Versailles 12 juin 1778
« […] Je grossis beaucoup. J’ai eu l’enfance de me mesurer, j’ai déjà augmenté de quatre pouces et demi. Ma chère maman est bien bonne de vouloir s’inquiéter pour ce petit enfant futur. J’ose l’assurer que j’en aurai le plus grand soin. A la manière dont on les élève à cette heure, ils sont bien moins gênés ; on ne les emmaillote pas, ils sont toujours dans une barcelonnette ou sur les bras, et du moment qu’ils peuvent être à l’air, on les y accoutume petit à petit, et ils finissent par y être presque toujours. Je crois que c’est la manière la plus saine et la meilleure de les élever. […]»Marie-Antoinette
Pendant la dernière semaine de grossesse de la Reine, au mois de décembre 1778, plus de deux cents courtisans qui séjournent habituellement à Paris viennent se loger au château.
Le 18 décembre 1778
Vers minuit, Marie-Antoinette ressent les premières douleurs et fait appeler Son mari à une heure et demie. Pendant ce temps, Madame de Lamballe (1749-1792), surintendante de Sa maison, court avertir la famille royale. Lorsque les douleurs La reprennent, avec violence, Marie-Antoinette s’installe dans un petit lit de travail dressé exprès près de la cheminée. Les courtisans, massés dans l’antichambre de la Reine et le cabinet du Roi, sont si nombreux qu’ils se répandent jusque dans la Galerie des Glaces. Tous trépignent d’impatience. Lorsqu’on ouvre enfin les portes, ils s’élancent dans les appartements de la Reine et s’agglutinent jusqu’à Son lit. Même du temps de Louis XIV, on n’avait jamais vu une foule si dense ! La pauvre souveraine croit mourir, et serre les dents pour ne pas donner à ces yeux scrutateurs le spectacle de Sa souffrance.
Pendant la nuit, le Roi a pris la précaution de faire attacher par des cordes les énormes écrans de tapisserie qui entourent le lit de Sa Majesté ; sans cela, ils auraient certainement été jetés sur Elle.
Il est impossible de se déplacer dans la salle, qui est remplie d’une foule si hétéroclite qu’on aurait pu se croire dans quelque lieu d’amusement public. Deux Savoyards montent sur les meubles pour mieux voir la Reine, placée en face de la cheminée.
La naissance est un supplice. Un instant, on croit que l’enfant est mort, mais des vagissements se font entendre : il vit. La Reine n’a pas le temps de s’en réjouir. Elle n’en peut plus. La tension, l’émotion, l’atmosphère confinée et étouffante, le vacarme des courtisans, le travail éreintant de douze heures… Elle est prise d’une convulsion et s’évanouit.
Images de Marie-Antoinette de Sofia Coppola (2006)
Images de Marie-Antoinette, Reine d’un seul amour (1989) de Caroline Huppert
Seul le Roi a la force d’ouvrir les fenêtres qui étaient calfeutrées pour l’hiver.
Terreur du médecin. Il faut La saigner pour La réanimer et reprendre les suites naturelles de l’accouchement ! Marie-Antoinette n’apprend que plus tard qu’Elle a donné le jour à une fille, et pleure.
Le marquis de Tourzel organise le détachement des gardes lors de la cérémonie de Te Deum faisant suite à la naissance de la petite Madame.
Le 19 décembre 1778
A onze heures trente-cinq minutes
La fille aînée du couple royal naît dans la chambre de la Reine au château de Versailles.
L’enfant est aussitôt baptisée dans la chapelle de Versailles par Louis de Rohan, cardinal de Guéménée, grand aumônier de France, en présence du sieur Broquevielle, curé de la paroisse Notre-Dame. après sa naissance contrairement à l’usage qui voulait que les enfants royaux soient simplement ondoyés et devaient attendre plusieurs années pour une cérémonie fastueuse de baptême. Ainsi, la petite princesse reçoit-elle ses prénoms de Marie-Thérèse Charlotte dès sa naissance. En contre-exemple, les filles de Louis XV se sont longtemps contentées de leur titre de Madame, Fille du Roi, suivi de leur ordre de naissance, Madame Première, Madame Deuxième, etc.
Le premier médecin de la Reine, Lassonne (1717-1788) publia ce bulletin de santé le lendemain de la naissance :
Cette petite princesse si longtemps espérée après huit ans de mariage (voir ce lien) a pour marraine sa grand-mère maternelle, l’Impératrice Marie-Thérèse (1717-1780) qui prenait pour filleules toutes ses petites-filles aînées, issues de sa large progéniture et pour parrain, son grand-oncle le Roi d’Espagne Charles III (1716-1788), représentés par le comte et la comtesse de Provence. Elle est tenue sur les fonts par Monsieur, au nom du Roi d’Espagne, par Madame, au nom de l’Impératrice Reine, appelée Marie-Thérèse-Charlotte, titrée Madame, fille du Roi.
Si un Dauphin était plus souhaité qu’une fille, de par la primogéniture mâle qui règle la succession sur le trône de France, de nombreuses fêtes et cérémonies célébrèrent ce qu’on appelait alors «l’ouverture du ventre de la Reine».
Un charmant poème circule :
«Pour toi, France, un dauphin doit naître ;
Une princesse vient pour en êtes témoin.
Sitôt qu’on voit une Grâce paraître
Croyez que l’Amour n’est pas loin.»
D’après madame Campan (1752-1822), Marie-Antoinette s’exclame lorsque Sa fille nouvelle-née est enfin dans Ses bras :
« Pauvre petite, lui dit-elle, vous n’étiez pas désirée, mais vous ne m’en serez pas moins chère. Un fils eût plus particulièrement appartenu à l’Etat. Vous serez à moi ; vous aurez tous mes soins, vous partagerez mon bonheur et vous adoucirez mes peines.»
S’il est peu convaincant que Marie-Antoinette, tout juste revenue d’un accouchement difficile, ait réellement prononcé ces mots à ce moment précis, elle les a certainement exprimés à plusieurs reprises les années suivantes car plus que des mots, la réalité des faits parlent d’eux-mêmes. Marie-Antoinette a à cœur d’éduquer par Elle-même sa fille, malgré les nombreux obstacles rencontrés.
A Paris, mais aussi dans de nombreuses villes du royaume, sont chantés de nombreux Te Deum, les maisons sont illuminées, le vin coule en fontaine, le pain est distribué aux miséreux, cent jeunes filles sont dotées et mariées. Enfin, selon l’usage une représentation gratuite est donnée à la Comédie-Française où les charbonniers occupent normalement la loge du Roi et les poissardes celles de la Reine. Cependant à une époque où les préséances commencent à devenir moins respectées, ces loges royales sont occupées par n’importe qui et les deux corps de travailleurs doivent faire appel pour que leurs privilèges soient respectés.
Malgré leur déception, Louis XVI et Marie-Antoinette adorent leur fille. Marie-Antoinette vécut sa grossesse dans un grand bonheur malgré des soucis politiques majeurs comme la succession de Bavière. De nombreuses lettres à Sa mère racontent Ses premiers émois de femme enceinte, Ses projets avec Son futur bébé, ses espoirs :
Elle continue, l’enfant née, à inonder sa mère attendrie mais impatiente de lui voir venir un petit frère des exploits de Sa petite fille.
Louis XVI prend l’habitude de visiter sa fille tous les jours. Comme le rapporte Angélique de Mackau (1762-1800) à son mari Marc de Bombelles (1744-1822) le 24 décembre 1778 :
« Le roi vient tous les jours chez sa fille, il l’aime à la folie. Ce matin, l’enfant lui a serré le doigt, il a été dans une joie qui ne se peut pas rendre, tout le monde est attendri et enchanté des soins pour sa fille.»
Marie Thérèse et son père partagent une relation affectueuse qui débute dès les premiers jours de sa vie. L’ambassadeur Mercy écrit, à propos de la semaine qui suit sa naissance, que le Roi « ne voulait pas quitter le château, même pour se promener » , et qu’il passe la majeure partie de sa journée dans les appartements de la Reine, partageant « son temps entre la reine et son auguste enfant, à qui il témoigne l’amour le plus touchant.»
Celle qu’on appelle Madame Royale ou plus communément la Petite Madame pour la distinguer de sa tante, comtesse de Provence (1753-1810), disposait d’une vaste Maison. Celle qui commande ce vaste ensemble est la gouvernante des enfants de France, la princesse de Rohan-Guéménée (1743-1807).
La Maison et l’appartement des enfants de France
Mais la grande dame se préoccupe plus des prestiges de sa charge et de son rang que des véritables contraintes qu’exigent l’éducation d’un enfant royal.
On raconte qu’après l’accouchement de la Reine, Victoire de Guéménée, rayonnante de fierté comme si elle avait elle-même donné naissance à l’enfant royal, se serait fait porter dans une chaise de la chambre de Marie-Antoinette aux crèches royales du rez-de-chaussée de Versailles, le bébé sur ses genoux tandis que tout Versailles rendait hommage.
D’après Hélène Becquet :
« Cette charge était une des plus importantes de la cour et était inamovible. La gouvernante avait le pas sur toutes les dames de la cour, elle pouvait monter dans les carrosses de la reine, s’avancer jusqu’à la chambre de celle-ci en chaise à bras, et de même chez le roi quand elle portait les enfants royaux [8]. Elle prêtait serment à son entrée en charge entre les mains du roi et nommait ensuite une grande partie du personnel de la maison auquel elle faisait prêter serment. En échange, sa surveillance sur les Enfants de France, le Dauphin en particulier, devait être constante.»
Hélène Becquet, La cour de France sous Louis XVI, un système en décadence ? L’exemple de la maison des enfants de France http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=DHS_038_0407«
Madame de Guéménée est secondée par trois sous-gouvernantes, madame de Mackau (1723-1801) qui avait déjà excellé dans l’éducation de la jeune sœur du Roi, Madame Elisabeth, sa belle-sœur la comtesse de Soucy (1729-1789) qui s’occupera plus tard exclusivement du duc de Normandie et la vicomtesse d’Aumale (1733-1792). Plus tard, seront ajoutées madame de Villefort et la marquise de Soucy, belle-fille de la comtesse et fille de madame de Mackau. Ce sont elles et les femmes de chambre qui furent véritablement chargées de l’éducation de la princesse, secondées de la nourrice madame Laurent et de la remueuse.
Louis XVI et Marie-Antoinette estiment que chacun de leurs enfants doit avoir une sous-gouvernante attitrée. La Gouvernante ne devant quant à elle s’occuper uniquement que du Dauphin. C’est Madame d’Aumale qui est choisie au départ pour la jeune princesse.
Madame Royale occupe avec sa Maison un vaste appartement au rez-de-chaussée de l’Aile du Midi, ouvrant sur la terrasse qui domine l’Orangerie.
L’intérieur ne conserve plus rien de cet appartement réservé aux jeunes enfants royaux depuis Louis XIV. Aujourd’hui, à son emplacement les visiteurs peuvent découvrir des salles dédiées aux campagnes militaires de 1800. Néanmoins des inventaires du temps des enfants de Louis XV puis ceux de Louis XVI permettent de nous en faire une idée. L’étude la plus poussée se trouve dans le Versalia de 2012 par Adrien Enfedaque. Comme tout appartement royal ou princier, nous savons qu’il est traditionnellement composé d’une antichambre, d’une galerie et d’un cabinet communs où les enfants de France reçoivent. Pour les occasions solennelles, ils sont placés sous un dais cramoisi. Les appartements de l’Aile des Princes reflètent au même titre que le cérémonial qui entoure ces jeunes enfants la grandeur de la monarchie française. Tous sont tendus de damas rouge aux passementeries d’or et d’argent. Les lustres sont de cristal mais ils sont généralement couverts d’une housse et utilisés pour les grandes occasions uniquement.
Mais outre ces pièces officielles, l’appartement est considérablement agrandi depuis les règnes précédents. La jeune Madame Royale dispose de pas moins de dix pièces dont la fonction ne nous est pas connue, si ce n’est la chambre à coucher, l’ensemble doublé par l’entresolement de l’enfilade du rez-de-chaussée. Des retombes permettent de nombreux recoins où sont placés les cuves pour les bains, les passages pour le service, des espaces intimes, etc.
Marie-Antoinette fait installer une grille afin de créer un petit jardin au pied de la terrasse et aussi séparer cet espace réservé aux futurs enfants royaux du public se promenant dans les jardins et toujours curieux. Que ce soit le Roi ou la Reine, les deux parents estiment l’air extérieur comme très bénéfique pour leurs enfants et souhaitent les voir s’adonner aux plaisirs du jardinage. Cette grille a aussi pour intérêt de permettre à l’enfant d’apprendre à marcher en s’accrochant aux barreaux, ainsi que l’explique Marie-Antoinette à Sa mère :
« Le mien logera en bas, avec une petite grille qui le séparera du reste de la terrasse, ce qui même pourra lui apprendre plus tôt à marcher que sur les parquets. […]»
La méthode a eu du bon car d’après une lettre de Marie-Antoinette à sa mère, la petite princesse commence à marcher dès huit mois. A la même date, elle commence à dire «Papa», ce qui ne déplaît pas à la jeune mère, au contraire, ravie pour son mari épanoui dans son rôle paternel.
Marie-Antoinette connaît à Son tour un grand bonheur maternel quelques mois plus tard. Venue rendre visite à Sa fille, entourée de nombreuses autres dames, les siennes et celles attachées à Sa fille, Elle lui fait demander où est sa mère.
