, madame de Pecquigny, etc., etc. C’est la cabale jésuitique du chancelier Maupeou et des vieilles bigotes de tantes qui fait courir tous ces bruits-là, pour perdre, s’ils peuvent, cette pauvre princesse, et pour être seuls maîtres de la cour».

Fleischmann Les pamphlets libertins contre Marie-Antoinette : d’après des documents nouveaux et les pamphlets tirés de l’Enfer de la Bibliothèque nationale, p. 133

Dès le début du règne, on n’hésite pas à prêter à Marie-Antoinette un amant (le prince  de Lamballe 1747-1768) qu’Elle n’a jamais connu puisque mort deux ans avant Son arrivée en France. Ce n’est qu’un début.

Le 28 juillet 1774

Arrestation de l’abbé Mercier à la Bastille, soupçonné d’être l’auteur du Lever de l’Aurore, texte qui attaque Marie-Antoinette. Du souhait de celle-ci de voir le lever du soleil dans les jardins de Marly, la rumeur transforme ce voeu innocent en d’abominables bacchanales. L’opinion reproche à la jeune Reine de ne pas accueillir son époux la nuit et de préférer les nuits blanches. C’est oublier que Marie Leszczyńska a aussi très souvent préféré passer la nuit à jouer hors des résidences royales. 

Traditionnellement, on fait de cet texte le premier libelle contre la Reine. La réflexion de l’abbé Baudeau montre que non.

En août 1774

L’Impératrice Marie-Thérèse fait arrêter Beaumarchais qu’elle soupçonne être l’auteur du pamphlet Avis important de la branche espagnole sur ses droits à la couronne de France, à défaut d’héritiers, et qui peut être utile à toute la famille de Bourbon, surtout au roi Louis XVI.

Ce dernier a donné mission à son agent secret Beaumarchais d’arrêter l’écrit avant sa publication. Seulement, à Vienne Marie-Thérèse est persuadée qu’il en est lui-même le véritable auteur.

Augustin Caron de Beaumarchais par Jean-Marc Nattier

Dans ce pamphlet, on exhorte les princes Bourbons de surveiller au mieux la jeune Reine qui risque de donner un héritier illégitime à la Couronne puisque son mari est dit-on impuissant. Les principaux ingrédients de la soi-disant infidélité de Marie-Antoinette sont en place. 

Le 17 septembre 1774

Après négociations, Beaumarchais est libéré. Marie-Thérèse ne peut s’empêcher de penser qu’on veut du mal à sa fille au plus haut. 

Les écrits et dessins orduriers ne vont désormais cesser, inondant autant la Ville que la Cour. Malgré la police, rien n’y fait. L’Histoire a communément admise que les premiers responsables en sont Monsieur, frère du Roi, le duc de Chartres qui deviendra plus tard duc d’Orléans puis Philippe-Egalité, tous deux entourés d’un aréopage d’hommes de lettres à leur dévotion, et peut-être même Mesdames, du moins l’aînée Madame Adélaïde. Il est certain que celle-ci est la première à avoir surnommée Marie-Antoinette l’Autrichienne, avant même Son arrivée en France. Sans y mettre forcément la main, la petite cour de Mesdames peut surtout en avoir été l’un des plus profitables relais. 

Cela rejoint la polémique de la légende de la brioche qu’on prête à Marie-Antoinette encore trop souvent : 

Le 28 novembre 1774

Fersen est désormais en Prusse où il est maintenant accueilli par Frédéric II.

Frédéric II par Anton Graff

Le vieux renard ne semble pas en vouloir au fils de celui qui lui a infligé une grave défaite : il admire avant tout le génie militaire. Fersen père est aussi un francophile comme lui, un homme de lettres reconnu et un politicien hors pair. Que des qualités qu’il estime. D’ailleurs les opérations en Poméranie se sont avérées inutiles par la suite et Frédéric II a réussi à en tirer profit au détriment de la Suède. Il n’a donc aucune raison d’en vouloir à Fredrick Axel et son fils.  

Axel en profite pour écrire une longue lettre à sa chère Sophie qu’il n’a pas revu depuis quatre ans :

«Ma chère soeur
Il y a bien longtemps que. je n’ai reçu de vos lettres, ma chère soeur, mais j’en conçois maintenant la raison facilement, depuis que je sais que vous êtes dans le grand monde, cela doit vous occuper considérablement et vous laisser peu de temps à vous, d’ailleurs je ne suis pas en droit de vous faire des reproches car je n’ai pas non plus été fort exact à vous donner de mes nouvelles, mais j’espère que ne serez pas moins généreuse que je ne le suis et que vous m’excuserez facilement, car je voyage, et j’ai par conséquent beaucoup à faire et à écrire. Je suis charmé d’apprendre que la robe que j’ai fait faire pour vous sous soit parvenue, je souhaite que vous l’ayez trouvée jolie, au moins c’était mon intention en la faisant faire, j’ai même outrepassé les ordres de ma mère qui m’avait écrit de faire faire une petite robe, mais j’ai pris ce qu’il y avait de plus joli et de plus nouveau, c’est avec une impatience extrême que je désire de vous en voir parée, j’espère que j’aurai ce plaisir à Noël, et je me flatte de ne pas être mal reçu car je suis porteur d’une lettre, devinez de qui ; c’est de mademoiselle Leyel qui est charmante et qui me charge de vous faire un million de compliments, je l’ai vue à Dresde, je les ai laissés il y a neuf jours et je crois qu’elles se mettront bientôt en route pour l’Angleterre. Madame et monsieur de Lövenhielm vous font mille compliments, ils m’ont reçu à merveille, et vous ne sauriez croire ma chère petite soeur tout le bien qu’ils ont dit de vous, que vous étiez grande, jolie, aimable, gaie et que sais-je moi, mille autres jolies choses de façon, m’ont-ils dit, que je ne vous reconnaitrais pas si je vous voyais avec plusieurs autres, mais j’en doute, car mon coeur vous retrouverait toujours. Je suis à Postdam pour voir le roi et c’est demain que je lui serai présenté ensuite je retourne à Berlin pour y rester cinq à six jours, et me mettre en route pour ne plus m’arrêter qu’à Stockholm si Dieu me donne la santé. Je suis en attendant le moment de vous voir votre très affectionné frère 
Axel de Fersen. »

Alma Söderhjelm p. 48-49

A aucune autre femme il n’exprimera autant de sentiments.

Le jeune homme a fini son éducation, il a énormément appris, sur tous les plans, militaire, intellectuel, scientifique, littéraire, il parle couramment le français, l’allemand, l’italien, l’anglais. Ses succès diplomatiques, mondains et amoureux sont considérables. Il connaît personnellement tous ceux qui comptent en Europe. Il va désormais passer plusieurs années à s’ennuyer chez lui, partagé entre la vie de cour suédoise et sa famille.

 

En mars 1775

Après avoir refusé d’être en poste en Prusse comme ambassadeur auprès de Frédéric II qui l’apprécie beaucoup, Armand-Louis de Gontaut-Biron, duc de Lauzun (1747-1793) rentre en France et se retrouve très vite en faveur auprès du nouveau couple royal. Dès lors, le public s’attend à ce que ce grand séducteur, qui a semé les coeurs à travers toute l’Europe, attire la jeune Reine si mal mariée.

Il aura d’ailleurs l’occasion de fréquenter Fersen, ce que nous verrons plus loin. Pour l’instant, il intègre le cercle de la princesse de Guéménée, gouvernante des Enfants de France, chez qui Marie-Antoinette passe de nombreuses soirées. 

Armand-Louis de Gontaut-Biron, duc de Lauzun, dessin de Louis-Auguste Brun

Voir cet article : 

Le gentilhomme démarre sa faveur auprès de la Reine en remportant de nombreuses courses hippiques  (ou du moins son cheval et son jockey !) durant l’année 1775 contre d’autres grands seigneurs, notamment le comte d’Artois et le duc de Chartres. Il est de tous les soupers du Roi et participe au Jeu de la Reine, à sa table. Marie-Antoinette le réclame ensuite auprès de la princesse de Lamballe, qui par sa charge de Surintendante de la Maison de la Reine, doit organiser toutes les semaines des soupers et des bals chez elle où Marie-Antoinette peut recevoir qui elle souhaite avec moins de rigueur que dans ses propres appartements. 

A l’automne 1775

Lauzun se rêve conseiller politique auprès de la jeune souveraine pour qui il ne se refuse aucune ambition. Il lui évoque un projet chimérique qui permettrait de réunir la France et la Russie, avec l’accord de la Tsarine dont il est aussi le favori. Lauzun voit dans la réaction de non-recevoir de Marie-Antoinette un manque de courage et d’intelligence politique. Marie-Antoinette est peut-être tout simplement plus raisonnable qu’Elle ne le montre…

Elle lui offre ensuite la survivance de la compagnie des gardes du corps du duc de Villeroy. Lauzun refuse, ne souhaitant aucune place à la cour, de crainte d’une défaveur. Marie-Antoinette se récrie, cela n’arrivera jamais, lui affirme-t-Elle !

Alors d’après les mémoires du duc se joue une scène des plus éloquentes : 

« Madame la princesse de Bouillon me reprocha chez madame de Guéménée d’être triste et occupé, et me dit, en riant, que j’avais une grande passion dans le coeur; — Si cela est, répondis-je en plaisantant, elle est malheureuse ; car il faut convenir que j’en vois rarement l’objet. — On ne dit pas cela, répliqua madame de Bouillon, et on assure que vous êtes fort bien reçu, — Au moins dites-moi le nom de ma passion; il est juste que je le sache aussi. — Il s’agit d’un trop grand personnage pour oser le nommer ; il y a cependant si peu de monde dans la pièce, que je veux bien vous confier que c’est la reine. — Madame de Guéménée rougit et s’embarrassa. — Il faut donc, lui dis-je le plus froidement possible, qu’elle soit informée de cette belle nouvelle, et je vais sur le champ la lui apprendre sans citer personne, comme de raison (en fixant madame de Bouillon, qui me parut entièrement déconcertée) ; et je sortis de la chambre. Je montai chez la reine que je rencontrai en allant au salut. Je la suppliai de m’accorder une demi- heure d’audience après le salut. Elle me dit de l’attendre, me fit entrer dans son cabinet dès qu’elle fût revenue, et me dit : — Qu’y a-il-de nouveau ? —J’ai cru devoir informer Votre Majesté que l’on osait mal interpréter mon attachement sans bornes à sa personne, et que l’on poussait l’audace jusqu’à blâmer les bontés dont elle m’honore. J’ose la supplier d’en diminuer les marques trop frappantes, et de me permettre de me présenter moins souvent devant elle. —Y pensez-vous ? reprit-elle avec colère; devons-nous céder à d’insolents propos que je n’aurai pas dû craindre ? et serais-je excusable de leur sacrifier l’homme du monde sur qui je compte le plus et de qui l’attachement m’est le plus nécessaire? — Oui, Votre Majesté le doit, et j’ai dû m’y attendre ; quelque affreux qu’il soit pour moi de renoncer à la douceur de lui consacrer mes services et ma vie, je dois m’y résoudre, profiter puisque les circonstances l’exigent, de l’asile que m’offre une grande princesse, et fuir les persécutions que l’on me prépare de toutes parts dans ma patrie. Vous croyez donc que je ne vous défendrai pas ?
— J’ose supplier Votre Majesté, j’ose même exiger, comme seul prix de mon dévouement absolu, qu’elle ne se compromette pas en me soutenant ; je suffis pour me défendre. —Comment ! vous voulez que j’aie la lâcheté……. Non, M. de Lauzun, notre cause est inséparable, on ne vous perdra pas sans me perdre ! — Oh ! Madame, l’intérêt particulier d’un sujet peut-il être comparé aux grands intérêts de la reine ? — D’un sujet tel que vous, Lauzun ? Ne m’abandonnez pas, je vous en conjure; que deviendrai-je, si vous m’abandonnez ? Ses yeux étaient remplis de larmes. Touché moi-même jusqu’au fond du coeur je me jetai à ses pieds : — Que ma vie ne peut-elle payer tant de bontés ! Une si généreuse sensibilité ! Elle me tendit la main, je la baisai plusieurs fois avec ardeur sans changer de posture. Elle se pencha vers moi avec beaucoup de tendresse ; elle était dans mes bras lorsque je me relevai, je la serrai contre mon coeur qui était fortement ému ; elle rougit, mais je ne vis pas de colère dans ses yeux. — Eh bien! reprit-elle en s’éloignant un peu,
n’obtiendrai-je rien? — Le croyez-vous, répartis-je avec beaucoup de chaleur, suis-je à moi? N’êtes-vous pas tout pour moi? C’est vous seule que je veux servir, vous êtes mon unique souveraine! Oui! (continuai-je plus tristement), vous êtes ma reine, vous êtes la reine de France !  Ses regards semblaient me demander encore un autre titre,  je fus tenté de jouir du bonheur qui paraissait s’offrir. Deux raisons me retinrent; je n’ai jamais voulu devoir une femme à un instant dont elle pût se repentir et je n’eusse pu supporter l’idée que madame Czartoryska se crût sacrifiée à l’ambition ; je me remis donc assez promptement : — Je ne prendrai point de parti, dis-je sérieusement, sans les ordres de Votre Majesté; elle disposera de mon sort.— Allez-vous-en, me dit-elle ; cette conversation a duré assez, et n’a peut-être été que trop remarquée. Je fis une profonde révérence, et me retirai.»

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58316323/f301.item.r=reine

On est consterné devant tant de fatuité ! Lauzun représente dans ses mémoires la caricature de ces aristocrates internationaux devant qui le pouvoir, les succès diplomatiques, les batailles et les femmes de toute l’Europe s’inclinent. Le modèle d’un Fersen.

La princesse de Guéménée par Benjamin Warlop

Notons cependant que Lauzun, entretemps devenu duc de Biron, puis général révolutionnaire meurt guillotiné en 1793. Il n’a donc pas lui-même entièrement rédigé ses mémoires qui courent de 1747 à 1783 mais seulement laissé quelques papiers épars. L’ensemble fut remonté et sûrement complété par d’autres mains. La version manuscrite qui en résulte sera lu clandestinement sous l’Empire et contre laquelle va s’opposer Talleyrand jugeant la plupart des anecdotes apocryphes mais en confirmant d’autres. Madame Campan va quant à elle s’offusquer des passages concernant Marie-Antoinette. Le manuscrit sera interdit par Napoléon mais finalement édité sous Louis XVIII en 1822.

Les mémoires continuent sur les intrigues internationales, notamment son plan avec la Russie, Lauzun jugeant Marie-Antoinette, par sa lâcheté politique, responsable de la mauvaise opinion des ministres à son égard, et qui d’après lui n’ont qu’un souhait : l’enfermer à la Bastille. Mais celle-ci lui promet toujours les plus éclatantes faveurs et en attendant lui suggère la charge de premier écuyer de sa maison, en succession du comte de Tessé. Comme si cela ne suffisait pas, elle espère en faire le gouverneur du fils qu’elle n’a toujours pas. Lauzun joue alors la carte de l’humilité en arguant n’avoir pas les qualités nécessaires pour éduquer le futur roi. On est confondu devant tant d’exagérations !

Mais le pire arrive :

«La conversation dura encore quelque temps; ensuite là reine parla bas à madame de Guéménée qui s’approcha de moi et me dît, en riant, à mi-voix :
—Etes-vous très attaché à la plume de héron blanche qui était à votre casque lorsque vous avez pris congé ; la reine meurt d’envie de l’avoir, la lui refuserez-vous ? —Je répondis que je n’oserais la lui offrir, mais que je me trouverais très heureux
qu’elle voulut bien la recevoir de madame de Guéménée. J’envoyai un courrier la chercher à Paris, et madame de Guéménée la lui porta le lendemain au soir. Elle la porta dès le jour suivant et lorsque je parus à son dîner, elle me demanda comment je la trouvais coiffée, je répondis : — Fort bien ! — Jamais, reprît-elle avec infiniment de grâce, je ne me suis trouvée si parée, il me semble que je possède des trésors inestimables !
Il eût assurément mieux valu qu’elle n’en eût pas parlé, car le duc de Coigny remarqua et la plume et la phrase, et il demanda d’où venait cette plume ; elle dit avec assez d’embarras que je l’avais rapportée à madame de Guéménée de mes voyages et qu’elle la lui avait donnée. Le duc de Coigny en parla le soir à madame de Guéménée avec beaucoup d’humeur, lui dit que rien n’était plus ridicule et plus indécent que ma manière d’être avec la reine, qu’il était inouï de faire aussi publiquement l’amoureux, et incroyable qu’elle eût l’air de le trouver bon. Il fut assez mal reçu et songea aux moyens de m’éloigner.
Mon projet, et c’était le parti le plus sage, était de passer une grande partie de l’hiver en Italie ; mais jamais la reine n’y voulut consentir ; et pour m’éloigner au moins quelques jours de la cour,
vers la fin de Fontainebleau, je fis un voyage à Chanteloup, où je trouvai tout le monde extrêmement occupé de ma faveur. Madame la duchesse de Gramont surtout, fondait les plus hautes espérances sur mon crédit près de la reine. Elle ne tarda pas à m’en parler et à me dire que le goût que la reine avait pour moi ne me rendait rien difficile près d’elle. Je lui dis qu’elle me traitait avec distinction, à la vérité, mais que ne prétendant à aucun crédit, et étant résolu à ne jamais rien demander, je ne
pouvais juger quelle en était la mesure. Madame de Gramont répliqua qu’elle ne voulait pas m’engager à lui confier mon secret, si je n’en avais pas l’intention, mais que personne ne doutait que le goût de la reine pour moi n’eût eu les suites qu’il devait naturellement avoir, et que je ne fusse son amant ; que par conséquent elle ne me faisait pas l’injure de penser que je ne ferais pas tous mes efforts pour ramener le duc de Choiseul à la tête du ministère. J’assurai madame de Gramont qu’elle ne saurait plus mal juger l’espèce de liaison que j’avais avec la reine ; que je n’étais nullement à portée d’intriguer ni de lui donner des conseils ; et que, quand j’aurais sur elle une influence que je n’avais pas, je lui étais trop attaché pour la porter jamais
à se mêler des ministres du roi ; que tout le monde savait combien j’étais dévoué à M. le duc de Choiseul, et que, quand je le pourrais, je croirais lui rendre un très-mauvais service en le mettant à la tête des affaires. — Et pourquoi ? reprit madame de Gramont avec une grande vivacité. — C’est, lui dis-je, que M. le duc de Choiseul n’aurait plus maintenant qu’à perdre ; que le but des gens les plus ambitieux ne pouvait être que de réunir une grande réputation et une haute considération à de belles places et à une fortune considérable ; qu’il n’y avait pas en Europe de ministre qui eût joui d’autant de réputation et de considération; qu’il était peut-être le seul qui eût vu le prince qui l’avait exilé abandonné pour lui de ses courtisans même ; qu’en redevenant ministre, on le rendrait peut-être responsable des événements malheureux amenés par les fautes de ses prédécesseurs. —M. le duc et madame la duchesse de Choiseul furent de mon avis ; mais madame de Gramont continua de répéter avec chaleur que tous ceux qui aimaient M. de Choiseul devaient désirer le voir encore gouverner un grand royaume, et dans tous les genres augmenter sa, fortune. Je ne me laissai pas persuader ; malgré son attachement pour la reine, je ne pouvais me dissimuler tous les inconvénients qu’aurait pour elle M. de Choiseul subjugué par une femme aussi impérieuse que sa soeur. On continua de me fort bien traiter à Chanteloup. où je restai encore quelques jours; mais madame de Gramont me jura une haine éternelle.»

A notre connaissance, jamais cet extrait n’est apparu aussi complet dans aucune biographie consacrée à Marie-Antoinette. Seule l’histoire de la plume de héron ornant la coiffure de la jeune et jolie reine a intéressé ses biographes, soulignant seulement dans quel embarras elle se retrouve vis-à-vis d’un grand séducteur.

Or ici, il est explicitement dit que tout est orchestré de Chanteloup, lieu d’exil de l’ancien ministre de Louis XV et dont la soeur ne cache pas l’ambition.

Béatrix de Choiseul-Stainville, duchesse de Gramont (1729-1794), par Alexandre Roslin, vers 1774

Marie-Antoinette est ici clairement l’enjeu de la lutte entre les deux bords politiques qui s’opposent depuis le règne de Louis XV. D’un côté le parti anti-autrichien, plus ou moins représenté par Mesdames, dit aussi le parti dévot, héritier de la ligne du Dauphin père de Louis XVI, de l’autre les choiseulistes que Marie-Antoinette soutient ostensiblement depuis son mariage. Les anti-autrichiens financent la campagne de calomnies contre la jeune reine, lui attribuant des amants les plus improbables (dont le prince de Lamballe décédé en 1768 !). Avec ce passage, nous découvrons que le parti choiseuliste n’est pas en reste car lui souhaite réellement lui donner un amant, non seulement le moins discret mais surtout à leurs bottes. Ainsi, Choiseul, et surtout sa soeur (qui n’a jamais digéré avoir été évincée par madame du Barry auprès de Louis XV dont elle se rêvait favorite) pensent pouvoir manipuler la jeune Reine et de là son époux le Roi, pauvre benêt qui cède à tous les caprices de sa femme. 

Comment aucun biographe, historien n’a-t-il pu évoquer ce fait ? Même les Girault de Coursac l’occultent, eux dont la thèse principale est de montrer Marie-Antoinette comme la créature des choiseulistes amenée à dominer son mari ? Les Girault de Coursac ont aussi un autre cheval de bataille : ignorer les mémorialistes, à leurs yeux tous menteurs, flagorneurs ou apocryphes. On ne peut leur donner entièrement tort sur ce point mais même si Lauzun n’a jamais écrit cela de lui-même, même si jamais la cour concurrente de Chanteloup n’a jamais fomenté un tel complot, il était une évidence pour l’auteur post-Lauzun de ces mémoires rédigées entre la Terreur et la Restauration que les choiseulistes voulaient donner à Marie-Antoinette un amant de leur parti, puissant et célèbre dans toute l’Europe. Impossible de savoir si cela relève de la rumeur lancée par le parti adverse ou bien une réalité incontestable de la part des choiseulistes. 

On lit bien avec ce passage et ceux précédents que Marie-Antoinette est en effet terriblement embarrassée. Elle se sait l’enjeu de ces partis. D’un côté ceux qui veulent la voir «repasser la Barrière», mettant fin à l’alliance avec l’Autriche car reine pourvue d’amants aux yeux du public et de l’autre ceux qui veulent effectivement lui donner un amant bien réel afin de retrouver ou renforcer leur pouvoir. Marie-Antoinette se sait piégée et doit en même temps ménager ses amis choiseulistes qu’elle croit être ses seuls soutiens à la cour. D’où son port de la plume de héron au Grand Couvert. 

Mais le plus difficile à cerner reste l’attitude de Louis XVI. En effet, dans la suite de ses mémoires, Lauzun explique : 

« Le roi me renvoyait toujours près d’elle, et me disait d’y rester. Il paraissait approuver cette manière d’être avec moi, et avait d’autant plus de mérite que les propos tenus dans le public étaient venus jusqu’à lui, qu’il ne s’était pas contenté de très-mal recevoir ceux qui avaient osé les lui répéter, mais que dès cet instant, il avait commencé à me traiter infiniment mieux, et à être aussi honnête pour moi que son caractère pouvait le comporter.»

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58316323/f314.item.r=reine

Bref, cela ne dérange pas le moins du monde Louis XVI que le public puisse imaginer son épouse pourvue d’un amant et le favorise d’autant plus. D’un côté, le choiseuliste qu’est Lauzun ne cache pas son mépris qu’il a du Roi et de l’autre, le piège dans lequel se retrouve Marie-Antoinette est d’autant plus profond que c’est son propre époux qui l’y plonge !

Mais d’autres choiseulistes commencent à voir le danger dans lequel se retrouve Marie-Antoinette : Lauzun se plaint de la faveur en hausse du baron de Besenval et de la comtesse de Polignac ce même automne 1775 qui chacun dans son style va assurer une véritable influence sur la Reine, en faveur de Louis XVI de surcroît. Nous l’avons vu, le duc de Coigny fait tout aussi de son côté pour prévenir le danger. Lauzun parle de rivalité d’amants potentiels, mais c’est bien une lutte politique que nous avons sous les yeux. Un autre ami de la Reine vient ensuite s’interposer entre Lauzun et Marie-Antoinette :  le comte d’Esterhàzy.

Voir cet article :

Madame Campan, de son côté, ne décolère pas, bien des années plus tard :

« Le duc de Lauzun (depuis duc de Biron ), qui a figuré dans la révolution parmi les intimes du duc d’Orléans, a laissé des Mémoires encore manuscrits, où il insulte au caractère de Marie-Antoinette. Il raconte une anecdote d’une plume de héron : voici la version véritable.
M. le duc de Lauzun avait de l’originalité dans l’esprit, quelque chose de chevaleresque dans les manières. La reine le voyait aux soupers du roi et chez la princesse de Guéménée : elle l’y traitait bien. Un jour il parut chez madame de Guémenée en uniforme avec la plus magnifique plume de héron blanc qu’il fût possible de voir ; la reine admira cette plume : il la lui fit offrir par la princesse de Guémenée. Comme il l’avait portée, la reine n’avait pas imaginé qu’il pût vouloir la lui donner ; fort embarrassée du présent qu’elle s’était, pour ainsi dire, attiré, elle n’osa pas le refuser, ne sut si elle devait en faire un à son tour, et, dans l’embarras, si elle lui donnait quelque chose, de faire ou trop ou trop peu, elle se contenta de porter une fois la plume, et de faire observer à M. de Lauzun qu’elle s’était parée du présent qu’il lui avait fait.
Dans ses Mémoires secrets, le duc donne une importance au présent de son aigrette, ce qui le rend bien indigne d’un honneur accordé à son nom et à son rang. Son orgueil lui exagéra le prix de la faveur qui lui avait été accordée. Peu de temps après le présent de la plume de héron, il sollicita une audience ; la reine la lui accorda, comme elle l’eût fait pour tout autre courtisan d’un rang aussi élevé. J’étais dans la chambre voisine de celle où il fut reçu ; peu d’instants après son arrivée, la reine rouvrit la porte, et dit d’une voix haute et courroucée : « Sortez, Monsieur. » M. de Lauzun s’inclina profondément et disparut. La reine était fort agitée. Elle me dit : « Jamais cet homme ne rentrera chez moi. » Peu d’années avant la révolution de 1789, le maréchal de Biron mourut. Le duc de Lauzun héritier de son nom, prétendait au poste important de colonel, du régiment des gardes-françaises. La reine en fit pourvoir le duc du Châtelet : voilà comme se forment les implacables haines. Le duc de Biron s’attacha aux intérêts du duc d’Orléans, et devint un des plus ardents ennemis de Marie- Antoinette.»

Mémoires de madame Campan

Henriette Genêt, épouse Campan, par Joseph Boze

Rassurons-nous, le duc de Lauzun est resté encore bien en Cour longtemps après cette histoire. Madame Campan prouve que comme tout bon mémorialiste qui se respecte elle n’hésite pas à exagérer. La version de Lauzun étant encore manuscrite quand elle écrit, elle se doute que peu de gens en feront la comparaison. Or, même aujourd’hui, malgré les deux textes sous les yeux, peu d’historiens remettent en cause les dires de la bonne Henriette. Or Lauzun n’a pas été expulsé de la cour après sa visite à la Reine. Mais on se doute aussi que cette visite ne s’est aucunement déroulée comme il l’a décrite.

Tous les ingrédients d’une faveur qui a eu l’air d’être plus qu’elle ne fut sont là. Or, on le voit Lauzun n’a fait que vivre dans ses fantasmes.

En parallèle, Louis XVI fait tout également pour nourrir l’amitié entre Lauzun et son jeune frère le comte d’Artois :

«Il apprit un jour, pendant l’hiver, que M. le comte d’Artois était sorti seul, à cheval, très matin; il en fut fort inquiet, et craignit qu’il n’eût eu quelque querelle. On lui dit que j’étais avec lui, et il étonna beaucoup tous les gens qui l’entouraient, en disant fort tranquillement :
— Puisque M. de Lau
zun est avec lui, je n’ai pas d’inquiétude; il ne lui laissera pas faire de sottises, et il en eût prévenu la reine s’il en eût prévu qu’il n’eût pu empêcher.»

Charles-Philippe, comte d'Artois par Antoine Callet

On a l’impression de deux relations tissées par Louis XVI avec un Lauzun au coeur de sa toile.

Le 15 décembre 1775

Marie-Antoinette se moque superbement des libelles qui courent sur le Roi et Elle-même :

« Nous sommes dans une épidémie de chansons satiriques. On en a fait sur toutes les personnes de la Cour, hommes et femmes, et la légèreté française s’est même étendue sur le Roi. La nécessité de l’opération a été le mot principal contre le Roi. Pour moi, je n’ai pas été épargnée. On m’a très libéralement supposé les deux goûts, celui des femmes et celui des amants. Quoique les méchancetés plaisent assez dans ce pays-ci, celles-ci sont si plates et de si mauvais ton qu’elles n’ont eu aucun succès, ni dans le public ni dans la bonne compagnie.»

Marie-Antoinette, Correspondance, édition établie par Evelyne Lever, p. 235

Marie-Antoinette qui n’a que vingt ans fait preuve ici d’une grande naïveté. Elle rit de la supposée impuissance de Son époux, Elle rit de ce qu’en conséquence, on ne peut que Lui prêter des amants et des maîtresses. Elle pense ces méchancetés si bêtes qu’elles ne peuvent avoir de succès auprès de l’opinion. Ce n’est tellement pas sérieux à Ses yeux qu’Elle expose la situation de manière amusante à Sa mère qu’Elle sait pourtant extrêmement bigote et pointilleuse sur le sujet. Et qui ne risque certainement pas d’en rire. D’année en année, Marie-Antoinette va déchanter et prendra dans une dizaine d’année la mesure des horreurs débitées sur Elle.

Une chose est sûre : tout le monde s’attend à ce que la jeune Reine se désennuie de Son triste mari auprès des femmes qui forment son entourage, mais aussi auprès des seigneurs qui composent Sa Cour. Lauzun en première ligne.

A l’hiver 1775-1776

Le duc de Lauzun file le parfait amour avec lady Barrymore, dame dont évidemment d’après ses mémoires Marie-Antoinette est jalouse. Cependant, le comte d’Artois humilie le duc de Lauzun en plein bal de l’Opéra : le jeune prince et lady Barrymore sont retrouvés ensemble dans une loge. Le héros des mémoires qui ne tarit pas sur toutes les faveurs qui lui tombent dessus, se retrouve ridiculisé par le frère du Roi. Un Roi qui a tout fait pour que Lauzun ne quitte plus son cadet. 

Louis XVI interprété par Gabriel Dufay dans L'Homme qui ne voulait pas être roi, 2011

Alors a-t-on vraiment en face de nous un Louis XVI si aveugle faisant tout pour rendre sa femme heureuse, lui ne pouvant lui procurer ce bonheur ? Ou bien sommes-nous devant celui décrit par Aurore Chéry qui est prêt à tout pour se débarrasser de sa femme ? Et si c’est encore autre chose ? Et si, lorsqu’il a compris que sa femme avait été piégée par les choiseulistes n’avait-il pas à son tour orchestré une intrigue ? Louis XVI serait bien un intrigant mais apparemment Aurore Chéry n’a pas réussi à correctement démêler ses intrigues, en en supposant là où il n’y en avait pas et négligeant celles pourtant flagrantes. 

Il sait que son épouse doit ménager les choiseulistes et lui-même s’il refuse de revoir le duc de Choiseul à Versailles, nombre de personnes de son entourage appartiennent à ce parti. Il a fait croire l’été précédent qu’il avait cédé au caprice de sa femme pour revoir le duc de Choiseul mais son accueil montre bien ce qu’il en était réellement.  Que son épouse porte ostensiblement la plume de héron au Grand Couvert. Les choiseulistes se croiront récompensés de leurs efforts. Louis XVI favorise encore plus Lauzun qui ne se connaît plus de bornes. Mais tout s’écroule ensuite. Celui sur qui pleut toutes les faveurs se retrouve ridiculisé. Et son parti du coup également. On comprend mieux dès lors la haine de madame de Gramont contre Lauzun, trop fat pour s’apercevoir du piège. Des choiseulistes plus édulcorés ont tenté de prévenir Lauzun. Mais celui-ci est trop sûr de lui pour s’imaginer piégé par le Roi lui-même. 

Louis XVI n’a pas forcément envie de se débarrasser de sa femme, comme le pense Aurore Chéry. Elle lui est utile à plus d’un titre. Là clairement Marie-Antoinette lui sert dans sa lutte contre les choiseulistes. 

Au même moment se déclenche l’affaire de Guines qui met encore en jeu l’opposition entre choiseulistes et dévots. Marie-Antoinette sera vivement éclaboussée dans cette affaire. Elle apparaît comme victorieuse, imposant ses vues à son mari, mais sa réputation en est au final altérée. Le duc de Coigny fait tout pour que Marie-Antoinette s’en mêle le moins possible, voulant la sauvegarder contre Son propre orgueil, quand Lauzun l’y entraîne, prétextant l’honneur de la Reine tenue à protéger Ses fidèles.

Au printemps 1776

Suite aux réforme du comte de Saint-Germain dans l’armée, Marie-Antoinette fait tout pour offrir au duc de Lauzun un nouveau régiment. 

En avril 1776

Course aux Sablons avec pour principaux concurrents le comte d’Artois, le duc de Chartres et le duc de Lauzun, vainqueur. Marie-Antoinette se montre une fois de plus enthousiaste pour ces courses. 

Course hippique du temps de l'Empire

Le public murmure. 

Peu après, lors d’une chasse aux bois de Boulogne Marie-Antoinette a le caprice d’échanger un de ses chevaux avec celui d’un piqueur du duc de Lauzun. Le duc de Coigny qui les accompagne est scandalisé. 

Mai-Juin 1776

Le comte de Saint-Germain propose à Lauzun un régiment de dragons. Celui-ci refuse mais Louis XVI lui promet le premier régiment étranger vacant en échange. 

Le duc de Lauzun en costume de hussard

Tout dans cette histoire de Lauzun semble être comme le moule où se déroulera ensuite l’histoire de Fersen. 

Le 30 juin 1776

Nous apprenons dans une lettre entre l’ambassadeur Creutz et le comte Fredrik Axel von Fersen, que ce dernier lui a envoyé ses cuisiniers afin d’apprendre la cuisine française. Monsieur de Fersen et l’ambassadeur en poste à Paris n’hésitent donc sur rien pour le développement d’une véritable culture française en Suède !

Le 6 juillet 1774 ou 1775 ou 1777

Söderhjelm date cette lettre de 1778 mais cela est impossible puisque Fersen est alors en Angleterre. 

A sa soeur :

«Vous me dites, ma chère amie, que vous me regrettez en ville mais il est impossible que ce soit autant que je vous regrette ici, ce séjour aurait été charmant pour moi si j’avais pu y voir ma chère Sophie et passer les journées avec elle, maintenant  cela est tout différent, je passe ma journée tête à tête avec mon père et ma Mère, qui jouent tous les soirs une partie de piquet et pendant ce temps je monte dans ma chambre où je joue de la flûte ou fais une lecture… En arrivant je fus reçu des mieux, et ils sont encore de fort bonne humeur, surtout ma Mère qui est charmante, pour nos plaisirs vous les connaissez, et savez qu’ils ne sont pas fort vifs, ajoutez à cela qu’une pluie presque continuelle nous interdit même la promenade… Il n’y a plus de déjeuners, chacun déjeune dans sa chambre, nous nous voyons qu’au dîner.»

Alma Söderhjelm p. 51-52

On veut bien croire l’ennui du jeune homme après une vie si intense à travers l’Europe. En effet, bientôt on ne parlera du premier écuyer que comme amant de la jeune Reine. Lauzun reste cependant bien en cour même si désormais en province avec son régiment. 

Le 24 août 1776

Aux yeux d’Axel, la vie de cour suédoise n’a vraiment pas les agréments de la vie parisienne :

« Pardonnez chère Sophie si je n’ai pu vous remercier plutôt de votre petit billet de Stiernsund, mais nous avons tant à faire ici que j’ai n’ai pu vous écrire. Nous montons à cheval le matin et le soir pendant quatre ou cinq heures nous courons les têtes et les bagues tant que nous pouvons, mais malgré cela je m’ennuie très fort je voudrais être loin d’ici, toutes ces figures de cour me paraissent si vieilles, elles me déplaisent toutes, mais il faut pourtant me résoudre à les voir jusqu’au mois de novembre patience… Notre tournoi est fixé au 27 nous serons tous habillés de fer, j’ai une armure de 40 skâlpund (livres) que je dois porter pendant trois jours depuis deux heures après midi jusqu’à ce que je me couche ; nous devons souper avec nos armures, plaignez un peu mon dos et mes épaules.»

En Suède, Fersen n’a de plaisir qu’en compagnie de Sophie. Le reste est d’un ennui mortel. Et rien n’indique, n’en déplaise à certains, que c’est parce qu’il se serait langui de la Reine de France !

Axel von Fersen (miniature réalisée par Hall)

En Octobre 1776

Séjour à Choisy.

Après quelques mois d’absence, Marie-Antoinette revoit le duc de Lauzun. Le duc de Coigny ne cache pas sa jalousie : 

« La reine me reçut parfaitement bien, montra une grande joie de me revoir, et me parla bas longtemps. Je sortis de la chambre ; et lorsque je rentrai j’eus le temps d’entendre le duc de Coigny disant :
— Vous n’avez pas tenu votre parole : vous
aviez promis de ne pas lui parler beaucoup et de le traiter comme tout le monde.
 Il ne me fut pas
difficile de deviner qu’il parlait de moi. Quelques instants après, la reine vint me parler, et je lui dis :
— Prenez garde, vous vous ferez gronder encore une fois.
— Elle fut embarrassée, et finit cepen
dant par en convenir et en plaisanta avec moi.»

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58316323/f338.item.r=reine

Néanmoins est-ce vraiment de la jalousie ou bien une manière de protéger une jeune femme de vingt ans contre un élément du parti choiseuliste des plus dangereux ?

Reconstitution du château de Choisy

Si Lauzun se plaint dans ses mémoires de la lutte des favoris de Marie-Antoinette contre sa personne, il ne se gêne pas de son côté, bien que n’en parlant pas dans ses mémoires plus que douteuses : 

« Le duc de Lauzun a imaginé d’attaquer la comtesse de Polignac et de la perdre, en produisant des preuves d’infidélité envers la Reine, en ce que des lettres de cette auguste princesse à sa favorite auraient été communiquées à d’autres personnes. Quoique le fait soit très possible, et que j’en ai eu moi-même de violents soupçons, la tête désordonnée et légère de l’accusateur, son défaut absolu de preuves, et le caractère d’intrigue que portait son projet, l’ont fait avorter .»

Mercy à Marie-Thérèse

En novembre 1776

Séjour à Fontainebleau.

Lauzun souhaite partir pour les Indes où des rumeurs de guerres se profilent. Marie-Antoinette refuse ce départ. Lauzun explique ne pouvoir en parler au comte de Maurepas car Marie-Antoinette le lui aurait interdit. C’est surtout parce que le vieux conseiller du Roi lutte vigoureusement contre les choiseulistes. Tous les favoris de la Reine tentent alors désespérément de réduire le crédit de Lauzun, inutilement semble-t-il d’après lui. Marie-Antoinette «mourait de peur de sa société».

Nous apprécions une fois de plus le degré d’exagération du mémorialiste. En tout cas, il est certain qu’il s’est mis à dos une grosse partie de la cour, notamment nombre de choiseulistes, dont le duc de Choiseul, qui peuvent craindre à juste titre ses excès. Heureusement pour eux, et certainement pour Marie-Antoinette, le duc de Lauzun se retrouve peu après endetté jusqu’au cou, le plaçant dans une situation très gênante. La Cour et le Ville le blâment d’y entraîner la duchesse de Lauzun qui n’a qu’à se plaindre d’un tel époux. Elle se console alors avec le duc de Guines. Bref, tout le monde le lâche. 

Pour la première fois apparemment, Marie-Antoinette «m’offrit sa protection, un peu trop en reine pour la circonstance.»

Louis XVI lui promet pour services rendus à la Couronne de belles sommes d’argent que Lauzun refuse en gentilhomme. Le Roi le traite toujours merveilleusement bien à son coucher. On peut se demander si ce n’est pas encore stratégique de sa part. D’un côté, il s’oppose à l’attitude des choiseulistes qui rejettent celui qui fut leur héros et sur lequel reposait tous leurs espoirs, de l’autre, il atténue sa chute qu’il a lui-même désirée pour la rendre encore plus difficile. 

Lauzun se retrouve obligé de vendre une grande partie de ses biens. Au prince de Guéménée. Pour ceux connaissant la suite, je vous laisse savourer l’ironie. Si c’est vrai, c’est sidérant. Si c’est uniquement de la main de l’auteur des mémoires post-Lauzun, il appréciait l’humour.

Le 17 janvier 1777

«Nous sommes parvenus à lui démasquer le duc de Lauzun, qui est un des plus dangereux personnages et la reine s’est décidée à lui refuser désormais tout accès de confiance.»

Lettre de l’ambassadeur Mercy

Lauzun se sentant abandonné par son parti tente de se rapprocher de Maurepas. Ainsi, il perd tout : ses anciens alliés, dont Marie-Antoinette et ne se fait pas pour autant accepté de ceux qui le voient comme un dangereux arriviste. Tous ceux souhaitant donner un amant à Marie-Antoinette, qu’ils soient pour une répudiation ou pour assurer un pouvoir auprès d’un roi soi-disant malléable, ont compris la leçon. Il leur faut trouver un nouveau Lauzun.  Néanmoins celui-ci exerce toujours une certaine influence sur la Reine si l’on se fie à ses mémoires, mais aussi par d’autres sources bien plus crédibles que nous verrons plus loin. 

En février 1777

L’architecte de Marie-Antoinette Richard Mique présente à la Reine son projet du Temple de l’Amour qui doit être le point de vue principal de son jardin anglo-chinois du Petit Trianon. Bien qu’Elle n’y dorme pas, Marie-Antoinette a récupéré l’ancienne chambre de madame du Barry. De Sa fenêtre, Elle peut ainsi voir le Temple de l’Amour.

Le Temple de l'Amour vu de la chambre de Marie-Antoinette au Petit Trianon

Les dates parlent d’elles-mêmes : Marie-Antoinette ne peut en aucun cas réclamer une telle fabrique en l’honneur de Fersen, un homme qu’Elle n’a pas revu depuis trois ans. Ni Elle ni lui ne peuvent penser à cette date un jour se revoir.

Evelyn Farr est pourtant incapable d’imaginer cette oeuvre autrement que pour célébrer l’amour de Marie-Antoinette pour le beau Suédois (voir sa page Facebook inondée de photos du Temple de l’Amour). Il suffit pourtant de placer les faits chronologiquement pour se rendre compte de l’erreur.

Page Facebook d'Evelyn Farr

J’ai presque mal pour elle tant elle semble y croire…

C’est triste, on est loin de l’exaltation des coeurs, mais Marie-Antoinette a conçu ce Temple dédié à l’Amour en l’honneur de son époux. Qu’elle n’aime pas certes et réciproquement. Son époux qui lui a offert ce domaine, son époux qu’elle reçoit très régulièrement chez elle à dîner et souper _jamais pour y dormir_, son époux qu’elle doit séduire afin d’espérer un jour donner un Dauphin, un époux qui dans sa jeunesse avait déjà été associé à l’Amour :

Louis-Auguste, duc de Berry sous les traits de l'Amour conjugal, mausolée du Dauphin et de la Dauphine, cathédrale de Sens

Marie-Antoinette doit Son statut de Reine de France à Son époux. Elle se doit donc d’officiellement l’aimer, comme lui obligé d’admettre ne pouvoir obtenir d’héritiers que de son épouse. C’est le dur sort des couples royaux et une règle immuable de la monarchie française. 

Le 30 août 1777

Marie-Antoinette écrit à Sa mère quant à la consommation de Son mariage : 

« Il y a déjà plus huit jours que mon mariage est parfaitement consommé. L’épreuve a été réitérée, et encore hier plus complètement que la première fois.»

Marie-Antoinette, Correspondance, édition établie par Evelyne Lever, p. 291-292

Marie-Antoinette par François Dumont

Le 12 septembre 1777

Lettre de l’ambassadeur Mercy à l’Impératrice Marie-Thérèse : 

« Il s’était établi en dernier lieu un nouveau genre d’amusement peu convenable, mais qui heureusement doit cesser avec la belle saison. Cet objet a été, depuis un mois, de faire établir vers dix heures du soir, sur la grande terrasse des jardins de Versailles, les bandes de musique de la garde française et suisse. Une foule de monde, sans en excepter le peuple de Versailles, se rendait sur cette terrasse, et la famille royale se promenait au milieu de cette cohue, sans suite et presque déguisée. Quelquefois, la Reine et les princesses royales étaient ensemble, quelquefois aussi elles se promenaient séparément, prenant une seule de leurs dames sous le bras. Le Roi a été une fois ou deux de son côté et seul à ces promenades ; il a paru s’en amuser, et cela les a d’autant plus autorisées. Cependant, surtout pour la Reine, de pareilles promenades peuvent produire de grands inconvénients. Parmi cette nation, où la jeunesse est si étourdie et si inconsidérée, on ne saurait être trop en garde contre les occasions d’être méconnu.»

Marie-Antoinette, Correspondance, édition établie par Evelyne Lever, p. 295

L’ambassadeur voit d’un très mauvais oeil ces soirées pourtant très innocentes. Il a peur du quand-dira-t-on concernant la Reine de France mêlée presque incognito avec le peuple. Il n’a pas tort car très vite, les pamphlets s’empareront de ce thème et imagineront Marie-Antoinette s’enfuir dans les bosquets avec des hommes qui ne sont pas le Roi, en particulier Son beau-frère le comte d’Artois. Sophie Herfort prend ces pamphlets au pied de la lettre et jamais elle ne s’est dit qu’un prince si près du trône ne peut en aucun cas provoquer ce qui l’en éloignerait !
Pour d’autres qui ne souhaitent accorder à Marie-Antoinette qu’un seul et unique amour, on imagine très bien ce qu’ils pourraient penser si Fersen avait été présent en France cet été-là. Les romans n’ont que faire de la chronologie.

La réalité des dates montre qu’au contraire le couple royal est enfin épanoui. 

Le 19 mars 1778

Conception du premier enfant du couple royal au matin, lorsque Marie-Antoinette sort de Son bain. 

Le 16 avril 1778

Fersen quitte enfin la Suède ! Non pour la France mais pour l’Angleterre. Il passe par l’Allemagne et retourne une fois de plus à Lille puis de là Calais. En chemin, il entend les bruits de guerre quant à la succession de Bavière sur laquelle Joseph II a des vues. Il est accompagné de son valet Joseph et de son chien. Son père l’autorise à quitter le sol suédois avec mission de trouver une riche épouse afin de renflouer les caisses familiales bien entamées avec le grand tour de son fils aîné. L’héritière choisie n’est autre que mademoiselle Leyel rencontrée quelques années auparavant et que le jeune Axel apprécie. Son père d’origine suédoise est installé à Londres et s’est fortement enrichi grâce à la Compagnie des Indes Orientales. 

De surcroît si Fredrik Axel von Fersen est un défenseur bien connu de l’alliance française, il ne mésestime pas non plus les Anglais dont la politique pourrait déranger son roi qui doit soutenir Louis XVI au début du conflit franco-anglais. Fersen père est avant tout un opposant envers Gustave III. 

Le 26 mai 1778

Embarquement à Calais pour Douvres. Les bruits de guerre continuent, cette fois-ci entre la France et la Grande-Bretagne à propos de l’Indépendance des futurs Etats-Unis.

Lettre de Fersen à son père du 24 mai 1778 2 Riksarkivet

Il reste trois mois à Londres où il est toujours aussi bien reçu par George III et son épouse Charlotte de Mecklembourg-Strelitz. 

La Reine Charlotte ( Helen Mirren) et le Roi George III (Nigel Hawthorne) dans La Folie du Roi de Nicholas Hitner, 1994

Le 30 juin 1778

Par contre ses affaires maritales n’avancent pas. Mademoiselle Leyel refuse de quitter Londres pour vivre en Suède. Fersen, blessé, se confie comme toujours à Sophie :

« Tout est fini, ma chère amie, la fille m’a assuré qu’elle ne voulait pas quitter ses parents, et qu’elle ne changerait pas d’avis et elle m’a toujours prié de la mander à son père. J’ai cependant insisté, j’ai dit tout ce que l’amant passionné peut dire mais en vain ; elle m’a assuré qu’elle ne doutait pas que je l’aimasse, je l’ai assurée que je ferais mon unique étude de lui plaire, et de la rendre heureuse, enfin mille autres choses, nonobstant tout cela, elle m’a répondu, que la peine de se séparer de ses parents était trop grande pour elle, qu’elle ne pouvait s’y résoudre. Elle l’a déclaré à son père, il m’en a parlé en me disant qu’il en était bien fâché ;  et me faisant de jolis compliments, il m’a assuré de son amitié et m’a demandé la mienne il compte écrire une lettre à mon Père, et je me vois obligé de lui mander cette nouvelle. J’en suis au désespoir, cela lui fera de la peine, mais j’ai fait tout mon possible. La fille est fort aimable, remplie de talents, bien de figure, elle est charmante et remplie de douceur, je sens la perte que je fais, mais je ne puis m’empêcher de trouver la raison bonne, je sais par moi-même la peine qu’on doit avoir de se séparer pour toujours de ses parents, et d’un endroit où l’on a des amis, je me consolerai de cette perte si je suis sûr, que mon Père soit persuadé que j’ai fait tout ce que j’ai pu pour lui plaire, et obtenir. le consentement de mademoiselle Leyel. Si au contraire, il en doute, j’en serais au désespoir, j’aurais l’âme bien basse, et je serais le plus ingrat des hommes, si pour prix de toutes les bontés qu’il a pour moi, je le trompais. Je luis écris aujourd’hui pour le prier de différer mon retour en Suède, vous savez le plaisir que j’aurais de vous revoir, mais je crois qu’il n’y a que ce seul moyen pour faire un peu oublier ce mariage rompu, et m’éviter le désagrément affreux d’entendre railler et faire des bons mots sur ce sujet, je propose à mon Père, de me laisser aller, ou dans les provinces méridionales de France, ou à Vienne, ou à Paris pour travailler avec Creutz, ou à la guerre et c’est ce dernier parti que je préfèrerais. Mais quelque soit l’intention de mon père, je m’y soumettrais avec plaisir, plaire à un si bon père est tout ce que je veux. Adieu, ma chère et tendre amie, je suis au désespoir d’avoir une si mauvaise nouvelle à mander à mon Père, et inconsolable, s’il soupçonnait qu’il y eut de ma faute.»

Alma Söderhjelm, p. 54

La jeune fille n’a pas cru les serments prononcés par Fersen. Ils ne font pas le poids face à une séparation irrémédiable avec sa famille. Outre son amour-propre blessé, c’est la déception de son père qui fait souffrir Fersen. Il ne peut pas le regarder en face, il le supplie de l’envoyer où il veut, mais il n’est pas en état de rentrer en Suède. C’est donc en quelque sorte un chagrin d’amour qui le ramène à Paris.

Peu de biographes de Marie-Antoinette ou de Fersen s’étendent sur ce coup du sort. Pour les uns, cela l’arrange car son coeur est déjà pris (évidemment par Marie-Antoinette en dépit de toute rationalité !), pour d’autres comme Françoise Kermina, cela lui permet de se rendre plus vite à Paris «véritable but de son voyage» (Françoise Kermina, Fersen, Perrin, p. 35) alors que cette lettre démontre qu’il ne sait pas encore qu’il va pouvoir retourner à Paris ! 

Que ce soit d’amour ou vis-à-vis de son père, en tout cas Fersen souffre, c’est indéniable. 

Le 7 août 1778

Dans ses lettres à son père, Axel lui montre à quel point le sujet militaire le passionne. Il visite des camps, des plaines qui permettent de voir arriver un possible débarquement des Français.

Lettre de Fersen à son père du 7 août 1778, Riksarkivet

Il ne cache pas son mépris envers les officiers anglais. Ces visites militaires lui permettent aussi de se rendre à la campagne des Leyel et de retenter sa chance. Inutilement. 

Axel se dit que c’est le meilleur moment pour commencer une carrière militaire entre le conflit allemand d’un côté et le conflit américain de l’autre. Il n’a plus qu’à attendre les ordres de son père pour savoir chez qui offrir ses services.

Le 19 août 1778

Axel reçoit enfin la réponse de son père datant du 22 juillet dernier. La joie est forte. Fredrik Axel de Fersen donne finalement son accord pour Paris où il est plus aisé de trouver une place militaire. Il sait que son fils en rêve. Et peut compter sur Creutz.

En effet, l’une des missions les plus importantes de l’ambassadeur en poste à Paris est de soutenir les jeunes nobles suédois dans leurs ambitions diplomatiques et militaires. Creutz fera tout pour aider le jeune Fersen et sera même prêt à le former à la diplomatie tant ses talents sont faits pour ce domaine. Il parle notamment plusieurs langues.  Néanmoins, un Fersen ne peut envisager une place subalterne au sein de l’ambassade française et le successeur de Creutz est déjà choisi : le baron de Staël plus âgé que le jeune homme. Les deux sont amis et il ne viendrait pas à l’esprit de Fersen de l’évincer. Staël a travaillé dur et il n’a pas reçu comme lui toutes les facilités liées à sa naissance. Ce sera donc avant tout la carrière militaire et Creutz possède un si large réseau qu’il ne peut que lui procurer une belle place.

