Le 4 septembre 1755
Naissance d’Axel de Fersen à Stockholm.
Il est le fils du feld-maréchal Fredrik Axel de Fersen (1719-1794) et de Hedwige-Catherine de La Gardie (1732-1800), et frère de Sophie Piper (1757-1816) et de la comtesse Klinckowström.
Le père d’Axel, parlementaire du parti des Hats, est l’homme le plus influent politiquement en Suède à cette époque et aussi l’ un des plus riches du royaume. Il est le seigneur de quatre grandes maisons en Suède: Löfstad [hérité par sa femme], Steninge, Liung et Mälsaker. Il a également des mines, des terre, des forêts et les fonderies de fer en Suède et en Finlande, et il possède une part importante de la Suède East India Company, entreprise la plus rentable du pays jamais.
Axel est aussi le cousin de la maîtresse du futur Roi de Suède et dame d’honneur (Hovmästarinnan) de la Reine Sophie-Madeleine, la comtesse Löwenhielm, née Augusta von Fersen.
En plus de leur intelligence et de leur ambition, les deux familles sont réputées pour leur beauté qui ne laissent pas indifférents les Wasa puis les Holstein-Gottorp, maisons royales de Suède. Les Fersen, comme les La Gardie sont des membres éminents du parti des Chapeaux, favorables à l’alliance française au contraire des Bonnets pro-russes. La lutte est rude entre les deux partis au sein du sénat suédois, le Riksdag. Les Chapeaux sont largement financés par la France :
«Pour aider ce parti à se maintenir au pouvoir et pour assurer le dévouement de ses membres, le gouvernement français distribue de l’argent en espèces, des pensions et des gratifications diverses à des personnes clefs.»
L’aristocratie suédoise et la France dans la seconde moitié du XVIIIe siècle par Charlotta Wolff
Le château de Steninge (à 40 km de Stockholm) des Fersen ; images de l’émission Secrets d’Histoire
Table à petit déjeuner offerte à Axel de Fersen par Marie-Antoinette
La salle des cuirs dorés
Après des études universitaires poussées en Suède, Fredrick Axel de Fersen entre dans l’armée suédoise en 1737. En 1738, il est autorisé à rejoindre l’armée française en tant que caporal puis capitaine du Royal-Alsace en 1740. En 1741, il devient adjudant du duc de Boufflers, lieutenant de Louis XV des armées de Flandres et du Nord. Il participe au siège de Prague qui met momentanément à mal la reine de Bohême Marie-Thérèse mais qui lui permet à la fin d’assurer sa couronne.
Le 30 mars 1757
Naissance de la comtesse Eva Sophie von Fersen (1757-1816), future comtesse Piper.
Le 7 octobre 1762
Naissance de son frère Fabian Reinhold von Fersen (1762-1818).
Le jeune Axel a été influencée par la culture française, en partie grâce aux services de son père à Louis XV. Dans son enfance,Fersen apprend plusieurs langues dont le français, le latin, l’ anglais, l’ allemand et l’ italien. Son éducation de jeune homme sera surtout militaire.
En 1765
Les Bonnets prennent le pouvoir contre la monarchie et les Chapeaux. Le duc de Choiseul, ministre des Affaires étrangères français, conseille à l’ambassadeur le baron de Breteuil, d’être particulièrement vigilant. Les Bonnets sont pro-Russes et pro-Anglais.
En 1769
A quatorze ans, Fersen débarque avec son domestique et son précepteur dans le duché de Brunswick.
Il s’inscrit pour étudier à l’académie. Sa seule distraction est l’arrivée du prince suédois Charles (1748-1818), frère du prince héritier Gustave (1746-1792). Fersen sert de guide au prince à travers Brunswick, surtout au musée qu’il connaît à fond .
Le prince, de son côté, aide Fersen à entrer dans la loge maçonnique de Brunswick. En présence du duc Ferdinand et avec le prince Charles pour témoin, il fait à quinze ans son entrée dans la loge.
Il semble n’avoir été qu’à demi rassuré par le cérémonial initiatique, car ensuite, il consigne dans son journal :
« Bien que persuadé que rien de mal ne pourrait m’arriver, j’étais, après la cérémonie de réception, content d’être de retour à la Cour .»
Le 3 Juillet 1770
Fersen fait son premier grand tour de l’Europe destiné à parfaire son éducation. Il a l’intention de voir le monde et ses études dans les académies militaires : Brunswick, Turin, Strasbourg et Lüneburg.
C’est l’occasion pour l’adolescent de commencer son dagbok qui finira par atteindre six tomes et plus de vingt mille pages. Il y inscrit les principaux événements de sa vie mais aussi ses conquêtes féminines.
Le 12 février 1771
L’héritier du trône de Suède alors de séjour à Paris devient Roi sous le nom de Gustave III. Avec le soutien de Louis XV, il entame une révolution absolutiste permettant de reprendre la main sur les Bonnets mais aussi de briser les élans aristocratiques et oligarchiques du comte Fredrick Axel de Fersen.
Celui-ci donne ordre à son fils de croiser la route du jeune souverain en Allemagne afin de lui jurer sa loyauté. Gustave III déjà amoureux dans sa jeunesse de la comtesse Hedvig tombe sous le charme de ce magnifique jeune homme. Afin d’aider le jeune souverain, Louis XV nomme Charles Gravier de Vergennes (1719-1787) comme nouvel ambassadeur à Stockholm. Celui-ci, sous les ordres du Roi de France, ouvre grands les cordons de la bourse afin d’obtenir le soutien des Chapeaux.
En Octobre 1771
Axel passe par la Suisse et à Ferney , il rencontre Voltaire (1694-1778), mais avoue ne rien comprendre à la philosophie. En cours, il était plutôt en vadrouille qu’à sa table de travail, malgré le plombs qu’il a dans la cervelle….
La visite, Fersen la rapporte avec la franchise et la désinvolture de son âge:
« […]Il nous appointa pour le lendemain, ce qui m’obligea à rester un jour de plus. Nous y allâmes donc et nous causâmes avec lui pendant 2h. Il était habillé d’une veste d’écarlate avec de vieilles boutonnières brodées que son père et Grand-Père avaient portée, une vieille perruque non frisée, des souliers à l’antique, des bas de laine tirés par-dessus les culottes, une vieille robe de chambre, tout ça était d’une harmonie admirable avec sa figure toute ridée dont les yeux sont très beaux et tout l’ensemble de sa figure a un air tout-à-fait satirique. Il avait chez lui le Père Adam, Jésuite, et un valet de chambre qui sait toute la bibliothèque de son maître par cœur. Mr de Vol. fait beaucoup de bien dans son village.»
En 1772
Un autre danger guette la Suède et son Roi : le démembrement. Frédéric II et Catherine II lorgnent l’un sur la Poméranie, l’autre sur la Finlande. Seul le soutien de la France peuvent arrêter les ambitions des despotes éclairés : en effet celle-ci a permis à Gustave III d’affermir son pouvoir. Ce sera donc la Pologne, beaucoup plus faible politiquement qui assouvira leurs appétits, soutenus par Joseph II qui prendra également sa part.
En Novembre 1772
Fersen a continué à Turin, en Italie, où il rend visite au Roi Charles-Emmanuel III (1701-1730-1773).
En avril 1773
Après Rome, Axel de Fersen se rend à Naples où il est reçu par la Reine Marie-Caroline (1752-1814).
Le 13 novembre 1773
Axel de Fersen s’installe à l’ambassade de Suède, rue Grenelle Saint-Germain. Il loge chez l’ambassadeur de France, le baron de Breteuil, et sa fille madame de Matignon. Il avait été en poste à Stockholm de 1763 à 1766 où il tissa des liens avec le comte de Fersen père. Le jeune Axel s’y sent rapidement en famille.
Le 15 novembre 1773
Arrivée à Paris. Fersen loge chez l’ambassadeur de Suède le comte de Creutz à l’hôtel de Bonnac rue de Grenelle.
Le 18 novembre 1773
Le ministre des Affaires étrangères, le duc d’Aiguillon, reçoit le jeune homme à souper : son père est un élément essentiel de la diplomatie franco-suédoise.
D’anciens ministres des Affaires étrangères, comme le comte d’Argenson, cultivaient volontiers une réelle amitié avec les ambassadeurs suédois en place. Cette «relation spéciale» est une clé essentielle de la politique française. D’après l’abbé Véri qui sera aux premières loges du pouvoir à la nomination du comte de Maurepas auprès du futur Louis XVI, le duc d’Aiguillon pousse un peu trop loin cette alliance durant cette année :
«A l’égard de la Suède, il fit craindre à la France des effets trop étendus de l’alliance. On parla quelque temps de faire marcher des escadres et des troupes vers la Suède. Il y eut même, dans l’intérieur du royaume, des ordres donnés aux matelots classés pour se rendre dans différents ports. Les citoyens craignirent que ces montres militaires engageassent trop la France. L’événement les rassura. Le fait est que la Russie voulait envoyer des troupes en Finlande, en 1773, pour troubler la révolution de 1772. M. d’Aiguillon menaça de brûler les escadres russes qui étaient dans la Méditerranée et d’envoyer des régiments en Suède. Il était secrètement d’accord avec milord Rochefort, qui lui fit savoir qu’en feignant d’armer aussi puisque la France armait, il lui laisserait le temps de faire son expédition. Cette montre menaçante fit résoudre Catherine II à rester tranquille. Ainsi la révolution de Suède resta dans son entier. Ce fut dans cette révolution que l’autorité passa des mains anarchiques des États dans celles du souverain.»
Journal de l’abbé de Véri, p. 77
C’est dire combien il est important aux yeux du ministre d’accueillir ce jeune seigneur suédois dont le père a une situation politique majeure dans son pays.
Le 19 novembre 1773
Axel de Fersen est présenté à la famille royale. Et c’est donc à ce moment précis, malgré toutes les mises en scène romantiques, que se voient pour la première fois Marie-Antoinette et Fersen.
Marie-Antoinette l’accueille comme toute autre personne qui compte en Europe et qui a donc sa place à la cour de Versailles. Comme l’accueillent Louis XV, le Dauphin, les comtes de Provence, d’Artois et leurs épouses, Mesdames Filles du Roi et Mesdames Clotilde et Elisabeth, petites-filles de Sa Majesté. C’est tout simplement l’activité quotidienne de la famille royale : recevoir courtisans et visiteurs étrangers de marque.
En son temps, la Reine Marie Leszczyńska a beaucoup protégé les Suédois et était une amie proche des ambassadeurs Tessin et Carl Scheffer qu’elle recevait volontiers ainsi que leurs protégés venus de Suède. Il ne faut pas oublier que son père Stanislas Leszczyński est devenu Roi de Pologne par l’entremise du Roi de Suède Charles XII.
La famille royale se doit donc de recevoir aimablement tout ce qui a trait à la Suède : non seulement l’alliance politique est majeure depuis longtemps dans le système international mais c’est aussi cette nation qui a permis à la feue Reine d’accéder au statut royal.
Le 24 novembre 1773
Présentation à madame du Barry qui en tant que favorite compte beaucoup pour la diplomatie. Le futur Gustave III l’avait bien compris quelques années auparavant. Fersen dîne ensuite de nouveau avec le duc d’Aiguillon. Le poids diplomatique du jeune homme est indéniable.
Le 27 novembre 1773
Parmi ses innombrables réceptions (opéras, dîners, soupers, à plusieurs reprises chez le duc d’Aiguillon), il est désormais reçu par la comtesse de Noailles, dame d’honneur de la Dauphine qui appartient au réseau de Creutz.
Le 4 décembre 1773
Axel prend des cours de danse. Sa visite chez la dame d’honneur de la Dauphine y est sûrement pour quelque chose.
Le 6 décembre 1773
Bal chez Madame la Dauphine.
Ces bals sont des moments d’étiquette et ne sont pas du tout des lieux d’amusement et de plaisir, obligatoires pour tous les jeunes princes et princesses de la famille royale, et qu’ils prennent pour la plupart comme une corvée à laquelle ils ne peuvent échapper. Ces bals sont d’ailleurs organisés par la comtesse de Noailles et à cette date il y a peu de chances que Marie-Antoinette ait son mot à dire quant aux invités. On comprend mieux du coup les cours de danse de l’avant-veille.
En 1774
Achevant son Grand Tour d’Europe, Axel arrive à la cour de France, où il fait vive impression par son physique avantageux.
Samedi 1er janvier 1774
Le comte de Fersen, accompagné du comte de Kreutz, assiste à la cérémonie de l’Ordre du Saint-Esprit, et fait sa cour au Roi.
Après avoir dîné, il va, avec le comte de Creutz, faire sa visite à la comtesse du Barry. Elle lui parle pour la première fois.
Le comte de Kreutz, ambassadeur de Suède, écrit à son sujet au Roi Gustave III :
« De tous les Suédois qui ont été ici de mon temps, c’est celui qui a été le mieux accueilli dans le grand monde. Il a été extrêmement bien traité dans la famille royale. Il n’est pas possible d’avoir une tenue plus sage et plus décente que celle qu’il a tenue. Avec la plus belle figure et de l’esprit, il ne pouvait manquer de réussir dans la société, aussi l’a-t-il fait complètement.»
Le dimanche 30 janvier 1774
Après avoir dîné chez madame d’Arville, le comte de Fersen se rend au bal de l’Opéra à une heure. Il y a foule. Parmi celle-ci, il y a la Dauphine, le Dauphin et le comte de Provence. Ils y restent une demi-heure, sans que leur présence soit remarquée. Le comte de Fersen parle à la Dauphine, sans La reconnaître, car il s’agit d’un bal masqué.
Quand Madame la Dauphine se fait connaitre, tout le monde s’empresse au tour d’Elle, et se retire dans sa loge.
Axel de Fersen rencontre la Dauphine Marie-Antoinette au bal de l’Opéra. Son incognito ne fonctionne que pour le suédois : tout le monde reconnaît Sa chevelure blond cendré (plutôt que roux comme le lancera madame du Barry) sous le masque du bal.
Le comte de Fersen quitte le bal à trois heures.
Le 31 janvier 1774
Le comte de Fersen se rend, à Versailles, à trois heures, pour assister à un nouveau bal. Il y reste jusqu’à huit heures moins le quart, puis retourne à Paris souper chez Madame d’Arville.
Le 10 mai 1774
Mort de Louis XV.
Le Dauphin devient Roi sous le nom de Louis XVI.Marie-Antoinette est la nouvelle Reine de France !
Le 12 mai 1774
Visite du château de Chantilly, puis départ pour l’Angleterre.
Le 7 juin 1774
La comtesse de Fersen écrit à son époux à propos des succès mondains de leur fils :
«J’ai été fort aise des éloges que ma soeur donne à notre fils, j’ai aussi reçu une lettre du comte de Creutz, qui me parle beaucoup de lui, et qui, sans nommer madame de Brancas, me parle de liaisons de notre fils dans une des plus grandes maisons de France.»
Alma Söderhjelm, Fersen et Marie-Antoinette,édition de 1930, p. 44
En juin 1774
Le jeune comte est déçu de son séjour londonien. Il est aussi bien reçu par la famille royale britannique et assiste à tous les grands événements aristocratiques mais tout lui apparaît comme vilain comparativement à ce qu’il a vécu de si brillant en France.
«Je fus présenté à la reine qui est très gracieuse et très aimable, mais elle n’est pas du tout jolie.»
Axel de Fersen
Il doit ensuite repasser par la France mais uniquement par Dunkerque et Lille et de là Bruxelles, les Pays-Bas puis Berlin.
Axel écrit une longue lettre à sa chère Sophie qu’il n’a pas revu depuis quatre ans :
«Ma chère soeur
Il y a bien longtemps que. je n’ai reçu de vos lettres, ma chère soeur, mais j’en conçois maintenant la raison facilement, depuis que je sais que vous êtes dans le grand monde, cela doit vous occuper considérablement et vous laisser peu de temps à vous, d’ailleurs je ne suis pas en droit de vous faire des reproches car je n’ai pas non plus été fort exact à vous donner de mes nouvelles, mais j’espère que ne serez pas moins généreuse que je ne le suis et que vous m’excuserez facilement, car je voyage, et j’ai par conséquent beaucoup à faire et à écrire. Je suis charmé d’apprendre que la robe que j’ai fait faire pour vous sous soit parvenue, je souhaite que vous l’ayez trouvée jolie, au moins c’était mon intention en la faisant faire, j’ai même outrepassé les ordres de ma mère qui m’avait écrit de faire faire une petite robe, mais j’ai pris ce qu’il y avait de plus joli et de plus nouveau, c’est avec une impatience extrême que je désire de vous en voir parée, j’espère que j’aurai ce plaisir à Noël, et je me flatte de ne pas être mal reçu car je suis porteur d’une lettre, devinez de qui ; c’est de mademoiselle Leyel qui est charmante et qui me charge de vous faire un million de compliments, je l’ai vue à Dresde, je les ai laissés il y a neuf jours et je crois qu’elles se mettront bientôt en route pour l’Angleterre. Madame et monsieur de Lövenhielm vous font mille compliments, ils m’ont reçu à merveille, et vous ne sauriez croire ma chère petite soeur tout le bien qu’ils ont dit de vous, que vous étiez grande, jolie, aimable, gaie et que sais-je moi, mille autres jolies choses de façon, m’ont-ils dit, que je ne vous reconnaitrais pas si je vous voyais avec plusieurs autres, mais j’en doute, car mon coeur vous retrouverait toujours. Je suis à Postdam pour voir le roi et c’est demain que je lui serai présenté ensuite je retourne à Berlin pour y rester cinq à six jours, et me mettre en route pour ne plus m’arrêter qu’à Stockholm si Dieu me donne la santé. Je suis en attendant le moment de vous voir votre très affectionné frère
Axel de Fersen. »
A aucune autre femme il n’exprimera autant de sentiments.
Le jeune homme a fini son éducation, il a énormément appris, sur tous les plans, militaire, intellectuel, scientifique, littéraire, il parle couramment le français, l’allemand, l’italien, l’anglais. Ses succès diplomatiques, mondains et amoureux sont considérables. Il connaît personnellement tous ceux qui comptent en Europe. Il va désormais passer plusieurs années à s’ennuyer chez lui, partagé entre la vie de cour suédoise et sa famille.
Vers 1776
Axel de Fersen est devenu une manière de personnage, amant de la duchesse de Sudermanie Hedvig-Elisabeth-Charlotte (1759-1818), belle-sœur de Gustave III.
Le 24 août 1776
Aux yeux d’Axel, la vie de cour suédoise n’a vraiment pas les agréments de la vie parisienne :
« Pardonnez chère Sophie si je n’ai pu vous remercier plutôt de votre petit billet de Stiernsund, mais nous avons tant à faire ici que j’ai n’ai pu vous écrire. Nous montons à cheval le matin et le soir pendant quatre ou cinq heures nous courons les têtes et les bagues tant que nous pouvons, mais malgré cela je m’ennuie très fort je voudrais être loin d’ici, toutes ces figures de cour me paraissent si vieilles, elles me déplaisent toutes, mais il faut pourtant me résoudre à les voir jusqu’au mois de novembre patience… Notre tournoi est fixé au 27 nous serons tous habillés de fer, j’ai une armure de 40 skâlpund (livres) que je dois porter pendant trois jours depuis deux heures après midi jusqu’à ce que je me couche ; nous devons souper avec nos armures, plaignez un peu mon dos et mes épaules.»
En avril 1778
Il se trouve à Lille en compagnie de ce régiment, entend parler de bruits de guerre (Autriche/Bavière).
Le 16 avril 1778
Accompagné de son valet Joseph et de son chien, Axel de Fersen s’embarque pour Londres y courtiser Mademoiselle Leyel, qui concentre sur sa personne toutes les qualités : protestante et immensément riche. Physiquement, au reste, la jeune femme ne lui déplaît pas. Mais les négociations se soldent par un refus : la demoiselle ne veut pas quitter sa famille pour s’établir à l’étranger.
Des sentiments divers animent Axel : la blessure d’avoir été éconduit, le regret d’avoir déçu son père, mais aussi le soulagement de rester libre. Il se trouve encore jeune, il peut retenter sa chance dans quelques années…
« Le Père Leyel est vieux et maladif, s’il mourrait tout obstacle de sa part cesserait, tout son bien me viendrait tout de suite.»
Axel de Fersen à son père
Le 20 avril 1778
Naissance de son neveu, Axel Adolph von Piper (1778-1827), à Stockholm.
Le 28 juin 1778
Fersen dit adieu à Marie-Antoinette.