« Cette pauvre petite, sans que personne le lui dise, m’a souri, et est venue me tendre les bras. C’est la première fois qu’elle a marqué me reconnaître ; j’avoue que cela m’a fait une grande joie, et je crois que je l’aime bien mieux maintenant.»
Il faut bien comprendre que l’enfant est constamment entourée de nombreuses femmes et ne voit au contraire que très peu d’hommes, quelques rares valets, garçons de la Chambre au rôle mineur et portefaix encore plus discrets. D’où sa facilité à reconnaître plus aisément son père que sa mère.
Marie-Antoinette s’intéresse à Sa fille, la voit presque tous les jours mais ne se sent pas encore pleinement mère à la naissance de sa première fille. Elle n’a que vingt-trois ans et refuse encore de cesser sa vie faite de bals, jeux, soirées… D’une part, inconsciemment sans doute, elle en veut peut-être à Son enfant de ne pas être du sexe voulu, car ce qui lui était imposé comme devoir, à savoir donner un Dauphin à la France n’est pas encore rempli. Cela L’oblige à reprendre rapidement une vie conjugale pour laquelle elle n’a aucun goût, et aussi de devoir revivre les horreurs de son premier accouchement, public.
D’autre part, Marie-Antoinette est une jeune femme à la mode et la mode veut, avec les nouveaux préceptes éducatifs de Jean-Jacques Rousseau dont elle est pleinement éprise, d’allaiter soi-même son nouveau-né. Il s’agit aussi d’un enjeu national car en ces siècles d’Ancien Régime, de nombreux nouveaux-nés quittaient leurs parents bourgeois et ouvriers des villes pour vivre les premières années à la campagne auprès d’une nourrice. Les parents récupéraient leurs enfants entre leurs trois et six ans. La mortalité infantile était très forte, ces enfants pratiquement laissés à l’abandon en fonction des moyens financiers des parents. Beaucoup de couples se retrouvaient en prison pour dettes pour non-paiement de nourrice.
A la naissance de leur fille, le couple royal soucieux de ce désastre de la petite enfance, créent des société de maternité où les mères sont encouragées à allaiter elles-mêmes leurs enfants, avec des aides financières car c’est surtout la nécessité de travailler qui les obligent à abandonner leurs nourrissons.
Dans la haute société, ce ne sont pas des raisons économiques qui interdisent l’allaitement maternel, mais la vie mondaine, les grandes dames ayant leurs obligations publiques. Longtemps également, ressembler à une paysanne était la pire des tares mais en ce dernier tiers du XVIIIe siècle, le retour à la nature, une vie plus authentique, deviennent la mode. Marie-Antoinette souhaite donc allaiter Sa fille. D’autant, qu’il s’agît du meilleur moyen de contraception connu alors. Cependant, Sa mère l’Impératrice L’en dissuade, au nom de Son rang, mais aussi par son fort désir de voir venir rapidement enfin un petit-fils. La meilleure amie de la Reine, la comtesse de Polignac (1749-1793), pourtant très proche aussi des idées rousseauistes, lui démontre aussi qu’une telle conduite maternelle n’est pas adaptée à Son statut de Reine et toutes les contraintes quotidiennes qu’il entraîne. Cependant, l’une de leurs amies communes, Georgiana, duchesse de Devonshire (1757-1806), a allaité une de ses filles. Marie-Antoinette envoie à cette petite Anglaise un cadeau de naissance, la duchesse écrit à son amie Elizabeth Foster :
« La Petite G. est très admirée . Son berceau, ses robes, ses couffins, etc, tout est, je dois l’avouer, d’une magnificence exagérée … La reine de France lui a fait envoyer un présent, mais j’ignore encore ce que c’est .»
L’intérêt porté par la Reine à l’allaitement est tel que de nombreuses gravures la montrent assistant à la tétée de Sa fille :
Marie-Antoinette sent donc que Son enfant n’est pas tout à fait à Elle, mais appartient avant tout à la France malgré son sexe. Son enfant est véritablement à elle seule lors de sa grossesse, durant laquelle elle pouvait pleinement goûter aux joies maternelles. Ce temps était révolu.
Marie-Antoinette ne se sépare pas de Sa fille et envisage même un temps de l’allaiter, usage tout-à-fait décrié dans les hautes sphères de la société. Lors de ses voyages à Marly avec la Cour, Elle voit comme un déchirement la séparation avec Madame Royale, qui doit rester à Versailles. Elle fait autant que possible l’aller-retour pour lui rendre visite.
Dans Ses lettres à Sa mère et ainsi que le rapporte l’ambassadeur Mercy (1727-1794), Marie-Antoinette a à cœur de protéger Son enfant de tout cérémonial, qu’il soit éloigné le plus possible des rituels de Cour. Ainsi, elle voulut supprimer l’usage des harangues par le corps de ville, le Parlement, les dames de la Halle, les courtisans et les ambassadeurs traditionnelles lors des naissances royales.
Il y a un flottement les premières semaines, personne ne sachant ce qui va en être. Car sur ce point Louis XVI ne suit pas son épouse, conscient qu’un membre de la famille royale, aussi jeune soit-il se doit au public. Marie-Antoinette avait connu une véritable vie familiale intime à Vienne. Les cérémonies existaient et l’Archiduchesse y assistait dès son plus jeune âge mais dès celles-ci finies, la vie privée reprenait ses droits. Ce n’était pas l’esprit français. Louis XVI avait reçu l’éducation instituée pour les petits princes par Louis XIV qui voulait voir la famille royale en représentation constante.
Par la suite, durant toute son enfance, la petite princesse reçoit les hommages des délégations du royaume et des courtisans pour le jour de l’An, les deuils et les fêtes. Il est aussi possible de lui faire sa cour au moment de sa toilette ou de son dîner. De quoi convaincre l’enfant, même si seulement une fille, qu’elle est au-dessus du commun. Et de quoi inquiéter Marie-Antoinette qui voit les conséquences d’une telle éducation chez Ses tantes et belles-sœurs, notamment chez Madame Adélaïde.
En mars 1779, la Reine a une rougeole durant laquelle Elle s’enferme plusieurs jours au Petit Trianon, son premier véritable séjour en ces lieux, s’interdisant de voir Son mari et Sa fille, afin d’éviter la contagion. Cela n’aide pas aux relations du couple royal, mais aussi empêchent Marie-Antoinette et Sa fille d’établir une véritable relation.
Le 17 mars 1779
« La reine se fait une douce occupation d’aller, à différentes heures du jour, voir son auguste enfant, qui se fortifie et jouit de la meilleure santé. Le roi partage des soins si précieux, et y met une suite et une tendresse qui est le gage de celle qu’il a vouée à la reine.»
Le comte de Mercy à Marie-Thérèse
En août 1779
Marie-Antoinette envoie à Sa mère un portrait de Madame Royale. Dans la lettre qui accompagne le portrait, Marie-Antoinette lui annonce que, depuis quelque temps, Madame Royale dit «Papa». Marie-Antoinette se réjouit qu’elle ait commencé par nommer son Père.
« J’ose envoyer à ma chère maman le portrait de ma fille ; il est bien ressemblant. Cette pauvre petite commence à marcher fort bien dans son panier. Depuis quelques jours, elle dit papa. Ses dents n’ont pas percé encore, mais on les sent toutes. Je suis bien aise qu’elle ait commencé par nommer son père, c’est pour lui une attache de plus. […] Ma chère maman me pardonnera tout mon bavardage sur cette petite, mais elle est si bonne que j’en abuse quelquefois.»
En 1780
Marie-Antoinette relate à Marie-Thérèse une anecdote touchante au sujet de la princesse, qui n’a pas encore deux ans mais semble fort débrouillarde, marche, se baisse et se relève toute seule. Elle est très éveillée et fait les délices de Marie-Antoinette :
« J’ose confier au tendre cœur de ma chère maman un bonheur que j’ai eu il y a quatre jours. Étant plusieurs personnes dans la chambre de ma fille, je lui ai fait demander par quelqu’un où était sa mère. Cette pauvre petite, sans que personne lui disait [sic] mot, m’a souri et est venue me tendre les bras. C’est la première fois qu’elle a marqué me reconnaître. J’avoue que cela m’a fait une très grande joie […]»
Le 22 octobre 1781
Naissance de son petit frère, le Dauphin tant attendu Louis-Joseph. Malgré tout son amour pour ce fils tant espéré, Marie-Antoinette sait qu’il appartiendra encore plus que son aînée à l’Etat.
Les deux enfants vivent dans le même appartement et partagent jusqu’au passage aux hommes du petit prince le même personnel éducatif. Ils connaissent une véritable relation de frère et sœur durant leur petite enfance, notamment en jouant dans le petit jardin sur leur terrasse. Leurs jeux font les délices des visiteurs, notamment de Sophie Von La Roche :
« Nous rentrâmes par le jardin et vîmes le Dauphin et la princesse aînée jouer dans leur petit enclos, devant leurs fenêtres, protégés par un toit de tente […]»
Peu de temps après la naissance du Dauphin, Marie-Antoinette décide de s’occuper Elle-même de Sa fille, trop éloignée d’Elle par leurs emplois du temps distincts et par l’éloignement considérable de leurs appartements.
En novembre 1781
Il y a crainte de voir la princesse atteinte de petite vérole. Ce ne fut qu’une fausse alerte, mais tout est prêt pour que le tout jeune Dauphin soit séparé de sa sœur dans un appartement à part, avec trois sous-gouvernantes, tandis que la princesse de Guéménée, madame de Villefort, une religieuse, Marie-Antoinette et madame Elisabeth se préparent à s’enfermer avec la fillette. Cela ne se fait pas car ce n’est pas la maladie si crainte mais l’idée a fait son chemin.
En février 1782
L’enfant est de nouveau gravement malade :
Le 27 février 1782
«[…] elle a eu, il y a trois nuits, des convulsions. Elle a depuis ce temps-là, la fièvre avec des redoublements, un très grand rhume, et on est fort inquiet. […] Je désire me tromper, mais je ne crois pas que cette enfant vive. Elle est d’une maigreur horrible, d’une tristesse affreuse même lorsqu’elle n’est pas malade, elle est fort mal conduite, et j’ai grand peur qu’elle ne puisse pas soutenir cette maladie-ci.»
Angélique de Mackau à son époux le marquis de Bombelles
On comprend dès lors le désir de Marie-Antoinette de vouloir s’occuper Elle-même de Sa fille. Outre que souvent malade, une mère souhaite être près de son enfant, mais surtout, il devenait évident que la petite princesse était malheureuse.
Le 2 mars 1782
Le décès de la tante du Roi madame Sophie permet à Marie-Antoinette de trouver une solution, première étape de cette éducation par Ses soins, en récupérant son ancien appartement situé au milieu du rez-de-chaussée du corps central. Marie-Antoinette souhaite y installer un deuxième appartement, plus intime et plus confortable que le Sien à l’étage, plus accessible également pour Sa jambe malade depuis Sa chute de cheval. Elle décide à l’automne d’y vivre avec sa fille, dont l’éducation est désormais de Sa seule autorité. Ceci aussi afin de soulager la Gouvernante madame de Guéménée qui se plaint du surcroît de travail depuis la naissance du Dauphin.
Les lettres de l’ambassadeur Mercy montrent pour cette période ses plaintes de ne pouvoir entretenir la Reine sérieusement, trop occupée par les jeux de sa fille :
« il n’y [ait] presque plus moyen [de] traiter aucun objet important ou sérieux qui ne soit à tout moment interrompu par les petits incidents des jeux de l’enfant royal, et [que] cet inconvénient ajoute à un tel point aux dispositions naturelles de la reine à être dissipée et inattentive, qu’Elle écoute à peine ce qu’on Lui dit et le comprend encore moins.»
En automne 1782
Il s’agit d’une préoccupation majeure de Marie-Antoinette car lors de Son séjour à Compiègne alors en plein travaux , la Reine exige que Son appartement et celui de Ses enfants soient voisins. Si le château de Versailles ne le permet pas, les autres résidences royales, plus modernes et adaptées doivent prendre en compte cette nouvelle conception de la vie familiale.
Louis XVI et Marie-Antoinette décident tous les deux de faire inoculer dès sa petite enfance leur fille. Marie-Antoinette s’installe alors au château de la Muette afin de rester près de Sa fille le temps qu’il faut.
En octobre 1782
Au même moment, une nouvelle occasion va permettre à Marie-Antoinette de se rapprocher encore plus de Ses enfants.
La gouvernante, la princesse de Guéménée et son mari connaissent une banqueroute sans précédent. Obligée de démissionner et de quitter la Cour, Marie-Antoinette, sourde aux objections de nombreux courtisans qui souhaitent y voir une nouvelle grande dame bien titrée, comme la princesse de Chimay ou la duchesse de Duras et même madame Adélaïde qui a fait ses preuves auprès de ses neveux et nièces trop tôt orphelins, choisit Sa meilleure amie la duchesse de Polignac, avec qui Elle partage les mêmes préoccupations maternelles.
Il s’agit bien plus qu’une intrigue de deux amies. Marie-Antoinette devant une gouvernante des enfants de France, jalouse de ses privilèges et prérogatives, issue d’une grande famille de la noblesse, qui ne doit rien à l’actuelle Reine de France, ne peut imposer Ses droits maternels. Avec madame de Polignac, Marie-Antoinette peut éduquer Ses enfants selon Ses désirs, les avoir près d’Elle aussi souvent qu’Elle le souhaite. Les douceurs de l’amitié auxquelles Elle tient tant s’unissent aux joies de la maternité.