La France n’est pas l’unique destination des jeunes nobles suédois et elle n’est pas forcément le premier choix d’Axel. La Prusse et la Grande-Bretagne qu’il connaît bien offrent aussi de belles perspectives d’emplois. Il a même pensé à Vienne. Et tout ceci peut se négocier de la France, avec l’aide du baron de Breteuil qu’il connaît bien, alors ambassadeur à Vienne ou le comte de Vergennes, ministre des Affaires étrangères qui comme son prédécesseur le duc d’Aiguillon ménage ce jeune homme du fait de son père. Cependant, la situation de crise militaire extrême du moment empêche les jeunes aristocrates étrangers d’obtenir aussi facilement que d’habitude des places dans toute l’Europe.

Lettre de Fersen à son père du 19 août 1778, Riksarkivet

Malgré cela, la noblesse suédoise a depuis longtemps su tisser des liens très forts avec l’armée française. De nombreux régiments sont dits étrangers, c’est-à-dire constitués à l’origine par des princes étrangers ou des prisonniers de guerre. Ces régiments étrangers sont dits allemands et le plus prestigieux d’entre eux est le Royal-Suédois. Il devient le rêve de toute cette aristocratie suédoise. 

Uniforme et drapeau du Royal-Suédois 1772

À son origine, il est constitué des restes d’un régiment suédois au service des Provinces-Unies faits prisonniers à la bataille de Fleurus en 1690. Pendant vingt ans, de 1694 à 1714, il est commandé par Erik Sparre, l’ambassadeur suédois qui lui prête son nom. En 1740, l’ambassadeur extraordinaire Tessin et l’envoyé ordinaire Axel Fleming obtiennent de Louis XV que le régiment prenne le nom de Royal Suédois et que son corps d’officiers soit constitué uniquement de Suédois. En 1742, le régiment passe à Jospeh Sparre, cousin de l’ambassadeur, puis à son fils Alexandre Sparre en 1756. Les grades à l’intérieur sont nombreux : le premier des officiers est le colonel, le propriétaire du régiment, réservé à la famille Sparre.  Le deuxième officier est le lieutenant-colonel, charge qu’a obtenu Ulric Scheffer avant de devenir ambassadeur. On a ensuite le brigadier, ce qu’a été Fredrik Axel von Fersen et qui a ensuite pu briguer le rang de feld-maréchal à la diète suédoise. Et d’en devenir le chef incontesté.

Mais ces régiments restent extrêmement coûteux, même pour un Fersen. Il existe donc d’autres moyens de s’enrichir facilement en France. La voie privilégiée de l’aristocratie étrangère est le brevet sans obligation de servir mais avec une pension personnelle attachée au titre. Ces titres, presque purement honorifiques, sont généralement des grades de lieutenant ou de capitaine « à la suite » du régiment. Le gouvernement français en accorde à volonté, car les titres « à la suite » et les pensions sur le trésor royal permettent de promouvoir des étrangers sans déranger la hiérarchie interne des compagnies et des régiments et sans épuiser l’extraordinaire des Guerres. Par ce moyen, l’officier suédois qui en bénéficie, peut, à son retour en Suède, faire valoir un rang qu’il n’aurait pas obtenu autrement et prétendre à un avancement meilleur.

Ces pensions sont souvent plus élevées que les salaires des offices de rang correspondant et elles sont généralement accordées aux personnes très proches du pouvoir, des fils de sénateurs ou des favoris de la cour, ou encore des personnes dont on estime qu’elles peuvent avoir de l’influence sur la politique suédoise. Autant qu’une reconnaissance de mérites, les pensions sont des moyens privilégiés pour attacher de telles personnes à la France. Dans la redistribution de ces faveurs politiques, le représentant diplomatique de la Suède à Paris tient un rôle crucial. Et tant qu’il est en France, en charge du Royal-Suédois en second, Fredrik Axel von Fersen note toujours la naissance, l’origine et la religion de ses officiers, mais aussi, le cas échéant, des liens de parenté ou des intérêts politiques particuliers qui peuvent être décisifs. Il protège la carrière des La Gardie, sa belle-famille. Bref, on fait jouer à fond le népotisme. 

Lettre de Fredrik Axel von Fersen au comte d’Argenson, ministre des Affaires étrangères du 13 août 1747 :

« Il est a supposer que l’intention du Roi en accordant des graces a la nation suedois est de se former un parti sollide dans la noblesse suedois qui par les constitutions du pais influe dans les affaires politiques. Si elle est telle il paroit aussi que lon ne scauroit avoir assez dattention au choix de ceux a qui on les distribue. Le Conte Delagardie et le Baron de Torvigge lun Beaufrere du Commte dEkeblad senateur de Suede et lautre Neveu du Senateur de Wreden sont de ceux qui meritent avoir la preference sur leur compatriotes […] tant par rapport a leur naissance et meritte personnell que par rapport a leur parentée laquelle exersant les premieres dignités en [Suède] est a meme tous les jours de se rendre utile au Roi dans le senat de Suede.»

RA, Stafsundsarkivet, Axel von Fersen d.ä.:s arkiv, vol. 14

Axel de Fersen, de par son rang, l’amitié que lui portent à la fois Gustave III et Creutz, l’importance de son père, ne peut être que le premier des Suédois à bénéficier de ce système. Cependant, il ne souhaite pas une place uniquement lucrative. Il veut servir !

Le 22 août 1778

Enfin Paris !

«Je n’ai eu de plus pressé à mon arrivée que d’aller embrasser le comte de Creutz, qui m’a reçu avec toute la joie possible, et des témoignages d’amitié sincères, il a toutes sortes de bontés pour moi.»

Lettre à son père du 26 août 1778

Lettre de Fersen à son père du 26 août 1778, Riksarkivet

Il s’installe à l’hôtel d’York rue du Colombier. Dans la même rue, il retrouve le couple Ramel, le comte étant secrétaire de l’ambassade. La femme de chambre de la comtesse, Julie, lui procure aussi d’agréables plaisirs. 

Fersen fréquente de nombreuses dames de renom, la comtesse de Fitz-James qui a ses habitudes au Palais-Royal où il se promène avec son ami suédois Curt de Stedingk et que leur présente Creutz ami avec elle depuis longtemps. Sa belle-soeur la princesse de Chimay est dame d’honneur de la Reine et en 1781 madame de Fitz-James sera nommée par Louis XVI dame du palais.

Marie-Sylvie de Thiard de Bissy, comtesse, puis duchesse de Fitz-James, par Jean-Laurent Mosnier

Voir cet article :

Creutz se promène aussi avec madame de Brunoy. Née Françoise-Émilie de Pérusse des Cars (1745-1823), de bonne noblesse d’épée, elle épouse en 1767 Armand Louis Joseph Pâris de Montmartel (1748-1781), marquis de Brunoy, fils du célèbre financier Jean Pâris de Monmartel. Dans la première moitié du règne de Louis XV, celui-ci est le banquier de la Cour. Tout passe par lui, ainsi que l’expliquent le maréchal de Saxe ou le cardinal de Bernis, pourtant de plus haut rang. Il est si puissant que c’est lui qui soutiendra la faveur de la future madame de Pompadour dont il est le parrain et elle à son tour marraine de son fils. Comme on l’a vu les Suédois sont à la recherche de pensions et places et tout leur train, en France comme chez eux, notamment le premier d’entre eux, le roi, passe par les subsides de la Cour de Versailles, et donc jusqu’en 1759, date de sa chute, de la main de Pâris de Montmartel. C’est dire que Fersen père lui doit beaucoup. 

Cependant, on s’explique mal qu’en 1778 l’ambassadeur Creutz soit si bien avec la belle-fille de l’ancien banquier de la Cour. En effet, le fils de celui-ci et donc l’époux de celle-là, après une vie faite de scandales, est ruiné en 1774. Il est obligé de céder son château de Brunoy au comte de Provence.

Château de Brunoy, appartenant au comte de Provence et qui y reçut régulièrement Marie-Antoinette

Il semble que les habitudes de fréquenter le monde de la finance ne se perdent pas, même dans la disgrâce. 
Fersen dit de ces deux dames à son père :

«ce sont les plus aimables et les plus à la mode»

Le comte de Vergennes par Callet

Dans la même lettre du 26 août, nous apprenons que ce n’est pas Fersen qui se présente au comte de Vergennes, mais le ministre lui-même qui l’invite à dîner. Les bonnes habitudes entre les ministres des Affaires étrangères et la famille Fersen ne se perdent pas. D’autant que c’est Vergennes qui a permis à Gustave III de récupérer la totalité de son pouvoir. Révolution qu’a soutenu en partie Fersen père car supprimant définitivement le pouvoir des Bonnets mais en partie seulement car le sien se trouve lui aussi amoindri. 

Ce même jour, il est de nouveau présenter à la famille royale :

« La Reine, qui est charmante dit en me voyant :
Ah ! c’est une ancienne connaissance, le reste de la famille ne me dit pas le mot.»

La scène est relatée dans le film de Jean Delannoy (1956)
...et dans celui de Sofia Coppola (2006)

Les mots soulignés le sont dans la lettre autographe et l’ensemble du paragraphe retranscrit sont annotés d’un trait dans la marge.

Lettre de Fersen à son père du 26 août 1778, Riksarkivet

Cette scène est un grand must des films et des biographies sur Marie-Antoinette car l’affirmation des sentiments entre les deux. 

C’est oublier que Marie-Antoinette est particulièrement charmante avec tous les étrangers et les courtisans qui ne lui déplaisent pas. Quand la Reine s’adresse à un groupe, tous s’imaginent que ce n’est que de soi-même dont elle s’est véritablement préoccupé. C’est un don qu’elle tient de sa mère et celle-ci s’est aperçue très vite que sa benjamine en était particulièrement douée. Marie-Antoinette doit aussi visiblement  redoubler d’effort face à la froideur du reste de sa famille. Ses belles-soeurs n’ont aucune grâce, le comte d’Artois n’en voit pas l’intérêt et si Monsieur et Louis XVI veulent cultiver au mieux les relations franco-suédoises, la représentation n’est pas leur fort et préfèrent les tête-à-tête dans des cabinets retirés.

C’est ignorer également que Marie-Antoinette a une excellente mémoire, travaillée notamment par son goût du théâtre. Elle se doit de connaître tous les visages, tous les noms de ceux qui l’approchent. Et elle le prouve au quotidien. Il est donc tout à fait naturel que la Reine de France se souvienne de ce gentilhomme suédois qui avait été toute une saison de Ses bals, à qui Elle a parlé incognito  au bal de l’Opéra et qu’on _par l’entremise de madame de Noailles _ Lui avait présenté comme devant être très bien reçu à la Cour de par le rang de son père en Suède. 

Mais non, pour tout le monde c’est bien la preuve de leur histoire d’amour.

La phrase est aussi très souvent modifiée dans les biographies, ainsi que le montre celle de Kermina, page 35 de l’édition Perrin 1985 :

« Ah ! dit-elle en l’accueillant à Versailles où il ne tarda pas à se présenter, mais voilà une vieille connaissance !»

Françoise Kermina va encore plus loin dans ses erreurs. Elle écrit pour cette présentation (p. édition Perrin 198…) :

«Tel qu’il se montra, il impressionna sûrement la jeune reine, et il fut lui-même très ému, puisque vingt ans plus tard, il s’en souvenait encore. On peut lire en effet dans son journal, à la date du 15 juillet 1798 : « Ce jour était remarquable pour moi, c’était celui où je revins de Dunkerque chez madame de Matignon et où j’allais l’après-dîner chez Elle.»

Or cette présentation date du mardi 25 août 1778, Fersen l’écrivant à son père dans sa lettre du 26 août et parlant de mardi dernier (donc  la veille, puisqu’il n’est à Paris que depuis le 22). Nous ne sommes donc pas du tout le 15 juillet 1778 où il est encore coincé en Angleterre à s’interroger sur son avenir.  Pourquoi cette erreur flagrante ? Pourquoi avoir mis en rapport cet extrait de son Journal datant de 1798 avec cette scène de présentation puisqu’il n’y a aucun rapport entre les deux ? Ceci uniquement pour renforcer l’aspect amoureux qui n’existe pourtant pas dans ces lignes écrites par Fersen lui-même. D’ailleurs comment aurait-il pu se rendre l’après-dîner chez Elle ce jour-là comme s’il y était attendu et qu’ils s’étaient donné rendez-vous ? C’est réellement du grand n’importe quoi. De la mauvaise foi de biographe ? Ce ne sera pas la dernière fois, Kermina comme tant d’autres… C’est du montage de sources balayant d’une revers de main toute chronologie. Pourtant la base chez les historiens.

Ce type d’erreurs ne semblent d’ailleurs pas plus que cela déranger les partisans de l’histoire d’amour «complète» :

Nathalie Colas des Francs, alias Madame de Sabran dans le Forum de Marie-Antoinette

Mais il est vrai que pour Nathalie Colas des Francs (madame de Sabran du forum de Marie-Antoinette), il n’y a pas besoin d’exiger des sources leur cohérence chronologique du moment que ce soit dans le sens voulu. Si Kermina dit qu’il se rappelle de cette présentation vingt ans plus tard c’est que c’est vrai. Et même si Farr, qui est pourtant la sainte parole pour Nathalie Colas des Francs, trouve autre chose pour cette date du 15 juillet, ce que nous verrons à la date concernée, les deux affirmations aux yeux de Nathalie Colas des Francs ne seront jamais antinomiques, malgré les dates qui n’ont rien à voir. 

Pour Nathalie Colas des Francs, inutile de se rappeler que 1 -1 = 0.

Donc plusieurs choses : il s’agit d’un autre 15 juillet qui voit Fersen partant de Dunkerque se retrouver à bride abattue dans l’après-midi auprès de Marie-Antoinette. mais quelle année ? 1783, à son retour d’Amérique ? Plus tard ? Mais alors pourquoi Kermina place-t-elle cet extrait de 1798 pour évoquer cette présentation ? Notons au passage la présence de madame de Matignon, la fille du baron de Breteuil.

Söderhjelm ne parle pas de cette date du 15 juillet 1798.

Il faut juste déterminer quand précisément Fersen passe par Dunkerque. Nous l’avons vu c’est le cas pour l’instant à quatre reprises :

  1. quand il quitte la France pour l’Angleterre en mai 1774 ;
  2.  quand il quitte la Grande-Bretagne pour la Prusse en automne 1774 ;
  3. quand il repasse en Angleterre en avril 1778 ;
  4. puis à son arrivée en France le 22 août 1778. Rien en juillet. 

Il est même certain que nous sommes après 1778 car comment aurait-il pu passer l’après-dîner près d’Elle si elle ne le (re)connaît pas encore ?

Cet extrait peut aussi se lire autrement : «Ce jour était remarquable pour moi, c’était celui où je revins de Dunkerque chez madame de Matignon et où j’allais l’après-dîner chez Elle.» On pourrait en effet penser que Elle c’est justement madame de Matignon ou encore une autre dame. L’idéal est de connaître cet extrait sous sa forme manuscrite. En effet, les Elle, elle avec ou sans majuscule ne sont pas forcément de la main de Fersen dans leur version manuscrite mais retranscrit avec majuscule lors de leurs versions imprimées. Il s’agit d’un fait établi qui veut que le Elle désigne toujours la Reine. Pourquoi ? Cet extrait prouve au contraire que ce n’est pas forcément une évidence. 

Toujours dans la même lettre du 26 août 1778, Fersen annonce à son père qu’il compte se rendre sous huit jours avec son ami Stedingk visiter les camps de Normandie durant deux semaines comme il l’avait fait en Angleterre. On le voit, ce n’est pas (encore) Marie-Antoinette qui compte à ses yeux mais l’armée.

Lettres de Fersen à son père du 26 août et du 8 septembre 1778
Curt von Stedingk (1746-1837), le meilleur ami d'Axel de Fersen, portrait par Carl Frederick von Freda, 1798

Le 8 septembre 1778

Fersen se réjouit d’être aussi bien accueilli à Paris qu’à Versailles :

«Il est impossible d’être mieux reçu que je l’ai été tant à la Cour qu’en Ville, tout le monde me fait politesse grâce aux soins du comte de Creutz.»

Lettre de Fersen à son père du 8 septembre 1778

Il continue, montrant jusqu’à quel point vont les amabilités à son égard : 

« La Reine qui est la plus jolie et la plus aimable princesse que je connaisse a eu la bonté de s’informer souvent de moi, elle a demandé à Creutz pourquoi je ne venais pas à son jeu les dimanches et ayant appris que j’étais venu un jour qu’il n’y en avait pas, elle m’en a fait une espèce d’excuse, sa grossesse avance et elle est très visible.»

Le Jeu de la Reine, salon de la Paix, par Benjamin Warlop

Ce paragraphe concernant Marie-Antoinette est encore annoté d’un trait dans la marge. Ce qui laisserait penser que ces traits sont en lien avec l’idylle. Ont-ils été tracés par Fersen au moment où il écrivait ? Plus tard lorsqu’il a retrouvé les lettres envoyées à son père et qu’il a voulu se souvenir du début de son histoire d’amour ? Par quelqu’un bien des années plus tard ? Mystère. Je n’ai jamais lu un historien se penchant sur la question, ni Söderhjelm, ni Kermina, ni Farr, toutes pourtant réputées spécialistes de Fersen. Je pense bien être la première non à les remarquer mais à les évoquer. Nous y reviendrons.

Lettre de Fersen à son père du 8 septembre 1778

Indéniablement en lisant ce passage, Marie-Antoinette se préoccupe de ce jeune seigneur suédois et tient à ce qu’il soit au mieux à la Cour. Néanmoins pour Fersen c’est surtout l’occasion de montrer à son père à quel point il est en faveur en France. Cependant, on peut comprendre aussi que c’est Creutz qui rapporte ces mots attribués à Marie-Antoinette. Creutz dont l’objectif principal est de placer au mieux son protégé. Ce que rappelle justement Fersen lui-même : 

«tout le monde me fait politesse grâce aux soins du comte de Creutz.»

Florimond-Claude, comte de Mercy-Argenteau

Certes, que Mercy n’évoque jamais Fersen peut paraître étonnant. Mais plaçons les faits dans sa chronologie. Marie-Thérèse disparaît fin 1780. Peut-être qu’avant cette date il n’est pas si important pour que Mercy s’empresse d’en parler à Marie-Thérèse. Fersen fait un séjour à Versailles de quelques mois en 1778. Marie-Antoinette est déjà enceinte et quand il repart, elle n’a toujours pas accouché, ce n’est donc pas trop long et il ne loge pas encore à demeure. Séjour où il est bien remarqué en effet, et part ensuite pour l’Amérique. Pas de quoi fouetter un chat non plus apparemment aux yeux de Mercy…
Il n’est pas exclu non plus de penser que Mercy n’avait peut-être pas envie d’apporter de nouveaux sujets d’inquiétudes à Marie-Thérèse. Il y en avait suffisamment comme cela. Notamment en 1778 entre cette première grossesse et l’affaire de Bavière. Pas le moment de parler d’un nouveau favori, après la longue liste précédente (hommes comme femmes) qui leur donnait à chaque fois du souci. Etranger de surcroît, avec toutes les implications politiques que cela occasionnent. Dans un contexte de guerre européenne. Et Mercy de se dire que de toute façon, il ne pouvait rester bien longtemps à la Cour. Et ensuite, sa faveur repart de plus belle en 1783. Je n’ai pas souvenir d’avoir lu que Marie-Antoinette se désespérait de son amour au loin pendant toutes ces années d’absence et en tout cas pas suffisamment pour que Mercy rapporte à l’impératrice une tristesse marquée chez la Reine. Ou des mots de sa part qui montrerait son manque. Or quand Fersen revient, Marie-Thérèse est morte… Donc difficile de lui en parler ! Et je ne crois pas que Joseph II fut aussi friand que sa mère de détails croustillants concernant sa soeur. La correspondance de Mercy se réduit nettement au moment du décès de Marie-Thérèse. En tout cas concernant le moindre des faits et gestes de Marie-Antoinette. De plus, ce serait faux de dire que Mercy ne parle jamais de Fersen dans sa correspondance ! Il est en lien permanent avec lui durant la période révolutionnaire !
Mais pour celle avec Marie-Thérèse, fatalement les dates parlent d’elles-mêmes…

Revenons aux dates de ces jeux, qui ont lieu le dimanche comme le rappelle Fersen. Il est présenté à la famille royale le mardi 25 août. Il est donc en droit de se rendre au Jeu de la Reine le dimanche suivant, le 30 août. Il reste ensuite le dimanche 6 septembre puisqu’il écrit à son père le 8. Il n’a donc assisté à aucun de ces jeux puisqu’un des deux a été annulé, semble-t-il en lisant la lettre à cause de la grossesse de Marie-Antoinette et que pour l’autre la Reine s’étonne  justement de ne pas le voir.

Söderhjelm n’hésite pourtant pas à écrire, p. 58 :

«Fersen fut aussitôt introduit dans le cercle de Marie-Antoinette et était un des convives habituels à sa table de jeu.»

Or non puisqu’il n’y a que deux possibilités, l’une annulée et l’autre où il n’est pas venu. Sinon pourquoi Marie-Antoinette en aurait-elle parlé à Creutz ? Il suffit une fois de plus de tout replacer chronologiquement pour s’apercevoir que ce que tout le monde croit depuis toujours est faux. 

Evelyn Farr de son côté prouve encore sa propension à balayer d’un revers de main le temps :

«A son retour, au mois d’août 1778, il devient l’un des membres du cercle de la jeune reine, qu’il décrit alors comme  »une princesse charmante ».»

Evelyn Farr, page 23

Michèle Morgan est Marie-Antoinette (1956) pour Jean Delannoy

Cependant, il est certain qu’après cette lettre et seulement après, Fersen peut se rendre au Jeu de la Reine. Et il se rend au Jeu, pas à la table de la Reine car ceci n’est pas explicitement exprimé par Fersen. Comme il se rendait auparavant au bal de la Dauphine. Söderhjelm et tout le monde après elle vont trop vite en besogne. Pour la plupart des auteurs, Fersen devient un intime de Marie-Antoinette avant le 8 septembre 1778, alors que ce ne peut être qu’après. Il suffit de se munir d’un calendrier. 

Le Jeu de la Reine accueillant toute la Cour, nous pouvons constater que Marie-Antoinette remarque aisément l’absence du beau Suédois, parmi une très large foule (plus d’une centaine) et qui pourtant n’était jamais venu auparavant. Alors pouvons-nous déjà imaginer qu’elle y tient ? Pourquoi pas mais plus prosaïquement, Marie-Antoinette agit en cela en souveraine qui a très bien compris, malgré ce qu’on en dit, les leçons de Louis XIV. Et que n’a pas manqué de lui inculquer sa mère l’Impératrice. Tout courtisan, toute dame qui lui ont été présenté se doivent d’assister aux événements de cour. C’est leur devoir comme les remarquer est le sien.

Toujours dans cette lettre du 8 septembre 1778, c’est l’armée qui intéresse en premier lieu Fersen. En effet son père lui fait part d’un projet pour le faire entrer dans l’armée saxonne mais Axel lui répond qu’il a une meilleure piste grâce à Creutz pour l’armée prussienne, bien plus prestigieuse. Par l’ambassadeur, il compte sur la recommandation de d’Alembert, en correspondance suivie avec Frédéric II. Comme quoi les salons littéraires peuvent ouvrir toutes les portes.

Jean le Rond d'Alembert (1717-1783), huile sur toile, d'après Maurice Quentin de la Tour

Lors de son premier séjour parisien, il suivait des études à la Sorbonne auprès de mademoiselle Diderot. Voltaire l’avait reçu à Ferney. Maintenant, il attend la recommandation de D’Alembert. Les Fersen, le père comme le fils, ont donc les meilleurs écrivains de leur temps à leur service.
Axel prévoit de se rendre d’ici là à Bayeux visiter un camp militaire en compagnie de Stedingk.  Creutz a quant à lui une seule exigence :  qu’ils se rendent au camp en tenue suédoise. Ce costume fait l’objet d’une grande curiosité. 
D’après son journal :

«Nous fîmes faire nos uniformes d’après le nouveau costume. Madame de Boufflers marqua beaucoup de curiosité de les voir, et nous allâmes chez elle, ainsi habillés, une couple de jours avant notre départ. Elle trouva l’habit très leste, mais seulement mon uniforme seul joli.»

Alma Söderhjelm p. 58

Axel de Fersen dans le costume du Royal Suédois dans lequel Marie-Antoinette souhaita le voir par Benjamin Warlop

La même scène dans quelques mois avec Marie-Antoinette sera un élément majeur de la construction de l’idylle entre les deux. Personne n’a pourtant évoqué madame de Boufflers, née en 1711, très réputée dans le monde parisien et ancienne favorite de Stanislas Leszczyński. Il est clair que les Suédois ont mission de la part de Creutz de ménager cette vieille dame qui a sûrement une certaine influence. Sinon, on ne comprend guère pourquoi deux jeunes hommes se présentent chez elle et cèdent à son caprice. N’oublions pas non plus les liens forts entre les Suédois et l’ancien roi de Pologne, arrière-grand-père de Louis XVI, qui a porté la couronne polonaise grâce au Roi de Suède Charles XII. Sa fille la Reine Marie  Leszczyńska, grand-mère du Roi actuel, a aussi toujours très bien accueilli les Suédois. 

Portrait de Stanislas Leszczyński, par Jean-Baptiste Van Loo, 1727-28, huile sur toile, château de Versailles

Une fois de plus tout est relié à la diplomatie. Toujours dans sa lettre du 8 septembre, le jeune Fersen écrit à son père : 

«Monsieur de Vergennes me comble de politesses, il m’a prié de ne jamais vous écrire, mon cher Père, sans le rappeler à votre souvenir.»

Cela a le mérite d’être clair : le ministre des Affaires étrangères déroule le tapis rouge sous les pieds du jeune héritier suédois et comme il se doit, la Reine de France participe par son charme à cette importante mission diplomatique.

Le 10 septembre 1778

 Stedingk et Fersen se rendent donc au camp militaire de Normandie. Ils doivent donner des lettres au maréchal de Broglie qui commande le camp, de la part de Vergennes et du prince de Montbarrey, ministre de la Guerre.

Alexandre Marie Léonor de Saint-Mauris, prince de Montbarrey, par Louise Elisabeth Vogée Le Brun, pastel, 1779, château de Versailles

C’est dire que les Suédois de haut rang ont la confiance de la Couronne française. Ils doivent y rester une quinzaine de jours et se renseigner sur une possible descente de l’armée française sur l’île de Jersey. Fersen est entièrement dans son élément entre armée et diplomatie. Si le débarquement se fait, Fersen supplie son père de le laisser suivre cette action militaire. 

Fersen est très bien reçu par le maréchal de Broglie et ses officiers, en premier lieu en souvenir de son père qui a laissé une trace très positive dans l’armée française :

« Nous descendîmes chez le maréchal, au quartier général. Il faisait un temps affreux, une pluie horrible, et un froid très vif. Nous étions fort embarrassé l’un et l’autre de nous présenter ainsi, sans être connus, dans un habillement aussi extraordinaire, et notre embarras augmenta considérablement en voyant la quantité de monde qu’il y avait et qui allaient tous nous examiner. Le premier moment, quand nous entrâmes dans la chambre où étaient tous les aides de camp et les officiers, fut horrible, et j’aurais voulu, pour beaucoup d’argent, n’y pas être ; cependant il fallait prendre son parti. Nous trouvâmes tout de suite un des aides de camp de monsieur de Bois-Rouvraye, qui nous accosta, nous lui dîmes que nous étions Suédois, et que nous avions des lettres à remettre au maréchal. Un moment après les portes s’ouvrirent et les officiers entrèrent pour l’ordre. On nous fit entrer aussi, et je trouvai un petit homme fort bien mis, qui avait l’air fort éveillé. Je lui présentai mes lettres. Après les avoir lues, il me fit les plus jolis compliments sur mon père, en me disant que mon nom était fort connu en France. Le prince de Beauvau et plusieurs autres dirent la même chose. On parla beaucoup de mon père, je reçus beaucoup de compliments sur son compte, par nombre de personnes, qui vinrent me dire qu’elles avaient servi avec lui et me demandèrent de ses nouvelles. 
J’étais fort content de ma réception. Le maréchal nous fit tout de suite donner un logement, et nous devions y faire porter nos effets. Le lendemain il nous présenta à sa femme, à sa fille, à sa soeur, etc, etc. Nous y dinâmes, il nous fit tout plein de politesses, on nous combla d’amitiés, et nous fit promettre que nous entrerions dans notre nouveau logement le lendemain.»

Alma Söderhjelm, p. 59

Victor-François duc et maréchal de Broglie (1718-1804), anonyme, huile sur toile, château de Versailles

Si Fersen est fier de son père, il a par contre terriblement honte de l’uniforme conçu par Gustave III :

« Nous nous sommes présentés Stedingk et moi aux dames dans nos nouveaux uniformes et vous pouvez facilement vous imaginer mon cher Père notre embarras d’arriver dans un endroit où nous ne connaissions personne, affublés d’une manière aussi curieuse qu’extraordinaire, nous eûmes un million de questions à essuyer plus singulières les unes que les autres, on prit Stedingk pour une femme quand on le vit arriver, ce chapeau avec les panaches, et l’habit boutonné qui formait une poitrine haute y avait donné lieu, et à l’exercice quand il était à cheval tout le monde le prenait pour une amazone. Les gens sensés trouvaient que l’habit avait l’air colifichet et les jeunes gens disaient qu’il n’était pas joli. Cependant tous se réunissaient à trouver le mien fort bien à cause des couleurs, et parce qu’il ressemblait assez à un habit d’housard (hussard), ce costume n’a pas été goûté et je crois que c’est à juste titre car il a beaucoup plus d’inconvénients que de commodités.»

Ceci relativise donc énormément le fameux épisode de la présentation à la Reine du jeune homme dans ce costume qui aura lieu dans quelques mois. 

Dans l’attente d’une descente sur Jersey, le maréchal réclame sa présence et celle de Stedingk à ses côtés toute la journée, au détriment de tous les autres officiers français, et le soir ce ne sont que bals et divertissements auprès des épouses et filles des officiers.  Fersen est dans son élément et adore cette vie de camp, tout en profitant des charmes des dames et demoiselles. Il admire la belle tenue des troupes françaises, qu’il peut comparer aux anglaises qu’il n’avait pas du tout appréciées.

Infanterie française, mémoires des hommes, ministère des Armées

Le 25 septembre 1778

Retour à Paris. Le baron de Breteuil, ami de son père, lui conseille vivement de rester jusqu’au printemps à Paris en attendant une occasion de servir. Visiter les personnes d’importance, faire sa cour à Versailles sont les meilleurs moyens de trouver une situation militaire digne de son rang.

Mais il faut pour cela en convaincre son père qui ne peut que voir un long séjour parisien comme une source importante de dépenses : 

« Vous ne pouvez pas doutez mon cher Père du plaisir extrême que me ferait cet arrangement s’il vous convenait, tout le monde me reçoit si bien ici, et on me parle tant de vous, mon cher Père, qu’il me semble que c’est une seconde patrie, ceux mêmes qui ne vous ont pas connu, se font honneur de me parler de vous et disent du moins qu’ils vous ont vus, il n’y a pas jusqu’à la Reine qui ne me fasse politesse, et qui ne m’ait parlé de vous. Quelque décision que vous fassiez, mon cher Père, je suis persuadé que ce sera pour mon bien et pour mon avantage et vous pourrez être sûr de trouver en moi un fils respectueux et obéissant.»

Evoquer Marie-Antoinette ici n’a rien à voir avec une ébauche d’idylle entre les deux mais bien la preuve ultime pour son père que par le biais de la Reine de France, il ne peut qu’obtenir une place digne de son rang dont rêverait tout père ambitieux pour son fils aîné. 

Lettre de Fersen à son père du 1er octobre 1778, Riksarkivet

Marie-Antoinette a compris que ce jeune homme est à ménager, voire à séduire, parce que son père est d’une importance capitale pour la diplomatie européenne. Elle peut très bien avoir reçu des instructions de Son époux, de Vergennes, mais aussi de l’ambassadeur autrichien Mercy, Son principal conseiller politique. Instructions qu’Elle avait déjà reçues à l’automne 1773 par l’entremise de la comtesse de Noailles. 

Et tant mieux s’il est jeune, beau, charmant, élégant, issu d’une grande famille, parfaitement éduqué et au mieux dans toutes les cours et salons d’Europe !

Détail du portrait de Marie-Antoinette en pied, Louise-Elisabeth Vigée Le Brun, huile sur toile, 1778, musée du château de Versailles

Malgré leur grande fortune, Fersen tente d’atténuer l’aspect financier de son séjour en promettant à son père de réduire ses dépenses. Il change même d’hôtel pour payer moins cher. Et leur cuisinier est placé à Londres. Si Fersen père a souhaité il y a quelques années que celui-ci apprenne la cuisine française, dûment chapeauté par Creutz, il veut désomrais que son cuisinier connaisse l’anglaise. Nous pouvons largement nous interroger.  En relisant le manuscrit de la lettre, comment expliquer que Fersen fils écrive trois fois en si peu de jours au cuisinier de sa famille ? Et attend désespérément de ses nouvelles ? Y est-il si attaché ? Et en fasse part à son père qui n’est pas du tout le genre d’hommes qui se préoccupe de détails domestiques ? Il ne dit aucun mot de son valet, pourtant devant être plus proche de sa personne, rien sur son cocher ou autre domestique ? Alors pourquoi leur cuisinier ? On imagine mal les Fersen père et fils, s’intéresser à un domestique !

Lettre de Fersen à son père du 1er octobre 1778, suite Riksarkivet

Peu importe pour Fersen père que son cuisinier sache apprêter des grenouilles ou des puddings ! Non ce qui l’intéresse, et c’est l’évidence même, c’est que son cuisinier puisse entendre, transmettre des renseignements qui circulent plus facilement  dans les lieux qu’il fréquente plutôt que dans les salons aristocratiques aux conversations bien moins libres où se rendent ses maîtres. Bref un espion. La maison des Fersen a donc au moins un espion à son service. Et Axel partage cette information avec son père. Par conséquent, leurs lettres ne sont pas qu’une simple correspondance entre un père et un fils, avec quelques détails mondains, politiques ou militaires. Non, la diplomatie la plus secrète y a son importance. Il y a donc forcément des codes, des messages cryptés entre les deux que nous ne pourrons jamais résoudre. 

Nous pouvons seulement affirmer que dès ses vingt-trois ans, Fersen est au point pour la correspondance diplomatique secrète.

Richard Todd est Axel de Fersen, dans Marie-Antoinette reine de France par Jean Delannoy, 1956

Le dimanche 27 septembre 1778

Jeu de la Reine.

Ce n’est qu’à cette date que nous pouvons affirmer que Fersen s’y présente régulièrement. Son emploi du temps prouve que cela lui était impossible auparavant. Certes c’est un honneur de pouvoir s’y rendre et même d’y être convié personnellement par la Reine, mais ce n’est pas non plus la faveur la plus éclatante : 

«Si au XVIIIe siècle, de par la généralisation des formes publiques du jeu royal, assister au jeu du souverain ne peut plus être défini comme une faveur particulière, jouer à la table du roi ou de la reine – et donc être de leur partie – demeure un symbole fort auquel les différentes maîtresses de Louis XV, par exemple, semblent avoir été particulièrement attachées pour manifester aux yeux de la cour entière la faveur exceptionnelle dont elles jouissaient.»

https://www.chartes.psl.eu/fr/positions-these/jeu-du-roi-jeu-reine-aux-xviie-xviiie-siecles

Fersen dit être présent au Jeu, pas qu’il joue directement à la table de Marie-Antoinette. La nuance est de taille selon le système de faveurs de la Cour. Nuance qu’ont oubliée Söderjhelm, Kermina et Farr, comme tant d’autres. Pas Fersen père qui a suffisamment fréquenté la Cour de France pour saisir la distinction. 

Le 1er octobre 1778

Staël se fait l’intermédiaire des lettres entre Fersen père et Fersen fils. Staël qui rappelons-le est le successeur désigné de l’ambassadeur suédois. Parmi les autres protecteurs du jeune gentilhomme, le baron de Breteuil écrit régulièrement au feld-maréchal et promet au jeune soldat de lui trouver une nouvelle campagne s’il reste jusqu’au printemps à Paris. 

Staël et Breteuil sont deux personnages éminents dans les relations franco-suédoises.

Certains dimanches parmi les 4, 11, 18, 25 octobre 1778

Jeu de la Reine.

Axel s’enthousiasme toujours de découvrir à quel point les gens de grand intérêt veulent le voir, le connaître en tant que fils de son père. Un ministre du Wurtemberg qui avait séjourné en Angleterre et en France avec Fersen père demande à Axel de le rappeler à son bon souvenir. C’est aussi le comte de Broglie (1756-1794), le fils du maréchal qui l’a si bien reçu au camp de Bayeux qui réclame à Creutz de rencontrer le fils du maréchal suédois.

Lettre de Fersen à son père du 21 octobre 1778 suite Riksarkivet

« Tout cela me fait sentir encore plus vivement le bonheur d’être votre fils, je jouis de tous les éloges qu’on vous donne et je ressens les effets de votre mérite pour la manière jolie et honnête avec laquelle on me reçoit partout.»

Ces louanges universelles à l’égard de son père expliquent suffisamment sa situation privilégiée à Versailles. Pas besoin d’y voir une ébauche d’idylle avec la Reine de France… Sinon, nous pourrions penser la même chose de toutes celles et tous ceux qui comptent en France et ailleurs qui l’accueillent à bras ouverts.  Dans ses lettres à son père, outre les louanges, c’est surtout la question militaire qui occupe le jeune homme. Il lui parle de tactique, pense lui envoyer des livres sur la question et se range surtout de l’avis du maréchal de Broglie, référence qui ne peut que plaire à son père. De là, il peut espérer trouver un emploi.

Le 1er novembre 1778

 Naissance du prince héritier de Suède, Gustave-Adolphe, fils aîné de Gustave III et de la Reine Sophie-Madeleine de Danemark. 

Le futur Gustave IV Adolphe de Suède (1778-1837), huile sur toile de Gustaf Lundberg, 1779, musée national de Suède

Cette naissance a fait couler beaucoup d’encre. Son père, homosexuel avéré, a été accusé d’avoir demandé à un de ses proches le comte Munck de faire un enfant à la reine à sa place. Il est vrai qu’après onze ans de mariage stérile, le terrain est propice à toutes sortes de rumeurs. Comme ce sera le cas pour Louis XVI, traité d’impuissant et Marie-Antoinette, enceinte au bout de huit ans de mariage. La reine mère est la première à lancer l’accusation. En effet, Louise-Ulrique de Prusse ne supporte pas que son fils aîné gouverne sans elle au profit de ses frères cadets Charles, duc de Sudermanie et Frédéric-Adolphe, duc d’Ostrogothie. Elle déteste plus encore ses belles-filles, la reine Sophie-Madeleine, qu’elle juge trop effacée et la duchesse de Sudermanie, Hedwige de Schleswig-Holstein-Gottorp, trop frivole. 

Gustave III, Roi de Suède (en drap d'or), avec ses frères le duc d'Ostrogothie (en mauve) et le duc de Sudermanie, futur Charles XIII (en rouge), par Roslin

L’annonce de la naissance du prince héritier de Suède au Conseil du Roi à Versailles est aussi l’occasion d’une comparaison insultante envers Louis XVI et Marie-Antoinette :

« L’opinion sourde de bien des gens, à Stockholm, est que Gustave III ne saurait avoir un enfant ; que cependant il en désire pour son intérêt et que lui-même a favorisé son écuyer pour le remplacer auprès de sa femme. Le lecteur sent bien qu’on ne peut avoir aucune certitude sur de pareils bruits. Ainsi je n’ai garde de les garantir ; je me borne à dire que ces bruits ont été assez forts pour les faire mander par les ministres étrangers à leurs cours avec le soupçon que le frère même de Gustave III les autorisait. Cette dépêche a été lue au Conseil de Versailles dans le temps où les bruits populaires de Paris, bien moins fondés encore que ceux de Suède, attribuaient au Premier Ecuyer l’enfant dont la Reine va bientôt accoucher. Les membres du Conseil, que cette lecture inattendue surprit en pareille circonstance, ne purent s’empêcher de regarder le Roi. Ils virent, par la manière gaie dont il plaisanta sur la nouvelle, combien il était loin du mauvais bruit qui courait à Paris et à Versailles.»

Journal de l’abbé de Véri, p. 161

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k119184g/f694.item

Bref, on est dans la rumeur la plus complète, dans un cas comme dans l’autre. L’abbé insiste bien sur le peu de véracité de ces fausses paternités supposées et davantage encore celle de France. Mais néanmoins, il les rapporte et contribue à leur propagation. N’assistant pas au Conseil, mais ayant ses informateurs en son sein, on imagine très bien que Louis XVI ait pu en rire, tant il sait ne pouvoir avoir aucun doute sur la question le concernant lui et son épouse enfin enceinte. 

Un peu en amont, l’abbé écrit justement :

«Un second défaut qu’on pourra me reprocher c’est de ne pas suivre toujours les événements déjà entamés et de me contredire quelquefois dans les idées que je peux donner des personnages. Voici ma réponse sur ce reproche. Je ne fais pas une histoire longtemps après l’événement lorsqu’on a devant les yeux le passé, le présent et le futur, c’est-à-dire les principes des événements et les effets qui en ont résulté. (…) Ainsi les personnages, dont je raconte les faits, peuvent s’être contredits, comme moi je puis me contredire dans mes jugements prononcés à différentes époques. Je ne suis pas d’ailleurs habituellement dans le secret du cabinet.
Je ne vois que de temps à autre ceux qui en sont instruits par leur place, je voyage souvent hors de Paris et, pour lors, je n’ai que les gazettes et les lettres pour savoir les résultats. Les détails de la conduite ministérielle ne se disent que dans la conversation journalière de confidences. Cela doit expliquer et produire plusieurs défectuosités dans ma narration. Si quelqu’un plus habile et plus assidu en fait une meilleure que la mienne, le lecteur fera bien de la choisir et de jeter la mienne au feu.»

Lui comme n’importe quel mémorialiste ou diariste peut se tromper. Il le dit lui-même. Ces témoignages ne sont donc pas à rejeter mais à être sérieusement confrontés avec d’autres sources. C’est le travail de base d’un historien. 

Véri évoque ici le premier écuyer, c’est-à-dire le duc de Coigny qui apparemment a ravi la place du duc de Lauzun dans le coeur de Marie-Antoinette.

D’après l’abbé de Véri, quand on lui lit la dépêche en son Conseil venue de Suède (tiens, tiens…) racontant que le fils nouveau-né de Gustave III serait d’un écuyer du Roi, les membres du Conseil ne purent s’empêcher de regarder le Roi. La Reine est alors enceinte pour la première fois et on parle du duc de Coigny, premier écuyer… Et conclut Véri :

« Ils virent par la manière gaie dont il plaisanta sur la nouvelle ; combien il était loin du mauvais bruit qui courait à Paris et à Versailles.»

Paul et Pierrette Girault de Coursac, Vie Conjugale, Vie Politique page 691  

Voir cet article :

Ce gentilhomme, «ni jeune, ni beau, ni même spirituel» d’après Kermina passe dans le grand public pour l’amant de Marie-Antoinette et ne peut être que le père de l’enfant qu’Elle attend. 

« Chacun raisonna sur cette grossesse : les femmes qu’elle avait eues, et qui l’avaient crue uniquement attachée au sexe, ne lui pardonnèrent pas d’avoir eu un amant ; c’est l’usage des dames de cette religion. On chercha le héros, il fut aisé à trouver : on nomma le duc de Coigny, et toutes les conjectures se réunirent en sa faveur. Ce seigneur aimable, d’une belle figure, ayant les mœurs les plus douces et la tournure la plus satisfaisante, des yeux qui parlent beaucoup et une santé en tout point différente de l’expirant Dillon, avait, depuis quelque temps, fixé les regards de la reine ; il s’était conduit avec la plus grande circonspection et l’aurait ménagée si elle n’eût pas elle-même cherché la publicité par ses imprudences. On calcula l’heure, le moment et le lieu où la grossesse s’était opérée. On rappela un bal de l’Opéra où la reine s’était masquée d’une capote grise, et avait fait masquer de même plusieurs femme de sa suite ; le duc était seul dans une loge aux secondes ; à la faveur du déguisement, Antoinette se perd parmi les compagnes, se glisse dans la foule et va à la loge. Quelques minutes après, la suite, inquiète, cherche la princesse ; on la trouve sortant de la loge, et si agitée de l’acte qu’elle venait de faire, qu’elle tomba presque évanouie sur l’escalier ; une femme marqua cet instant sur ses tablettes ; elles circulèrent, et presque toutes les femmes de la Cour l’eurent sur leurs écrits en lettres d’or.»

Pamphlet anglais de l’époque

Marie-François-Henri de Franquetot, marquis puis duc de Coigny (1737-1821) par Elisabeth Vigée Le Brun

Une rare anecdote le concernant auprès de Marie-Antoinette est la fameuse histoire du bal de l’Opéra (encore !) rapportée par madame Campan : 

« Un événement fort simple en lui-même attira des soupçons fâcheux sur la conduite de la Reine . Elle partit un soir avec la duchesse de Luynes, dame du Palais : sa voiture cassa à l’entrée de Paris; il fallut en descendre; la duchesse la fit entrer dans une boutique, tandis qu’un valet de pied fit avancer un fiacre . On était masqué et, en sachant garder le silence, l’événement n’aurait même pas été connu, mais aller en fiacre est pour une reine une aventure si bizarre qu’à peine entrée dans la salle d’opéra, elle ne put s’empêcher de dire :  » C’est moi en fiacre, n’est-ce pas bien plaisant ?»
De ce moment tout Paris fut instruit de l’aventure du fiacre : on dit que tout avait été un mystère dans cette aventure de nuit, que la Reine avait donné un rendez-vous, dans une maison particulière, à un seigneur honoré de ses bontés, ; on nommait hautement le duc de Coigny, à la vérité très-bien vu à la cour, mais autant par le Roi que par la Reine.
»

Mémoires de madame Campan

Le duc de Coigny est surtout l’amant avéré de la princesse de Guéménée, gouvernante des Enfants de France, chez qui Marie-Antoinette passe de nombreuses soirées. 

Victoire Armande de Rohan madame la princesse de Guéménée (1743-1807), château de Sychrov, république tchèque

Madame de Guéménée qui avait tout fait semble-t-il pour rapprocher Lauzun et la Reine. Ce ne sera pas la dernière fois que Marie-Antoinette se verra attribuer pour amant celui de son amie. Il en sera ainsi également pour le marquis de Vaudreuil qu’elle ne tolère pourtant que par amitié envers madame de Polignac.

En attendant, Coigny est certes très bien en cour, mais comme le précise madame Campan, de la part aussi de Louis XVI, et suscite du coup énormément de jalousies, et donc de rumeurs. Nous l’avons vu, l’ambassadeur Mercy n’est pas le dernier à s’en plaindre. 

A cette date, la liste des soupirants de Marie-Antoinette ne cesse de s’allonger : après le duc de Lauzun, le duc de Coigny gardera longtemps une place importante dans le public, mais on parle aussi du comte Arthur Dillon, «le beau Dillon», du chevalier de Luxembourg «homme d’esprit, mêlant des folies à son amabilité, croyant même à la magie», d’après le baron de Besenval et bien d’autres. Sans oublier évidemment les femmes, comme le rappelle si bien le pamphlet anglais cité ci-haut.

Arthur, comte de Dillon (1750-1794), par Jean Hilaire Belloc, huile sur toile, 1834

Le comte de Dillon est l’époux de Thérèse Lucy de Rothe, tous deux de l’immigration irlandaise. La comtesse de Dillon est dame du palais de la Reine et fait donc partie des proches de Marie-Antoinette. Elle est aussi la maîtresse du prince de Guémenée, après avoir hésité pour le duc de Lauzun. On reste dans son petit monde !

En plus d’Arthur, il y aussi Edouard, lui aussi qualifié de «beau Dillon» :

«Je le connaissais particulièrement; il descendait, je crois, collatéralement, de la noble famille irlandaise des comtes de Roscommon, quoique son père fit le commerce des vins à Bordeaux. On l’appelait ordinairement le comte Edouard Dillon et le beau Dillon ; à mon avis, il ne possédait que peu de droits à la dernière épithète, mais il surpassait en stature plusieurs personnages, comme lord Whitworth et autres, sur lesquels Marie-Antoinette jetait un oeil favorable. Il est vrai qu’elle lui donna dans un bal quelques imprudentes marques de prédilection ; on en causa, mais de la part de la reine ce ne fut qu’indiscrétion et légèreté. »

Mémoires d’Horace Walpole

L’épouse d’Edouard s’appelle Fanny Harland et sa soeur Marianne a été la maîtresse du duc de Lauzun !

Si nous résumons : la princesse de Guéménée qui a voulu donner Lauzun à Marie-Antoinette est la maîtresse du duc de Coigny ; l’épouse d’Arthur est quant à elle la maîtresse du prince de Guéménée et Lauzun d’avoir été probablement très proche de la future épouse d’Edouard et l’est toujours de sa soeur !

Et Marie-Antoinette fréquente tout ce beau monde qui avant de rêver belles histoires d’amour pense avant tout à assouvir ses ambitions, qui comme chacun le sait passe très souvent par le lit, évidemment adultère. La Reine de France est donc évidemment la première cible de ce système. Louis XVI semble intouchable de ce côté. Il n’est pas comme Louis XV dont l’essentiel du règne se résume à qui placer dans son lit afin de gouverner en son nom. Louis XVI se trouvant hors de portée, ce sera Marie-Antoinette qui en deviendra la victime. 

Une fois de plus, nous pouvons nous demander si cela n’est pas calculé par Louis XVI. Son épouse lui est encore une fois de plus utile. Et un autre de ses proches le sert parfaitement dans cette optique :  son frère le comte d’Artois. 

Il est peut-être celui qui a reçu la palme de détenir le plus longtemps le titre d’amant supposé. Il faut croire que les gens adhérant à cette thèse _aujourd’hui comme à cette époque_ ne conçoivent un instant qu’un prince si proche du trône éviterait justement ce qui l’en écarterait. Sophie Herfort dans son ouvrage récent se fait l’ardente avocate de cette théorie absurde, n’hésitant pas ainsi à marier Madame Royale à son demi-frère !

Marie-Antoinette, pastel de 1776

Marie-Antoinette, alors très jeune femme peu épanouie dans Son mariage, peut très bien avoir eu quelques emballements du coeur devant certains messieurs bien de leur personne et pour la plupart hommes de grande culture, voire hommes de lettres reconnus. Et qui pour beaucoup La font rire. Elle ne sait dissimuler Ses sentiments, Ses coups de coeur et montre toujours beaucoup d’affection dans Ses amitiés. C’est un besoin bien compréhensible. Mais Elle sait avant tout qu’Elle est Reine et fille de l’Impératrice. Celle-ci, bien que grande séductrice envers Ses serviteurs (ministres, militaires, grands seigneurs de ses multiples territoires) prêts à tout pour leur souveraine, ne badine pas avec la galanterie et place l’amour conjugal avant tout. 

Notons cependant que tous sont militaires, laissant penser que Marie-Antoinette n’est pas insensible au charme de l’uniforme. Ce sont tous de grands seigneurs, de très haute naissance, enfants gâtés du siècle. Ils ne s’interdisent rien et rien ne leur est refusé.Toutes les femmes sont à leurs pieds. Pourquoi ne pas séduire la plus célèbre, la plus prestigieuse femme de leur temps ? Qui de surcroît a un mari qui ne semble guère s’en préoccuper ? Marie-Antoinette en rit, en joue. Sa dignité de jeune et jolie femme est largement récompensée. Sa dignité de Reine n’en reste pas moins intacte. Ces hommes qui L’entourent vivent dans l’illusion.

Le prince de Ligne, un de ces grands seigneurs, homme de lettres, haut militaire et à l’aise dans toutes les cours d’Europe,  évoque cette séduction si innocente de la part de Marie-Antoinette :

«Qui a pu voir tous les jours l’infortunée reine sans l’adorer ? Je ne m’en suis pourtant aperçu qu’un jour qu’elle me dit : «Ma mère trouve mauvais que vous soyez si longtemps à Versailles. Allez passer quelques jours à votre commandement. Ecrivez bien des lettres à Vienne pour qu’on sache que vous y êtes : et revenez.»
Cette bonté, cette délicatesse et plus encore l’idée de passer quinze jours sans la voir m’arracha des larmes que sa jolie étourderie d’alors, qui la tenait à cent lieues de la galanterie, l’empêcha de remarquer. Comme je ne crois pas aux passions qu’on sait, pour trente-six raisons, ne pouvoir jamais devenir réciproques, ces quinze jours me guérirent de ce que je m’avoue ici à moi-même pour la première fois, et que je n’aurais jamais avoué à personne, de peur qu’on se moquât de moi.
Jugez comme ce sentiment, qui a fait place à la plus vive amitié, aurait éclairé celui de cette charmante reine, si elle en avait eu pour quelqu’un ; et avec quelle horreur, je lui ai vu donner à Paris, et de là, dans toute l’Europe, grâce aux infâmes libelles : le duc de Coigny, M. le comte d’Artois, M. de Lambertye, M. de Fersen, le prince Georges de Darmstadt, le duc de Dorset, M. Conway, milord Strativen, quelques autres Anglais aussi sots que lui, deux ou trois Allemands bien bêtes, etc. »

Mémoires du prince de Ligne, édition Mercure de France, p. 97

Et encore :

« Sa prétendue galanterie, dit-il, ne fut jamais qu’un sentiment profond de l’amitié et peut-être distingué pour une ou deux personnes, et une coquetterie générale de femme et de reine pour plaire à tout le monde. Dans le temps même où la jeunesse et le défaut d’expérience pouvaient engager à se mettre trop à son aise vis-à-vis d’elle, il n’y eut jamais aucun de nous, qui avions le bonheur de la voir tous les jours, qui osât en abuser par la plus petite inconvenance ; elle faisait la reine sans s’en douter; on l’adorait sans songer à l’aimer. »

Un sourire de sa part, une parole bienveillante, une grâce et ces gentilshommes sont sous son charme, enclin à un sentiment amoureux qu’ils ignoraient jusque-là. Eux qui ne rencontrent aucune défaite amoureuse, pourquoi en serait-il autrement avec la plus haute princesse d’Europe ? Certains tombent dans leurs rêves, d’autres comprennent rapidement qu’ils peuvent la servir autrement. 