Le 30 juin 1778
Par contre ses affaires maritales n’avancent pas. Mademoiselle Leyel refuse de quitter Londres pour vivre en Suède. Fersen, blessé, se confie comme toujours à Sophie :
« Tout est fini, ma chère amie, la fille m’a assuré qu’elle ne voulait pas quitter ses parents, et qu’elle ne changerait pas d’avis et elle m’a toujours prié de la mander à son père. J’ai cependant insisté, j’ai dit tout ce que l’amant passionné peut dire mais en vain ; elle m’a assuré qu’elle ne doutait pas que je l’aimasse, je l’ai assurée que je ferais mon unique étude de lui plaire, et de la rendre heureuse, enfin mille autres choses, nonobstant tout cela, elle m’a répondu, que la peine de se séparer de ses parents était trop grande pour elle, qu’elle ne pouvait s’y résoudre. Elle l’a déclaré à son père, il m’en a parlé en me disant qu’il en était bien fâché ; et me faisant de jolis compliments, il m’a assuré de son amitié et m’a demandé la mienne il compte écrire une lettre à mon Père, et je me vois obligé de lui mander cette nouvelle. J’en suis au désespoir, cela lui fera de la peine, mais j’ai fait tout mon possible. La fille est fort aimable, remplie de talents, bien de figure, elle est charmante et remplie de douceur, je sens la perte que je fais, mais je ne puis m’empêcher de trouver la raison bonne, je sais par moi-même la peine qu’on doit avoir de se séparer pour toujours de ses parents, et d’un endroit où l’on a des amis, je me consolerai de cette perte si je suis sûr, que mon Père soit persuadé que j’ai fait tout ce que j’ai pu pour lui plaire, et obtenir. le consentement de mademoiselle Leyel. Si au contraire, il en doute, j’en serais au désespoir, j’aurais l’âme bien basse, et je serais le plus ingrat des hommes, si pour prix de toutes les bontés qu’il a pour moi, je le trompais. Je luis écris aujourd’hui pour le prier de différer mon retour en Suède, vous savez le plaisir que j’aurais de vous revoir, mais je crois qu’il n’y a que ce seul moyen pour faire un peu oublier ce mariage rompu, et m’éviter le désagrément affreux d’entendre railler et faire des bons mots sur ce sujet, je propose à mon Père, de me laisser aller, ou dans les provinces méridionales de France, ou à Vienne, ou à Paris pour travailler avec Creutz, ou à la guerre et c’est ce dernier parti que je préfèrerais. Mais quelque soit l’intention de mon père, je m’y soumettrais avec plaisir, plaire à un si bon père est tout ce que je veux. Adieu, ma chère et tendre amie, je suis au désespoir d’avoir une si mauvaise nouvelle à mander à mon Père, et inconsolable, s’il soupçonnait qu’il y eut de ma faute.»
Le 25 août 1778
Il revient à la Cour de France. La Reine, qui ne l’a pas oublié, en le voyant dit :
« C’est une vieille connaissance ! »
et toute la Cour note qu’Elle traite avec une attention particulière le jeune homme.
L’un des premiers soins d’Axel après son retour en France, une fois finies les présentations et les visites de courtoisie est de prendre contact avec l’armée française. Dans ce but, il se rend en compagnie de son ami Stedingk, colonel suédois, à l’armée du Nord.
« Je songeais, écrit-il dans son journal, d’aller en Normandie voir le camp qu’il y avait sous les ordres du Maréchal de Broglie. Je proposais à Stedingk d’être du voyage ; il y consentit et il fut résolu, que nous partirions le 10. Nous fîmes faire nos uniformes d’après le nouveau costume. Madame de Boufflers marqua beaucoup de curiosité de les voir et nous allâmes chez elle ainsi habillés une couple de jours avant notre départ. Elle trouva l’habit très leste, mais seulement mon uniforme seul joli ».
Ce voyage dure plus de deux semaines. Axel et Stedingk semblent y prendre grand plaisir.
Le 11 septembre 1778
Ils arrivent à Bayeux et repartent le 12 septembre pour le camp dressé comme une menace face à la côte anglaise. Voici la vivante description qu’Axel a donné de leur arrivée dans son journal :
« Nous descendîmes chez le maréchal au quartier général. Il faisait un temps affreux, une pluie horrible, et un froid très vif. Nous étions fort embarrassés l’un et l’autre de nous présenter ainsi, sans être connus, dans un habillement aussi extraordinaire et notre embarras augmenta considérablement en voyant la quantité de monde qu’il y avait et qui allait nous examiner. Le premier moment, quand nous entrâmes dans la chambre où étaient tous les aides de camp et les officiers fut horrible, et il fallu prendre son parti. Nous trouvâmes tout de suite un des aides de camp de Monsieur de Bois-Rouvray, qui nous accosta, nous lui dîmes que nous étions Suédois et que nous avions des lettres à remettre au Maréchal. Un moment après les portes s’ouvrirent et les officiers entrèrent pour l’ordre. On nous fit entrer aussi et je trouvai un petit homme fort bien mis qui avait l’air fort éveillé. Je lui présentai mes lettres. Après les avoirs lues, il me fit les plus jolis compliments du monde sur mon père, en me disant que mon nom était très connu en France. Le prince de Beauveau et plusieurs autres dirent la même chose. On parla beaucoup de mon père, je reçu beaucoup de compliments sur mon compte, par nombre de personnes qui vinrent me dire qu’elles avaient servi avec lui et me demandèrent de ses nouvelles.
J’étais fort content de ma réception. Le maréchal nous fit tout de suite donner un logement et nous devions y faire porter nos effets. Le lendemain il nous présenta à sa femme, à sa fille, à sa sœur, etc… etc… Nous y dînâmes, il nos fit tout plein de politesses, on nous combla d’amitiés et nous fit promettre que nous entrerions dans notre logement le lendemain ».
Le voyage se poursuit dans d’aussi heureuses conditions. Que le temps soit bon ou mauvais, Fersen n’en paraît pas moins satisfait. Tous les gens qu’il rencontre sont aimables avec lui et son ami. Ils occupent la même chambre que deux jeunes Français, le comte et le marquis de Roquefeuille que Fersen considère comme de bons camarades. Le maréchal ne les reçoit pas moins aimablement, prête ses chevaux aux jeunes Suédois et, pour employer l’expression d’Axel « nous garda toujours à côté de lui, quoi qu’il renvoyât tous les autres ».
Axel trouve les troupes fort belles et bien exercées ; la brigade Allemande-Bavière dans laquelle il doit lui-même servir et la brigade de La Marck sont selon lui les premières tant par la beauté des hommes que par la précision et l’attention dans l’exercice.
L’après-midi, entre les manœuvres, on danse pour chasser l’ennui. Les dames dont les maris servent au camp accourent des environs. Voici mesdames de la Châtre, de Simiane, de Navarès, la marquise de Coigny, madame de Villequier. « Madame Decajol et ses trois charmantes filles étaient le principal ornement du bal » nous dit Fersen.
Quelquefois les deux Suédois sont invités à dîner chez le prince de Beauveau et la princesse, « une des femmes qui a le plus d’éloquence, d’esprit et de savoir » plaît beaucoup à Axel.
« Enfin, résume-t-il, tout le monde nous faisait des politesses, on nous regardait comme Français, et j’aurais volontiers passé un couple de mois de cette façon, mais le camp devait finir le 30 septembre et nous avions résolu de nous en aller le 25 ».
Mais des faveurs plus personnelles que celle d’être regardé comme Français lui sont réservées.
Dès son retour à Paris, Marie-Antoinette semble chercher toutes les occasions pour lui montrer l’intérêt qu’Elle lui porte. Il est vrai qu’il ne va pas souvent à Versailles mais chaque visite apporte une nouvelle preuve de la faveur de la Reine à son égard.
Le 1er octobre 1778
Il écrit à son père :
« … Tout le monde me reçoit si bien et on me parle tant de vous, mon cher père, qu’il me semble que c’est une seconde patrie, ceux même qui ne vous ont pas connu, se font honneur de parler de vous et disent du moins qu’ils vous ont ont vu. Il n’y a pas jusqu’à la Reine qui me fasse politesse et qui ne m’ait parlé de vous ».
Le 15 novembre 1778
Dans une lettre à son père, Fersen parle de Marie-Antoinette.
« La Reine, qui est la plus jolie et la plus aimable princesse que je connaisse, a eu la bonté de s’informer souvent de moi ; elle a demandé à Creutz pourquoi je ne venais pas à son jeu les dimanches, et ayant appris que j’y étais venu un jour, qu’il n’en avait pas, elle m’en a fait une espèce d’excuse. Sa grossesse avance et elle est très visible. »
Voir cet article :
L’intérêt visant Fersen est dirigé vers son pays et sa famille :
« Tout le monde me reçoit si bien ici et on me parle tant de vous, mon cher Père, qu’il me semble que c’est une seconde patrie, ceux mêmes qui ne vous ont pas connu, se font honneur de parler de vous et disent du moins qu’ils vous ont vus, il n’y a pas jusqu’à la Reine qui ne me fasse politesse et qui ne m’ait parlé de vous.»
Axel de Fersen à son père
Le 19 novembre 1778
Axel écrit ceci :
« La Reine me traite toujours avec bonté. Je vais souvent lui faire ma cour au jeu, elle me parle toujours. Elle avait entendu parler de mon uniforme et elle témoigna beaucoup d’envie de le voir au lever ; je dois y aller mardi ainsi habillé non pas au lever mais chez la Reine. C’est la princesse la plus aimable que je connaisse ».
C’est le premier témoignage public de l’intérêt que Marie-Antoinette lui porte. Un jeune Suédois, plus tard le célèbre archevêque Lindblom, qui ne connaissait pas personnellement Axel rapporta le fait dans une lettre qu’il écrit de Versailles, le 24 décembre 1778 à un ami en Suède :
« … L’habit Suédois… jugé au point de vue du bon goût n’est en aucune façon inférieur à l’habit français. Le Français qui croit posséder un goût raffiné, le reconnaît volontiers et tout Versailles ne parle que d’un comte Fersen qui est venu à la cour portant l’habit national suédois que la Reine, d’après ce qu’on m’a dit a examiné très soigneusement ».
L’habit suédois agrée surtout à la Reine, mis en valeur par celui qui l’ajuste à son élégance, Axel ose, à la Cour, être de son pays, ne pas avoir l’air, comme tout le monde, français. Hardiesse d’originalité ou de dandysme, faite pour séduire Marie-Antoinette.
Le 15 décembre 1778
On s’amuse follement cet hiver 1778-1779 à Paris.
« Mon séjour ici devient de jour en jour plus agréable, écrit Axel à son père. Je fais à tout moment de nouvelles connaissances au point de ne pouvoir sans me gêner, les cultiver toutes… Toutes les personnes que j’avais connues à mon premier voyage paraissent me revoir avec plaisir… Enfin, c’est un lieu charmant, ou il ne me manque, pour être parfaitement content, que la satisfaction de vous y voir, mon Père ».
Cette dernière phrase ne constitue qu’une formule de politesse car rien certainement ne serait moins désirable pour Axel en ce moment que la présence à Paris de son père ou d’un membre quelconque de sa famille.
Le 19 décembre 1778
Marie-Antoinette donne naissance au premier enfant du couple royal, Marie-Thérèse Charlotte, «Madame Royale ».
Les jeux, les réceptions et les fêtes sont alors interrompus pour quelques temps. Après les quelques semaines qu’exige le rétablissement de la Reine, les plaisirs reprendront de plus belle
Le 23 décembre 1778
Retour de Fersen à Versailles, consécutif à l’abandon du projet d’invasion de l’Angleterre.
Le 24 décembre 1778
Fersen est est invité au réveillon donné pour la Reine chez madame de Lamballe. Il passe plusieurs jours à Versailles avant d’aller à Paris.
« L’habit suédois… jugé au point de vue du bon goût n’est en aucune façon inférieur à l’habit français. Le français qui croit posséder un goût raffiné, le reconnaît volontiers et tout Versailles ne parle que d’un comte Fersen qui est venu à la cour portant l’habit national suédois que la Reine, d’après ce qu’on m’a dit, a examiné très soigneusement »
Un jeune Suédois, plus tard le célèbre archevêque Lindblom à un ami en Suède
Au cours de l’hiver 1779
Il devient l’un des familiers de la Reine, et collectionne les conquêtes féminines. Cette «âme brûlante sous une écorce de glace», selon le bon mot d’une de ses amies, passe pour un séducteur impénitent doté d’une nature chevaleresque. C’est une personne assez frivole ! Dans ces cahiers de notes, c’est surtout une succession de descriptions vestimentaires des différentes cours d’Europe, et les noms illustres qu’il a rencontrés et leurs commentaires sur lui-même.
Mais Fersen rêve également de se battre.
Il exprime son désir de continuer à servir la France. Cette idée n’est pas nouvelle et il l’a déjà formulée à la fin de 1778 ou au début de 1779… Cette décision est donc d’une date bien moins récente qu’on ne le croit généralement et il est probable que ses relations avec Marie Antoinette n’en aient pas été la cause déterminante.
Il demande à rejoindre le corps expéditionnaire français qui part en Amérique. Le Roi de Suède, à qui le comte de Creutz a fait part de l’inclination de Marie-Antoinette, intervient, et Fersen obtient d’être nommé aide de camp du comte de Vaux, qui doit commander les troupes. Finalement, le corps expéditionnaire ne part pas, et Fersen rentre au château de Versailles, très dépité. Il fait le siège du comte de Vergennes et du prince de Montbarrey, ministre de la Guerre.
Fin mars 1779
Marie-Antoinette attrape une rougeole très douloureuse, cause de violents maux de gorge et d’aphtes. Elle se retire donc à Trianon afin de préserver Sa petite fille et Son mari de tout risque de contagion.
Elle est alors veillée par le comte d’Esterházy (1740-1805), le baron de Besenval (1721-1791) et les ducs de Coigny (1737-1821) et de Guînes (1735-1806).
Et voilà que la riche Germaine Necker (1766-1817) est promise au baron de Staël (le mariage aura lieu en 1786, car la demoiselle n’a que treize ans). Cela ne contrarie pas Axel outre mesure, qui écrit à son père :
Le 11 juillet 1779
« J’ai appris à mon arrivée ici que Mademoiselle Leyelle était mariée, j’en suis fâché, mon cher Père, ce mariage vous aurait fait plaisir. Staël a encore des espérances et depuis qu’il est fait ministre, et sera sans doute ambassadeur elles se sont augmentées, il n’y faut donc plus songer, je n’en connais pas d’autre, qu’importe. Je ne suis pas pressé et je me trouve fort bien de l’état de garçon. Je sens que celui de mariage ne me rendrait pas aussi heureux. Au moins qu’il n’augmentât considérablement ma fortune, ce n’est pas la peine de se marier pour n’avoir que des peines, des embarras et des privations de plus.»
Axel de Fersen à son père
Le 20 janvier 1780
Fersen est nommé colonel attaché à l’infanterie allemande.
Il s’engage pour la Guerre d’Indépendance en Amérique. Madame de Fitz-James (1753-1812) lui demande alors :
« Quoi! Monsieur, sous abandonnez ainsi votre conquête?
_Si j’en avais fait une, je ne l’abandonnerais pas, répond Axel, je pars libre et malheureusement sans laisser de regret.»Marie-Sylvie de Fitz-James
Le 1er mars 1780
Le duc de Lauzun (1747-1793) est nommé Brigadier de Dragons, sous les ordres de Rochambeau (1725-1804). Il rencontre alors Axel de Fersen dont il va devenir une référence militaire.
« Je me suis particulièrement lié avec le duc de Lauzun. Les opinions sont partagées sur son compte, vous en entendrez dire du bien et du mal. Les premiers ont raison, les seconds ont tort. S’ils le connaissaient ils changeraient d’avis et rendraient justice à son cœur.»
Axel de Fersen à son père
Le 23 mars 1780
Il embarque, à Brest, sur le Jason, et part enfin pour les Amériques, où il participe à la guerre d’Indépendance américaine sous les ordres du comte de Rochambeau.
Le 16 mai 1780
Fersen, à bord du Jason depuis plusieurs semaines, part avec la flotte française pour l’Amérique.
La guerre d’indépendance américaine
Le 19 octobre 1781
Il se fait apprécier de Rochambeau qui l’appelle son «premier aide de camp», se lie avec duc de Lauzun qui lui promet le brevet de colonel commandant sa légion, et le marquis de Ségur, qui lui promet également de le nommer colonel en second. Fersen se conduit brillamment au siège de Yorktown en Virginie.
Le 22 octobre 1781
Naissance du Dauphin, Louis-Joseph-Xavier-François (1781-1789).
En octobre 1782
Grâce à l’intercession de Marie-Antoinette, il obtient la place de colonel en second du régiment de Royal-Deux-Ponts. Il déclare alors à son père qu’il souhaite rester en Amérique jusqu’à la fin du conflit, et ensuite passer au service de Gustave III.
En juin 1783
A
Fersen rentre des Etats-Unis avec les troupes françaises. Il a été gratifié de l’ordre de Cincinnatus que Washington lui a remis à son départ ainsi qu’à Stedingk. C’est un souvenir flatteur et mérité pour la part qu’il a prise dans une campagne mémorable où il n’a pas ménagé ses efforts. Après cinq semaines de traversée, il arrive à Paris le 23 juin.
Le 23 juin 1783
Fersen rentre de campagne , et se rend à Versailles où il obtient, toujours par la faveur de Gustave III et de la Reine, le Royal-Suédois en pleine propriété. La rumeur va alors bon train à la Cour. A son retour de la guerre d’Indépendance, Axel est un homme vieilli prématurément. Surtout qu’il est assez hypocondriaque, et a les intestins fragiles, il a beau faire le galant, c’est une petite nature !
A considérer la silhouette de cet habit d’Axel de Fersen des années 1780, on devine sa haute taille, il devait approcher le 1,90 mètre, mais l’on ne peut que s’étonner de l’étroitesse de ses épaules qui paraissent assez malingres. Malgré l’expérience américaine, on a donc affaire à un courtisan entretenu dans sa forme, plutôt que sportif….
Sitôt arrivé à Paris, Fersen multiplie les démarches pour obtenir un régiment. Il demande à Sophie de persuader leur père, et sollicite Gustave III :
« Dans une lettre que j’eus l’honneur de Vous écrire du Cap, Sire, je Vous demande Votre consentement pour accepter la propriété du Régiment de Monsieur le Duc de Lauzun maintenant il se présente une occasion d’avoir celui du Royal-Suédois et si Votre Majesté veut en faire la demande pour moi je suis sure de l’obtenir; je ne m’arrête pas sur les avantages qui résulteraient pour moi d’un pareil arrangement, ils sont fort grands, et Votre Majesté les sent comme moi; malgré cela je n’y aurais jamais songé si cette place avait due me priver du plaisir de faire mon service auprès de la personne de Votre Majesté, et si elle eut due m’empêcher d’avoir l’honneur de lui faire ma cour, mais elle n’exige pas de résidence, et fournit a Votre Majesté le moyen de placer de jeunes gens dans ce Régiment, qui rapporteraient ensuite pour le service de leur patrie les talents et l’expérience qu’ils auraient pu acquérir dans celui de France qui va être plus actif que jamais.
J’ose supplier Votre Majesté en faveur des bontés qu’elle a toujours eu pour moi, de consentir à cet arrangement, et j’ose me flatter que vous voudrez bien, Sire, ajouter a tous Vos bienfaits celui d’y contribuer.
La permission que je Vous avais demandée de ne revenir qu’au printemps, est mal d’accord avec l’impatience extrême que j’ai de Vous faire ma cour, et je viens de proposer a mon Père de passer cet hiver en Suède, et que Votre Majesté veuille me promettre de retourner en France au printemps pour faire mon service d’été au Régiment ou je suis, de passer ensuite l’hiver a Paris pour faire mes arrangements, finir mes affaires, et revenir en Suède au printemps, ce nouveau projet satisferait la grande impatience que j’ai de Vous faire ma cour, Sire. J’ose me flatter et je supplie Votre Majesté de vouloir bien consentir a celui de ces deux projets pour lequel mon Père se décidera, et d’être mon avocat auprès de lui.
Mais le vieux sénateur met aussi tous ses efforts à voir son fils atteindre le poste d’ambassadeur, avec une loyauté qui force le respect :
Staël me traite avec toutes sortes d’égards, je loge chez lui, écrit-il à son père, on ne saurait être mieux dans un palais, qu’il n’est dans celui-ci, il y est aimé de tout le monde. C’est la seule personne que le Roi puisse y envoyer et qui y soit agréable, tout le monde désire le voir ambassadeur et si vous pouviez y contribuer, ce serait une nouvelle preuve de vos bontés pour moi et vous feriez du bien a un sujet, qui le mérite et qui ne serait point ingrat.»Axel de Fersen à son père
Le 31 juillet 1783
Fersen écrit à sa sœur Sophie qu’il ne se mariera jamais, parce qu’il ne peut pas être à la seule personne à qui il voudrait être, à la seule qui l’aime véritablement, ainsi il ne veut être à personne.
« J’ai reçu il y a trois jours une lettre de mon ami Creutz, qui m’a fait le plus grand de tous les plaisirs. Or que je suis heureux ma chère Sophie, il me mande que le Roi et mon Père ont consentis a tout, jugés de mon bonheur. J’en écris aujourd’hui à mon Père pour lui en faire mes remerciements, et lui témoigner toute ma joie. J’ai peine a le croire tant je suis heureux, j’ai plus d’une raison pour cela, que je vous direz quand nous nous verrons.