Louis XVI va dans le sens de son épouse, souhaitant lui aussi malgré tout une véritable vie familiale, tout en sauvegardant les apparences d’une vie de Cour héritée de Louis XIV. Si le couple royal ne s’entend pas sur de nombreux points, le bien-être de leurs enfants les réunit toujours. Et Louis XVI a une entière confiance en madame de Polignac.
Madame de Polignac est plus spécialement chargée du Dauphin, Marie-Thérèse aura pour elle une de ses sous-gouvernantes, madame d’Aumale. Mais sa véritable gouvernante est désormais sa mère. Marie-Thérèse suit la Reine lors de Ses séjours au Petit Trianon, tandis que son frère loge au Grand Trianon avec madame de Polignac.
En décembre 1782
« Depuis qu’Elle s’occupe de l’éducation de son auguste fille et qu’Elle la tient continuellement dans ses cabinets, il n’y a presque plus moyen d’y traiter d’aucun objet important ou sérieux qui ne soit à tout moment interrompu par les petits incidents des jeux de l’enfant royal.»
Le comte de Mercy
Elle décide quand Sa fille se montre en public ou non, choisit ses tenues et limite strictement les occasions de l’aborder. La tenant à l’écart du système de Cour, Elle fragilise aussi son statut de princesse royale.
Marie-Antoinette peut pleinement profiter de Ses enfants. Jamais Reine de France, hormis peut-être Anne d’Autriche, ne s’était occupée autant de ses enfants.
Marie-Antoinette surnomme Sa fille Mousseline. Son caractère fait que son oncle le comte d’Artois rajoute à ce charmant surnom le qualificatif de la sérieuse. Malgré toutes ces dispositions, il devient évident que l’enfant est pétrie d’orgueil et a un caractère difficile. Pire, elle conçoit désormais de l’aversion pour sa mère, soucieuse de la redresser.
Le 12 avril 1783
Le marquis de Bombelles :
« La Reine racontait, ces jours passés, à M. de Vermond, son lecteur, qu’elle avait fait une chute de cheval et qu’il s’en était peu fallu qu’elle ne se fendit la tête. L’abbé de Vermond, après avoir représenté à SM qu’elle devait moins s’exposer, crut qu’en adressant ensuite la parole à Madame, fille du Roi, qui se trouvait dans l’appartement, il lui ferait dire des choses agréables pour la Reine. Mais il fut aussi surpris qu’affligé lorsque’en réponse à une question sur le danger qu’avait couru la Reine et la peine que cela faisait sûrement à Madame, fille du Roi, elle dit :
«Cela m’eût été égal.
_Madame, répliqua l’abbé de Vermond, ne sait pas ce que c’est que de se casser la tête. La Reine serait morte.
_Cela m’eût été égal.
_Mais Madame ignore certainement ce qu’est la mort ?
_Non, M. l’abbé, je ne l’ignore pas. On ne voit plus les personnes mortes. Je ne verrais plus la Reine et j’en serais bien aise parce que je ferais mes volontés.»
Il ne faut pas avoir d’entrailles paternelles, il n’est pas nécessaire de connaître tout ce qu’en général la nature a mis dans le cœur d’une mère pour son enfant, pour compatir à la situation de la Reine en entendant sa fille s’exprimer ainsi, et mettre autant de suite, autant de preuve de discernement dans l’énoncé d’une horrible façon de penser.
[…]
Madame d’Aumale lui reprochant ce qu’elle avait dit devant la Reine à l’abbé de Vermond, ajouta que c’était d’autant plus mal que sûrement elle aimait sa mère. « Non, je ne l’aime pas, reprit l’enfant, parce qu’elle me gêne et ne fais pas attention à moi. Par exemple, quand elle me mène chez mes tantes, elle marche dare-dare en avant et ne regarde pas seulement si je la suis ; au lieu que mon papa me conduit par la main et s’occupe de moi.
Ces observations sont fort au-dessus de l’âge de quatre ans et c’est un grand malheur lorsque, presqu’en naissant, les enfants n’ont de l’esprit que pour en faire un mauvais usage.»
Après enquête, la faute est reportée sur madame d’Aumale. Celle-ci a déjà encouru les foudres du couple royal quelques mois auparavant en poussant la jeune sœur du Roi qu’elle a aussi éduquée, Madame Elisabeth à entrer au Carmel, à l’instar de sa tante madame Louise.
On apprend alors qu’elle menace l’enfant de Sa mère à chacune de ses bêtises d’où une aversion naissante. Ces propos proviennent du journal de Marc de Bombelles, gendre de madame de Mackau et époux de la meilleure amie de Madame Elisabeth, donc familier de ce qui se passe au cœur de l’éducation des enfants royaux mais aussi témoin partial. En effet, dans toutes les maisons royales et princières, des clans de serviteurs selon chaque niveau se forment. Les relations familiales sont très poussées dans chaque maison royale et princière et se retrouvent dans toutes les maisons. Ainsi les Genet, alliés aux Berthollet-Campan, que l’on retrouve à la fois chez Mesdames Tantes, chez la Reine, et chez les enfants de France.
Les Mackau-Soucy forment donc un bloc contre lequel mesdames d’Aumale et de Villefort se heurtent. La deuxième, survivancière de la première, la remplace rapidement mais ne reçoit jamais la confiance que le couple royal accorde à madame de Mackau.
«Madame de Villefort est tout le contraire (par rapport à madame de Soucy belle-fille, trop sévère), car elle le gâte (le duc de Normandie) ; elle a au moins aussi mauvais ton (que les deux Soucy), et plus même, mais à l’extérieur. »
Malgré cette confiance, la sous-gouvernante plus toute jeune ne se sent pas la force d’éduquer la petite princesse. En effet, Bombelles rajoute :
« Le vrai est que Madame d’Aumale n’est point propre à la besogne dont elle a voulu être chargée exclusivement et qu’un ange qui en aurait eu commission qu’il eût échoué de même.»
Mais ce n’est pas tout. Afin de choisir Elle-même la personne en qui Elle aura toute confiance pour l’éducation de Sa fille, la Reine n’hésite pas à balayer toute hiérarchie, pourtant si importante à la Cour.
Le 24 avril 1783
Toujours d’après Marc de Bombelles :
« Madame d’Aumale, voyant de jour en jour qu’elle était plus désagréable à la reine, a pris le parti de donner sa démission hier matin. Madame la duchesse de Polignac, après l’avoir reçue, a été la voir pour l’engager à ne pas se presser sur cette démarche. Mais le parti de Madame d’Aumale était sagement pris, et l’autorité confiée par la Reine à Madame Brunier, première femme de chambre, ne permettait plus à une femme de qualité de rester honnêtement dans une place dont cet ordre annulait les fonctions. Madame de Villefort, mère de quatre enfants et sans aucune fortune, ne savait hier quel parti prendre, voyant qu’elle ne serait plus, auprès de Madame, fille du Roi, que sous-gouvernante en titre tandis que Madame Brunier le serait de fait. La Reine, ayant ordonné que cette Madame Brunier ne quittât plus sa fille et réformant la seconde première femme de chambre pour laisser à l’objet de son choix un service permanent, elle a ajouté que ce serait Madame Brunier qui lui rendrait compte de tout.»
Il s’agit là d’une petite révolution au sein du personnel de l’éducation des Enfants de France. Les réseaux familiaux à la Cour sont tels, à chacun des niveaux de service qu’il est presque impossible pour les membres de la famille royale de choisir un serviteur de son choix. La démission de la princesse de Guéménée issue d’un clan très puissant de la Cour, celui des Rohan, nièce, petite-nièce, arrière-petite-nièce de Gouvernantes des Enfants de France permit l’impensable : choisir une Gouvernante selon les souhaits du couple royal. Charge inamovible, elle ne peut être renvoyée, malgré ses incompétences. Il faut un scandale pour que d’elle-même, la princesse de Guéménée donne sa démission.
Il en va de même pour les sous-gouvernantes : malgré leur antipathie pour madame d’Aumale, Louis XVI et Marie-Antoinette ne peuvent la renvoyer, ni refuser la survivancière qu’elle s’est choisie. Marie-Antoinette passe outre en accordant l’éducation effective de sa fille à sa première femme de chambre depuis 1781, madame Brunier, anciennement madame de Montlouis. Par son premier mariage, elle était unie par des liens familiaux aux Berthollet-Campan très puissants dans sa propre Maison. Son second époux est médecin des Enfants de France :
« Cette Madame Brunier s’est mariée l’hiver dernier au médecin des Enfants de France, un intrigant de profession. Elle, de son côté, qui s’appelait ci-devant Montlouis, était par son premier mari parente de Campan, valet de garde-robe de la reine. Le sieur Campan jouit d’un crédit illimité sur sa maîtresse qui effraie souvent les favoris. Il a placé avantageusement sa famille, il dispose de bien des grâces, et Madame d’Aumale s’étaya de Madame Montlouis qui, par Campan, l’aida à obtenir la place dont elle vient de donner sa démission, et dont l’évince Madame Brunier, cette même femme qui sous le nom de Montlouis avait été un des ressorts de son intrigue. Cet exemple entre mille autres apprend à n’aller à la fortune que par des voies droites, ouvertes et convenables. Les ambitieux s’entraident par moments, pour travailler le lendemain à s’entre-détruire .»
Ce médecin doit être un drôle de personnage. Bombelles ne cache pas son antipathie au départ, le trouvant trop familier. Néanmoins, il s’agit avant tout d’une réaction de caste : la femme d’un médecin, une bourgeoise, ose prendre la place d’une dame de qualité, une sous-gouvernante !!! Mais par la suite, Bombelles se ravise : Brunier est un médecin qui fait rire ses patients, ce qu’il admet être le premier des remèdes.
Marie-Antoinette donne le même témoignage assez négatif pour la personnalité du médecin :
« Brunier, le médecin, a ma grande confiance toutes les fois que les enfants sont malades, mais hors de là il faut le tenir à sa place ; il est familier, humoriste et clabaudeur.»
Mais comme Elle le dit, Elle lui accorde toute confiance pour ses compétences professionnelles. Ce qui n’a pas empêché la mort de deux de Ses enfants ! Jusqu’au bout, jusqu’à la Conciergerie, Marie-Antoinette conservera l’adresse du médecin. Et celui-ci sera d’une fidélité à toute épreuve car il n’hésitera pas à venir soigner ses patients une fois ceux-ci enfermés au Temple.
Cette confiance, Marie-Antoinette l’accorde aussi bien à l’épouse qu’à sa fille du premier lit, devenue Madame de Fréminville. La première sera de l’expédition pour Montmédy. Marie-Antoinette ne lui laisse visiblement pas trop longtemps sa fille, lui reprochant le même caractère qu’à son époux. Mais elle reste première femme de chambre et cette confiance mitigée ne connaîtra aucune restriction pour la fille de madame Brunier :
« Sa fille, madame Fréminville, est une personne d’un vrai mérite. Quoiqu’âgée seulement de vingt sept ans, elle a toutes les qualités d’un âge mûr. Elle est à ma fille depuis sa naissance, et je ne l’ai pas perdue de vue. Je l’ai mariée, et le temps qu’elle n’est pas avec ma fille, elle l’occupe en entier à l’éducation de ses trois petites filles. Elle a un caractère doux et liant, est fort instruite, et c’est elle que je désire charger de continuer les leçons à la place de l’abbé d’Avaux. Elle en est fort en état, et puis que j’ai le bonheur d’en être sûre, je trouve que c’est préférable à tout. Au reste, ma fille l’aime beaucoup, et y a confiance. »
Marie-Antoinette, Lettre à madame de Tourzel
La seconde première femme de chambre est madame Lemoyne qui a déjà eu ce rôle auprès du futur Louis XVI. Une autre femme de chambre nommée n’est autre que madame Vigée, belle-sœur de la célèbre portraitiste. C’est dire à quel point le couple royal fait tout pour y placer des personnes de confiance. Cependant, d’après Marc de Bombelles, quelle que soit la personne chargée de l’éducation de la princesse, gouvernante, sous-gouvernante ou simple première femme de chambre :
« Cette éducation exigera bien du soin par rapport à tout ce que cette jeune princesse annonce d’esprit, de hauteur et de caractère d’un genre inquiétant.»
En effet, les choses ne s’arrangent guère et l’on voit que seule Marie-Antoinette conserve un minimum d’autorité sur sa fille :
« Brunier le médecin, et mauvais esprit qui ne devrait pas être dans le poste qu’il occupe, fut chargé il y a quinze jours par la Reine de ne faire donner à Madame, fille du Roi, qu’un seul mets à son souper, parce qu’elle avait remarqué qu’elle ne mangeait pas des premiers servis, dans l’attente que les autres flatteraient davantage sa friandise. Elle demanda pourquoi on ne lui servait qu’un seul plat. Brunier répondit que c’était par ordre de la Reine. « A-t-elle ordonné que je me couchasse après mon souper ?
_Oui, Madame.
_Est-ce tout ?
_Oui, Madame.
_Monsieur, vous vous trompez ; elle a ordonné sans doute que je fisse, avant, mes prières du soir. »
Cette dernière phrase fut accompagnée du rire moqueur qu’une personne de trente ans, piquée, aurait pu faire. Sur le compte qui en fut rendu à la Reine, elle en parla à sa fille, qui répondit sans s’excuser qu’elle s’était amusée à voir la mine que ses répliques faisaient à ses entours.»
Ceci peut apparaître comme particulièrement choquant pour un homme moderne, très préoccupé d’éducation comme l’est le marquis de Bombelles, mais n’a rien de surprenant de la part de Filles de France. Madame Royale n’agît pas différemment d’autres princesses, telle que sa grand-tante Madame Adélaïde, imbue du sang royal qui coule en elle. Elle ne fréquente pas évidemment cette vieille tante au quotidien mais la voit suffisamment lors de cérémonies officielles pour la prendre comme exemple.