Le prince de Ligne, au contraire du duc de Lauzun, a écrit lui-même ses mémoires, il est le plus grand auteur wallon à ce jour. Il n’a de compte à rendre à personne. Il peut lui aussi exagérer, plonger entièrement dans sa subjectivité, mais il est libre. Il n’a aucunement besoin de se justifier auprès de ses contemporains qui tous l’admirent, ni auprès de la postérité.

Voir cet article :

Plus loin, il nous confirme le complot des choiseulistes, mais apparemment il y a d’autres partis de la cour qui manoeuvrent eux aussi : 

«C’est à de semblables promenades à cheval, tout seul avec la reine, quoique entourée de son fastueux cortège royal, qu’elle m’apprenait mille anecdotes intéressantes qui la regardaient, et tous les pièges qu’on lui avait tendus pour lui donner des amants. Tantôt c’était la maison de Noailles qui voulut qu’elle prit le vicomte. Tantôt la cabale Choiseul qui lui destinait Biron.»

Certains dimanches parmi le 1er, 8, 15 novembre 1778

Jeu de la Reine.

«Dans les stratégies courtisanes de course aux honneurs et à la distinction, le jeu des monarques apparaît comme un moment clef où le roi ou la reine semblent plus accessibles et où il devient possible de leur adresser la parole.»

https://www.chartes.psl.eu/fr/positions-these/jeu-du-roi-jeu-reine-aux-xviie-xviiie-siecles

Fersen n’a pour l’instant que cette occasion d’approcher Marie-Antoinette. Il l’écrit lui-même : 

« La Reine me traite toujours avec bonté, je vais souvent lui faire ma cour au Jeu, elle me parle toujours.»

Mots aussi qui permettent d’affirmer qu’il ne se rend pas toujours au Jeu de la Reine, mais souvent. Il n’est donc pas un courtisan si assidu que cela mais suffisamment bien reçu pour y revenir régulièrement. Nous pouvons alors supprimer virtuellement quelques-uns des dimanches évoqués sans savoir précisément lesquels. Il est juste certain qu’il est bien présent dans le Salon de la Paix le 15 novembre.  En effet, c’est à cette occasion que Marie-Antoinette lui demande de se rendre chez Elle le mardi suivant. Entretemps, il peut annoncer la nouvelle à son père dans sa lettre du 19.

Le salon de la Paix

Marie-Antoinette lui parle toujours. Ce qui signifie qu’elle lui adresse la parole, ne l’ignore pas et traite très convenablement ce gentilhomme si important sur la scène internationale. Bref, elle agit en Reine, pas en femme éprise. Fersen n’est pas plus favorisé que d’autres courtisans présents et dont seuls quelques rares élus peuvent s’asseoir à sa table. Ce qui n’est pas son cas car sinon, Fersen en aurait obligatoirement informé son père.

«La sociabilité qui préside au jeu royal lors de ces occasions se situe entre familiarité et majesté, héritage durable même si les soirées d’appartement hebdomadaires disparaissent de Versailles à la mort de Louis XIV.»

https://www.chartes.psl.eu/fr/positions-these/jeu-du-roi-jeu-reine-aux-xviie-xviiie-siecles

Le Jeu de la Reine du dimanche, héritier des soirées d’appartement de Louis XIV, accueille toute la Cour et tous ses visiteurs occasionnels, étrangers pour la plupart, comme l’est Fersen. On peut donc compter des centaines de personnes présentes dans le salon de la Paix. Un cadre qui n’invite aucunement à l’intimité !

Le 19 novembre 1778

S’il avoue qu’il ne l’aime pas, Fersen ne désespère pas de renouer avec mademoiselle Leyel dont la fortune est ce que lui et son père convoitent avant tout. Mais avant cela, il veut absolument faire la guerre. 

«Vous savez mon cher père, que je n’aime pas mademoiselle Leyel, mais je ne suis pas assez déraisonnable pour ne pas voir que c’est un parti fort avantageux, c’est même le seul qui me convienne et que je veux faire, j’ai fait tout mon possible pour l’obtenir, plus pour vous plaire, mon cher Père, et par raison, que par inclination, je n’ai pas réussi et je vous avoue que j’en ai été bien aise, dès que j’ai su que vous consentiez à me laisser aller faire la guerre. Mais puisque cette affaire est rompue, suivons d’abord l’objet militaire, je suis jeune, j’ai encore beaucoup de choses à apprendre, surtout dans un métier, où l’expérience est si nécessaire, je voudrais pouvoir suivre vos traces, mon cher Père, et tâcher de me rendre utile à ma patrie, la servir comme vous est tout ce que je désire, mais pour cela il faut acquérir des connaissances nécessaires et je crois qu’une femme et une maison à mener, sont des occupations assez fortes. Mon idée serait donc, non pas d’abandonner entièrement un établissement aussi solide, cela ne serait pas raisonnable, mais de le différer, de laisser les choses aller leur train tout naturellement, si elle m’aime et continue de m’aimer on pourra toujours renouer, et je crois que dans quatre ou cinq, même six ans il sera assez temps de s’en occuper sérieusement ; pendant ce temps je pourrais peut-être faire quelque campagne. Le père Leyel est vieux et maladif, s’il mourrait tout obstacle de sa part cesserait, tout son bien me viendrait tout de suite, enfin, il y a mille incidents qu’on ne peut pas prévoir et d’après lesquels il faut prendre son parti. Vous m’avez recommandé la franchise, vous n’en aviez pas besoin, ce n’est pas avec un Père comme vous qu’on dissimule. Vous m’avez tant accoutumé par vos bontés à vous regarder comme un ami, que la confiance que j’ai en vous n’est qu’un devoir mais bien cher à mon coeur.»

Lettre de Fersen à son père du 19 novembre 1778 Riksarkivet
Lettre de Fersen à son père du 19 novembre 1778 suite Riksarkivet

On est confondu devant tant de cynisme. Envers la jeune fille et son père mais aussi envers son propre père ! Car enfin, à comparer les deux lettres sur mademoiselle Leyel à quelques mois d’intervalle, l’une écrite à sa soeur, sa confidente, et l’autre à son père, son Commandeur, on voit bien le mensonge. A qui ment-il ? A sa soeur adorée ? A son père à qui il a le culot d’écrire : «Vous m’avez recommandé la franchise, vous n’en aviez pas besoin, ce n’est pas avec un père comme vous qu’on dissimule.»

Fersen qui passe pour un véritable héros de roman, pour l’archétype du parfait gentilhomme n’est rien d’autre qu’un chasseur de dots qui attend le décès d’un vieil homme pour lui prendre son argent. On est heureux pour mademoiselle Leyel que ce mariage n’ait pas eu lieu !

Et compte tenu du calendrier, en aucun cas Marie-Antoinette y serait pour quelque chose. 

Fersen attend d’être choisi comme major ou colonel en second dans les troupes légères dont le duc de Chartres vient d’être nommé colonel général (souligné dans le texte manuscrit) dans la perspective d’être envoyé ensuite en Amérique. Ce qui est la première fois que l’idée est évoquée auprès de son père. Et non pour fuir un amour impossible envers la Reine de France ! Amérique ou Allemagne dont la paix va bientôt être signée, peu importe à Fersen. Il veut un emploi militaire et c’est uniquement pour cette raison qu’il passe ses journées à faire sa cour à Versailles, auprès de la Reine, des ministres et de visiter tout ce qui compte à Paris.

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Louis Philippe d'Orléans, duc de Chartres, ultérieurement duc d'Orléans, puis Philippe-Egalité (1747-1793) en uniforme de hussards, d'après Joshua Reynolds, huile sur toile, 1779, musée Condé, château de Chantilly

Le duc de Chartres a voulu en premier lieu servir en mer, revendiquant la charge de Grand Amiral de France appartenant à son beau-père le duc de Penthièvre. Mais durant l’été précédent, il se ridiculise à la bataille navale d’Ouessant l’obligeant à stopper net ses ambitions maritimes. De plus, le duc de Penthièvre refuse de lui remettre sa charge, un des plus grands offices de la Couronne. En compensation, il réclame au Roi de créer pour lui une charge de colonel général des troupes légères ou des hussards. 

Les houzards, plus tard hussards, existent depuis la Guerre de Trente Ans. Ils servent d’éclaireurs mais aussi à effrayer les troupes ennemies par leur rapidité et hardiesse. 

A cette date, il n’y a encore que trois régiments de houzards en France et Louis XVI en crée donc une quatrième pour son cousin. 

De son côté Fersen rêve d’y entrer comme officier. 

Le 22 novembre 1778

Jeu de la Reine. Fersen s’y est-il rendu ? 

Le 23 novembre 1778

Le comte de Fersen prévoit de se rendre chez le duc de Choiseul lors d’un de ses rares séjours dans la capitale mais les portes lui restent fermées. 

Voir cet article : 

Ministre tout puissant sous Louis XV, il a été exilé en décembre 1770, suite à une grande fureur du feu Roi à son égard. Malgré le soutien de la jeune Reine qui lui doit sa position, le nouveau souverain ne cache pas son mépris envers celui qu’il considère comme l’ennemi de son père le Dauphin. Fersen se doit tout de même de faire sa cour à celui qui a tant compté dans la diplomatie européenne.

Nous savons aussi que les choiseulistes rêvent de donner à la Reine un amant issu de leurs rangs, capable de la gouverner et ainsi le Roi. Ou du moins est-ce l’accusation que leurs adversaires leur portent.

Le 24 novembre 1778

Arrive enfin un nouveau moment-clé du roman d’amour entre Marie-Antoinette et Fersen. En effet, la jeune Reine, enceinte de plus de huit mois (détail souvent omis), a eu le caprice de voir se présenter chez elle le beau Suédois en uniforme de son pays. Nous savons par le courrier de Fersen à son père que la demande en a été faite le 15 novembre. Il lui a donc fallu patienter neuf jours, ce qui écarte l’idée de caprice d’une femme amoureuse. 

«… elle avait entendu parler de mon uniforme, et elle me témoigna beaucoup d’envie de le voir, je dois y aller mardi ainsi habillé, non pas au lever mais chez la Reine, c’est la princesse la plus aimable que je connaisse.»

Lettre de Fersen à son père du 19 novembre 1778 suite Riksarkivet

Remarquons le passage annoté d’un trait dans la marge.

Remettons les choses en contexte :  comme nous l’avons lu précédemment, Fersen a honte de cet uniforme. Il ne compte certainement pas séduire Marie-Antoinette ainsi attifé. De son côté, celle-ci a toujours eu un goût prononcé pour les costumes militaires. De son enfance à Vienne, elle a toujours été habituée à fréquenter des uniformes venus de toute l’Europe. Elle n’a donc aucun a priori sur l’excentricité d’un tel costume et s’en montre curieuse. Elle apprécie tant les costumes un peu originaux qu’elle n’hésite pas à se faire portraiturer ainsi vêtue quitte à affronter un possible scandale :

Marie-Antoinette, reine de France, à cheval, en califourchon, frac à la bavaroise et harnachement des gardes-nobles hongrois, Louis-Auguste Brun, dit Brun de Versoix, huile sur toile, 1783, château de Versailles

Non seulement la Reine porte un costume masculin mais affirme aussi Ses origines non pas simplement autrichiennes mais carrément hongroises !

Lisons ce qu’il écrit à son père attentivement. Fersen dit ne pas se rendre au lever mais chez la Reine.  Ce qui a été interprété par certains comme ayant ses entrées dans les petits cabinets. C’est le cas par exemple d’André Castelot :

Marie-Antoinette d'André Castelot

Qui en plus parle de petits appartements alors que ce sont les petits cabinets, c’est-à-dire les pièces attenantes à son appartement officiel. Le petit appartement de la Reine n’existera qu’en 1782.

De son côté, le suédois Herman Lindqvist n’hésite pas lui à réécrire le passage cité plus haut à sa sauce :

« La reine me reçoit toujours avec bonté, j’assiste souvent à ses séances de jeux et, chaque fois, elle m’adresse quelques mots plein d’amabilité. Comme quelqu’un lui avait parlé de mon uniforme, elle exprima un vif désir de me voir en tenue. J’irai la voir mardi, revêtu de cet uniforme, non pas à la Cour mais chez elle.»

Herman Lindqvist, Axel von Fersen, séducteur et aristocrate. 1995

Je replace l’original manuscrit afin de savourer la comparaison :

Lettre de Fersen à son père du 19 novembre 1778 suite Riksarkivet

https://www.persee.fr/doc/dhs_0070-6760_1996_num_28_1_2140_t1_0638_0000_7

Comme quoi les non francophones qui tentent des traductions en français risquent fort de très hasardeuses interprétations. Et réciproquement, ce que pour ma part, je sais devoir prendre avec considération. Les conséquences peuvent en être graves. 

Mais la palme revient peut-être à Emmanuel de Valicourt qui a pourtant été plutôt fin dans son interprétation des relations de Marie-Antoinette avec Fersen :

«Comme on lui a parlé de mon uniforme suédois, elle m’a témoigné beaucoup d’envie de me voir, dans ce costume.»

Emmanuel de Valicourt, Les favoris de la Reine, édition Tallandier, 2019

Et lui n’a pas l’excuse d’une mauvaise traduction ! Puis Valicourt imagine toute une scène bucolique au Petit Trianon sous un beau soleil automnal. Rappelons seulement qu’à huit mois et demi de grossesse, la Reine ne séjourne certainement pas au Petit Trianon qui est avant tout un lieu de promenade pour les beaux jours !

Même Evelyne Lever, historienne renommée, membre du CNRS, spécialiste incontestée du XVIIIème siècle modifie les sources :

Evelyne Lever

Fersen ne doit pas se rendre à la cour mais chez la reine ? Comment est-ce possible ? Evelyne Lever ne sait pas lire lever dans un texte manuscrit ? Un comble !

Non. Quand Fersen évoque le lever, c’est celui du Roi. Pas besoin d’expliquer à son père, celui-ci connaît les us et coutumes de Versailles, contrairement à nous, lecteurs modernes. On ne parle pas de Lever pour la Reine, mais de Toilette de représentation :

Or Marie-Antoinette a pour habitude d’y recevoir ambassadeurs et étrangers tous les mardis. Il n’y a donc rien d’exceptionnel à recevoir un gentilhomme étranger dans son costume national puisqu’il s’agit tout simplement d’une tradition de Cour, encore une fois d’une obligation de Reine. La scène se déroule dans Sa chambre, en public, avec tous les hauts dignitaires de la Cour, juste avant le départ pour la messe. 

Reconstitution de la chambre de la Reine en 1776 par Lucas Lazetta

En novembre 1778

La chambre est recouverte de son meuble d’hiver et non celui d’été comme montré ici. Il y a aussi de fortes chances que le mobilier des couches soit déjà installé.  La plupart des biographes reprennent alors que la Reine examine le gentilhomme «soigneusement» ou «très soigneusement» c’est selon. Mais rares sont ceux qui donnent la référence de ces mots. Quel est donc ce témoin ? Pas Fersen en tout cas.

Il s’agit du futur archevêque luthérien Lindblom, lui aussi de la diaspora suédoise entourant Creutz. Söderjhelm nous dit que l’original est en suédois et date de Versailles du 24 décembre 1778, soit un mois après les faits. Nous devons donc nous contenter de sa version en français que reprennent également les Girault de Coursac dans Vie conjugale, vie politique :

«L’habit suédois… jugé au point de vue du bon goût n’est en aucune façon inférieur à l’habit français. Le Français qui croit posséder un goût raffiné, le reconnait volontiers et tout Versailles ne parle que d’un comte Fersen qui est venu à la cour portant l’habit national suédois que la Reine, d’après ce qu’on m’a dit, a examiné très soigneusement.»

Alma Söderjhelm, page 61

L'archevêque Lindblom, dessin entre 1788 et 1808, Skälsebo

Deux points essentiels sont à noter. Tout d’abord, même s’il s’agit d’une traduction, il est évident que ce témoin exprime avant tout son patriotisme. L’habit conçu par Gustave III est à l’égal de celui des Français, autoproclamés détenteurs du meilleur goût. Il est avant tout fier que la Reine de France l’ait reconnu en l’observant chez un de ses compatriotes. Nous savons pourtant quoi en penser, Fersen ne cachant pas lui-même qu’il en a honte.

Mais surtout, ce témoin dit clairement ne pas avoir été présent à cette scène : «d’après ce qu’on m’a dit». Il ne fait que rapporter ce que l’on a bien voulu lui raconter en y ajoutant son sentiment personnel, c’est-à-dire national. Fréquentant l’ambassade suédoise, il participe comme toutes les créatures de Creutz à l’exaltation de sa nation qui se doit d’être en première ligne à la cour de France. En tout cas dans la version que nous en avons en français. Peut-être que la version originale ne permet pas le doute qu’il ait été aux côtés de Fersen ce matin-là dans la Chambre de la Reine. Mais en français, cette source est inexploitable. Par conséquent, c’est une grave faute de la part des historiens francophones qui l’ont repris sans se poser de questions. 

Chez Kermina, page 44 : 

«Marie-Antoinette demanda à le voir, et elle l’examina, dit-on, « soigneusement ».»

Et chez Françoise Wagener, dans L’Enigme Fersen, page 83 : 

«au dire de témoins,  elle l’examina très soigneusement…  »Tout Versailles en parla », paraît-il.»

Même si Kermina et Wagener admettent à demi-mots qu’il ne s’agit que de rumeurs, le mal est fait :  Marie-Antoinette, d’après un témoin qui n’en est pas un (au singulier, pas au pluriel !), a observé «très soigneusement» Fersen, dans Son intérieur privé, voire sur une île enchantée du Petit Trianon (!). C’est donc la preuve d’une faveur très particulière. Non, tout prosaïquement, la Reine de France a voulu connaître ce fameux costume suédois et le reçoit donc comme il se doit le mardi dans Sa chambre lors des grandes entrées avant le départ pour la messe. Et rien n’indique si Elle l’a plus observé qu’un autre visiteur étranger ce matin-là. Nous pouvons juste supposer que l’originalité de l’uniforme aurait pu lui faire arrêter son regard plus longuement. Et c’est juste une supposition. Pas besoin d’imaginer comme Valicourt, sans le moindre conditionnel, une lumière de gloire sur ce prince charmant directement issu de contes de fées. C’est nettement moins romantique mais plus réaliste. 

 Jacob Axelsson Lindblom est docteur de belles-lettres en 1779, évêque luthérien de Linköping de 1786 à 1805 puis archevêque d’Uppsala en Suède de 1805 à 1819. 

Jacob Axelsson Lindblom (1746-1819)

Sa fonction l’obligeant à être en Suède en 1779 et aucun voyage en France de sa part n’ayant été retrouvé, on peut se demander s’il n’est pas depuis toujours confondu avec son frère Gabriel-Axel Lindblom (1750-1827) secrétaire-interprète de Louis XVI et traducteur à succès d’une description de l’Islande. Qui serait donc nettement mieux placé au sein du personnel diplomatique. Nous pouvons dire que nous n’avons aucune certitude sur cette personne, sauf qu’elle n’a pas été près de Fersen à ce moment précis. 

Pas besoin d’attendre le procès de Marie-Antoinette pour  utiliser de faux témoins. 

Le 15 décembre 1778

Nouvelle lettre à son père :

Lettre de Fersen du 15 décembre 1778 Riksarkivet
Lettre à son père du 15 décembre 1778 Riksarkivet

Il y évoque sa tante née La Gardie qui a été volée par sa domestique et depuis à la dernière extrémité. De plus, il n’a toujours pas pu rendre visite au duc de Choiseul. Ce passage évoqué est aussi marqué d’un trait dans la marge, ce qui ne peut que susciter notre étonnement. Quel lien entre Choiseul et l’histoire d’amour entre Fersen et Marie-Antoinette puisqu’à chaque fois que nous avons vu ce trait dans la marge, cela concernait seulement l’idylle ? Il est difficile de ne pas faire un lien avec le fait que le parti du duc de Choiseul et notamment son ambitieuse de soeur, ait souhaité mettre Lauzun dans le lit de la Reine.

Il faudrait au moins savoir de qui sont ces traits, Fersen ou quelqu’un d’autre après lui. On peut comprendre un archiviste soucieux d’aider de futurs historiens à voir d’un seul coup d’oeil dans ces lettres manuscrites quand cela concerne Marie-Antoinette. Mais alors pourquoi y mêler le duc de Choiseul ? Nous n’aurons certainement jamais de réponse. 

Fersen est toujours heureux de son séjour parisien et n’oublie pas de jouer une fois de plus au fils parfait :

«où il ne me manque, pour être parfaitement content, que la satisfaction de vous y voir, mon cher Père.»

Il continue ensuite sur mademoiselle de Leyel et attend les attentions de son père à ce sujet. Fredrick Axel est-il aussi peu dénué de scrupules que Hans Axel ? Nous pouvons certainement répondre par l’affirmative car sinon comment ce dernier aurait-il pu oser avoir l’idée de lui transmettre son plan odieux ? Il sait à qui il s’adresse. 

Il poursuit avec Marie-Antoinette et ses couches qui ne peuvent qu’arriver d’un moment à l’autre. Malgré le trait dans la marge, il n’y a rien qui montre un intérêt particulier pour la Reine de France, sauf celui d’un visiteur étranger bien placé qui comme l’Europe entière attend un Dauphin pour la Couronne de France. Il insiste surtout sur la bêtise des Français. Remarquons également que Fersen ne dit rien à son père de la visite proprement dite chez la Reine en uniforme mais uniquement du rendez-vous qui en a été pris le 15 novembre dernier. C’est le fait d’avoir pu montrer le costume national chez la Reine devant la Cour et tous les ambassadeurs et étrangers en visite qui est important.  Il termine par l’évocation d’une bataille navale et la chance du nouvel élève de Bolemani, son ancien précepteur, de se rendre en Prusse sous les ordres de Frédéric II. Lui-même attend toujours avec impatience une place, tandis qu’il voit son argent diminuer.

Le 19 décembre 1778

Naissance de Madame Royale.

Une partie du public est persuadé que son vrai père est soit le duc de Coigny, soit le comte d’Artois.

Ne prêtant pas attention aux rumeurs, le couple royal se rapproche davantage dans leur amour partagé pour leur petite fille.

Le 20 janvier 1779

Dans sa nouvelle lettre à son père Fersen se plaint amèrement des pourparlers de paix menés par le baron de Breteuil en Allemagne. C’est en effet pour lui un véritable «malheur» car une saison inutilement passée à Paris pour y trouver un emploi dans le conflit.

Lettre de Fersen à son père du 20 janvier 1779, Riksarkivet

Le 30 mars 1779 

Après ses soucis de santé et la guerre, je découvre un nouveau trait dans la marge. Il ne concerne ni Marie-Antoinette, ni Choiseul mais Stedingk qui a fait son entrée au service de l’armée française et est parti dans les Antilles. Pourquoi donc ce passage a-t-il été jugé plus important que d’autres concernant également des opérations militaires ? Pour l’instant, Fersen ne parle pas de son prochain enrôlement à son tour. Il ne sait rien de son avenir, regrette que la guerre d’Allemagne soit finie. Mais dans sa lettre précédente, il a dit à son père que Creutz lui a promis quelque chose et qu’il ne peut rien en dire encore à son père qui l’apprendra par un autre courrier. Et là, il parle à son père d’un de leurs compatriotes qui s’engage pour l’Amérique. Ce trait dans la marge signifie-t-il qu’à ce moment démarre enfin sa carrière ? Ou encore autre chose ?

Mi-avril 1779

Séjour à Chantilly (dix jours trois jours avant le 30 avril).

Ce voyage à Chantilly correspond pile poil aux dates de la rougeole de Marie-Antoinette au Petit Trianon. A ces dates, elle n’a donc pas pu se déplacer et encore moins passer elle aussi quelques jours chez le prince de Condé. Résultat, début 1779, entre la suite de ses couches, ses maladies à lui puis la rougeole de la reine au printemps, on se demande s’ils ont pu beaucoup se voir…

Du 12 au 21 avril 1779

Rougeole de la Reine au Petit Trianon.

Pense à une descente sur l’Angleterre.

Ou formation auprès de Creutz pour devenir ministre.

Le 22 avril 1779

Louis XVI confirme la charge de colonel général des hussards pour son cousin le duc de Chartres. 

Le 30 avril 1779

Nouveau trait dans la marge : Fersen se charge de demander à son père, pour Staël une très belle somme d’argent en prêt. Ceci pour une histoire qui se passe en Angleterre entre Staël et un autre type, B… quelque chose, sous l’égide de Creutz, Leur affaire finit par capoter, Staël est dans le pétrin… Et si papa Fersen peut y faire quelque chose, Staël lui devra une reconnaissance éternelle.

Les dettes des Suédois à Paris sont énormes tant le train de vie est dispendieux. Afin de protéger le nom suédois auprès des banquiers et auprès de la cour, les diplomates font sans trop d’hésitation des avances à leurs compatriotes de qualité. La solidarité économique est aussi un élément important de la confiance amicale, ce qui explique en partie la phrase insouciante du comte de Creutz à Curt von Stedingk :

« Quand tu as besoin d’argent, tire une lettre de change sur moi.»

RA, Stedingkska samlingen, svenska arkivet, Curt von Stedingks arkiv, vol. 103, Lettre de Creutz à Curt von Stedingk, 23 juillet 1773.
Original en suédois, cité dans C. Wolff, Vänskap och makt, op. cit., p. 117

Creutz lui-même est surendetté jusqu’au cou mais il n’a pas le choix au nom du prestige de la couronne suédoise. L’honneur de la nation et les devoirs du rang sont des motifs de dépenses qui dépassent de beaucoup ses revenus.

« Mais à Paris qui est le centre où tous les etrangers arrivent il est plus necessaire que partout ailleurs de Soutenir l’honneur de Sa cour par une maniere de vivre noble et decente. Et la considération qu’on acquiert par là influe prodigieusement sur les succès des affaires mêmes »

Comte de Creutz, op. cit., p. XXV, Lettre de Creutz à Gustave III, 28 avril 1776

La police française laisse faire tant la réputation de l’ambassadeur suédois est immense, l’alliance d’importance. Dans le même temps, elle poursuit l’ambassadeur russe pour ses dettes de jeu. Il n’y a immunité diplomatique que pour les représentants suédois. 

Dimanche 13 juin 1779 

Il arrive à la fin du dîner de Vergennes, toujours pas de trait dans la marge et Vergennes l’accueille à bras ouvert, Fersen lui demande s’il peut avoir un espoir pour son affaire d’Amérique, Vergennes lui répond qu’il allait justement s’en occuper dans l’après-midi, ça tombe bien, parmi ses invités à table se trouve monsieur de Vaux dont l’armée de 25000 hommes attend l’ordre de mobilisation pour une mission inconnue, on recrute encore, Fersen espère encore. Donc Vergennes ne peut lui présenter meilleure personne ! Il le lui présente :

« si j’avais un fils à vous donner, je le ferais mais je vous recommande monsieur de Fersen comme mon fils, c’est un jeune homme pour lequel je m’intéresse…»

et là, ce passage n’est pas marqué d’un trait dans la marge mais souligné.

Promotion exceptionnelle car Gustave a interdit à tous ses sujets de s’engager mais exception est faite pour Fersen.

Et en même temps il croise Rochambeau, qu’il écrit Rochambaut qui lui demande de le rappeler au bon souvenir de papa Fersen. Il le sait de l’expédition mais ne sait pas encore qu’il en sera le général et en chef et qu’il deviendra son aide de camp. Justement il s’interroge à ce sujet car qui le prendra, sans expérience, étranger et que personne ne connaît ?

Le 18 août 1779

Promenades et concerts noctures sur les terrasses.

Début 1780

Colonel du Royal-Deux-Ponts, pas faramineux. Joue sur la carrière de son père.

Lettre de Creutz placée par Kermina à son départ de 1780, or date de 1779.

Dans la protection des intérêts d’amis et de parents de cette aristocratie suédoise puissante, il s’agit aussi, suivant une logique aristocratique, de protéger et de maintenir l’image d’un passé glorieux, et d’éviter que l’honneur et le renom de la noblesse suédoise ne soient entachés. L’amitié affichée avec les détenteurs du pouvoir politique est un aspect de la diplomatie et de la crédibilité des ambassadeurs, tout comme la magnificence matérielle dans la représentation (l’hôtel, les carrosses, les fêtes). La faveur de la Reine de France est donc essentielle.

Creutz, pendant ses dix-sept ans passés en France, a le temps de développer un immense réseau, dont le point d’équilibre change suivant les conjonctures et les circonstances politiques. Proche ami de Choiseul à la fin des années 1760, s’entendant ensuite avec le duc d’Aiguillon, il évolue dix ans plus tard dans les coteries très aristocratiques de la jeune reine, fréquentant entre autres les Rohan, les Noailles, et les Polignac. Ces réseaux se superposent aux contacts dans les milieux littéraires et philosophiques, peut-être plus importants pour la diplomatie suédoise qu’on ne l’imagine.

Dans la vie sociale de ces diplomates il n’y a pas de limite nette entre, d’un côté, l’exercice du pouvoir politique, et, de l’autre, la sociabilité littéraire et philosophique. Au contraire, ces deux aspects sont intimement liés. L’espionnage européen se fait essentiellement dans les salons. La composition des salons est souvent très aristocratique. Les diplomates vont dans les salons pour cultiver leurs liens avec les personnes au pouvoir dans un cadre informel et intellectuel, ainsi que pour se tenir informé des nouvelles, de « l’on-dit » mondain et des rumeurs politiques. Pour l’ambassadeur comme pour l’apprenti diplomate, il s’agit d’observer et de rapporter, mais aussi d’être vu dans la bonne compagnie. 

Creutz fréquente en particulier et très assidument celui de madame Necker.

Suzanne Curchod, épouse Necker par Joseph-Siffred Duplessis, château de Coppet

Mais il fréquente tout autant le salon de madame Geoffrin et celui de madame du Deffand. Il est aussi un convive régulier chez la comtesse de La Marck, la maréchale de Luxembourg, et madame de Boufflers, amie de Gustave III. Après la mort de madame Geoffrin et de madame du Deffand, les cercles de madame de La Reynière et de madame de La Ferté-Imbault prennent une place encore plus importante dans la vie sociale de l’ambassadeur de Suède. Madame du Deffand dira de lui :

«un pédant, un doucereux, un flagorneur, un admirateur des philosophes modernes».

Benedetta Craveri

Fersen, à l’exemple de Creutz sera toujours un invité de choix de ces salons  et ceux apparaissant plus tard dans la vie mondaine parisienne (Hézecques). 

Le 23 mars 1780

Départ de Paris, au comble de la joie (donc Marie-Antoinette, s’en moque).

Le 16 mai 1780

Fersen, à bord du Jason depuis plusieurs semaines, part avec la flotte française pour l’Amérique.

Le 30 juin 1779

 Sainte-Croix va arriver en Suède, protégé de Choiseul, Fersen l’a beaucoup vu. Le recommande à son père. Sainte-Croix futur ministre des Affaires étrangères ?

Le 1er juillet 1779

Toujours pas nommé colonel. Mais Creutz le lui promet dès le premier travail.

Fersen part ce jeudi pour Le Havre. Couche à Rouen, arrive vendredi.

Le 4 juillet 1779

Description des préparatifs, munitions, vivres, artillerie et troupes au Havre, départ prévu dans dix-neuf jours, chiffres modifiés, certains disent que tout ceci n’est qu’une démonstration mais Fersen ne le pense pas, ce serait un simulacre qui coûterait trop cher, attente de la flotte d’Orvilliers qui a fait la jonction avec vingt vaisseaux espagnols

En ps : la flotte attendue est entrée dans la Manche et celle anglaise entre … et Plymouth.

Le 10 juillet 1779

Même blablas sur vivres, munitions, etc , certains croient qu’ils vont aller à Portsmouth, d’autres sur l’île de Wight,d’autres sur côtes anglaises, mais Fersen croit que c’est pour forcer Anglais à se rendre à un endroit et donc pouvoir débarquer en Irlande, bloquer Cork pour empêcher envois anglais en Amérique et donc plus facile ensuite pour envahir l’Angleterre mais possible que ce ne soit pas le projet, comte de Vaux part  pour Saint-Malo vérifier si tout va bien, doit revenir ce jour ou lendemain.

Du 6 au 9 août 1779

Flotte anglaise arrive de Jamaïque avec cent vingt vaisseaux, Orgivilliers. Que va-t-il se passer ? Fersen ne sait rien. Secret bien garder. Espère qu’il va se passer quelque chose. Commence à en désespérer.

Passage biffé.

Attendre jusqu’à octobre ? Pas au delà espère-t-il.

Quatre-vingt vaisseaux en construction à Brest, rumeurs de vaisseaux construits en Angleterre pour dévaster côtes françaises.

Angleterre a pris deux vaisseaux suédois, même pas de contrebande, Fersen estime que bientôt aura contre elle toutes les puissances maritimes européennes si Angleterre continue une telle attitude.

Le 9 novembre 1780

« 9 novembre 4780. M. Arthur Dillon, appelé le beau à la Cour, singulièrement protégé de la reine, a eu le malheur de se casser encore une fois le bras. C’est le jour de la Saint-Hubert, à la chasse avec le roi, que cet accident lui est arrivé. Si quelque chose a pu calmer ses douleurs, c’est le spectacle de leurs majestés présentes au pansement, qui a eu lieu sur-le-champ et lui prodiguant les plus tendres soins. »

Le 22 octobre 1781

Naissance du Dauphin, Louis-Joseph-Xavier-François (1781-1789).

Naissance du Dauphin par Jean-Michel Moreau, le jeune

Printemps 1782

Alexandre de Sparre, propriétaire du Royal-Suédois est ruiné. Si ses héritiers préfèreraient voir le régiment resté dans la famille, Alexandre souhaite lui le vendre. Très cher.

En octobre 1782

Grâce à l’intercession de Marie-Antoinette, Fersen obtient  la place de colonel en second du régiment de Royal-Deux-Ponts. Il déclare alors à son père qu’il souhaite rester en Amérique jusqu’à la fin du conflit, et ensuite passer au service de Gustave III.

Le 23 juin 1783

Fersen rentre de campagne , et se rend à Versailles où il sollicite toujours par la faveur de Gustave III et de la Reine, le Royal-Suédois en pleine propriété. La rumeur va alors bon train à la Cour.

Sitôt arrivé à Paris, Fersen multiplie les démarches pour obtenir le régiment hors de prix. Il demande à Sophie de persuader leur père, et supplie Gustave III :

« Dans une lettre que j’eus l’honneur de Vous écrire du Cap, Sire, je Vous demande Votre consentement pour accepter la propriété du Régiment de Monsieur le Duc de Lauzun maintenant il se présente une occasion d’avoir celui du Royal-Suédois et si Votre Majesté veut en faire la demande pour moi je suis sure de l’obtenir; je ne m’arrête pas sur les avantages qui résulteraient pour moi d’un pareil arrangement, ils sont fort grands, et Votre Majesté les sent comme moi; malgré cela je n’y aurais jamais songé si cette place avait due me priver du plaisir de faire mon service auprès de la personne de Votre Majesté, et si elle eut due m’empêcher d’avoir l’honneur de lui faire ma cour, mais elle n’exige pas de résidence, et fournit a Votre Majesté le moyen de placer de jeunes gens dans ce Régiment, qui rapporteraient ensuite pour le service de leur patrie les talents et l’expérience qu’ils auraient pu acquérir dans celui de France qui va être plus actif que jamais.
J’ose supplier Votre Majesté en faveur des bontés qu’elle a toujours eu pour moi, de consentir à cet arrangement, et j’ose me flatter que vous voudrez bien, Sire, ajouter a tous Vos bienfaits celui d’y contribuer.
La permission que je Vous avais demandée de ne revenir qu’au printemps, est mal d’accord avec l’impatience extrême que j’ai de Vous faire ma cour, et je viens de proposer a mon Père de passer cet hiver en Suède, et que Votre Majesté veuille me promettre de retourner en France au printemps pour faire mon service d’été au Régiment ou je suis, de passer ensuite l’hiver a Paris pour faire mes arrangements, finir mes affaires, et revenir en Suède au printemps, ce nouveau projet satisferait la grande impatience que j’ai de Vous faire ma cour, Sire. J’ose me flatter et je supplie Votre Majesté de vouloir bien consentir a celui de ces deux projets pour lequel mon Père se décidera, et d’être mon avocat auprès de lui.
»

Mais le vieux sénateur met aussi tous ses efforts à voir son fils atteindre le poste d’ambassadeur, avec une loyauté qui force le respect :

« Staël me traite avec toutes sortes d’égards, je loge chez lui, écrit-il à son père, on ne saurait être mieux dans un palais, qu’il n’est dans celui-ci, il y est aimé de tout le monde. C’est la seule personne que le Roi puisse y envoyer et qui y soit agréable, tout le monde désire le voir ambassadeur et si vous pouviez y contribuer, ce serait une nouvelle preuve de vos bontés pour moi et vous feriez du bien a un sujet, qui le mérite et qui ne serait point ingrat.»

Axel de Fersen à son père

Le 15 juillet 1783

« Aujourd’hui est un jour remarquable pour moi. C’était quand je rentrais de chez Mme de Mat.[ignon] à Dangu et allais chez Elle après le dîner. »

Fersen évoque ici le moment où il a vu la Reine « en privé », car sinon il aurait écrit « chez la Reine ». Mais il écrit « Elle » avec une majuscule et souligné : le nom de code pour Marie-Antoinette dans son journal. En revanche, le marquis de Bombelles note dans son journal que Fersen aurait quitté la fête chez madame de Matignon à Dangu pour rejoindre Louis XVI à la chasse. L’emploi du temps d’Axel de Fersen ne coïncide pas tout-à-fait. Nul doute que c’est pour dissimuler une intimité avec la Reine de France comme le suppute Farr : 

Ceci est donc un mensonge. Un des nombreux mensonges pour masquer que Fersen fréquentait la reine en secret.

Une autre indice que Fersen aurait passé davantage de temps dans l’intimité de Marie-Antoinette cet été-là peut se trouver dans la lettre qu’il écrit à son père le 31 juillet 1783 : « Je souffre toujours de ce rhume que j’ai attrapé il y a 15 jours. C’était un des pires rhumes que j’ai eu et je viens de passer trois jours dans ma chambre buvant je ne sais pas quoi, et cela a l’air d’aller mieux. »

Pourtant, dans ses lettres du 11, 21 ou 28 juillet, aucune mention d’un quelconque rhume ni d’une chasse avec Louis XVI.

Il a donc menti à son père afin de rendre son absence dans le beau monde crédible. Il n’aurait nullement eu besoin de mentir s’il n’y avait une bonne raison pour cela : l’intimité grandissante entre Marie-Antoinette et lui.

Pour masquer ses mouvements, Fersen a l’art aussi d’antidater ses lettres (sûrement déjà évoqué ici) et de mettre un autre lieu de départ. Une lettre adressée à son père le 10 août 1783 est par exemple datée depuis Paris, et le même jour une lettre écrite à sa sœur Sophie est datée depuis Versailles.

Evelyn Farr « Marie Antoinette & Count Fersen: The Untold Love Story« , London, 2013, Peter Owen Publishers

Ce qui est terrible, c’est que l’on voit Fersen mentir à longueur de temps. Cette missive en est la preuve. Il ment à madame de Matignon et à ses invités de Dangu, il ment à son père… Quitte à faire passer ce brave Bombelles pour un menteur, lui qui innocent rapporte tout simplement l’excuse de Fersen pour son abandon. Au passage, Les Breteuil et cie ont un avis assez mitigé à son propos. 

« Le comte de Fersen est parti pour aller chasser à Versailles avec le Roi. Dans le peu de temps qu’il a passé ici, nous lui avons trouvé de la bonhomie, de bons propos, les indices d’un zèle dirigé par des vues nobles. Il ne nous a pas paru doué de beaucoup d’esprit ; la vivacité de la jeunesse en tient souvent lieu. Une gaîeté franche amuse les spectateurs et les dispose à bien juger de la facilité d’une jeune homme à s’énoncer, mais souvent quelques années ensuite, lorsque son sang circule plus lentement, lorsqu’il n’a rien acquis par le travail et qu’au contraire il a perdu son temps, il tombe tout à plat, rit moins, ne fait plus rire, s’étonne de son insuffisance, s’en tourmente et ne trouve rien en lui pour y remédier (…). Le comte de Fersen n’éprouvera jamais ce désagrément parce que son nom, ses places, sa fortune et sa bonne conduite le soulèveront ; mais je crois qu’il restera toujours fort au-dessous de ce qu »on a cru qu’il deviendrait lorsqu’il a paru dans le monde. (…)»

Axel de Fersen a beau déjà construire sa légende, certains courtisans voient clair dans son jeu. 

Ce qui fait dire à l’une des plus fersinophiles du forum de Marie-Antoinette, madame de Sabran, alias Nathalie Colas des Francs : 

Il y a mensonge et mensonge, je crois,  mensonges de finesse, pieux mensonges aussi pour préserver la réputation de la reine …
Ce n’est peut-être pas si simple à démêler !

Et Françoise Kermina de renchérir : 

On était loin d’imaginer l’importance qu’il ( Fersen ) avait prise dans son coeur. Axel en effet affichait une réserve proche de la pose, qui correspondait certes à son tempérament : « Moi, j’aime à écouter et à me taire », écrivait-il déjà d’Amérique à son père. Mais elle témoignait aussi d’une prudence étonnante pour son âge. On pouvait, a-t-on dit, le faire répondre à une question, à deux peut-être, jamais à trois.

Et Louis de Bouillé : 

« Un flegme naturel l’avait garanti de l’ivresse du succès qu’il justifiait presque par une discrétion à toute épreuve. Il était tel enfin que devrait toujours être l’amant d’une reine » .

Nous noterons le conditionnel …

Le 31 juillet 1783

Fersen écrit à sa sœur Sophie qu’il ne se mariera jamais, parce qu’il ne peut pas être à la seule personne à qui il voudrait être, à la seule qui l’aime véritablement, ainsi il ne veut être à personne 

« J’ai reçu il y a trois jours une lettre de mon ami Creutz, qui m’a fait le plus grand de tous les plaisirs. Or que je suis heureux ma chère Sophie, il me mande que le Roi et mon Père ont consentis a tout, jugés de mon bonheur. J’en écris aujourd’hui à mon Père pour lui en faire mes remerciements, et lui témoigner toute ma joie. J’ai peine a le croire tant je suis heureux, j’ai plus d’une raison pour cela, que je vous direz quand nous nous verrons.
Je partirai d’ici vers le 13 Sept: et je serai en Suède le 15 oct: que j’aurai de plaisir à vous voire ma chère amie a pouvoir causer avec vous, a vous dire combien je vous aime. Ah ! Soyez toujours sure de l’amitié vive et tendre que je vous porte elle ne finira qu’avec ma vie.
Malgré tout le plaisir que j’aurai à vous voir je ne puis quitter Paris, sans regret. Vous trouverez cela très naturel quand vous en saurés le sujet, je vous le direz car je ne veux avoir rien de caché pour vous.
Je suis bien aise que Mademoiselle Lyell soit mariée, on ne m’en parlera plus et j’espère qu’on n’en trouvera pas d’autre, j’ai pris mon parti je ne veux jamais former le lien conjugal, il est contre nature. Lorsque j’aurai une fois le malheur de perdre mon Père et ma Mère, ce sera vous ma chère amie qui me tiendrez lieu de l’un et de l’autre et même de femme. Vous serez la maîtresse de ma maison, elle sera la vôtre, et nous ne nous quitterons pas. Si cet arrangement vous convient il fera le bonheur de ma vie. Je ne puis pas être a la seule personne a qui je voudrais être la seule qui m’aime véritablement, ainsi je ne veux être à personne.
»

Axel de Fersen à sa sœur Sophie von Piper

Cette seule personne à qui il voudrait être n’est-elle pas sa sœur Sophie elle-même et non Marie-Antoinette comme les auteurs qui utiliseront les termes tronqués de cette lettre se plairont à le croire ? 

Car dans la famille Fersen, ce n’est pas un sang royal qui empêcherait une conquête…  mais une emme de son propre sang, à moins d’être de la famille Lannister… 

Le 25 août 1783

La Cour apprend une nouvelle grossesse de Marie-Antoinette. La Reine en est mécontente et s’enferme dans Ses appartements ; Ses dames trouvent porte close.

Le 20 septembre 1783

La somme est telle (100 000 livres), les démarches si difficiles, la famille Sparre si réticente que la vente du Royal-Suédois n’est toujours pas décidée.

Fersen quitte la France pour retourner en Suède. Gustave III le nomme en compensation Lieutenant Colonel des Dragons du Roi. Dans sa lettre de remerciements même, Axel revient avec son envie de régiment en France, sollicitant l’intervention personnelle de Gustave auprès de Louis XVI.

Et voici la lettre de recommandation que Gustave III écrit à Louis XVI :

« Monsieur, mon frère et cousin, le comte de Fersen, ayant servi dans les armées de Votre Majesté en Amérique avec une approbation générale, et s’étant rendu par là digne de votre bienveillance, je ne crois pas commettre une indiscrétion en vous demandant un régiment – propriétaire pour lui. Sa naissance, sa fortune, la place qu’il occupe auprès de ma personne, la sagesse de sa conduite, les talents et l’exemple de son père, qui a joui auparavant de la même faveur en France, tout m’autorise à croire, que ses services ne pourront qu’être agréables à Votre Majesté, et, comme il restera également attaché au mien et qu’il se partagera entre les devoirs qu’exige son service en France et en Suède je vois avec plaisir, que la confiance que j’accorde au comte de Fersen et la grande existence dont il jouit dans sa patrie étendront encore davantage les rapports qui existent entre les deux nations et prouveront le désir constant que j’ai de cultiver de plus en plus l’amitié qui m’unit à vous, et qui me devient de jour en jour plus chère. C’est avec ces sentiments et ceux de la plus haute considération et de la plus parfaite estime que je suis, monsieur, mon frère et cousin, de Votre Majesté le bon frère, cousin, ami et allié.»

Gustave

« Le Roi a consenti tout de suite, et a témoigné la plus grande envie de faire quelque chose qui put être agréable a. Votre Majesté, la Reine a bien voulu s’en mêler, des qu’elle a su que Vous le désiriez, tout va bien, et je crois pouvoir assurer à Votre Majesté que j’aurai le Régiment de Royal Suédois, on a imaginé ici que c’était celui qui ferait le plus de plaisir a Votre Majesté, et celui qui me conviendrait le mieux, on a offert a messieurs de Sparre des avantages assez considérables pour les faire quitter, le comte Ernst a déjà renoncé a sa survivance, et le Comte Alexandre a depuis longtemps témoigné le désir de rendre son Régiment, il s’agit seulement de régler les prétentions exorbitantes qu’il fait. Parmi ces demandes il fait celle du Cordon des Séraphins. Le Comte de Cheffer le lui a presque assuré dans une lettre ou il l’engage a ne pas accepter le Cordon Rouge qu’on lui offrit alors; je n’ose me flatter que les bontés et l’intérêt que Votre Majesté daigne prendre a moi puissent l’engager a lui accorder cette grâce a laquelle il a véritablement les droits tant par sa naissance, que par la promesse du Comte de Cheffer, et s’il consent a me céder son Régiment ce dont je ne doute pas, c’est en grande partie pour plaire a Votre Majesté .»

Axel de Fersen à Gustave III

Voici la lettre de Marie-Antoinette à Gustave :

« Monsieur mon frère et cousin, je profite du départ du comte Fersen pour vous renouveler les sentiments qui m’attachent à Votre Majesté; la recommandation qu’elle a faite au roi a été accueillie comme elle devait l’être, venant de vous et en faveur d’un aussi bon sujet. Son père n’est pas oublié ici: les services qu’il a rendus et sa bonne réputation ont été renouvelés par le fils, qui s’est fort distingué dans la guerre d’Amérique, et qui, par son caractère et ses bonnes qualités a mérité l’estime et l’affection de tous ceux qui ont eu l’occasion de le connaître. J’espère, qu’il ne tardera pas à être pourvu d’un régiment. Je n’oublierai rien pour seconder les vues de Votre Majesté et vous donner en cette occasion comme en toute autre des preuves du sincère attachement avec lequel je suis, monsieur mon frère et cousin, votre bonne sœur et cousine.»

Marie-Antoinette

Image de La Guerre des Trônes de Vanessa Pontet, Samuel Collardey

Franchement, on ne lit que de la civilité entre souverains désireux de se rendre mutuellement service. 

 Fersen ne parle à sa sœur et confidente Sophie que de ce qui importe réellement pour lui :

« Mon affaire est décidée, ma chère amie, je suis Colonel Propriétaire du Royal Suédois, mais je n’ai pas encore mon brevet, n’en dites rien à mon Père, s’il ne vous en parle pas; il y a encore l’article des 100,000 à arranger avec lui

Axel de Fersen à Sophie von Piper

Les régiments et les compagnies sont des investissements incertains, très coûteux au départ, et dont le rendement se compte plus en honneur qu’en espèces. Pour la plupart des officiers suédois servant en France pendant quelques années, ce genre d’investissement est de toute façon hors de question. Il n’y a que les Fersen qui en ont les moyens. Son père en son temps avait ainsi soutenu son beau-frère La Gardie pourtant lui aussi issu d’une famille très riche. Mais pas autant que les Fersen.

En septembre 1783

Fersen quitte Versailles et rejoint Gustave III qui se rend incognito en Italie, en tant que capitaine des garde du corps du souverain.

Le 29 octobre 1783

Axel a pour projet de rentrer en Suède, mais Gustave III décide de l’emmener dans son voyage en Italie. Le sujet rencontre donc son souverain à Erlanger, rencontre dont il rend fièrement compte à son père :

« C’est à Erlang le 16 de ce mois que j’ai joint le Roi, jamais un frère séparé pendant longtemps d’un frère qu’il aime tendrement, n’a été reçu comme je l’ai été par ce charmant monarque, il n’y a pas de paroles qui pussent l’exprimer, il pleurait de joie et de sensibilité, et j’étais très touché depuis ce moment, il n’y a aucune sorte de marques d’amitié et de confiance que je n’éprouve tous les jours.»

Axel à son père

Le 8 novembre 1783

Il renchérit  :

« [Le roi Gustave] était encore au lit, quand j’arrivai, il me fit entrer sur le champ, il m’embrassa mille et mille fois, me dit les choses les plus tendres et les plus flatteuses sur le désir et l’impatience qu’il avait eu de me revoir, et sur la manière dont je m’étais conduit en Amérique, il était attendri jusqu’aux larmes, il en versait de joie, et j’étais vivement touché, il me répéta mainte et mainte fois combien il sentait vivement l’étendue du sacrifice que je lui faisais, en ne vous voyant, qu’il concevait la peine que cela vous faisait; qu’il la partageait, et que s’il n’y avait été force, n’ayant aucun autre capitaine de gardes en état de le suivre, il ne m’aurait pas pris avec lui, quelque envie qu’il en eut, et quelque convenable que cela fut, moi étant le seul qui fut fait pour lui faire honneur… enfin il me reçut non en Roi mais en ami tendre et sensible…, Il me distingue de tous les autres en tout et partout.»

Axel à son père

A lire cette lettre de Fersen , on croirait plutôt avoir affaire à l’amant du Roi de Suède qu’à «celui» prétendu de la Reine de France…

Le 7 juin 1784

Le comte de Haga, c’est-à-dire le Roi Gustave III de Suède, arrive à la Cour de France incognito et à l’improviste. Dans la matinée, il arrive à Paris et descend chez son ambassadeur, le baron de Staël-Holstein, qui n’a pas encore épousé la future romancière.

Le Temple de l'Amour illuminé (1785) par Niklas Lafrensen

Le 21 juin 1784

Fête donnée en l’honneur du comte de Haga ( Gustave III), souper, spectacle et illumination à Trianon.

Derrière le Temple de l'Amour, en vue de son illumination pour cette fête mémorable entre toutes ( la plus belle de toutes celles que Marie-Antoinette donna à Trianon ) , une tranchée avait été creusée dans laquelle un grand feu consuma le nombre prodigieux de 6400 fagots de bois !
Illumination du belvédère et de la grotte au Petit Trianon par Châtelet, 1785

Le 19 juillet 1784

Axel de Fersen rentre en Suède pour huit mois.

Le 27 mars 1785

Naissance de Louis-Charles, duc de Normandie, surnommé Chou d’Amour par Marie-Antoinette, Dauphin en 1789 et déclaré Roi de France en 1793 par les princes émigrés sous le nom de Louis XVII.

Le 18 avril 1785

Axel quitte Stockholm pour arriver sans encombres à Paris le 10 mai 1785.

« Mais il est 8 h. du soir, il faut que je vous quitte, je suis à Versailles depuis hier, ne dites pas que je vous écris d’ici, car je date mes autres lettres de Paris. Adieu, il faut que j’aille au jeu de la Reine. Adieu.
A 9 h. du soir le même jour.
Je sors dans le moment du jeu de la Reine et n’ai que le temps de finir ma lettre, car je dois aller dans le moment souper chez Madame d’Ossun, dame du Palais, la Reine y sera; au sortir du souper à 1 h. je retourne à Paris, et cette lettre part demain matin à 8 h. Adieu, je vous quitte…
»

Axel de Fersen à Sophie von Piper

En mai 1785

Il revient en France prendre possession de son régiment, à Landrecies, près de Valenciennes, et partage son temps entre la Cour et son régiment.

Le 8 mai 1785

Retour de Fersen en France. Le registre de lettres fait état de l’existence d’un logement de Fersen à Versailles dans l’hôtel de Luynes.

Le 1er août 1785

Fersen est de retour à Landrecies. La correspondance reprend avec Marie-Antoinette. Il reste à son régiment jusqu’au 27 septembre 1785.

La caserne de Landrecies... aujourd'hui.Axel n'est pas satisfait d'être stationné à Landrecies et dès son arrivée, il s'adresse à Monsieur d'Avrange pour être transporté ailleurs : « … qu'il me fasse avoir Maubeuge, Cambray ou Lesquesnoy... »

Le 30 septembre 1785

Fersen est de retour à la Cour. Il reprend son logement à l’hôtel de Luynes, rue de la Surintendance à Versailles. Il dispose également d’un pied-à-terre à Paris.