Je partirai d’ici vers le 13 Sept: et je serai en Suède le 15 oct: que j’aurai de plaisir à vous voire ma chère amie a pouvoir causer avec vous, a vous dire combien je vous aime. Ah ! Soyez toujours sure de l’amitié vive et tendre que je vous porte elle ne finira qu’avec ma vie.
Malgré tout le plaisir que j’aurai à vous voir je ne puis quitter Paris, sans regret. Vous trouverez cela très naturel quand vous en saurés le sujet, je vous le direz car je ne veux avoir rien de caché pour vous.
Je suis bien aise que Mademoiselle Lyell soit mariée, on ne m’en parlera plus et j’espère qu’on n’en trouvera pas d’autre, j’ai pris mon parti je ne veux jamais former le lien conjugal, il est contre nature. Lorsque j’aurai une fois le malheur de perdre mon Père et ma Mère, ce sera vous ma chère amie qui me tiendrez lieu de l’un et de l’autre et même de femme. Vous serez la maîtresse de ma maison, elle sera la vôtre, et nous ne nous quitterons pas. Si cet arrangement vous convient il fera le bonheur de ma vie. Je ne puis pas être a la seule personne a qui je voudrais être la seule qui m’aime véritablement, ainsi je ne veux être à personne.»Axel de Fersen à sa sœur Sophie Piper
Cette seule personne à qui il voudrait être n’est-elle pas sa sœur Sophie elle-même et non Marie-Antoinette comme les auteurs qui utiliseront les termes tronqués de cette lettre se plairont à le croire?
Le 25 août 1783
La Cour apprend une nouvelle grossesse de Marie-Antoinette. La Reine en est mécontente et s’enferme dans ses appartements ; ses dames trouvent porte close.
Le 20 septembre 1783
Fersen quitte la France pour retourner en Suède. Gustave III le nomme Lieutenant Colonel des Dragons du Roi. Dans sa lettre de remerciements même, Axel revient avec son envie de régiment en France, sollicitant l’intervention personnelle de Gustave auprès de Louis XVI.
« Recevez Sire tous mes remerciements de la nouvelle marque de bonté que Votre Majesté vient de me donner, en m’accordant la demande que je lui avais faite. Votre consentement Sire a cette affaire a reçu un nouveau prix, par la manière touchante et flatteuse dont Votre Majesté a bien voulue me l’annoncer. La parole que Vous exigez de moi, Sire, de passer six mois en Suède, Vous était donné depuis longtemps, mon cœur Vous en est garant mon plus grand bonheur sera toujours d’être auprès de Vous, et de pouvoir Vous convaincre de toute ma reconnaissance le cours entier de ma vie ne suffirait pas pour m’acquitter envers Vous. Je passerai six mois de l’année auprès de Vous Sire, peut être même davantage, recevez en ma parole d’honneur, et croyez, Sire que j’ai un plaisir extrême à vous la donner. Je n’ai jamais eu l’idée de m’expatrier, quoiqu’on m’en soupçonne peut être, mais je ne le pourrais pas – l’honneur de Vous voir, de Vous faire ma cour, est trop nécessaire à mon bonheur. Vous avés rendu mon existence trop agréable en m’attachant à Votre personne pour n’y pas tenir infiniment, et sans parler de liens de sang qui m’attachent à ma patrie, quel serait mon existence en France, si je quittais Votre service, je rentrerais alors dans la classe de tous les français, dont je n’ambitionne pas le sort; je n’ai de considération et d’agrément ici que par les bontés dont Votre Majesté m’honore; mes sentiments plus encore que mon intérêt Vous sont garants que je consacre mes jours à Votre service, et que j’y mettrai tout le zèle dont je suis capable, puissé-je un jour être assez heureux pour Vous servir utilement, ce sera le plus beau de ma vie.
Je crois remplir encore mieux les vues de Votre Majesté en tachant d’avoir le Régiment Royal Suédois de préférence a tout autre, cela serait plus décent et plus avantageux pour Votre Majesté, en y plaçant de bons sujets, on donnerait de la nation l’idée qu’on doit en avoir en France, et que la manière distinguée dont les officiers de Votre marine sont servis, a déjà si bien établie; j’espère que je réussirai à l’obtenir, et que je parviendrai a tirer ce Régiment des mains des Messieurs de Sparre.»Axel de Fersen à Gustave III
En 1783, le comte de Fersen obtient, suite à la demande du Roi Gustave III lors de son voyage en France, une pension de 20 000 livres, elle sera réduite en 1788 à 13 000 livres, et cessera tout à fait en 1791.
Et voici la lettre de recommandation que Gustave III écrit à Louis XVI :
« Monsieur, mon frère et cousin, le comte de Fersen, ayant servi dans les armées de Votre Majesté en Amérique avec une approbation générale, et s’étant rendu par là digne de votre bienveillance, je ne crois pas commettre une indiscrétion en vous demandant un régiment – propriétaire pour lui. Sa naissance, sa fortune, la place qu’il occupe auprès de ma personne, la sagesse de sa conduite, les talents et l’exemple de son père, qui a joui auparavant de la même faveur en France, tout m’autorise à croire, que ses services ne pourront qu’être agréables à Votre Majesté, et, comme il restera également attaché au mien et qu’il se partagera entre les devoirs qu’exige son service en France et en Suède je vois avec plaisir, que la confiance que j’accorde au comte de Fersen et la grande existence dont il jouit dans sa patrie étendront encore davantage les rapports qui existent entre les deux nations et prouveront le désir constant que j’ai de cultiver de plus en plus l’amitié qui m’unit à vous, et qui me devient de jour en jour plus chère. C’est avec ces sentiments et ceux de la plus haute considération et de la plus parfaite estime que je suis, monsieur, mon frère et cousin, de Votre Majesté le bon frère, cousin, ami et allié.»
Gustave III
« Le Roi a consenti tout de suite, et a témoigné la plus grande envie de faire quelque chose qui put être agréable a. Votre Majesté, la Reine a bien voulu s’en mêler, des qu’elle a su que Vous le désiriez, tout va bien, et je crois pouvoir assurer à Votre Majesté que j’aurai le Régiment de Royal Suédois, on a imaginé ici que c’était celui qui ferait le plus de plaisir a Votre Majesté, et celui qui me conviendrait le mieux, on a offert a messieurs de Sparre des avantages assez considérables pour les faire quitter, le comte Ernst a déjà renoncé a sa survivance, et le Comte Alexandre a depuis longtemps témoigné le désir de rendre son Régiment, il s’agit seulement de régler les prétentions exorbitantes qu’il fait. Parmi ces demandes il fait celle du Cordon des Séraphins. Le Comte de Cheffer le lui a presque assuré dans une lettre ou il l’engage a ne pas accepter le Cordon Rouge qu’on lui offrit alors; je n’ose me flatter que les bontés et l’intérêt que Votre Majesté daigne prendre a moi puissent l’engager a lui accorder cette grâce a laquelle il a véritablement les droits tant par sa naissance, que par la promesse du Comte de Cheffer, et s’il consent a me céder son Régiment ce dont je ne doute pas, c’est en grande partie pour plaire a Votre Majesté.»
Fersen à III
Voici la lettre de Marie Antoinette à Gustave :
« Monsieur mon frère et cousin, je profite du départ du comte Fersen pour vous renouveler les sentiments qui m’attachent à Votre Majesté; la recommandation qu’elle a faite au roi a été accueillie comme elle devait l’être, venant de vous et en faveur d’un aussi bon sujet. Son père n’est pas oublié ici: les services qu’il a rendus et sa bonne réputation ont été renouvelés par le fils, qui s’est fort distingué dans la guerre d’Amérique, et qui, par son caractère et ses bonnes qualités a mérité l’estime et l’affection de tous ceux qui ont eu l’occasion de le connaître. J’espère, qu’il ne tardera pas à être pourvu d’un régiment. Je n’oublierai rien pour seconder les vues de Votre Majesté et vous donner en cette occasion comme en toute autre des preuves du sincère attachement avec lequel je suis, monsieur mon frère et cousin, votre bonne sœur et cousine.»
Marie-Antoinette
Franchement, on ne lit que de la civilité entre souverains désireux de se rendre mutuellement service. Fersen ne parle à sa sœur et confidente Sophie que de ce qui importe réellement pour lui :
« Mon affaire est décidée, ma chère amie, je suis Colonel Propriétaire du Royal Suédois, mais je n’ai pas encore mon brevet, n’en dites rien à mon Père, s’il ne vous en parle pas; il y a encore l’article des 100,000 à arranger avec lui.»
En septembre 1783
Il quitte Versailles et rejoint Gustave III qui se rend incognito en Italie, en tant que capitaine des garde du corps du souverain.
« Le comte de Haga (Gustave III) était tombé à la cour comme une bombe. Le roi était à la chasse à Rambouillet, la reine le fit prévenir en toute hâte. (…) Les valets de chambres ne se rencontrèrent point là quand il le fallut ; ils avaient emporté les clefs, on ne savait où les prendre. Le comte de Haga était déjà chez la reine ; le roi dans sa bonté ne voulait pas le remettre ; des gens de la cour aidèrent Sa Majesté à s’habiller tant bien que mal… On était si pressés que tout fut fait de travers sans qu’on s’en aperçût. Il avait une de ses boucles de souliers en or et l’autre blanche, une veste en velours au mois de juin ! et ses ordres tout à rebours (ses emblèmes royaux à l’envers), il n’était bien poudré que d’un côté et le nœud de son épée ne tenait pas. La reine en fut frappée et se contraria. Quant au roi, au contraire, il en rit beaucoup, et fit rire le comte de Haga.»
La baronne d’Oberkirch
Le 29 octobre 1783
Axel a pour projet de rentrer en Suède, mais Gustave III décide de l’emmener dans son voyage en Italie. Le sujet rencontre donc son souverain à Erlanger, rencontre dont il rend fièrement compte à son père :
« C’est à Erlang le 16 de ce mois que j’ai joint le Roi, jamais un frère séparé pendant longtemps d’un frère qu’il aime tendrement, n’a été reçu comme je l’ai été par ce charmant monarque, il n’y a pas de paroles qui pussent l’exprimer, il pleurait de joie et de sensibilité, et j’étais très touché depuis ce moment, il n’y a aucune sorte de marques d’amitié et de confiance que je n’éprouve tous les jours.»
Axel de Fersen à son père
Le 8 novembre 1783
Il renchérit :
« [Le roi Gustave] était encore au lit, quand j’arrivai, il me fit entrer sur le champ, il m’embrassa mille et mille fois, me dit les choses les plus tendres et les plus flatteuses sur le désir et l’impatience qu’il avait eu de me revoir, et sur la manière dont je m’étais conduit en Amérique, il était attendri jusqu’aux larmes, il en versait de joie, et j’étais vivement touché, il me répéta mainte et mainte fois combien il sentait vivement l’étendue du sacrifice que je lui faisais, en ne vous voyant, qu’il concevait la peine que cela vous faisait; qu’il la partageait, et que s’il n’y avait été force, n’ayant aucun autre capitaine de gardes en état de le suivre, il ne m’aurait pas pris avec lui, quelque envie qu’il en eut, et quelque convenable que cela fut, moi étant le seul qui fut fait pour lui faire honneur… enfin il me reçut non en Roi mais en ami tendre et sensible…, Il me distingue de tous les autres en tout et partout.»
Axel de Fersen à son père
A lire cette lettre de Fersen , on croirait plutôt avoir affaire à l’amant du Roi de Suède qu’à «celui» prétendu de la Reine de France…
Au cours de ses pérégrinations, Axel rencontre plusieurs membres de la famille Habsbourg, dont la simplicité lui plaît. Voici ce qu’il nous dit de Marie-Caroline :
« La Reine a de l’esprit; elle est aimable et prévenante comme toute la maison d’Autriche et comme eux elle aime à gouverner et gouverne; elle parle peut-être un peu trop.»
Et sur Joseph II, il écrit :
« La grande simplicité de ses manières de ses discours et de son habillement, contrastait beaucoup avec l’élégance et la frivolité des nôtres; il avait l’air solide et nous léger. Je ne sais pas, si la comparaison a été tout à fait à notre avantage, chez les gens sensés. J’en doute, et je ne crois pas, que nos talons rouges, notre belle coiffure, nos diamants, nos chaînes de montre et nos habits de satin, l’aient emporté sur un bon uniforme de drap, bien propre, un col noir et une bonne épée de cuivre bien dorée; c’était ainsi qu’était vêtu l’Empereur. Il voyageait sans sénateur sans premier gentilhomme de la chambre, sans capitaine des Gardes, sans écuyer etc. etc. il n’y avait pas dans son antichambre 14 personnes, dont les unes devaient reconduire ceux qui venaient, jusqu’à la porte, d’autres au haut de l’escalier et d’autres jusqu’en bas.»
Le 7 juin 1784
Le comte de Haga, c’est-à-dire le Roi Gustave III de Suède, arrive à la Cour de France incognito et à l’improviste. Dans la matinée, il arrive à Paris et descend chez son ambassadeur, le baron de Staël-Holstein, qui n’a pas encore épousé la future romancière. Le Roi de Suède a accepté l’invitation que Louis XVI lui avait adressée en février.
Gustave en personne a fait le compte-rendu de cette réception :
« On a joué sur le petit théâtre le « Dormeur réveillé », par M. de Marmontel, musique de Grétry (c’est « le Dormeur éveillé » de Piccini) avec tout l’appareil des ballets de l’Opéra réunis à la Comédie Italienne. La décoration de diamants termina le spectacle. On soupa dans les pavillons des jardins et, après souper, le jardin anglais fut illuminé. C’était un enchantement parfait. La Reine avait permis de se promener aux personnes honnêtes qui n’étaient pas du souper et on avait prévenu qu’il fallait être habillé en blanc ce qui formait vraiment le spectacle des Champs-Élysées. La Reine ne voulut pas se mettre à table, mais fit les honneurs comme aurait pu faire la maîtresse de la Maison la plus honnête. Elle parla à tous les suédois, et s’occupa d’eux avec un soin et une attention extrêmes. Toute la famille royale y était, les charges de la cour, leurs femmes, les capitaines des gardes du corps, les chefs des autres troupes de la Maison du Roi les ministres et l’ambassadeur de Suède (M. de Staël). La Princesse de Lamballe fut la seule des princesses de sang qui y était. La Reine avait exclu tous les princes, le Roi ayant été mécontent d’eux.»
Appartement prévu pour Gustave III de Suède au château de Versailles
( Texte et illustrations de Christophe Duarte – Versailles Passion )
Un appartement est aménagé au rez-de-chaussée de l’Aile du Midi, attenant à l’Escalier des Princes, appartement affecté à la duchesse de Bourbon.
La visite de Gustave III est organisée à la hâte, le souverain francophile n’ayant annoncé sa visite que tardivement. Selon la tradition établie à Versailles, toute visite princière, fut-elle incognito, conduit à l’aménagement d’un appartement réservé au visiteur et correspondant, par sa richesse, à son véritable rang. Le Garde-Meuble de la Couronne envisage dans un premier temps de commander des ameublements neufs pour la chambre et le grand cabinet du souverain suédois, mais il est finalement décidé, pour cette dernière pièce, d’acheter un meuble sur le marché parisien.
Ce mobilier a appartenu au Comte de Gamache qui l’a acheté au marchand parisien François-Charles Darnault en 1778. Composé d’un canapé, de six fauteuils, de deux bergères et d’un écran de cheminée estampillés du menuisier Jean‑Baptiste II Tilliard, il est digne, par la richesse de son décor sculpté et doré, du mobilier royal. Il l’est d’autant plus que le dessinateur et entrepreneur le plus en vue de la Fabrique lyonnaise, Philippe de Lasalle, en a conçu l’étoffe : un «gros de Tours broché fond satin à médaillons et figures, La Bouquetière et le Jardinier», l’une de ses plus célèbres compositions.
Le mobilier comporte des meubles provenant du fonds du Garde-Meuble de la Couronne et d’un ensemble pour la chambre : un lit à quatre colonnes et à impériale avec couronnement sculpté, quatre fauteuils et huit pliants.
Il devait être couvert d’un pékin fond blanc avec la tapisserie du Cabinet de la Reine à Versailles.
Dans le cabinet, un secrétaire, une commode et une table mécanique, qui a été livrée à Marie-Antoinette par Riesener, le 26 janvier 1781 pour Son cabinet intérieur.
Pour le Cabinet, un ensemble de six fauteuils, huit cabriolets et deux bergères ont été achetés pour l’occasion. Un canapé et un écran complètent l’ensemble.
Des meubles d’ébénistes complétaient les sièges : dans la chambre, une commode et une table à écrire.
Considérons à présent les deux pièces connues aujourd’hui comme celles qui auraient été attribuées à Fersen dans l’attique du château de Versailles.
L’appartement attribué à Fersen
( texte et illustrations de Christophe Duarte ; Versailles -passion )
Axel de Fersen revient plusieurs fois à Versailles. On l’y voit en juin 1783, en juin 1784, en juin 1789 où il assiste impuissant au début de la Révolution.
Marie-Antoinette l’a-t-Elle logé dans les deux pièces en enfilade des valets de chambre à l’étage de ses cabinets intérieurs, comme l’affirme le baron de Besenval ?
Dans une lettre datée du 8 octobre 1787, Fersen demande à Marie-Antoinette de faire installer un poêle dans son logement : «Qu’elle fasse faire une niche au poêle». Marie-Antoinette fait faire ces modifications dans ses appartements intérieurs qui correspondent aux demandes de Fersen.
Le 9 octobre 1787, on retire les glaces dans un cabinet du petit appartement de la Reine au deuxième étage, on les replace le 23 octobre et le 18 octobre on livre des tables de marbre pour servir de foyer au poêle.
Une lettre de la Direction générale des bâtiments du Roi confirme que Marie-Antoinette ordonna de faire les travaux nécessaires à l’installation d’un poêle. Loiseleur écrit au Directeur général des bâtiments, le 10 octobre 1787 :
« J’ai l’honneur de rendre compte à M. le Directeur Général des Bâtiments que la Reine a envoyé chercher le poêlier suédois qui a fait des poêles à l’Appartement de Madame et que Sa Majesté lui a ordonné d’en faire un dans ses cabinets intérieurs avec tuyaux de chaleur pour échauffer une petite pièce à côté. La Reine m’a ordonné aussi de faire disposer l’emplacement dudit poêle qui consiste dans la dépose de deux parties de lambris, dans la démolition d’un bout de cloison pour la refaire en briques et de la dépose d’une partie du parquet pour y faire un âtre en brique.»
Evelyn Farr , « Marie-Antoinette et le Comte Fersen – La correspondance secrète »
On est loin du luxe déployé pour la réception éphémère du Roi de Suède ou de celui des appartements de madame de Polignac à ce moment-là ou ceux de mesdames de Pompadour et du Barry. Ce n’est donc pas l’appartement d’un favori. Il s’agit juste là de pièce où déposer ses bagages, une sorte de boudoir-placard où se retirer, mais qui ne présente pas la possibilité de recevoir et faire salon. Fersen n’a pu loger ici, à moins d’y installer son lit de camp…
Il s’agit d’un pied-à-terre lorsqu’il loge dans un hôtel extérieur à Versailles.
Le 21 juin 1784
Fête donnée en l’honneur du comte de Haga ( Gustave III ), souper, spectacle et illumination à Trianon.
C’est une soirée fastueuse. Les invités, tout de blanc vêtus selon le désir de la souveraine, commencent par assister au Dormeur éveillé de Marmontel, puis ils se rendent par le parc illuminé jusqu’au temple de l’Amour. Là, une foule est massée, car la Reine a permis «à toutes les personnes honnêtes» d’entrer dans le parc à condition qu’elles aient un habit blanc.
« A la table du Roi, on a servi quatre-vingts entrées et quarante-huit entremets. A la grande table d’honneur quarante-huit entrées et soixante-quatre entremets .
Menu : oreilles d’agneau à la Provençale, esturgeon à la broche, sauce à la glace, rôt de bif de chevreuil, d’un chevreuil tué par le Roi lui-même, compote de faisans …»
Journal du secrétaire Franc, cité par Félix Moeschlin dans Le beau Fersen
« Soudain, une flamme s’éleva derrière le Temple et, en quelques secondes, le parc entier parut brûler. Des colonnes d’étincelles montaient vers la cime des arbres et les nuages s’empourprèrent.»
« Après l’embrasement du Temple, on servit un souper dans les pavillons du jardin français. Au petit matin, Gustave III, ravi par cette fête grandiose, remercia Marie-Antoinette. Il ignorait, le pauvre, que, sans l’amour, la France, n’eût certainement pas fait tant d’honneur à son pays.»