Cette hauteur se retrouve chez de nombreuses autres Filles de France, aussi loin que l’on remonte le temps : la Grande Mademoiselle (1627-1693), cousine de Louis XIV, les deux Marguerite de Valois et (1492-1549, pour la sœur de François Ier et 1553-1615 pour la fille de Henri II), reines de Navarre, Renée, duchesse de Ferrare (1510,-1575) fille de Louis XII et Anne de Bretagne, Anne de Beaujeu (1461-1522), fille de Louis XI, jusqu’à Isabelle de France (1295-1358) Reine d’Angleterre, fille de Philippe IV le Bel, surnommée la Louve…
Ce qui choque, c’est qu’en ce dernier tiers du XVIIIe siècle, on ne conçoit plus de voir des princes et princesses avec une telle attitude altière et méprisante et encore moins chez un enfant. A cet orgueil de rang s’allie l’orgueil national. Seule la France compte aux yeux de la princesse. L’Autriche ou l’Allemagne alors non distincts, pourtant pays de sa mère, reste l’ennemi. Et ceci jusqu’au bout. Car malgré toutes les souffrances endurées par la suite, jamais Marie-Thérèse ne reniera la France, ne voudra la quitter.
La première fois que Madame Royale se trouve présentée à la baronne d’Oberkirch, elle lui demande son nom :
« Vous êtes donc Allemande, madame ? dit-elle.
_Non, madame, répondit Mme d’Oberkirch, je suis Française; Alsacienne.
_ Ah ! tant mieux ! Car je ne voudrais pas aimer des étrangères.»
Il existe néanmoins une nette différence entre l’éducation traditionnelle de toutes les filles de France précédant Marie-Thérèse et celle-ci : jamais princesse ne vécut aussi proche de ses parents, ne partagea autant leur vie quotidienne. Et les années suivantes ne feront qu’accentuer cette situation inédite. A cet orgueil naturel s’ajoute le fait d’être trop gâtée. Il est clair à lire les propres mots de l’enfant que Louis XVI est un père particulièrement attentif et certainement encore moins sévère que sa femme.
Deux témoignages montrent l’attention que portait le Roi au bien-être et à la sécurité de ses enfants : la première est une trace qui nous est encore permis de voir dans les escaliers dérobés des appartements royaux, reliant ceux du Roi, de la Reine et des enfants au rez-de-chaussée lorsqu’ils seront enfin définitivement installés dans le corps central du château : des cordons à hauteur d’enfants servant de rampes.
Un autre nous est donné une fois de plus par Sophie Von La Roche (1730-1807) : visitant la galerie du Grand Trianon que nous appelons aujourd’hui galerie des Cotelles pour ses peintures qu’elle venait admirer, elle remarque :
«Les enfants royaux viennent souvent jouer dans cette galerie, c’est pourquoi tous les pieds de table sont enveloppés de pattes d’ours, c’est-à-dire qu’ils sont rembourrés et recouverts de flanelle velue pour que les enfants, s’ils tombent, ne se blessent pas.»
Cela permet également de penser que si la petite fille séjourne auprès de sa mère au Petit Trianon, elle rejoint aussi son jeune frère installé au Grand Trianon afin de partager ses jeux. Ces témoignages sont particulièrement émouvants et démontrent dans quelle atmosphère d’amour et de sécurité vit la princesse auprès de ses parents malgré une vie de Cour contraignante.
Apparemment moins facile à amadouer, ou en tout cas connaissant parfaitement les défauts de chacun de Ses enfants _comme l’était sa propre mère avant Elle_ Marie-Antoinette prend quelques décisions radicales afin d’éviter que sa fille ne devienne une princesse, et probablement une future Reine, au caractère revêche. Si une princesse de haute naissance doit savoir tenir son rang qui la distingue du commun, il lui faut également montrer de la douceur et la bienveillance qui attachent les cœurs.
Marie-Thérèse témoigne elle-même de la manière dont Marie-Antoinette allie si bien ces deux tempéraments :
«[…] il était impossible de l’approcher et de la voir quelques instants sans être pénétré de respect, tant sa bonté tempérait ce que la dignité de son maintien avait d’imposant.»
Mémoires écrits par Marie-Thérèse
Or, indubitablement, malgré toute son admiration pour Elle, la princesse ne ressemble pas à sa mère pour cette subtilité de caractère. Et ceci malgré tout ce que fait en ce sens Marie-Antoinette.
Que ce soit Marie-Antoinette ou Louis XVI, les deux ont pris l’habitude dès leur enfance de vider leurs bourses au cours de leurs promenades afin de soulager les nécessiteux rencontrés. Pour l’un et l’autre, de nombreuses anecdotes et gravures témoignent de leur charité, de leur désir de faire des heureux autour d’eux. C’est l’idée que l’on se fait d’un prince et d’une princesse depuis la fin du XVIIe siècle. Le prince se doit avant tout d’être vertueux et soucieux du bien-être de son peuple. Le personnel d’éducation a un rôle majeur auprès de leurs royaux élèves pour cet aspect de leur vie princière, ainsi que l’avait fait madame de Mackau auprès de Madame Elisabeth. Plus qu’un devoir, il faut que les petits princes vivent leur action caritative comme leur plus grand plaisir. Selon l’idéal monarchique, ils sont riches et puissants, uniquement dans le dessein divin de rendre leurs sujets heureux.
Comme lui dira dans quelques années son père :
« Dieu ne nous a fait naître dans le rang où nous sommes que pour travailler à leur bonheur [les malheureux] et les consoler de leurs peines.»
Les leçons de charité tenues de sa mère, de sa tante et de son père ont parfaitement fonctionné. Inlassablement, la princesse donnera beaucoup à ceux dans le besoin, que ce soit enfant ou adulte. Mais jamais Marie-Thérèse ne montrera l’aménité caractéristiques de ses parents et tante. Malgré sa joie à faire le bien autour d’elle ne suffit pas encore à rabattre l’orgueil de la fillette.
En avril 1783
Marie-Antoinette fait renvoyer plusieurs femmes de chambre au sein de la Maison de Sa fille, passant de onze à six femmes.
Plusieurs raisons expliquent cette décision : d’une part on commence à parler d’économie au sein des maisons royales et princières, d’autre part, réduire son train peut être une solution pour casser l’orgueil de la fillette. Enfin, les intrigues au sein des maisons des enfants royaux ne cessent pas et il est compréhensible pour la Reine de s’assurer de la confiance du personnel chargé de l’éducation de Ses enfants.
Ces différentes décisions, celle de s’occuper Elle-même de Sa fille, puis celle accordant la réelle éducation à Madame Brunier (puis à la fille de celle-ci) peuvent faire craindre pour la place des sous-gouvernantes devenues de fait inutiles. Le service dans son ensemble prend peur, ce qui ne fait que redoubler les intrigues.
Toujours d’après Marc de Bombelles :
« Ce renvoi fait beaucoup de sensation. Comme on ne reproche rien aux personnes renvoyées, chacun dans cet ordre tremble d’éprouver le même sort ; la reine dit que sa fille était trop vaine d’avoir autant de femmes à ses ordres. Il est sûr que le nombre en était excessif ainsi que dans toutes les Maisons de nos princesses, mais une réforme partielle, qui ne sera pas de durée, qui ne paraît dictée que par un caprice, déplaît généralement ; au point que l’on dit que la reine ne s’y est déterminée que pour ôter à Madame, fille du roi, toutes celles de ses femmes qui lui plaisaient, afin de réunir en faveur de la mère toutes les affections de l’enfant. Ce n’est pas par une démarche aussi sévère qu’on commande au sentiment.»
Il est aisé d’imaginer la souffrance endurée par Marie-Antoinette. La moindre de Ses initiatives maternelles sont tout de suite critiquées, incomprises. Mais l’éducation des enfants royaux n’en est pas moins un enjeu national et chacun se sent en droit de donner son avis sur la question. Par conséquent, la cohabitation entre la mère et la fille ne dure guère. Les velléités de Marie-Antoinette durent faire face à la réalité.
Du 2 au 7 juin 1783
Premier séjour de la Reine à Trianon avec Madame Royale.
La chambre-à-coucher de Madame Royale au Petit Trianon
( texte et illustrations de Christophe Duarte ; Versailles passion )
Cette chambre-à-coucher de suite, aux boiseries simplement moulurées et à la cheminée de pierre peinte en faux marbre gris, est consacrée à l’évocation de Marie-Thérèse, qui loge à l’étage d’Attique. La tenture de coton reproduit une toile de la manufacture de Jouy des années 1780. Le modèle en fut donné par le sculpteur Clodion. Il s’agit d’un tirage du XIXe siècle. Dans l’angle de la cheminée est accrochée une petite étagère-encoignure en marqueterie de Gilles Joubert, livrée avec onze autres en mai 1768 pour le Petit Trianon. Elle porte la marque du Garde-meuble de la Reine.
Sur la commode est exposé un buste de Madame Royale en biscuit de Sèvres, daté vers 1820, alors qu’elle est devenue duchesse d’Angoulême. La petite table à écrire placée au centre de la pièce, œuvre de Benneman, datant de 1790 en placage d’amarante et marqueterie de bois de rose et citronnier, provient du cabinet intérieur de Madame Elisabeth à Compiègne. Elle est entrée à Versailles en 1835. Deux peintures de Châtelet sont présentées au mur. L’une représente une vue du Belvédère datée de 1786. L’autre, datée de 1785, représente une fête de nuit donnée par Marie-Antoinette dans les jardins de Saint-Cloud.
En octobre 1783
L’enfant retourne dans l’appartement du rez-de-chaussée de l’Aile du Midi. L’éducation dans le même espace des deux enfants royaux reste plus simple pour madame de Polignac et le reste du service plutôt que séparés. Des services comme la Bouche, la chapelle, les gardes du corps, etc, doivent se dédoubler à chaque fois, compliquant la situation plutôt que de l’alléger. L’éducation royale semble retrouver la tradition.
En 1784
Madame Campan raconte une autre anecdote évocatrice qui se passe en 1784 :
« La reine désirant placer dans le cœur de Madame, sa fille, non seulement le désir de soulager l’infortune, mais les qualités nécessaires pour se bien acquitter de ce devoir sacré, quoiqu’elle fût encore bien jeune l’occupait sans cesse des souffrances que le pauvre avait à subir pendant une saison si cruelle. La princesse avait déjà une somme de huit à dix mille francs pour ses charités, et la reine lui en fit distribuer elle-même une partie.
Voulant donner encore à ses enfans une leçon de bienfaisance, elle m’ordonna de faire apporter de Paris, comme les autres années, la veille du jour de l’an, tous les joujoux à la mode, et de les faire étaler dans son cabinet. Prenant alors ses enfans par la main, elle leur fit voir toutes les poupées, toutes les mécaniques qui y étaient rangées, et leur dit qu’elle avait eu le projet de leur donner de jolies étrenne mais que le froid rendait les pauvres si malheureux, que tout son argent avait été employé en couvertures, en hardes, pour les garantir de la rigueur de la saison et leur donner du pain ainsi, que cette année ils n’auraient que le plaisir de voir toutes ces nouveautés. Rentrée dans son intérieur avec ses enfans, elle dit qu’il y avait cependant une dépense indispensable à faire; que sûrement un grand nombre de mères feraient cette année la même réflexion qu’elle; que le marchand de joujoux devait y perdre, et qu’elle lui donnait cinquante louis pour l’indemniser de ses frais de voyage et le consoler de n’avoir rien vendu.»
Là encore les propos de madame Campan peuvent être apocryphes mais montrent aussi dans quel état d’esprit Marie-Antoinette éduquait ses enfants. Madame Campan a peut-être enjolivé, exagéré un ou plusieurs exemples de charité de la Reine auprès de ses enfants, afin de donner au moment de la Restauration une autre image que celle d’une Reine écervelée uniquement préoccupée de ses plaisirs personnels. Image fausse, madame Campan en témoigne encore :
« La Reine conduisait ses enfans, deux fois l’An, au Carmel de Saint-Denis. Une fois, Madame Royale, âgée alors de cinq à six ans, laissa tomber son mouchoir; la Reine, par un regard, lui témoigne le désir qu’elle a de le lui voir ramasser elle-même ; et comme les religieuses se baissaient pour lui épargner ce soin : « Non, non, ma tante, dit la « Reine à Madame Louise, je ne le permettrai pas : c’est ici la maison de l’humilité ; je veux « que ma fille, tout enfant qu’elle est, y reçoive « une leçon d’obéissance et de modestie ».
Les Bourbons martyrs, ou, Les augustes victimes (1821)
Le 3 avril 1784
En mai 1787
« La Reine ayant eu le bonheur de conserver la tendre amitié de Madame Louise, venait, deux fois l’année, à Saint-Denis, pour rendre ses devoirs à Sa tante. Elle lui amenait Ses jolis enfants, dont toutes ces bonnes Religieuses se montraient idolâtres; et la visite du jour de l’An était plus particulièrement consacrée aux cadeaux. Lorsque le duc de Normandie fut en sevrage, on le transporta chez la Fille de Louis XV, qui brûlait d’impatience de le voir. La Communauté, réunie en cercle, admira tout à son aise ce beau petit garçon, dont la physionomie, déjà distinguée comme celle de sa mère, promettait un si brillant avenir.
Comme on allait se séparer pour remonter dans les voitures, la Prieure bienveillante articula ces mots: Nos quatre Novices, que retiennent en ce moment les travaux de la Buanderie, vont être bien affligées de n’avoir pas vu ce que nous voyons!… Mais ce sera pour une autrefois.