Le 4 octobre 1785

Retour « officiel » de Fersen à la Cour.

En janvier 1786

Fersen passe plusieurs jours à son régiment.

En mars 1786

Annonce de la grossesse de Marie-Antoinette. Ses lettres à Son frère trahissent Son inquiétude de se trouver encore grosse. L’accouchement est prévu fin juin. Le retour de Fersen en Suède, prévu en mai, est reporté à la fin juin.

Du 2 au 10 juin 1786

Fersen est à son régiment à Valenciennes.

Du 11 au 25 juin 1786

Fersen est auprès de Marie-Antoinette à Versailles.

Le 25 juin 1786

Départ de Fersen pour la Suède, via l’Angleterre.

Le 9 juillet 1786

Naissance à Versailles de Sophie Hélène Béatrice, fille cadette de Marie-Antoinette et Louis XVI.

Le 26 juillet 1786

Retour de Fersen en Suède.

Il y reste jusqu’au 15 avril 1787.

En 1787

Il part quelques semaines pour accompagner Gustave III dans sa guerre en Finlande contre Catherine II de Russie.

Le 20 avril 1787  

« Ce qu’elle doit me trouver pour loger en haut».  

A partir de mai 1787

Axel de Fersen est de retour en France. Il fera cependant plusieurs séjours à Valenciennes où se tenait son régiment dont il était colonel.

Le 3 mai 1787  

« Projet de loger en haut».  

Du 15 au 20 mai 1787  

Fersen inspecte son régiment à Maubeuge.  

Du 21 mai au 24 juin 1787

Fersen est à Versailles au moment de la maladie, puis de la mort de la petite Madame Sophie.

Le 18 juin 1787

La mort de Madame Sophie avant son premier anniversaire, éprouve la Reine qui s’inquiète aussi pour la santé de Son fils aîné.

Le 23 juin 1787

Fersen est de retour à Maubeuge.

En août 1787

Fersen passe le mois à Maubeuge.

De septembre au 5 octobre 1787

Fersen est à Paris et Versailles.

Du 5 au 18 octobre 1787

Fersen est à Valenciennes pour y établir son régiment.

Le 8 octobre 1787

« Qu’elle fasse faire une niche au poêle».

Le 19 octobre 1787

Fersen est de retour à Paris et chez la Reine à Versailles. Elle a commandé un poêle pour son logement « en haut », au château.

Aménagement logement :

L’appartement attribué à Fersen
( texte et illustrations de Christophe Duarte ; Versailles -passion )

Première pièce
Plan des cabinets de l'Attique
Nouveau tissage de toile de Jouy qui recouvrira les murs de ces pièces
Cette même pièce du service, dite de Fersen, après les restaurations de 2023

Marie-Antoinette l’a-t-Elle logé dans les deux pièces en enfilade des valets de chambre à l’étage de ses cabinets intérieurs, comme l’affirme le baron de Besenval ?

Seconde pièce

Dans une lettre datée du 8 octobre 1787, Fersen demande à Marie-Antoinette de faire installer un poêle dans son logement : «Qu’elle fasse faire une niche au poêle». Marie-Antoinette fait faire ces modifications dans ses appartements intérieurs qui correspondent aux demandes de Fersen. 

Le 9 octobre 1787, on retire les glaces dans un cabinet du petit appartement de la Reine au deuxième étage, on les replace le 23 octobre et le 18 octobre on livre des tables de marbre pour servir de foyer au poêle.

Une lettre de la Direction générale des bâtiments du Roi confirme que Marie-Antoinette ordonna de faire les travaux nécessaires à l’installation d’un poêle. Loiseleur écrit au Directeur général des bâtiments, le 10 octobre 1787 :

« J’ai l’honneur de rendre compte à M. le Directeur Général des Bâtiments que la Reine a envoyé chercher le poêlier suédois qui a fait des poêles à l’Appartement de Madame et que Sa Majesté lui a ordonné d’en faire un dans ses cabinets intérieurs avec tuyaux de chaleur pour échauffer une petite pièce à côté. La Reine m’a ordonné aussi de faire disposer l’emplacement dudit poêle qui consiste dans la dépose de deux parties de lambris, dans la démolition d’un bout de cloison pour la refaire en briques et de la dépose d’une partie du parquet pour y faire un âtre en brique.»

Evelyn Farr , « Marie-Antoinette et le Comte Fersen – La correspondance secrète »       

L'escalier des Dupes

C’est probablement aussi aux dires du baron de Besenval qu’on doit cette attribution à Fersen. Pourtant, Pierre-Victor de Besenval révèle, dans ses mémoires, que la reine utilisait une sorte de « pièce secrète » à Versailles :

« M. Campan, secrétaire du cabinet de la reine (…) me dit, n’ayant pas l’air de me parler : « Suivez-moi, mais de loin, pour qu’on ne s’en aperçoive pas. » Il me fit passer par plusieurs portes et plusieurs escaliers qui m’étaient totalement inconnus, et lorsque nous fûmes hors d’état d’être vus ni entendus : « Monsieur, me dit-il, convenez que ceci a bon air ; mais ce n’est pas tout à fait cela: car le mari est dans la confidence. – Mon cher Campan, lui répondis-je, ce n’est pas quand on a des cheveux gris, et des rides, qu’on s’attend qu’une jeune et jolie reine de vingt ans fasse passer par des chemins aussi détournés, pour autre chose que pour des affaires. – Elle vous attend, reprit-il, avec beaucoup d’impatience » (…) Il achevait à peine de parler, que nous nous trouvâmes à hauteur des toits, dans un corridor fort sale, vis-à-vis d’une vilaine petite porte. Il y mit une clef, et ayant poussé plusieurs fois inutilement , il s’écria : « Ah ! mon Dieu, le verrou est mis en dedans ; attendez-moi là, il faut que je fasse le tour. » Il revint peu de temps après, et me dit que la reine était bien fâchée, qu’elle ne pouvait me voir dans cet instant, parce que l’heure de la messe pressait, mais qu’elle me priait de revenir au même endroit, à trois heures. Je m’y rendis, et Campan m’introduisit, par une issue détournée, dans une chambre où il y avait un billard que je connaissais, pour y avoir souvent joué avec la reine ; ensuite dans une autre que je ne connaissais point, simplement, mais commodément meublée. Je fus étonné, non pas que la reine eût désiré tant de facilités, mais qu’elle eût osé se les procurer. »

Ainsi le baron suppose-t-il une destination à ces pièces qu’il découvre-là. 

Et ses lecteurs de subodorer ce qu’il pouvait alors supposer….  Voilà comment naissent les légendes ! 

On est loin du luxe déployé pour la réception éphémère du Roi de Suède ou de celui des appartements de madame de Polignac à ce moment-là ou ceux de mesdames de Pompadour et du Barry. Ce n’est donc pas l’appartement d’un favori. Il s’agit juste là de pièce où déposer ses bagages, une sorte de boudoir-placard où se retirer, mais qui ne présente pas la possibilité de recevoir et faire salon. Fersen n’a pu loger ici, à moins d’y installer son lit de camp… 

Il s’agit d’un pied-à-terre lorsqu’il loge dans un hôtel extérieur à Versailles.

Fersen et la Reine dans le film de Sofia Coppola 
Image de Marie-Antoinette, l'insouciance guillotinée (2022)

Alexandre Tilly, page de Marie-Antoinette, écrit avec raison :

« Pauvres gens! Se persuader que si une reine de France avait eu ce penchant irrésistible à la galanterie, elle eût pu l’assouvir au travers de son rang et de cette involontaire mais continuelle surveillance de la cour ou de son service intérieur ! La plus habile des courtisanes, portée au trône, eût échoué dans un tel système, elle eût été forcée d’apprendre, par intervalles, la sagesse… La reine fut invariable dans les sentiments qu’elle porta à Fersen, cette longue et tendre constance est la meilleure réfutation des infamies dont elle est accusée…»

En somme, Marie-Antoinette loge un homme dans ses appartements privés, auxquels il peut accéder sans être vu de personne, dans lesquels il se cache de tous ( il est censé être à Paris )  sauf de Marie-Antoinette qui, en actionnant un cordon peut bloquer les quatre portes de sa chambre ou les débloquer, à volonté  …   hum ! …

Nathalis Colas des Francs du forum de Marie-Antoinette

 

D’où tiens-tu ce détail de mécanisme qui bloque les portes? Il me semble découvrir cela en te lisant… 

Benjamin Warlop

 

Je le tiens de Marguerite Jallut :

Cela me semblait tellement sidérant que je me le suis fait confirmer par le guide que nous avions en décembre dans la visite-conférence des Lieux cachés de Versailles. 

Nathalie Colas des Francs

Dans ce passage, il y a déjà un point qui me frappe :  Marguerite Jallut cite-t-elle sa source, nous donne-t-elle une preuve, une image qui prouve son propos ? Je suis pourtant à la page 156 de son ouvrage et je ne vois aucune note en bas de page ou à la fin du livre. Pour une telle affirmation, qui est censée confirmée sa théorie sur les relations de Marie-Antoinette avec Fersen, la moindre des choses serait de donner une preuve. Dire, écrire ne suffit pas. Qu’elle soit conservateur du château de Versailles n’y suffit pas non plus. Au contraire même. C’est grave venant d’une personne de son niveau professionnel. De toute façon, croire ce qu’elle dit parce qu’elle travaille à Versailles serait trop simple. Dans ces conditions pourquoi ne pas croire non plus Baraton qui décrit les jardins de Versailles comme le lieu des pires turpitudes sous les rois, sous prétexte qu’il les connaît bien en tant que jardinier en chef…

L’argument du guide n’est pas non plus recevable : pour la visite des appartements dits de Fersen que j’ai faite l’an dernier, notre guide a dit au groupe que c’était justement bien la preuve qu’ils ne pouvaient être amants car impossible alors que Louis XVI lui accorde ces lieux. S’il l’a fait, c’est qu’il savait qu’il n’avait rien à craindre. C’est donc à se demander qui croire puisque les guides de Versailles ne sont pas d’accords entre eux. 
Pas de chance pour nous, nous tombons justement sur celui qui confirme ce que nous pensons ! :

Enfin revenons à l’objet en lui-même qui peut en effet tout à fait exister, pourquoi pas. Mais que des gens bien attentionnés placent aussitôt dans le dossier Fersen.   Marie-Antoinette a-t-elle oui ou non chercher toute sa vie, bien avant 1774, date de sa rencontre avec Fersen ou 1778, date du début de leur prétendue liaison chercher à sa cacher, à s’isoler, à se permettre une vie privée ? Pas besoin de Fersen pour ça ! 

Combien de personnes dès cette époque qui ont vu la reine fuir des contraintes publiques se sont dit, ont écrit, que c’était pour se livrer à une conduite inqualifiable, à recevoir des amants ? Et ceci bien avant la faveur de Fersen ! Que n’a-t-on glosé sur le cabinet des glaces mouvantes dont le mécanisme cherchait forcément à cacher l’attitude sulfureuse de la reine ?  Nous replongeons donc dans l’argumentation des pamphlets… 

Non, nous savons tous très bien, sans y voir des amants ou un en particulier, voire des maîtresses, que Marie-Antoinette cherchait tout simplement à protéger sa vie privée. Quoi de plus légitime ?  Qui peut vraiment penser qu’elle s’enfermait, attitude très connue de sa part, dans l’attention de recevoir un amant ?
Elle s’enfermait avec Rose Bertin dans ses cabinets privés, au grand dam des courtisans. Que faut-il en conclure ? 
Il faudrait croire que Marguerite Jallut avait l’esprit bizarrement tourné… 

Bref, que Marie-Antoinette ait pu avoir un tel mécanisme n’implique pas du tout qu’elle avait forcément un amant. Après, oui, si elle a eu un amant, celui-ci aurait été bien pratique. Mais il ne faut pas inverser les données du problème.

Enfin il faut croire si l’on se fie sans réfléchir à madame Jallut que Marie-Antoinette aurait reçu Fersen pour des privautés (sinon pourquoi s’enfermer ? ) dans sa chambre officielle !!! Mais c’est doubler le crime de lèse-majesté !!!   Qu’elle s’organise une vie privée, qu’elle s’installe des lieux privés, qu’elle mène la vie d’une femme privée avec ce que cela peut impliquer, pourquoi pas à la rigueur, mais pas dans le lieu où s’incarne sa majesté, sa propre essence de reine donnant des successeurs au trône de France dans cette chambre même ! Elle aurait conçu des bâtards dans la chambre où doit naître le futur roi de France ?  
Marie-Antoinette aurait donc perdu toute vergogne à ce point ?

Ce n’est pas nier à Marie-Antoinette sa nature de femme de ne pas accepter qu’elle soit coupable d’un crime. Ce n’est pas non plus placer Marie-Antoinette sur un piédestal. Quand je relis ce que j’ai écrit sur elle dans un autre sujet, je suis loin d’en faire une déesse. C’est une femme avec ses passions, ses qualités, ses goûts mais aussi ses défauts, ses peurs, etc.

Je rappelle d’ailleurs au passage que la Reine n’est jamais seule : non la reine ne fait pas la cuisine au Petit Trianon et n’assure pas le service quand elle reçoit des intimes. Si elle s’enferme dans sa chambre officielle, les domestiques autour savent qu’elle est seule ou bien avec le Roi. Elle écrit des lettres qui parlent et de sa vie intime et aussi de politique, s’engageant à soutenir sa famille au détriment du pays de son mari. Et elle ne ménage pas ses critiques sur certaines personnes qui auraient pu lui nuire si cela leur était revenu aux oreilles… Il lui faut donc écrire très souvent en cachette. Elle reçoit aussi peut-être des intimes à qui elle confie des secrets privés ou politiques.

Mais la femme de chambre qui est sortie de la chambre et attend dans un petit cabinet juste derrière le lit sait qu’il ne peut y avoir rien à craindre. Si elle accepte de laisser la reine avec un homme suspect de vouloir plus que discuter, ou même si c’est la Reine qui souhaite plus, la femme de chambre de service commet également un crime de lèse-majesté. De la trahison d’Etat. On a condamné à mort pour moins que ça. Je ne vois pas qui aurait pu s’y risquer… 
D’ailleurs quand le roi ne rejoint pas la Reine, ce qui arrive souvent, la femme de chambre de service est tenue à dormir auprès de la reine dans un lit à côté de celui de la reine. Comme le Roi d’ailleurs avec son premier valet de chambre.
Marie-Antoinette a pu peut-être réussi à écarter sa femme de chambre jusqu’au petit cabinet que j’ai signalé précédemment. mais où il est situé ne permet pas de cacher grand chose de ce qui se passe dans le lit de la Reine…

Pourquoi si Marie-Antoinette reçoit seule l’abbé de Vermond, madame de Polignac, ou je ne sais qui d’autre, Lauzun au hasard, il ne se passe rien et dès que cela concerne Fersen allez, tout s’emballe ? Marie-Antoinette s’enferme, donc c’est bien la preuve…

Juste avant de finir : personne ne se serait étonné que la reine se fasse installer un tel mécanisme ? Si c’est pour recevoir son amant comme semble le croire Marguerite Jallut, elle aurait bien été obligée de faire les travaux de façon privée, non ? Or, tout ce qui implique sa chambre officielle est du domaine public. Le Garde-meuble de la Couronne est au courant, son intendant Thierry de Ville d’Avray qui se trouve être également le premier valet de chambre de Louis XVI. Et il aurait accepté un moyen pour que la reine reçoive son amant en toute discrétion ?  Soyons sérieux ! Les ouvriers auraient pu confirmer les libelles…
Non, si ce mécanisme fut installé, c’est qu’il n’avait rien de secret et que n’importe qui, le Roi en premier, comprenait très bien que la Reine avait envie de s’enfermer dans sa chambre.
D’ailleurs quand on connaît sa chambre, on peut comprendre d’avoir envie d’en fermer toutes les issues tant cela doit être impressionnant de dormir là-dedans. Et remarquons que personne n’a eu l’idée de l’utiliser au matin du 6 octobre… Même pas Fersen heureux bénéficiaire de ce mécanisme et censé être auprès de Marie-Antoinette à ce moment…

D’ailleurs Marguerite Jallut admet elle-même qu’elle est si peu convaincue de sa preuve qu’elle termine ce passage par « Plus convaincant encore… » pour évoquer ensuite le fameux appartement. C’est donc bien qu’elle sait que ce qu’elle dit précédemment ne l’est guère…

La chambre officielle de la Reine

Le livre de Mme Jallut ne traite pas de la chambre de la reine, que je sache.

Nathalie Colas des Francs

Un peu quand même…
Son livre est une somme des architectures, peintures, sculptures, dessins, gravures, bibliothèques, objets d’art, tissus, modes, meubles, décorations se rapportant à Marie-Antoinette, avec force descriptions et illustrations à l’appui.
Inutile de rappeler que sa chambre officielle est la pièce principale qui montre à tous ceux qui y ont accès et ils sont nombreux à la fois le rang et le goût de Marie-Antoinette et son intérêt pour l’aménagement intérieur. C’est en quelque sorte la vitrine de ce que la reine commande aux arts et aux plus grands artisans de son temps.
Mais pour s’assurer que la chambre de la reine a bien une place importante dans cet ouvrage, feuilletons ensemble notre livre qui semble être de la même édition.
De la page 82 à 88, nous pouvons justement lire toute une explication sur les meubles, matériaux employés, tissus du XVIIIème siècles et la part majeure de Marie-Antoinette à cet égard. Sa chambre est bien évidemment incluse implicitement dans ce passage.

Olivia Legrand

Mme Jallut n’a pas besoin de sources : elle est dans les lieux . Il y a sans doute des vestiges de ce système, sinon elle n’en parlerait pas.
Mais non, c’est trop simple.  Tu trouves plus crédible que cette dame invente une histoire de cordon, qu’elle mente, purement et simplement, au vu et au su de tous ses éminents collègues du château ?
Non mais franchement, je vous le demande, qui sommes-nous pour nous permettre un ton suspicieux et arrogant à l’égard de Marguerite Jallut ?   
Comment douter qu’un Conservateur du château ne connaisse mieux Versailles que quiconque ?

Nathalis Colas des Francs

C’est qu’il reste encore quelque chose de ce mécanisme in situ.
Ce n’est pas la connaissance d’une source écrite.

Nathalie Colas des Francs

 

Alors pourquoi pas de photo à l’appui dans le livre pourtant très bien documenté de Marguerite Jallut ? La guide qui t’en a parlé t’a montré de visu ce mécanisme ?

Olivia Legrand

 

Non.  Nous n’étions pas dans la chambre en question, mais à l’extérieur devant le petit escalier dit des Dupes. C’était la visite intitulée des lieux cachés.  

Nathalis Colas des Francs

 

Le problème est que Marguerite Jallut prend ce mécanisme comme une preuve de leurs relations intimes. Alors que de toi-même tu es d’accord pour dire qu’en effet la reine pouvait s’enfermer évidemment pour autre chose.
Je rappelle que ceux qui critiquaient la reine parce qu’elle s’isolait l’accusaient justement de galipettes ! 
Ce que Marguerite Jallut affirme et toi aussi à ton tour !!!
Non la reine veut s’isoler parce qu’elle en a tout simplement besoin. Rien de compliqué à comprendre. C’est naturel, pas besoin d’y voir la preuve qu’elle avait un amant. 
Si l’on donne des preuves à leurs relations, qu’elles soient crédibles ! Celle-ci n’est en aucun cas recevable.
1/Parce que nous n’avons pas de preuve formelle pour l’instant d’un tel mécansime.
2/Parce que si mécanisme existant, ceci ne signifie pas pour autant qu’il ait été prévu pour recevoir Fersen.

Olivia Legrand

 

Le mécanisme des glaces mouvantes de Trianon n’ayant pas été modifié ni à la révolution, ni après, pourquoi celui-ci n’existerait-il plus?

Benjamin Warlop

 

Peut-être parce qu’un système de cordon est autrement plus léger, donc plus fragile, que de grandes glaces mouvantes.

Nathalie Colas des Francs

 

Pourquoi Evelyne Lever n’en a jamais parlé?
Ca aurait appuyé bien des choses dans ce qu’elle aimerait voir comme historique…
Pourtant… non…
Ca me donne envie de lui passer un coup de fil, tiens !

Benjamin Warlop

 

C’est que, précisément, un Conservateur de Versailles a une bien meilleure connaissance des lieux qu’un bon historien .  

Nathalie Colas des Francs

 


J’ai reparcouru tous les ouvrages de Xavier Salmon ce matin… tous ou presque évoque la chambre de la Reine et Ses installations pour Son aise…
Or Xavier Salmon a été conservateur au musée national du Château de Versailles depuis 1993, il semble ne plus l’être, mais a occupé un poste qui lui permettait, ce me semble d’apporter aussi des détails intéressants quant à l’installation que Marie-Antoinette aurait pu avoir faite dans Sa chambre…

Benjamin Warlop

 

Mais enfin je me répète, je l’ai dit et redit ce cordon, je ne nie pas son existence !!! Il est en effet plus que plausible que Marie-Antoinette se fasse installer un tel système un peu partout où elle vivait car elle voulait avoir la paix. C’est une donnée essentielle de sa personnalité. Pas besoin de Fersen pour ça.
Mais :
1/Madame Jallut n’apporte aucune preuve à ses dires.
2/Qui dit cordon ne dit pas forcément roucoulades puisque certainement utiliser à d’autres desseins.

Non, madame Jallut l’utilise comme argument à sa démonstation des amours de Marie-Antoinette et Fersen. Ce n’est pas sérieux.

Olivia Legrand

 

Cette histoire de cordon me fait penser à un pamphlet (les amours de Charlot et Toinon, ou quelque chose comme ca), dans lequel tout le monde est averti des ébats d’Antoinette et d’Artois, car les amants trop pressés ont coincé sous leurs anatomies le…cordon de sonnette qui ne cesse d’agiter la clochette dans la pièce voisine…

Gérard Ousset

 

Ils s’aimaient et ils étaient amants .   L’hypothèse est largement dépassée, sauf sacralisation mystique de Marie-Antoinette avec aveuglement délibéré à la clef,  ou pudibonderie XIXème à la gomme.

Nathalie Colas des Francs

 

Là tu avances une thèse auxquelles tes preuves ne répondent pas ! Et ta thèse doit être LA vraie vérité à imposer à tous !
Pour ma part, je me pose toujours la question mais je demande à avoir des preuves pour avancer historiquement et scientifiquement : Même Evelyne Lever , qui a assurément lu Marguerite Jallut, n’en tire pas les conclusions que tu affirmes avec autant d’assurance.
Tu exposes des arguments qui se trouvent n’être pas des preuves… mais peut-être des traces anti-scientifiques puisque ce n’est pas là une conclusions à partir de constats, mais des éléments qu’on apporte à une conclusion déjà formulée et qu’on défend bec et ongles…
Alors merci d’apporter une eau plus sérieuse à ton moulin !

Benjamin Warlop

 

Lors d’une soirée spéciale mécènes, Vincent Bastien, conservateur en chef du château, menait l’un de ces groupes.  Or voilà-t-y pas que ce monsieur a évoqué ce fameux cordon disparu, et le livre de Marguerite Jallut comme la référence incontournable pour une connaissance approfondie de Versailles .
Comment les historiens du château savent-ils que ce mécanisme de fermeture et ouverture simultanée des portes de la chambre de la reine a existé autrefois alors qu’il n’en reste plus de vestiges aujourd’hui ?  
C’est tout simple : il faut en chercher la trace dans les archives des travaux effectués à Versailles . L’on trouve alors des mémoires de paiement des serruriers ( comme on appelait les factures à l’époque ) ,  avec l’objet du travail effectué .  
M. Vincent Bastien a non seulement confirmé l’installation de ce mécanisme à Versailles mais il a ajouté que Marie-Antoinette avait fait installer le même à Trianon également, en même temps qu’était réalisé le salon des glaces mouvantes (dont l’ingéniosité fait toujours notre admiration ).
L’ingénieur de la reine, Jean-Tobie Mercklein, est l’inventeur du système de poulies permettant de faire monter ou descendre les glaces à volonté.
Est-ce aussi Mercklein qui a conçu pour Marie-Antoinette le mécanisme du cordon?  Ce n’est pas impossible …
Explication de M. Vincent Bastien :
Quelques guides et conférenciers ignorent encore l’existence passée de ce dispositif faute d’être allés fouiller les archives et d’avoir eu connaissance des mémoires de paiement des serruriers .

Nathalie Colas des Francs

 

Intéressante découverte ! Puisque ces documents existent, il nous faut les retrouver !
L’on saura ainsi dans le détails des hommes d’oeuvre ce en quoi consistait ce mécanisme !

Benjamin Warlop

 

Si je reprends ces mots qui sont ceux d’une personne que tu cites, et non explicitement en plus, M. Vincent Bastien a évoqué ce fameux cordon disparu, parle du livre de Marguerite Jallut comme une référence (qui le nierait ? ) pour une connaissance approfondie de Versailles.
Mais est-il bien sûr que l’évocation de ce cordon puis celle du livre de Marguerite Jallut s’est fait au même moment ? Car j’ose espérer que les conservateurs de Versailles ne citent pas Marguerite Jallut uniquement pour parler de ce cordon. Elle a écrit autre chose. 
Ce sont peut-être deux infos totalement étrangères l’une à l’autre. Tu ne peux pas le savoir plus que moi n’ayant pas été visiblement à cette conférence. Si c’est parce que machin ou Momo te l’a’ dit, c’est difficilement recevable historiquement.
L’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours…
Je parlais plus haut de raccourcis d’historiens. Qu’en est-il lorsqu’il s’agit de paroles rapportés indirectement ?  
Et je constate pour finir que M. Vincent Bastien confirme l’installation de ce mécanisme à Versailles. C’est grand Versailles !!! 
Ou confirme-t-il qu’il fut installé dans la chambre officielle de la reine ? Nulle part si je me fie aux paroles rapportées. Le témoin apparemment a ensuite fait le lien avec les glaces mouvantes du Petit Trianon et de son concepteur et en suppose pourquoi pas le nom de celui qui installa le cordon, on ne sait où, quelque part à Versailles. Aucune preuve, puisqu’il s’agit d’une supposition. Même pas explicitée par l’intéressé.

Olivia Legrand

 

C’est dans la chambre du rez de chaussée que fut installée le fameux dispositif permettant à la reine d’ouvrir et de fermer les portes de cette pièce et à volonté depuis son lit.

Monsieur de Castelnau du Boudoir de Marie-Antoinette

 

Je crois que c’est bien de ce cordon de la chambre verte que Vincent Bastien parlait et que nous étions donc d’accord depuis le début, mais qu’il y a eu confusion car LA chambre de Marie-Antoinette était celle-ci et non la chambre officielle , trop haute et trop difficile à chauffer en hiver.

Benjamin Warlop

 

Et Marie-Antoinette préférait le rez-de-chaussée à cause de sa mauvaise jambe. Nous remarquons que l’aménagement de cet appartement date de 1782, année où elle se blessa.
C’est aussi pour cela, que malgré les risque encourus, elle logea au rez-de-chaussée aux Tuileries. C’est désormais tout à fait logique : il y a bien eu cordon, mais dans la chambre du bas, à destination privée.

Olivia Legrand

 

Pas tout à fait .  
Au début , il y avait contestation de l’existence-même de ce cordon, ainsi que des écrits de Mme Jallut

Nathalie Colas des Francs

 

Ce qui nous interpellait c’était l’installation de ce mécanisme dans la chambre officielle…
Il semblait incongru de n’y rien retrouver aujourd’hui. Cela est désormais expliqué.
En plus la chambre verte a nécessité tout un aménagement pour en faire le lieu de la Reine à partir de la bibliothèque de Madame Sophie.
Tout semble ainsi plus logique !

Benjamin Warlop

 

Mme Jallut et M. Vincent Bastien parlent bien de la chambre officielle .
Quand on parle de la chambre du bas, c’est explicité.
La chambre de la reine signifie normalement celle du haut.

Nathalie Colas des Francs

 

C’est bien là qu’est sans doute l’erreur.
J’avais donc des raisons de contester.
Si cela s’appuie sur des factures de serruriers pour la chambre de la Reine, l’une comme l’autre répondent à cette appellation. Or on sait finalement depuis le début que c’est de celle du rez de chaussé qu’il s’agit !

Benjamin Warlop

 

Oui mais même l’historien le plus chevronné n’est pas exempt de raccourcis. Volontaires ou non.

Olivia Legrand

 

Michelle Sapori rapporte dans son livre sur Rougeville qu’elle a dû corriger des affirmations du grand Gosselin Lenôtre en reprenant les dossiers qu’il avait pourtant consultés, parce qu’elle est allée plus loin que lui dans la recherche…

Benjamin Warlop

 

Encore une fois, on se demande pourquoi ce sujet se trouve dans la rubrique Fersen.

Olivia Legrand

Ce cordon ressemblait à cela, en tous cas dans le principe :

Anthony Spawforth, historien britannique, spécialiste du château de Versailles est auteur de Versailles, a biography of a palace :

 

 

du 16 Avril 1785
Livré à Monsieur Campan Secrétaire
du Cabinet de la Reine, par Gagnelin
Graveur Ciseleur, ce que suit,

— — — — —

=  Un porte mousqueton à Barrette, ressort
et la vis recouverte d’une bobinette d’or
tournante pour moins user la soie
= Un petit Globe d’or uni percé de quatre
trous à passer le cordon, et une petite chasse
= Et trois anneaux d’or ouvrants, dont
l’or et la façon de tout monte à la somme
de . . . . . . . .    £ 50

Cent quatre … 
( ? )

Observations pour monter
ce cordon solidement

Fortifier la soie d’une faveur étroite à
l’endroit du frottement ou arrêt d’en haut
— — —
Défaire la vis et en sortir la bobinette
pour y placer dessus et contre le centre
le haut du cordon fortifié plat pour
le couper, et qu’il n’échappe.
Remettre ces deux pièces à leur place
telles qu’elles étaient tournées, pour
rencontrer l’écrou juste.
— — —
Je ne parle pas du petit globe où
l’on trouvera moins d’écartement
dans le bas que l’autre fois.
— — —
Et il est mieux d’embrasser les an-
neaux ouvrants avec la soie, que de
les passer après coup, en risquant de
couper et forcer sans nécessité.
— — —
Haleter sur les pièces et les ressuyer d’une
vieille mousseline
.

 » locks and system of movement made in the château in the bedroomsss (sic) of the Queen so that she can open and close the doors from her bed at will. « 
( Richard Mique )
 » bedroomsss  » must refer also to Marie Antoinette’s second bedroom on the floor below
( Anthony Spawforth )

Nathalie Colas des Francs

 

Cela concerne donc la chambre verte du rez-de-chaussé car l’on sait que c’est là que logeait Marie-Antoinette en 1785 . Je continue à penser que s’il y avait eu de pareils aménagements dans une pièce aussi officielle que la chambre d’apparat, cela ne pourrait être aussi peu connu de nos jours. 
En bas, en face de la chambre verte de Marie-Antoinette, se trouve Sa salle-de-bain avec son lit de repos qui peut logiquement la faire qualifier de bedroom … vu son emplacement, on en comprendrait d’autant plus la demande d’un tel mécanisme.

Benjamin Warlop

 

Je ne comprendrai jamais l’acharnement sur ce sujet. Marie-Antoinette avait des moyens pour s’enfermer : dans toutes ses résidences, elle installe des espaces intimes.
Normal, elle passe son temps à vouloir s’isoler, se créer une vie privée. Bien avant de tomber amoureuse en 1778 !
Elle ferme le verrou de sa chambre à Fontainebleau aux yeux de toute la cour qui voit Louis XVI rentrer tout penaud dans sa propre chambre. Je n’ai plus la date en tête. Mais deux possibilités : si c’est avant 1778, pas de Fersen. Si c’est après, personne ne va me dire qu’elle ferme sa porte au roi pour y recevoir Fersen !!! Dans les deux cas : elle veut la paix, être tranquille.
Cela n’indique pas une bonne entente conjugale, certes. Mais cela ne prouve pas non plus qu’elle ait un amant. Avec un tel coup, rien de plus logique pour que Louis XVI prenne une maîtresse. Ce n’est pas le cas.
Pourquoi le serait-ce pour Marie-Antoinette ? Revenons à son désir d’intimité. Il n’y a qu’à lister sa méridienne à Versailles, son boudoir turc à Fontainebleau, son Cabinet aux Glaces mouvantes au Petit Trianon… Souhaiter accéder à une vie privée est tout ce qu’il y a de plus naturel.
C’est une part essentielle de la personnalité de Marie-Antoinette.
Pas besoin de placer un tel sujet dans la rubrique Axel de Fersen.
Là encore, je ne vois toujours pas le lien.  
La recherche pourrait être passionnante, si elle n’était biaisée d’avance.
Que Marie-Antoinette s’enferme ne prouve en rien qu’elle recevait un amant. Ou plusieurs, comme le disaient les pamphlets pour qui rappelons-le, la volonté constante de la reine de vouloir s’enfermer constituait la preuve de ses débauches.
Affirmer pour un ou pour plusieurs ne diffère pas : penser que s’enfermer est suspect, louche, suffit.  
Oui Marie-Antoinette s’enfermait. Personne ne le nie. Et alors ? 
On a l’impression que pour certains prouver l’existence de ce cordon de fermeture est « la » preuve tant espérée. 
Je rappellerais d’autre part que si Marie-Antoinette est seule dans une pièce, ou avec un ou deux intimes auprès d’elle, plusieurs personnes, se trouvaient dans les pièces attenantes, ne serait-ce que pour servir la reine et ses invités si besoin est. Elle ne préparait pas le thé et les biscuits toute seule !

Olivia Legrand

 

Le fait est que Marguerite Jallut était taxée d’avoir inventé cette histoire de cordon ( comme si un conservateur de Versailles pouvait affabuler ) .
Nous voilà tous d’accord sur l’existence de ce système de fermeture, à Versailles, à Trianon : tout est bien.

Nathalie Colas des Francs

 

Personne n’a dit qu’elle affabulait, mais qu’elle pouvait se tromper.
Pourquoi serait-ce impossible qu’un conservateur puisse se tromper ?
L’erreur est humaine. Marguerite Jallut est bien un être humain ?
Il y a la lettre de Mique comme nouvel élément. Or, toujours pas trace de cette lettre.
Qui ferait pourtant bien avancer le schmiblick. Des cordons, il dut y en avoir beaucoup ! Si tu relis tout ce sujet, tu admettras peut-être que je n’ai jamais nié l’existence de ce cordon. Je pense même dėsormais qu’il y en a eu de nombreux.
C’est la façon dont Marguerite Jallut a agencé son texte, sans apporter de preuve tangible qui me dérange. Et encore plus de placer un détail d’avancée technologique destiné à un meilleur confort dans la rubrique Fersen.
Je ne vois pas le rapport.

Olivia Legrand

 

La personne qui assistait Jean Delannoy dans la mise en scène du film Marie-Antoinette (avec Michèle Morgan) et qui est dans le DVD avait parlé avec le conservateur de Versailles de l’époque du film sorti en 1956, donc tourné en 1955. Ce doit donc être de Gérald Van der Kemp (contemporain de Marguerite Jallut) qu’il s’agit… Il avait affirmé que la relation de Marie-Antoinette et Fersen était impossible pour lui tant la Reine était suivie où qu’Elle soit…
Monsieur Van der Kemp parlait du film comme ayant renforcé cette relation pour émouvoir les spectateurs, mais que cela n’était pas historique…
Ce serait-ce un document que Monsieur Van der Kemp aurait ignoré?
Non point. Comme tu l’as dit, un conservateur (surtout celui là, auquel le château doit tant !) ne pouvait que connaître ces informations.
Eh pourtant! Voilà quels furent ces mots !

Benjamin Warlop

 

Une chose me turlupine : si le cordon existait dans la chambre du premier étage, pourquoi ne pas l’avoir actionné le matin du 6 octobre 1789 ? 
S’il y a bien eu un moment dans sa vie où celui-ci lui devenait indispensable, c’est bien là !!!
Cela n’aurait peut-être pas suffit devant une foule en furie, mais c’était déjà un peu de temps de gagné. Personne n’en parle.
D’autant qu’elle l’avait forcément actionné cette nuit-là puisque Fersen avait passé la nuit auprès d’elle.
Si ce n’est pas le cas, ce sujet n’a toujours pas de sens dans la rubrique consacrée à Axel de Fersen puisqu’elle ne l’utilise pas quand il est avec elle (ni quand elle vit le pire danger de sa vie).

Olivia Legrand

 

Tous ces développements sont-ils réellement nécessaires tant que nous n’avons pas trouvé l’article de la Gazette des Arts de 1964? Quant à la présence du cordon dans le sujet Fersen (vos interventions répétitives à ce sujet) , elle me semble procéder d’une certaine logique dans la mesure où il s’agit d’un élément qui, s’il était avéré, permettrait de penser que la reine avait la possibilité de s’isoler dans sa chambre sans être dérangée. Cela ne démontre pas bien évidemment l’existence d’une liaison Fersen Marie-Antoinette mais il me semble que cela la rend possible dans des conditions de relative sûreté pour la reine au sein même du château. En fin, grâce au ciel, je vous en prie, prenons un peu de recul par rapport à cette affaire. Rechercher l’existence éventuelle d’une liaison entre ces deux personnages historiques n’est pas manquer de respect à la reine mais simplement rechercher la vérité sur des rumeurs qui ont couru à (et depuis ) cette époque. La vérité historique n’aura qu’à y gagner.

Jean-Pierre Bernard, auteur d’Au Coeur du Pouvoir (2016) sur la coterie Polignac

 

Mais pourquoi mettre ceci dans le dossier Fersen, alors que nous pouvons consacrer cette recherche de cordon(s) dans des sujets consacrés aux aménagements intérieurs de Marie-Antoinette ? C’est un domaine qui est si passionnant.
Pourquoi ne demandez-vous pas à madame de Sabran (pseudonyme de Nathalie Colas des Francs)  de prendre du recul vis-à-vis de ce sujet ? Qui a ouvert ce sujet ?
Qui l’a réouvert hier ?
Madame de Sabran a écrit plus de cinquante messages dans ce sujet.J’en suis à 38.  J’ai bien le droit d’écrire si je le souhaite.
Apporte-t-elle plus que mes contributions ? 
Consulter les Versalia sur ce sujet est une mauvaise idée ?
Si pour vous ce n’est pas manquer de respect envers la reine d’enquêter sur ces rumeurs, tant mieux. C’était bien un manque de respect à l’époque, je ne vois pas en quoi cela changerait aujourd’hui.  
Depuis que je suis enfant, j’ai décidé de lutter contre les insultes faites à Marie-Antoinette. Je l’accepterais encore moins dans un forum qui lui est consacré.
Je comprends votre bonté d’âme de vouloir défendre madame de Sabran. C’est tout à votre honneur. Mais je vous jure, complètement inutile, je pense mieux la connaître que vous.Je tiens quand même à préciser qu’une des passions que m’a apportées Marie-Antoinette, c’est cette connaissance de ses aménagements intérieurs (et de là les arts décoratifs du XVIIIème siècle).
J’ai consacré deux ans de recherche notamment à sa chambre officielle. Je me suis occupée des naissances royales et de tous les meubles qu’ont connus les reines et dauphines des Bourbons.
Il est donc tout à fait légitime de ma part de vouloir connaître un élément « nouveau »de la chambre de Marie-Antoinette.
Ceux qui étudient ce sujet uniquement dans le but de prouver que Fersen y rejoignait la reine ont une curieuse conception de la recherche. 

Olivia Legrand

 

Pour répondre à votre post, n’allez pas croire que je défends particulièrement l’hypothèse soulevée sur les éventuelles amours illégitimes de la reine. Je n’ai ni les connaissances nécessaires ni les accès aux archives ad hoc qui me permettraient d’entrer utilement dans ce débat. Je me contente simplement de vous expliquer que tenter de faire la part du vrai et du faux dans les rumeurs qui ont couru sur le sujet n’est pas faire insulte à Marie-Antoinette. La recherche historique devrait-elle se mettre des œillères devant les yeux pour ne pas risquer de porter atteinte à la réputation d’un personnage historique ? Drôle de manière alors de concevoir l’histoire! En ce sens Mme de Sabran me semble avoir eu raison de soulever la question de ce fameux cordon dans le sujet portant sur les relations de Fersen avec Marie-Antoinette car comme je viens de vous l’expliquer, si sa présence est bien confirmée, certes cela ne démontre rien, mais cela prouverait que la reine avait la possibilité de s’isoler de son entourage quand elle le souhaitait et affaiblirait l’argument que l’on entend souvent à ce propos selon lequel la reine n’aurait pas pu rencontrer Fersen dans son privé sans que cela se sache parce qu’elle n’était jamais seule.
Par ailleurs n’allez surtout pas croire que je mets en doute vos connaissances sur ce type de sujet ou la compétence que vous avez acquise par des études sanctionnées certainement par des diplômes universitaires bien mérités. Je noterai simplement qu’en nous dévoilant que, depuis l’enfance, vous avez décidé de lutter contre les insultes faites à Marie-Antoinette, vous reconnaissez vous même que vous faites preuve d’un à priori tout à fait subjectif qui ne convient pas à l’objectivité nécessaire dans toute débat historique. Car, il y aurait effectivement une atteinte à la mémoire de Marie-Antoinette, si l’on persistait à lui attribuer cette liaison alors qu’il serait démontré qu’il ne s’est rien passé entre eux. Mais comme ce n’est toujours pas le cas, retirons donc le mot insulte pour le remplacer par un simple désir de connaitre la réalité du personnage derrière l’image que les uns où les autres et pour des raisons diverses et pas toujours honorables, vous en conviendrez, ont voulu en donner.
Enfin et je terminerai sur ce point, si vous m’en croyez, évitons de personnaliser ce débat et gardons pour nous nos appréciations sur la bonne foi des uns et des autres. Il s’agit simplement d’une joute entre personnes d’avis différents qui ne doit pas se transformer en un pugilat désagréable pour tous par posts interposés.

Jean-Pierre Bernard

 

Certaines personnes n’ont pas votre humilité et en prétendant prouver leurs dires font une démonstration du contraire puisque l’Histoire est réécrite pour mieux correspondre à leur version des faits.
On en vient à conclure que la vérité historique diffère de ce qu’ils racontent. N’est-ce pas une singulière conception que de s’appuyer sur le fait que Marie-Antoinette était en chemise de nuit le matin du 6 octobre 1789 pour conclure qu’Elle s’est donc couchée…. et que comme Fersen ne peut s’être séparé d’Elle, ils ont forcément passé cette nuit tragique ensemble?
TOUS les témoignages démentent cette farce. Si , alors, vous considérez que la réputation de Marie-Antoinette n’est pas mise à mal pour complaire au scénario du roman qu’il faut que Marie-Antoinette aient vécu, il sera difficile de poursuivre le débat… Le seul nouvel argument étant  » ( Gazette des Beaux Arts 1964 ) , a letter of Mique » adressée à Monsieur Campan, secrétaire des cabinets de la Reine, à savoir Ses petits appartements privés, pas Son grand appartement, il serait profitable de retrouver cette Gazette des Beaux-Arts afin de ne pas supposer mais de constater, peut-être…
Car dans l’inventaire très précis de la chambre de la Reine qu’a cité Reinette, où la moindre embrase est mentionnée , on ne retrouve pas ce fameux cordon.
« Si sa présence est bien confirmée » disiez-vous, eh bien elle ne l’est pas ! Vous n’êtes pas sans savoir que les propos de Reinette s’appuient sur un livre que vous avez , vous aussi, lu qui transpire de subjectivité, puisqu’il s’appuie sur une conviction…
Emmanuel de Waresquiel rappelait justement que c’est une même conviction des jurés de Son procès (puisqu’ils n’avaient vu aucune preuve de Sa « culpabilité ») que Marie-Antoinette a été condamnée à mourir…
Dans un tel contexte, il n’y a point à rougir de penser et d’agir avec subjectivité… pour contrer les pamphlets qui ont détruit la réputation de la Reine …. et qui L’ont tuée, comme Elle l’avait pressentie …en les comparant aux poisons du siècle précédent. J’étais du même point de vue que vous avant de constater que les preuves de cette liaison étaient grossièrement fabriquées… Vous n’avez que raison, évidemment, mais Marie-Antoinette tient une place si importante dans l’existence de certains d’entre nous que La défendre indifféremment de nous nous est impossible, aussi est-ce avec cœur, âme et tripes que nous nous acquittons à cette tâche…
Sans doute le débat serait-il plus facile pour tous si l’on pouvait effectivement compter sur la bonne foi de chacun. Mais cela reste une utopie !

Benjamin Warlop

 

J’ai lu avec attention votre message et, croyez le bien, je comprends parfaitement les nobles sentiments qui vous animent. Mais ne m’entrainez pas dans le fond d’un débat dans lequel je ne veux pas aller au-delà d’un point sur lequel, à peu près tout le monde s’accorde (y compris l’éminent historien qu’est Emannuel Waresquiel), et que les dernières découvertes scientifiques donc objectives dans le domaine de la cryptographie n’ont fait que renforcer, je veux parler de l’existence indéniable d’un sentiment amoureux de la part de Marie-Antoinette à l’égard du comte de Fersen. Aller plus loin serait pour l’instant encore pures conjectures mais conjectures qu’à mon humble avis il ne faut esquiver si l’on veut faire preuve d’objectivité dans la recherche de la vérité.
Non, si je suis intervenu dans ce débat c’est simplement par ce que l’argumentation de Reinette me gênait quant à la logique du raisonnement. Je veux parler bien évidemment de son refus d’admettre qu’introduire des informations sur l’existence éventuelle d’un cordon permettant de bloquer les portes dans la chambre de la reine est un élément important de ce débat. Je veux également parler de son refus d’admettre qu’émettre l’hypothèse d’une liaison physique entre ces deux personnages historiques et chercher à la vérifier n’est pas faire injure à la reine (je préférerais dire pour être plus exact porter atteinte à sa mémoire). Je me suis bien gardé d’aller plus loin sur le fond du problème et il me semble que nous devrions en rester là en attendant que d’autres découvertes nous permettent de confirmer ou d’infirmer les positions des uns et des autres.
Bien amicalement.

Jean-Pierre Bernard

 

Sinon, nous avons un intéressant échange, sûrement très daté dans Passion Histoire entre M. de Choisy et Gentilhomme de la Chambre qui évoque cet article de Marguerite Jallut mais dont le coeur ne semble pas du tout être ce cordon.
J’ai l’inventaire de la chambre en 1787 (pour rappel, c’est le sujet de mon mémoire de maîtrise)!!!
En hiver :
Un grand meuble d’hiver complet, Brocard d’or et argent sur fond cramoisi, dessin à grand cartouche avec pilastre à colonne torse, orné ainsi que le meuble de broderie en enrichissement de paillette (bouillon ?), bombé or et argent dans toutes les parties du dessin, orné de frange d’or à guirlande de cartisane doré et (bouillonnades ?)
Le dit meuble composé, Savoir :
– Un lit à la duchesse à grande impériale en voussure, surmonté d’un couronnement richement sculpté orné d’une corniche à contour fleurons et guirlandes surmonté d’enfants et divers attributs tenant des branches de lys et couronnes de fleurs le tout doré
Le chantourné orné id sculpté doré
les 2 colonnes du chevet et les 2 piliers recouvert de satin cramoisi,
Les étoffes composées de la courtepointe brodée et soubassement, orne de franges et galon
Un chantourné, grand dossier, 4 bonnes grâces bordé de mollet,
L’impériale voussée, 4 pentes intérieures ornées de franges, 3 grandes pentes,
Les rideaux du lit en gros de tours cramoisi bordé de mollet
– La tapisserie en 4 pièces dudit brocard orné de pilastres à colonnes torses et bordures en broderie, doublée de toile.
– 4 portières dudit brocard bordé de mollet doublé de gros de tours
– 4 cantonnières du dit brocard doublé de gros de tours bordé de mollet
– 4 parties de rideaux de croisée de gros de tours bordé de mollet
– 4 parties de doubles rideaux en taffetas blanc
– 2 embases du lit en guirlandes de fleurs de cartisanes en or et leurs cordons et glands
– 8 embases de rideaux et portières en cordons à coulante et glands riches en or.

– 1 grand canapé, son matelas, 2 traversins et 2 oreilles couverts du dit brocard galon et broderie, 8 glands aux carreaux et 4 aux traversins avec cordon en or, Le bois sculpté et doré
– 2 grands fauteuils garnis en plein
– 2 forts carreaux, même étoffe, avec 4 glands en or
– 12 pliants sculpté et doré couverts dudit brocard orné de franges et guirlandes
– 1 paravent de 6 feuilles sculpté et doré à charnières de cuivre, couvert de brocard id avec crête en cartisane doré
– 1 écran sculpté et doré, la feuille à coulisse, couvert id
– 1 marchepied couvert de satin cramoisi, orné de galon à cloue dorés avec molet or et argent

En Eté :
Un meuble d’été en gros de tours broché fond blanc, dessin de fleurs, plumes de paon et ruban nué, encadré de bordure fond carrelé vert broché, dessin de fleurs, rose et lias, bordé de crêtes et enrichies de franges de soie

Le meuble composé, savoir :
– Un lit à la duchesse avec impériale en voussure et couronnement composé d’une corniche guirlandes et festons coq et aigle, le tout en sculpture doré
Un chantourné brodé idem avec son couronnement sculpté et doré
Le grand dossier brodé idem avec bordure
L’impériale avec ses 3 grandes et 4 petites pentes orné de bordure grandes et petites franges
Les rideaux du lit en gros de tours blanc encadré et bordé de crête
Le coucher id au meuble d’hiver
– 2 colonnes pour le pied du lit
– La tapisserie en 4 pièces d’étoffe brochée, doublé de toile et encadré
– 4 parties de rideaux de croisée en gros de tours encadré de bordure et crête
– 4 cantonnières de la dite étoffe avec grande bordure du meuble, doublée de gros de tours
– 4 parties de portières en encadré de grande bordure et crête, doublé de gros de tours
– 8 embases de rideaux et de portières avec cordons et glands
– 2 embases du lit en guirlande de fleurs de cartisanes en soie nuée
– 1 canapé avec matelas, 2 rondins et oreilles avec leurs glands de soie
L’étoffe du canapé brodé en passé de soie, le bois sculpté et doré
(Nota : pas de fauteuils à l’inventaire d’été)
– Un paravent de 6 feuilles sculpté et doré à charnières en étoffe brodé id
– Un écran à coulisse, bois doré et étoffe brodé id
– 12 pliants, bois sculpté, recouvert id avec franges
– 1 marchepied à 2 marches
Cheminée :
– Un grand vase de lapis en forme de nef, godrons, poupe orné d’un Neptune …
 Nef en lapis-lazuli, Italie, XVIe siècle, Monture en argent doré et or émaillé : Paris, vers 1670
Entrée dans la collection de Louis XIV avant 1673,
Placée dans la chambre de Marie-Antoinette à Versailles
Louvre, Département des Objets d’art
– Une aiguière d’agate d’orient à anse corps de femme, gravée de motifs marins, monture d’or émaillée ornée de rubis…
Aiguière en agate, Paris vers 1640, Monture en or émaillé : Jean Vangrol,
Entrée dans la collection de Louis XIV entre 1681 et 1684,
Placée dans la chambre de Marie-Antoinette à Versailles.
Envoyée au palais des Tuileries, puis au palais de Saint-Cloud au XIXe siècle,
Louvre, Département des Objets d’art
– Un grand vase d’albâtre d’orient, corps composé de deux pièces, cercle d’or émaillé et rubis au milieu, sur son pied d’agate orné de même
(Œuvre des collections royales proche de la précédente, disparue aux Tuileries au 19e siècle)

Console de la chambre :
(Console non décrite car dépendant des bâtiments du roi)
– Une grande nef d’or ciselé, ornée sur les deux faces du chiffre du roi émaillé blanc, rapportés sur 2 branches de lauriers et 2 palmes émaillées vert,
Le haut de la nef enrichi de diamants, rubis et têtes de lions en reliefs,
Un bout orné des armes de France et de Navarre en émail avec 2 anges supportant une couronne de diamants,
L’autre bout orné d’une tête d’Apollon, feston de feuilles de lauriers
Le tout soutenu par 2 tritons et 2 sirènes sur piédestal chantourné à 4 coquilles émaillées de blanc et feuilles ciselées, porté par 6 tortues.
Le couvercle gravé des armes du roi et couronnes, avec un groupe de 6 dauphins et un amour portant grande couronne d’émail, diamants et rubis, fermée d’une fleur de lys de diamants…
– Un grand vase de jade d’orient couvert en forme de vaisseau antique, gravé de feuillages, rinceaux et masques,
Les anses en thermes ailées en console, or et émail
Le couvercle bordé d’argent doré, or émaillé, perles et rubis,
Le pied en forme de vase ajouré, or émaillé, perles et rubis
– Un vase de jade orientale couvert en forme de vaisseau, sculpté d’un côté d’un masque barbu et de l’autre d’un masque à gueule ouverte,
Les deux anses à têtes de dragons, or émaillé et rubis
Le couvercle bordé d’argent, or émaillé, perles et rubis
Le pied balustre, or émaillé, perles et rubis
– Un feu doré d’or moulu à sphinx monté sur un socle posé sur des pieds, grille, pelle, pincette et tenaille à boutons dorés
– 2 paires de bras doré d’or moulu à 3 branches.
– Une pendule à ornement de rocaille et frise à mosaïque à jour, tête d’Apollon et autres ornements, terminé par le temps caractérisé par un enfant tenant une faux, boite en bois de palissandre et doré d’or moulu,
Un pied en console de bronze d’or moulu, tête d’élément et deux dauphins
– 2 garde-porcelaines en fer doré, maillés en cuivre, sur la cheminée et la console.
– 2 lustres de cristal de roche, la monture en cuivre doré en or de feuille, à 12 bobèches,
Les deux cordons et glands en soie et or faux à guirlandes
Il y a donc bien cordons !!! 
8 embrases de rideaux et portières en cordons à coulante et glands riches en or.