La Reine ne danse point … Elle a l’esprit ailleurs …
Gustave III fait le compte-rendu de cette réception :
« On a joué sur le petit théâtre le « Dormeur réveillé », par M. de Marmontel, musique de Grétry (c’est « le Dormeur éveillé » de Piccini) avec tout l’appareil des ballets de l’Opéra réunis à la Comédie Italienne. La décoration de diamants termina le spectacle. On soupa dans les pavillons des jardins et, après souper, le jardin anglais fut illuminé. C’était un enchantement parfait. La Reine avait permis de se promener aux personnes honnêtes qui n’étaient pas du souper et on avait prévenu qu’il fallait être habillé en blanc ce qui formait vraiment le spectacle des Champs-Élysées. La Reine ne voulut pas se mettre à table, mais fit les honneurs comme aurait pu faire la maîtresse de la Maison la plus honnête. Elle parla à tous les suédois, et s’occupa d’eux avec un soin et une attention extrêmes. Toute la famille royale y était, les charges de la cour, leurs femmes, les capitaines des gardes du corps, les chefs des autres troupes de la Maison du Roi les ministres et l’ambassadeur de Suède (M. de Staël). La princesse de Lamballe fut la seule des princesses de sang qui y était. La Reine avait exclu tous les princes, le Roi ayant été mécontent d’eux.»
Tout en multipliant les conquêtes, Axel entretient une correspondance suivie avec Marie-Antoinette.
En juin 1784
Fersen revient à Versailles, dans l’entourage de Gustave III qui voyage toujours sous le nom de « comte de Haga », et qui ne va pas tarder à le gratifier d’une pension de 20 000 livres annuelles, qui lui permet de mener bon train à la Cour. Lors du voyage en Italie, Fersen écrit à son père combien l’excentricité de Gustave III l’exaspère.
Le 9 novembre 1784
« Mr de Boye. Prie de m’envoyer un chien qui ne fut pas petit, de la taille de ceux qu’avait Monsieur Pollett, dit que c’était pour la Reine de France.»
Journal d’Axel de Fersen
Le 27 mars 1785
Naissance de Louis-Charles, duc de Normandie, surnommé «Chou d’Amour» par Marie-Antoinette, Dauphin en 1789 et déclaré Roi de France en 1793 par les princes émigrés sous le nom de Louis XVII.
Le 19 juillet 1784
Fersen rentre en Suède pour huit mois.
Le 22 octobre 1784
« Mr de Boye… Que le chien n’est pas arrivé comment je dois faire pour l’avoir.»
Journal d’Axel de Fersen
Le 18 avril 1785
Axel quitte Stockholm pour arriver sans encombres à Paris le 10 mai 1785.
« Mais il est 8 h. du soir, il faut que je vous quitte, je suis à Versailles depuis hier, ne dites pas que je vous écris d’ici, car je date mes autres lettres de Paris. Adieu, il faut que j’aille au jeu de la Reine. Adieu.
A 9 h. du soir le même jour.
Je sors dans le moment du jeu de la Reine et n’ai que le temps de finir ma lettre, car je dois aller dans le moment souper chez Madame d’Ossun, dame du Palais, la Reine y sera; au sortir du souper à 1 h. je retourne à Paris, et cette lettre part demain matin à 8 h. Adieu, je vous quitte… »
Axel de Fersen à Sophie Piper
En mai 1785
Il revient en France prendre possession de son régiment, à Landrecies, près de Valenciennes, et partage son temps entre la Cour et son régiment.
Le 8 mai 1785
Retour de Fersen en France. Le registre de lettres fait état de l’existence d’un logement de Fersen à Versailles dans l’hôtel de Luynes.
Le 24 mai 1785
Marie-Antoinette fait Son entrée à Paris pour fêter Ses relevailles. Voici la description qu’en donne Axel :
« L’entrée de la Reine s’est faite avant-hier. Votre Majesté verra par le journal de Paris l’ordre de la marche, les équipages n’étaient pas très beaux et la reine a été reçue très froidement. Il n’y avait pas une seule acclamation mais un silence parfait, il y avait une foule de monde énorme, le soir, la reine a été fort applaudie à l’Opéra, les applaudissements ont duré près d’un quart d’heure. Le soir, il y a eu quelques illuminations très belles, celle de la place Louis XV était superbe, l’ambassadeur d’Espagne qui loge dans un des pavillons donna un feu d’artifice très joli mais trop petit, la reine fut dans la place pour la voir. L’illumination du baron de Staël était très jolie ; la reine et Madame Elisabeth ont couché aux Tuileries ; hier elles ont été aux Italiens, la reine y a été fort applaudie.
J’ai annoncé ici l’arrivée du comte de Hessenheim pour l’automne, il m’en avait prié, il m’a paru que cela n’a pas fait un extrême plaisir à la duchesse de Polignac, c’était cependant la où il m’avait prié d’en parler, il y a même des gens qui ont fait une petite grimace à cette nouvelle ».
Fersen parle ici ouvertement de l’impopularité de Marie-Antoinette. Pendant cette année, alors qu’Axel était loin de la France, la popularité de la Reine a en effet beaucoup baissé. Aux reproches d’autrefois, son goût pour les plaisirs et sa passion pour le jeu, s’ajoutent d’autres et de plus graves : Son intimité avec le cercle Polignac et l’affaire du collier.
En 1785
Axel propose à Taube d’intervenir pour lui auprès de Gustave III, pour lui faire offrir l’ambassade de Suède à Paris. Alors Fersen pourrait rester auprès de Marie-Antoinette et il aurait été possible pour sa sœur Sophie de venir faire les honneurs de sa maison.
Mais ce projet ne se réalise pas, parce que le baron de Staël a été créé ambassadeur pour sa vie en 1785 pour faciliter les négociations pour son mariage avec Germaine Necker.
Gustave III offre à Fersen le poste très discret d’envoyé extraordinaire auprès de Louis XVI et Marie-Antoinette personnellement. Il fait explicitement le distinguo entre France le pays révolutionnaire (Staël reste ambassadeur) et la monarchie (Fersen est l’envoyé personnel du Roi de Suède au Roi de France). Fersen touche à une pension diplomatique qui lui permet de rester en France, Gustave explique à son père qu’il a donné à Axel un poste d’une grande importance.
Fersen est de retour à Landrecies. La correspondance reprend avec Marie-Antoinette. Il reste à son régiment jusqu’au 27 septembre 1785.
Le 15 août 1785
Le cardinal de Rohan est arrêté dans la galerie des Glaces, à Versailles, dans le cadre de l’affaire du Collier.
Le 6 septembre 1785
Axel informe Sophie Piper de son prochain départ pour Paris
« … Mon séjour à Landrécies tire à sa fin, je partirai le 27 ou le 28 pour aller à Paris… ».
Entre temps, il s’occupe de trouver un logement à Paris et charge un attaché à l’Ambassade de Suède, Monsieur d’Asp, de cette mission.
Le 9 septembre 1785
Depuis Landrecies :
« Je n’ai point parlé à votre majesté de l’affaire du cardinal. Monsieur Staël qui est à Paris et par conséquent plus apporté que moi d’en saisir les détails, les aura sans doute donnés à votre majesté, c’est une infamie dont on aurait encore moins soupçonné un homme qui jouit de douze à quinze cents mille Livres de rente, il est vrai que les affaires sont bien dérangées et qu’il avait sur les bras une bien mauvaise affaire pour l’administration des quinze-vingts où il y avait un déficit de dix huit à dix neuf mille francs, toutes les histoire qu’on débite sur lui et surtout en province sont incroyables, on ne veut pas que ce soit le collier et la signature de la reine contrefaite qui soit la vraie cause de sa détention, on suppose quelques raisons politiques et il n’y en a certainement pas ; à Paris même, on dit que toute cela n’était qu’un jeu entre la reine et le cardinal, qu’il était fort bien avec elle, qu’elle l’avait en effet chargé de lui acheter le collier, et qu’elle se servait de lui pour faire savoir à l’empereur tout ce qui se passait dans le conseil, que c’était pour lui porter ces nouvelles qu’il avait fait le voyage d’Italie, et qu’il l’avait été cherché à Venise, que la reine faisait semblant de ne pas pouvoir le souffrir afin de mieux cacher le jeu, que le roi en avait été informé, qu’il le lui avait reproché, qu’elle s’était trouvée mal et avait fait semblant d’être grosse… »
Fersen à Gustave III
A la mi-septembre 1785
Axel retrouve son frère, Fabian qui arrive de Londres. Les deux frères se rendent aux bains de Saint-Amand, non loin de Landrecies pour voir le beau-frère de Sophie, le sénateur Scheffer. Axel aurait voulu pousser le voyage jusqu’à Spa, mais y renonce par crainte d’y rencontrer une certaine miss Florence qu’il tient absolument à éviter.
Le 17 septembre 1785
Comme nous le montre son livre de correspondance, Fersen demande à Monsieur d’Asp de voir le logement vis à vis de Madame de La Fare ainsi qu’une écurie et une remise pour son phaéton.
Le 24 septembre 1785
Il indique qu’il prend le petit logement de Madame de La Fare avec les écuries et lui demande d’aller voir.
Ce même jour, il confirme la location par une lettre à Madame de La Fare et lui demande de lui faire avoir également une écurie et une remise en précisant qu’il arrivera le 28 septembre.
Au moment de son départ de Landrecies, Axel ne sait pourtant pas encore si l’arrangement est définitif puisqu’il a mentionné dans une lettre à monsieur d’Asp :
« … Que j’arrive le 30, qu’il me fasse savoir à la barrière où je dois loger ».
Le 30 septembre 1785
Fersen est de retour à la Cour. Il reprend son logement à l’hôtel de Luynes, rue de la Surintendance à Versailles, dans l’appartement de Madame de La Fare. Il dispose également d’un pied-à-terre à Paris.
Le 4 octobre 1785
Retour « officiel » de Fersen à la Cour.
En novembre 1785
Fabian de Fersen arrive à Paris et il y restera jusqu’en mars ou avril 1786, mais les lettres qu’il envoie alors à son père ne nous apprennent rien sur son frère Axel.
En janvier 1786
Fersen passe plusieurs jours à son régiment.
Le 14 janvier 1786
Fabian de Fersen assiste au mariage de Staël avec Germaine Necker.
En mars 1786
Annonce de la grossesse de Marie-Antoinette. Ses lettres à Son frère
trahissent Son inquiétude de se trouver encore grosse. L’accouchement est prévu fin juin. Le retour de Fersen en Suède, prévu en mai, est reporté à la fin juin.
Du 2 au 10 juin 1786
Fersen est à son régiment à Valenciennes.
Du 11 au 25 juin 1786
Fersen est auprès de Marie-Antoinette à Versailles.
Le 15 juin 1786
Axel écrit à son ami Taube qu’il ira à Londres pour regagner la Suède. Le même jour, il écrit aussi à Monsieur Grill, consul de France à Gothembourg, pour savoir s’il y a à Londres un navire en partance pour la Suède. Il demeure à Paris jusqu’au 20 juin.
Le 20 juin 1786
Louis XVI part visiter les fortifications à Cherbourg.
Le 25 juin 1786
Départ de Fersen pour la Suède, via l’Angleterre.
Le 9 juillet 1786
Naissance à Versailles de Sophie Hélène Béatrice, fille cadette de Marie-Antoinette et Louis XVI.
Il n’y a de réjouissance que celle des Parisiens qui peuvent boire gratuitement aux buffets des Messieurs. En effet, le peuple souffre souvent de faim. Le Ministre Calonne règne…
Le 26 juillet 1786
Retour de Fersen en Suède, à Helsingborg. Il y reste jusqu’au 15 avril 1787.En 1787
Il part quelques semaines pour accompagner Gustave III dans sa guerre en Finlande contre Catherine II de Russie.
Le 20 avril 1787
« Ce qu’elle doit me trouver pour loger en haut ».
Début de la liaison d’Axel avec Eléonore Sullivan. Il lui écrira sans discontinuité plusieurs fois par semaine pendant dix ans de 1790 à 1800.
A partir de mai 1787
Axel de Fersen est de retour en France. Il fera cependant plusieurs séjours à Valenciennes où se tenait son régiment dont il était colonel.
Du 15 au 20 mai 1787
Fersen inspecte son régiment à Maubeuge.
Du 21 mai au 24 juin 1787
Fersen est à Versailles au moment de la maladie, puis de la mort de la petite Madame Sophie.
Le 18 juin 1787
La mort de Madame Sophie avant son premier anniversaire, éprouve la Reine qui s’inquiète aussi pour la santé de Son fils aîné.
Le 21 juin 1787
Marie-Antoinette s’enferme seule au Petit Trianon avec Madame Élisabeth, sans suite, pour pleurer Sa fille.
Le 23 juin 1787
Fersen est de retour à Maubeuge.
En août 1787
Fersen passe le mois à Maubeuge.
De septembre au 5 octobre 1787
Fersen est à Paris et Versailles.
Du 5 au 18 octobre 1787
Fersen est à Valenciennes pour y établir son régiment.
Le 8 octobre 1787
« Qu’elle fasse faire une niche au poêle».
Le 19 octobre 1787
Fersen est de retour à Paris et chez la Reine à Versailles. Elle a commandé un poêle pour son logement «en haut», au château.
Le 27 décembre 1787
Axel écrit à Gustave III :
« Madame de Polignac se soutient toujours elle est toujours aussi bien qu’elle était, mais depuis le départ de M. Calonne les individus de sa société ne sont plus rien et n’ont aucun crédit. La Reine est assez généralement détestée, on lui attribue tout le mal qui se fait et on ne lui sait pas gré du bien.
Le choix de M. Necker serait fort bon et l’Archevêque se serait fait beaucoup d’honneur s’il l’avait appelé quand il a été fait ministre principal. On a une grande idée, et avec raison, de l’honnêteté et des talents de cet homme… Le Roi est toujours faible et méfiant, il n’a de confiance qu’en la Reine, aussi il paraît que c’est elle qui fait tout, les ministres y vont beaucoup et l’informent de toutes les affaires, on a beaucoup dit dans le public que le Roi commençait à boire que la Reine entretenait cette passion et profitait de son état pour lui faire signer tout ce qu’elle voulait, rien n’est plus faux il n’a pas le penchant pour la boisson et dans la supposition qu’on fait ce serait un vice trop dangereux pour les suites qu’il, pourrait avoir, car une autre pourrait surprendre au Roi une signature aussi bien que la Reine.
Depuis que l’anglomanie s’est glissée dans tous les esprits, Versailles a été plus désert qu’a 1 ‘ordinaire, pour y ramener du monde on dit, qu’il va y avoir des soupers trois fois par semaine chez la Reine, on doit s’assembler à 9’h. jusqu’à 11h. Je crois que cela n’est pas encore décidé, il y a jeu les samedis et dimanches.»
Vers la fin 1787 se dessine de plus en plus nettement l’imminence d’une guerre entre la Suède et la Russie. Fersen doit servir sa patrie.
Du 19 octobre 1787 au 15 avril 1788
Fersen passe son temps à Paris et au château de Versailles.
Le 15 avril 1788
Axel quitte la France et rejoint la Suède pour participer à la guerre qui oppose son pays à la Russie.
De mai 1788 au 24 octobre 1788
Fersen est en Suède, la plupart du temps avec l’état-major de Gustave III, puis en Finlande pour la guerre contre la Russie. Axel prend les armes avec son frère Fabian. Très proche de son souverain pendant toute la campagne, il gardera sur lui la lucidité qu’il avait lors du voyage en Italie, critiquant sans complaisance ses excentricités.
Le 21 octobre 1788
Axel se remet en route pour la France. Arrivé à Paris, il porte sur les événements un jugement critique :
« La fermentation des esprits est générale, on ne parle que de constitution, les femmes surtout s’en mêlent et vous savez, comme moi l’influence qu’elles ont dans ce pays-ci. C’est un délire; tout le monde est administrateur et ne parle que de progrès; dans les antichambres les laquais sont occupés à lire des brochures qui paraissent, tous les jours il y en a dix ou douze, et je ne comprends pas comment les imprimeries y suffisent; c’est dans ce moment une affaire de mode, et vous savez comme moi, l’empire qu’elle a. »
Axel de Fersen à son père
Le 4 juillet 1788
Fersen demande que son régiment intègre Valenciennes. C’est là que l’atteint la nouvelle de l’arrestation de son père. Gustave III a fait un véritable coup d’état qui brise sa noblesse frondeuse, à commencer par le vieux sénateur Fersen, chef du parti des chapeaux.
Fredrik de Fersen sera libéré en avril 1789.
Le 6 novembre 1788
Fersen est de retour à Paris.
De novembre 1788 à juin 1789
Comme à son habitude, Fersen partage son temps entre Paris et Versailles, où il loge à l’hôtel de Luynes.Au printemps 1789
Son père est arrêté pour avoir pris parti pour les droits de la noblesse dans le conflit qui oppose Gustave III à son aristocratie, après des revers dans la guerre (que Gustave III menait finalement à terme après la bataille navale à Svensksund). Marie-Antoinette lui ordonne alors de rentrer à Paris.
Le 5 mai 1789
Ouverture des États-Généraux.
Procession des trois ordres, du Roi et de la Reine qui se rendent dans la Salle des Menus Plaisirs de Versailles.
Y sont réunis tous les protagonistes de la Révolution future…
A propos du ministre des finances, Fersen écrit :
« Monsieur Necker, aussi ignorant en administration qu’on le dit savant en finances et imbu des idées philosophiques, n’a jamais songé qu’il fallait gagner des voix pour le roi. Il a voulu rester honnête homme au milieu des fripons, et il en est resté dupe. Son amour propre démesuré lui a fait croire qu’il les persuaderait, mais l’argent de l’Angleterre avait des arguments plus forts et irrésistibles. M. Necker n’est pas seulement coupable d’ignorance, il l’est encore de trahison. Il a voulu être le ministre du peuple, régner par lui, et forcer le roi de ne jamais pouvoir se passer de son concours: il a sacrifié le roi et l’État à son ambition.»
En juin 1789
Inquiet pour la Reine, il prend un logement à Versailles. Les proches de la famille royale prennent mal l’installation de Fersen près de la Reine, redoutant que cela n’attise la haine des courtisans envers Elle. Fersen devient un favori du couple royal.
Le 4 juin 1789
Mort du Dauphin, Louis-Joseph-Xavier-François, à Meudon.
Le 20 juin 1789
Serment du Jeu de paume
A cette époque, Fersen trompe, depuis deux ans, son grand ami Crawfurd avec Eléonore Sullivan sous son propre toit et il s’en amuse dans son Journal.
Le 14 juillet 1789
Les parisiens prennent la Bastille et en assassinent le gouverneur, monsieur de Launay.
« Le lang Fersen a passé son temps à Valenciennes et son régiment de même. Toujours prudent et froid, il voit le bouleversement total de la France, la cour et sa bienfaitrice humiliées, indignement traitées par la canaille, sans sortir de sa position.»
Gustav-Maurice, comte d’Armfelt
Saint-Priest note que le château de Versailles s’étant vidé de ses courtisans, «il ne resta plus à la reine que le comte de Fersen, lequel continua à jouir d’entrées libres chez elle et d’avoir de fréquents rendez-vous à Trianon.»
Le 16 juillet 1789
Les Polignac suivent le conseil du Roi et de la Reine et prennent la route de l’exil. Le comte d’Artois en fait de même avec ses fils.
A la fin du mois d’août 1789
Fersen est toujours en garnison à Valenciennes.
Le 24 septembre 1789
Axel quitte son régiment de Valenciennes et s’installe à Versailles.
Les 5 et 6 octobre 1789
Films et auteurs prêtent à Axel de Fersen une attitude héroïque en ces jours-là… En réalité, il était parti se coucher fort tard le 5 lorsque le Roi avait sonné le coucher !!!!
Il est arrivé par le grand appartement directement dans le salon du conseil, puis dans la chambre du Roi…. il n’était pas présent dans la chambre de la Reine au moment de l’assaut … Pas de fougueux destrier précédant à bride abattue son aimée, donc, mais le train des courtisans de Versailles, comme tout le monde… Il suffit de le lire :
« J’ai été témoin de tout et je suis revenu à Paris dans une des voitures de la suite du Roi; nous avons été 6 h 1/2 en chemin. Dieu me préserve de jamais voir un spectacle aussi affligeant que celui de ces deux journées. Le peuple paraît enchanté de voir le roi et sa famille. La reine est fort applaudie, et elle ne peut manquer de l’être quand on la connaîtra, et qu’on rendra justice à son désir du bien et à la bonté de son cœur.»
Axel de Fersen
La famille royale s’installe aux Tuileries et un semblant de vie de Cour se met en place.
Et ce commentaire plein d’amertume dans son journal, le 5 octobre 1798 :
« Je me rappelai vivement de ce jour, il y avait neuf ans et de toutes nos angoisses à Versailles, que n’est-on parti et on aurait tout sauvé.»
Fersen loue un logement dans un hôtel parisien au coin de la rue de Matignon et du faubourg Saint-Honoré.
Le 24 octobre 1789
Axel écrit à Sophie :
« Enfin le 24, j’ai passé une journée entière avec Elle. C’était la première, jugez de ma joie.»
En novembre 1789
Une émeute à Valenciennes oblige Fersen à partir brusquement début novembre pour rétablir l’ordre dans son régiment.