— « Non, non, ma chère Tante, s’écria la Reine aussitôt : Je comprends la privation de ces saintes « filles. Allons toutes, de ce pas, à la Buanderie, que « je n’ai pas encore remarquée. Mon Fils voyagera « dans votre monastère, et ne s’en portera que mieux. »
On se transporta gaiement jusqu’aux verdures où coule la jolie rivière intérieure. Les quatre Novices et les Sœurs Converses eurent la satisfaction de voir la Reine, et de baiser la main de son cher Enfant.»
L. Lafont d’Aussonne dans des Mémoires secrets et universels des Malheurs et de la Mort de la Reine de France
Il est temps de donner une véritable formation intellectuelle à la petite fille. Son personnel d’éducation est fixé dès la création de sa Maison, avant même sa naissance, certaines charges restant inamovibles ou héritées dans une seule et unique famille depuis plusieurs générations comme les Rousseau, maîtres d’armes des Enfants de France. Le dernier épouse Julie Genet, sœur de madame Campan, qui deviendra à son tour remueuse du Dauphin. Il finira sur l’échafaud.
Une fois de plus, Louis XVI et Marie-Antoinette innovent. En plus de la gouvernante, des sous-gouvernantes, des femmes de chambre, auxquelles on rajoute différents maîtres, d’écriture, de dessin, de musique, de danse, de langues, etc., le couple royal décide qu’un instituteur sera chargé de l’éducation littéraire. Le premier est l’abbé de Montaigu, déjà en place pour Madame Elisabeth. Il est rapidement remplacé par l’abbé d’Avaux. Il semble qu’aucun des deux ne plaît réellement à Marie-Antoinette. Elle choisit plus tard dans ce rôle d’institutrice une femme de chambre, madame de Fréminville, la propre fille de madame Brunier.
Peu de témoignages nous montrent les progrès intellectuels de l’enfant. Ceux-ci doivent donc se développer sans particularité aucune. Les Enfants de France, filles comme garçons, reçoivent une éducation très poussée. Sa tante, Madame Elisabeth, maîtrise les mathématiques, les sciences, notamment la botanique, parle plusieurs langues, dessine très bien, joue de la musique, en compose… Sans oublier les ouvrages (alors) typiquement féminin, c’est-à-dire les travaux d’aiguille, domaine dans lequel Madame Elisabeth et Marie-Antoinette excellent. Louis XVI avait été un élève particulièrement studieux et s’il ne souhaite pas donner une éducation aussi stricte à ses enfants, il les veut avant tout de dignes honnêtes hommes, quels que soient leur sexe. Quant à Marie-Antoinette, elle veut surtout éviter ce qu’Elle a connu : si pour les Arts, Elle domine largement les Enfants de France, pour le reste, elle ne reçut aucune véritable formation intellectuelle avant ses douze ans.
Une place importante est donnée aux langues modernes: comme ses tantes, Marie-Thérèse apprend l’italien, mais aussi, sûrement sur ordre de Louis XVI, très féru de cette langue, l’anglais qu’elle maîtrise parfaitement, selon des témoignages, une fois adulte. D’après le «Fruit des lectures de Madame de France», on lui donne à lire La Fontaine, La Rochefoucauld, La Bruyère, Montaigne, les philosophes de l’Antiquité, Newton, Montesquieu et jusqu’à Voltaire ! (Marie-Thérèse de France, L’Orpheline du Temple, Hélène Becquet, p. 33). L’éducation politique est réduite à sa plus simple expression, une princesse n’ayant pas à gouverner. Il lui suffit de faire sien le principe selon lequel son père a une autorité absolue venue de Dieu et œuvre pour le bien public.
La baronne d’Oberkirch s’émerveille des rapports étroits qui lient la mère et la fille, tout en louant les qualités d’éducatrice de Marie-Antoinette :
«Marie-Antoinette s’occupe elle-même de l’éducation de sa fille ; elle assiste tous les matins aux leçons de ses maîtres, et est très sévère pour ses petits défauts. Elle fit, vers cette époque là, une réforme dans la maison de sa fille, dans la crainte de lui donner le goût du faste par le trop grand appareil qui l’entourait. Peut-on voir une meilleure mère et une affection plus éclairée !»
Leurs rapports, en réalité, sont loin d’être évidents.
La priorité est donnée avant tout à la religion qui devient le pilier de sa vie. Nous avons vu l’importance accordée à la charité, la mise en pratique des préceptes chrétiens, indispensable à tout bon prince. A cela s’ajoute la morale. La princesse est tenue à devenir un modèle, l’incarnation vivante du concept de la France comme fille aînée de l’Eglise. Or cette morale chrétienne poussée à son paroxysme ressemble quelque peu au stoïcisme antique. On comprend dès lors à quel point cette éducation religieuse est d’un grand secours pour la future prisonnière… La fillette doit également apprendre à recevoir, assumer son rang, et nouveauté de cette époque, à se faire aimer.
Cependant, concernant son caractère, les années n’arrangent rien…
Madame d’Oberkirch dans ses Souvenirs raconte lors d’une nouvelle visite de la Cour de France comment la princesse de sept ans et demi n’accepte pas plus les compliments qu’elle juge déplacés :
« Je partis pour Versailles, avec Mme la duchesse de Bourbon, qui voulait faire une visite à la reine. Je quittai la princesse en arrivant au château, et je me rendis chez Mme de Mackau, où je passai la journée. J’ai parlé ailleurs de Mme de Mackau, avec laquelle je suis liée d’amitié ; c’est une femme de cœur et d’un esprit supérieur.
J’ai eu l’honneur de voir les enfants de France, chez lesquels elle m’a conduite. Madame Royale avait sept ans et demi. Elle était fort grande pour son âge; elle a l’air noble et distingué. Mme de Mackau, qui était sous-gouvernante, l’élevait à merveille, elle s’en occupait bien plus que la gouvernante en titre. J’en eus la preuve dans cette visite, et cette circonstance ne manque pas d’intérêt.
En voyant cette princesse si grandie et si embellie, je l’ai trouvée charmante, et accoutumée que je suis à la liberté des cours d’Allemagne, je n’ai pas pu m’empêcher de le dire. Cette liberté déplut à Madame Royale, et je le vis à l’instant sur son visage. Son regard si fier s’anima, ses traits se contractèrent, et elle me répliqua sans hésitation :
— Je suis charmée, Mme la baronne, que vous me trouviez ainsi ; mais je suis étonné de vous l’entendre dire.
Je restai tout interdite, et j’allais me confondre en excuses, lorsque Mme de Mackau m’arrêta, et reprit avec un grand sang-froid :
— Ne vous excusez pas, madame, Madame Royale est fille de France, et elle ne fera jamais passer le bonheur d’être aimée, après les exigences de l’étiquette.
Aussitôt, Madame Royale se tourna vers moi, et de l’air le plus digne, en même temps que le meilleur, elle me tendit sa petite main, que je baisai. Ensuite, elle me fit une révérence profonde et sérieuse, et se retira de la manière la plus gracieuse et la plus polie. C’était bien la petite-fille de Marie-Thérèse ; ce sera un beau et noble caractère. Comment pourrait-il en être autrement avec une mère comme la reine?»
On constate par ce témoignage et les précédents à quel point la fillette a eu très tôt un sens de la répartie assez poussé. Pas des plus agréables de prime abord, mais qui montre un esprit très vif. Dès son plus jeune âge, la princesse sait se comporter en société et dominer ceux qui la visitent.
Dans un univers curial aussi méticuleusement régi que l’était celui de Versailles, et particulièrement dans le domaine des services, chacun, du valet à la duchesse de Polignac, jouait un rôle bien défini et ne devait pas le laisser envahir par les autres. Hanet en donne l’exemple suivant (page 125 et suivantes) :
« Madame n’avait que deux valets de chambre, M. Richard et moi. M. Richard, pour faire sa cour aux dames de la chambre, les laissait facilement empiéter sur nos fonctions particulières, (…) elles abusaient fréquemment de sa facilité quand il était de service. Mais moi, qui tenais à honneur de remplir exactement tous mes devoirs, je ne cédais en rien (…). Un jour, et pendant mon service, une de ces dames, fort petite de taille, avait accompagné Madame en voiture. Au retour, elle descendit la première, resta près de la portière, et, s’élevant sur la pointe des pieds, elle essayait en vain de prendre l’enfant dans ses bras ; moi, toujours à mon poste, j’étends aussitôt les miens par-dessus la tête de la dame, et je m’empare de notre jeune princesse. Il est vrai que ce ne fut pas sans avoir grandement dérangé la coiffure de l’officieuse femme de chambre. Alors grande rumeur. On se rend chez Madame de Polignac, où le hasard amène en même temps la reine. Elle reçoit les plaintes, puis me fait appeler.
-« Hanet, me dit sa Majesté (avec cet air de grandeur et de dignité qu’elle savait si bien prendre ou tempérer au besoin, et changer même en bonté quand on le méritait), ces dames portent contre vous différentes plaintes que je vais vous répéter, et auxquelles vous allez répondre. Premièrement, lorsqu’il leur arrive par inadvertance de laisser sur quelque meuble dans la chambre à coucher de ma fille : leur mantelet, ou leur sac à ouvrage, vous jetez tout cela par terre sans aucun égard »
-« Oui, Madame, c’est l’exacte vérité, et j’ai même prévenu ces dames que je le ferais autant de fois que cela leur arriverait. »
La reine, se retournant alors vers Madame de Polignac et vers les femmes de chambre :
-« Vous entendez qu’il en convient. »
Et un air de satisfaction éclatait sur leur physionomie. La reine continua :
-« Secondement ces dames se plaignent que ce matin, en prenant ma fille dans vos bras pour la descendre de voiture, vous avez décoiffé Mlle Schlick, qui voulait faire ce même office. »
-« Je dois répondre encore à Votre Majesté que c’est l’exacte vérité, et que dans ces deux circonstances je crois avoir fait mon devoir. »
La reine alors, avec un ton imposant et le regard le plus sévère, me dit :
-« Hanet, je vous blâme fort de ne pas avoir jeté au feu les mantelets de ces dames lorsqu’elles ont oublié le respect qu’elles doivent à ma fille en déposant leurs effets dans son appartement, et je vous blâme encore plus de n’avoir pas porté plainte contre cette demoiselle qui s’est présentée pour recevoir ma fille dans ses faibles bras, au risque de la faire blesser par une chute. J’entends, je veux et j’ordonne que chacun fasse son service et se renferme dans ce que lui prescrivent l’usage et la cour. »
Pierre-Louis Hanet, le frère de Cléry
Le 27 mars 1785
Mousseline a un nouveau petit frère, Louis-Charles, duc de Normandie.
En mai 1785
Dans ses mémoires Jean-Baptiste Cléry Hanet rapporte un épisode survenu en 1785 (quand Madame Royale n’avait pas encore sept ans) et qui jette une lumière différente sur la relation entre la Reine et Sa fille. En effet, dans plusieurs mémoires, on lit que la Reine est très sévère avec l’enfant qui a un caractère difficile. Madame Royale a souvent une attitude irrévérencieuse et insolente envers sa mère. Il ressort plutôt de l’épisode que la Reine comme toutes les mamans ne sait pas toujours dire non à Sa fille.
Cléry écrit :
« Toutes les années, le 1er mai, avait lieu à Versailles une foire brillante où les commerçants de la capitale exposaient ce qu’ils avaient de plus cher et de plus curieux ; toute la cour y participait et y faisait des achats pour encourager l’industrie et le commerce. Le jour même de l’ouverture de la foire, de bon matin, je m’amusais à regarder les bancs au fur et à mesure qu’ils étaient installés, lorsque j’ai vu une grande poupée d’une magnifique facture que des concierges installaient. J’ai tout de suite pensé qu’elle pourrait faire plaisir à la petite princesse, et je me suis renseigné sur le prix, faisant connaissance avec le commerçant car j’espérais pouvoir la faire acheter, lui recommandant de ne pas la vendre avant mon retour s’il avait pris un autre acheteur.
Je suis allé directement voir les sous-gouvernantes pour les faire participer à ma découverte et la femme de chambre de la princesse lui a demandé d’aller voir la poupée aussi. Elles s’y rendirent avec Madame Royale; mais elles la trouvèrent trop chère et estimèrent ne pas pouvoir l’acheter, malgré le désir exposé de l’auguste enfant. Au moment où elles sont rentrées, elles ont trouvé la reine dans les appartements de sa fille. Elle la vit en larmes et lui demanda ce qui l’affectait ainsi :
« Ah maman – répondit-elle – nous sommes allées voir à la foire une belle poupée que Hanet a découvert, et ces dames n’ont pas voulu l’acheter. »
« Ah – reprit la reine – si Hanet était là, il l’a sûrement prise.»
Je n’avais pas besoin d’en entendre plus. Rapide comme un éclair, je vole, attrape la poupée, et l’apporte triomphante à la princesse, à qui je l’ai présente sous le nom pompeux de Madame la comtesse de Miranda. La surprise et la joie de la princesse furent telles qu’elle ne savait pas comment les exprimer. Malheureusement, le souvenir de cette circonstance, toujours si doux pour moi, laissa sans doute peu de traces dans la mémoire de Madame la Dauphine ; mais si ce livre venait un jour sous ses yeux, elle ne pourra pas oublier les jours heureux de son enfance. »
En octobre 1785
Marie-Antoinette se fait accompagner de Sa fille qui a moins de sept ans, au théâtre, à Paris. Cela fait jaser car ce n’est pas l’usage pour un enfant de cet âge.