Olivia Legrand

 

La Gazette des Beaux-Arts, de 1964,  enfin retrouvée !    
Mme Jallut écrit :
Ces portes fermaient par des serrures qui avaient été fournies par Jubeault .   Une lettre de Mique du 24 février 1784 nous explique ce qu’étaient ces serrures :
 » Monsieur le Comte,
J’ai l’honneur de vous remettre, conformément à vos ordres, les deux mémoires de serrure et mouvement de composition que le Sieur Jubeau a fait au château dans les chambres de la Reine, pour pouvoir ouvrir et fermer à volonté les portes depuis son lit . « 

Nous lisons bien  «  les chambres de la Reine  » , donc chambre officielle et chambre verte.
La citation de la phrase de Mique est assortie d’une petite note : la référence aux Archives Nationales de la lettre originale .

Nathalie Colas des Francs

 

Il faut donc en avertir les autorités du château de Versailles, car nul n’était au courant de cela. 
Je déplore , alors, le sacrifice du sieur Miomandre de Sainte-Marie qui est mort le matin du 6 octobre 1789 alors qu’un simple geste de la Reine aurait pu les sauver, et la Reine et lui.

Benjamin Warlop

La chambre intime de la Reine

Ci-dessous la lettre citée par Marguerite Jallut ; la première page seulement nous intéresse.

29 février 1784
Versailles
M. Mique recevez les mémoires arrêtés par eux seuls des serrures posées chez la Reine, par le nommé Jubeau.


Monsieur le Comte,
J’ai l’honneur de vous remettre conformément à vos ordres les deux mémoires de serrures et mouvements de composition que le Sieur Jubeau a fait au château dans les chambres de la Reine, pour pouvoir ouvrir et fermer à volonté, les portes, depuis son lit.
J’aurais désiré pouvoir trouver le moment qui eût permis de faire démonter ces serrures et ces mouvements pour reconnaître l’ouvrage et l’appraiser ( * ) exactement. Il en est de cela comme d’une montre qu’il est toujours bon de voir en dedans, mais je n’ai pu et il a fallu avoir recours au Sieur Jubeau pour lui faire expliquer comment il a composé et exécuté cet ouvrage.
D’après les éclaircissements qu’il m’a donnés et les renseignements que me suis procurés, je pense que si mon estimation n’est pas aussi exacte que si j’avais vu l’intérieur de ce travail, au moins je crois qu’elle ne diffère guère de  la vérité.
( …… )

( * ) : appraiser en vieux français signifie évaluer .

En somme, Mique présente aux Bâtiments de France  la note des travaux effectués , en précisant qu’il se fie aux explications dudit Jubeault n’ayant pu lui-même évaluer l’ampleur  de l’ouvrage.   Le comte d’Angivilliers n’en a pourtant pas été satisfait et renvoie ces factures à l’expéditeur puisque Mique doit changer leur formulation et les renvoyer le 6 mars suivant,  comme l’indique cette deuxième lettre que voici :

6 mars 1784
Versailles
Mrs les Intendants ( … )
les mémoires qu’ils ont arrêtés pour un nommé Jubeau serrurier,
employé extraordinairement chez la Reine

Monsieur le comte,
Nous avons l’honneur de vous renvoyer les deux mémoires du Sieur Jubau, Serrurier, et nous pensons que les arrêtés sont dans la forme que vous voulez.
Il est certain, Monsieur le comte, que le travail des petits mémoires occasionne des informations de toutes espèces qui n’ont pas toujours rapport à l’art ; et que dès que nous les avons obtenues, nous ne perdons pas le moment de procéder au règlement. Sans ces précautions que les intérêts du Roi exigent, ainsi que l’équité que nous devons aux particuliers, il serait possible d’être plus expéditif ; mais ce serait agir sans principe et s’exposer au blâme.
Notre désir, Monsieur le comte, est de vous présenter toujours la vérité, comme de remplir le plutôt possible vos intentions, et nous ne cessons pas de nous en occuper. (…)
Nous sommes avec respect, Monsieur le Comte, vos très humbles et très obéissants serviteurs
Mique
Hazon ( * )
Versailles, le 6 mars 1784


(*) Barthélémy Michel Hazon, architecte du Roi, membre de son Académie Royale d’Architecture, et Intendants général des Batiments, Jardins, Arts, Académies et Manufactures de Sa Majesté, avec un certain Charles Axel Guillaumot qui partage les même qualificatifs.
La précision :  employé extraordinairement chez la Reine  indique que les ordres de Marie-Antoinette ne sont pas passés par la voie habituelle des Bâtiments de France, mais ont été donnés directement par la reine au Sieur Jubeau .    Mique a voulu ensuite en présenter la note aux intendants .  Il a été débouté la première fois et est revenu à la charge.

Nathalie Colas des Francs

 

Tout ce bombardement de documents n’apporte en rien cependant la preuve escomptée que Marie-Antoinette et Fersen couchaient ensemble.
C’est pathétique…

Olivia Legrand

 

Ce qui m’importait surtout, c’est que l’on cesse de mettre en doute une historienne comme Mme Jallut.
Tout est bien.

Nathalie Colas des Francs

 

C’est bien de vouloir sauver l’honneur d’une historienne (même si ne pas citer suffisamment ses sources, de devoir faire un véritable travail de recherches à sa place pour les retrouver, de construire son texte de façon à faire croire que, c’est tout à fait indéfendable de par son statut).
Il serait bien aussi de ne pas salir l’honneur et la mémoire de Marie-Antoinette, de Fersen, de Louis XVI, de Louis XVII et de cette pauvre petite Sophie.

Olivia Legrand

 

Voilà ce qui explique les propos de Marguerite Jallut , en effet. J’aimerais soumettre le texte à la conservation du château de manière à ce qu’on nous en dise plus de ce côté, car , jusqu’alors tout cela leur semblait inconnu.
Et puis n’a-t-on pas parlé de la table volante de Trianon?
Alors que ce ne fut qu’un projet jamais réalisé…
Dans le salon des glaces mouvantes, le mécanisme persiste toujours. Pourquoi celui dont on parle ici aurait-il donc disparu?

Benjamin Warlop

 

Versailles château
payé le 10 mars 1784 sur 1783
pour 400

J’ai l’honneur d’adresser à Monsieur le Directeur général les mémoires du Sieur Jubeau pour les serrures de sujétion qu’il a faites dans la chambre à coucher de la Reine. Je pense que ces mémoires doivent être payés promptement, et parce-qu’ils ne sont pas d’une grande valeur et parce-que le Sieur Jubeau étant un protégé des premières femmes de la Reine ne manquerait pas de faire importuner Monsieur le Directeur Général si on le faisait attendre. Mais en même temps, je pense aussi que les mémoires du Sieur Jubeau doivent être réglés au préalable. Je supplie Monsieur le Directeur Général de vouloir bien donner ses ordres en conséquence pour que lesdits mémoires du Sieur Jubeau soient promptement réglés et acquittés.

A Versailles
ce 29 janvier 1784

Signé : Heurtier

Jean-Yves Berthelot et Jane Seymour dans Les Années Lumière (1989) de Robert Enrico

En mars 2016

Résumé

Le comte suédois Axel de Fersen (1755-1810) fut bien plus, à la cour de Versailles, que le stratège qui donnait des conseils politiques à Louis XVI, et l’ami dévoué qui organisa l’évasion de la famille royale en 1791. Cet homme d’une parfaite éducation fut, surtout, l’amant de la reine de France, Marie-Antoinette (1755-1793). Et l’amour de sa vie.Les carnets de Fersen, publiés au début du xxe siècle, avaient été censurés ; quant à la correspondance des deux amants, il n’en a jamais existé que des éditions incomplètes. Pour la première fois, voici rassemblée l’intégrale des lettres qu’ils échangèrent – dont six missives inédites. Enfin décryptés, certains passages raturés révèlent l’intensité de leurs sentiments.Chiffres, encres invisibles, intermédiaires, sceaux secrets, doubles enveloppes, noms de codes : autant de témoignages d’une passion inavouable. Ils donnent à voir une reine frondeuse et indépendante, qui osa braver les dangers et aimer sans retenue l’homme qui avait gagné son cœur.

On pourra s’étonner de la si brève bibliographie : 

On s’étonnera de l’absence des mémorialistes les plus proches de Marie Antoinette, comme Mesdames Campan ou de Tourzel, par exemple, dans la bibliographie… et surtout s’inquiéter de la présence de Feuillet de Conches, le faussaire notoire… nous y reviendrons plus tard. Farr n’a consulté aucune biographie sur Marie-Antoinette…  mais elle se cite comme référence.

Beaucoup de bruit pour … « ça »

On ne peut nier le travail d’Evelyn Farr dans la recherche des lettres restantes qui manquaient à la correspondance entre Marie-Antoinette et Axel de Fersen. Mais au final, qu’apprend-on? Qu’ils s’aimaient… Qui l’ignorait encore? Ce qu’on y rappelle cependant c’est l’aspect manipulateur du suédois dans ses correspondances. Oui, le comte ment ! et assez régulièrement ! Ainsi peut-on se demander quels sentiments il éprouvait vraiment pour Marie-Antoinette … et pour la Reine de France… ce qui s’avère être une nuance ! En somme à ces questions, la correspondance n’apporte aucune réponse. MAIS l’auteure commente l’Histoire d’une manière très personnelle. Elle n’en sait pas davantage que nous. Mais elle commente. Cet apport singulier, qui décrédibilise le travail de recherche, est à considérer comme du roman. Evelyn m’avait prévenu : elle me conseillait de ne pas lire son livre. J’aurais imaginé le contraire, si elle avait été si sûre de son fait. Mais elle ne semble vouloir prêcher que des « convertis » à sa thèse. C’est peu ambitieux.

Benjamin Warlop

Avant de changer d’avis, Evelyn Farr m’avait dit de lire son lire pour voir les merveilles de preuves qu’elle avait trouvées pour imposer sa thèse. C’est donc avec une grande humilité que je l’ai lue, réfléchissant à chaque page que je tournais aux excuses que j’aurais à lui faire de ne l’avoir pas crue… et ainsi jusqu’à la dernière page ! Et j’ai bien gardé mes excuses pour moi car de preuve je n’en ai trouvé aucune dans ce livre qui fourmille de questionnements plus ou moins sains et qui affirment, en omettant le conditionnel, tant l’auteure est sûre des faits qu’elle pense déterrer. Je peux comprendre que ce roman séduise ses partisans, mais comment peut-on considérer Evelyn Farr comme historienne quand on perçoit son point de vue?  Ses fanatiques amis ont beau penser qu’elle fait autorité dans la matière, on n’entend plus beaucoup parler d’elle aujourd’hui. Et c’est tant mieux ! 

Benjamin Warlop

Un livre qui ne tient pas ses promesses

Livre très décevant. On nous l’avait annoncé comme la révélation du siècle, et ses assertions ne reposent en réalité que sur des ragots et du vent. Rien de concret, rien de probant. La première partie tente laborieusement de prouver la présence de Fersen auprès de Marie-Antoinette avant la Révolution sur l’absence de correspondance. Un montage fastidieux qui ne repose sur rien, puisque qu’il n’existe aucune lettre de cette période. La deuxième partie, nous proposant la correspondance complète au cours de la Révolution, pourrait être intéressante, si elle n’était pas truffée des déchiffrages plus qu’aléatoires d’Evelyn Farr. On peut d’autant plus faire l’économie de ce livre inutile qu’une édition sérieuse va bientôt sortir à partir des décaviardages scientifiques désormais opérés. Enfin du tangible sur le sujet !

Marie-Rose Demasy

Sur sa page Facebook, Evelyn Farr, avait, à la sortie de son livre, publié une critique de la part des études robespierristes qui vantait son travail de recherches, mais qui se concluait par le fait que son parti pris originel rendait ses recherches caduques. Seulement Farr s’est bien gardée de reproduire la dernière phrase qui détruisait ce qui précédait, rendant la critique élogieuse. Voilà donc ce que cela révélait d’elle. Comment croire à sa thèse quand on connaît ses méthodes malhonnêtes, qui sont les seules choses dont on avait la preuve, là ?

Encore une fois, madame de La Tour du Pin n’affirme pas qu’il est l’amant de la reine, elle fait état de la rumeur.  Depuis quand doit-on se fier aux rumeurs ? Surtout concernant Marie-Antoinette ? 
Ensuite Saint-Priest… Dont la femme fut la maîtresse de Fersen et qui fut un ministre proche de Necker, imposé au roi à l’été 1789. Tout à fait dans les intimes de la reine.
Et tous les autres… Ah bon qui ? Je rappelle qu’on m’a promis depuis longtemps cette liste que je n’ai toujours pas eue. Qui serait enfin la preuve formelle ! 
Ah si madame de Boigne… Huit ans quand elle a quitté la France et vivant à la cour de Mesdames. 
Et puis n’oubions surtout pas madame Campan et Napoléon !!!
J’oubliais ! Elizabeth Foster ! Plus antipathique et odieuse que cette femme, c’est difficile ! Le mensonge, la duplicité, la fausseté incarnés ! Elle est dans la ligné des La Motte, c’est dire… 
On m’a toujours dit Gouverneur Morris mais personne ne s’est donné la peine de me copier le passage de ses mémoires à ce sujet. 

D’ailleurs comme « tout le monde » semble au courant, pourquoi appeler ce livre Un amour secret ?  

Comme des enfants, même pas de sa Cour, des dames étrangères, des ministres qu’elle n’aimait pas, des ambassadeurs étaient au courant, il faut croire que Marie-Antoinette recevait Fersen dans son lit en public, rideaux ouverts, à la vue et aux yeux de tous.
Notons que les révolutionnaires ont été émus par cette si belle histoire d’amour connue de tous et ont refusé de l’entacher durant le procès. Quelles belles âmes que ces Fouquier-Tinville, Hébert, Hermann ! 

Lorsque le nom de Fersen est sur les lèvres des gens en tant qu’amant de la Reine, c’est – pour Farr et d’autres auteurs – une preuve irréfutable que c’est vrai. Mais lorsque ce n’est pas Fersen mais un autre homme ou des hommes anonymes sur les lèvres ? On l’ignore complètement ou on le rejette d’emblée…

Farr affirme même avec audace qu’accuser les enfants de Marie-Antoinette d’avoir été engendrés par quelqu’un d’autre que Louis XVI n’était « pas quelque chose que vous écririez à la légère », d’où le fait que quelqu’un ait répandu la rumeur selon laquelle Fersen était le père devient un fait. 

Pourtant, ces accusations ont été portées contre Marie-Antoinette dès la naissance de son premier enfant. D’innombrables hommes ont été cités comme père potentiel. Des poèmes ont été écrits sur le fait que Louis ne pouvait pas être le père. Pourtant, pour Farr, ces accusations n’existent pas ou n’ont apparemment aucune importance, car elles n’étaient pas celles de Fersen. 

Fersen serait le père du Dauphin ? « C’est la preuve que c’est vrai, car vous ne diriez pas ça à la légère ! »

De plus, comme le souligne John Hardman, les maîtresses de Fersen ne se sont jamais retrouvées enceintes, à l’exception d’une seule, et cela l’ennuyait beaucoup, nous pouvons donc supposer qu’il savait comment éviter une grossesse (« bien que l’on puisse également supposer qu’il était stérile », pour citer Hardman). Pourquoi diable Fersen n’essaierait-il pas d’éviter une grossesse s’il avait des relations sexuelles avec la reine de France, alors que n’importe quel enfant qu’ils auraient ensemble pourrait littéralement la condamner à être enfermée au couvent, au mieux ?

En 1787

Pendant son voyage en Italie (du 20 avril au 8 octobre 1787), Axel de Fersen adresse de nomlbreuses lettres à une certaine Joséphine et il résume le contenu de ces missives dans son journal. Alma Söderhjelm écrit à ce propos : 

« Sous ce nom (de Joséphine), Fersen entretenait une correspondance secrète avec Marie-Antoinette.« 

Ce que réfute Henry Vallotton : 

« Nous ne le pensons pas. En effet, Fersen écrit à Joséphine le 20 avril 1787 « qu’elle doit lui trouver pour habiter en haut«  (sic) et, le 8 octobre « qu’elle fasse faire une niche au poêle« . Joséphine devait être une amie complaisante ou une logeuse, mais non la reine de France ! »

Une domestique d’Eléonore Sullivan s’appelle Joséphine… 

Du 19 octobre 1787 au 15 avril 1788

Fersen passe son temps à Paris et au château de Versailles.

De mai 1788 au 24 octobre 1788

Fersen est en Suède.

 Le 21 octobre 1788

Axel se remet en route pour la France.

Le 4 juillet 1788

Fersen demande que son régiment intègre Valenciennes.

Le 6 novembre 1788

Fersen est de retour à Paris.

Entretenant un jour la belle-sœur de sa favorite, Diane de Polignac, des bruits scandaleux courant la ville sur elle, la Reine lui demanda
« Est-il vrai que le bruit court que j’aie des amants ?
– On tient bien d’autres propos sur Votre Majesté a, répondit la comtesse.
– Lesquels ?
_ On dit que le beau Fersen est le père du Dauphin, M. de Coigny de Madame Royale, le comte d’Artois, de M. de Normandie. »
Et la Reine d’interrompre avec vivacité l’énumération pour demander « Et la fausse couche ? (i) »
Editant cette anecdote typique, M. de Lescure ne lui concédait que la valeur d’un « commérage de l’Œil-de-Bœuf »

Les pamphlets libertins contre Marie-Antoinette :
d’après des documents nouveaux et les pamphlets tirés de l’Enfer de la Bibliothèque nationale… / Hector Fleischmann
 Fleischmann p. 280

De novembre 1788 à juin 1789

Comme à son habitude, Fersen partage son temps entre Paris et Versailles, où il loge à l’hôtel de Luynes.

L'hôtel de Luynes

Le 4 juin 1789

Mort du Dauphin, Louis-Joseph-Xavier-François, à Meudon.

Mort du Dauphin dans Les Années Lumière de Robert Enrico (1989)

A cette époque, Fersen trompe son grand ami Crawfurd avec Eléonore Sullivan sous son propre toit et il s’en amuse dans son Journal.

Quentin Crawford par Benjamin Warlop
Eléonore Sullivan par Benjamin Warlop d'après Vigée Le Brun

Le 14 juillet 1789

Les parisiens prennent la Bastille et en assassinent le gouverneur, le marquis de Launay.

La prise de la Bastille dans Les Années Lumière (1989) de Robert Enrico

Les 5 et 6 octobre 1789

Films et auteurs prêtent à Axel de Fersen une attitude héroïque en ces jours-là… En réalité, il était parti se coucher fort tard le 5 lorsque le Roi avait sonné le coucher !!!!

Madame Campan n’était alors pas de service au château, c’est sa soeur, madame Auguié, qui est restée aux côtés de la Reine pendant ces heures tragiques. 

Image de Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy
Ces propos sont rapportés par lord Holland, politicien anglais du parti whig, neveu de Fox, proche de La Fayette, Talleyrand et qui fut un des rares Anglais à défendre Napoléon. Quelqu'un donc de toute confiance concernant Marie-Antoinette !!!
Le matin du 6 octobre 1789 par Benjamin Warlop

Il est arrivé par le grand appartement directement dans le salon du conseil, puis dans la chambre du Roi…. il n’était pas présent dans la chambre de la Reine au moment de l’assaut … Pas de fougueux destrier précédant à bride abattue son aimée, donc, mais le train des courtisans de Versailles, comme tout le monde… Il suffit de le lire :

« J’ai été témoin de tout et je suis revenu à Paris dans une des voitures de la suite du Roi; nous avons été 6 h 1/2 en chemin. Dieu me préserve de jamais voir un spectacle aussi affligeant que celui de ces deux journées. Le peuple paraît enchanté de voir le roi et sa famille. La reine est fort applaudie, et elle ne peut manquer de l’être quand on la connaîtra, et qu’on rendra justice à son désir du bien et à la bonté de son cœur.»

Axel de Fersen 

Pas de fougueux destrier précédant à bride abattue son aimée, donc, mais le train des courtisans de Versailles, comme tout le monde…

Départ du Roi de Versailles, par Joseph Navlet
Les Tuileries dans Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy

La famille royale s’installe aux Tuileries et un semblant de vie de Cour se met en place.

Et ce commentaire plein d’amertume dans son journal, le 5 octobre 1798 :

« Je me rappelai vivement de ce jour, il y avait neuf ans et de toutes nos angoisses à Versailles, que n’est-on parti et on aurait tout sauvé.»

Fersen loue un logement dans un hôtel parisien au coin de la rue de Matignon et du faubourg Saint-Honoré.

Le 24 octobre 1789

Axel écrit à Sophie :

« Enfin le 24, j’ai passé une journée entière avec Elle.  C’était la première, jugez de ma joie. »

En novembre 1789

Une émeute à Valenciennes oblige Fersen à partir brusquement début novembre  pour rétablir l’ordre dans son régiment.

Le 27 décembre 1789 

« Ma chère amie, votre dernière était du 20 nov: et elle ma fait grand plaisir, il n’y a que l’amitié que je vous porte qui puisse égaler celle que vous avés pour moi, nous avons bien besoin tous deux de cette consolation, ma chère amie. Enfin, le 24 j’ai passé une journée entière avec elle, c’était la première jugés de ma joie, il n’y a que vous qui puissiez le sentir.»

Axel de Fersen à Sophie von Piper

En janvier 1790

Visite de Fersen au baron de Taube, à Aix-la-Chapelle.

Vers le 18 janvier 1790

Il est de retour à Paris.

En février 1790

Du propre aveu de Fersen, c’est ici que s’ouvre la période la plus intéressante de sa vie. Il jouit de la confiance des souverains français, comme l’atteste cette lettre à son père :

« Ma position est différente de celle de tout le monde. J’ai toujours été traité avec bonté et distinction dans ce pays-ci par les ministres et par le roi et la reine. Votre réputation et vos services ont été mon passeport et ma recommandation; peut-être une conduite sage, mesurée et discrète m’a-t-elle valu l’approbation et l’estime de quelques-uns et quelques succès. Je suis attaché au roi et à la Reine et je le dois par la manière pleine de bonté dont ils m’ont toujours traité, lorsqu’ils le pouvaient, et je serais vil et ingrat, si je les abandonnais quand ils ne peuvent plus rien faire pour moi, et que j’ai l’espoir de leur être utile. A toutes les bontés, dont ils m’ont toujours comblé, ils viennent d’ajouter encore une distinction flatteuse: C’est celle de leur confiance; elle l’est d’autant plus, qu’elle est extrêmement bornée et concentrée entre trois ou quatre personnes, dont je suis le plus jeune, Si nous pouvons les servir, quel plaisir n’aurai-je pas à m’acquitter envers eux d’une partie des obligations, que je leur ai : quelle douce jouissance pour mon cœur d’avoir pu contribuer à leur bonheur ! Le vôtre le sent, mon cher père, et ne peut que m’approuver. Cette conduite est la seule qui soit digne de votre fils, et quoi qu’il puisse vous en coûter, vous serez le premier à me l’ordonner, si j’étais capable d’en avoir une autre. Dans le courant de cet été tous ces événements doivent se développer et se décider, s’ils étaient malheureux et que tout espoir fût perdu, rien ne m’empêcherait de vous aller voir.»

Une lettre pleine de lucidité, une fois de plus : le comte de Fersen constate que la Cour de France l’a toujours bien traité, et ce en partie grâce à la réputation de son père. Il s’honore de la confiance dont il est l’objet, et se promet de la payer en retour, en servant tant que faire se peut le Roi et la Reine. Il sait que, dans ce domaine, son père, aussi chevaleresque que lui, ne peut que l’approuver.

Au printemps de 1790

La vie devient un peu plus facile pour la famille royale qui peut se rendre au château de Saint-Cloud durant la belle saison.

Le 10 avril 1790

« Je commence a Etre un peu plus heureux car je vois de temps en temps mon amie librement chez elle et cela nous console un peu de tous les maux qu’elle éprouve pauvre femme, c’est un ange pour la conduite, le courage et la sensibilité, jamais on n’a su aimer comme cela. Elle est infiniment sensible à tout ce que vous m’avés dit pour elle et elle en a bien pleurée et elle me charge de vous dire combien elle en a été touchée, elle serait si heureuse de vous voire quelquefois. Elle s’imagine que si notre projet réussissait, vous pourrez alors venir ici et cette idée la rend bien heureuse, en effet cela serait peut être possible alors.»

Axel de Fersen à Sophie von Piper

Le 14 juillet 1790

 Fête de la Fédération

Fersen y accompagne la famille royale dans la loge qui leur est préparée sur le Champ de Mars.

Jean-François Balmer et Jane Seymour dans Les Années Lumière de Robert Enrico (1989)

De juin à octobre 1790

Fersen loge à Auteuil, d’où il part souvent pour visiter Marie-Antoinette au château de Saint-Cloud.

Du 18 janvier 1790 au 20 juin 1791

Fersen abandonne volontairement l’hôtel de la rue Miromesnil pour habiter rue Matignon, autrement dit Millet, pour ne plus avoir à s’éloigner…

En 1791

Fersen participe aux préparatifs de la fuite à Montmédy :

En février 1791

Dans une seconde lettre adressée à son père, Axel donne un autre témoignage fort bien intéressant sur la situation privilégiée qu’il occupe auprès du couple royal :

« … Ma position est différente de celle de tout le monde. J’ai toujours été traité avec bonté et distinction dans ce pays-ci par les ministres et par le Roi et la Reine. Votre réputation et vos services ont été mon passeport et ma recommandation : peut-être une conduite sage, mesurée et discrète m’a-t-elle valu l’approbation et l’estime de quelques uns et quelques succès. Je suis attaché au Roi et à la Reine et je le dois par la manière pleine de bonté dont ils m’ont toujours traité, lorsqu’ils le pouvaient et je serais vil et ingrat, si je les abandonnais quand ils ne peuvent plus rien faire pour moi et que j’ai l’espoir de leur être utile. A toutes les bontés dont ils m’ont toujours comblé, ils viennent d’ajouter encore une distinction flatteuse : c’est celle de leur confiance ; elle l’est d’autant plus qu’elle est extrêmement bornée et concentrée entre trois ou quatre personnes, dont je suis le plus jeune. Si nous pouvons les servir, quel plaisir n’aurai-je pas à m’acquitter envers eux d’une partie des obligations que je leur ai ; quelle douce jouissance pour mon cœur d’avoir pu contribuer à leur bonheur ! Le vôtre le sent, mon cher père, et ne peut que m’approuver. Cette conduite est la seule qui soit digne de votre fils, et quoi qu’il puisse vous en coûter, vous serez le premier à me l’ordonner, si j’étais capable d’en avoir une autre. Dans le courant de cet été tous ces événements doivent se développer et se décider, s’ils étaient malheureux et que tout espoir fût perdu, rien ne m’empêchera de vous aller voir ».

Michèle Morgan et Richard Todd dans le film de Jean Delannoy ( 1956)

La nuit du 20 juin 1791

Fersen, déguisé en cocher, escorte lui-même la famille royale  jusqu’à Bondy, mais Louis XVI refusera qu’il les accompagne plus loin. L’objectif du Roi étant d’atteindre Montmédy qui se situe en France, au contraire de ce qu’on supposera, il valait mieux qu’il ne soit alors escorté que par des gentilshommes français…

Costume de Fersen dans le film L'Enfant-Roi (1923) de Jean Kemm, dessiné par Charles Bétout, pour Georges Vaultier
Image de La guerre des trônes, S7 E3 : Marie-Antoinette, l'Europe pour seul secours de Vanessa Pontet, Samuel Collardey ; Fabian Wolfrom incarne Fersen

La baronne de Korff,  veuve d’un colonel russe qui se rend à Francfort-sur-le-Main, puis de là en Russie, avec ses deux enfants, est le nom sous lequel voyage madame de Tourzel. On costume le Dauphin en fille, il devient Aglaé , sœur d’Amélie, Madame Royale, leur gouvernante, Sophie Rochet sera la Reine, et Madame Élisabeth tient le rôle de la femme de compagnie de la baronne, Rosalie… Le Roi sera l’intendant Durand.

C’est alors que le valet de chambre de Fersen, Franz, détruit ses papiers, notamment son journal de 1779 à 1791, dans son appartement parisien, pour éviter qu’ils ne soient saisis. Par la suite, Fersen gardera précieusement les lettres de la Reine, en prenant néanmoins quelques précautions : seulement quatre de ces lettres sont de la main de Marie-Antoinette, il a recopié toutes les autres pour éviter que l’on reconnaisse l’écriture de la Reine, et il a quelquefois volontairement omis de retranscrire certains passages, tandis que d’autres sont immédiatement ou à quelques jours d’intervalle recouverts par un caviardage. On constate que Fersen a détruit ou perdu certaines lettres.

Fersen est supposé rejoindre la place-forte de Montmédy, où se rend la famille royale, en passant par la Belgique. Après l’échec de la fuite et le retour à Paris des fugitifs, Fersen continue à correspondre avec Marie-Antoinette. Il se rend à Vienne pour avertir la cour de l’Empereur et le décider à l’action. Mais Léopold II temporise, et Fersen, se sentant berné, parle à la Reine de trahison.

Halte poste-relais de Bondy (L'évasion de Louis XVI, Arnaud Sélignac, 2009)
Images de Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy

Mais lisons plutôt le récit de Fersen :

« L. 20 (Le début manque)… remarque et demanda ce qu’il voulait faire les deux me dirent qu’il n’y avait pas a hésiter et qu’il fallait toujours aller nous convînmes de l’heure etc. etc. que s’ils étaient arrêtés il fallait aller a Brux : et faire agir pour eux etc. etc. en me quittant le Roi me dit mr de F. quoi qu’il puisse m’arriver je n’oublierai tout ce que vous faites pour moi. La Reine pleura beaucoup a 6h : je la quittai elle alla avec les enfants a la promenade pour précautions extraordinaires je rentrai chez moi finir mes affaires à 7 h. chez Sullivan voir si on y avait mené la voit[ure] rentré chzs moi a 8 h. j’écrivis a la Reine pour changer le rendez vous des femmes de chambre et les bien instruire pour me faire dire l’heure exacte par les gardes du C… porté la lettre point de mouvement a 8 3/4 les gardes me joignirent ils me donnèrent la lettre pour Mercy les intruisa rentré faire partir ma chaise leur (les Craufurd) donner mon cocher et mes chevaux pour partir allé prendre la voiture, cru avoir perdu la lettre pour Mercy:a 10 1/4 h : dans la Cour des princes a 11 1/4 les enfants sortis emmenés sans difficulté. La Fayette passé deux fois, a 11 1/4 Me Elisabeth, puis le Roi puis la Reine a 12 h partis joint la voiture Barriere St Martin a 1 1/2 h : a Bondi pris la poste, moi la traverse a 3 h au Bourget et parti.
Le 21. beau tout allait bien retardé dans la traverse entre Maretz et Cateau, le commandant de milice demanda mon nom j’eus peur au Cateau installation d’Ev : passé le Quesnoy par St Vast.»

Or, une légende tenace veut, qu’à l’aube du 21 juin, à Bondy, il ait supplié le Roi de la laisser l’accompagner. Qui a fabriqué cette scène touchante? Nous la trouvons, pour la première fois, sous la plume de Bouillé qui, évidemment, n’en fut pas témoin :

« Ce fut là, (à Bondy) qu’il les a abandonnés à leur sort, malgré les instances qu’il fit au Roi pour obtenir de les suivre. Mais la fatalité la plus marquée voulut que le Prince s’y refusât constamment.»

Thérèse Poudade               

Confrontons (le) Journal (de Fersen) avec les Mémoires de la duchesse de Tourzel, qui se trouvait dans la berline, comme gouvernante des enfants royaux.

« M. de Fersen conduisit le Roi en cocher jusqu’à Claye, où nous prîmes la poste. Le Roi, en le quittant, lui témoigna sa reconnaissance de la manière la plus affectueuse, espérant que ce serait autrement qu’en paroles, et se flattant de le revoir bientôt. »

Il n’est nullement question « d’instances » de la part de Fersen. La confiance du Roi en l’organisateur de sa fuite nous paraît totale ainsi que sa croyance à le revoir à Montmédy (bientôt). A ce témoignage, s’ajoute celui de Madame Royale :

«Nous changeâmes de voiture. Monsieur de Fersen souhaita le bonsoir à mon père et s’enfuit.»

Ce verbe, exprimant la rapidité, nous éloigne fort des «instances» et autres vérités touchantes propres à justifier son absence sur la route de Montmédy.

Le 22 juin 1791

 Fersen arrive à six heures du soir à Mons, où il retrouve Éléonore, Provence et madame de Balbi.

« Le 22. beau fait très froid la nuit arrivé a Mons a 6 h : Sullivan, Balbi, Monsieur, beaucoup de français fort contents un moine dans la rue me demande si le Roi était sauvé parti a 11 h : plaine jusqu’à Namur, puis montagnes les Ardennes les forêts depuis March : tout le monde content que le Roi fut sauvé.»

Journal de Fersen

« Le Roi et toute sa famille quittèrent Paris, heureusement (sans encombre), le 20 à minuit. Je les conduisis au premier poste. Dieu veuille que la suite de leur voyage soit aussi heureuse. J’attends ici Monsieur en ce moment. Je continuerai ensuite ma route le long de la frontière, pour rejoindre le Roi à Montmédy, s’il a la chance d’y arriver.« 

Axel de Fersen à son père, le 22 juin 1791

Par cette précision (en gras), certains ont mis en doute l’honnêteté de Fersen dans l’entreprise de Montmédy, qui serait un piège contre la famille royale, tramé avec Choiseul… 

« Par une suite de malheurs, tout ce plan, si soigneusement élaboré, avait échoué. Si seulement la reine ne s’était pas égarée en sortant des Tuileries, si Fersen avait pris une route directe pour sortir de Paris, si seulement la berline n’était pas tombée en panne, la famille royale serait arrivée au pont de Sommevelle avant Choiseul et Goguelat, tout en dépendait. Si le roi n’avait pas été reconnu à Châlons, s’il n’avait pas été montré à Sainte-Menehould, si Drouet avait été fusillé par Lagache, l’alarme n’aurait pas été donnée à Varennes. Si seulement Goguelat avait dit au roi que le relais était dans la basse ville, ou si quelqu’un avait été laissé de garde à la maison de la haute ville pour le diriger au cas où il arriverait à l’improviste ; si seulement les hussards avaient été placés sous le commandement d’un officier qui était dans le secret, les fugitifs auraient pu passer malgré Drouet. Si seulement Bouillé ne s’était pas retiré à Stenay, la famille royale aurait pu être sauvée à la dernière minute. Si un seul de ces contretemps avait été évité, tout aurait pu aller pour le mieux. Mais chaque mésaventure, chaque oubli faisaient le jeu de leurs ennemis.« 

Nesta Webster

Cependant, si la berline commandée par Axel Fersen était grande ce n’était pas inhabituel. Elle était en fait basée sur des plans établis pour un carrosse de compagnie parisien. La voiture n’était pas décorée des armes de la famille royale et, à l’extérieur, n’avait rien d’extraordinaire. Le carrosse comportait une variété d’équipements de voyage souvent utilisés par ceux qui pouvaient se les permettre – notamment un garde-manger, une cuisinière, une table pliante et des pots de chambre – car il était nécessaire pour le voyage d’éliminer la nécessité pour les passagers de s’arrêter ou de quitter la berline.

Le poids de la voiture, à la fois en raison des bagages et du nombre de passagers, posa quelques problèmes lors de l’évasion. Cela nécessitait des changements de chevaux plus fréquents ; la voiture roulait à environ six à sept miles par heure, une allure régulière, mais une voiture plus légère aurait pu permettre une évasion plus rapide. Cependant, les raisons de l’encombrement de la voiture sont compréhensibles, sinon d’un point de vue politique, du moins d’un point de vue humain. Politiquement, Louis XVI (du moins) s’attendait à pouvoir, après sa fuite, saluer ses sujets comme leur Roi et les rallier à sa cause – d’où l’inclusion de sa couronne et de ses habits du sacre dans les bagages. On y trouvait également des vêtements pour la famille royale et la désormais tristement célèbre mallette de la Reine, qui faisait également office de panier de pique-nique élaboré (il contenait de la vaisselle) et de trousse de toilette.

Mais cette taille n’était pas seulement le résultat de manœuvres politiques : après avoir discuté de tentatives de fuite séparées, Louis XVI et Marie-Antoinette refusèrent catégoriquement d’être séparés l’un de l’autre et de leurs enfants. Le comte et la comtesse de Provence, qui s’enfuirent du pays le même jour, voyagèrent séparément dans de petits carrosses et purent s’enfuir rapidement. Mais le Roi et la Reine, et, finalement, Madame Élisabeth, jurèrent de ne pas prendre le risque d’être séparés si un ou plusieurs groupes étaient capturés.

Il est cependant très important de noter que même si la taille de la voiture et ses équipements ont eu une influence sur la vitesse de la voiture, ils n’ont pas été la cause de l’échec du voyage. Le premier écueil est survenu lorsque le harnais de la voiture s’est cassé – un malheur et rien d’inhabituel pour les voyages à l’époque, mais cela a provoqué une réaction en chaîne. La réparation du harnais a entraîné un retard de deux heures de la voiture (qui était déjà en retard) ce qui a obligé le duc de Choiseul (qui attendait à un endroit avec des dragons) à ramener ses hommes vers Montmédy. Cela signifiait qu’il n’y aurait pas d’escorte militaire pour les attendre si (en réalité, quand) ils en avaient besoin.

Le 23 juin 1791

Fersen rencontre Bouillé à Arlon, qui lui annonce l’arrestation de la famille royale.

Sur la route du retour à Paris, la famille royale accueille dans la berline les députés Barnave et Pétion à Epernay. Leur présence est destinée à protéger les voyageurs de l’outrage du peuple qui se sent trahi.

La Reine, le Dauphin, Barnave et le Roi, puis Madame Elisabeth, Pétion, Madame de Tourzel et Marie-Thérèse dans la berline de retour de Varennes
par Benjamin Warlop

Durant ce voyage du retour, Antoine Barnave est étonné de la simplicité de la Famille Royale. Malgré Ses angoisses et Sa fatigue, le charme de la Reine opère et dès leur retour, Barnave entreprendra une correspondance secrète avec la Reine.

Fersen lui-même sera désorienté par les rumeurs faisant de Barnave l’amant de la Reine.

Voir cet article :

Le 24 juin 1791

Désespéré, le Suédois dîne avec madame Sullivan à Bruxelles. Il reste avec elle à l’hôtel Bellevue jusqu’au 28, s’affichant, selon Emile Dard…  Outre les indiscrétions diverses (toute l’Europe était au courant, selon Alma Söderhjelm), la décision qu’a prise Louis XVI de se passer de Fersen à partir de Bondy a assurément pesé dans l’échec.

Le 25 juin 1791

La famille royale rentre à Paris sous escorte.

Le Roi est suspendu.

Le 28 juin 1791

« Je peux vous dire que je vous aime et je n’ai même le temps que de cela. Ne soyez pas inquiet pour moi. Je voudrais bien vous savoir de même. Ecrivez-moi en chiffres par la poste à l’adresse de Mme Brown, dans une enveloppe double pour M. de Gougens. Envoyez  les lettres par votre valet de chambre. Mandez-moi à qui je dois adresser celles que je pourrai vous écrire, car je ne peux vivre sans cela. Adieu, le plus aimé et le plus aimant des hommes. Je vous embrasse de tout coeur. »

Marie-Antoinette à Axel de Fersen

Lettre du 29 juin 1791

Il y a à la base deux versions, une copie décryptée de Fersen qu’il conserve et une autre, l’originale décryptée aussi par Fersen, envoyée à Mercy qui la transmet à Fersen. Dans la version conservée de Fersen, il y a les fameux passages biffés. Les Girault de Coursac (GDC) les ignorent. Donc pas encore décryptés en 1990 ou n’en tiennent pas compte ?   Dans la version originale, deux ou trois petits mots sont modifiés qui changent quelques peu le sens mais aucune trace de passages biffés. Le texte se lit normalement, sans l’impression de trous. C’est la version de Lever. Mais les GDC comparent les deux, et c’est assez édifiant.   Je vous laisse regarder, si vous le souhaitez, p. 710 de VCVP. Un autre courrier de la main de Marie-Antoinette part le 29 juin également, c’est celui avec « Adieu le plus aimé et le plus aimant des hommes. » Curieusement Evelyn Farr ne le mentionne pas. Pour Lever c’est le seul de Sa main, cote AP440.   Ah j’ai trouvé le « Je ne vis que pour vous servir. » Bien de la main de Fersen. Comment ose-t-il ?   Bon alors de la première du 29 juin, version papiers de Fersen, donc copie, avec passages biffés, Farr pense avoir trouvé les mots. Il y a sûrement aussi désormais une version AN. Je ne l’ai pas en tête.   En tout cas qu’en penser puisque cela vient de la main de Fersen et que la version originale ne comporte pas de passages biffés et que le texte se lit très bien ainsi ?   Non, pas tout à fait originale non plus car déchiffrée par Mercy. Donc de la main de Mercy. Soit il a enlevé volontairement des parties qui ne le concernaient pas, pour au final se retrouver avec un texte tout aussi cohérent, soit Fersen se les ai rajoutés… D’autant que la version de Fersen, sans le décryptage de Farr a déjà quelques différences notables qui font craindre le pire;   Ainsi version Mercy (à destination de Fersen je le rappelle quand même) : « J’existe et j’ai bien été inquiète de vous. Je vous plains… » Donne chez Fersen version 1 : » J’existe…….. que j’ai été inquiète de vous et que je vous plains... » Et chez Farr : « J’existe mon adoré, et c’est pour vous adorer. Que j’ai été inquiète de vous, et que je vous plains… »   J’aimerais savoir ce que donne la version AN, concurrente de Farr.   Et toute la lettre de ce genre !!! Ensuite, il y a une lettre du 4 janvier 1792 qui serait réellement autographe où je ne mettrai que la fin. Les GDC n’en parlent pas, Lever oui mais le passage que je vais citer est en biffé et je donnerai ensuite les versions Farr et AN.   Farr : « Je vais finir non pas sans vous dire, mon cher et bien tendre ami, que je vous aime à la folie et que jamais, jamais je ne peux être un moment sans vous adorer. »   AN : « je vais finire, non pas sans vous dire mon bien cher et tendre ami que je vous aime a la folie et que jamais jamais je ne peu être un moment sans vous adorer »   Jeu des 7 différences !   En fait, nous nous retrouvons avec un paquet de lettres qui ne sont pas de la main de Marie-Antoinette. Et pour le billet du 29 juin, avec «Adieu le plus aimé et le plus aimant des hommes», si Lever l’indique (pour une rare fois) comme autographe, Farr ne la cite pas. Bon difficile de comprendre et surtout qui croire. Je vous ai dit que le 29 juin 1791, selon Lever a deux lettres. Celle que j’ai exposée et pour Lever celle avec «Adieu le plus aimé et le plus aimant des hommes». Les GDC, se fiant à Alma S. la place au 4 juillet. Je regarde donc à cette date chez Farr, ce qui expliquerait son absence pour le 29 juin. Toujours pas.   Ah mais surtout élément important : elle est chiffrée, donc pas de la main de Marie-Antoinette !!!   Fersen peut traduire ce que bon lui chante…   Nous n’avons plus les originales de la main de Marie-Antoinette.   Là j’avoue c’est très très iconoclaste. Mais enfin tous ces mots viennent d’un déchiffrage par un monsieur qui passe son temps à simuler !   Où sont les lettres originales, celles de la main de Marie-Antoinette, non encore décodées ? Certainement disparues à jamais.   Pour moi, jusqu’à aujourd’hui, j’ai toujours cru que ces mots venaient de sa plume. Non.   Sans oublier les historiens qui ne s’accordent pas sur sa date. Peut-être la retrouverai-je chez Farr ailleurs. Ou pas.   Marrant les Girault de Coursac ! Ils expliquent tout le long de leurs travaux qu’il ne faut se fier qu’aux sources directes et rien qu’à elles. Et là, ils s’appuient sur l’Alma. Certes pour la critiquer mais ils n’ont visiblement pas fait le boulot qu’ils ne cessent de réclamer de leurs collègues.    

L’obsession de Fersen pour Varennes a des connotations morbides. « Il aurait mieux valu pour moi, écrivait-il à un ami, que je meure le 20 juin. » Et il se répétait cette pensée : « Pourquoi ne suis-je pas mort pour eux le 20 juin ? J’aurais été plus heureux. » On sait qu’il sera exaucé en 1810 …

Du 29 juin au 3 juillet 1791

Fersen, à Aix-la-Chapelle, prend ses ordres de Gustave III, qui veut l’envoyer à Vienne négocier avec l’Empereur Léopold II, frère de Marie-Antoinette.

Gustave III et Fersen (Fabian Wolfrom) à Aix-La-Chapelle ; Image de La Guerre des Trônes de Vanessa Pontet, Samuel Collardey

Éléonore Sullivan part en exil avec Craufurd et ils réussissent à passer la frontière sans encombre. Elle restera en Angleterre pendant dix ans, se séparera de Fersen qui repartira alors en Suède.

« Ma chère ma bonne ma sensible et bien tendre amie, voici le premier moment de tranquillité que j’ai pu vous donner et mon cœur en a bien besoin; le votre doit sentir tout ce que le mien éprouve de déchirement et je sens en ce moment plus que jamais le besoin d’avoir des amis. Cependant je ne perdrai pas courage et je suis décidé a me sacrifier pour eux et a les servir tant qu’il y aura encore quelque espoir, c’est cette idée seule qui me soutient, et qui me fait supporter patiemment tous mes chagrins. Je resterai ici encore sept a 8 jours j’irai ensuite a Aix la Chapelle et de la a Vienne mais ne parlés pas encore de ce dernier voyage, car je n’en dis rien a mon Père. Adieu ma bien bonne et chère amie aimés moi toujours et croyez que jamais je ne cesserai de vous aimer.»

Axel de Fersen à Sophie Piper

Le 29 juillet 1791

« Je puis vous dire que je vous aime et c’est tout ce que j’ai de temps à faire . Je vais bien. Ne vous inquiétez pas pour moi. J’espère que vous allez bien aussi. Écrivez-moi des lettres chiffrées et envoyez-les par la poste à l’adresse de Mme Brown, sous double enveloppe à M. de Gougens. Envoyez les lettres par votre domestique. Dites-moi à qui je dois envoyer les lettres que je pourrais vous écrire. Je ne peux pas vivre sans cela . Adieu, le plus aimé et le plus aimant des hommes. Je vous embrasse de tout mon cœur . »

Marie-Antoinette à Axel de Fersen

La lettre en question est très discutable, historiquement parlant. Elle aurait été trouvée dans les Archives de Stafsfund par Lucien Maury, qui prétendait avoir trouvé un extrait d’une lettre de la reine à Fersen, qui avait été examinée et publiée dans la Revue Bleue en 1907. La lettre, cependant, n’était pas de la main de Marie-Antoinette, et elle était seulement chiffrée par la reine. On ne sait pas avec certitude de qui est l’auteur de la lettre, bien qu’elle ne corresponde pas à celle de la reine. Ce qui nous laisse quelques possibilités, ignorant pour l’instant le contexte de la lettre : qu’une inconnue ait mis la main sur le chiffre de la reine et ait écrit cette note à Fersen ; que Marie-Antoinette ait fait dicter la lettre pour elle ; que Fersen ait traduit une lettre de quelqu’un dans le chiffre de Marie-Antoinette ; que quelqu’un au XIXe siècle ait écrit la lettre et l’ait glissée dans les papiers de Fersen.

Anna Gibson

Le 15 août 1791

Axel de Fersen dîne chez madame de Polignac.

« Elle me parla plus des affaires que de la reine. Elle me dit mille choses ; qu’à l’affaire de Lyon, le roi avait tout approuvé et en avait tout approuvé et avait promis à M. de Rully, chanoine de Lyon, envoyé par la ville au comte d’Artois et envoyé par lui au roi, de partir le 9 ; que le chanoine avait parlé au roi ; que par bonheur le comte d’Artois avait retardé et que dans l’intervalle était arrivée une lettre du roi de Sardaigne, pour empêcher le comte d’Artois d’agir […] Elle désapprouvait la méfiance. »

Le 6 octobre 1791

Fersen est de retour à Bruxelles. Reprise d’une correspondance suivie avec Marie-Antoinette. Il demande la permission d’aller La voir à Paris.

Le 29 octobre 1791

Fersen fait passer une lettre à la Reine par la princesse de Lamballe qui est de retour à la Cour. Il annonce son intention de venir La voir à Paris.

(…) « Il serait bien nécessaire que je vous voie, mon Dieu que j’en serais heureux ! j’en mourrais de plaisir ! Cela se pourrait même : je partirais d’ici seul avec l’officier qui vous porta ma lettre au mois de juillet, le prétexte serait d’aller voir un gentilhomme du pays qui a gardé mes chevaux de selle tout l’été, j’arriverais le soir, j’irais chez vous, j’y resterais si cela se peut jusqu’au lendemain au soir et je repartirais alors. On ne demande plus de passeport, d’ailleurs j’en ai un de courrier, j’en porterai la marque comme si je venais d’Espagne, cela me paraît faisable, ce serait dans le courant de décembre. (…) Adieu ma tendre amie, je vous aime et vous aimerai toute ma vie à la folie.»

Axel de Fersen

Ce qui est singulier, c’est que Fersen évoque exactement ce qui se passera selon lui, en février 1792. Depuis bientôt quarante ans que j’admets tout lke mystère que cette visite officieuse a pu leur réserver. Mais à relire cette lettre, j’en viens à me demander si cette entrevue avec la Reine puis le Roi a bien pu avoir lieu. Car en relisant madame Campan, elle ne l’évoque pas. Or, cette nuit serait, pour André Castelot, la seule que Marie-Antoinette et Axel de Fersen auraient pu partager pour goûter à l’amour charnel. Mais cette lettre du 29 octobre 1791 n’en trahit-elle pas l’affabulation ? A l’instar de Nicolas Restif de la Bretonne, Fersen qui tisse sa légende dans la nuit révolutionnaire … En somme, il remet en scène aux Tuileries, la scène du placard de chez Eléonore au nez de Quintin Craufurd. Je m’étonne de ne m’apercevoir que maintenant de l’aspect théâtral, vaudevillesque (je perçois l’anachronie de mon propos…) de cet épisode qui qui cultive sa légende, lui qui brave la surveillance de la garde de La Fayette pour revoir sa Reine…  Et depuis que je remets en cause sa véracité, je ne fais que constater le silence général quand à ce retour aux Tuileries de février 1792 … sauf chez Fersen lui-même !  Je ne m’offusque pas de n’en rien lire chez madame de Tourzel, mais le silence de madame Campan qui est alors (si on l’en croit) dans l’ombre de la Reine, a lieu de m’interpeller…

Le baron de Goguelat (1746-1831) aurait pu nous entretenir de cette visite impromptue du suédois, mais il n’en pipe mot dans son Mémoire sur les événemens relatifs au voyage de Louis XVI à Varennes, antérieur, il est vrai, à ce qui nous préoccupe là... Selon madame Campan, c’est à Goguelat que la Reine attribuait l’arrestation à Varennes à cause de ses calculs trop juste de la route, aurait-Elle apprécié que le baron soit dans le secret de cette visite si Elle estimait avoir été trahie par lui ? Ainsi nul n’entrave Fersen dans l’écriture de sa légende. Mais pourquoi inventer cette nuit avec la Reine sinon parce qu’auparavant il n’y a jamais eu de quoi se faire qualifier d’ « amant de la Reine » ? Faute d’avenir politique comme il l’entendra encore en imaginant la Reine régente pendant la minorité de Louis XVII, Fersen se doit d’assurer sa place dans l’Histoire, et ce n’est pas l’échec de Varennes qui le lui a permis… 
Marie-Antoinette écrit à Mercy le 16 février 1791 et Elle n’évoque aucune visite de Fersen. Puisqu’il est censé avoir rencontré le Roi, cela ne trahirait en rien la mémoire de Louis XVI. Seul Fersen, dans une longue lettre à Gustave III, du 29 février 1792 (Marie-Antoinette, Correspondance 1770-1793, d’Evelyne Lever, pages 768 à 772) , étale les réactions du Roi et de la Reine de France, mais quand on lit toute sa missive, on n’y apprend que des décisions logiques, rien d’édifiant politiquement. Evelyn Farr appuie les propos de la Reine en évoquant une lettre qu’Elle aurait envoyée à madame de Polignac pour épancher Ses émotions … une lettre publiée par …. Feuillet de Conches, un faussaire notoire !

Reste à voir du côté de Louis XVI. La venue de Fersen aurait dû avoir des répercussions politiques dans ses décisions ou dans son comportement face à la révolution. Mais ni Jean-François Chiappe, ni Jean-Christian Petitfils, ni même Evelyne Lever n’évoquent cette visite secrète du suédois, le jour de la saint-Valentin…

Dans le même esprit, Evelyn Farr publie dans son livre un portrait de la Reine à la sanguine d’après Kucharsky. Ce portrait pourrait être une étude du fameux portrait que les événements ont interrompu. Seulement, cette « étude » est dans le même état d’inachèvement que le portrait : elle est donc postérieure et s’en inspire ; elle n’est probablement pas de la main de l’artiste. Tout est question de logique. Et pourtant l’ami de l’auteure qui l’a acquis (collection privée) a dû payer ce qu’il pensait être un original. 

D’où ma critique de la manière de procéder d’Evelyn Farr. Elle n’a pas établi une conclusion par rapport à des faits, des preuves ; sa démonstration partant d’une conviction personnelle, elle a cherché ici et là des preuves qui versent de l’eau à son moulin, y compris celles qui induisent en erreur, ou bien qui permettent d’expliquer l’erreur de sa réflexion.