Le 27 décembre 1789
« Ma chère amie, votre dernière était du 20 nov: et elle ma fait grand plaisir, il n’y a que l’amitié que je vous porte qui puisse égaler celle que vous avés pour moi, nous avons bien besoin tous deux de cette consolation, ma chère amie. Enfin, le 24 j’ai passé une journée entière avec elle, c’était la première jugés de ma joie, il n’y a que vous qui puissiez le sentir.»
Axel de Fersen à Sophie Piper
En janvier 1790
Visite de Fersen au baron de Taube, à Aix-la-Chapelle.
Vers le 18 janvier 1790
Axel est de retour à Paris.
Voici comment une descendante d’une de ses sœurs décrit un portrait miniature d’Axel par Pierre Adolphe Hall (1739-1793) :
« L’ensemble n’est point de style scandinave. On devine plutôt un jeune Allemand de grande maison, mais l’expression a je ne sais quel charme français. Il y a plus de finesse et d’aristocratie dans ses traits que de vigueur impérieuse. Les tempes serrées rétrécissent le cerveau. La bouche est d’un arc parfait , son pli volontaire semble expliquer les longs silences ; un demi-sourire un peu triste erre sur les lèvres. Il y a de la douceur dans le regard des yeux bleu d’acier, enfoncés dans l’orbite, grands et beaux, bien que les paupières tombantes les recouvrent à moitié.»
Le 20 février 1790
Mort de l’Empereur Joseph II, frère de Marie-Antoinette.
Accession au trône impérial de son frère Léopold II, qu’Elle connaît à peine.
En février 1790
Du propre aveu de Fersen, c’est ici que s’ouvre la période la plus intéressante de sa vie. Il jouit de la confiance des souverains français, comme l’atteste cette lettre à son père :
« Ma position est différente de celle de tout le monde. J’ai toujours été traité avec bonté et distinction dans ce pays-ci par les ministres et par le roi et la reine. Votre réputation et vos services ont été mon passeport et ma recommandation; peut-être une conduite sage, mesurée et discrète m’a-t-elle valu l’approbation et l’estime de quelques-uns et quelques succès. Je suis attaché au roi et à la Reine et je le dois par la manière pleine de bonté dont ils m’ont toujours traité, lorsqu’ils le pouvaient, et je serais vil et ingrat, si je les abandonnais quand ils ne peuvent plus rien faire pour moi, et que j’ai l’espoir de leur être utile. A toutes les bontés, dont ils m’ont toujours comblé, ils viennent d’ajouter encore une distinction flatteuse: C’est celle de leur confiance; elle l’est d’autant plus, qu’elle est extrêmement bornée et concentrée entre trois ou quatre personnes, dont je suis le plus jeune, Si nous pouvons les servir, quel plaisir n’aurai-je pas à m’acquitter envers eux d’une partie des obligations, que je leur ai : quelle douce jouissance pour mon cœur d’avoir pu contribuer à leur bonheur ! Le vôtre le sent, mon cher père, et ne peut que m’approuver. Cette conduite est la seule qui soit digne de votre fils, et quoi qu’il puisse vous en coûter, vous serez le premier à me l’ordonner, si j’étais capable d’en avoir une autre. Dans le courant de cet été tous ces événements doivent se développer et se décider, s’ils étaient malheureux et que tout espoir fût perdu, rien ne m’empêcherait de vous aller voir.»
Une lettre pleine de lucidité, une fois de plus : le comte de Fersen constate que la cour de France l’a toujours bien traité, et ce en partie grâce à la réputation de son père. Il s’honore de la confiance dont il est l’objet, et se promet de la payer en retour, en servant tant que faire se peut le roi et la reine. Il sait que, dans ce domaine, son père, aussi chevaleresque que lui, ne peut que l’approuver.
Au printemps de 1790
La vie devient un peu plus facile pour la famille royale qui peut se rendre au château de Saint-Cloud durant la belle saison.
Fersen réside à proximité du château de Saint-Cloud, chez le comte d’Esterhazy à Auteuil ou chez la duchesse de Fitz-James. Il peut donc voir Marie-Antoinette régulièrement.
Marie-Antoinette entame des négociations secrètes avec Mirabeau, officiellement le député le plus puissant de l’Assemblée Nationale, mais qui dorénavant essaye, avec prudence, et contre une belle somme d’argent, de sauver le Roi et sa famille. Son idée est de préserver une sorte de monarchie constitutionnelle.
Axel de son côté, vient s’installer à proximité, à Auteuil chez le comte Esterhazy et le duc de Fitz-James. De leurs propriétés, il peut se rendre au parc de Saint-Cloud.
Le 7 avril 1790
« Ma chère amie, j’ai reçu la votre du 5 et je vous en remercie bien ainsi que tout ce que vous me dites sur le compte de mon amie. Croyez, ma chère Sophie, qu’elle mérite tous les sentiments que vous pouvez avoir pour elle, c’est la créature la plus parfaite que je connaisse et sa conduite qui l’est aussi, lui a gagné tout le monde et j’entend partout son éloge, jugés combien je jouis.»
Axel de Fersen à Sophie Piper
Le 10 avril 1790
« Je commence a Etre un peu plus heureux car je vois de temps en temps mon amie librement chez elle et cela nous console un peu de tous les maux qu’elle éprouve pauvre femme, c’est un ange pour la conduite, le courage et la sensibilité, jamais on n’a su aimer comme cela. Elle est infiniment sensible à tout ce que vous m’avés dit pour elle et elle en a bien pleurée et elle me charge de vous dire combien elle en a été touchée, elle serait si heureuse de vous voire quelquefois. Elle s’imagine que si notre projet réussissait, vous pourrez alors venir ici et cette idée la rend bien heureuse, en effet cela serait peut être possible alors.»
Axel de Fersen à Sophie Piper
Le 31 mai 1790
« Elle est extrêmement malheureuse, mais très courageuse, c’est un ange je lui ai dit de votre part tout ce dont vous m’avés chargé et cela lui a fait plaisir, je tache de la consoler le plus que je puis, je le lui dois elle est si parfaite, pour moi.»
Axel de Fersen à Sophie Piper
Le 28 juin 1790
« Le Roi et la Reine sont bien malheureux, et ils ne le méritent pas, la noblesse et le clergé sont détruits enfin on ne rencontre partout que des gens ruinés et qui perdent leur état. Elle aussi est bien malheureuse pauvre femme son courage est au dessus de tout et la rend encore plus intéressante, elle est bien sensible a tout ce que vous dites pour elle, jamais on ne l’a mieux mérité et jamais on n’a été plus parfaite. Mon seul chagrin est de ne pouvoir la consoler entièrement de tous ses malheurs et de ne pas la rendre aussi heureuse quelle mérite de l’être. C’est de chez elle a la campagne que je vous écris.»
Axel de Fersen à Sophie Piper
Le 14 juillet 1790
Fête de la Fédération
Le 14 juillet, tout est prêt, y compris un Autel de la Patrie et un arc de Triomphe construit pour l’occasion à l’emplacement actuel de la Tour Eiffel. Les fédérés de toutes la France défilent dessous avec leurs tambours et leurs drapeaux ; ils sont 100 000 (selon les syndicats et 50 000 selon la police – on trouve les deux chiffres dans les sources). La foule des Parisiens prend place sur les talus que l’on a élevés autour de l’esplanade. Louis XVI prend place dans le pavillon dressé devant l’École militaire.
Fersen y accompagne la famille royale dans la loge qui leur est préparée sur le Champ de Mars.
L’assemblée entière se lève alors pour prêter le même sentiment de fidélité envers la nation.
De juin à octobre 1790
Fersen loge à Auteuil, d’où il part souvent pour visiter Marie-Antoinette au château de Saint-Cloud.
En novembre 1790
Retour de la Cour aux Tuileries
Du 18 janvier 1790 au 20 juin 1791
Fersen abandonne volontairement l’hôtel de la rue Miromesnil pour habiter rue Matignon, autrement dit Millet, pour ne plus avoir à s’éloigner…
En 1791
Fersen participe aux préparatifs de la fuite à Montmédy:
l’argent est difficile à trouver. Outre la participation de la Reine, Fersen donne tout ce qu’il a, emprunte trois mille livres à son maître d’hôtel, quatre-vingt-treize mille livres à une dame suédoise ( Stegleman) et cent soixante-neuf mille livres à la baronne de Korff. Éléonore Sullivan donne mille livres.
Le 1er février 1791
Fersen écrit à son père :
« … Monsieur de Saint-Priest joint à l’esprit du caractère et de la fermeté, et si l’occasion s’en présentait, c’est le seul sur le lequel le Roi puisse s’appuyer. Je suis fort bien avec lui, sa maison est la mienne, il me comble de bontés, de politesses et de confiance. Je sais par lui ce qui se passe, et souvent même il me consulte. Malgré tout cela, je ne lui dis que ce que je veux et je suis prudent ; la réserve est plus que jamais nécessaire… ».
En février 1791
Dans une seconde lettre adressée à son père, Axel donne un autre témoignage fort bien intéressant sur la situation privilégiée qu’il occupe auprès du couple royal :
« … Ma position est différente de celle de tout le monde. J’ai toujours été traité avec bonté et distinction dans ce pays-ci par les ministres et par le Roi et la Reine. Votre réputation et vos services ont été mon passeport et ma recommandation : peut-être une conduite sage, mesurée et discrète m’a-t-elle valu l’approbation et l’estime de quelques uns et quelques succès. Je suis attaché au Roi et à la Reine et je le dois par la manière pleine de bonté dont ils m’ont toujours traité, lorsqu’ils le pouvaient et je serais vil et ingrat, si je les abandonnais quand ils ne peuvent plus rien faire pour moi et que j’ai l’espoir de leur être utile. A toutes les bontés dont ils m’ont toujours comblé, ils viennent d’ajouter encore une distinction flatteuse : c’est celle de leur confiance ; elle l’est d’autant plus qu’elle est extrêmement bornée et concentrée entre trois ou quatre personnes, dont je suis le plus jeune. Si nous pouvons les servir, quel plaisir n’aurai-je pas à m’acquitter envers eux d’une partie des obligations que je leur ai ; quelle douce jouissance pour mon cœur d’avoir pu contribuer à leur bonheur ! Le vôtre le sent, mon cher père, et ne peut que m’approuver. Cette conduite est la seule qui soit digne de votre fils, et quoi qu’il puisse vous en coûter, vous serez le premier à me l’ordonner, si j’étais capable d’en avoir une autre. Dans le courant de cet été tous ces événements doivent se développer et se décider, s’ils étaient malheureux et que tout espoir fût perdu, rien ne m’empêchera de vous aller voir ».
Le 2 avril 1791
Mirabeau meurt subitement, mettant fin par la même au dernier espoir de la famille royale en une solution politique de la crise. Ses derniers mots auraient été :
« J’emporte avec moi les ruines de la monarchie ».
L’assemblée Nationale ne sait alors encore rien des discussions secrètes avec la famille royale.
Le 11 avril 1791
Fersen écrit à Taube :
« … Le désir du roi sera rempli. Il aura des nouvelles une fois par semaine ; mais représentez-vous qu’étant tout seul, ne pouvant pas même employer un secrétaire, et étant obligé de me montrer dans le monde pour éviter tout soupçon, je suis surchargé d’occupations. Mais la satisfaction de le servir et celle d’être utile au Roi et à la Reine de France me feront trouver tout possible, et si j’y puis réussir, je serai trop récompensé ».
Le 18 avril 1791
La famille royale est empêchée de partir faire Ses Pâques à Saint-Cloud.
Dans la tradition, tout de cette évasion repose sur les épaules de Fersen… Mais les récentes révélations de Geneviève Haroche-Bouzinac, dans son livre sur Madame Campan, montrent que la commande de la berline est faite par monsieur Pannelier d’Arsonval, beau-frère de madame Campan.
La nuit du 20 juin 1791
Fersen, déguisé en cocher, escorte lui-même la famille royale jusqu’à Bondy, mais Louis XVI refusera qu’il les accompagne plus loin.
L’objectif du Roi étant d’atteindre Montmédy qui se situe en France, au contraire de ce qu’on supposera, il valait mieux qu’il ne soit alors escorté que par des gentilshommes français…
La baronne de Korff, veuve d’un colonel russe qui se rend à Francfort-sur-le-Main, puis de là en Russie, avec ses deux enfants, est le nom sous lequel voyage madame de Tourzel. On costume le Dauphin en fille, il devient Aglaé , sœur d’Amélie, Madame Royale, leur gouvernante, Sophie Rochet sera la Reine, et Madame Élisabeth tient le rôle de la femme de compagnie de la baronne, Rosalie…
Fersen est supposé rejoindre la place-forte de Montmédy, où se rend la famille royale, en passant par la Belgique. Après l’échec de la fuite et le retour à Paris des fugitifs, Fersen continue à correspondre avec Marie-Antoinette.
Dans la relation du voyage de Varennes de Madame Royale, elle se souvient que «M. de Fersen souhaita le bonsoir à mon père et s’enfuit.»
Il se rend à Vienne pour avertir la Cour de l’Empereur et le décider à l’action. Mais Léopold II temporise, et Fersen, se sentant berné, parle à la Reine de trahison.
Mais lisons plutôt le récit de Fersen :
« L. 20 (Le début manque)… remarque et demanda ce qu’il voulait faire les deux me dirent qu’il n’y avait pas a hésiter et qu’il fallait toujours aller nous convînmes de l’heure etc. etc. que s’ils étaient arrêtés il fallait aller a Brux : et faire agir pour eux etc. etc. en me quittant le Roi me dit mr de F. quoi qu’il puisse m’arriver je n’oublierai tout ce que vous faites pour moi. La Reine pleura beaucoup a 6h : je la quittai elle alla avec les enfants a la promenade pour précautions extraordinaires je rentrai chez moi finir mes affaires à 7 h. chez Sullivan voir si on y avait mené la voit[ure] rentré chzs moi a 8 h. j’écrivis a la Reine pour changer le rendez vous des femmes de chambre et les bien instruire pour me faire dire l’heure exacte par les gardes du C… porté la lettre point de mouvement a 8 3/4 les gardes me joignirent ils me donnèrent la lettre pour Mercy les intruisa rentré faire partir ma chaise leur (les Craufurd) donner mon cocher et mes chevaux pour partir allé prendre la voiture, cru avoir perdu la lettre pour Mercy:a 10 1/4 h : dans la Cour des princes a 11 1/4 les enfants sortis emmenés sans difficulté. La Fayette passé deux fois, a 11 1/4 Me Elisabeth, puis le Roi puis la Reine a 12 h partis joint la voiture Barriere St Martin a 1 1/2 h : a Bondi pris la poste, moi la traverse a 3 h au Bourget et parti.
Le 21. beau tout allait bien retardé dans la traverse entre Maretz et Cateau, le commandant de milice demanda mon nom j’eus peur au Cateau installation d’Ev : passé le Quesnoy par St Vast.»
« Le Roi et toute sa famille quittent Paris, heureusement (sans problème), le 20 à minuit. Je les ai conduits au premier poste. Dieu veuille que la suite de leur voyage soit tout aussi heureuse. J’attends ici Monsieur en ce moment. Je poursuivrai ensuite ma route le long de la frontière, pour rejoindre le Roi à Montmédy, s’il a la chance d’y arriver.»
Axel de Fersen dans une lettre à son père, 22 juin 1791, depuis Mons
Lui-même sera désorienté par les rumeurs faisant de Barnave l’amant de la Reine.Le 21 juin 1791 La famille royale est arrêtée à Varennes.
Fersen arrive à six heures du soir à Mons, où il retrouve Éléonore, Provence et Madame de Balbi.
« Le 22. beau fait très froid la nuit arrivé a Mons a 6 h : Sullivan, Balbi, Monsieur, beaucoup de français fort contents un moine dans la rue me demande si le Roi était sauvé parti a 11 h : plaine jusqu’à Namur, puis montagnes les Ardennes les forêts depuis March : tout le monde content que le Roi fut sauvé.»
Journal de Fersen
Le 23 juin 1791
Fersen rencontre Bouillé à Arlon, qui lui annonce l’arrestation de la famille royale.
« Le 23. beau fait froid arrivé à Arlon a 11 h : du soir trouvé Bouillé su que le Roi était pris on ne savait trop bien les détails les détachements pas fait leur devoir le Roi manqué de fermeté et de tête, reposé la.»
Journal de Fersen
Le 24 juin 1791
Désespéré, le Suédois dîne avec Madame Sullivan à Bruxelles. Il reste avec elle à l’hôtel Bellevue jusqu’au 28, s’affichant, selon Emile Dard…
Outre les indiscrétions diverses (toute l’Europe était au courant, selon Alma Söderhjelm), la décision qu’a prise Louis XVI de se passer de Fersen à partir de Bondy a assurément pesé dans l’échec.
Le 25 juin 1791
La famille royale rentre à Paris sous escorte.
Pendant le voyage du retour, Marie-Antoinette convertit Barnave (1761-1793) à Sa cause.
Le Roi est suspendu.
La Reine, le Dauphin, Barnave et le Roi puis Madame Elisabeth, Pétion, madame de Tourzel et Marie-Thérèse dans la berline du retour de Varennes
par Benjamin Warlop
Éléonore part en exil avec Crawford et ils réussissent à passer la frontière sans encombre. Elle restera en Angleterre pendant dix ans, se séparera de Fersen qui repartira alors en Suède.
« Ma chère ma bonne ma sensible et bien tendre amie, voici le premier moment de tranquillité que j’ai pu vous donner et mon cœur en a bien besoin; le votre doit sentir tout ce que le mien éprouve de déchirement et je sens en ce moment plus que jamais le besoin d’avoir des amis. Cependant je ne perdrai pas courage et je suis décidé a me sacrifier pour eux et a les servir tant qu’il y aura encore quelque espoir, c’est cette idée seule qui me soutient, et qui me fait supporter patiemment tous mes chagrins. Je resterai ici encore sept a 8 jours j’irai ensuite a Aix la Chapelle et de la a Vienne mais ne parlés pas encore de ce dernier voyage, car je n’en dis rien a mon Père. Adieu ma bien bonne et chère amie aimés moi toujours et croyez que jamais je ne cesserai de vous aimer.»
Axel de Fersen à Sophie Piper
Il sedmble que Fersen et Provence prévoyaient que l’évasion du Roi échoue, puisqu’ils ont planifié en conséquence. Fersen avait en sa possession un brouillon de lettre dans lequel Louis XVI, se déclarant incapable après sa capture, déclarait la régence de Provence et lui donnait tout pouvoir.
L’échec de Montmédy brise la vie de Fersen… et ses ambitions.
Dès lors, il n’a plus qu’une obsession, sauver les souverains français. Deux grands axes à cet ambitieux projet : rassembler les puissances européennes en un congrès armé qui fasse peur aux factieux, et fuir, une fois de plus.
Le 28 juin 1791
Marie-Antoinette envoie une lettre à Mercy avec un billet pour Fersen.
« Je peux vous dire que je vous aime et je n’ai même le temps que de cela. Ne soyez pas inquiet pour moi. Je voudrais bien vous savoir de même. Ecrivez-moi en chiffres par la poste à l’adresse de Mme Brown, dans une enveloppe double pour M. de Gougens. Envoyez les lettres par votre valet de chambre. Mandez-moi à qui je dois adresser celles que je pourrai vous écrire, car je ne peux vivre sans cela. Adieu, le plus aimé et le plus aimant des hommes. Je vous embrasse de tout coeur. »
Marie-Antoinette à Axel de Fersen
Entre-temps, la fille d’Éléonore et du duc de Wurtemberg les a rejoints à Bruxelles. Elle est âgée de vingt ans et aussi jolie que sa mère . Son père lui a conféré le nom de baronne de Franquemont. Elle épouse un aristocrate émigré, le comte d’Orsay . Ils auront deux enfants : Alfred, l’un des plus grands dandys du XIXe siècle, et Ida, qui épousera le duc de Gramont … petit-fils de Yolande de Polignac (1749-1793).
Du 29 juin au 3 juillet 1791
Fersen, à Aix-la-Chapelle, prend ses ordres de Gustave III, qui veut l’envoyer à Vienne négocier avec l’Empereur Léopold II, frère de Marie-Antoinette.
Début juillet 1791
Marie-Antoinette entame des négociations avec les constitutionnels Barnave, Lameth et Duport, par l’intermédiaire du chevalier de Jarjayes.
Le 3 juillet 1791
Le comte de Fersen arrive à Bruxelles.
Le 4 juillet 1791
Mercy lui remet une lettre de Marie-Antoinette.
Le 17 juillet 1791
Ayant enfin reçu une réponse à la lettre portée à Marie-Antoinette par Reutersvärd, Fersen rend visite au baron de Breteuil, à Gustave III et aux princes à Aix-la-Chapelle, Spa et Coblence, avant de partir pour sa mission à Vienne, le 27 juillet.
Le 1er août 1791
Fersen se donne un coup à la tête qui le fait souffrir pendant plusieurs jours. Lacune dans son journal.