Du 10 octobre au 16 novembre 1785
Séjour de la Cour à Fontainebleau où Marie-Antoinette se rend en yacht par la Seine.
Madame Royale est, pour la seconde fois, du séjour à Fontainebleau. Durant ce séjour, elle est insupportable. Marie Antoinette lui passe tout.
En juin 1786
Marie-Antoinette de nouveau enceinte ne peut accompagner son époux lors de son voyage pour la Normandie. Son retour est d’après les témoins un moment très touchant, la Reine accourant malgré Son état avec Ses trois enfants afin de se jeter dans les bras du Roi. Le public est alors particulièrement friand de scènes «sensibles». Néanmoins, la joie des enfants au retour de leur père ne peut être feinte et démontre une fois de plus les relations particulièrement affectueuses qui règnent au sein de la famille royale.
Le 9 juillet 1786
Une petite sœur arrive, Sophie Hélène Béatrix.
Il semble que malgré son caractère difficile, Marie-Thérèse a beaucoup d’affection pour ses cadets.
L’appartement de la princesse est, à l’origine, celui de la Dauphine. L’objectif de madame de Polignac puis madame de Tourzel, gouvernantes des Enfants de France, est de faire un appartement unique pour le Dauphin et Madame Royale avec des salles d’études, un dortoir unique.
Le plan montre l’appartement en 1786 où celui-ci avait encore la forme de celui que nous connaissons aujourd’hui : Madame Royale occupe, dès 1787, l’appartement le long de la façade sud et le Dauphin, l’angle du bâtiment.
Commode et encoignures de l’appartement de Madame Royale
de Matthieu Criaerd (1742)
Hauteur : 0.85 m – Largeur : 0.32 m – Profondeur : 0.635 m (Musée du Louvre)
Cette commode et les deux encoignures assortie illustrent la technique du vernis Martin. Le décor des meubles représentent des arbustes et des animaux. Ces meubles ont été créés pour la chambre bleue du château de Choisy. Cette chambre, aménagée en 1742 pour la comtesse de Mailly, maîtresse de Louis XV, est garnie sur les murs, le lit et les sièges, de moire bleue et blanche tissée avec de la soie. Les meubles sont assortis. La commode est livrée le 30 octobre 1742. Mais madame de Mailly, disgraciée en novembre, ne devait pas profiter de cet ensemble. La commode sert sous Louis XVI dans l’Appartement de Madame Royale à Versailles.
Remarquable pour sa modernité lors de sa conception, ce réemploi démontre que ce meuble pourtant démodé paraissait pourtant suffisamment prestigieux pour la fille aînée du Roi.
A l’automne 1786
Lors du séjour de la Cour au château de Fontainebleau , saison théâtrale de la Cour, annonçant ce qui va être joué l’hiver à Paris, la fillette souhaite revoir la pièces Les Mystères du Caire jouée la semaine précédente où deux vrais chameaux apparaissaient sur scène. Les acteurs et tout le personnel des Menus-Plaisirs se préparant à jouer Phèdre durent céder au caprice de l’enfant sur ordre de la Reine. Comme quoi celle-ci gâte également outrageusement sa fille…
Nombreux sont ceux murmurant contre cette éducation qui permet à une enfant si jeune non seulement d’assister à des représentations théâtrales mais en plus d’imposer ses caprices ! Mais Marie-Antoinette a connu pareille éducation à Vienne et trouve normal que la vie de représentation de sa fille inclue également la vie artistique de la Cour.
En 1787
Sans surprise, Marie-Antoinette s’oppose aux projets de mariage précoces qui se dessinent. Lorsqu’en 1787, Sa sœur Marie-Caroline fait demander officieusement la main de la petite pour son fils aîné, héritier du trône de Naples, Elle décline aussitôt. Elle préfèrerait plutôt lui faire épouser son cousin, le fils du comte d’Artois. Elle resterait ainsi en France et, ainsi qu’Elle le dit elle-même, « sa position serait bien préférable à celle de reine dans un autre pays ». Marie-Antoinette a vécu comme un déchirement Son déracinement de Vienne. Elle ne souhaite en aucun cas transformer Sa fille en pion sur l’échiquier matrimonial des grandes familles princières comme l’Impératrice Marie-Thérèse l’a fait avec ses enfants.
Le 18 juin 1787
Un premier chagrin apparut dans sa vie : sa petite sœur Madame Sophie meurt à moins d’un an. Celle qui aurait dû partager son éducation auprès de leur mère, alors que ses frères destinés à l’Etat doivent passer aux mains des hommes disparaît trop tôt. D’autant que ses deux cousines, les filles de son oncle le comte d’Artois sont mortes jeunes également. Elle se retrouve donc la seule princesse de la Cour, unique perle du royaume.
A la même époque, ses parents subissent de graves difficultés politiques : Marie-Antoinette est devenue extrêmement impopulaire, vivant comme un terrible camouflet l’Affaire du Collier et Louis XVI ne savait plus comment réformer son royaume.
Marie-Thérèse dans l’imagerie collective doit apparaître comme le soutien de ses parents.
Marie-Antoinette découvre peu à peu à quel point Sa fille peut malgré tout être de compagnie agréable :
Le 11 décembre 1787
« Ma santé et celle de mes enfants est très bonne. Ma fille vient d’avoir la rougeole, mais des plus heureuses. Elle commence à devenir un personnage, et, ces trois semaines où j’ai été enfermée avec elle, elle m’a réellement tenu compagnie. »
Marie-Antoinette à la princesse de Hesse-Darmstadt
Marie-Thérèse, dès l’âge de dix ans en 1788, prend des cours d’italiens et d’anglais avec son professeur Barthélémy Gatteschi, tout comme sa mère Marie-Antoinette et son père Louis XVI ainsi que ses ancêtres Louis XIV et Louis XV qui parlaient parfaitement italien.
En 1788
Madame Lambriquet, une de ses femmes de chambre, meurt. Laissant plusieurs jeunes enfants, la deuxième, Marie-Philippine, renommée Ernestine, de quelques mois plus âgée que la princesse devient sa compagne d’éducation.
Voir cet article sur Ernestine , la fille adoptée par la Reine en guise de soeur de lait pour Sa fille :
Tout doit être fait à égalité entre les deux enfants, un jour sur deux la princesse devant servir la fille de sa femme de chambre. Cette nouvelle révolution dans l’éducation royale a pour conséquence les plus folles rumeurs, cette enfant du commun devenant chez certains amateurs d’Histoire une fille illégitime de Louis XVI, allant même jusqu’à penser qu’elle fut substituée à la princesse lors de sa libération du Temple.
C’est oublier que Marie-Antoinette depuis longtemps adoptait des enfants du peuple :
Louis-Charles connaît aussi une compagne de jeux, Zoé, fille orpheline également de serviteurs. Un petit garçon noir Jean-Amilcar sera aussi adopté par Marie-Antoinette.
Des enfants de courtisans ont droit aussi à l’attention affectueuse de la Reine et du Roi : le fils de sa femme de chambre madame de Misery, les enfants Polignac, les enfants Bombelles, les enfants Sabran, la jeune Pauline de Tourzel, Adèle d’Osmont future comtesse de Boigne…
Rien de tel en effet pour casser l’orgueil de la fillette de la mettre à égalité avec une fille du commun. Mais cela ne suffit toujours pas.
Selon le comte de Sémallé, page de la Cour :
« En 1789, Madame Royale ayant atteint sa onzième année, on lui désigna un service composé d’un écuyer, d’un page et d’un porte-manteau. Jusqu’alors la jeune princesse accompagnait sa mère comme une petite fille. Son service une fois organisé, elle marchait seule, vêtue de son costume de cour, et devant ses gens. Comme étant le plus petit, je fus choisi pour la première semaine. Je conduisis la princesse, avec Monsieur de Saint-Pardon, son écuyer, à la messe, à travers la grande galerie; mais, pour les vêpres, je manquai de quelques minutes, ainsi que Monsieur de Saint-Pardon, le service nouveau, et nous ne retrouvâmes le cortège royal que dans la salle qui précédait la chapelle. La jeune princesse, ayant paru fâchée de ce retard, le témoigna par quelques marques d’impatience qui déplurent beaucoup à la reine, et celle-ci ordonna de lui supprimer son service.»
Marc de Bombelles est ému par la princesse lorsqu’on vient lui annoncer la maladie de son frère Louis-Joseph. Pour la première fois la fillette semble touchée. L’enfant, par pudeur se cache derrière un écran afin de cacher ses larmes.
Car l’orgueil de la princesse est surtout avant tout de la pudeur. Habituée à vivre en représentation permanente, elle a appris à cacher ses sentiments, à ne se montrer telle qu’elle est réellement que très rarement. Cette armure sera sa force qui lui permettra de survivre aux terribles épreuves qu’elle ne va pas tarder à endurer.
Le 5 mai 1789
Ouverture de la réunion des Etats généraux dans la salle des Menus Plaisirs de Versailles.
Du début de la Révolution, elle ne connaît que des regards inquiets, ses parents de plus en plus accablés. Ce qu’elle vit le plus douloureusement est surtout la maladie de son frère.
Le 4 juin 1789
Mort du Dauphin, Louis-Joseph-Xavier-François, son frère, à Meudon.
Ses parents se retirent à Marly pour le pleurer. Il est enterré avec un cérémonial réduit à Saint-Denis compte tenu le contexte économique difficile.
Il n’existe pas de témoignage du chagrin de Marie-Thérèse. Elle vivait depuis longtemps séparée de lui, depuis son passage aux hommes en 1787 et surtout depuis son installation au château de Meudon, dont l’air plus sain que les marais versaillais, avait paru comme plus salubre pour l’enfant malade.
A partir de ce moment, elle devient très proche du seul frère qui lui reste, Louis-Charles, de sept ans son cadet. Les deux enfants vivent désormais au rez-de-chaussée , du côté de l’appartement de leur mère. Marie-Antoinette a enfin réussi ce dont elle rêvait depuis des années. Être près de ses enfants.
De nombreuses représentations les montrent ensemble, comme figures innocentes pouvant apporter l’espoir, le renouveau souhaité. Marie-Antoinette est fière de la beauté florissante des enfants qui Lui restent. Car si Mousseline a mauvais caractère, elle n’en est pas moins très jolie.
Aux premiers mois de la Révolution
Elle est encore protégée. La famille royale pleure le Dauphin lors d’un séjour prolongé à Marly. Mais qui est aussi l’occasion pour le Roi, son épouse, ses frères de discuter à propos des événements qui s’enchaînent et de déterminer des mesures à prendre.
Le 14 juillet 1789
Prise de la Bastille.
Le 16 juillet 1789
Les Polignac émigrent sous les conseils de la Reine: la duchesse est très impopulaire; on la juge débauchée et intéressée.
Une première inquiétude apparaît lors du départ forcé de sa gouvernante madame de Polignac. Celle-ci ne s’occupait pas de la princesse directement mais elle n’en avait pas moins une forte influence sur l’enfant. Le départ de ses enfants est sûrement aussi difficile car ils partageaient ses jeux depuis toujours. Puis, elle voit partir son oncle qu’elle aime bien, l’affectueux comte d’Artois, les fils de celui-ci ses cousins de son âge le duc d’Angoulême et le duc de Berry. A-t-on déjà évoqué une union de la fille du Roi avec l’un des deux ? On l’ignore. Et la Cour se vide de plus en plus.
Le 17 juillet 1789
Louis XVI se rend à Paris pour être reçu par le nouveau maire, Jean-Sylvain Bailly. Marie-Antoinette redoute qu’il ne revienne pas. Elle préparera même une lettre pour rejoindre le Roi s’il y était retenu prisonnier…
Réception de Louis XVI à l’Hôtel de Ville de Paris.
Marie-Thérèse reste la journée entière dans le cabinet de la Reine avec son frère, voyant leur mère se ronger les sangs durant la visite de Louis XVI à l’Hôtel de Ville de Paris suite aux événements, craignant qu’il n’en revienne jamais. Le soulagement est énorme à son retour et sûrement l’occasion de tendresse entre les enfants royaux et leurs parents. Mais de ce jour, le Roi doit porter la cocarde tricolore, marque de son acceptation apparente de la Révolution.
Au même moment, on parle d’un probable départ de la famille royale pour Rambouillet. L’enfant est-elle avertie ? Nous n’en savons rien non plus. Elle doit seulement voir son service sur le qui-vive, inquiet, obéissant à des ordres contradictoires.
Madame de Tourzel (1749-1832) devient Gouvernante des Enfants de France en remplacement de madame de Polignac.
Elle est surtout en charge du jeune Dauphin, la princesse ayant son éducation déjà bien en place.
Madame de Tourzel s’installe auprès de Louis-Charles qui vit depuis la mort de son frère dans l’appartement dévolu au Dauphin au rez-de-chaussée, contre la tradition qui le voulait à cette place une fois son passage aux hommes effectué. La nouvelle gouvernante arrive avec sa dernière fille non mariée, Pauline de Tourzel (1771-1839) âgée de dix-huit ans et qui devient comme une sœur aînée pour les deux enfants royaux. Tout semble revenir à peu près au calme, du point de vue du quotidien, à défaut de la politique.
La véritable première frayeur et certainement traumatisme ont lieu en automne…
Le jeudi 1er octobre 1789
Marie-Thérèse peut enfin voir ses parents soulagés car a lieu la fête des gardes du corps du Roi en l’honneur du régiment de Flandres à l’Opéra de Versailles en présence de la famille royale.