« Tout me conduit à toi » (« Tutto a te mi guida »)

Après le décès de Louis XVI, Marie-Antoinette demande à Jarjayes de remettre à Fersen un billet sur lequel elle a imprimé sa devise : « Tutto a te mi guida » (« Tout me conduit à toi »). La reine dit à Jarjayes : « … Mandez en l’envoyant que la personne à qui elle appartient sente que jamais elle n’a été plus vraie. » Pourquoi cette devise de la reine n’a-t-elle « jamais été plus vraie » ? On remarque qu’à ce moment-là, Marie-Antoinette est certes désespérée, mais également veuve et célibataire. Zweig voit dans ce geste, le « dernier cri de passion amoureuse d’une femme vouée à la mort ». Fersen ne reçut ce billet de Marie-Antoinette que le 21 janvier 1794. Il explique, dans son Journal, que le cachet de la reine, avec la devise « Tutto a te mi guida » s’inspire des armes de la famille de Fersen (cachet avec un pigeon volant).

Les termes employés par la Reine démontrent, selon une majorité d’historiens (S. Zweig, E. Lever, J.-C. Petitfils, A. Söderhjelm) que le sentiment que la Reine éprouvait pour Fersen était de l’amour. Simone Bertière parle, quant à elle, d’« amitié amoureuse ».

Pourquoi Marie-Antoinette a-t-Elle attendu d’avoir recours à Jarjayes depuis le Temple s’il était effectivement passé un an auparavant, en s’annonçant ? Cela n’aurait pas été une surprise puisqu’il a su compter exactement comment sa visite se serait effectuée.

Benjamin Warlop

Le 26 novembre 1791

Fersen adresse à Marie-Antoinette un mémoire de trente-trois pages (!) autrement plus consistant à propos des politiques européens. Il ménage la Reine, ce qui explique la longueur de la lettre et l’emploi du conditionnel avant de terminer plus brutalement par une injonction à réagir. A-t-il peur de perdre son ascendant sur Elle ?

Le 4 décembre 1791

Dans sa lettre à la Reine, Fersen s’évertue à Lui faire comprendre qu’il faut prendre une décision, et que ses soutiens à l’extérieur, la Suède, la Prusse et la Russie, s’impatientent de ces lenteurs qu’ils taxent de faiblesse.

En décembre 1791

Les rumeurs sur une liaison entre Axel Fersen et Éléonore Sullivan commencent à courir à Bruxelles : Sophie von Piper écrit alors à son frère Axel que …

«Tout le monde vous observe et parle de vous ; songez à la malheureuse Elle [Marie-Antoinette], épargnez-lui de toutes les douleurs la plus mortelle ».

Le 11 février 1792

Fersen veut se rendre secrètement à Paris. Il doit remettre à Louis XVI un mémoire de Gustav III et tenter d’organiser une nouvelle fuite. Il quitte donc Bruxelles sans prévenir Craufurd.

Le 13 février 1792

Visite clandestine de Fersen aux Tuileries pour tenter d’organiser une autre évasion pour la famille royale. Le Suédois est alors caché par Éléonore Sullivan en utilisant le nom d’Eugen Franchi, son fils illégitime du duc de Wurtemberg.

La visite secrète de Fersen en février 1792 dans Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy

« L. 13. Tres beau et doux. Parti a 9 1/2 h : arreté deux h : a  Louvres pr diner, arrivé sans accident a Paris a 5 1/2 h du soir sans qu’on nous.dise rien. Laisse descendre mon officier a l’hotel des Princes Rue de Richelieu pris un fiacre pour aller ches Gog : rue Pelletier le fiacre ne savoit pas la rue crainte de ne pas la trouver un autre fiacre nous l’indiqua Gog: n’y etoit pas, attendu dans la rue jusqu’a 6 1/2 h : pas venu cela m’inquieta voulu aller prendre Reuters: il navoit pas trouvé place a l’hotel des Princes on ne savoit ou il etoit allé retourné chez Gog: pas rentré pris le parti d’attendre dans la rue enfin a 7 h: arrivé. Ma lettre netoit arrivée que le meme jour a midi et on n’avoit pu le joindre ayant. Alle ches elle passe par mon chemin ordinaire peur des gard: nat: son logement a merveille [resté la].»

Journal de Fersen

A en croire Fersen lui-même, il  rencontre le Roi de France. Mais celui-ci refuse toute autre tentative d’évasion. A neuf heure et demie, Fersen prend congé des souverains, annonce qu’il continue sa mission vers l’Espagne, mais se rend en fait rue de Clichy où il retrouve Éléonore.

Or, justement, le dogbak n’évoque rien d’autre que cette visite à Eléonore, puisque « elle » n’est pas « Elle » … et l’on sait comme certains auteurs l’on carrément transformé en « chez la reine »… le [resté là] a été raturé. Comme pour les lettres de la Reine (non autographe puisque déchiffrées)  qu’il a lui-même caviardées, Fersen sait que c’est la postérité qu’il manipule dans ces caches. Alma Söderhjelm pense que puisqu’il l’a écrit, c’est que c’est la vérité qu’il a d’abord révélée puis choisi de dissimuler. Mais connaissant Fersen, on peut se demander s’il n’a pas choisi de raconter l’épisode tel qu’il l’avait rêvé , le 29 octobre 1791, puis un élan de conscience aurait causé ce repentir.

« Mardi 14… Vu le roi à 6 h du soir. Il ne veut pas partir et il ne peut pas, à cause de l’extrême surveillance ; mais, dans le vrai, il s’en fait un scrupule, ayant si souvent promis de rester, car c’est un honnête homme…
La reine me dit qu’elle voyait Alex. Lameth et Duport, qu’ils lui disaient sans cesse qu’il y avait du remède que des troupes étrangères, sans cela tout était perdu… Ils parlent en aristocrates, mais elle croit que c’est l’effet de la haine contre l’Assemblée actuelle, où ils ne sont rien  et n’ont aucune influence, et la peur , voyant que tout ceci doit changer, et voumlant se faire d’avance un mérite. Malgré cela, elle les croit mauvais, ne s’y fie pas, mais s’en sert  ; cela est utile…»

Dogbak de Fersen

Si Marie-Antoinette se sert de Lameth et Duport, on est en droit de se dire qu’Elle se sert également de Fersen….

Au-delà de ça, le rapport de l’entrevue avec Louis XVI ne révèle rien d’inédit, et celui d’avec la Reine comporte des informations qu’Elle peut lui avoir fournies par écrit. Nous ne disposons plus de l’entiéreté de la correspondance, je ne fais donc que supposer. J’ai lieu de croire que si tout s’était passé comme Söderhjelm se plaît à l’imaginer comme d’autres plus tard, Sophie von Piper en aurait eu vent.

Alma Söderhjelm est , semble-t-il, la première à évoquer cette visite : 

« La partie la plus intéressante de ces notes, dit-elle, est celle qui a trait à sa visite chez Marie-Antoinette. Ce qui nous intrigue, c’est que Fersen _ou quelqu’un d’autre (nous savons aujourd’hui que c’est probablement lui)_ a effacé deux mots dans son journal. Malgré la rature, on peut deviner que les mots effacés sont : resté là. Il ressort d’ailleurs de son journnal qu’il était resté chez la Reine de 6 heures de l’après-midi du lundi jusqu’à 10 heures mardi soir. Les risques étaient trop gros pour qu’il ait pu entrer et sortir aux Tuileries plus d’une fois. 
Une explication du « chemin ordinaire » dont parle Fersen et qu’il avait pris, pour entrer aux Tuileries, nous est fourni chez Saint-Priest.

Voilà donc la généalogie de cette visite romantique et rêvée par Söderhjelm : Fersen n’a pas menti (il a seulement fantasmé cette visite le 29 octobre 1791) et la finlandaise aura fait le reste, et à sa suite, tous les historiens que cet épisode aura fait vibrer. Elle se demande ensuite ce « pour quoi il y (est) resté 24 heures sans voir Louis XVI« . « Pourquoi ne le vit-il pas tout de suite ? Par prudence ? Certainement non, car Marie-Antoinette était plus mal vue que le Roi, et courait des risques plus grands en acceptant une telle entrevue. Il est probable que Fersen avait d’autres raisons pour voir la Reine seule. Mais lesquelles? Nous le devinons. » Fersen ne ment peut-être pas tant lorsqu’il évoque cet épisode : 

« Je suis parti d’ici le 11 et je suis arrivé à Paris sans aucune difficulté, le 13 à six heures du soir, aucune. J’ai vu LL. MM. le soir, et encore le lendemain au soir, à minuit. Je suis reparti et j’ai été obligé, pour éviter les soupçons, d’aller jusqu’à Tours, et revenir par Fontainebleau. J’étais de retour à Paris le 19, à six heures du soir : je n’ai point osé aller au château. J’ai écrit pour savoir si on avait des ordres à me donner, et je suis parti le 21 à minuit.»

Axel de Fersen à Taube

Contrairement à ce que l’on dit toujours, Axel de Fersen semble avoir vu le Roi dès le premier soir. La genèse de cette fameuse nuit est donc issue de l’imagination de Söderhjelm qui suppose que si Fersen a vu les souverains le 13 puis le 14, il est forcément resté aux Tuileries entre temps. Elle poursuit : « on voit ici que Fersen dissimul(e) à son ami Taube le vrai caractère de sa visite aux Tuileries, puisqu’il dit avoir rencontré le premier soir le Roi et la Reine alors qu’il avou(e) dans son journal qu’il s’(est) rendu chez la reine par l’entrée « habituelle » et qu’il n’avait pas vu le Roi. il dissimul(e) la vérité, parce que cette lettre à Taube (est) quasi officielle, presque un rapport, qui (doit) être lue par Gustave III et peut-être par d’autres. S’il (peut) parler franchement à un ami, il lui (est) impossible de dire publiquement la vérité« .

André Castelot pare au plus simple, p. 414 de l’édition de Perrin. Il cite non seulement presque rien du passage incriminé du 13 février 1792 mais en plus il cite mal. Pas besoin pour lui de se demander si c’est «chez elle» ou «chez la reine», il dit qu’il se rend au château par son chemin habituel. or c’est ordinaire, pas habituel. Cela change peu, certes, mais cela n’en reste pas moins une fausse citation. Sa vision fersinienne est pourtant plus sobre. Quant au penchant de la Reine pour le beau suédois, il évoque Son âme blanche et il replace Marie-Antoinette dans Son environnement, ce qui rend la romance moins facile au milieu des obligations d’étiquette.  Ainsi, selon lui, si Marie-Antoinette et Axel de Fersen ont pu se connaître bibliquement ce ne serait que lors de la visite secrète de février 1792.  Une étape qui est donc essentielle dans la légende de l’Apollon des fjords. 

Evelyne Lever écrit «chez la reine» (les guillemets sont un mensonge… et trahissent la partialité de l’auteure) pour le 13 février 1792. Lever décrit ensuite Fersen dans le grenier chez Craufurd, sa liaison avec Éléonore, son voyage simulé, son mensonge à la reine, mais aucun commentaire.

Fersen reste terré dans une petite chambre sous les toits près de la servante Joséphine. Dard précise que c’est parce qu’il ne paraissait pas son âge qu’on a pu faire croire aux domestiques qu’il était le fils de madame Sullivan.

Où l'ont voit que les mots «papiers» et «a mon ami» n'ont pas été écrits en même temps.  

Eté 1792

En feuilletant vaguement cette époque de leur correspondance, entre le 20 juin et l’arrivée du manifeste, je vois surtout entre les deux des histoires d’argent. Follement romantique ! A croire que Marie-Antoinette payait Fersen !  Je découvre maintenant que Marie-Antoinette s’occupait de ses finances. A un des moments les plus critiques de son existence !   Mais enfin ! Le 26 juin Marie-Antoinette lui dit avoir fait l’acquisition de biens du clergé pour son compte à lui ! Puis le tranquillise pour son placement en assignats !!!   C’est hallucinant !!!   Pourquoi Marie-Antoinette écrirait :

«Il n’y a pas de jour qu’on n’avertisse la reine de se tenir sur ses gardes.» ?

  Y a-t-il trace quelque part ailleurs dans ses écrits où elle parle d’elle à la troisième personne ?   Ou est-ce pour éviter de savoir qui a écrit cette lettre ? Un mauvais déchiffrage ? Une autre personne que Marie-Antoinette ? C’est dingue ! Et elle continue plus loin à lui parler de sa banque de Londres…   Je me demande si leurs histoires d’argent n’est pas en réalité un message codé (politique j’entends…) parce que sinon c’est grave. Si Marie-Antoinette devait en plus de toutes les difficultés qui lui croulaient sur la tête entre le 20 juin et le 10 août 1792 s’occuper en plus des placements financiers de Fersen, c’est à ne plus rien comprendre.   Elle commence sa lettre du 11 juillet par :

« Je sens bien, mon cher Rignon, que relativement à vos spéculations de finance vous avez un grand intérêt à être au courant des événements. Aussi ferai-je tout ce qui dépend de moi pour ne rien vous laisser à désirer à cet égard. Cependant, je dois vous prévenir que, mes relations étant fort peu étendues et le cercle où je vis fort étroit, je vous serai d’une faible ressource. Mais enfin, si je ne vous suis pas d’une utilité réelle, au moins vous prouverai-je zèle et bonne volonté.»

Suit un exposé de la situation, Pétion ou non réintégré en tant que maire.   A se demander aussi si la famille royale ne constitue pas à ses yeux ce fameux investissement financier…   Et en chiffre, rebelote avec un «la reine» à la troisième personne.   Le banquier de Londres doit signifier Craufurd, pas d’autres explications… Il n’a pas encore fait passer les fonds de Fersen par l’entremise de Marie-Antoinette (si c’est bien Marie-Antoinette qui écrit !). Elle l’engage donc à lui écrire deux mots. Pour l’emploi des fonds, Marie-Antoinette dit en quoi elle les a utilisés le 24 juillet. Et la voilà partie dans une description de deux maisonnettes ! Le tout rapportant 9500 livres. Si c’est du code, c’est pire que radio-Londres !  

Maison = domesticité peut-être?   Non, c’est vraiment une description de maisons, comme pour une annonce immobilière.   P.807 de Lever.   Au fait depuis quand l’appelle-t-Elle Rignon ? En 1791, je n’en vois pas trace. Même Farr ne le sait pas, elle qui est prête à inventer n’importe quoi sur Fersen.

Thérèse Poudade remarque que beaucoup de lettres de 1791 ont disparu….   Louis XVI est visiblement au courant de leur correspondance puisqu’elle dit à Fersen «Tout ce qui vous intéresse ici se porte bien. J’ai donné de vos nouvelles hier au soir, on les a reçues avec plaisir. On m’a chargé de vous le dire et de vous engager à en donner aussi souvent que vous le pourrez. Adieu, mon cher Rignon ; je vous embrasse bien tendrement.»   Donc soit Marie-Antoinette fait part à Louis XVI de ce que lui écrit Fersen, soit une autre personne (qui l’appelle Rignon) sert d’intermédiaire entre Fersen et la Reine.   Oui, nous savons qu’à peu près toutes les lettres antérieures à Varennes ont disparu.   Je ne comprends toujours pas le coup des maisonnettes. Il faut croire que Marie-Antoinette se chargeait de ses achats…   Bizarre que Fersen ait l’idée d’investir dans de l’immobilier en France à cette date. Franchement pas le moment, à moins de vraiment être sûr de la tournure des événements. Le prix de l’immobilier ne devait guère être en hausse. C’était peut-être pour beaucoup le bon moment… Il s’est vraiment fourré le doigt dans l’oeil ! Mais ce n’est pas la première fois que je l’attrape en plein délire à la Perrette et le pot de lait. «Adieu veau vache cochon…» notamment après le 16 octobre…   Mais surtout encore plus étrange que ce soit Marie-Antoinette qui se charge de lui acheter des maisons !   Mais là où on nage dans le surréalisme c’est que le minimum serait de lui en indiquer l’adresse.   C’est donc vraisemblablement un code. Mais quoi, comment ? Evelyne Lever n’en dit rien.   Aaaahhhh ! Dans sa dernière lettre à Marie-Antoinette (mais il ne peut encore le savoir) Fersen lui dit en parlant d’Eléonore «son attachement pour vous est vraiment touchant et c’est ce qui me la fait aimer.» Cela me paraît tout de même assez clair ! Il dit qu’il aime Eléonore Sullivan à Marie-Antoinette parce qu’aussi dévouée que lui à la Reine. Marie-Antoinette = dévouement, service, etc ; Eléonore = amour. On n’écrit pas à la femme qu’on aime qu’on en aime une autre parce qu’elle l’aime aussi. Mais bien qu’il aime celle qui est également au service de la Reine. Et c’est Fersen qui l’écrit !  Elle vous est dévouée donc je l’aime. Il ne va pas lui écrire cela si entre lui et Marie-Antoinette c’est l’amour tel que se le figurent beaucoup ! Je ne suis pas sûr pour ma part que j’apprécierais… Mais deux serviteurs dévoués qui découvrent l’amour grâce à cette l’entremise, cela c’est merveilleux. Comme le Boudoir qui a permis l’éclosion de quelques couples. Marie-Antoinette aimait bien marier Ses serviteurs. C’est donc que Marie-Antoinette savait très bien les sentiments qu’il avait pour Eléonore ! Et Elle ne lui en tenait pas rigueur.   Encore faut-il avoir un minimum de subtilité dans ses sentiments et ses raisonnements pour comprendre…

Marie-Antoinette et le comte de Fersen

Le comte suédois Axel de Fersen fut bien plus, à la Cour de Versailles, que le stratège qui donnait des conseils politiques à Louis XVI, et l’ami dévoué qui organisa l’évasion de la famille royale en 1791. Cet homme d’une parfaite éducation fut, surtout, l’amant de la reine… books.google.be Toujours est-il que ce pseudo (qui n’est attesté, rappelons-le, que dans le contexte politique) a donné lieu, comme d’habitude, aux délires les plus fous.   Est-ce chez Evelyne Lever ? Antonia Fraser ? Une bio prétend que la reine a rebaptisé le chien reçu de madame de Lamballe, Thysbée, en « Mignon »… pourquoi ? Je vous le donne en mille !!! Par amour pour Rignon, bien sûr !!!   Bref, sans doute faudra-t-il essayer d’investiguer pourquoi la reine appelle son agent secret « rignon ». Si c’est possible… parce que si même Farr qui est allée dans tous les fjords n’a rien trouvé, c’est un peu mal barré … et j’avoue que je suis pourtant personnellement curieuse de savoir…  
2. Les allusions immobilières… autre paire de manches !   Ca a été relevé par certains biographes Et rapidement évacué. Ce serait un « code ».   Mais j’ai toujours trouvé ça très bizarre…   Etant donné que certains biens étaient effectivement négociables à bas prix. Bref…   Le silence de lever dans la correspondance est sans doute éloquent, vu que, dès qu’il y a la moindre explication à donner, elle y va.   Tenez, toujours sur Rignon, dans Baumann:     Le contexte est la fameuse fête pour Haga qui devient la fête à Fersen dans les bosquets et vous admirerez la rigueur scientifique du propos, n’est-ce pas ?   En fait, excepté leurs délires perso, la plupart des historiens modernes ne nous   En fait, hormis leurs délires persos, la plupart des historiens modernes n’apportent rien.   Farr est encore à cet égard la meilleure piste à suivre, parce qu’elle est tellement obsédée qu’on peut être sûr que s’il y a quelque chose à chercher, elle a tout remué déjà.   Autre détail intéressant à investiguer (c’est sur la même page de Farr), le surnom de « Mrs Brown » donné à la reine. Farr dit que dorset avec Georgiana et les amis anglais appelle le couple royal « mr and mrs brown », pour protéger leur anonymat.   Ok, la reine peut donc logiquement devenir Mrs Brown.   Seulement, c’est « Browne » que cite Farr.   Est-ce bien tout à fait pareil ?   Merci ! Tes interrogations rejoignent donc les miennes. Effectivement, après mes découvertes pour le moins curieuses d’hier, j’ai bien pensé à consulter Farr. Qui occulte la question, comme par hasard !   Entre les Elle, elle souligné, El, les différentes Joséphine, la reine à la troisième personne (sans oublier le fameux passage de la lettre de Fersen où il évoque à la fois la reine et une autre femme malheureuse qui ne peut donc être la même), les Brown et Rignon, nous nous retrouvons avec un sacré casse-tête ! Rien n’est simple dans cette histoire et impossible de dire que Fersen et Marie-Antoinette cachent ainsi leur relation ou même leurs menées politiques. C’est bien plus compliqué que cela en a l’air et les interprétations qui en ont été faites depuis un siècle n’ont pas pu faire autrement que d’occulter ce qui ne colle pas. Et pourquoi cela ne colle pas ? Eh bien parce que ce qu’on nous a toujours raconté est faux !   Un détail qui tue : ceux qui ne pensent qu’à Fersen jour et nuit en tant que merveilleux héros romantique auraient repris ce surnom de Rignon, tellement, tellement mignon ! Or ils n’en font rien. C’est donc bien qu’eux aussi sentent que quelque chose cloche ! Et pourtant Nathalie Colas des Francs a la manie de donner des surnoms à tout, tout, tout ! Même à sa machine à laver ! Or là, curieusement, elle ne saute pas sur l’occasion.   Grosse surprise pour moi ces spéculations immobilières. A première vue, on pense forcément à un code. Mais cela semble vraiment tout à fait concret. Hormis la description des lieux à l’anglaise qui pourrait à la rigueur évoquer l’Angleterre (et encore c’est tordu), je ne vois pas en quoi les escaliers, les écuries, le puits feraient penser à d’autres pays. Et le plus étonnant c’est que Fersen n’y répond jamais. J’avais en quelque sorte hier soir l’impression de lire deux correspondances, l’une entre Marie-Antoinette et Fersen et une autre avec une autre femme qui s’occuperait de ses affaires privées sur Paris.   Il faut que je regarde si les Girault de Coursac parlent de ces spéculations immobilières.  

Oui, il est certain que l’interprétation communément admise et désormais ressassée place Fersen dans tous les trous. Or la situation était bien plus compliquée que ça.  En même temps, tu peux compter sur moi, j’ai un radar anti-Fersen, à force, depuis les années !   C’est même ça que me reprochaient les fersinistes, l’hyper-criticisme.

Marie-Rose Demasy

Farr cite bien la lettre du 24 juillet 1792, celle des maisons, mais n’en dit rien. S’il s’agit d’un code (auquel cas elle ne l’a pas déchiffré mais aurait pu avoir l’honnêteté de le dire ce qui du coup l’obligerait d’admettre qu’elle ne sait pas tout) ou d’un réel achat (tout va bien à cette date !). Aucun commentaire alors que cela me semble franchement énorme ! 

Eh moi donc !   Je lui ai lu ensuite la lettre du 4 juin où Marie-Antoinette (selon Lever mais Farr la dit de la main de Goguelat !) pense investir ses fonds (ceux de Fersen) dans les biens du clergé. Qu’y comprendre ?

  Benjamin Warlop

Le 25 juillet 1792

C’est Fersen qui inspire le « manifeste de Brunswick », ultimatum des armées austro-prussiennes aux révolutionnaires français. Il croit fermement à une victoire rapide de la coalition et imagine même un gouvernement royaliste pour prendre la relève.

Lettre du 28 juillet 1792

« Je reçois dans ce moment la déclaration du duc de Brunswick, elle est fort bien. C’est celle de M. de Limon, et c’est lui qui me l’envoie : pour éviter tous les soupçons je ne vous l’envoie pas, mais M. de Cr. [Crawford]  l’envoie à l’ambassade d’Angleterre à milord Kery, il la donnera sûrement à M. de Lamb.[Lambesc]
Voici le moment critique, et mon âme en frémit. Dieu vous conserve tous, c’est mon unique vœu. S’il était utile que vous vous cachiez jamais, n’hésitez pas, je vous prie, à prendre ce parti ; cela pourrait être nécessaire, pour donner le temps d’arriver à vous.
Dans ce cas, il y a un caveau dans le Louvre, attenant à l’appartement de M. de Laporte ; je le crois peu connu et sûr. Vous pourriez vous en servir.
C’est aujourd’hui que le duc de Brunswick se met en mouvement. Il lui faut huit à dix jours pour être à la frontière. On croit généralement que les Aut [Autrichiens] vont faire une tentative sur Maubeuge.»

Fersen à Marie-Antoinette

Images des Années Lumière (1989) de Robert Enrico : Jean-Yves Bertelot est Fersen

Et alors le bouquet final :  le manifeste de Brunswick ! La poudre qui manquait aux révolutionnaires. Louis XVI ne sent tellement pas le coup venir qu’il croit à une manoeuvre des jacobins. Non, c’est un coup de celui qui fait tout pour sauver la femme qu’il aime. C’est franchement raté puisqu’Elle va s’en retrouver définitivement prisonnière.

Le 3 août 1792

Une majorité de sections de Paris demande la déchéance de Louis XVI.

Le 10 août 1792

C’est l’insurrection. Les Tuileries sont envahies et les gardes massacrés.

Le Roi est suspendu.

La prise des Tuileries le 10 août 1792
La Tour du Temple
Début du procès de Louis XVI à la Convention, le 11 décembre 1792 dans Les Années Terribles (1989)

Du 16 au 18 janvier 1793

La Convention vote la mort du Roi. Philippe Égalité est l’un de ceux qui ont donné leur voix pour la peine capitale.

Le 21 janvier 1793

Exécution de Louis XVI.

Le 31 mars 1793

Fersen est à Stockholm, il y reçoit une lettre de la duchesse de Polignac qui lui donne des nouvelles de la santé de la Reine :

« De Vienne le 19 mars 1793

Mr de Nolcken s’est acquitté de votre commission près de moi, Monsieur ; je suis bien reconnaissante de votre aimable souvenir. Si j’avais su plus tôt le lieu que vous habitez je me serais empressée de vous donner des nouvelles de notre malheureuse amie [Marie-Antoinette]. J’en ai eu par un médecin que je n’ose nommer. Sa santé, celle de ses enfants est bonne malgré la douleur profonde dont elle est accablée. J’ai profité de cette même occasion pour lui faire dire que tous ses amis se portaient bien, mais je n’ai pas écris moi-même et je n’ai nommé personne. Cette tendre amie a trouvé aussi le moyen de me faire dire les choses du monde les plus touchantes et les plus sensibles. Je vous laisse à juger de l’impression que cela m’a fait.


Depuis six semaines je suis malade ; il est impossible de résister à tous les genres de peines que nous éprouvons. Je pleure et // pleurerai toute ma vie notre vertueux monarque [Louis XVI], et vous devez juger quels sont mes inquiétudes sur le sort de sa famille ; je vous avoue cependant que depuis ces derniers succès j’espère un peu, mais je n’ose me livrer à cet espoir, et l’inquiétude est le sentiment qui me domine pour le moment. Je suis bien sûre que vous pensez comme moi, et cette certitude m’attache à vous plus que jamais.

Adieu, Monsieur, puisse-je vous revoir dans des temps plus heureux.»

Evidemment, on a beau avoir les mots sous les yeux, on ne s’empêche pas dans certains milieux borderline de créer la polémique : 

Heureusement, tous les lecteurs ne lisent pas béatement ce nouveau dogme que les fersinophiles auront adopté sans broncher : 

Avec une fausse candeur, madame de Sabran, alias Nathalie Colas des Francs, met en oeuvre son inénarrable mauvaise foi : 

Quand les alliés se réjouissent d’une pseudo supériorité quant à leurs informations : 

 

C’est nous, Olivia, Marie-Rose et Benjamin, qui sommes visés par ce qualificatif de fersinophobe…. Or, notre étude vise non pas Fersen lui-même, mais à faire le tri entre l’oeuvre effective du suédois et sa légende. Or ces deux intervenants en sont des principaux concepteurs. 

Ils défendent l’un et l’autre l’amour de Fersen pour Marie-Antoinette, alors que leur notion de la chose n’est pas la même. 

N’est-il pas nuisible à un héros de devoir lui constituer une mythologie ; surtout si, telle qu’elle est faite, les documents historiques permettent de les réfuter, cela prouve aux yeux du monde que tout ce qui suscitait l’admiration du héros n’est qu’invention. 

L’étude d’Evelyn Farr naît d’une conviction personnelle consiste à chercher toute trace historique, tout témoignage qui argumentera son idée… et à taire le reste ! C’est un procédé anti-scientifique (très anglais). J’ose penser que notre présente étude diffère de cette méthode… Evoquer ces personnes que nous avons côtoyées jadis est sans doute une preuve de notre intégrité. Nous pouvions les taire. Mais ils sont l’illustration-même de ce que réfute cette étude. 

N’est-ce pas un peu facile de taxer de fersenophobie ceux qui ne constatent pas dans votre démonstration la preuve que … ?
C’est en tout cas l’occasion d’observer le manichéisme de certains.
Le gris n’existe pas… c’est ou tout noir ou tout blanc

Benjamin Warlop en 2015

En avril 1793

Marie-Antoinette adresse un dernier message à Jarjayes qu’Elle lui transmet par Toulan qui monte la garde au Temple :

«Dites-moi ce que vous pensez de ce qui se passe ici

griffonne-t-Elle dans la marge.

« e… vous remettra les choses convenues pour ha… l’empreinte que je joins ici est toutte autre chose je desire que vous la remettiez a la personne que vous savez etre venu me voir de Bruxelles l’hiver dernier, et que vous lui disiez en meme temps que la devise n’a jamais été plus vraie.  ( l’ « empreinte » est celle d’un pigeon volant, avec une devise « Tutto a te mi guida » [« tout me conduit vers toi »] destinée à Axel de Fersen)
Si vous n’etes pas content de h.. allez trouver mon neveu de ma part, vous pourrez aussi si vous voulez voir (septime) qui est ma ton dit a Londres depuis le mois d aoust et lui demander ce que vous avez payé ia pour nous si vous en avez besoin il connoit ma confiance aussi mais s’il est nécessaire vous pourrez lui faire voir ceci et lui dire ce que vous avez fait pour nous il nous est trop attaché pour ne pas en sentir le prix. au reste je m’engage a lui faire tenir compte de ce qu’il vous remettera et j’en fais meme s’il le faut mon affaire prop.
Dites moi ce que vous pansez de ce qui se passe ici»

D’ailleurs… à propos de Tutto a te mi guida… Il nous est permis de tout remettre en question aussi…

Benjamin Warlop

En citant Simone Bertière, Nathalie Colas des Francs écrit :

Nous ne savons toujours pas ce qu’était le support de la devise tutto a te mi guida que Marie-Antoinette envoie à Fersen ? Était-ce une bague ? 
Fersen, quant à lui, dans son journal, parle d’une empreinte .Fersen, après avoir recopié dans son journal ce fragment de lettre que lui a transmis le messager, en explique le sens.
L’empreinte provenait d’un cachet que la reine s’était fait faire aux armes de son «grand ami». Il représentait un pigeon aux ailes déployées parce qu’on avait pris pour un oiseau le poisson volant figurant dans ses armoiries. La devise portait «Tutto a te mi guida».
Hélas, le morceau de carte où elle avait imprimé son cachet était vierge, la chaleur avait tout effacé. Restait le message « tout me conduit vers toi », plus vrai que jamais .  

L’histoire de cette bague nous vient donc de Fersen aussi, encore…. Est-ce bien Jarjayes qui est censé la lui avoir remise? A-t-on un témoignage de sa part à cet effet?

Benjamin Warlop

J’en viens même à me demander si Fersen aurait pu s’être fait adresser des faux …. Rétaux de Vilette est un contemporain après tout….   Pas mal comme piste ! En fait j’ai toujours été dans le flou dans cette histoire de bague(s) et de devises. Impossible d’en établir la chronologie et surtout d’en connaître le nombre. Il y a un message et une bague (du moins je crois) + devise («Lâche qui les abandonne» ou «Tutto a te me guida») par l’intermédiaire d’Esterházy à l’époque Tuileries post-Varennes puis un autre envoi, avec une des deux autres devises, plus un «Cela n’a jamais été aussi vrai» par Jarjayes, période Temple je pense. Et d’autres sûrement que j’oublie. Bref, ce n’est pas du tout clair dans ma tête. Il faut dire que les biographes n’insistent pas vraiment sur la question. Sûrement une piste, une fois celle-ci bien ordonnée, qui nous apportera sûrement encore des surprises.   Pour les faux, cela ne fait aucun doute pour les GDC et l’attrapent à plusieurs reprises. Après, faut-il encore déterminer s’ils ne sont pas une fois de plus aller trop loin.   Surtout si Fersen recopie ce message dans son journal ! Il peut écrire ce qui lui chante ! Comme toi, je trouve que l’histoire des bagues est floue et se confondent… ça arrange la romance de n’être pas trop clair…..

Si on pouvait, on demanderait à Nathalie Colas des Francs de nous expliquer ce qui s’est passé… On verrait combien tout est flou (mais extraordinaire) dans son esprit aussi !   Parce que dans ce « Tutto a te mi guida » demeure leur preuve ultime de l’amour partagé et c’est ce par quoi ils se donnent le droit de fustiger Louis XVI !

Benjamin Warlop

Toulan remet à Jarjayes le legs que Cléry a caché après la mort du Roi : son anneau de mariage, son cachet ainsi que des cheveux de la Reine et des enfants devront être transmis à Monsieur, qui est à Hamm, en Westphalie. Marie-Antoinette conseille à Jarjayes d’aller voir Son neveu, François II ou Septeuil , toujours tracassée par les sommes considérables que Jarjayes a dû payer pour l’organisation de l’évasion manquée. Elle se sent responsable de leur remboursement.

Madame de Jarjayes, déguisée en lingère entre et sort du Temple pour tenir Marie-Antoinette informée du projet d’évasion. Une fois hors du Temple, Toulan préconisait la fuite vers la côte, pour cela une vaste berline dans laquelle prendraient place Marie-Antoinette et les siens ainsi que Jarjayes et Lepître tandis que Toulan à cheval les précéderait afin de préparer l’embarcation qui devait les conduire outre Manche. Mais Marie-Antoinette leur rappelle Varennes et il est préféré l’emploi de trois cabriolets.

Images de Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy : on y voit Fersen échafaudant un plan d’évasion de la Reine au Temple…
alors que c’est Jarjayes qui œuvrait alors avec Toulan

Finalement, Marie-Antoinette refuse le projet de La faire évader seule du Temple.

Voir cet article :

Dans la nuit du 2 au 3 août 1793

Marie-Antoinette est transférée de nuit à la Conciergerie. Elle y est traitée avec une certaine bienveillance par une partie du personnel de la prison, dont surtout Rosalie Lamorlière (1768-1848).

Départ de Marie-Antoinette du Temple

Quand Fersen apprend la nouvelle du transfert de la Reine à la Conciergerie, antichambre de la mort, il essaie d’obtenir du prince de Cobourg qu’il marche sur Paris, mais c’est en vain.

La Veuve Capet par Jean-Louis Prieur
Caroline Sihol incarnait la Reine dans Je m'appelais Marie-Antoinette de Robert Hossein

 Le 14 août 1793

« Ma chère Sophie, ma seule et unique amie !
Vous savez sans doute en ce moment le malheur affreux de la translation de lka reine dans les prisons de la Conciergerie et le déc ret de cette exécrable Convention, qui laa livre au tribunal révolutionnaire pour être jugée. Depuis cet instant je ne vis plus, car ce n’est pas vivre que d’exister comme je fais, ni de souffrir toutes les douleurs que jh’éprouve. Si je pouvais encre agir sur sa délivrance, il me semble que je souffrirais moins ; mais de ne pouvoir rien faire que par des sollicitations est affreux pour moi…. Il n’y a que vous qui puissiez sentir tout ce que j’éprouve. Tout est perdu pour moi… Mes regrets seront éternels et rien que la mort pourra me les faire oublier… Je ne puis m’occuper de rien, je ne puis penser qu’au malheur de cette infortunée et digne princesse. Je n’ai pas la force d’exprimer ce que je sens, je donnerais ma vie pour la sauver et je ne le puis ; mon plus grand bonheur serait de mourir pour elle  et pour la sauver.»

Axel de Fersen à sa soeur Sophie von Piper

Le 13 octobre 1793

Fersen et Éléonore Sullivan ont une conversation décisive, que nous connaissons par le journal du comte. Tous deux se rendent bien compte qu’ils ne peuvent pas continuer comme ça, se suivant mutuellement et suivant Quintin. Il faut qu’une décision se prenne. Mais Éléonore a l’air de faire mieux le tri dans ce qu’elle ne veut plus que dans ce qu’elle désire…

« Éléonore me parla de sa position; elle en est ennuyée à l’excès; elle me dit être résolue à finir cette vie qui lui était insupportable. Elle m’assura qu’elle viendrait avec moi, mais qu’elle ne pouvait aller en Suède, dont le climat était trop froid, et qu’elle ne pouvait rien finir avant que je me fusse décidé.»

Dagbok de Fersen

Le 14 octobre 1793

Marie-Antoinette comparaît devant le président Herman (1759-1795).

Ute Lemper dans L'Autrichienne (1990) de Pierre Granier-Deferre

Durant le procès, le nom de Fersen est succinctement évoqué : 

Qui vous a fourni ou fait fournir la fameuse voiture dans laquelle vous êtes partie avec votre famille ?
C’est un étranger.
De quelle nation ?
Suédoise.
N’est-ce point Fersen (colonel au régiment du ci-devant Royal-Suédois), qui demeurait à Paris, rue du Bac ?
Oui.

Si les sentiments de la Reine étaient si connus de tous, on se demande pourquoi les accusateurs ne sont pas tombés sur l’occasion pour La confondre, surtout que Sa défense est basée sur le fait qu’Elle était l’épouse du Roi et qu’il fallait bien qu’Elle se conforme à ses volontés…. Mais si à lire Farr, toutes les Cours étrangères savaient ce qui existait entre Marie-Antoinette et Fersen, il semble que celle du tribunal révolutionnaire n’en savait rien.  Il faut dire qu’ils L’avaient déjà accusée d’inceste, Lui offrant une répartie se nsasionnelle qui aurait bien pu La sauver selon certains témoins : 

« Si je n’ai pas répondu (à l’accusation) c’est que la nature se refuse à une pareille inculpation faite à une mère. J’en appelle à toutes ce:lles qui peuvent se trouver dans cette salle !»

 Le 16 octobre 1793

Exécution de Marie-Antoinette, place de la Révolution .

Quelques jours après ces réflexions où Axel a bien pesé le pour et le contre, il apprend que Marie-Antoinette a été guillotinée, et se lamente. Quelque temps encore, ce trio continue sa vie errante, soudé par la douleur et les souvenirs.

Axel écrit alors à sa chère amie Elizabeth Foster :

Bruxelles, le 22 octobre 1793
« Je ne croyais pas, aimable Milady, en recevant la vôtre du 10 de ce mois, que ma réponse aurait à vous annoncer une nouvelle aussi affligeante pour mon cœur .   Vous savez sans doute déjà que la Reine de France, le modèle des Reines et des femmes n’est plus. C’est le 16, à 11 heures du matin, que ce crime a été consommé . Il fait frémir la nature et l’humanité, et mon cœur est cruellement déchiré. Le vôtre est trop sensible pour ne pas partager ma douleur.  Elle n’est allégée que par l’idée que, du moins, cette princesse infortunée est délivrée des maux et des chagrins affreux qu’elle éprouvait depuis quatre ans et auxquels sont courage seul pouvait résister.   Mme de Fitz-James est extrêmement affligée, nous pleurons ensemble notre perte commune . Je tâche de la consoler, mais hélas j’ai trop besoin moi-même de consolation pour pouvoir lui en donner. Je n’ai pas la force de vous donner aucun détail sur ce triste événement, d’ailleurs ceux que nous avons sont peu exacts.
Adieu, ma chère amie, plaignez-moi, donnez-moi de vos nouvelles et croyez à la tendre amitié que je vous ai vouée.
Mille choses à notre bonne et aimable duchesse. Je reçois dans l’instant votre paquet pour le comte Elliot, et je vais remettre votre lettre à la duchesse de Fitz-James. Le comte Elliot est arrivé hier au soir et parti ce matin .»

Chaque 16 octobre, Fersen passera la journée à pleurer celle qui, à ses yeux, incarnait le «modèle des reines et des femmes».

Comment peut-on savoir que personne n’a été inconsolable comme lui à la mort de Marie-Antoinette ? Parce qu’il en est amoureux ?
C’est refuser tous sentiments, tout chagrin à tous les autres qui furent proches de Marie-Antoinette ! Que fait-on de madame de Polignac ? Qu’a-t-on déjà écrit sur sa tombe ? De Marie-Thérèse ? Parce que celle-ci ne fait justement jamais étalage de ses sentiments, doit-on lui refuser qu’elle fut réellement la personne la plus malheureuse du monde ?

« Le seul objet de mon intérêt  n’existe plus ; lui seul réussissait tout pour moi et c’est à présent que je sens bien combien je lui étais véritablement attaché ; il ne cesse de m’occuper ; son image me suit et me suivra sans cesse et partout je n’aime qu’à en parler, à me rappeler les beaux moments de ma vie. Hélas ! Il ne m’en reste que le souvenir ! Mais je le conserverai et celui-là ne me quittera qu’avec la vie. J’ai donné commission d’acheter à Paris tout ce qu’on pourrait trouver d’Elle, tout ce que j’en ai est sacré pour moi ; ce sont des reliques qui seront sans cesse l’objet de mon admiration constante.»

Axel de Fersen à sa soeur Sophie von Piper

Les origines de la légende sur la relation entre Marie Antoinette et Fersen n’étaient pas mis en circulation par ses ennemis révolutionnaires, qui certainement utiliserait n’importe quoi pour discréditer la Reine lors de son procès. Le nom de Fersen était prononcé devant le Tribunal révolutionnaire uniquement sur le fait qu’il avait conduit la berline de la famille royale à Paris en juin 1791, dans la tentative d’évasion désespérée qui s’est terminée à Varennes. C’était plutôt un courtisan, le comte de Saint-Priest, qui a formulé les insinuations sur la Reine et Fersen dans ses mémoires, probablement pour couvrir l’humiliation découlant du fait qu’Axel a eu une liaison avec madame Sophie Saint-Priest, sa femme. Madame de la Tour du Pin, Dame de compagnie de la Reine raconte dans ses mémoires que « le comte de Fersen est dit amant de la Reine Marie Antoinette et est même venu nous rendre visite chaque jour à Trianon ».
Il raconte dans un paragraphe consacré à son enfance, où il a parlé de plusieurs hommes qui, selon les potins, avaient été « considérés comme » les amants de sa mère, madame Dillon. Puis l’histoire de Fersen a été confondue avec d’autres histoires.

Le 21 janvier 1794

Fersen reçoit la copie d’un billet de Marie-Antoinette à Jarjayes avec une lettre de Jarjayes.

« Il m’apporta une lettre de M. de Jarjayes qui ne me disait pas tout ce que j’espérais. Il m’envoyait seulement un fragment de lettre de la R… à lui, dont voici la copie. C’était écrit par elle-même.
« Vous ne pouvez pas douter du regret que j’éprouve de vous voir partir, mais je sais vos raisons, et votre zèle et votre attachement se montrent encore d’une manière bien touchante pour nous. Nous avons fort approuvé ce qu’on nous a dit de votre part. Vous en voyez la prevue par ce qu’on vous remettra. Il est essentiel de recommander aux personnes que vous allez trouver le plus grand secret. J’ai cru même devoir me réserver de dire un jour moi-même le nom de t… pour vous éviter toute question sur cela, et que vous puissiez dire que vous l’ignorez. Quand vous serez en lieu de sûreté, je voudrais bien que vous puissiez donner de mes nouvelles à mon grand ami qui est venu l’année dernière me voir. Je ne sais où il est, mais ou Mr. Gog: [Goguelat] ou Mr. Crawford, que je crois à Londres, pourront vous l’indiquer. Je n’ose pas lui écrire, mais voila l’empreinte de ma devise. Mandez en l’envoyant que la personne à qui elle appartient sent que jamais elle n’a été plus vrai. »  Cette devise était un cachet portant un pigeon volant avec la devise tutto a te mi guida. Son idée avait été dans le temps de prendre mes armes, et on avait pris le poisson volant pour un oiseau. L’empreinte était sur un morceau de carte, malheureusement la chaleur en avait absolument effacé l’empreinte. Je le conserve malgré cela précieusement dans ma cassette avec la copie du billet et le dessein du cachet.»

Axel de Fersen, journal

En octobre 1794

Les amis doivent abandonner Bruxelles, reprise par les Français. Ils se fixent à Francfort auprès de la famille d’Orsay. Fersen apprend la mort de son père et se voit contraint de rentrer en Suède. Sur les biens considérables dont il va hériter, il prévoit une rente viagère pour Éléonore.

En Suède, la beauté nostalgique de Fersen fait tourner toutes les têtes. Mais aucune de ses adoratrices ne lui paraît préférable à Éléonore. Aussi, après un voyage de quelques mois à Vienne pour y rencontrer la duchesse d’Angoulême, rejoint-il le couple Craufurd à Francfort.

« Le comte de Fersen, que l’on disait être l’amant de la reine Marie-Antoinette, venait de même presque tous les jours chez nous …»

Mémoires de la marquise de la Tour du Pin

Le conditionnel est comme un aveu de la marquise de la rumeur qu’elle colporte dans ses mémoires…

Le 16 octobre 1794

« Ce jour était un jour mémorable pour moi ; c’est celui où j’ai perdu la personne qui m’aimait le plus au monde et qui m’aimait véritablement. Je pleurerai sa perte toute ma vie, et je sens que tout mon sentiment pour El : (Eléonore Sullivan) ne peut me faire oublier tout ce que j’ai perdu.»

Axel de Fersen dans son dagbok

Fersen évoque l’amour qu’on lui voue…. sans parler de réciproque car il est dans l’adoration.

En janvier 1795

« J’ai mis le nouvel uniforme, il a été trouvé très beau et j’ai reçu beaucoup de compliments sur la façon dont il m’allait et sur ma tenue. Tout le monde au bal est venu me voir et, en entrant, les yeux n’étaient que pour moi. … Au souper, plusieurs femmes que je n’avais pas vues la veille ont demandé à me voir dans mes nouveaux vêtements. Mon amour-propre s’en réjouit. »

Extrait du journal d’Axel de Fersen

Le Fersen de 1778 reprend du service en paradant dans son uniforme…

En 1795

Fersen est de retour au sein du couple Craufurd.

 

 

 

Le 8 juin 1795

Mort de Louis XVII à l’âge de dix ans. Il était atteint de tuberculose osseuse.

Louis XVII agonisant

Faire d’Axel de Fersen le père biologique de Louis-Charles de France, comme s’applique Evelyn Farr dans sa littérature, est le pire outrage qu’on puisse faire au suédois car étant donné sa non-réaction pour sauver l’enfant du Temple, cela fait de lui le pire père du monde, un salopard fini ! 

Fersen écrit alors qu’il ne se soucie plus de «Madame Royale».

Le 19 décembre 1795

Marie-Thérèse, l’Orpheline du Temple quitte sa prison vers quatre heures du matin le jour de ses dix-sept ans, escortée d’un détachement de cavalerie afin de se rendre à Bâle, où elle est remise aux envoyés de l’Empereur François II.

Marie-Thérèse de France portant le deuil de sa famille par Heinrich Füger

Son séjour forcé à Vienne la rend froide et maussade tandis que le comte de Provence, alors en exil à Vérone, ne se résout pas à la voir entre les mains de l’Empereur.

Au moment de la libération de Madame Royale. Fersen suit les tribulations de cette malheureuse princesse de près…

En réalité Fersen traquera l’adolescente Marie-Thérèse, fraîchement libérée de Paris  et ayant perdu tous les membres de sa famille immédiate, autour de Vienne parce qu’il veut qu’elle lui rembourse l’argent investi pour l’évasion ratée vers Montmédy afin de se fournir une vie confortable pour lui et sa maîtresse, Eléonore Sullivan.

Fersen loue la princesse lorsqu’il la voit pour la première fois à Vienne, puis en revient à ses propos grossiers à son encontre lorsqu’il devient évident qu’elle ne lui fournira pas d’argent.

Le 15 juillet 1798

« Ce jour était remarquable pour moi, c’était celui où je revins de Dunkerque chez madame de Matignon et où j’allais l’après-dîner chez Elle.»

Dagbok

2/ Le dagbok

C’est le journal quotidien d’Axel de Fersen, où il s’épenche de ses problèmes de santé, livre le programme de ses journées, ses conquêtes et ses sentiments face aux événements qu’il traverse. Ses révélations à lui-même (a priori ) nous permettent de nous rendre compte qu’il ment régulièrement dans ses lettres, notamment à son père. Tous les journaux des années précédents 1791 ont été détruits par son valet lorsque la famille royale s’est évadée pour Montmédy le 20 juin 1791 …

« Je me porte à merveille ici, j’ai beaucoup à faire, les femmes sont jolies, aimables et coquettes, voilà tout ce qu’il faut.»

Axel de Fersen 

Il est alors en compagnie de Lauzun…

On sait qu’il existe une Joséphine au service d’Eléonore. Une autre qui serait probablement la Reine, mais d’une certitude de la part d’Alma Söderhjelm pour une seule fois, Joséphine devient la Reine pour toutes les autres occurrences.

3/ Correspondance entre Fersen et Marie-Antoinette

Je ne mets pas les relations de Marie-Antoinette avec Fersen et Simolin sur un pied d’égalité. Je fais tout à fait la différence entre un envoyé russe que Marie-Antoinette recevait pour demander de l’aide à Catherine II et celui à qui elle écrit très régulièrement et qui est son homme de confiance pour la sauver du désastre révolutionnaire.

Par contre, eh oui j’insiste, curieusement on ne reprend pas ce que j’ai écrit là-dessus pour appuyer ma démonstration, étant donné que 95% de la correspondance Marie-Antoinette/Fersen mise à jour actuellement parle de politique, je suis dans l’obligation de croire en me fiant aux sources présentes, que leurs conversations avaient pour objet principal la politique. Ainsi qu’avec Simolin. Mais il est sûr que Marie-Antoinette devait forcément plus creuser le sujet avec Fersen, son homme de confiance, qu’avec Simolin, envoyé de la Tsarine.

Je le répète, je me fie aux sources, je n’extrapole pas. Si leurs lettres parlent en grande majorité de politique, pourquoi devrais-je penser autrement ? Si par le plus grand des hasards, on nous sort d’autres passages et d’autres lettres dont le sujet dépasse en quantité la politique, alors j’admettrai que cet autre sujet pourrait être le centre de leur préoccupations communes.
Pour l’instant ce n’est pas le cas.

Peut-on me certifier que les mots d’amour dans leur correspondance dépassent la politique ? On pourra me rétorquer que la qualité doit primer sur la quantité. Oui mais alors nous tombons dans un jugement de valeur car comment juger de la qualité des autres sujets évoqués dans leur correspondance ? Or l’Histoire ne repose pas sur des jugements de valeur, des opinions, des sentiments, mais sur des faits.

Marie-Antoinette avait également des tête-à-tête avec madame de Polignac, la plus tendre des amies. Faut-il pour autant en conclure ce que d’autres ont conclu quand elles s’enfermaient ensemble ?

Olivia Legrand

Madame de Polignac était une amie .  Nous savons bien ce qu’est une amie.  Cela n’a rien à voir avec l’homme aimé … puisque, en l’occurrence, Marie-Antoinette aime Fersen . Elle ne cesse de le lui écrire. Comme les mots tendres entre les deux amies me semblent tout autant équivalents que ceux entre Marie-Antoinette et Fersen, j’en conclus que Marie-Antoinette ne faisait pas spécialement de différences dans ses sentiments pour l’un ou pour l’autre.
Encore une fois je me fie aux sources et non aux extrapolations des témoins de l’époque ou de mes propres sentiments sur la question.
Je fais la différence entre une Marie-Antoinette qui a droit à l’amour et ce que ses propres mots m’apportent.