Du 2 août au 26 septembre 1791
Fersen poursuit des négociations infructueuses avec les Autrichiens à Vienne et à Prague.
Le 15 août 1791
Axel de Fersen dîne chez madame de Polignac.
« Elle me parla plus des affaires que de la reine. Elle me dit mille choses ; qu’à l’affaire de Lyon, le roi avait tout approuvé et en avait tout approuvé et avait promis à M. de Rully, chanoine de Lyon, envoyé par la ville au comte d’Artois et envoyé par lui au roi, de partir le 9 ; que le chanoine avait parlé au roi ; que par bonheur le comte d’Artois avait retardé et que dans l’intervalle était arrivée une lettre du roi de Sardaigne, pour empêcher le comte d’Artois d’agir […] Elle désapprouvait la méfiance. »
Le 13 septembre 1791
Suspendu de ses fonctions depuis son arrestation à Varennes, Louis XVI accepte la Constitution rédigée par La Fayette et Barnave. La famille royale regagne un peu de liberté, mais reste étroitement surveillée.
Le 6 octobre 1791
Fersen est de retour à Bruxelles. Il loue un logement, jusqu’alors il n’avait que des logements provisoires. Il fréquente assidûment le baron de Breteuil, Quentin Crawford et Eléonore Sullivan. Il est chargé officiellement de la correspondance du Roi de Suède, ce qui lui permet d’entrer en contact avec de nombreux diplomates.
Reprise d’une correspondance suivie avec Marie-Antoinette. Il demande la permission d’aller La voir à Paris. Son ton, formel au début, se charge d’émotion ; pour la première fois, grâce au projet REX (mis en valeur par le livre d’Isabelle Aristide-Hastir), on l’entend exprimer son sentiment amoureux pour Marie-Antoinette.
D’octobre 1791 à août 1792
Fersen, à Bruxelles, est chargé de la correspondance diplomatique du Roi de Suède. En même temps, il correspond avec Marie-Antoinette et dirige la diplomatie secrète de Louis XVI avec le baron de Breteuil.
Le 8 octobre 1791
Les Crawford et Fersen se retrouvent à l’hôtel Bellevue, à Bruxelles. Quentin loue une maison qui devient leur quartier général. C’est là que Fersen chiffrera ses lettres à Marie Antoinette et déchiffrera celles qu’il reçoit d’elle. Il correspondra aussi avec Simolin, Breteuil, Mercy Argenteau, toujours dans le même but : sauver la monarchie française.
Le 13 octobre 1791
« Adieu vous que j’aime et que j’adorerai toute ma vie.»
Axel de Fersen à Marie-Antoinette
Le 19 octobre 1791
Je ne puis vous dire combien je suis touchée de ce qu’a fait ce bon M. Crawfurd pour nous, le roi aussi. Je vous écrirai dans quelques jours ce qu’il faudra lui dire de notre part. Nous serons bien heureux de pouvoir faire quelque chose pour lui. Il y a si peu de gens qui nous témoignent un vrai attachement ! On sait ici qu’il a été mêlé dans nos affaires, et j’ai eu bien peur pour sa maison .»
Marie-Antoinette à Fersen
Le 26 octobre 1791
« Je ne vis que pour vous aimer, vous adorer.»
Axel de Fersen à Marie-Antoinette
Le 29 octobre 1791
« Adieu ma tendre amie, je vous aime et vous aimerai toute ma vie à la folie.»
Axel de Fersen à Marie-Antoinette
Et encore le 31 octobre 1791 :
« J’ai été si pressée la dernière fois que je vous ai écrit, que je n’ai pu vous parler de M. Crawfurd. Dites-lui bien que nous savons la manière parfaite dont il est pour nous, que je me suis toujours plu à croire à son attachement, mais que, dans l’affreuse position où nous sommes, chaque nouvelle preuve d’intérêt est un titre de plus bien doux à notre reconnaissance.»
Marie-Antoinette à Fersen
Gustave III invente un nouveau projet d’évasion. Il veut envoyer Fersen pour le présenter au Roi et à la Reine emprisonnés aux Tuileries.En fait, ce voyage, d’abord refusé par la Reine, souvent différé, n’aura lieu qu’en février 1792, et prendra des allures rocambolesques avant l’heure !
Le 26 novembre 1791
Le comte écrit donc à Marie Antoinette :
« Répondez-moi sur la possibilité de vous aller voir, tout à fait et sans domestique, au cas que j’en reçoive l’ordre du roi; il m’en a déjà lâché quelque chose, sur le désir qu’il en avait.»
En décembre 1791
Les rumeurs sur une liaison entre Axel Fersen et Éléonore Sullivan commencent à courir à Bruxelles : Sophie écrit alors à son frère Axel que …
«Tout le monde vous observe et parle de vous ; songez à la malheureuse Elle [Marie-Antoinette], épargnez-lui de toutes les douleurs la plus mortelle ».
Le 22 décembre 1791
Axel de Fersen écrit à Marie-Antoinette :
« … vos intérêts seuls me guident et me guideront toujours ; et quand vous pourriez douter des vues et des projets de M. de Breteuil, j’ai la vanité de penser que ma conduite passée doit vous ôter la possibilité de douter des miennes ; elle doit plutôt vous convaincre de leur pureté, et du zèle, de l’attachement et du dévouement que j’ai mis à votre service. Mon seul désir est de vous servir ; ma plus douce récompense, la seule à laquelle j’aspire, est la gloire d’y réussir ; je n’en veux pas d’autre. Je ne serais que trop récompensé si je pouvais vous savoir heureux et penser que j’ai été assez heureux pour y avoir contribué. »
Le 28 décembre 1791
« M. de Narbonne a eu une idée folle, que je croyais tombée, d’engager le duc de Brunswick à venir commander l’armée. Cette idée est si fort hors de sens que j’ai cru qu’on n’en parlerait plus. Hier, j’ai appris qu’on allait envoyer le petit Custine pour traiter cette affaire . Le comte de Ségur pourrait bien être chargé d’en parler aussi, sans que nous le sachions. Je vous préviens de tout cela, pour n’être pas grondée, et que le baron et vous puissiez prendre vos précautions. Je ne doute pas que le duc refuse, et c’est même nous servir. Adieu. Je n’ai point encore le paquet de M. Crawford .»
Marie-Antoinette à Fersen
Fersen essayie de faire pression sur Marie-Antoinette pour qu’Elle oblige Louis XVI à accepter une invasion de la France, et ses lettres montrent sa frustration répétée de voir qu’Elle esquive cela ou exige des réserves (pas d’armées étrangères, ou autorisant cela seulement si la famille royale est réellement retenue captive ou si du mal leur est causé, etc.).
Le comte de Provence, contrairement à Louis XVI, n’a aucun scrupule à provoquer toute sorte d’invasion. Les puissances alliées veulent que Louis XVI accepte les invasions. Son incertitude quant à ce grave choix politique exaspère les alliés de la France monarchique, qui sont donc les ennemis de la nove;le France.
Le 4 janvier 1792
«Le porteur de tous ces papiers ne sait pas, par qui ils me sont venu, et il ne faut pas lui en parler. Le mémoire est bien mal faite et on voit que les genx on peure mais pour notre sureté personnelle il faut encore les ménager; et surtout leurs inspirer confiance par notre conduite icy. on vous expliquera tout cela ainsi que les raisons pourquoi souvent je ne peu pas vous avertire d’avance de ce qu’on va faire. Mon homme n’est pas encore revenu , je voudrais pourtant bien avoir des nouvelles d’où vous êtes. Que veut dire cette déclaration subite de l’emp(ereur) , pourquoi ce silence profond de vienne , et même de Brux(elles) envers moi, je m’y perd, mais ce que je sais bien c’est que si c’est prudence ou politique qui fait qu’on ne me dit rien on a bien tort, et ont m’expose beaucoup puisque personne ne croira que je sois dans cette ignorance , et il seroit pourtant nécessaire que je précise (?) mes propos et ma conduite d’après ce qui se passe, c’est ce que je charge la personne de dire à monsieur de Mercy, je vais finire non pas sans vous dire mon cher et bien tendre ami que Je vous aime à la folie et … jamais jamais je ne peux être un moment sans vous adorer.»
Marie-Antoinette à Axel de Fersen
Le 11 février 1792
Fersen veut se rendre secrètement à Paris. Il doit remettre à Louis XVI un mémoire de Gustav III et tenter d’organiser une nouvelle fuite. Il quitte donc Bruxelles sans prévenir Crawford.
Le 13 février 1792
Visite clandestine de Fersen aux Tuileries pour tenter d’organiser une autre évasion pour la famille royale. Le Suédois est alors caché par Éléonore Sullivan en utilisant le nom d’Eugen Franchi, son fils illégitime du duc de Wurtemberg.
« L. 13. Tres beau et doux. Parti a 9 1/2 h : arreté deux h : a Louvres pr diner, arrivé sans accident a Paris a 5 1/2 h du soir sans qu’on nous.dise rien. Laisse descendre mon officier a l’hotel des Princes Rue de Richelieu pris un fiacre pour aller ches Gog : rue Pelletier le fiacre ne savoit pas la rue crainte de ne pas la trouver un autre fiacre nous l’indiqua Gog: n’y etoit pas, attendu dans la rue jusqu’a 6 1/2 h : pas venu cela m’inquieta voulu aller prendre Reuters: il navoit pas trouvé place a l’hotel des Princes on ne savoit ou il etoit allé retourné chez Gog: pas rentré pris le parti d’attendre dans la rue enfin a 7 h: arrivé. Ma lettre netoit arrivée que le meme jour a midi et on n’avoit pu le joindre ayant. Alle ches elle passe par mon chemin ordinaire peur des gard: nat: son logement a merveille [resté la].»
Journal de Fersen
Le comte suédois rencontre le Roi de France. Fersen propose à Louis XVI et Marie-Antoinette une évasion par la mer et «par des Anglais», le plan étant de sortir de Paris «par les forêts de chasse» et de gagner la frontière, accompagnés par des contrebandiers. Le reste du plan n’est pas détaillé mais il y a eu de nombreux échanges avec Gustave III à ce sujet depuis l’été 1791 : il faudrait gagner un port de la côte (sans doute Ostende) et demander asile à l’Angleterre. Le Roi de Suède ne prévoit que le départ de Louis XVI, mais Fersen souhaite faire évader aussi séparément Marie-Antoinette et le prince royal, ou Marie-Antoinette seule en laissant Madame Royale et Madame Elisabeth. Autant dire que Louis XVI refuse toute autre tentative d’évasion. A neuf heure et demie du soir, Fersen prend congé des souverains, annonce qu’il continue sa mission vers l’Espagne, mais se rend en fait rue de Clichy où il retrouve Éléonore.
Fersen reste terré dans une petite chambre sous les toits près de la servante Joséphine. Dard précise que c’est parce qu’il ne paraissait pas son âge qu’on a pu faire croire aux domestiques qu’il était le fils de madame Sullivan, elle qui n’a que cinq ans de plus que lui.
Notons la boucle d’oreille. Dans une lettre à sa sœur Sophie Piper de Paris en date du 25 mars 1788, Fersen explique qu’il va se faire percer les oreilles pour améliorer ses problèmes de vue :
« J’ai eu il y a huit jours un peu de faiblesse sur les yeux comme j’en ai quelque fois et tout le monde m’a conseillé de me faire percer les oreilles. Je m’y suis décidé. Il faudra voir ce que cela fera – du moins si cela ne fait pas de bien, cela ne fera pas de mal. »
Ce traitement est bien sûr inefficace ! Fersen souffrira pour toute sa vie des problèmes de vue (il y en a plusieurs références dans sa correspondance avec sa sœur).
Il commande ses lunettes chez Dollond à Londres.
« Adieu le plus aimé et le plus aimant des hommes.»
Marie-Antoinette à Fersen
Il faut se méfier de l’emploi de ce verbe au XVIIIe siècle. On «s’aime» beaucoup et à tout propos à cette époque et l’on peut trouver ce verbe sous la plume de deux amies s’écrivant, comme sous celle de deux amis ou sous celle de deux amis de sexe opposé sans pour autant que tous «s’aiment» d’amour et/ou au sens physique du terme…
Le 1er mars 1792
Léopold II, le frère de Marie-Antoinette, meurt.
Avènement de Son neveu François II, qui sera couronné empereur le 19 juillet 1792.
Le 29 mars 1792
Mort du Roi Gustave III de Suède, qui avait beaucoup d’amitié pour Marie-Antoinette.
Comme tous les anciens favoris de Gustave III, Fersen se trouve en disgrâce pendant la régence de Charles de Södermanland, futur Charles XIII, frère du feu Roi, de 1792 à 1796.
Le 17 avril 1792
Axel de Fersen écrit à Marie-Antoinette :
« Vous aurez déjà reçu la triste nouvelle de la mort du roi. Vous perdez en lui un ferme appui, un bon allié, et moi un protecteur et un ami. Cette perte est cruelle.»
Fin avril 1792
Ils sont tous à Bruxelles, les Craufurd, Fersen et la fille d’Éléonore.
Le 20 avril 1792
Déclaration de guerre au Roi de Bohême et de Hongrie, François II.
Le 27 mai 1792
Décret sur la déportation des prêtres réfractaires.
Le 29 mai 1792
Décret supprimant la garde constitutionnelle du Roi.
Le 8 juin 1792
Décret de formation d’un camp de fédérés à Paris.
Le 11 juin 1792
Louis XVI oppose son veto aux décrets des 27 mai et 8 juin.
Lui et la Reine sont désormais surnommés «Monsieur et Madame Veto».
« Oh Dieu ! Que votre situation me peine, mon âme en est vivement et douloureusement affectée.»
Axel de Fersen à Marie-Antoinette
Le 20 juin 1792
La foule envahit les Tuileries pour faire lever le veto.
Le Roi refuse.
Le 21 juin 1792
Fersen fait porter à sa maîtresse une lettre annonçant son arrivée. Nous jouâmes bien notre rôle, précise Axel dans son journal, il me crut… Je pris le thé et soupai avec eux.
Fersen retourne à Bruxelles, pendant que les Craufurd prolongent leur séjour à Paris. D’après Gouverneur Morris, Quintin aurait proposé à la Reine, d’accord avec le Roi d’Angleterre, de partir seule avec le Dauphin. En vain.
A Paris, une dame italienne, Madame Toscani, proche ou parente d’Éléonore, s’installe dans la maison de la rue de Clichy. C’est elle qui servira dorénavant d’intermédiaire entre Marie Antoinette et Fersen. Les messages seront dissimulés dans des boîtes de thé, de biscottes, de chocolat, ou dans les doublures de vêtements.
Le 22 juin 1792
« Ne vous tourmentez pas trop sur mon compte.»
Marie-Antoinette à Axel de Fersen
Le 25 juillet 1792
C’est Fersen qui inspire le « manifeste de Brunswick », ultimatum des armées austro-prussiennes aux révolutionnaires français. Il croit fermement à une victoire rapide de la coalition et imagine même un gouvernement royaliste pour prendre la relève.
Le 3 août 1792
Une majorité de sections de Paris demande la déchéance de Louis XVI.
Lettre du 28 juillet 1792
« Je reçois dans ce moment la déclaration du duc de Brunswick, elle est fort bien.
C’est celle de M. de Limon, et c’est lui qui me l’envoie : pour éviter tous les soupçons je ne vous l’envoie pas, mais M. de Cr. [Crawford] l’envoie à l’ambassade d’Angleterre à milord Kery, il la donnera sûrement à M. de Lamb.[Lambesc]
Voici le moment critique, et mon âme en frémit. Dieu vous conserve tous, c’est mon unique vœu.
S’il était utile que vous vous cachiez jamais, n’hésitez pas, je vous prie, à prendre ce parti ; cela pourrait être nécessaire, pour donner le temps d’arriver à vous.
Dans ce cas, il y a un caveau dans le Louvre, attenant à l’appartement de M. de Laporte ; je le crois peu connu et sûr. Vous pourriez vous en servir.
C’est aujourd’hui que le duc de Brunswick se met en mouvement. Il lui faut huit à dix jours pour être à la frontière. On croit généralement que les Aut [Autrichiens] vont faire une tentative sur Maubeuge.»Fersen à Marie-Antoinette
Le 10 août 1792
C’est l’insurrection. Les Tuileries sont envahies et les gardes massacrés.
La famille royale quitte les Tuileries pour se réfugier auprès de l’Assemblée Nationale qui siège dans la Salle du Manège.
Le Roi est suspendu de ses fonctions.
Le 13 août 1792
La famille royale est transférée au Temple après avoir été logée temporairement aux Feuillants dans des conditions difficiles: quatre pièces du couvent seulement leur étaient dédiées… pendant trois jours.
Le 3 septembre 1792
Assassinat de la princesse de Lamballe (1749-1792) dont la tête, fichée sur une pique, est promenée sous les fenêtres de Marie-Antoinette au Temple. Les massacres de septembre étant la conséquence du manifeste de Brunswick, on pourrait considérer que Marie-Thérèse de Lamballe a été victime des maladresses politiques d’Axel de Fersen …..
« Madame la Princesse de Lamballe a été martyrisée pendant quatre heures de la manière la plus horrible . La plume se refuse à ces détails ; on lui a arraché le sein avec les dents, et on lui a administré tous les secours possibles , pendant deux heures pour la faire revenir d’un évanouissement afin de lui faire mieux sentir la mort.»
Axel de Fersen, le 19 septembre 1792
Le 8 novembre 1792
Décès de sa sœur, Hedvig Eleonora (née Fersen en 1753) , comtesse Klinckowström.
Le 20 janvier 1793
Louis XVI revoit sa famille pour la dernière fois.
Le 26 janvier 1793
Les trois amis apprennent l’affreuse nouvelle de l’exécution du Roi, doublée de celle, fausse, du massacre du reste de la famille. Éléonore console Fersen.
Le 11 décembre 1792
Louis XVI comparaît devant la Convention pour la première fois.
Du 16 au 18 janvier 1793
La Convention vote la mort du Roi. Philippe Égalité est l’un de ceux qui ont donné leur voix pour la peine capitale.
Le 21 janvier 1793
Exécution de Louis XVI.
Puisqu’il s’avère que la Reine est sauve, toute l’attention va se concentrer sur Elle. Lorsque Dumouriez s’entend avec le prince de Cobourg, Fersen ne se sent plus : ses armées vont marcher sur Paris et libérer les prisonniers du Temple.
Le régent de Suède constitue Fersen ambassadeur près de Louis XVII. Axel se voit déjà à Paris à la place de Staël. Mieux, d’ailleurs, compte tenu de la confiance dont il jouit auprès de la mère du petit prince, la future régente !
Mais cette éclaircie est de courte durée. Personne ne rentre dans Paris, et Fersen doit se contenter de reprendre sa vie avec ses deux amis dans Bruxelles libérée.
En mars 1793
Quand Dumouriez fait défection et rejoint les Autrichiens, Fersen y voit la fin des révolutionnaires, et imagine déjà Marie-Antoinette régente.
Fersen se demande s’il va épouser Éléonore Sullivan et quels seront les membres du gouvernement de Marie-Antoinette régente, sous sa direction.
Le 31 mars 1793
Fersen est à Stockholm, il y reçoit une lettre de la duchesse de Polignac qui lui donne des nouvelles de la santé de la Reine :
« De Vienne le 19 mars 1793
Mr de Nolcken s’est acquitté de votre commission près de moi, Monsieur ; je suis bien reconnaissante de votre aimable souvenir. Si j’avais su plus tôt le lieu que vous habitez je me serais empressée de vous donner des nouvelles de notre malheureuse amie [Marie-Antoinette]. J’en ai eu par un médecin que je n’ose nommer. Sa santé, celle de ses enfants est bonne malgré la douleur profonde dont elle est accablée. J’ai profité de cette même occasion pour lui faire dire que tous ses amis se portaient bien, mais je n’ai pas écris moi-même et je n’ai nommé personne. Cette tendre amie a trouvé aussi le moyen de me faire dire les choses du monde les plus touchantes et les plus sensibles. Je vous laisse à juger de l’impression que cela m’a fait.
Depuis six semaines je suis malade ; il est impossible de résister à tous les genres de peines que nous éprouvons. Je pleure et // pleurerai toute ma vie notre vertueux monarque [Louis XVI], et vous devez juger quels sont mes inquiétudes sur le sort de sa famille ; je vous avoue cependant que depuis ces derniers succès j’espère un peu, mais je n’ose me livrer à cet espoir, et l’inquiétude est le sentiment qui me domine pour le moment. Je suis bien sûre que vous pensez comme moi, et cette certitude m’attache à vous plus que jamais.
Adieu, Monsieur, puisse-je vous revoir dans des temps plus heureux.»