En effet, le régiment des Flandres est accueilli comme il se doit lors d’un grand banquet dans la grande salle de spectacle du château organisé par leurs collègues garde du corps, tous heureux d’être réunis afin d’assurer la protection de la famille royale en ces temps de trouble.
Marie-Antoinette présente à ces fidèles gentilshommes le jeune Dauphin. Si la présence de son frère ne fait aucun doute, il est impossible de déterminer précisément si la princesse se rendit également à l’Opéra. A cette époque révolutionnaire, le terme de famille royale inclut obligatoirement le Roi, la Reine et le Dauphin, et à l’occasion Madame Royale, à laquelle sera presque toujours par la suite adjointe sa tante Madame Elisabeth. N’y apparaissent plus désormais les frères du Roi, ses neveux, ses belles-sœurs et ses tantes, pourtant encore pour la plupart présents en France.
Néanmoins ce moment de liesse est de courte duréeLes rumeurs les plus folles se mettent à circuler jusqu’à Paris, un tel banquet insultant la misère du peuple et l’on dit que la cocarde tricolore, pourtant portée par le Roi a été foulée aux pieds…
Le peuple croit à une orgie antidémocratique…
Le lundi 5 octobre 1789
Des Parisiennes qui n’en peuvent plus de faire la queue devant des boulangeries désespérément vides mais aussi des hommes déguisés en femmes, prêts à tout, armés, partent de Paris pour rejoindre le château de Versailles, malgré le temps exécrable.
Louis XVI est parti chasser à Meudon mais revient en trombes, à cheval, dès qu’il est averti du mouvement.
Marie-Antoinette se repose dans Sa grotte du Petit Trianon lorsqu’on la prévient. La foule entre Sèvres et Saint-Cloud pouvait encore être refoulée si les gardes du corps postés sur le chemin de Versailles avaient reçu les ordres de les contenir. Mais Louis XVI refuse de faire tirer sur des femmes. Des ordres contradictoires sont donnés aux domestiques du château. La voiture du Dauphin était prête pour la promenade et il suffit d’y installer les enfants royaux pour les envoyer au château de Rambouillet. Mais la Reine refuse de quitter son mari et le Roi de quitter Versailles. Les voitures royales sont néanmoins préparées, prêtes à attendre Louis XVI et Marie-Antoinette qui partiraient discrètement chacun de leur côté. Mais la garde nationale versaillaise aidée de quelques gens d’écurie bloque les voitures.
Louis XVI fait envoyer la majorité de ses gardes du corps à Rambouillet, pensant qu’ils pourront l’y réceptionner au plus tôt. Il n’en garde qu’une petite centaine, jugée suffisante. Personne n’envisage qu’on peut réellement s’attaquer à la famille royale…
A onze heures du soir
La Fayette, commandant de la garde nationale, assure qu’il tient la foule en mains et que tout le monde peut se coucher en sécurité. Marie-Antoinette n’en pense pas moins et convient avec madame de Tourzel d’amener ses enfants chez Elle à la moindre alerte. Elle se ravise ensuite et préfère qu’ils soient amenés chez leur père :
« Elle venait d’être avertie des dangers personnels qu’elle pouvait courir dans son appartement, et on l’avait engagée à passer la nuit dans celui du Roi ; mais elle s’y refusa positivement : «J’aime mieux, dit-elle m’exposer à quelque danger, s’il y en a à courir, et les éloigner de la personne du Roi et de mes enfants.» Ce fut le motif du changement de l’ordre qu’elle m’avait donné d’abord.»
Mémoires de madame la duchesse de Tourzel
Le 6 octobre 1789
Au petit matin, la réveil est brutal :
Vers cinq heures du matin, les appartements privés sont envahis. La Reine s’échappe en jupon par une porte dérobée.
Au moment où la Reine arrive enfin chez Son mari après avoir failli être assassinée, la gouvernante amène de toute urgence le petit Dauphin de quatre ans accompagnée du garde de corps attaché à sa personne, monsieur de Sainte-Aulaire. Madame de Tourzel n’a eu que le temps d’avertir la jeune princesse. Marie-Antoinette ne voyant pas sa fille, repart par des couloirs et escaliers dérobés communiquant entre les appartements du Roi, de la Reine et de leurs enfants.
Plus tard, Sa présence est réclamée par la foule. Elle va au-devant du peuple, courageuse, au mépris de Sa vie.
Si Marie-Antoinette n’avait pas insisté tout au long de ces années à loger Ses enfants au rez-de-chaussée de Son appartement, la situation aurait été beaucoup plus critique car dans ce cas les enfants auraient été isolés au rez-de-chaussée de l’extrémité de l’Aile du Midi. Peut-être hors de danger mais surtout éloignés de leurs parents. Découvrant, au passage, les filles de madame de Tourzel cloîtrées dans l’appartement de leur mère, dans un entresol communiquant avec celui de la Reine, Marie-Antoinette les prévient de se rendre aussitôt chez le Roi et y ramène enfin Marie-Thérèse.
Il est difficile de déterminer quels sont les sentiments de la petite fille à ce moment. Peur ? Soulagement de voir enfin sa mère ? L’enfant n’a certainement jamais vu sa mère dans ces conditions : en chemise, non coiffée, un flambeau à la main, paniquée…
La famille royale n’en est pas quitte avec la peur, notamment les enfants. La foule réclame la Reine au balcon. Celle-ci, malgré les conseils de prudence de la part de courtisans rassemblés dans la chambre de parade du Roi, fait preuve une fois de plus de courage et se montre entourée de Ses enfants, tous trois à peine habillés, tirés de leur lit de toute urgence.
La foule est touchée par cette tendre image maternelle mais certains comprennent que la Reine va ainsi échapper à son assassinat prévu. On cria donc : «Point d’enfants !» La seule protection qui Lui restait pour ne pas se faire tirer dessus…
Que comprennent les enfants, particulièrement une fillette de onze ans, lorsque Marie-Antoinette leur demande de rentrer ?
En tout état de cause, leur mère en revient, non seulement vivante mais aussi acclamée.
Louis XVI doit accepter de se rendre à Paris pour en faire désormais sa résidence ordinaire.
A une heure et demi
La famille royale s’installe dans la voiture pour quitter le château de Versailles à jamais. Marie-Thérèse est installée au fond, entre ses deux parents. La route jusqu’à la capitale est longue. Et certainement terrible, surtout pour les enfants qui ne peuvent échapper à la vue des têtes coupées de leurs gardes du corps ou aux insultes obscènes contre leurs parents.
Exténués, ils doivent encore suivre leurs parents jusqu’à l’Hôtel de Ville, subir de longs discours. Le jeune Dauphin dort dans les bras de sa gouvernante et la pauvre Marie-Thérèse doit faire appel à toute son éducation pour tenir le choc.
La famille royale, hors le comte et la comtesse de Provence se rendent ensuite aux Tuileries qui ont été désertées depuis le départ de Louis XV en 1722. La famille royale s’y installe tant bien que mal, Madame de Tourzel se retrouvant obligée de barricader l’appartement du petit Dauphin avec des meubles car il n’y a ni gardes, ni portes fermables .
Les premiers jours ressemblent à un campement mais bientôt de nombreux meubles sont ramenés de Versailles et le palais prend l’apparence d’une résidence royale.
C’est dans l’appartement de madame de Tourzel, pendant les quelques jours de calme qui suivent leur arrivée à Paris, que la Reine vient prendre le thé et assister aux petits jeux de Madame Royale, du Dauphin, de Pauline de Tourzel et des enfants des autres dames invitées à ces petites réunions. Dans un premier temps, Marie-Thérèse est installée dans des entresols au-dessus de la chambre du Roi qui servait jadis de petit appartement pour Marie-Antoinette lors de Ses escapades parisiennes. La Reine loge au rez-de-chaussée, le Roi au premier étage avec son fils et des petits escaliers sont pratiqués afin que parents et enfants puissent communiquer dans l’intimité. Jamais parents et enfants royaux ne vécurent de manière aussi rapprochée. Ce dont ils rêvaient à Versailles, les malheurs le leur apportent… Marie-Thérèse partage désormais les repas de ses parents pris en privé, en compagnie du reste de la famille royale, sa tante Madame Elisabeth, ses grand-tantes Mesdames Adélaïde et Victoire, installées aux pavillons de Flore et de Marsan et du comte et de la comtesse de Provence qui logent dans leur palais du Luxembourg.
La princesse sort presque tous les jours en compagnie de sa mère et de son frère dans les jardins ouverts au public. Cette proximité peut être source de problèmes mais la vue du jeune Dauphin bêchant dans son petit jardin désarme les plus radicaux. Et lorsqu’elle ne sort pas, elle étudie chez elle, dans les petites pièces qui lui sont dévolues, en compagnie d’Ernestine Lambriquet ou reste auprès de sa mère avec son frère.
Madame de Tourzel qui partage l’intimité de la famille royale seulement depuis l’été 1789 observe attentivement les relations des parents et de leurs enfants :
« Rien n’était, en effet, plus touchant que de voir cette princesse entourée de deux enfants charmants. L’un, trop jeune encore pour sentir les malheurs qui le menaçaient, portait sur son visage l’empreinte du bonheur et de la gaieté ; la jeune princesse, dans un âge où l’on n’aurait dû connaître que ces deux sentiments, commençait déjà la carrière de douleur qu’elle a parcourue avec tant de courage, de douceur et de sensibilité. Le Roi avait pour celle-ci une prédilection toute particulière ; et quoiqu’il ne fût pas démonstratif, il ne laissait échapper aucune occasion de faire apercevoir la tendresse qu’il lui portait. La Reine, qui n’en avait pas moins pour elle, se croyait obligée d’user de sévérité à son égard. On lui avait donné de fausses impressions sur le caractère de Madame, qu’elle croyait fière et d’un esprit si dissipé, qu’on ne pouvait sans inconvénient lui laisser voir des jeunes personnes de son âge.
Je n’ai jamais pu concevoir ce qui avait pu donner lieu à cette opinion. Cette jeune princesse était, au contraire, bonne, affable, timide, et avait même besoin qu’on lui inspirât de la confiance. Il lui eût été plus utile de voir un peu plus de monde, que d’être toujours seule dans son appartement, avec ses femmes et la jeune personne à qui la Reine avait permis de partager ses études et ses jeux. »
Son orgueil d’enfance n’a pas entièrement disparu mais est recouvert par une éducation qui lui a appris la douceur et la réserve. Cet orgueil est aussi la marque d’une extrême pudeur, de celle qui vit depuis toujours en représentation, qui apprend à ne montrer au public qu’une certaine image d’elle. La petite princesse entre dans l’adolescence. Elle sait maintenant ce qu’on attend d’elle. Elle doit également en cette période troublée apprendre à devenir une autre personne.
Car ce qui a été sa vie, son rôle dans la famille royale, la Cour, envers le public, son statut, tout est radicalement modifié, à l’image du reste de sa famille et du pays tout entier.
Désormais, la Maison des Enfants de France n’existe plus, seule survit celle du Roi, financée par une Liste Civile sévèrement contrôlée. Le train de vie de la Cour se retrouve par conséquent fortement réduit même si la famille royale et leurs derniers fidèles se font un point d’honneur d’en maintenir si ce n’est sa splendeur, du moins son sens, redonnant toute son importance à cette Étiquette que le couple royal n’a cessé de fuir mais dont ils voient maintenant l’intérêt. C’est dans ce contexte peu réjouissant que Marie-Thérèse réalise elle aussi l’importance de l’Étiquette qui lui permet, à elle et surtout pour ses parents et frère de se distinguer du reste des mortels et ainsi de se préserver. Les entorses, les coups de folie, les petites révolutions de palais ne sont plus de mise… Seule la jeunesse du petit Dauphin peut encore apporter quelque fraîcheur à cette Cour morose.
Ceci pour l’extérieur. Mais intrinsèquement, elle n’est plus la même non plus.
Le 8 octobre 1789
Les députés Fréteau et Mirabeau proposent d’instaurer le titre de Roi des Français à la place de celui de Roi de France.
Le 10 octobre 1789
L’Assemblée adopte cette nouvelle titulature.
Considérée jusque-là, malgré sa jeunesse, comme la Fille du Roi, de surcroît aînée, elle n’est plus désormais que la fille du Roi des Français. Son titre de Madame n’existe plus légalement. Si depuis toujours une princesse française n’a _ sauf rares exceptions_ aucun avenir politique, ce principe, sans oublier la loi salique implicite, est réaffirmé. Elle n’est plus qu’une citoyenne comme les autres. Son frère reste prince, ses oncles également. Elle et ses tantes plus rien. Leurs revenus ne dépendent plus que de la Liste Civile, ne pouvant plus toucher aucun héritage. La Reine conserve un statut intermédiaire en tant que mère de l’héritier du trône et donc en charge de son éducation première. Mais Elle aussi n’est plus que la femme du Roi des Français, sans aucun droit à la régence. La Révolution affirme par ces modifications dans la dynastie que seuls les hommes ont droit au pouvoir.
Si Marie-Thérèse participe encore aux cérémonies officielles, ce n’est plus qu’en spectatrice. Elle ne reçoit plus de visiteurs, ni harangues en son nom propre. Elle ne compte plus.
Les représentations officielles la montrent peu, l’accent étant porté sur ses parents et son frère.
Ce médaillon, sans l’exclure, la montre hors du groupe principal :
Sa joliesse et ses toutes nouvelles douceur et réserve vont dorénavant être ses atouts pour se faire remarquer.