Nathalie Colas des Francs

4/Analyse de ce qu’en disent les historiens du XIXe siècle

Le livre-journal de madame Eloffe, publié par Gustave-Armand de Reiset, 1885

Le comte de Fersen a joué un si grand rôle comme ami dévoué de la Reine, que je crois de mon devoir de consacrer ici quelques lignes en l’honneur de ce gentilhomme, qui était un véritable chevalier.
(…) Il était de haute taille et d’une figure très régulière. La première fois qu’il vit la Reine (Marie-Antoinette était encore Dauphine ! ) , il fut frappé de sa beauté, et Marie-Antoinette de son côté le distingua; elle avait vite compris ce que pouvait être le dévouement d’un pareil homme doué de tant de belles qualités.
Il n’en fallait pas davantage pour répandre les mauvais bruits qui ont couru alors, à propos de l’intimité de la Reine et de ce bon et loyal ami.
Jamais, cependant, il n’y a rien eu de répréhensible dans leurs rapports mutuels; nous les avons étudiés dans tous les ouvrages du temps avec le plus grand soin et toute l’impartialité dont nous sommes capable; le comte de Fersen avait pour la Reine l’affection la plus respectueuse et la plus dévouée; pour elle il aurait donné sa vie sans jamais hésiter; la Reine s’intéressait également à lui, et lui avait donné sa confiance; le Roi , de son côté, reconnaissait dans M. de Fersen un homme de bon conseil et estimait fort son noble caractère; il s’était ouvert à lui de ses projets de fuite, sachant que personne ne pouvait mieux le servir et le seconder en cette difficile circonstance.
Il est une chose à regretter, c’est que le comte de Fersen n’ait pas accompagné jusqu’au bout la famille royale dans ce voyage de Varennes; il était homme d’énergie et capable de sauver le Roi malgré lui, et même de lui tenir tête quand il aurait fallu en venir aux mesures de rigueur que Louis XVI , pour épargner l’effusion de sang, ne pouvait se résigner à prendre.
Voilà quel était l’homme qui avait préparé et dirigé cette affaire de Varennes; on comprend la douleur qu’il ressentit à la nouvelle de l’insuccès de ce triste voyage. Il voyait clairement la marche de la Révolution et ne se faisait aucune illusion sur le sort réservé au Roi et à la Reine. C’est pourquoi , pendant son séjour à l’étranger, lorsqu’il ne pouvait venir à Paris où il était trop connu , il fit tout ce qu’un ami pouvait faire pour sauver la famille royale.
Je regrette beaucoup que M. le baron de Klinckowström , qui a publié en 1878 les papiers du comte de Fersen , son grand-oncle, n’ait pas voulu accepter ma proposition de soumettre à des hommes capables et experts en écritures les passages des lettres qu’il laisse en blanc dans la publication qu’il en a faite, parce qu’ils ont été raturés. Dans un sentiments assurément bien respectable , M. de Klinckowström n’a pas voulu qu’on touchât aux autographes dont son oncle avait jugé à propos d’effacer quelques lignes; ces suppressions ont cependant donné lieu à d’injustes suppositions . Je suis persuadé que sous ces ratures on ne trouverait rien qui ne pourrait être divulgué pour le plus grand honneur de la Reine et du comte. Ils avaient sans doute , je le répète, l’un pour l’autre une grande amitié; mais elle était bien placée de part et d’autre , car sous le rapport des affections la Reine était une femme admirable; elle n’abandonnait jamais quelqu’un après l’avoir pris une fois en amitié.
Que de faussetés n’a-t-on pas imprimées sur ces sentiments de la Reine ! Je suis assez âgé pour avoir vécu avec bien des personnes qui avaient connu le comte de Fersen et Marie-Antoinette , et je n’en ai trouvé aucune qui ait jamais suspecté leurs relations. Sans doute la Reine voyait son ami au plaisir, mais quel mal y a-t-il à cela? Elle le lui avoue même dans la lettre du 7 décembre 1791. « Il est absolument impossible, dit-elle, que vous veniez ici dans ce moment: ce serait risquer notre bonheur , et quand je le dis, on peut m’en croire, car j’ai un extrême désir de vous voir. »

Louis Geoffroy

Stedingk avait pour ami intime à Paris et à Versailles son compatriote, le célèbre et malheureux comte Axel Fersen, celui qu’on appelait le beau Fersen, comme on disait le beau Dillon. Il était, lui aussi, de noble naissance, non point sans doute qu’on doive ajouter foi aux inventeurs de généalogies qui le font descendre des Mac-Pherson d’Ecosse, comme ils donnent pour premier aïeul à une autre famille suédoise, celle des Fleming, le consul romain Titus Quinctius Flamininus. L’illustration était ici toute moderne, mais éclatante : le père d’Axel était ce fameux comte Frédéric-Axel Fersen, chef éloquent de l’ancien parti français ou des chapeaux en Suède, et constant inspirateur, sous Gustave III lui-même, d’une opposition libérale. La fortune, l’intelligence, les talens, l’élégance extérieure et la beauté même paraissaient héréditaires dans les diverses branches de cette famille. La sœur d’Axel, Sophie Fersen, inspira au plus jeune frère de Gustave III, le duc Frédéric, une passion ardente et sincère ; ce prince la demanda en mariage, et ne se consola pas de son refus. Axel avait pour tante la belle Charlotte-Frédérica Sparre, comtesse de Fersen, qui avait été admirée à Paris, où on l’appelait « la charmante rose » au temps de l’ambassade du comte de Tessin, et pour qui Fontenelle, à quatre-vingt-dix ans, avait écrit de jolis vers. Il avait enfin pour cousines Ulrica et Augusta Fersen, celle-ci mère des deux frères Löwenhielm, dont l’aîné, Gustave, ministre de Suède en France de 1818 à 1856, a laissé dans notre société parisienne un souvenir si respecté. — Après avoir étudié à Strasbourg et à l’académie de Turin, fort célèbre alors, Fersen entra dans le régiment de Royal-Bavière et vint à la cour de France, où il fut présenté, comme Stedingk, sous les auspices de Gustave III. De retour en Suède après ce premier voyage de France et d’Angleterre, on le voit briller, auprès du roi son maître, dans les nombreuses fêtes de Gripsholm et d’Ulricsdal, et son nom paraît aux premiers rangs dans les programmes qui nous restent de ces élégantes journées. Représente-t-on à la cour de Suède le 24 février 1776 la foire de Saint-Germain, — le voici qui, déguisé en jockey anglais, fait exécuter cent tours à un cheval savant. Deux mois après, il paraît avec sa sœur dans la Rosière de Salency, où tous deux font partie du ballet des « pâtres et pastourelles, » pendant que leur père, le sénateur, figure comme « un voisin du lieu, » et que leur oncle Charles, grand-veneur, représente « le bailli. » Il se retrouve encore, au mois d’août suivant, dans un splendide tournoi qui dure trois journées. — C’était ainsi, nous le disions, qu’on plaisait à Gustave III, et que tant de jeunes seigneurs suédois commençaient gaîment auprès de lui des carrières, destinées pour plusieurs d’entre, eux, à devenir sanglantes.

Axel Fersen, déjà signalé par l’éclatant renom de sa famille, s’était, partout fait accueillir par ses propres qualités. Dès son premier voyage en France, à la date du 29 mai 1774, Creutz, l’ambassadeur de Suède à Paris, lui rend ce premier témoignage :

« Le jeune comte de Fersen vient de partir pour Londres. De tous les Suédois qui ont été ici de mon temps, c’est celui qui a été le plus accueilli dans le grand monde. Il a été extrêmement bien traité de la famille royale. Il n’est pas possible d’avoir une conduite plus sage, et plus décence que celle qu’il a tenue. Avec la plus belle figure et de l’esprit, il ne pouvait manquer de réussir dans la société : aussi l’a-t-il fait complètement. Votre majesté en sera sûrement contente ; mais ce qui rendra surtout M. de Fersen digne de ses bontés, c’est qu’il pense avec une noblesse et une élévation singulières. »

Cet éloge que Fersen méritait déjà à vingt ans à peine (il était né le 4 septembre 1755), nous l’allons voir s’en montrer plus que jamais digne dans une circonstance délicate de sa vie. De retour en France sa faveur à la cour devint extrême et ne tarda pas à être fort remarquée. C’était en 1779, et l’on sait que les soupçons malveillans contre Marie-Antoinette n’attendirent pas la fatale affaire du collier pour l’atteindre comme souveraine et comme femme. Fersen était accueilli dans les cercles intimes de la reine ; le même accueil fait à Stedingk passa pour n’être qu’une feinte qui devait dissimuler la présence, particulièrement désirée, de son ami ; on accusa les petites fêtes données pour la reine par Mmes de Lamballe et de Polignac dans leurs appartemens, et où Fersen était admis ; on parla de rencontre, et d’entretiens prolongés pendant les bals de l’Opéra, de regards échangés à défaut d’entretiens pendant les soirées intimes de Trianon ; on avait vu la reine, assurait-on, chantant au piano les couplets passionnés de l’opéra de Didon Ah ! que je fus bien inspirée Quand je vous reçus dans ma cour !

Chercher des yeux Fersen et mal dissimuler son trouble. Il n’en avait pas fallu davantage pour faire ajouter publiquement le nom du jeune comte à ceux dont la calomnie croyait dès lors pouvoir s’armer contre Marie-Antoinette. ― Voici quelles furent, dans la situation difficile qui lui était faite, l’attitude et la résolution du jeune officier suédois ; nous en pouvons le récit dans une dépêche secrète adressée à Gustave III par le comte de Creutz : 

« 10 avril 1779. Je dois confier à votre majesté que le jeune comte de Fersen a été si bien vu de la reine que cela a donné des ombrages à plusieurs personnes. J’avoue que je ne puis pas m’empêcher de croire qu’elle avait du penchant pour lui : j’en ai vu des indices trop sûrs pour en douter. Le jeune comte de Fersen a eu dans cette occasion une conduite admirable par sa modestie et par sa réserve, et surtout par le parti qu’il a pris d’aller en Amérique. En s’éloignant, il écartait tous les dangers ; mais il fallait évidemment une fermeté au-dessus de son âge pour surmonter cette séduction. La reine ne pouvait pas le quitter des yeux les derniers jours ; en le regardant, ils étaient remplis de larmes. Je supplie votre majesté d’en garder le secret pour elle et pour le sénateur Fersen. ― Lorsqu’on sut le départ du comte, tous les favoris en furent enchantés. La duchesse de Fitz-James lui dit : « Quoi ! monsieur, vous abandonnez ainsi votre conquête ? ― Si j’en avais fait une, je ne l’abandonnerais pas, répondit-il ; je pars libre, et malheureusement sans laisser de regrets. » Votre majesté avouera que cette réponse était d’une sagesse et d’une prudence au-dessus de son âge. »

Ceux de nos contemporains qui ont connu monsieur de Fersen rapportent en effet qu’il était d’une discrétion rare ; ils disent qu’on pouvait bien le faire répondre à une question, à deux peut-être, mais non pas à une troisième, car il entrait aussitôt en défiance de lui-même, sinon des autres, Le duc de Lévis, dans ses Souvenirs, le représente d’une taille haute, d’une figure régulière sans être expressive, d’une conversation peu aminée, de plus de jugement que d’esprit, circonspect avec les nommes, réservé avec les femmes, sérieux sans être triste. « Sa figure et son air convenaient fort bien, ajoute-t-il, à un héros de roman, mais non pas d’un roman français, dont il n’avait ni l’assurance ni l’entrain. »

Son départ, dans les circonstances que nous venons de dire, fit taire les bruits injurieux. Il fallait bien qu’ils n’eussent pas une grande consistance, puisque les dépêches de cette époque en général, et particulièrement celles de Creutz, si vivement intéressé, n’offrent à ce sujet aucune autre médisance. Nous y trouvons au contraire de nouveaux témoignages d’une estime non équivoque prodigués vers le même temps à Fersen. Diverses personnes, voulant le recommander, n’hésitent pas à rappeler auprès de M. de Vergennes et de tous ceux que l’honneur de la reine, et le respect de la cour doivent toucher de quel crédit ce jeune homme a été honoré par Marie-Antoinette et Louis XVI. Le père de Fersen et le comte de Creutz s’adressent à notre ministre des affaires étrangères, Gustave III à Louis XVI, pour obtenir en sa faveur les récompenses de sa bonne conduite en Amérique, où il vient de faire, d’abord comme aide de camp de Rochambeau, la campagne de 1780, puis celles de 1781, 1782 et 1783. Ils n’eussent certainement pas invoqué, comme ils le font dans chaque lettre, la bienveillance témoignée quelques années plus tôt par la reine, si le scandale eût été attaché invinciblement à ce souvenir. Gustave III avait adressé à Louis XVI, dans les premiers jours de septembre 1783, le billet suivant :

« Monsieur mon frère et cousin, le comte de Fersen ayant servi dans les armées de votre majesté en Amérique avec une approbation générale, et s’étant rendu par là digne de votre bienveillance, je ne crois pas commettre une indiscrétion en vous demandant un régiment-propriétaire, pour lui. Sa naissance, sa fortune, la place qu’il occupe auprès de ma personne, la sagesse de sa conduite, les talens et l’exemple de son père, qui a joui auparavant de la même faveur en France, tout m’autorise à croire que ses services ne pourront qu’être agréables à votre majesté, et, comme il restera également attaché au mien et qu’il se partagera entre les devoirs qu’exige son service en France et en Suède, je vois avec plaisir que la confiance que j’accorde au comte de Fersen et la grande existence dont il jouit dans sa patrie étendront encore davantage les rapports qui existent entre les deux nations et prouveront le désir constant que j’ai de cultiver de plus en plus l’amitié qui m’unit à vous, et qui me devient tous les jours plus chère. C’est avec ces sentimens et ceux de la plus haute considération et de la plus parfaite estime que je suis, monsieur mon frère et cousin, de votre majesté le bon frère, cousin, ami et allié. » 

Gustave

Très probablement le Roi de Suède en avait pareillement écrit, comme pour Stedingk, à Marie-Antoinette, car on voit la Reine Elle-même envoyer à Gustave III cette réponse dès le 19 septembre :

« Monsieur mon frère et cousin, je profite du départ du comte de Fersen pour vous renouveler les sentimens qui m’attachent à votre majesté ; la recommandation qu’elle a faite au roi a été accueillie comme elle devait l’être, venant de vous, et en faveur d’un aussi bon sujet. Son père n’est pas oublié ici ; les services qu’il a rendus et sa bonne réputation ont été renouvelés par le fils, qui s’est fort distingué dans la guerre d’Amérique, et qui, par son caractère et ses bonnes qualités, a mérité l’estime et l’affection de tous ceux qui ont eu occasion de le connaître. J’espère qu’il ne tardera pas à être pourvu d’un régiment. Je n’oublierai rien pour seconder les vues de votre majesté, et vous donner en cette occasion comme en toute autre les preuves du sincère attachement avec lequel je suis, monsieur mon frère et cousin, votre bonne sœur et cousine.» 

Marie-Antoinette

Ainsi la Reine elle-même, loin d’observer sur le compte du jeune officier suédois une réserve qu’on pourrait tenir pour suspecte, ne faisait aucune difficulté de lui accorder publiquement les éloges qu’il méritait, et d’en écrire au roi de Suède. Plus tard cependant, la calomnie se réveilla ; mais on sait que l’assertion des prétendus Mémoires de lord Holland à l’occasion de la nuit du 5 au 6 octobre 1789 a été réfutée dans la Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck, et par le témoignage de Mme Campan elle-même, qu’on avait faussement invoquée Nous verrons, il est vrai, le comte de Fersen se dévouer dès les premiers périls de la révolution, puis chercher avec ardeur, pendant la captivité du roi et de la reine, les moyens de les sauver. Ce dévouement nous paraîtra chevaleresque et sincère ; nous pourrons bien y distinguer la trace de premières et jeunes émotions préparant, pour le temps du malheur, un sentiment de pitié active ; mais nous ne trouverons nulle part, ni dans plusieurs sources encore inédites, ni dans les documents imprimés, la preuve que ce sentiment ait cessé jamais d’être respectueux.

Geoffroy écrit cela en 1867, la publication de Klinckowström date de 1877. Geoffroy nie toutes les accusations faites contre Marie-Antoinette à l’égard de Fersen, les comparant à l’affaire du collier. Donc les rumeurs circulaient, évoquées telles quelles par les Goncourt contemporains, mais sans donner pour autant le moindre autre rôle à Fersen. Et Reiset en 1885 nie également les accusations et s’offusque surtout de ce que le petit-neveu ait fait son tri dans son coin. Bref ces rumeurs ne sont que la suite logique des immondices versées contre Marie-Antoinette depuis toujours. Certains ont voulu voir une preuve avec la publication tronquée du petit-neveu sous prétexte de respecter l’honneur de la reine. En cachant, il a en réalité fait bien pire et provoqué forcément les pires spéculations. En sachant en plus désormais qu’il n’a pas hésité à remplacer des elle anonymes en la reine ! Ce qui du coup permet à Fersen, de passer tranquillement la nuit dans ses bras. Et ces modifications ont été faites pour protéger l’honneur de Marie-Antoinette ? N’est-ce pas se moquer du monde ? Elle est bien là l’hypocrite pudibonderie du XIXe siècle ! Elle ne vient pas de ceux qui ne voient rien de mal à cette relation entre une reine, bientôt en danger et un membre éminent d’un pays allié.

Dans son ouvrage si remarquable et si intéressant sur Gustave III et la Cour de France, que M. Geoffroy écrit en 1867, la publication de Klinckowström date de 1877. Geoffroy nie toutes les accusations faites contre Marie-Antoinette à l’égard de Fersen, les comparant à l’affaire du collier. Donc les rumeurs circulaient, évoquées telles quelles par les Goncourt contemporains, mais sans donner pour autant le moindre autre rôle à Fersen. Et Reiset en 1885 nie également les accusations et s’offusque surtout de ce que le petit-neveu ait fait son tri dans son coin. Bref ces rumeurs ne sont que la suite logique des immondices versées contre Marie-Antoinette depuis toujours. Certains ont voulu voir une preuve avec la publication tronquée du petit-neveu sous prétexte de respecter l’honneur de la reine. En cachant, il a en réalité fait bien pire et provoqué forcément les pires spéculations. En sachant en plus désormais qu’il n’a pas hésité à remplacer des elle anonymes en la reine ! Ce qui du coup permet à Fersen, de passer tranquillement la nuit dans ses bras. Et ces modifications ont été faites pour protéger l’honneur de Marie-Antoinette ? N’est-ce pas se foutre du monde ? Elle est bien là l’hypocrite pudibonderie du XIXe siècle ! Elle ne vient pas de ceux qui ne voient rien de mal à cette relation entre une reine, bientôt en danger et un membre éminent d’un pays allié.

VII Marie-Antoinette et le comte de Fersen dans Les beaux jours de Marie-Antoinette, A.-L. Imbert de Saint-Amand, E. Dentu, éditeur, 1885

Il se rencontre quelques hommes _ le nombre en est très restreint, je l’avoue_ qui ont l’âme assez généreuse pour éprouver des affections entièrement désintéressées, et qui, devant certaines femmes d’élite, ont un tel sentiment d’admiration et de respect qu’ils ordonnent à leur sens de se taire, au moment même où leur imagination et leur coeur parlent plus forts. Ces affections-là sont aussi réservées que celles qui ont leur source dans le sensualisme et la vanité sont bruyantes. Ennoblies par l’esprit de sacrifices, elles ne connaissent ni les soupçons, ni les reproches ; l’égoïsme et la fatuité n’y ont pas de place. Elles sont d’autant plus vives et plus profondes qu’elles craignent de se manifester, et ne veulent pas même qu’on les devine. Si elles font parfois souffrir les hommes qui en sont atteints, elles les poussent en même temps à aimer et bénir leurs souffrances. C’est plus que de l’amitié : ce n’est pas de l’amour, c’est une sorte de religion.

Tel était, croyons-nous, le sentiment du comte de Fersen à l’égard de Marie-Antoinette. Il avait voué à la reine une admiration enthousiaste ; il aurait sacrifié mille fois sa vie pour elle, mais il n’osait pas, il ne devait pas, il ne voulait pas en être amoureux, et son attitude était irréprochable comme son caractère. On ne le voyait mêlé à aucune intrigue, à aucune coterie, et il avait l’air de redouter plutôt que de rechercher la faveur. Au lieu de rester à Versailles, il sollicita l’honneur de combattre en Amérique sous le drapeau blanc, et se distingua parmi les plus intelligents et les plus braves. A l’agonie de la royauté, il fut au premier range des serviteurs et des courtisans de l’infortune. Sa fin tragique ajoute encore à l’intérêt que sa mémoire inspire, et sa figure mélancolique se détache d’une manière à  la fois douce et lumineuse dans l’ombre du passé.

Entre Fersen et Lauzun le contraste est complet. Lauzun, c’est le fat brillant, le don Juan, le Lovelace prodigue, aimable, dissipateur, insatiable de plaisirs, de succès, d’aventures, ne craignant rien que le silence, toujours en vue et toujours éblouissant. Fersen, c’est l’homme qui se recueille, qui se tait, qui s’efface, qui préfère les affections discrètes et respectueuses aux amours hardies et retentissantes, qui tient surtout au témoignage de sa conscience, courageux, sans forfanterie, chevaleresque sans affection, un vrai type d’hommes de coeur dans la plus généreuse acception de ce mot. Son dévouement pour Marie-Antoinette grandissait à mesure que l’auguste princesse devenait plus malheureuse. C’était un culte où la sympathie pour la femme se joignait à la vénération pour la souveraine, et un sentiment de cette nature était assurément bien fait pour inspirer de la reconnaissance à une âme aussi élevée que celle de la reine martyre.

Le comte Axel naquit à Stockholm, le 4 septembre 1755 (deux mois avant Marie-Antoinette). La branche de sa famille, établie en Suède, était venue de Livonie, mais se rattachait, disait-on, à une maison écossaise, dont l’origine se perdait dans la nuit des temps. Le père du comte Axel était feld-maréchal et avait été le chef du parti désigné sous le nom de parti des Chapeaux. C’est lui-même qui dirigea les études de son fils. Dès qu’elles furent terminées, le comte Axel, suivant l’usage alors adopté par les jeunes gentilshommes suédois, fit de nombreux voyages. Il visita l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie, et vint pour la première fois en France dans le courant de l’année 1774. Il n’avait pas encore dix-neuf ans. L’ambassadeur de Suède écrivait alors à Gustave III :

« Le jeune comte de Fersen vient de partir pour Londres. De tous les Suédois qui ont été ici de mon temps, c’est celui qui a été le plus accueilli dans le grand monde. Il a été extrêmement bien traité de la famille royale. Il n’est pas possible d’avoir une conduite plus sage et plus décente que celle qu’il a tenue. Avec la plus belle figure et de l’esprit, il ne pouvait manquer de réussir dans la société ; aussi l’a-t-il fait complètement. Votre Majesté en sera sûrement contente ; mais ce qui rendra surtout M. de Fersen digne de ses bontés, c’est qu’il pense avec une noblesse et une élévation singulières.»

On disait le beau Fersen, comme on disait le beau Dillon. Le duc de Lévis en a fait le portrait suivant : 

« Sa taille […] », sa politesse exquise, sa retenue et sa modestie rare lui donnèrent, à la cour de Versailles, une physionomie particulière. La reine, peu habituée à trouver dans son entourage de pareilles qualités, fit le meilleur accueil au jeune Suédois, qui, loin de s’enorgueillir de cette auguste bienveillance, n’eut d’autre désir que de chercher à la mériter. Il refusa d’entrer dans l’intimité des Polignac, quoiqu’on lui eût fait de grandes avances pour l’y attirer. Mais, malgré son tact, sa réserve, son profond sentiment des convenances, il ne parvint pas à empêcher la calomnie de vouloir dénaturer le genre d’intérêt essentiellement honnête que lui portait la reine. On prétendait que Marie-Antoinette avait chanté en son honneur ces couplets de l’Opéra de Didon» :

Ah que je fus bien inspirée
Quand je vous reçus dans ma cour !

La reine avait, croyons-nous, une affectueuse estime, plus encore, une profonde sympathie pour Fersen, dont elle avait su deviner le dévouement et la grandeur d’âme ; mais ce sentiment, auquel se mêlait peut-être aussi une nuance de tendresse toute platonique, ne s’écartait ni de la morale ni du devoir. L’ambassadeur de Suède, comte de Creutz, tout en considérant la conduite de la reine comme pure de tout reproche, remarqua le penchant de Marie-Antoinette pour Fersen. Il écrivait à  Gustave III, le 10 avril 1779 :

« Je dois confier à Votre Majesté que le jeune comte de Fersen a été si bien vu de la reine que cela a donné des ombrages à plusieurs personnes. J’avoue que je ne puis pas m’empêcher de croire qu’elle avait du penchant pour lui ; j’en ai vu des indices trop sûrs pour en douter. Le jeune comte de Fersen a eu dans cette occasion une conduite admirable par sa modestie et par sa réserve, et surtout par le parti qu’il a pris d’aller en Amérique. En s’éloignant, il écartait tous les dangers ; mais il fallait évidemment une fermeté au-dessus de son âge pour surmonter cette séduction. La reine ne pouvait pas le quitter des yeux les derniers jours ; en le regardant, ils étaient remplis de larmes. Je supplie Votre Majesté d’en garder le secret pour elle et pour le sénateur Fersen. Lorsqu’on sut le départ du comte, tous les favoris en furent enchantés. La duchesse de Fitz-James lui dit : « Quoi ! monsieur, vous abandonnez ainsi votre conquête ? _Si j’en avais une, je ne l’abandonnerais pas, répondit-il ; je pars libre et malheureusement sans laisser de regrets. » Votre Majesté avouera que cette réponse était d’une sagesse et d’une prudence au-dessus de son âge.»

Autorisé par Gustave III à servir dans les rangs de l’armée française, sans perdre sa nationalité suédoise, Fersen fit en Amérique les campagnes de 1781, de 1782 et de 1783 comme aide de camp de Rochambeau. Au mois de septembre 1783, Gustave III écrivait à Louis XVI :

« Monsieur mon frère et cousin, le comte de Fersen, ayant servi dans les armées de Votre Majesté, en Amérique, avec une approbation générale, et s’étant rendu digne de votre bienveillance, je ne crois pas commettre une indiscrétion en vous demandant un régiment-propriétaire pour lui. Sa naissance, sa fortune, la place qu’il occupe auprès de ma personne ; la sagesse de conduite, les talents et l’exemple de son père, qui a joui auparavant de la même faveur en France, tout m’autorise à croire que ses services ne pourront qu’être agréables à Votre Majesté, et, comme il restera également attaché au mien et qu’il se partagera entre ses devoirs qu’exige son service en France et en Suède, je vois avec plaisir que la confiance que j’accorde au comte de Fersen et la grande existence qu’il jouit dans sa patrie étendront encore davantage les rapports qui existent entre les deux nations, et prouveront le désir constant que j’ai de cultiver de plus en plus l’amitié qui m’unit à vous, et qui me devient tous les jours plus chère.»

Le comte de Fersen s’étant alors rendu en Suède, Marie-Antoinette le chargea d’une lettre adressée à Gustave III, à la date du 19 septembre, et dans laquelle la Reine disait :

« Monsieur mon frère et cousin, je profite du départ du comte de Fersen pour vous renouveler les sentiments qui m’attachent à Votre Majesté, la recommandation qu’Elle a faite au roi a été accueillie comme elle devait l’être, venant de vous, et en faveur d’un aussi bon sujet. Son père n’est pas oublié ici, les services qu’il a rendus et sa bonne réputation ont été renouvelés par le fils, qui s’est fort distingué dans la guerre d’Amérique, et qui, par son bon caractère et ses bonnes qualités, a mérité l’estime et l’affection de tous ceux qui ont eu l’occasion de le connaître. J’espère qu’il ne tardera pas à être pourvu d’un régiment.»

5/Analyse de ce qu’en disent les historiens du XXe siècle
Alma Söderhjelm

Les travaux universitaires de la finlandaise Alma Söderhjelm (1870-1949) Ses travaux universitaires comprennent également la révision de la correspondance de la Reine Marie-Antoinette  avec le noble suédois von Fersen et avec certains révolutionnaires français. On s’accorde en général à louer les qualités d’éditions que présente le livre d’Alma Söderhjelm. L’archiviste Alma Söderhjelm a publié ultérieurement de nombreux inédits dans un ouvrage qui demeure aujourd’hui un travail de référence : Journal intime et Correspondance du comte Axel de Fersen, nous dit Evelyne Lever. On rejoint la critique exprimée par des auteurs comme Nesta Webster ou Stanley Loomis : l’analyse que madame Söderhjelm fait des écrits de Fersen est subordonnée à son intime conviction qu’ils ont été, si pas amants dans le sens charnel complet du terme, du moins éperdument amoureux. Madame Söderhjelm présente l’immense qualité de partir du texte pour réaliser ses analyses (qu’on soit ou non d’accord avec son parti-pris). Le jeune Hans Axel n’aura, selon madame Söderhjelm, ni le style étincelant, ni les vastes connaissances, ni l’esprit vif ou l’intérêt constant pour les idées de son temps, qu’avait son père.
Les Fersen entretiennent un rapport particulier avec la famille royale de Suède. Très belles, les femmes sont parfois maîtresses de princes et la soeur chérie d’Axel, Sophie, elle-même, sera aimée du frère de Gustave III.
Pour donner à son fils aîné une éducation digne de son rang, le sénateur Fersen l’envoie découvrir le vaste monde. C’est ainsi que le jeune Axel se met à tenir un journal. N’y cherchons pas trop d’envolées lyriques. Axel de Fersen est avant tout un courtisan qui veut réussir en société.
Il apprécie la distinction, non seulement chez les autres, mais avant tout chez lui-même; on trouve souvent dans son journal des notes qui expriment sa satisfaction de sa propre personne, soit que ses habits élégants ont attiré l’attention ou que ses chevaux ont été reconnus pour être plus beaux que ceux des princes. (p. 21)
Mais madame Söderhjelm s’oppose à l’avis de ceux qui n’ont vu en Fersen qu’un petit maître borné et stupide. S’il n’est pas spirituel, il a sur les questions politiques un jugement sain et juste, un esprit objectif et perspicace.
Avec beaucoup de finesse, l’auteur relève que Fersen, qui n’est pas un impulsif, est de ceux qui ne peuvent jouir de la joie présente et qui ne l’apprécient que lorsqu’elle est passée (p. 22). Elle ajoute qu’il ne prétend pas avoir droit au bonheur, ne s’insurge pas contre les injustices de la vie et reste profondément solitaire.

Marie-Rose Demasy

Ce livre m’a beaucoup déçu, car j’espérais lire des réponses aux questionnements que tous ceux qui le citent soulèvent. Au lieu de celaz, je n’ai trouvé là que ces questions. On a donc affaire à une enquête inaboutie. Ce qui est honnête, finalement, quand on considère tous ceux qui estiment avoir résolu la question dont cet article se préoccupe en s’appuyant sur des preuves qui n’en sont pas…. 

Benjamin Warlop

« Il est impossible de répondre d’une manière affirmative à la question (des relations intimes) faute de preuves définitives» (…) « Il existe par contre nombre d’indices psychologiques et matériels qui justifient une supposition dans ce sens…»

Alma Söderhjelm

Stefan Zweig

Se basant sur la psychanalyse en vogue à son époque, Stefan Zweig (1881- 1942) essaie de s’insérer dans l’intimité de Marie-Antoinette en en faisant une femme normale. Sa vision a parlé à beaucoup de lecteurs.

Qui était Marie-Antoinette, faite, l’année de ses quinze ans et par raison d’État, reine de France ? Une débauchée futile piégée dans l’affaire du collier ? La pire ennemie de la Révolution ? Une sainte pour la Restauration ? Marie-Antoinette rétablit la courbe d’un destin obscurci par la passion ou la honte posthumes. Zweig analyse la chimie d’une âme qui, sous le poids du malheur et de l’Histoire, se révèle à elle-même et se rachète, passant de l’ombre de la jouissance à la lumière de la souffrance. Par la main du grand écrivain autrichien, nous suivons une reine de la chambre de son «nonchalant mari», Louis XVI, jusqu’au lit de la guillotine. Quel voyage et quelle histoire !

Eh pourtant il se fourvoie car Marie-Antoinette n’a rien de normal : depuis Sa naissance jusqu’à Son mariage et Son destin tout en Elle est justement extraordinaire. Le film de Sofia Coppola s’inspire de cette vision d’une femme malheureuse dans le mariage qui cherche des plaisirs dans les fêtes et les amusements et qui trouve un réconfort dans les bras d’Axel de Fersen…  Zweig a axé son étude sur sa grande découverte : les archives de Vienne. Mais, ce faisant, il centre trop sur les rapports de Mercy et les remontrances de Marie-Thérèse. Zweig est assez sévère avec Marie-Antoinette dont il déplore une intelligence limitée. Il faut rendre à César ce qui est à César : c’est Louis XVI qui, par le biais de madame de Polignac, a entraîné sa femme dans ces plaisirs de Cour, comme le ferait une ministre de la culture pour offrir une vitrine brillante de la France aux ambassadeurs. La biographie de Zweig est donc intéressante car elle innove, mais elle est aujourd’hui quelque peu dépassée.

Benjamin Warlop

« Où finit la recherche strictement liée aux faits palpables commence l’art libreet ailé de la divination psychologique ; là où la paléographie échoue, la psychologie doit intervenir et ses hypothèses logiquement échafaudées sont souvent plus vraies que la sèche vérité des dossiers et de faits… Là où manqiuent les preuves tangibles, le psychologue a encore devant lui d’immenses possibilités. Par l’intuition, on peut toujours en savoir plus long sur un être que par la connaissance de n’importe quel document...»

Stefan Zweig

André Castelot

André Castelot (1911-2004) est l’historien que j’ai le plus lu dans mon enfance. Je l’écoutais aussi dans La Tribune de l’Histoire (sur France Inter, le samedi soir). Son approche, très vieille France, des protagonistes de l’Histoire, ampoulée d’une certaine préciosité qui convient à ce genre de lecture, est aussi améliorée par son parcours des archives que peu de comparses de son époque avaient alors consultées. Certains lui reprochent encore ses positions pendant la seconde guerre mondiale. Cela n’enlève rien à sa contribution pour l’Histoire que l’on peut encore lire dans les livres reliés de la collection académique Perrin.

Benjamin Warlop

Paul et Pierrette Girault de Coursac

Paul (1916-2001) et Pierrette Girault de Coursac (1927-2010) sont partisans de Louis XVI. Ils détestent Marie-Antoinette sur le dos de Laquelle ils mettent tous les maux dont a souffert le Roi. Eh pourtant, ils L’accablent comme Autrichienne, une ennemie que le Dauphin puis Roi avait conscience d’avoir dans son lit… mais ils n’en font pas une épouse adultère comme on aurait pu l’imaginer de leur part. 

Benjamin Warlop

Ainsi, pour évoquer la visite secrète de Fersen en février 1792, mettent-ils «chez Elle», avec majuscule page 704 de Vie Conjugale, Vie Politique.

Les Girault de Coursac ne sont pas dupes pour autant. Ils évoquent les ratures sur les lettres autographes conservées de Marie-Antoinette. Les Girault de Coursac disent clairement :

« Il était évidemment plus facile à Fersen de modifier le texte d’une lettre en chiffres dont il ne présentait que le déchiffrage, que le texte d’une lettre autographe.»

Le lecteur comprendra que sur un tel sujet, nous nous abstenions de faire état d’écrits dans le genre des célèbres souvenirs de lord Holland, où l’auteur n’est lui-même renseigné que par de prétendues confidences recueillies longtemps après la Révolution. Nous dirons cependant quelques mots du témoignage et souvent invoqué du comte de Saint-Priest, en dépit du fait que le mémorialiste ne donne jamais une seule précision permettant de contôler ses affirmations. (…)

« Elle (la Reine) avait trouvé le moyen de lui fakire agréer (au Roi) sa liaison avec le comte de Fersen, en répétant à son époux tous les propos qu’elle apprenait qu’on tenait dans le public sur cette intrigue ; elle offrait de cesser de le voir, ce que le Roi refusa. Sans doute, elle lui insinua que dans le déchaînement de la malignité contre elle, cet étranger était le seul sur lequel on pût compoter. On verra plus bas que ce monarque entra tout-à-fait dans ce sentiment. En attendant, Fersen se rendait à cheval dans le parc du côté de Trianon trois à quatre fois la semaine, la Reine seule en faisait de son côté, et ces rendez-vous causaient un scandale public, malgré la modestie et la retenue du favori qui ne marqua jamais rien à l’extérieur et a été, de tous les amis d’une reine, le plus discret.»

Le comte de Saint-Priest 

A en croire Saint-Priest, la Reine pouvait aller seule à Trianon sans attirer l’attention de toute la cour ! Et selon lui, pendant la Révolution, ces relations étaient aussi fréquentes et gtout aussi intimes, et seul le lieu des rendez-vous était changé : 

« La Reine voyait presque tous les jours le comte de Fersen chez elle (aux Tuileries) _ je lui en ai laissé le moyen, disait La Fayette, en ne faisant pas garder telle issue de l’appartement par où il peut s’introduire sans être vu_ et donc, en effet, il profitait. Qui sait si ce ne fut pas une malice de plus pour qu’elle se donnât ce tort ? Au reste, elle avait mis le Roi sur le pied d’une grande discrétion vis à vis d’elle. Quand il voyait quelqu’un il se retirait et elle n’avait à craindre de sa part aucune surprise. »

Le comte de Saint-Priest

En résumé, tous les ennemis de la Reine, acharnés à l’épier à tout moment et décidés à la perdre s’ils en trouvaient la moindre occasion, auraient parfaitement connu sa liaison avec Fersen et ne s’en seraient pas servi. Le Roi seul, trop confiant, l’aurait ignorée, et jamais en allant voir sa femme à Trianon, ce qui arrivait souvent, il ne l’aurait surprise avec le Suédois ; et aux Tuileries comme à Saint-Cloud, la Reine aurait pu filer le parfait amour avec Fersen, dans sa chambre à quelques pas de l’appartement de Louis XVI, alors que le Roi pouvait entrer à tout instant et sans se faire annoncer. 

Une autre lettre, en partie autographe, en partie chiffrée, se termine «Adieu mon bien-aimé» dans la version conservée par Mercy, reprise par Farr mais seulement par «Adieu» dans la version du baron de Klinckowström et dans celle d’Evelyne Lever. Ces deux derniers au contraire de leur habitude ne mentionne pas de rature à cette place.

Françoise Kermina

Franchement il y a non seulement des erreurs monumentales (Vergennes ministre sous Louis XV) mais en plus des citations de sources, notamment la fameuse de Creutz très modifiée. C’est très dans le style Castelot. Mais il faut le lire, ce n’en est que fructueux !

Mais j’aime bien son «Marie-Antoinette pleura peut-être puis se consola dans sa folle amitié pour la duchesse de Polignac

La comparaison avec Castelot me semble judicieuse…

Or quand Creutz écrit cette lettre, madame de Polignac n’est pas encore duchesse.

Kermina nous confirme ce que Geoffroy indique quant aux relations avec la Suède et donc de la façon dont un Fersen se doit d’être traité en France. J’en suis à son départ pour l’Amérique. Au passage il quitte Paris le 23 mars 1780 et la lettre de Creutz date quant à elle de 1779, je crois avril, il faut que je vérifie. Bon, y a de quoi dire, mais passons. Rochambeau reçoit tous ses aides de camp, quatre, Fersen est nommé premier car colonel, pas les autres. Il les décrit au ministre de la Guerre et indique pour Fersen : «suédois, colonel à la suite au service de la France, il parle bien l’anglais et est vivement sollicité par M. l’ambassadeur de Suède.»

Cela a le mérite d’être clair ! Fersen est recommandé par son ambassadeur, donc par son roi et la France n’a pas d’autre choix que de faire plaisir à Gustave (qui en sous-main espère par le fort contingent de Suédois envoyé en Amérique une alliance fructueuse avec les futurs vainqueurs). Encore une fois nous constatons que Fersen est un élément majeur de la diplomatie de son roi. La France, donc le roi et son alter-ego féminin qui est son atout charme doivent le prendre en considération.

Après, tant mieux pour Marie-Antoinette si elle n’a pas eu trop de mal à le séduire. Ce devait être nettement plus agréable qu’un vieux moche tout croulant. Et plus facile qu’un Mirabeau.

Kermina nous décrit pp.35-38 l’arrivée de Fersen à Versailles en 1778, le « Ah ! C’est une ancienne connaissance ! » qu’elle relativise car très proche des propres mots de Vergennes à son égard mais dont elle ne cite pas non plus les mots exacts…. Passons. Elle décrit ensuite les émois, la faveur, etc.

Puis elle écrit :

« Tel qu’il se montra, il impressionna sûrement la jeune reine, et il fut lui-même très ému, puisque vingt ans plus tard, il s’en souvenait encore. On peut lire en effet dans son journal, à la date du 15 juillet 1798 : « Ce jour était remarquable pour moi, c’était celui où je revins de Dunkerque chez madame de Matignon et où j’allais l’après-dîner chez Elle.»

J’avais noté cette info il y a une bonne dizaine de jours et aujourd’hui, reprenant mes notes de Kermina prises dans les transports pour les consulter à tête reposée, je me décide de vérifier la date de la présentation de Fersen à la famille royale en 1778. Or elle date du mardi 18 ou 25 août, Fersen l’écrivant à son père dans sa lettre du 26 août et parlant de mardi dernier (donc soit la veille, soit huit jours plus tôt). Mais nous ne sommes en tout cas pas du tout le 15 juillet 1778.

Donc plusieurs choses : il s’agit d’un autre 15 juillet qui voit Fersen partant de Dunkerque se retrouver à bride abattue dans l’après-midi auprès de Marie-Antoinette. mais quelle année ? 1783, à son retour d’Amérique ? Plus tard ? Mais alors pourquoi Kermina place-t-elle cet extrait de 1798 pour évoquer ce moment ? Encore de la mauvaise foi de biographe ? Ce ne serait pas la première fois, elle comme tant d’autres… Ou bien Elle ne serait pas ici dans ce cas Marie-Antoinette ?

En tout cas, une chose est sûre, Kermina fait ici du montage de sources.

Notons au passage la présence de madame de Matignon, la fille de Breteuil, un temps aussi pressentie à épouser. Je n’arrive malhreusement pas à trouver cet extrait de 1798 du dagbok, que ce soit chez le petit-neveu ou chez Söderhjelm. Dommage car nous en apprendrions plus. Il faut juste retrouver tous ses faits et gestes et savoir quand précisément il passe par Dunkerque.

Alors oui, juste avant de se rendre en France en 1778 il est en Angleterre et donc Dunkerque semble logique pour rejoindre Paris, ou en l’occurrence plutôt Versailles.   A moins de croire qu’en 1778, Marie-Antoinette recevait déjà Fersen, avant même sa présentation officielle, avant le « Ah ! C’est une ancienne connaissance ! ». Mais j’en doute…   Et vérifier quel 15 juillet est-ce possible?   Pour moi cela est plus tardif; c’est sûr.  

Il est même certain que nous sommes après 1778 car comment aurait-il pu passer l’après-dîner près d’Elle si elle ne le (re)connaît pas encore ? A moins qu’en 1778 l’attendait une jolie jeune femme qui n’est pas Marie-Antoinette?     

Ah mais attendez à relire correctement le passage :

« Ce jour était remarquable pour moi, c’était celui où je revins de Dunkerque chez madame de Matignon et où j’allais l’après-dîner chez Elle.»

On pourrait penser que Elle c’est madame de Matignon ! Mais pas obligé non plus. Madame de Matignon le loge et ensuite il rejoint Elle. Encore le coucou…

Il est certain en tout cas que nous ne sommes pas en 1778 puisque les rares sources recoupées le font arriver à Paris le 22 août. Donc présentation le 25  à Versailles. Puis ensuite il fait un long séjour en Normandie pour visiter un camp militaire.

Encore un problème de dates que je ne comprends pas : Söderhjelm le fait arriver à Paris le 22 août 1778. Il ne peut donc être présenté que le mardi 25 pas le 18 comme je le supposais. Un mardi en tout cas, sachant qu’il l’écrit à son père, le 26. Alors pourquoi donc dire mardi dernier et pas la veille ?   Mensonge au papa ?   Ce n’est pas fini.  

Il décrit ensuite à son père dans sa lettre du 8 septembre :

« La reine, qui est la plus jolie et la plus aimable des princesses que je connaisse, a eu la bonté de s’informer souvent de moi ; elle a demandé à Creutz pourquoi je ne venais pas à son jeu les dimanches, et, ayant appris que j’étais venu un jour qu’il n’avait pas eu lieu, elle m’en a fait une espèce d’excuse. Sa grossesse avance et elle est tr-s visible.»

Ok. Notons les dimanches possibles, sachant que le 10 septembre, il part en Normandie : il nous reste les dimanche 30 août et 6 septembre. Un peu court. Il a donc assisté seulement à un jeu de la reine, puisqu’un des deux fut annulé. N’oublions pas que Marie-Antoinette était enceinte jusqu’au cou lors de leurs retrouvailles «romantiques».

Reste encore à déterminer, et ceci seulement en présence des sources originales si le «Elle» noté par Kermina est bien avec majuscule.

Evelyne Lever 

Historienne, chercheur au CNRS, Évelyne Lever est spécialiste de l’Ancien Régime. Elle a publié de nombreux ouvrages sur Marie-Antoinette : Marie-Antoinette, journal d’une Reine (Robert Laffont, 2005), L’Affaire du Collier (Fayard, 2004), Marie-Antoinette, la dernière Reine (Gallimard, 2000), Marie-Antoinette (Fayard, 1991). Au début, dans ses biographies historiques, madame Lever est sérieuse et s’appuie sur les sources qui font de son étude un travail solide et  inédit. Mais au gré de ses publications, elle livre de plus en plus son penchant pour le beau suédois. Aussi, lorsqu’il s’agit de traiter de sa correspondance avec la Reine, s’y lance-t-elle à coeur-joie :

Oui, Marie-Antoinette a vécu un véritable roman d’amour avec le comte de Fersen. Cette question, qui a bouleversé tous ceux qui se passionnent pour la reine, est enfin résolue grâce aux preuves irréfutables apportées par une technologie de pointe appliquée aux lettres qu’elle a échangées avec le gentilhomme suédois. La correspondance miraculeusement retrouvée en 1982 comportait des passages raturés illisibles. Soumis à la fluorescence des rayons X, ils ont révélé leurs secrets en 2020. Evelyne Lever, qui avait été l’une des premières à consulter ces précieux documents, a eu le privilège d’assister à leur « décaviardage ». En une dizaine de chapitres, elle retrace cette poignante histoire d’amour qui s’ébauche au début du règne de Louis XVI et se poursuit pendant la Révolution, avant de publier l’intégralité de ces lettres secrètes où se mêlent sentiments et projets politiques. La personnalité des deux protagonistes en sort considérablement enrichie. Une histoire fascinante. Evelyne Lever a dirigé l’édition complète de la correspondance de Marie-Antoinette, parue chez Tallandier en 2005.

Simone Bertière

L’approche de Simone Bertière est extrêmement sensible dans le sens qu’elle écrit vraiment en considérant la femme mais aussi la mère, l’épouse, la Reine qu’est Marie-Antoinette, ce qui évite de La considérer avec des yeux trop modernes et de La replacer dans Son époque, avec les contraintes, les limites imposées par Son rang.

De son vivant et au-delà, la personnalité de Marie-Antoinette n’a cessé de susciter légendes, suppositions et calomnies. S’appuyant sur une lecture nouvelle et rigoureuse des sources, Simone Bertière restitue ici sa vérité psychologique et historique à la dernière de ses « Reines de France ».
Ni douce ni soumise, Marie-Antoinette fut au contraire une femme rebelle aux servitudes écrasantes de sa fonction, aspirant à une vie indépendante et conforme à ses goûts. La volonté et l’énergie dont elle fit montre longtemps pour des objets frivoles – sources de son impopularité – lui valurent d’atteindre, dans les épreuves, à une authentique grandeur.
Sa mère, l’impératrice d’Autriche, Louis XV vieillissant et la comtesse du Barry, Axel de Fersen, Mirabeau, et bien d’autres figures capitales de l’époque paraissent dans ces pages où revit un quart de siècle d’histoire, abordé hors de tout esprit partisan. Sur le roi Louis XVI, les documents analysés par Simone Bertière apportent des révélations et, pour la première fois, l’histoire du couple apparaît sous son vrai jour.

J’aime la place que Simone Bertière restitue à Louis XVI, cet époux qu’on donne malgré Elle à Marie-Antoinette, pour qui Elle a du respect, plus que de la tendresse, mais qu’Elle finira par aimer comme le père de Ses enfants. Elle redonne ainsi au Roi sa place dans l’existance de sa femme. Lui qu’on a eu tendance à dénigrer à la suite de Zweig afin de préparer pour Fersen une place restée vacante par cet époux qu’on a souhaité indifférent à la Reine… 

6/Les femmes autour de lui (maîtresses ou non)

1/ Hedwige-Charlotte, duchesse de Sudermanie

Dite la petite dans dagbok. Eprise d’abord de Sophie. Duc de Sudermanie avec Augusta Fersen (cousine).
Quelques étreintes polies.


2/ Catherine Leyel

Riche héritière anglaise, lui fait la cour pour plaire à son père, lui dire « tout ce qu’un amant passionné peut dire« .
Ne veut pas quitter sa famille, encore moins se rendre en Suède.

3/Eleonore Sullivan et la baronne de Korff

Dans « La maison du comte de Fersen rue Matignon, la journée du 20 juin 1791-Monsieur Léonard », Albert Vualflart, il est dit p. 298 :

« La baronne de Korff avait une sœur, Mme Sullivan, qui vivait à Paris avec Quintin Craufurd».

Le même auteur à la même page dit :

«la Baronne Anna-Christine de Korff, veuve d’un colonel russe tué en 1770 à la bataille de Bender»

[8] « Mme de Korff, veuve du colonel de Korff au service de S. M. impériale russe, tué il y a vingt ans à l’assaut de Binder, vit à Paris avec na mère, Mme Stegleman. » Archives impériales de Moscou. Correspondance de l’ambassadeur Simolin, 1789.

Lenotre, G.. Le Drame de Varennes (French Edition) (Emplacements du Kindle 4216-4217). Frédérique Patat. Édition du Kindle.

Dans cet ouvrage : aucune mention d’Eléonore Sullivan.

Autre source : le Boudoir de Marie-Antoinette http://maria-antonia.forumactif.com/t1595-famille-korff?highlight=korff  

D »un membre qui a gardé son anonymat.

Le sujet de ce forum concernant la baronne von Korff m’ intéresse un peu ; d’ autant plus que je viens de retrouver dans nos papiers de famille des pièces manuscrites écrites de sa propre main. La baronne von Korff ou de Korff , à la mode de France, s’ appelait en réalité Theophila Benigna Finck von Finckenstein. Nous savons peu de choses d’ elle à part la date de son décès en 1836 ; laquelle date est elle même remise en cause par d’ autres sources qui prétendent qu’ elle serait décédée en 1831. Elle était l’ épouse de de Friedrich Wilhelm Andreas von Korff dont nous connaissons la date de la mort en 1829 mais point sa date de naissance. Friedrich Wilhelm Andreas était le fils de Wilhelm Carl von Korff 1739-1799 et de Eleonore Margarethe von der Osten-Sacken 1731-1786 et semble être issu d’ une noblesse assez récente puisque le von Korff le plus lointain dont nous connaissons la date de naissance est Wilhelm von Korff né en 1646, décédé en 1745 à l’âge de 99 ans lequel descendait quatre générations plus haut d’ un simple Nicolaus Korff dont le fils Christophe décéda en 1545 ce qui fait penser aux vagues d’ anoblissement françaises du temps de Henri IV et Louis XIII de gens de robe ( droit et médecine) et de gens de guerre méritants pour combler les lourdes pertes occasionnées par les guerres du siècle précédent et pour remplir aussi les caisses du royaume.

Quant à Theophila Benigna Finck von Finckenstein, baronne de Korff nous ne savons rien de ses origines et n’ avons aucune information sur sa généalogie ascendante .Si quelque personne avait quelques lumières sur le passé de sa famille et sur sa propre vie jusque son décès en 1831 ou 1836 cela serait bien qu’ elle nous les transmettent et fassent partager sur ce forum.A ma connaissance Friedrich Wilhelm Andreas von Korff +1829 et son épouse Theophila Benigna Finck von Finckenstein +1836 n’ ont pas eu d’ enfants contrairement au frère de Friedrich qui aura une descendance qui s’ alliera avec les Nabokov.Mais si quelque personne avait des informations contraires il serait très heureux dans profiter ici même. S’ il fut un temps où la baronne fut assez riche pour prêter de l’ argent aux princes de France il fut un autre temps où elle reçu une pension de leur trésorier Anne Louis Henri comte de La Fare, évêque de Nancy, domicilié 84, Jacoberhof, Vienne , Autriche, car j’ ai sous les yeux un mot de sa main sur lequel elle a écrit les mots suivants : « Par ordre de son Altesse Royale Madame la Duchesse d’ Angoulême. J’ai reçu du Comte de La Fare, Evêque de Nancy, Deux Cent Ducats. Altenburg en Saxe. le 20 mars 1809. Baronne de Korff. ». 

Nous avons donc deux dames de Korff.La première se retrouve dans la plupart des ouvrages évoquant Varennes.
L’autre dans le Boudoir, sans aucune source, mais aussi sur ce site spécialisé sur la Révolution : https://www.parisrevolutionnaire.com/spip.php?article1812
(qui cite le livre Connaissance du Vieux Paris, tome 2, p. 225 ).
Cette dernière identité se retrouve également sur ce site de généalogie :

https://www.geni.com/people/Theophilie-Benigna-Baron-von-Korff/6000000037425410804?through=6000000037425849049

sauf que la date de naissance indiquée dans le Boudoir est 1756 et ici nous avons 1776. Or si elle participe à l’organisation de l’évasion de la famille royale, cela paraît peu probable si elle n’a que quinze ans. Ce même site ne trouve aucune autre baronne de Korff d’une génération précédente qui correspondrait et qui serait née Stegelman.
Celle citée par Fersen semble plus âgée que lui (il l’appelle elle et sa mère « mes deux vieilles »). D’autant  si elle est veuve en 1770, d’un mari né en 1728, tandis que l’autre perd son mari seulement en 1829.