Fersen se hâte de confirmer ces nouvelles. Il note une réponse à madame de Polignac le 6 avril, et le 22 mai 1793 il écrit dans son journal :
« La Caze a été au Temple. Il a trouvé la R. très peu changée, Madame Elisabeth tellement méconnaissable qu’il ne l’a reconnue que lorsque la R. l’a nommée ‘’ma sœur’’. Elle était dans la chambre en bonnet de nuit, vêtue d’un habit d’indienne très commun. La petite Madame avait tout le corps couvert d’ulcères et était menacée d’une dissolution de sang. La jeunesse et beaucoup de soins pourront la tirer d’affaire. On mandait de Paris que le jeune Roi avait été malade et que la Commune avait refusé le médecin que la R. avait demandé sous prétexte qu’il était aristocrate et en avait envoyé un à sa façon. »
En avril 1793
Marie-Antoinette adresse un dernier message à Jarjayes qu’Elle lui transmet par Toulan qui monte la garde au Temple :
«Dites-moi ce que vous pensez de ce qui se passe ici», griffonne-t-Elle dans la marge.
Toulan remet à Jarjayes le legs que Cléry a caché après la mort du Roi : son anneau de mariage, son cachet ainsi que des cheveux de la Reine et des enfants devront être transmis à Monsieur, qui est à Hamm, en Westphalie.
Marie Antoinette conseille à Jarjayes d’aller voir son neveu, François II ou Septeuil , toujours tracassée par les sommes considérables que Jarjayes a dû payer pour l’organisation de l’évasion manquée. Elle se sent responsable de leur remboursement.
Dans la nuit du 2 au 3 août 1793
Marie-Antoinette est transférée de nuit à la Conciergerie. Elle y est traitée avec une certaine bienveillance par une partie du personnel de la prison, dont surtout Rosalie Lamorlière (1768-1848).
Quand il apprend la nouvelle du transfert de la Reine à la Conciergerie, antichambre de la mort, il essaie d’obtenir du prince de Cobourg qu’il marche sur Paris, mais c’est en vain.
Le 13 octobre 1793
Fersen et Éléonore Sullivan ont une conversation décisive, que nous connaissons par le journal du comte. Tous deux se rendent bien compte qu’ils ne peuvent pas continuer comme ça, se suivant mutuellement et suivant Quintin. Il faut qu’une décision se prenne. Mais Éléonore a l’air de faire mieux le tri dans ce qu’elle ne veut plus que dans ce qu’elle désire…
« Éléonore me parla de sa position; elle en est ennuyée à l’excès; elle me dit être résolue à finir cette vie qui lui était insupportable. Elle m’assura qu’elle viendrait avec moi, mais qu’elle ne pouvait aller en Suède, dont le climat était trop froid, et qu’elle ne pouvait rien finir avant que je me fusse décidé.»
Fersen dans son dagbok
Le 14 octobre 1793
Marie-Antoinette comparaît devant le président Herman (1759-1795).
Le 16 octobre 1793
Exécution de Marie-Antoinette, place de la Révolution .
Quelques jours après ces réflexions où Axel a bien pesé le pour et le contre, il apprend que Marie-Antoinette a été guillotinée, et se lamente. Quelque temps encore, ce trio continue sa vie errante, soudé par la douleur et les souvenirs.
Axel écrit alors à sa chère amie Elizabeth Foster :
Chaque 16 octobre, Fersen passera la journée à pleurer celle qui, à ses yeux, incarnait le «modèle des reines et des femmes».
Paul et Pierrette Girault de Coursac considèrent qu’Elizabeth Foster fut, si elle ne l’est alors plus, la maîtresse d’Axel, vers 1783.
Le 21 octobre 1793
Regardé par tout le monde comme l’amant de la Reine, ce dont il a soin de ne pas se défendre, le lendemain du jour où il a appris que les «affaires de France» étaient terminées, c’est-à-dire que la malheureuse femme avait été exécutée, il enregistre avec une satisfaction visible :
« Lundi 21. Beau, frais. Je me promenai un peu à cheval. Tous ceux que je rencontrai furent à merveille pour moi ; on ne me disait rien, mais on avait l’air de me plaindre. Je ne pouvais que penser à ma perte. C’était horrible de ne pas avoir de détails positifs. Qu’elle ait été seule dans ses derniers instants, sans réconfort, sans personne à qui parler, à qui exprimer ses dernières volontés, est horrible. Les monstres de l’enfer ! Non, sans vengeance, mon cœur ne sera jamais satisfait.»
Dagbok de Fersen
Le 22 octobre 1793
« J’ai passé toute la journée en silence sans parler, je n’avais même pas envie de le faire. Je ne pouvais que penser sans but. Formez des milliers et des milliers de plans. Si ma santé l’avait permis, je serais allé la servir, la venger ou me faire tuer.»
Dagbok de Fersen
Le 23 octobre 1793
« Ma douleur, au lieu de s’atténuer, augmente à mesure que la surprise et le choc diminuent. »
Dagbok de Fersen
Le 24 octobre 1793
« Son image, ses souffrances, sa mort et mon amour ne me quittent jamais l’esprit, je ne peux penser à rien d’autre. « Mon Dieu, pourquoi ai-je dû la perdre et que vais-je devenir ?»
Dagbok de Fersen
Éléonore a dépassé la quarantaine, elle ressent le besoin de se fixer. Sa fille est venue vivre auprès d’elle pendant que son mari guerroie dans les rangs autrichiens. Quintin goûte toujours la compagnie sereine de ses livres. Mais sa récente nomination en tant que commissaire du gouvernement britannique près de l’armée autrichienne le pose en rival de Fersen, qui le trouve ingrat :
« … depuis la mort de l’infortunée reine, je n’ai pas à m’en louer, se plaint-il à son journal. Il semble ne m’avoir ménagé que tant que cela pouvait lui être utile. Depuis cette fatale époque il ne m’a jamais parlé des affaires, tandis que c’est à moi qu’il doit d’avoir été assez connu pour pouvoir en être informé et y être employé; encore est-ce à présent d’une manière très subalterne. Mon orgueil en est blessé, mais je regarde au-dessous de moi de le faire paraître.»
En Suède Rentré en Suède, il se consacre ensuite à sa carrière.
En janvier 1794
C’est à peine s’il trouve la force d’envoyer des voeux à sa soeur:
« Aimez toujours un frère auquel il ne reste plus de bonheur et qui ne peut trouver de consolation que dans votre amitié…. Je ne vous souhaite pas la bonne année ; il n’y en a plus de bonnes pour nous, après tout ce que nous avons perdu. »
Le 21 janvier 1794
Fersen reçoit la copie d’un billet de Marie-Antoinette à Jarjayes avec une lettre de Jarjayes.
« Il m’apporta une lettre de M. de Jarjayes qui ne me disait pas tout ce que j’espérais. Il m’envoyait seulement un fragment de lettre de la R… à lui, dont voici la copie. C’était écrit par elle-même.
« Vous ne pouvez pas douter du regret que j’éprouve de vous voir partir, mais je sais vos raisons, et votre zèle et votre attachement se montrent encore d’une manière bien touchante pour nous. Nous avons fort approuvé ce qu’on nous a dit de votre part. Vous en voyez la prevue par ce qu’on vous remettra. Il est essentiel de recommander aux personnes que vous allez trouver le plus grand secret. J’ai cru même devoir me réserver de dire un jour moi-même le nom de t… pour vous éviter toute question sur cela, et que vous puissiez dire que vous l’ignorez. Quand vous serez en lieu de sûreté, je voudrais bien que vous puissiez donner de mes nouvelles à mon grand ami qui est venu l’année dernière me voir. Je ne sais où il est, mais ou Mr. Gog: [Goguelat] ou Mr. Crawford, que je crois à Londres, pourront vous l’indiquer. Je n’ose pas lui écrire, mais voila l’empreinte de ma devise. Mandez en l’envoyant que la personne à qui elle appartient sent que jamais elle n’a été plus vrai. » Cette devise était un cachet portant un pigeon volant avec la devise tutto a te mi guida. Son idée avait été dans le temps de prendre mes armes, et on avait pris le poisson volant pour un oiseau. L’empreinte était sur un morceau de carte, malheureusement la chaleur en avait absolument effacé l’empreinte. Je le conserve malgré cela précieusement dans ma cassette avec la copie du billet et le dessein du cachet.»Axel de Fersen, journal
Le 24 avril 1794
Décès de son père Fredrick von Fersen (1719-1794), à l’âge de soixante-quinze ans, à Stockholm. Il laisse une fortune considérable.
En Suède, Axel se sent isolé, désaxé, incompris ; il se croit un étranger :
« J’ai de la peine à me faire à nos manières et à notre petitesse ; les Suédois qui voyagent ne doivent pas pas rester trop longtemps hors de chez eux ; c’est un malheur pour eux.«
Axel de Fersen dans son dagbok
Il acompagne chaque dimanche sa mère en calèche à l’église, distante de quelques kilomètres du château. A l’arrivée de la comtesse et du fameux colonel qui s’est battu en Amérique, sur qui l’on raconte tant d’histoires extraordinaires, les hommes se découvrent et les femmes font un plongeon. Fersen salue tous les paysans par leur nom ; il les tutoie comme ses soldats et leur serre la main.
En octobre 1794
Les amis doivent abandonner Bruxelles, reprise par les Français. Ils se fixent à Francfort auprès de la famille d’Orsay. Fersen apprend la mort de son père et se voit contraint de rentrer en Suède. Sur les biens considérables dont il va hériter, il prévoit une rente viagère pour Éléonore.
En Suède, la beauté nostalgique de Fersen fait tourner toutes les têtes. Mais aucune de ses adoratrices ne lui paraît préférable à Éléonore. Aussi, après un voyage de quelques mois à Vienne pour y rencontrer la duchesse d’Angoulême, rejoint-il le couple Craufurd à Francfort.
Le 16 octobre 1794
« Ce jour était un jour mémorable pour moi ; c’est celui où j’ai perdu la personne qui m’aimait le plus au monde et qui m’aimait véritablement. Je pleurerai sa perte toute ma vie, et je sens que tout mon sentiment pour El : (Eléonore Sullivan) ne peut me faire oublier tout ce que j’ai perdu.«
Axel de Fersen dans son dagbok
En 1795
Fersen est de retour au sein du couple Craufurd.
En janvier 1795
« J’ai mis le nouvel uniforme, il s’est avéré très beau et j’ai reçu de nombreux compliments sur la façon dont il me regardait et sur mon apparence. Tout le monde au bal est venu me regarder et, en entrant, les yeux n’étaient que pour moi. … Au souper, plusieurs femmes que je n’avais pas vues la veille ont demandé à me voir dans mes vêtements neufs. Mon estime de moi en profite.»
Axel de Fersen, journal
Le 8 juin 1795
L’annonce de la mort en prison du fils du défunt Roi Louis XVI âgé de dix ans, Louis XVII pour les royalistes, permet au comte de Provence de devenir le dépositaire légitime de la couronne de France et de se proclamer Roi sous le nom de Louis XVIII. Pour ses partisans, il est le légitime Roi de France.
Le 27 juin 1795
Apprenant la mort de Louis XVII, Fersen saisit l’occasion en laissant clairement entendre que cet enfant pouvait être son fils :
« Samedi 27. Le poste arriva et m’apporta la fatale nouvelle de la mort du jeune roi Louis XVII. Cet événement me fit une peine sensible. C’était le dernier et seul intérêt qui me restait en France. A présent je n’y en ai plus, et tout ce à quoi je tenais n’existe plus, car je tiens peu à Madame et je prévois qu’elle n’existera pas même longtemps, et toute cette famille sera anéantie. Cette idée était bien triste et retraçait toutes mes pertes, elles sont affreuses.»
Dagbok de Fersen
Si tel avait était le cas, il se serait assurément occupé davantage de la survie de celui qu’il se plaît à reconnaître comme son fils. C’est dire, depuis deux ans que la Reine est morte, combien il a dû goûter au prestige de la réputation que lui faisait la rumeur.
Il s’est surtout vu en conseiller potentiel de la future régente Marie-Antoinette régnant au nom de Louis XVII. Il ne voyait qu’un intérêt politique dans cet enfant.
En été 1795
Fersen quitte la Suède et se rend à Francfort dans un triple but : il désire savoir si Eléonore Sullivan est disposée à l’épouser ; il compte d’autre part obtenir de l’Empereur d’Autriche le remboursement des quelques trois cent mille livres de medames de Korff et de Steglemann ont prêtées en juin 1791 à Louis XVI pour l’achat de la berline et les autres frais du voyage vers Montmédy ; enfin il espère obtenir de l’Empereur le versement du don que Louis XVI et Marie-Antoinette lui avaient fait par ce billet daté de juin 1791 :
« Nous prions le comte de Mercy de remettre au comte de Fersen tout l’argent qu’il a à nous, à peu près 1 500 000 livres, et nous prions le comte de Fersen de l’accepter comme un témoignage de notre reconnaissance et un dédommagement de tout ce qu’il perd. »
Mercy (décédé le 25 août 1794) avait en effet reçu une forte somme à Bruxelles, ainsi qu’il l’avait relaté au chancelier Kaunitz :
« Hier il m’est arrivé un homme affidé de la reine, mais sans lettre ni avis ; il m’a remis une caisse et plusieurs sacs de louis, dont je n’ai pas encore vérifier la quantité et je suppose d’être environ 20 000 louis avec des lettres de change pour environ 600 000 à 700 0009 francs, sans me demander de reçu pour ces sommes que j’ai d’abord déposées au trésor royal. Tout cela me confirme bien un projet décidé de fuite prochaine. Il me vient dd’ailleuyrs différents meubles et effets de la reine par les voitures publiques. Le dénouement de cette crise est inquiétant.»
Le 19 décembre 1795
Marie-Thérèse, l’Orpheline du Temple quitte sa prison vers quatre heures du matin le jour de ses dix-sept ans, escortée d’un détachement de cavalerie afin de se rendre à Bâle, où elle est remise aux envoyés de l’Empereur François II.
Son séjour forcé à Vienne la rend froide et maussade tandis que le comte de Provence, alors en exil à Vérone, ne se résout pas à la voir entre les mains de l’Empereur.
Au moment de la libération de Madame Royale. Fersen suit les tribulations de cette malheureuse princesse de près…
En 1796
Quand Gustave IV monte sur le trône, Fersen retrouve ses offices et dignités.
Le 19 janvier 1796
Fersen part pour Vienne où Madame Royale vient d’arriver, libérée du Temple. Il se rend avec le duc de Guiche pour la voir passer lorsqu’elle rentre de la messe et note :
« Elle est grande, bien faite, mais elle rappelle plus Madame Elisabeth que la reine.Son visage est plus formé, mais pas changé : elle est blonde, a de jolis pieds, mis marche mal et en dedans. Elle a de la grâce et de la noblesse. En passant, elle rougit, nous salua, et en rentrant chez elle se retourna pour nous regarder encore. A ses manières, je reconnus sa mère, et j’y crus voir l’envie de nous faire politesse et nous dire qu’elle nous reconnaissait. L’impression fut si vive que les larmes me vinrent aux yeux et que mes genoux faiblissaient sous moi en decendant les escaliers. J’avais eu beaucoup de peine et beaucoup de plaisir et j’étais très affecté.»
Le 27 février 1796
Fersen est reçu par Madame Royale.
« Elle a rougie (sic) en me voyant ; elle a dit ensuite qu’elle ne m’avait pas vu depuis l’instant où je l’avais mise en voiture aux Tuileries et elle a pleuré.«
Il la rencontre parfois sans pouvoir causer avec elle, mais elle murmure :
« Je suis bien aise de vous savoir en sûreté. »
Le 27 mars 1796
Il revoit Madame en présence de dix-sept personnes. Elle lui parle de la Suède et des souverains.
« On permet au duc de Guiche et à moi de la voir qu’en public. Elle est trop raisonnable et trop grande pour être traitée ainsi en enfant. »
note-t-il avec amertume….
Le 9 juin 1796
Fersen part à Francfort et confie à son journal :
« J’étais bien aise d’avoir quitté Vienne, mais fâché et affligé d’avoir si mal réussi. L’insensibilité et le peu de noblesse et de générosité et de justice de leur conduite m’avaient outré. La conduite de Madame me choquait et m’affligeait ; la voir et la retrouver bien pour moi aurait été une grande consolation ; le contraire m’était pénible. »
Le régent de Suède, pendant la minorité du Roi Gustave IV Adolphe de 1792 à 1796, le prince Charles, n’a pas de sympathie pour Fersen, et c’est malgré lui , à cause de l’affection de Marie-Antoinette, qu’il lui envoie des lettres de créances comme ambassadeur auprès de Louis XVIII – lettres qui ne purent jamais être présentées.
Le 6 novembre 1796
Gustave IV Adolphe monte sur le trône et Fersen rentre aussitôt en grâce.
En 1797
Son frère Fabian von Fersen épouse la sœur de son beau-frère, Louise Piper (1777-1849).
Il est envoyé pour représenter son pays au traité de Rastatt, mais la délégation française proteste, et il doit se retirer.
A l’été 1797
Le Roi le nomme commissaire plénipotentiaire, puis ambassadeur au Congré de Rastatt. La mission suédoise est composée de Fersen, major-général, de monsieur de Bildt, envoyé à la Diète de Ratisbone, plénipotentiaire, et de monsieur de Schotding, chargé d’affaires, secrétaire d’ambassade. On peut se demander si la Suède avait qualité pour participer à ce Congrès et surtout s’il était indiqué qu’elle se fait alors représentée par l’ami le plus dévoué des souverains exécutés… Le nom de Fersen n’est pas oublié à Paris et, sitôt la nomination connue, une gazette anglaise parle de ce « partisan peu décidé des républiques ». Les journaux de Paris fulminent : le colonel suédois a déserté l’armée française au moment de la Révolution, écrivent-ils ; il s’est mis à la tête d’un parti de mécontents ; il a organisé la tenttive de Varennes ; son nom figure sur la liste des zémigrés et surtout il a été l’amant de Marie-Antoinette. Fersen paraît ne pas prendre ces protestations au sérieux et, s’il hésite d’abord à accepter son mandat, c’est à cause de son ignorance du droit.
Le 15 novembre 1797
L’ambassadeur du Roi de Suède s’installe magnifiquement dans l’hôtel de la belle-soeur de Metternich qu’il a loué à Rastatt.
Le 25 novembre 1797
à sept heures du soir
Bonaparte arrive à Rastatt, auréolé de ses victoires d’Italie et bien décidé à mener tambour battant les représentants des petits Etats allemands. Fersen fait prendre de ses nouvelles.
Le 28 novembre 1797
Fersen rencontre Napoléon, une visite qui le mortifie.
Ses nouvelles fonctions le tiennent de plus en plus éloigné de Francfort. Et puis, une méprise du vieux Simolin va faire exploser définitivement le trio de vaudeville. Une lettre d’Éléonore à Axel atterrit par erreur entre les mains de Quintin.
« Je fus reçu par les aides de camp dans la première antichanbre ; ils m’accompagnèrent jusqu’à la porte du salon et l’un de ces messieurs annonça « l’ambassadeur de Suède ». Je trouvai Bonaparte avec le général Berthier et deux aides de camp, qui restèrent dans la chambre. Après avoir présenté M. Bildt comme ministre de Votre Majesté et après les compliments d’usage, il me donna un fautuil de la cheminée ; il m’appela indifféremment « Monsieur », « Escellence » ou « Elle ». Après quelques propos vagues sur son voyage, il me dit que sans doute j’avais été chargés des arrangements relatifs au mariage de Votre Majesté ? Je lui répondis que non, que j’étais nommé ambassadeur du roi au Congrès. Il parla ensuite des grandes alliances de la Maison de Bade et me demanda si nous n’avions pas un chargé d’affaires à Paris ? Ne voulant pas entrer en discussion sur cet objet et ignora nt si ce qu’il avait dit sur le raccommmodement et l’envoi réciproque de ministres était vrai, je répondis simplement que non, que depuis la petite brouillerie qu’il y avait eue entre les deux puissances, les missions de part et d’autre avaient cessé, que des malentendus réciproques l’avaient sans doute occasionnée et que j’espérais que tout serait bientôt aplani. Le général en porit occasion de parler assez longuement sur les intérêts de la Suède et de la République qui devaient, disait-il, être commune, que ces deux puissances avaient travaillé ensemble à l’abaissement de la Maison d’Autriche, qu’elles avaient toujours été et devaient toujours être des alliés naturels ; que ce serait mal entendre ses intérêts que de suivre une conduite différente. Il fit sentir qu’on avait peine à reconnaître la puissance de la République, qui, disait-il, était toujours franche dans sa manière d’agir ; il fit sentir aussi le tort qu’on avait de s’envoyer des personnes désagréables et le droit qu’on avait de les refuser ; et que la République était décidée à n’en recevoir aucune, qui eût une partie directes aux affaires présentes, ou qui est peut-être sur la liste des émigrés. Je ne jugeais pas à propos d’entrer en aucune explication et quand il eut fini, je me contenterai de dire que j’étais persuadé que Sa Majesté le roi désirerait conserver avec la République les relations qui pourraient être avantageuses aux deux nations. Après quoi je me levai et m’en allai. Le général m’accompagna jusu’à la porte du vestibule et ses aides de camp jusqu’au bout de l’escalier. Le tout fut l’affaire d’une demi-heure, et il fut très poli.
Votre Majesté pensera sans doute qu’il est impossible, d’après les détails que j’ai l’honneur de mettre sous ses yeux, d’en rien conclure et tout ce que j’ai vu ne peut m’éclaircir encore, si c’est manque de connaissance des formes et usages, ou bien si l’occasion de la nomination de l’ambassadeur est un fait exprès. L’arrivée du comte de Metternich éclaircira ce doute et est attendu dans trois ou quatre jours…
… J’espère que Votre Majesté approuvera la conduite que j’ai tenue en cette occasion ; elle m’a paru nécessaire pour le bien du service de Voitre Majesté.
Je suis dans le plus profond respect, sire, de Viotre Majesté le très soumis et très fidèle serviteur et sujet.
Axel v. Fersen.»
Quoi que Fersen en dise, il paraît certain que Bonaparte l’a mal traité. Si l’ambassadeur de Suède rapporte que le génral « fut très poli« ,il se demande un peu plus loin si « c’est manque de connaisszance des formes et usages ?«
Le 29 novembre 1797
Fersen écrit d’ailleurs au Roi :
« Je dois ajouter au récit que j’ai eu l’honneur de mettre sous les yeux de Votre Majesté, de ma visite chez le général Buonaparte, que tout son raisonnement fut débité fort lentement, cependant avec chaleur, mais dans le style, le ton et la manière d’un pavenu, sans noblesse et sans dignité, et comme dans une leçon.»
Le lendemain de l’entrevue, le baron autrichien Edelsheim va voir Bonaparte, Fersen relate cette démarche dns son journal :
Le 20 novembre 1797
« Buonaparte lui parla encore de moi et lui dit qu’il était impossible et que ce serait manquer au Directoire que de traziter ; que j’avais servi en France, et que j’y avais été à la tête du parti le plus violent contre la Révolution. Le baron (Edelesheim), à qui j’en avais parlé hier, répondit qu’il savait effectivement que j’avais été au service mais qu’il croyait avoir entendu que j’avais été réformé et quitté le service en 89 ou 90. Buonaparte lui dit qu’il ne savait pas tout, que j’avais couché avec la la reine. Edelsheim répondit en riant qu’il avait cru que les époques de l’histoire étaient oubliées. Buonaparte répéta ce qu’il avait déjà dit, ajoutant que j’avais toujours agi contre la République et qu’on ne pouvait traiter avec moi …»
Fersen ne se considère pas comme battu. Usant d’une grande courtoisie, il fait le premier une visite aux négociateurs français (un seul la lui rendra) ; il cherche à engager la conversation avec Treilhard, qui était venu dans la loge de Metternich, voisine de la sienne. En l’absence de Bonaparte, qui n’est resté que quelquyes jours à Rastatt, Fersen charge son premier collaborateur de démarches qui surprennent de sa part. Voici ce qu’il écrit le 18 janvier 1798 :
« J’ai déjà convenu avec M. de Bildt…. qu’il chercherait à vaincre leur préjugé (des délgués français) contre moi et je l’avais autorisé de faire de ma part et individuellement toutes les avances possibles et d’assurer que mes principes, mes actions et mes démarches étaient en tout conformes aux intentions de Votre Majesté, et que je mettrai tous mes efforts à cimenter l’union réciproque si avantageuse aux deux nations. J’avais donné à M. de Bildt les détails sur le passé pour qu’il en fit usage et pût détruire toutes les erreurs à cet égard, et je l’avais autorisé à offrir de ma part toute démarche envers ces ministres ou la République qu’on voudra m’indiquer et qui pourrait être compatible avec mon honneur et la dignité de Votre Majesté. Elle verra par la réponse de M. Treilhard qu’il y a peu d’espérance qu’ils changent, à moins que les négociations entamées à Paris ne produisent cet effet. Je ne négligerai cependant pas de saisir toute occasion et de travailler à vaincre leurs préjugés. J’y mettrei xde mon côté toutes les prévenances possibles et je supplie Votre Majesté de croire que je fais de bon coeur ce sacrifice…»
Brusquement, au bout de dix ans, les yeux de doux rêveur de Crawfurd se décillent. C’est la rupture définitive avec le beau Suédois, mais non point avec la muse italienne. Au bout de quelques années, Quintin épousera en effet Éléonore.
Le 6 janvier 1798
« Les gazettes anglaises The Times du 18, 19 et 20 (décembre 1797) parlaient de moi et de Bonaparte ; tout y était inexact ; il y avait cependant du vrai dans ma conversation avec lui, mais on parlait de moi et de l’infortunée reine, ce qui me choqua…»
Dagbok de Fersen
Le 14 mars 1798
Finalement Fersen échoue dans ses démarches de conciliation et transmet ses pouvoirs à monsieur de Bildt, après avoir adressé cent six rapports à Gustave IV Adolphe.
Le 29 mars 1798
Fersen part pour Karlsruhe afin d’échanger les contrats de mariage entre son souverain et la Reine Frédérique, princesse de Bade, mission honorifique qui prouve le désir du Roi de Suède d’atténuer l’affront fait à son ambassadeur. Fersen passe une année à Karlsruhe. Il est reçu à la Cour, s’entretient avec les ministres étrangers agréés à Rastatt, se rend parfois à Francfort, où se trouvent toujours Craufurd et Eléonore Sullivan. Mais Crawfurd reçoit par erreur une lettre que sa maîtresse adressait à Fersen et c’est la cause d’une rupture définitive qui s’annonçait depuis longtemps. La belle comédienne épousera Crawfurd.
Le 16 octobre 1798
« Ce jour est un jour de dévotion pour moi et je ne puis jamais oublier tout ce que j’ai perdu ; mes regrets dureront autant que moi …»
Dagbok de Fersen
Le 24 avril 1800
Décès de sa mère, Hedvig von Fersen, née de La Guardie, à l’âge de soixante-huit ans.
En 1801
Il est nommé riksmarskalk (Grand Maréchal du Royaume), ministre, membre de l’Ordre des Séraphins, grand maréchal du royaume et chancelier d’Upsal, mais il perd la faveur royale en s’opposant fermement à l’entrée en guerre de la Suède contre la Prusse, voulue par Gustave IV pour punir celle-ci d’avoir refusé d’envahir la France. Pendant un voyage du Roi, il est membre du Conseil de Régence
Allié aux meilleures familles, propriétaire de plusieurs domaines, le maréchal du royaume est âgé de quarante-six ans en 1801. Intelligent, parlant plusieurs langues, l’esprit enrichi par ses nombreux voyages,, élégant, d’une courtoisie irréprochable, c’est encore un brillanbt parti. Mais l’amitié de sa soeur lui suffit. Il vit aussi retiré que ses fonctions le lui permettent et s’isole dans ses souvenirs, si bien qu’on lui reproche d’être lointain, distant, hautain.
En 1801
Axel fait un voyage en Italie avec Sophie. ils se rendent à Parme, où il est fort bien reçu par Marie-Amélie, la soeur de Marie-Antoinette. Elle lui exprime à plusieurs reprises « sa reconnaissance pour tout ce qu’il a fait pour sa pauvre soeur. »
En 1805
La Suède ouvre les portes de la Poméranie suédoise aux troupes de l’Angleterre, de la Russie et de l’Autriche alliées contre la France. Mais la troisième coalition est écrasée à Austerlitz le 2 décembre 1805 et les armées prussiennes sont anéanties à Iéna et Auerstaede le 14 octobre 1806. Chargé des négociations avec les envoyés des cours étrangères, Fersen conseille vainement à Gustave IV Adolphe de ne pas poursuivre la guerre ; le Roi, qui est fort entêté, en éprouve du ressentiment et prie le maréchal d’accompagner la Reine en Scanie et de rester auprès d’elle. C’est une demi-disgrâce.
En janvier 1807
La Suède est obligée d’évacuer toute la Poméranie, sauf Stralsund.
En 1808
La Suède perd la Finlande, brusquemenbt envahie par les Russes.
Le 13 mars 1809
Gustave IV Adolphe, qui a mécontenté l’armée et la population par des mesures maladroites ou blessantes, est arrêté au château de Stockholm et déposé; Exilé avec sa famille, il se retire en Suisse, où il mourra en 1837, sous le nom de colonel Gustavason. La famille Fersen est l’alliée du parti gustavien lorsque le Roi Gustave IV Adolphe est déposé et soutient la cause du fils de ce dernier comme héritier du trône.
Quand Gustave IV est chassé par un coup d’État militaire, Fersen ne prend pas parti, mais tout le monde soupçonne ses sympathies pour le jeune prince Gustave, fils de Gustave IV.
Le 29 juin 1809
Couronnement de Charles XIII (1748-1818) , fils du Roi Adolphe-Frédéric de Suède, frère cadet de Gustave III (1771-1792) et oncle de Gustave IV (1792-1809) auquel il succéda au détriment des enfants de ce dernier. Il est le dernier Roi de Suède de la dynastie d’Holstein-Gottorp.
Il est l’époux de l’amie de Sophie Piper, Hedwige de Schleswig-Holstein-Gottorp (1759-1818), qui devient donc Reine de Suède.
Le 7 janvier 1810
Christian-Auguste, frère cadet de Frédéric-Christian II, duc de Schleswig-Holstein-Sonderbourg-Augustenbourg, de la branche cadette des souverains du Danemark, est élu prince héritier de Suède. Il prend alors le nom de Charles-Auguste, et est adopté par le nouveau Roi Charles XIII, oncle du Roi déchu.
Le 28 mai 1810
Le Prince Christian-Auguste meurt d’une attaque quelques mois plus tard. Sa mort accidentelle est due à une chute de cheval. Aussitôt les partisans de Charles-Auguste accusent certaines familles de la haute noblesse d’avoir comploté contre lui et de l’avoir fait empoisonner. Les Fersen sont les premiers visés.
La rumeur accuse Fersen de l’avoir empoisonné.
Axel de Fersen reçoit cette lettre de menaces :
« A Axel Fersen !
Misérable, lis cette lettre et tremble ! Croyez-vous, toi et ta ligue, que deux millions d’hommes permettent à quelques aristocrates de commettre n’importe quelle horreur sans être punis et qu’ils se laissent piétiner par quelques traitres conspirateurs? Ce pays malheureux sera-t-il pour toujours sous la pressionde quelques malfaiteurs audacieux? Crois-tu que la nation ne sait pas tout, tout ? L’heure de la vengeance viendra ! Quoique ton père infâme, l’ristocrate orgueilleux, ait réussi dans son jeu, quoiqu’il ait volé des richesses immenses par les moyens les plus indignes aux dépens de la patrie, quoique ton long cou qui porte un petit ciboulot sans cervelle ait échappé à la guillotine en France ; quoique ta soeur l’empoisonneuse ait jusqu’à ce jour échappé à la hache de la justice ; quoique votre orgueil sans bornes n’ait pas encore été étouffé, sachez, misérable, que ce qui devait advenir et n’est pas encore advenu peut advenir. C’est affreux une nation en rage et en détresse ! Chez les paysans, on s’est déjà demandé si l’on voulait mettre le feu à Löfstad et Ljung, car chaque connaît l’infamie des cabales et la vengeance des autres. Monstre cruel, est-ce que le sentiment de la patrie a disparu chez vous? Est-ce que ce vieux royaume doit perdre son indépendance et son existence parmi les nations de l’Europe par l’infidélité, l’infamie et la trahison de la noblesse ? _ Peut-être Napoléon, autrefois si méprisé par toi, connaît-il ta cabale et un mot peut t’écraser, animal aux jambes fines ! _ Créature méprisable, quand tu arrives en ville dans ta grandeur et ta pompe, sache que le dernier des paysans crache devant toi et se sent plus grand et meilleur homme que toi , misérble orgueilleux ! Tremple sur tes grandes jambes fines et sache que cette lettre est la voix de toute la République – et cela devrait être la plus grande vengeance de te voir méprisé par une nation entière pour des canailleries et des plans infirmes d’assassinat. Crois-moi, misérale Axel Fersen, vous serez hantés un jour, toi et ta soeur infâme, quand l’ombre de l’assassiné rôdera autour de vos châteaux isolés. Et si vous n’avez pas perdu tout sentiment de religion et de moralité, vos consciences seules seront vos bourreaux – mais vous en avez besoin d’autre, Charles-Auguste sera vengé.»
Le 20 juin 1810
En vertu de ses fonctions de riksmarskalk, grand maréchal du royaume, Fersen est chargé d’escorter le corps du prince dans Stockholm. En grand apparat, dans son carrosse de gala à six chevaux blancs, surmonté de la couronne d’or, mène la procession. Il s’est refusé à céder à ses proches qui le suppliaient de renoncer, qui lui désignaient la fermentation extraordinaire emplissant la ville. Impassible, solennel, en grand habit de cour, chamarré de décorations, Fersen avance au pas, précédant le char tiré par huit chevaux noirs portant le cercueil recouvert du drapeau, escorté par un escadron de la garde à cheval, suivi par une compagnie de gardes et de drabans (gardes du corps du Roi de Suède) lances baissées, ainsi que de l’escorte de cavalerie de Scanie qui accompagne le cortège, le tout au son des tambours, des marches funèbres ininterrompues et du glas qui se répond d’église en église dans les rues d’une ville en ébullition. Une émeute se forme ; malgré les patrouilles qui quadrillent la ville, la foule se déchaîne aux abords de Södermalm, à l’entrée sud de la vieille ville, le carrosse est attaqué à coups de pierres. Le cocher est atteint, et l’on voit Fersen, blessé à la tête, très pâle, se rencogner dans son carrosse.
Dans la Stora Nygatan, la Grande Rue Neuve, la foule grossit et sous les huées arrête le carrosse aux vitres brisées, à demi défoncé, détèle les chevaux. Fersen a la force de sortir et de se réfugier au premier étage d’un cabaret où il n’est pas bien reçu : le visage en sang, les habits en lambeaux, décorations arrachées, une main blessée, il est pris violemment et va être défenestré quand intervient le général Silversparre qui parlemente avec les assaillants et finit par leur promettre qu’il va conduire Fersen en prison si on les laisse sortir. Rien n’y fait, Fersen, soutenu pour descendre l’escalier menant à la rue, est aussitôt agressé et jeté à terre, on le perce de coups de canne. Il a les oreilles percées et porte des boucles, on les lui arrache alors qu’il est encore bien vivant. On lui arrache aussi des touffes de cheveux : affaibli, gravement blessé, il se rend compte que sa dernière heure est arrivée et le dit.
Dans les hurlements de la mêlée, Silversparre est frappé à son tour et séparé de Fersen. Les secours mettent du temps à venir. Fersen meurt lapidé et piétiné par la foule, en présence de nombreuses troupes qui n’interviennent pas.
Il est probable que Charles XIII ait saisi l’occasion de se débarrasser aisément de l’un des leaders gustaviens.
Le baron de Silversparre, dont le rôle fut plus qu’ambigu dans ce drame, réapparaît mais trop tard : le cadavre d’Axel de Fersen, à demi-nu, gît sur le pavé ensanglanté, méconnaissable, sauvagement piétiné par les assaillants en délire.
Le calvaire aura duré deux heures. «On en frémit», pour reprendre la formule favorite de Fersen devant ce genre de scènes dont Paris lui avait donné un avant-goût. On ne peut , en effet, que penser à la fin tragique de la princesse de Lamballe. Ce jour est d’ailleurs le dix-neuvième anniversaire du départ de la famille royale de France pour Montmédy. On peut donc y voir une expiation pour cet échec historique… aux si dramatiques conséquences .
Le professeur Lodin évoque l’empoisonnement lent. Le Collège des médecins donne le résultat de son enquête dans un long rapport daté du 16 juillet 1810. Ses conclusions sont catégoriques : il n’y a pas eu d’empoisonnement, on n’en trouve aucune trace, rien ne justifie donc un quelconque soupçon. Et le Collège de flétrir avec énergie l’attitude du professeur.
« Je commence actuellement, ma chère amie, à revenir un peu de l’amertume de mon esprit, qui jusqu’à ce moment a été dans une espèce d’engourdissement et incapable de rien entreprendre pendant tous ces jours passés. Jamais, non jamais ma chère amie, mon âme n’a été accablée comme elle l’a été dans cette occasion, jamais regrets n’ont été pour moi aussi vifs que ceux que j’ai ressentis à la perte de notre digne ami Axel. Son image ne me quitte pas, et même j’en suis aise car cela me prouve à moi-même combien je lui étais attaché, et c’est un juste tribut que je paie à sa mémoire. … maintenant on lui rend justice, mais hélas trop tard pour lui et pour
nous, et l’on sait à présent que tout n’était que calomnie.»Fabian von Fersen à sa sœur Sophie von Piper
Stockholm, 13 août 1810
« La perte d’un frère et ami n’était pas suffisante pour mettre mes regrets à son comble; l’envie et la méchanceté nous ont encore frappés, mais une justice sûre peut-être tardive restaurera la vertu. C’est l’espoir qui me reste et qui met quelque tranquillité dans mon âme. Il est cruel de voir un frère en butte à des soupçons atroces… qui toute sa vie n’a cherché qu’à rester tranquille et a eu les principes les plus stricts de loyauté et d’équité.»
Fabian von Fersen à sa sœur Sophie von Piper
Ce 23 août 1810
« Je trouve, ma chère amie, que mon frère n’a besoin d’aucune justification. Sa vie entière est une suite de principes d’honneur et loyauté … Toutes les personnes qui réfléchissent n’ont jamais donné dans les fausses opinions qui ont cours chez le public moins pensant et qui ne connaissaient pas mon frère autrement que de nom, et qui toujours jugent les soi-disant grands seigneurs capables de toutes les horreurs uniquement par la raison qu’ils sont d’une classe supérieure à eux et parce qu’ils approchent de la Cour où ils pensent que rien ne se traite que par intrigues; d’autres n’ont jamais été séduits et rendent justice parfaite à notre infortuné frère, et j’ose dire que l’opinion publique même n’a été séduite qu’un instant, mais malheureusement ce seul moment nous a été fatal par la perte du chef de la famille, qui par ses qualités et ses vertus en faisait un si bel ornement.»Fabian von Fersen à sa sœur Sophie von Piper
Le 9 novembre 1810
Dans une proclamation au peuple, le Roi Charles XIII confirme les conclusions du Collège cdes médecins de la manière la plus nette, lavant de tout reproche Axel de Fersen et sa soeur la comtesse von Piper.
Ce 4 décembre 1810
« Dans ce moment, je reviens de l’église et de l’enterrement de notre digne frère et ami. Tout a été avec la plus grande décence et tranquillité, et la cérémonie finie, la bière a été transportée dans le tombeau où la procession l’a suivie. Ainsi finissent les grandeurs de ce monde, ma bonne amie. A nous il reste les regrets, à lui la tranquillité.»
Fabian von Fersen à sa sœur Sophie von Piper
Si, par Ses mots, Ses lettres, on sait combien Marie-Antoinette aimait Fersen. Il semble clair que de sa part, il s’agit d’une admiration pour la Reine, plus que d’un amour passionnel. Mais les films et les romans ne cesseront d’écrire le conte de Fersen en interprétant les faits historiques à leur guise afin de faire croire à une histoire d’amour rêvée… Allant jusqu’à attribuer au suédois la paternité de Louis-Charles, futur Louis XVII. Ce qui ne ferait plus de lui seulement un amoureux pas à la hauteur de la passion à laquelle il prétend, mais encore un salaud car ce n’est plus que la Reine qu’il aurait laissée périr en France, mais son fils….
En somme, en voulant en faire l’exemple de l’amoureux romantique, les admirateurs de Fersen nuisent à sa mémoire car n’importe quel historien voulant vérifier leurs propos ne peuvent que constater qu’il n’a rien à voir avec cette légende, ce qui le rend décevant, falot, égoïste et même traitre. Il fut un gentilhomme de Cour, attaché aux souverains de la France qui l’accueillit si bien… Il écrivit pourtant :
« Plus je vois de choses dans mon pays, plus je le trouve changé et moins j’ai de goût pour y habiter. J’aurais voulu naître anglais, c’est le pays le plus agréable à vivre. Ici on s’intéresse exclusivement aux faits et gestes d’autrui et il n’y a aucune sorte de vie en société. »
Sources :
- ARISTIDE-HASTIR Isabelle Marie-Antoinette et Axel de Fersen – Correspondance secrète, Michel Lafon (2021)
- FARR Evelyn, Marie-Antoinette et le comte de Fersen – La correspondance secrète (2016) ; L’Archipel
- KERMINA Françoise, Hans-Axel de Fersen, Librairie Académique Perrin (1992)
- LEVER Evelyne, Marie-Antoinette, Fayard (1991)
- LEVER Evelyne, Marie-Antoinette Correspondance (1770-1793) ; Tallandier (2005)
- LEVER Evelyne, Le Grand Amour de Marie-Antoinette, lettres secrètes de la Reine et du comte de Fersen (2020) , Tallandier
- WAGENER Françoise, L’Enigme Fersen (2016) , Albin Michel