Voir cet article :

7/ Les relations franco-suédoises (du point de vue du mythe Fersen)

Cette lettre de Gustave III à Louis XVI en septembre 1783 montre deux choses : « Monsieur mon frère et cousin, le comte de Fersen, ayant servi dans les armées de Votre Majesté, en Amérique, avec une approbation générale, et s’étant rendu digne de votre bienveillance, je ne crois pas commettre une indiscrétion en vous demandant un régiment-propriétaire pour lui. Sa naissance, sa fortune, la place qu’il occupe auprès de ma personne ; la sagesse de conduite, les talents et l’exemple de son père, qui a joui auparavant de la même faveur en France, tout m’autorise à croire que ses services ne pourront qu’être agréables à Votre Majesté, et, comme il restera également attaché au mien et qu’il se partagera entre ses devoirs qu’exige son service en France et en Suède, je vois avec plaisir que la confiance que j’accorde au comte de Fersen et la grande existence qu’il jouit dans sa patrie étendront encore davantage les rapports qui existent entre les deux nations, et prouveront le désir constant que j’ai de cultiver de plus en plus l’amitié qui m’unit à vous, et qui me devient tous les jours plus chère. »   1/ Ce n’est pas Marie-Antoinette qui fait la demande de l’avoir près d’elle.   2/ Fersen est un gage indispensable à l’amitié franco-suédoise.   Puis réponse de Marie-Antoinette : « Monsieur mon frère et cousin, je profite du départ du comte de Fersen pour vous renouveler les sentiments qui m’attachent à Votre Majesté, la recommandation qu’Elle a faite au roi a été accueillie comme elle devait l’être, venant de vous, et en faveur d’un aussi bon sujet. Son père n’est pas oublié ici, les services qu’il a rendus et sa bonne réputation ont été renouvelés par le fils, qui s’est fort distingué dans la guerre d’Amérique, et qui, par son bon caractère et ses bonnes qualités, a mérité l’estime et l’affection de tous ceux qui ont eu l’occasion de le connaître. J’espère qu’il ne tardera pas à être pourvu d’un régiment. »   Lettre tout à fait diplomatique. Ele parle bien d’affection, mais affection partagée par tout le monde. Pas franchement un sentiment particulier !   Et surtout nous constatons que Louis XVI charge sa femme de ces questions diplomatiques subalternes, avec toujours le côté opération charme. Voilà avec ces gentils mots, Gustave sera content…   Par conclure elle même qu’elle espère qu’il ne tardera pas à être pourvu d’un régiment, sous-entendu qu’elle ne peut y faire grand chose hormis attendre qu’une place se libère. Il devra attendre comme tout le monde, Gustave idem. Les places sont chères. Que Marie-Antoinette (et Louis XVI !) y mettent leur grain de sel, ok, mais les nominations militaires 5ou autres) ne sont pas si simples…   Mais bon c’est sûr, sachant que Gustave avait reçu quelques années auparavant la lettre de Creutz, il ne pouvait qu’imaginer que Marie-Antoinette s’intéressait tout spécialement à son chouchou…   Je vous conseille de lire ceci, c’est édifiant !!!https://fr.wikisource.org/wiki/Gustave_III_et_la_Cour_de_France/06   C’est vraiment une lecture plus que passionnante !!!   Stedingk est un personnage tout à fait intéressant.   La lettre que j’ai citée précédemment était incomplète. Elle se termine par : « Je n’oublierai rien pour seconder les vues de votre majesté, et vous donner en cette occasion comme en toute autre les preuves du sincère attachement avec lequel je suis, monsieur mon frère et cousin, votre bonne sœur et cousine. »   Encore une fois, sources tronquées !   Ce que j’adore dans ce que je lis, c’est que pour Geffroy les accusations de Marie-Antoinette avec Fersen sont du même ordre que l’affaire du collier !   Aaah que j’aime lire ceci : « Plus tard cependant, la calomnie se réveilla ; mais on sait que l’assertion des prétendus Mémoires de lord Holland à l’occasion de la nuit du 5 au 6 octobre 1789 a été réfutée dans la Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck, et par le témoignage de Mme Campan elle-même, qu’on avait faussement invoquée  »   Vous voyez de quel témoignage il s’agit ? Une honte pour l’Histoire ! Les « pauvres » Nathalie Colas des Francs & co ne savaient plus comment s’en dépatouiller à part m’engueuler quand je l’invoquais. Pas ma faute si avec pareil témoignage, on ne peut qu’ensuite se couvrir de honte !     J’apprends ainsi que Germaine Necker a été proposée tour à tour à Stedingk, à Fersen puis enfin à Staël, apparemment par l’entremise de Marie-Antoinette.   Il faut dire qu’épouser mademoiselle Necker était mille fois plus gratifiant que de gagner au loto et Gustave tenait qu’un Suédois remporte le jackpot.  

J’aime bien la comparaison avec l’affaire du collier…. on comprend ce pour quoi Evelyne Lever a tendance à y voir plus de vérité qu’il n’y a !

  Benjamin Warlop

Pour moi cela me saute aux yeux également.   Je reviens à Germaine de Staël . Geoffroy ne sait pas qui a eu l’idée de la marier à un Suédois mais bientôt, elle deviendra une condition sine qua non à l’amitié franco-suédoise. Or son père n’était plus ministre à cette date et même pas français. Juste riche, immensément riche. Il me semble vraiment que le contexte des relations franco-suédoises sont indispensables à connaître pour comprendre la place de Fersen entre les deux cours. Et les deux autres, Stedingk et Staël ont une place tout à fait similaires. Pour le premier, il fut très très bien en cours, inviter aux petits soupers du roi, etc. Pas du tout comme l’ont prétendu certains pour donner le change quant à Fersen… Puisque c’est Louis XVI qui invitait aux petits soupers ! Marie-Antoinette se chargeait des dames.   Ah si, ça y est j’ai tout compris !!! En fait c’est Louis XVI qui était amoureux et couchait avec Fersen ! D’où ses relations compliquées avec sa femme ! Et elle lui servait de paravent !!!   Autant délirer nous aussi !!!   En plus, si on regarde bien, cela tient même mieux la route que le mythe pondu pendant plus d’un siècle.   Voire deux.   En tout cas, Marie-Antoinette fait tout pour marier chacun d’eux à Germaine et quand le dernier obtient enfin certitude du désistement des deux autres candidats, elle écrit à Gustave III : « M. le baron de Staël, dont je vous ai déjà parlé, est toujours fort aimé et considéré dans ce pays-ci, et je ne doute pas qu’on n’eût grand plaisir de le voir un jour fixé ici plus particulièrement au service de votre majesté. » Deux ans après, le 11 mai 1783, la reine écrit encore au roi de Suède : « Monsieur mon frère et cousin, M. le comte de Creutz, en quittant la France, emporte les regrets de toutes les personnes qui ont eu l’occasion de le connaître. Je profite de son départ pour témoigner à votre majesté ma reconnaissance à l’égard qu’elle a eu à ma recommandation, en faveur de M. de Staël. J’espère que sa conduite justifiera ce choix à la satisfaction des deux cours. Votre majesté ne doit pas ignorer que, dans la guerre qui est heureusement terminée, les officiers suédois se sont particulièrement, distingués. J’ai applaudi de tout mon cœur à l’éloge public que le roi a fait de leur conduite, et j’ai saisi cette occasion de manifester le sincère attachement avec lequel je suis, monsieur mon frère et cousin, votre bonne sœur et cousine. « MARIE-ANTOINETTE. »   Comme quoi, le Fersen faut vraiment relativiser…   Et le 9 avril, notre ambassadeur en Suède écrit : « Le roi de Suède m’a fait part de ses desseins sur M. de Staël. Il m’a dit qu’il condescendrait d’autant plus volontiers à ses vœux qu’il n’ignore pas l’intérêt que la reine daigne prendre à son établissement. »   Elle ne faisait tout de même pas mine de s’intéresser à ce mariage juste pour les beaux yeux de Fersen !!! C’est donc bien qu’elle avait à cœur d’établir les meilleures relations avec la Suède. Nous avons surtout des traces pour ce pays (on se demande bien pour quoi…) mais il y a sûrement d’autres exemples pour d’autres grandes figures étrangères, genre Dorset et Devonshire par exemple. Les grands de ce monde avaient chacun l’impression d’être la personne la plus distinguée de la reine de France. Bref, elle faisait son boulot. Merveilleusement bien.   Marie-Antoinette s’est autant démenée pour ce mariage, avec l’un des trois que pour le régiment de Fersen. Voire plus, les enjeux étant nettement plus considérables. Bref Fersen n’est qu’un candidat parmi trois autres Suédois ultra bien en cour. Il faudrait que je m’intéresse un peu plus aux dames de Boufflers et de La Marck, égéries en France de Gustave III. Elles ont beaucoup soutenu les Suédois.   D’après Geoffroy, Taube est un si je puis me permettre, un lèche-cul auprès de son roi. Il ne le dit pas tel quel mais c’est ce qui en ressort.   Si j’ai bien compris, c’était un très proche ami de Fersen et l’amant de Sophie.   Gustave III me fait l’impression d’être une sorte de Louis II de Bavière. Dans ses rêves… Bien que très concret politiquement.   Sympathique dans ses délires mais il devait vraiment être difficile au quotidien…   Joseph II méprisait profondément Gustave III. C’est vrai qu’à les comparer, nous avons deux personnes parfaitement dissemblables.  

Je me sens plus proche d’un Gustave que d’un Joseph II… qui a un côté assez répulsif dans sa manière de juger le monde et de le toiser de sa hauteur de Habsbourg, certes…  Lors de sa visite de l’Italie en 1783-84, Gustave III se rend à Rome et fut le premier souverain protestant reçu par le pape. Accompagné du seul Fersen. 

Benjamin Warlop

Gustave est vraiment sympathique. Alors qu’il est presque choqué de voir Joseph lui aussi à Rome jouer au parfait catholique alors qu’en réalité, il était plus que sceptique, Gustave obtient du pape qu’un temple luthérien soit ouvert tout près de Saint-Pierre et que deux cérémonies se déroulent en même temps, l’une catholique, l’autre protestante. C’est comme cela qu’il voulait être glorieux à la face du monde. Y a pire… Il a créé l’œcuménisme !  

Décidément je me régale à cette lecture de Gustave III et la cour de France. En ligne et donc facilement copiable. La bonne surprise du soir !   Je vous conseille au moins de lire l’intro. L’analyse de Geoffroy sur Marie-Antoinette telle qu’elle se présente dans sa correspondance est d’une rare justesse. J’ai peu de fois lu autant de finesse psychologique sur Marie-Antoinette.   Les relations franco-suédoises étaient si poussées, pour ne pas dire fusionnelles, que notre ambassadeur de Rome, le cardinal de Bernis était également chargé des intérêts suédois ! Certes, cela s’explique du fait qu’une puissance protestante ne pouvait avoir d’ambassadeur à Rome mais de là à ce que ce soit celui de France qui représentait le roi de Suède, c’est tout de même énorme !   Il va donc de soi avec une telle amitié, qu’il est tout à fait normal que la reine de France organise une réception des plus enchanteresses pour le meilleur ami de la France !   Pas besoin d’y voir une histoire de cul créée par des dégueulasses pour un public candide.   Bernis ayant eu le temps de bien connaître intimement Gustave III car c’est évidemment chez lui qu’il logeait à Rome, il en fit un rapport détaillé à Vergennes qui répond :

« Nous en avons tiré des lumières sur le caractère et la façon de penser de ce prince qui sont fort à son avantage : j’ai lieu de croire qu’il s’en apercevra par la manière dont il sera accueilli par le roi.»  

C’est donc bien que Louis XVI tenait à très bien l’accueillir !   Ayant lu et décortiqué récemment la réception entière des Nord, avec moult détails, représentants d’une alliance nettement moins importante que celle de la Suède, je peux affirmer que la famille royale ne faisait pas les choses à moitié quand elle recevait des têtes couronnées. Je n’en avais qu’une vague idée jusque-là, les biographies ne faisant que résumer les faits. Louis XVI, Marie-Antoinette, les frères, les belles-sœurs, les tantes, les enfants, tous sont à la disposition totale des invités. Très peu de temps pour soi. On espère vraiment, mais le rapporteur n’en dit rien, qu’après cela Marie-Antoinette puisse prendre quelques jours de repos bien mérités au Petit Trianon, et tous les autres de leur côté. Un véritable travail de représentation. Marie-Antoinette le disait elle-même, plus difficile de faire la reine devant d’autres souverains que devant ses sujets… Or recevoir Gustave, c’est nettement, nettement plus important que le fils de Catherine… Et surtout, là dessus Louis XVI se repose beaucoup sur sa femme : en effet il lui reste à gérer le royaume et ne peut donc pas être en permanence en mode sourire et assurer réception sur réception. C’est donc à Marie-Antoinette que revenait cette charge. Ils se sont je pense parfaitement répartis les tâches. Bien plus qu’on ne le croit généralement… Et tout à fait conscients l’un et l’autre de leur vie de représentation.   Je n’en reviens pas de toutes ces découvertes ! Dès que je mets le nez dedans, sans que je sache où cela va me mener à l’avance. C’est dingue ! Kermina nous confirme ce que Geoffroy indique quant aux relations avec la Suède et donc de la façon dont un Fersen se doit d’être traité en France. J’en suis à son départ pour l’Amérique. Au passage il quitte Paris le 23 mars 1780 et la lettre de Creutz date quant à elle de 1779, je crois avril, il faut que je vérifie. Bon, y a de quoi dire, mais passons. Rochambeau reçoit tous ses aides de camp, quatre, Fersen est nommé premier car colonel, pas les autres. Il les décrit au ministre de la Guerre et indique pour Fersen : «suédois, colonel à la suite au service de la France, il parle bien l’anglais et est vivement sollicité par M. l’ambassadeur de Suède.»

Cela a le mérite d’être clair ! Fersen est recommandé par son ambassadeur, donc par son roi et la France n’a pas d’autre choix que de faire plaisir à Gustave (qui en sous-main espère par le fort contingent de Suédois envoyé en Amérique une alliance fructueuse avec les futurs vainqueurs). Encore une fois nous constatons que Fersen est un élément majeur de la diplomatie de son roi. La France, donc le roi et son alter-ego féminin qui est son atout charme doivent le prendre en considération.   Après, tant mieux pour Marie-Antoinette si elle n’a pas eu trop de mal à le séduire. Ce devait être nettement plus agréable qu’un vieux moche tout croulant. Et plus facile qu’un Mirabeau.   Le 7 juin 1784, Gustave III, revenant d’Italie sous le nom de comte de Haga, arrive à Paris avant midi, descend chez le baron De Staël, son ambassadeur, qui demeurait dans la rue du Bac, la rue du célèbre ruisseau, et se rend le soir même, sans être annoncé, à Versailles. Louis XVI était à Rambouillet : un courrier de M. de Vergennes l’avertit ; il laisse Monsieur souper avec les chasseurs, commande ses chevaux, aide lui-même à les atteler, et part. Arrivé à Versailles, point de clés, point de valets de chambre ; les premier venus habillent Louis XVI en toute hâte, et il paraît devant son hôte avec un soulier à talon rouge et un autre à talon noir. Une boucle d’or et une autre d’argent et ainsi du reste. — Le comte de Haga soupà ce soir-là avec le roi, la reine et une partie de la famille royale dans ce qu’on appelait le cabinet, c’est-à-dire les petits appartemens. On lui avait préparé un magnifique logement dans le château : il le refusa, et voulut, pour être plus libre, loger en ville chez Touchet, baigneur. Joseph II, sept ans auparavant, était de même descendu à l’hôtel de la rue de Tournon : c’était encore un trait du temps que cette revendication affectée, par les souverains eux-mêmes de leur liberté personnelle, avec un mépris apparent de l’étiquette. À Paris, Gustave déclara qu’il ne recevrait aucune visite ; mais il alla voir lui-même les personnes qui s’inscrivaient chez lui : on le vit accepter des invitations à souper, surtout chez les comtesses de Boufflers et de La Marck, chez la duchesse de La Vallière, chez les princesses de Lamballe et de Croy, à l’hôtel de Richelieu et à l’hôtel d’Aiguillon.   Depuis le commencement de la guerre d’Amérique, il était en instance auprès du cabinet de Versailles pour obtenir la cession d’une de nos Antilles en échange d’un entrepôt français à Gothenbourg, et le jeune compte de Fersen, lorsqu’il était parti pour les États-Unis, avait reçu de lui à ce sujet une mission spéciale. L’affaire fut conclue pendant son séjour en France par la convention de Versailles, signée le 1er juillet 1784.

Bien plus, d’inquiétantes nouvelles d’armements en Danemark et en Russie ayant circulé vers ce même temps, il en profita pour demander que la cour de France promît une intervention armée en cas de guerre et ajoutât aux subsides annuels que recevait depuis longtemps la Suède un secours d’argent extraordinaire à la suite d’une conférence tenue en présence de Louis XVI, des comtes de Vergennes et de Breteuil, une note fut rédigée, pour être remise à l’ambassadeur de Suède, après avoir été lue à Gustave III lui-même. On y promettait, dans le cas où la Suède serait attaquée, de fournir un secours de douze mille hommes d’infanterie pourvus d’une artillerie convenable, ainsi qu’une escadre de douze vaisseaux de ligne et six frégates. Si la Grande-Bretagne, toujours ennemie de la France, empêchait l’expédition de ces secours, il serait payé comptant au roi de Suède une somme équivalente, suivant une évaluation convenue. Ce n’était pas le compte de Gustave, qui désirait un secours d’argent immédiat. Il insista donc en adressant directement à Louis XVI une longue lettre, restée inédite, dont nous donnons ici la partie principale. Datée seulement sur l’original, autographe de juillet 1784, elle doit être du 11 de ce mois :

« Monsieur mon frère et cousin, n’ayant pas pu hier trouver l’occasion d’entretenir votre majesté des affaires importantes que j’ai entamées avec elle, et le moment de mon départ approchant, elle ne trouvera pas mauvais que je me serve de cette voie pour lui en parler. J’ai cru m’apercevoir, en lisant l’écrit que M. de Vergennes a remis à mon ambassadeur, que je n’avais peut-être pas expliqué assez clairement les motifs qui m’avaient porté à faire à votre majesté les propositions que l’on a mises sous ses yeux. Je m’adresse donc directement à votre, majesté pour les lui détailler, porté par cette confiance que l’amitié personnelle qu’elle m’a témoignée m’inspire, autant que par celle que les plus anciens et les plus constans principes de nos monarchies m’autorisent d’avoir en elle. Deux amis doivent se parler avec franchise de leurs intérêts réciproques, et, lorsque deux rois comme nous se connaissent personnellement, il convient à notre dignité réciproque de traiter directement ensemble. C’est sur ces fondemens que je vais ouvrir mon cœur à votre majesté et y déposer mes sentimens, mes intérêts, sûr que je les confie à un ami et au plus honnête homme de son royaume. Votre mnajesté connaît sur quel fondement l’union de la Suède et de la France a été basée depuis plus de deux cents ans ; elle sait que l’intérêt réciproque de Gustave Ier (ennemi du beau-frère de Christiern II) et de François, Ier (qui trouva nécessaire devoir un allié dans le Nord) posa les premiers fondement de cette alliance que Gustave-Adolphe et Louis XIII cimentèrent encore par une suite de succès et de gloire qui firent monter les deux monarchies à un degré de puissance et de grandeur dans laquelle la France s’est maintenue, mais dont la Suède test tombée, par les fautes moins encore que par les malheurs de Charles XII et surtout par l’anarchie qui suivit sa mort. Cette anarchie, en mettant la Suède presque sous la tutelle de ses voisins, la rendit une alliée inutile et sauvent onéreuse. L’heureuse révolution qui, en étouffant l’anarchie, y a établi l’ordre, a rendu la Suède à ses anciens amis, et le temps qui a écoulé depuis l’a mise en état de pouvoir lui être utile. Élevé dès ma plus tendre enfance dans les principes constans de mes ancêtres d’amitié pour la France, et fortifié dans ces sentimens par ceux que le feu roi de France Louis XV me témoigna dans les momens les plus périlleux de ma vie, mon soin constant a été de lui témoigner, ainsi qu’à votre majesté, combien mon cœur en sentait de reconnaissance, et combien je mettais de prix à perpétuer l’union qui, depuis si longtemps, subsiste entre nos deux états. C’est dans ces sentimens que je suis arrivé ici. Votre connaissance, vos sentimens, la cordialité franche et noble que vous m’avez témoignée, tout servit à fortifier d’un sentiment d’amitié personnelle pour vous ceux que j’avais pour ainsi dire reçus dès mon berceau pour la France. C’est dans ces momens que les inquiétudes, la jactance de mes voisins, m’ont été rendues. J’ai cru que, pouvant vous offrir un allié qui, par l’ordre qu’il a mis dans ses affaires, par une flotte considérable, par la générosité et le courage connu de sa nation, et j’ose même ajouter par son personnel, pourrait vous être utile, j’ai cru, dis-je, qu’en vous présentant l’alliance de la Suède sous ce point de vue, et me trouvant, dans un moment où j’étais près de vous, convaincu des mauvaises intentions de mes voisins et de votre naturelle et implacable ennemie l’Angleterre, je ne devais pas balancer un moment à resserrer des nœuds que notre amitié me rendait doublement chers et que l’état actuel de l’Europe semblait me prescrire… J’ai cru qu’il était de la gloire de la France et de son intérêt d’avoir un allié dans le Nord qui pût contre-balancer le colosse énorme qui s’y augmente tous les jours, et qu’il nous était à tous les deux nécessaire de nous unir avant que le tourbillon des grands événemens qui se préparent eût tout emporté… C’est pourquoi je souhaite que nous contractions des engagemens réciproques qui, par leur nature même, fussent plus sacrés que ces unions ordinaires de deux souverains, et plus secrets, puisqu’ils seraient conclus entre nous-mêmes et par nous. J’ai une trop grande confiance en votre amitié pour croire que votre majesté voudra me laisser partir sans avoir établi sur des fondemens solides l’union qui a régné entre nos deux états. Il ne faut pas que la crainte d’exciter la jalousie de nos envieux nous retienne. C’est par une fermeté inébranlable qu’on en impose aux ambitieux ; ce n’est pas par des ménagemens et des égards qu’on les retient… »

Cette lettre est curieuse, non pas seulement comme document politique, mais parce qu’elle montre bien quelle attitude Gustave III prétendait garder envers le cabinet de Versailles et envers la personne même du roi de France : il s’offrait comme un indispensable ami et comme un habile homme d’état. C’est pourtant à cette lettre, selon toute apparence, que répondit la suivante, écrite de la main de Louis XVI et dont nous avons pu copier la minute autographe :

« 12 juillet 1784. — Monsieur mon frère, j’ai lu avec beaucoup d’attention la lettre que votre majesté m’a écrite hier. L’ancienneté des liens qui m’unissent avec la Suède me rend son alliance chère, et plus particulièrement depuis que j’ai eu le plaisir de renouveler personnellement la connaissance de votre majesté. J’espère qu’elle ne doute pas de tous mes sentimens pour elle, le papier que j’ai ordonné au comte de Vergennes de communiquer à son ambassadeur en est une nouvelle preuve ; mais votre majesté, qui fait un si glorieux usage de son pouvoir, sait que le premier devoir des rois est de soulager les peuples qui leur sont confiés, surtout au sortir d’une guerre dont les charges ont été fort pesantes, et que les circonstances alors ne permettent pas de faire tout ce que l’on voudrait pour ses alliés. Au reste, votre majesté doit être sûre de la volonté où je suis de l’assister efficacement dans les occasions où les mauvaises intentions de ses voisins feraient craindre qu’elles ne troublassent son repos. En tout temps, je la prie de ne pas douter de la vive et sincère amitié fondée sur l’estime personnelle avec laquelle je suis, monsieur mon frère… »

« Versailles, 14 juillet 1784. — Monsieur mon frère, mon amitié, personnelle pour votre majesté et les liens qui unissent si anciennement nos couronnes me portant à contribuer en ce qui peut dépendre de moi à la tranquillité et sûreté de celle de Suède, j’accède avec plaisir au pacte secret que votre majesté m’a proposé. En conséquence, je lui donne ma parole que, dans le cas où elle viendrait à être attaquée, j’emploierai d’abord mes bons offices pour détourner, s’il est possible, l’agression et trois mois après je lui administrerai, soit en nature, soit par un équivalent en argent, les secours énoncée dans la note explicative que mon ministre des affaires étrangères a remise de mon ordre à son ambassadeur le 9 de ce mois, et, pour aider dès à présent votre majesté dans les réparations dont elle s’occupe pour donner plus de consistance aux forces de son état, je m’engage, indépendamment du subside annuel convenu entre nous, à lui donner un secours extraordinaire de 6 millions de livres, qui seront payées à raison de 100,000 francs par chaque mois jusqu’à extinction entière de la susdite somme.
 La position de votre majesté exigeant des ménagemens, elle est libre de stipuler elle-même les secours de réciprocité qu’elle estimera convenables : le mieux serait qu’elle promît de lui concerter avec moi sur le meilleur emploi à en faire dans le cas où je me trouverais engagé dans une guerre de mer. Je ne doute pas au reste, aussi longtemps que nos engagemens dureront, que votre majesté voudra bien s’engager à n’en contracter aucun qui pourrait contrarier ceux que nous formons, qu’elle n’entrera dans aucun traité défensif avec la Russie, quelque dénomination qu’on puisse lui donner, et plutôt qu’elle me communiquera confidemment toutes les ouvertures et prépositions qui pourraient lui être faites et intéresseraient notre alliance. Votre majesté peut être assurée que j’en userai de même, et que je lui ferai part de tout ce qui peut avoir rapport à sa sûreté.
Je compte sur le secret de votre majesté. Elle doit compter sur le mien, et les dispositions que je lui manifeste dans cette lettre lui garantissent la fidélité de mon intérêt et la sincérité de l’amitié avec laquelle je suis, monsieur mon frère, de votre majesté le bon frère, LOUIS. »

« Drottningholm, 7 septembre (1784). — Monsieur mon frère et cousin, je profite du courrier qui porte la ratification de la convention de commerce pour m’entretenir librement avec votre majesté, et lui renouveler les assurances de ma tendre et inviolable amitié. Votre majesté sait déjà la promptitude avec laquelle je suis revenu chez moi, et que la distance entre Versailles et Stockholm n’est pas si grande qu’on la croit. Elle n’est qu’assez éloignée pour que l’amitié entre les deux états soit aussi éternelle que notre amitié personnelle sera constante. Cependant j’avoue que je ne puis dans ce moment penser qu’avec regret que je ne puis m’entretenir avec vous que par écrit, et qu’il n’y a qu’un mois que j’avais le plaisir de vous voir à tout moment et de pouvoir épancher mes inquiétudes et mes pensées dans votre sein ; j’ai de la peine à me voir privé de cette douce habitude et d’être obligé d’attendre des occasions, souvent bien rares ; je puis vous parler sans contrainte. J’ai exécuté en arrivant ce dont j’étais convenu avec votre majesté en annonçant au sénat en grand mystère la convention, explicatoire du traité de commerce de 1741et la cession de l’île Saint-Barthélemy faite par votre majesté en retour des avantages accordés au commerce français dans le port de Gothenbourg. J’ai ajouté que je pouvais avec bien de la satisfaction leur dire que j’avais trouvé dans les sentimens personnels de votre majesté pour moi et pour la Suède la même amitié et le même intérêt que Louis XV m’avait témoignés dans les dernières années de son règne. Cela a fait un effet très utile, et a absolument éloigné toutes les idées qu’on avait semées par des lettres particulières de Paris, d’autres engagemens contractés entre la Suède et la France. Je sais même que le ministre d’Angleterre et le chargé d’affaires de Russie ont mandé à leurs cours que le bruit d’une nouvelle alliance entre nous était faux, et n’avait d’autre fondement que les transactions relativement à un établissement de la Suède en Amérique, Ainsi j’espère avoir rempli les intentions de votre majesté, et que, le pacte que nous avons signé restera dans le secret le plus profond… Je puis assurer votre majesté qu’elle peut compter que la Suède ce printemps peut sortir avec une flotte de vingt-deux vaisseaux de ligne presque tout neuf et quinze frégates, et cela dans l’espace de six semaines. L’artillerie n’a pas été négligé, et votre majesté sait déjà, par l’inquiétude, que cela a donnée à mes voisins, qu’elle a été distribuée dans tous les endroits où elle doit être tant pour la défense que pour le prompt transport en cas de nécessité. Nous avons aussi une garniture toute nouvelle de fusils et d’armes pour l’infanterie et la cavalerie… »

La suite de cette lettre laissait paraître des velléités belliqueuses, que le cabinet de Versailles : n’était pas disposé le moins du monde à encourager. Aussi trouvons-nous encore une lettre de Louis XVI, en date du 26 septembre 1784,qui est évidemment une réponse au précédent message :

« J’ai lu avec intérêt le détail dans lequel votre majesté a bien voulu entrer touchant les progrès des réparations de toute espèce qu’elle avait ordonnées, et je la félicite de l’état solide et brillant où elle a déjà mis ses forces de terre et de mer ; il ne peut manquer de lui assurer la considération, de ses, voisins et la tranquillité de ses peuples. Connaissant la prudence et la sagesse de votre majesté, je suis bien assuré que, contente de pourvoir à la sûreté de ses états, elle évitera toute démonstration qui pourrait être un sujet ou même un prétexte d’inquiétude pour qui que ce soit »

Le 22 octobre 2021

Sortie du livre d’Isabelle Aristide-Hastir sur « La Correspondance secrète de Marie-Antoinette et Axel de Fersen».

En voici le résumé :

Une correspondance inédite révélée pour la première fois dans cet ouvrage !

Trois années : c’est le temps qu’il aura fallu aux chercheurs et chercheuses du projet REX pour déchiffrer les lettres de Marie-Antoinette et Axel de Fersen, caviardées, codées ou écrites à l’encre sympathique. On pensait trouver des mots tendres et de l’amour, mais ce sont avant tout deux années de correspondance politique pour sauver un royaume et sa reine qui voient le jour. Remises chacune dans leur contexte, les quelque soixante lettres déchiffrées permettent de mieux appréhender les enjeux étatiques et politiques qui se profilaient en France à la fin du XVIIIe siècle, entre la
Couronne et son royaume, mais également avec les autres puissances étrangères.

Au fil des échanges entre Marie-Antoinette et le comte de Fersen et des événements qu’elle commente, cette correspondance, pour la première fois révélée dans son intégralité, dresse le portrait touchant d’une reine isolée qui tente de comprendre, trop tardivement, le monde dans lequel elle évolue. Amoureux mais surtout complice, Fersen ne ménage pas ses efforts pour faire renaître l’espoir dans le cœur d’une reine abandonnée de tous. Le destin ne laissera pas le temps aux deux amants de vivre la relation intime esquissée en secret dans ces lettres.

Ces échanges chiffrés débutent le 28 juin 1791, juste après l’échec dit de Varennes. Marie-Antoinette y exprime des sentiments amoureux pour le suédois comme Elle n’avait jamais daigné encore le faire. C’est compromettant pour Elle. Axel de Fersen n’exprime des sentiments réciproques qu’à partir du 6 octobre 1791. Jusqu’alors, il était admis que ce devait être le baron de Klinckowström, petit-neveu d’Axel de Fersen, qui devait être l’auteur du caviardage qui nous empêchait de déchiffrer le courrier de Marie-Antoinette reçu par Fersen. Comme ce courrier était chiffré, les lettres lisibles sont forcément de la main de Fersen. Or, les analyses scientifiques révèlent que les ratures sont contemporaines de l’écriture et proviennent donc de Fersen lui-même. Nous pensions que ce caviardage avait pour but de préserver la mémoire de la Reine.

« Ces nouveaux documents ne constituent pas une correspondance érotique, ni même à proprement parler amoureuse, puisqu’aucune de ces lettres, écrites entre fin septembre 1791 et début janvier 1792, n’est entièrement consacrée à ce thème. » et « La principale conclusion du projet REX porte moins sur des révélations sensationnelles sur la relation entre Marie-Antoinette et Fersen, que sur l’expression de sentiments d’espoir, d’inquiétude, de confiance et de terreur, dans un contexte particulier de séparation forcée et d’emprisonnement »

Cependant, la plupart des médias concluent à des lettres torrides entre la malheureuse Marie-Antoinette et son amant décryptées !!!

Le 10 octobre 1791

« Me voilà enfin de retour et je puis vous dire, ma bien tendre et chère amie, combien je vous aime, c’est le seul plaisir que j’ai ; depuis cette horrible sanction, je suis encore plus triste, votre situation doit être horrible et qu’allons-nous devenir ma tendre amie, songeons-y, sans vous il n’est point de bonheur pour moi, l’univers n’est rien sans vous. Le Roi de Suède m’a voulu donner la place de grand écuyer et un régiment de hussards, j’ai tout refusé, je ne veux pas être lié, vous voir, vous aimer et vous consoler c’est tout ce que je désire.
(…)
Adieu ma bonne et tendre amie, jamais je ne cesserai de vous adorer.»

Axel de Fersen

Le 13 octobre 1791

« Ma tendre amie, je n’ai rien à ajouter à ma lettre d’hier, toujou_rs vis-à-vis de l’Empereur et pressez-le, demandez qu’il vous dise franchement s’il veut faire ce que vous demandez, je tâcheri de le faire pousser par les autres cours.
Que votre lâche coeur ne se laisse pas aller aux engagés, ce sont des scélérats qui ne feront jamais rien pour vous, il faut s’en méfier et s’en servir.
J’ai confié au chevalier de Coigny une partie de mes négociations, je ne lui connais d’autre défaut que d’aimer Calonne.
Je n’ai encore eu le temps que de déchiffrer le commencement de votre lettre, elle m’a touché au larmes, c’est la crainte de nous compromettre qui m’a toujours empêché de vous écrire, je suis à présent abîmé d’écriture.
Adieu vous que j’aime et que j’adorerai toutr ma vie plus que tout au monde ! Je ne puis retourner en Suède, car je suis chargé de la correspondance du Roi.
Adieu je vous aime à la folie.
Mon Dieu que le chevalier de Coigny est heureux !»

Axel de Fersen

Le ton de Fersen change, il devient jaloux du chevalier de Coigny …

Dans Sa lettre du 19 octobre 1791, Marie-Antoinette exprime toute l’inquiétude qu’Elle éprouve pour Axel de Fersen. Mais Elle parle surtout de politique.

« Vous ne me dites rien de votre santé, la mienne est bonne. Mon cher et tendre ami, il y a une chose qui me tourmente, prenez bien garde à vous à Bruxelles, les Français sont atroces de tous les côtés, il faut bien prendre garde que si ceux d’ici ont l’avantage et qu’il faille vivre avec eux, ils ne puissent nous rien reprocher, mais il faut penser aussi que si ceux du dehors redevenaient maître, il faut qu’on puisse ne leur pas déplaire. C’est ma plus grnde occupation ici et plusieurs de mes démarches n’ont été faites que pour nous assurer un jour la liberté de  nous voir mais pour cela il faut aussi ménager les autres. Mon Dieu ! que je voudrais être à ce moment ! »

Marie-Antoinette

On lit régulièrement ces expressions tendres à Fersen comme preuve de Son amour. Mais il n’est pas rare que les femmes (et mêmes les hommes, cf le comte d’Artois) de cette époque écrivent avec un langage passionné à leurs amies (femmes et hommes) et Marie-Antoinette écrit souvent aux personnes qu’Elle considère comme proches dans un langage très affectueux, presque dramatique. Elle écrit à Yolande de Polignac «Adieu, cher cœur, rien que la mort ne peut me faire cesser de t’aimer», et utilise des phrases comme «Je vous embrasse tendrement», «Je vous embrasse et je vous aime», «mon cher cœur», etc. dans Sa correspondance régulière avec Ses amies et amis. Pourtant, on n’a encore jamais vu un historien prouver sérieusement qu’Elle était amoureuse de la duchesse de Polignac ! Madame Elisabeth utilise des expressions similaires avec ses amies, mais encore une fois, on ne voit jamais d’historiens utiliser cela comme preuve qu’Elisabeth était amoureuse d’Angélique de Bombelles, ni Charles d’Artois du comte de Vaudreuil etc. C’est encore regarder le XVIIIe avec un oeil trop d’aujourd’hui ! 

Alors pourquoi Fersen ? Et d’ailleurs, pourquoi le penchant de Fersen pour les femmes est-il généralement exclu ou minimisé dans la légende de Fersen ? Il n’est pas très romantique d’imaginer Fersen se livrant à des liaisons avec des femmes pendant que la Reine souffre aux Tuileries ou au Temple… Pourtant il s’amuse avec Eléonore Sullivan !

Axel Lui est dévoué et Elle le considère comme un ami dévoué et loyal. C’est dommage que cet aspect de leur relation soit si souvent éclipsé par l’idée de la liaison, car cela éclipse en réalité ce qui est une relation politique et personnelle importante dans les dernières années de Sa vie. 

Le 25 octobre 1791

« Staël dit des horreurs de moi ; il a même acheté mes cochers et l’a pris à son service, ce qui me fait de la peine. Il a prévenu contre moi plusieurs personnes qui blâment maintenant ma conduite et disent que je n’agis que par ambition, et que je vous ai perdu, vous et le roi. L’ambassadeur d’Espagne et d’autres sont de cet avis. Ils ont raison : j’ai eu l’ambition de vous servir, et toute ma vie je regretterai de n’y avoir pas réussi ; j’ai voulu vous rendre une partie des obligations qu’il m’a été si doux de vous devoir, et j’ai voulu montrer aux autres qu’on peut s’attacher à des personnes comme vous sans aucun intérêt égoïste. Le reste de ma conduite aurait pu leur prouver que là était ma seule ambition, et que la gloire de vous avoir servi était ma plus chère récompense. (…) Ma chère et bien bonne amie, mon Dieu qu’il est cruel d‘être si près et de ne pouvoir se voir et combien nous en aurions envie, premièrement pour notre amour, pour nous dire combien nous  nous aimons, que je n’existe que pour vous aimer, vous adorer, que ma seule consolation est l’espoir de vous revoir, qu’il n’y a que cela qui me soutienne et paie pour nos affaires. (…) Mes chevaux sont arrivés, je sais que vous avez vu la femme de mon valet de chambre, quelle bonté ! Mais je devrais y être accoutumé, car il n’y a jamais eu d’être plus parfait que vous, aussi n’a-t-on jamais été tant aimé que je vous aime. (…)»

Axel de Fersen

Le 29 octobre 1791

Fersen fait passer une lettre à la Reine par la princesse de Lamballe qui est de retour à la Cour. Il annonce son intention de venir La voir à Paris.

(…) « Il serait bien nécessaire que je vous voie, mon Dieu que j’en serais heureux ! j’en mourrais de plaisir ! Cela se pourrait même : je partirais d’ici seul avec l’officier qui vous porta ma lettre au mois de juillet, le prétexte serait d’aller voir un gentilhomme du pays qui a gardé mes chevaux de selle tout l’été, j’arriverais le soir, j’irais chez vous, j’y resterais si cela se peut jusqu’au lendemain au soir et je repartirais alors. On ne demande plus de passeport, d’ailleurs j’en ai un de courrier, j’en porterai la marque comme si je venais d’Espagne, cela me paraît faisable, ce serait dans le courant de décembre. (…) Adieu ma tendre amie, je vous aime et vous aimerai toute ma vie à la folie.»

Axel de Fersen

« L. 13. Tres beau et doux. Parti a 9 1/2 h : arreté deux h : a Louvres pr diner, arrivé sans accident a Paris a 5 1/2 h du soir sans qu’on nous.dise rien. Laisse descendre mon officier a l’hotel des Princes Rue de Richelieu pris un fiacre pour aller ches Gog : rue Pelletier le fiacre ne savoit pas la rue crainte de ne pas la trouver un autre fiacre nous l’indiqua Gog: n’y etoit pas, attendu dans la rue jusqu’a 6 1/2 h : pas venu cela m’inquieta voulu aller prendre Reuters: il navoit pas trouvé place a l’hotel des Princes on ne savoit ou il etoit allé retourné chez Gog: pas rentré pris le parti d’attendre dans la rue enfin a 7 h: arrivé. Ma lettre netoit arrivée que le meme jour a midi et on n’avoit pu le joindre ayant. Alle ches elle passe par mon chemin ordinaire peur des gard: nat: son logement a merveille [resté la].»

Axel de Fersen

C’est fascinant comme Isabelle Aristide-Hastir sait partager sa passion professionnelle ! Elle vulgarise malgré tout ces notions qui me dépassent et nous transporte dans ses recherches. C’est là qu’on voit avec elle que c’est Fersen et pas son petit-neveu l’auteur des caviardages. C’est difficile à suivre mais passionnant ! Elle redit bien que les lettres ne sont déjà pas de la main de Marie-Antoinette (sauf deux autographes sur les huit lettres analysées) puisqu’il s’agit de la version décryptée. Elle nous présente « La main de Fersen et l’esprit de Marie-Antoinette sous le regard des chercheurs » et explique comment « Marie-Antoinette et Fersen en leurs lettres : (sont) Un couple en politique ».

Peut-être ce couple s’invente-t-il (ou se fantasme-t-il?) plus qu’il ne se perpétue dans cette correspondance. Que Fersen ait copié les lettres qu’il recevait pour les transcrire n’implique pas forcément qu’il en ait altéré le texte. Mais cela montre indubitablement qu’il se les est appropriées- non sous forme d’annotations comme dans d’autres correspondances mais de décryptages et de caviardages.

Isabelle Aristide-Hastir

Si amour il y a ce n’est qu’à l’état de cristallisation … Elle défend l’idée de consommation charnelle de par les termes emphatiques propres au XVIIIe. Elle montre combien il est cohérent de ne pas considérer Fersen comme l’amant de Marie-Antoinette puisqu’il L’adore (au sens religieux du terme,n ce qui est, certes, singulier, pour un protestant) tout en honorant charnellement Eléonore Sullivan.

Marie-Antoinette entrelace considérations politiques et effusions sentimentales pour témoigner du caractère « atroce » de la situation dans laquelle sa famlille et elle-même sont plongées et rappeler les sentiments qui l’unissent à celui qu’elle ne peut plus voir. L’écriture permet d’eprimer son désarroi, tout en le conjurant par l’action politique. Ainsi, si Fersen ne peut plus être inspiré par les ambitions politiques qui étaient sans doute les siennes, il Lui fut solliciter ses considérations cordiales, pour qu’il reste maître des forces alliées capables de sauver le trône de France. La Reine a une confiance modérée en Monsieur, Son beau-frère, et pour cause. Ainsi les épanchements amoureux, qui se multiplient alors qu’ils sont séparés, peuvent-ils se voir comme une manipulation pour que le suédois culpabilise s’il faillissait à sa mission.

« Aucune allusion érotique n’affleure, ni une quelconque référence à une partie du corps dont le souvenir pourrait faire naître une émotion, encore moins l’évocation d’un moment heureux ensemble … On ne peut donc tirer aucune conclusion de leurs lettres sur une éventuelle relation charnelle » (page 51)

Isabelle Aristide-Hastir

Isabelle Aristide-Hastir est une scientifique mais aussi une psychologue !

Surtout qu’elle n’omet pas les mots dits tendres mais qu’elle les analyse comme politiques : Marie-Antoinette presse Fersen de les aider… puisqu’il ne se remue pas assez les fesses, Elle lui remue le cœur… Et lui use de mots passionnés pour rappeler à la Reine qu’il est là, qu’il est le premier et qu’Elle ne doit pas l’oublier pour Barnave. Les deux se servent mutuellement…

Et encore les mots d’amour se concentrent entre fin juin et octobre 1791. D’octobre à début février c’est de plus en plus rare. Donc franchement c’est vraiment pour s’attirer l’un l’autre, d’un côté pour appeler au secours et de l’autre pour se sentir le seul et unique recours. C’est vraiment trop peu pour y voir une réelle histoire d’amour !
Ce sont avant tout des « bêtes politiques » perdues, face à un contexte complètement inédit.

Et Fersen n’en est pas pour autant dupe. A deux reprises, pour Crauford ou Gustave III, Fersen demande à Marie-Antoinette de leur dire des  « choses obligeantes » ou « aimables » que personne ne sait mieux dire ou écrire qu’elle. Or le mot aimable a un sens beaucoup plus fort au XVIIIème siècle qu’à notre époque. Il lui demande donc des mots pour se faire aimer. Il la connait !
Et aucun doute que Louis XVI utilisait aussi son épouse par ce biais. C’est tout simplement de la stratégie politique !
Et sa mère n’a cessé d’agir ainsi pour asseoir son pouvoir et  d’exhorter sa fille à se faire aimer !

La correspondance échangée entre Marie-Antoinette et Fersen en 1791-1792, est-elle amoureuse ou politique ?

L’essentiel du contenu révélé de la correspondance entre le 21 juin 1791 et le 10 août 1792 est de nature amoureuse et sans amibiguïté. Paradoxalement, ces passages d’une écriture spontanée et pleine d’émotion éclairent en miroir la qualitédu reste de la correspondance de nature plus politique. On mesure à quel point les lignes écrites sur la situation intérieure de la France et la situation diplomatique européenne sont le résultat  d’une réflexion mature, qui s’est construite au fil des années.

On imagine mal lire ce genre d’échanges entre la Reine et le marquis de La Fayette , n’en déplaise à Patrick Poivre d’Arvor qui a écrit un roman, J’ai aimé une Reine (2003) sur La Fayette, justement…

Mais Marie-Antoinette n’est pas une simple particulière ; sa correspondance privée revêt un caractère public de part son statut. L’essentiel des papiers de la Reine a été détruit ou perdu. Et c’est Marie-Antoinette elle-même qui détruisit ceux qu’elle gardait à différents moments ( le lendemain du 14 juillet 1789, la veille du 21 juin 1791, le lendemain du 20 juin 1792), ainsi que le raconte madame Campan.

Du 14 au 21 février 1792

Après avoir vu le Roi et la Reine, Axel de Fersen se cache dans le grenier de l’hôtel de Quintin de Crawfurd et Eléonore Sullivan, à Paris, avant de repartir pour Bruxelles. Dard précise que c’est parce qu’il ne paraissait pas son âge qu’on a pu faire croire aux domestiques qu’il était le fils de madame Sullivan, elle qui n’a que cinq ans de plus que lui.

Quentin Craufurd n’y voit que du feu…

Enfin bref, par l’entremise de Fersen, envoyé en mission secrète par son roi, Saint-Barthélémy appartint un temps à la Suède. Je ne sais quand la France récupéra cette île, mais j’imagine très vite avec les alés de la Révolution et de l’Empire…

Qui a vu une seule fois dans une biographie, ou ne serait-ce quelque part cette info ? Kermina parle bien d’une négociation de session de territoire du continent américain au profit de la Suède, mais pas de Saint-Bart’ ! J’imaginais un bout de forêt d’Amérique du Nord, pas une île des Antilles, française, et très connue ! Surtout depuis que Johnny y est enterré !

Il faut bien avoir en tête que Louis XV en 1772, avec l’aide de Vergennes alors en poste comme ambassadeur à Stockholm ont aidé le tout nouveau roi de Suède, jusque-là à Paris comme héritier du trône, à récupérer les pleins-pouvoirs, donc d’établir la monarchie absolue, contre les grands seigneurs (Fersen père en tête) qui faisaient régner l’anarchie depuis le début du XVIIIe siècle. Donc Gustave III doit d’une part beaucoup à Louis XV, donc ensuite à Louis XVI + Vergennes qui comme par hasard devient le ministre des Affaires étrangères du nouveau roi, considérant donc l’alliance suédoise comme primordiale, mais d’autre part, doit également bien faire gaffe à Fersen fils, son père restant un puissant à ne pas négliger, un opposant potentiel. Donc bien dorloter le fils…

Autres Suédois en faveur :

_Stedingk : se couvre de gloire au siège de Grenade

_Staël : proche de madame de Polignac, secrétaire d’ambassade de Creutz

_Baron de Geer : naturaliste, mort dans les bras de Fersen

_Taube

_Strömfelt

_Fersen favorisé par Breteuil surnommé « vieux papa », ancien choiseuliste, apprécié de Vienne.

L’étude des écrits, de l’attitude, des inspirations et du comportement de Fersen tant en Suède qu’en France révèle son ambition carriériste, militaire d’abord, puis politique. C’est ce pour quoi son père l’avait éduqué. De nombreux auteurs vantent son désintérêt en tant qu’étranger à la Cour de France, pourtant, il avait des ambitions politiques, désirant devenir Garde des Sceaux… Dans ses mensonges à son père, l’on voit combien il manipule son histoire afin de créer sa légende. Il y a les lettres décaviardées par REX qui révèlent des mots sensibles et amoureux… mais inspirés par des événements qui les rendent sans doute plus politiques même s’ils transpirent du coeur. Outre les mots eux-mêmes, il nous faut donc toujours percevoir qui nous en parle à chaque fois. Car de tout temps, on a davantage été séduits par les histoires d’amour que les histoires politiques. Axel de Fersen en était conscient. Encore ses défenseurs veulemt parler de sa véritable histoire d’Amour pour Marie-Antoinette en reléguant Eléonore Sullivan au rôle d’amante charnelle, seulement Axel a désiré l’épouser quand elle s’est séparée de son ami Quintin Craufurd. Aujourd’hui, certains s’accordent pour dire qu’Axel de Fersen était homosexuel (il faut croire que c’était le cas de Woodbridge Strong Van Dyke qui a confié le rôle à Tyrone Power en 1938 …). Toujours est-il que Fersen n’aimait pas Marie-Antoinette (au sens charnel …) , il L’adorait au sens spirituel. Ainsi ne ment-il pas dans ses mots passionnés que le projet  REX a retrouvés. Mais il ne faut pas les lire de notre oeil du XXIe siècle. Etudier l’Histoire c’est toujours relativiser et remettre les données dans leur contexte. Pour conclure, je citerai Henry Vallontton qui voit en Marie-Antoinette « l’amour sacré de la vie de Fersen ; Eléonore était l’amour profane dont il avait besoin. » Axel avoue même : « J’avais des moments de dégoût pour Eléonore.« 

« Le seul objet de mon intérêt  n’existe plus ; lui seul réussissait tout pour moi et c’est à présent que je sens bien combien je lui étais véritablement attaché ; il ne cesse de m’occuper ; son image me suit et me suivra sans cesse et partout je n’aime qu’à en parler, à me rappeler les beaux moments de ma vie. Hélas ! Il ne m’en reste que le souvenir ! Mais je le conserverai et celui-là ne me quittera qu’avec la vie. J’ai donné commission d’acheter à Paris tout ce qu’on pourrait trouver d’Elle, tout ce que j’en ai est sacré pour moi ; ce sont des reliques qui seront sans cesse l’objet de mon admiration constante.»

Axel de Fersen à sa soeur Sophie von Piper

Sources et bibliographie :

_Voyage du Comte de Haga en France recueilli et mis en ordre par M. le chevalier du Coudray en 1784

_journal de Fersen

_correspondance de Fersen

_correspondance de Marie-Antoinette

_témoins du temps : écrits contemporains ; écrits post-Révolution

_biographies et ouvrages en lien avec Marie-Antoinette et Fersen

_brevdiariumhttps://sok.riksarkivet.se/nad?Sokord=fersen+axel&EndastDigitaliserat=false&BegransaPaTitelEllerNamn=false&AvanceradSok=False&typAvLista=Standard&page=1&postid=Arkis+13BA8DF6-400F-42ED-8BC3-03AB58F75B03&tab=post&FacettState=undefined%3Ac%7C#tab

_Journal de Véri.

isabelle.aristide@ culture.gouv

_Mercy :

https://marie-antoinette.forumactif.org/t2407p75-fersen-2

Historiographie : 

Marie-Antoinette, Edmond et Jules Goncourt, 186…

Gustave III et la cour de France, Auguste Geffroy, 1867

-Le comte de Fersen et la cour de France, extraits des papiers du grand maréchal de Suède, comte Jean-Axel de Fersen, publié par son petit-neveu le baron  R. M. de Klinckowström, colonel suédois, 1877-1888

-Reiset …

Les beaux jours de Marie-Antoinette, d’Arthur-Léon Imbert de Saint-Amand, E. Dentu, éditeur, 1885

Diary and correspondence of Count Axel Fersen, Grand Marshal of Sweden, Wormeley, Katharine Prescott, 1899.

Diary and correspondence of Count Axel Fersen, Grand Marshal of Sweden, Wormeley, Katharine Prescott, 1902.

The Reminiscences of Sir Barrington Beaumont, Bart, 1902

« La maison du comte de Fersen rue Matignon, la journée du 20 juin 1791-Monsieur Léonard »,  dans Extraits des « mélanges d’Emile Le Senne, Albert Vualflart,Parisien, Paris, 1916.

Journal intime et Correspondance du comte Axel de Fersen, Alma Söderhjelm, 1930

La Vie privée de Marie-Antoinette, Charles Kunstler, 1938

Le Secret de Fersen, Charles Kunstler

Marie-Antoinette, F. W. Kenyon, traduit de l’anglais par Michèle Du Colombier, 1956

Hans-Axel de Fersen, le plus aimé, le plus aimant des hommes, Françoise Kermina, Perrin, 1985

Marie-Antoinette et Fersen, Henry Vallotton, La Palatine,1952

A propos du livre d’Alma Söderhjelm

Cet ouvrage est une telle référence pour tous les biographes, mais difficilement trouvable, pendant vingt ans, j’ai lu avec confiance les auteurs qui suivaient l’allemande. Or en découvrant le livre il y a une dizaine d’années, quelle déception! Je pensais y trouver toutes les preuves annoncées et je n’y découvre que des interrogations, des suppositions, une enquête non aboutie mais qui laisse à penser ce que d’autres , plus tard finiront par affirmer ! Ainsi Alma Söderhjelm occupe-t-elle une place primordiale dans ce que l’on peut appeler le conte de Fersen, car telle le mythe de la caverne développée par Platon dans la République, sans avoir accès à ce que certains considèrent comme une bible, les lecteurs ont cru pouvoir conclure à l’histoire d’amour entre le suédois et la Reine de France. Or rien dans ces écrits ne permet une telle conclusion !  Il apparaît bien pourtant que c’est à partir de 1930, c’est-à-dire des écrits d’Alma  Söderjhelm, que Fersen semble avoir été considéré comme plus qu’un ami pour Marie-Antoinette…

Benjamin Warlop

Mais alors pourquoi tous ces témoignages n’ont eu d’écho qu’après l’interprétation d’Alma Soderjhelm … Cent-vingt ans après la mort de Fersen?

L’aristocratie suédoise et la France dans la seconde moitié du XVIIIe siècle Charlotta Wolff

F., nommé en février caporal au corps de Livdrabant, est appelé à servir auprès du roi le 28 mai et devient ainsi le témoin du comportement belliqueux des Dalallmogen dans la capitale. Selon sa propre description (tr. By Klinckowström in F: s Historiska skrifter, 1, pp. 131–150), il est intervenu à plusieurs reprises de manière dramatique dans le cours des événements. Cependant, comme Beckman l’a souligné dans son analyse détaillée du soulèvement, la pétition ne peut pas être facilement acceptée. Il souffre des mêmes faiblesses, qui enferment systématiquement les écrits historiques de F, démontrés pour la première fois par Malmström dans l’étude « Axel von Fersen en tant qu’auteur de mémoires » et liés à leur caractère d’œuvre de vieillesse conceptuellement présente et inachevée (Palme in PHT 1936, p. 173 et suiv.). Le manque de fiabilité des détails et la tendance à trop insister sur le rôle de l’auteur sont déjà évidents dans cette section. Il convient donc de l’utiliser avec la même prudence et dans l’exercice de la même critique constamment en éveil que ses autres écrits de ce genre. Pour F. lui-même, son séjour à Stockholm a permis à Fredrik I de le connaître personnellement et de l’apprécier, ce qui est devenu plus tard d’une grande importance pour sa carrière dans son pays d’origine.

Souvenirs d’un diplomate anglais : II. La Suède et Gustave III. Le partage de la Pologne et Frédéric II

https://www.jstor.org/stable/44727364?seq=8

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