Chateaubriand raconte dans ses Mémoires d’outre-tombe :
« Madame la duchesse d’Angoulême, âgée de onze ans, attirait les yeux par un orgueil virginal : belle de la noblesse du rang et de l’innocence de la jeune fille, elle semblait dire, comme la fleur d’oranger de Corneille dans la Guirlande de Julie : « J’ai la pompe de ma naissance. »»
Le 19 novembre 1789
« Ma santé est assez bonne, celle de mes enfants est parfaite. Nous logeons tous trois dans le même appartement ; ils sont presque toujours avec moi et font ma consolation. »
Marie-Antoinette à la duchesse de Polignac
Le 29 décembre 1789
« Vous devez avoir reçu une lettre de ma fille. Cette pauvre petite est toujours à merveille pour moi. En vérité, si je pouvais être heureuse, je le serai par ces deux petits êtres. »
Marie-Antoinette à la duchesse de Polignac
Jeudi 7 janvier 1790
La Reine a permis, ces jours derniers, que les filles orphelines des Invalides, pour lesquelles Sa Majesté a fondé quatre places dans une Maison établie depuis deux ans par Mademoiselle Okennedi, au Faubourg Saint-Antoine , Lui soient présentées. Sa Majesté, toujours guidée par les mouvements de Sa sensibilité, a daigné donner à ces orphelines de nouvelles marques de Sa bienfaisance; Elle a même ordonné qu’on conduisit ces pauvres enfants chez Monseigneur le Dauphin et chez Madame Royale, qui les ont accueillies avec une bonté si attendrissante, qu’ils leur ont fait verser des larmes ; Madame Royale leur a fait beaucoup de questions qui marquent le plus vif intérêt, et a fini par ces mots dignes d’être à jamais gravés dans le cœur de tous les Citoyens vertueux :
« Mes enfants , je ferai tout ce que je pourrai pour vous rendre heureux.»
Madame Royale
Le 7 avril 1790
Un événement important et personnel auquel elle se prépare depuis longtemps :
« Quoique Madame ne fût âgée que de onze ans, le Roi et la Reine se décidèrent à lui faire faire, à Pâques, sa première communion. Sa piété, qui semblait être née avec elle, rendit cette cérémonie bien touchante. Avant de partir pour l’église de Saint-Germain l’Auxerrois, paroisse des Tuileries, Madame tomba aux pieds du Roi et de la Reine pour leur demander leur bénédiction. Le Roi, pénétré des principes religieux qui seuls ont pu le soutenir dans des malheurs sans exemple, lui parla de la manière la plus touchante sur la grande action qu’elle allait faire, et ajouta en la serrant entre ses bras: « Priez, ma fille, pour la France et pour nous ; les prières de l’innocence peuvent fléchir la colère céleste.»
La jeune princesse fondit en larmes, ne put proférer une parole et monta en voiture avec moi, la duchesse de Charost, ma fille, et la baronne de Mackau, sous-gouvernante des Enfants de France, spécialement chargée de Madame.
Cette jeune princesse arriva à l’église avec le maintien le plus recueilli, et approcha de la sainte table avec les marques de la dévotion la plus sincère. La Reine assista incognito à cette cérémonie, qui fut de la plus grande simplicité et qui se passa de la manière la plus décente. Leurs Majestés firent distribuer à cette occasion d’abondantes aumônes dans les diverses paroisses de Paris.»
Madame de Tourzel
Le 8 avril 1790
François Hue, huissier de la Chambre du Roi et premier valet du Dauphin, également témoin de la scène, rajoute beaucoup au témoignage de la gouvernante :
« C’est ainsi qu’en l’année 1790 j’eus le bonheur d’assister, alors que la France se couvrait d’imprécations contre son Dieu et contre son Roi, à une cérémonie à jamais inoubliable : la première communion de Madame Royale. J’étais présent quand, le matin de cette cérémonie solennelle, la Reine l’ayant conduite dans la chambre du Roi, lui dit de se prosterner aux pieds de son père pour lui demander sa bénédiction. Louis XVI la bénit et la releva en prononçant ces mots que je ne saurais oublier :
« C’est du fond du cœur, ma fille, que je vous bénis en demandant au ciel qu’il vous fasse la grâce de bien apprécier la grande action que vous allez faire. Votre cœur est innocent et pur aux yeux de Dieu, vos vieux doivent lui être agréable. Offrez-les lui pour votre mère et moi. Demandez-lui qu’il vous donne les grâces nécessaires pour faire le bonheur de ceux sur lesquels il m’a donné l’empire et que je dois considérer comme mes enfants. Demandez-lui qu’il daigne conserver dans ce royaume la pureté de sa religion, et souvenez-vous bien, ma fille, que cette religion est source de la vie. Ne croyez pas que soyez à l’abri des malheurs. Vous êtes bien jeune, mais vous avez déjà vu votre père affligé plus d’une fois. Vous ne savez pas à quoi, ma fille, vous destine la Providence, si vous resterez dans ce royaume ou si vous irez en habiter un autre. Dans quelque lieu où la main de Dieu vous pose, souvenez-vous que vous devez édifier par vos exemples, faire le bien toutes les fois que vous en trouverez l’occasion. Mais surtout, mon enfant, soulagez les malheureux de tout votre pouvoir. Dieu ne nous a fait naître dans le rang où nous sommes que pour travailler à leur bonheur et les consoler de leurs peines. Allez aux autels où vous êtes attendue et conjurez le Dieu de miséricorde de ne jamais vous laisser oublier les avis d’un père tendre. »»
Malgré tous ces beaux sentiments, certainement enjolivés car ce sont des souvenirs écrits à la Restauration, l’opinion du moment réagit peu favorablement à ce qui apparaît comme une preuve du rejet de l’idée d’égalité de la part de la famille royale :
« On a été étonné que cette princesse eût fait sa première communion un jour avant les jeunes filles de la paroisse de Saint-Germain-l’Auxerrois. Pourquoi, en effet, ne pas la lui faire avec ces jeunes filles ? En présence de Dieu, à la table sainte, la fille d’un roi n’est pas au-dessus de la fille d’un simple citoyen ; et jamais occasion ne fut plus propre de donner à cette jeune princesse une idée de l’égalité entre les hommes.»
Les Révolutions de Paris, n°40
Cet extrait de presse de l’époque prouve également que l’opinion est encore attachée à la religion catholique, ce qui ne va pas durer.
Le 3 juin 1790
Malgré l’émoi provoqué et la crainte d’une probable évasion, Louis XVI fait savoir , par une lettre publique, qu’il souhaite durant la période estivale séjourner avec sa famille au château de Saint-Cloud, acquis par Marie-Antoinette depuis 1784 . Tous les Parisiens, jusqu’aux fortunes les plus modestes, partent aux beaux jours se ressourcer à la campagne. Il est donc difficile de refuser au Roi ce que tout le monde s’accorde.
La surveillance étant relâchée, le couple royal et Madame Elisabeth peuvent de nouveau monter à cheval pour de longues courses de plus en plus éloignées de la capitale. Des tentatives pour fuir définitivement la capitale sont évoquées, certaines plus sérieusement que d’autres, mais comme à chaque fois, Louis XVI s’y refuse.
D’autres actions politiques plus concrètes ont lieu durant cet été, comme la rencontre clandestine entre Marie-Antoinette et Mirabeau, mais il y a peu de chances que la jeune Marie-Thérèse en eut connaissance.
Ce que voit la jeune princesse, c’est un immense parc, des plans d’eau, des cascades, des bosquets, une forêt alentour, qui lui rappelle beaucoup plus le parc de Versailles, que celui des Tuileries, pourtant tous les trois de la main de Le Nôtre. C’est surtout un sentiment de liberté que vit la famille royale entière, éloignée des Parisiens.
La famille royale respire et Marie-Antoinette en se faisant de nouveau peindre entourée de ses enfants semble reprendre espoir.
En juillet 1790
A la décision de l’Assemblée constituante de mettre en place la constitution civile du clergé, la Révolution va se transformer en guerre de religion. Et Marie-Thérèse, très attachée à sa religion à l’instar de sa tante, Madame Elisabeth, avec qui elle va devenir de plus en plus proche, va ressentir de plein fouet cette séparation avec Rome.
Pour l’instant, l’Assemblée et la public semblent accorder quelque répit à la famille royale.
Le 13 juillet 1790
Les «fédérés», venus de tous les coins de France, sont invités à se rendre aux Tuileries :
« On les f(ait) défiler devant (le roi) et la famille royale au pied du grand escalier des Tuileries. Le roi demand(e) le nom de chaque députation et parl(e) à chacun de ses membres avec une bonté qui redoubl(e) encore leur attachement. La reine leur présent(e) ses enfants et leur dit quelques mots avec cette grâce qui ajout(e) un nouveau prix à tout ce qu’elle d(it). Transportés de joie, ils entr(ent) dans les Tuileries aux cris de « Vive le roi ! »»
Madame de Tourzel
Le 14 juillet 1790
La France entière communie toute ensemble autour de leur Roi et de la nouvelle constitution en cours de rédaction lors de la Fête de la Fédération.
Marie-Thérèse ressent-elle comme ses parents, malgré les acclamations à leur égard, que cette journée est loin d’être la fin de leur calvaire ?
En octobre 1790
Il faut revenir dans le triste château des Tuileries.
La vie continue comme auparavant, la princesse alternant ses heures d’études et ses moments en famille.
C’est le citoyen Leclerc qui annonce au Conseil général :
« La femme de Louis Capet me parla de la nécessité de faire des remèdes pour sa fille, qui a une dartre à la joue, et elle me demanda quels étaient ceux qu’elle devait employer ; il faut respecter les malheureux, et la fille ne doit pas être punie des fautes du père; d’ailleurs elle a une jolie figure, et il serait dommage que cette dartre lui restât, car c’est un chef-d’œuvre de la nature.»
Le 23 octobre 1790
La Reine est offensée à l’Opéra.
Courant novembre jusqu’au 8 décembre 1790
Séjour de la famille royale au château de Saint-Cloud.
Le 26 décembre 1790
Le Roi sanctionne le décret sur la Constitution civile du clergé.
Le 1er janvier 1791
Projet d’évasion de la famille royale (plan de Fersen, Bouillé et Breteuil) …
Le 20 février 1791
Départ de Mesdames Adélaïde et Victoire qui partent pour Rome.
Le Roi doit intervenir pour qu’elles soient autorisées à quitter le territoire français.
Le 2 avril 1791
Mort de Mirabeau ( né le 9 mars 1749); il est inhumé au Panthéon.
On ne découvre que plus tard qu’il avait entretenu des liens avec le Roi et la Reine. Il sera alors dépanthéonisé…
Le 18 avril 1791
La famille royale est empêchée de partir faire Ses Pâques à Saint-Cloud.
Les projets d’évasion se concrétisent grâce, en particulier, à l’entremise d’Axel de Fersen.
Le 20 juin 1791
Évasion de la famille royale.
Départ de Monsieur et Madame ( le comte et la comtesse de Provence) qui prennent la route de Gand.
Le 21 juin 1791
La famille royale est arrêtée à Varennes.
Les Provence passent la frontière.
Mercredi 22 juin 1791
A minuit et demi
Le juge Destez qui a vécu assez longtemps à Versailles (il est gendre d’un officier de bouche de la Reine), et que Jean-Baptiste Sauce est allé chercher, reconnaît formellement le Roi.
Il s’incline : « Bonjour, sire».
«Un homme aborda le Roi à la façon de Judas en disant : Bonjour Sire…
Il y avait cinq personnes royales dans la voiture ; le misérable , avec un mot, les frappa toutes les cinq. Ce «Bonjour Sire» , ce fut pour Louis XVI, pour Marie-Antoinette et pour Madame Elisabeth la guillotine ; pour le Dauphin l’agonie du Temple ; pour Madame Royale l’extinction de sa race et l’exil.»
Victor Hugo
Un décret de l’Assemblée Nationale ordonne que la famille royale soit reconduite à Paris.
Le 25 juin 1791
La famille royale rentre à Paris sous escorte.
Le Roi est suspendu.
Le 14 septembre 1791
Le Roi prête serment à la Constitution.
Le 25 septembre 1791
Louis XVI et Marie Antoinette, Madame Royale et Madame Elisabeth se rendent à l’Opéra, pour assister à la représentation de « Psyché » au théâtre de l’Académie royale de Musique. Ils sont accompagnés de la Famille Royale. Les acclamations sont unanimes et multiples.
Le 26 septembre 1791
La famille royale paraît à la Comédie-Italienne. Partout Marie-Antoinette se montre gracieuse et affable ; mais l’humeur n’y est plus et madame de Staël, voyant bien souvent la pâleur de Son visage, ne peut s’empêcher de noter «Elle s’effor(ce) d’être aimable. Mais on s’aperçoit une profonde tristesse à travers son obligeant sourire.»
Le 1er octobre 1791
Première séance de l’Assemblée législative.
Le 19 décembre 1791
Le Roi oppose son veto au décret sur les prêtres insermentés.
Février 1792
La Reine paraît à la Comédie-Italienne pour la dernière fois.
Elle est saluée par Rosalie Dugazon qui chante :
Le 29 novembre 1791
Décret faisant des prêtres réfractaires à la Constitution civile du clergé des «suspects».
En fin d’année 1791
La princesse de Lamballe ou la marquise de Tourzel organisent des soirées dans leurs appartements, . Marie Antoinette y vient presque tous les soirs. Elle y joue, au tric-trac, avec la princesse de Lamballe, le baron de Vioménil, le comte d’Haussonville, le chevalier de Coigny, le comte de Paroy … qu’Elle fait l’honneur d’admettre de cet intérieur. Madame Royale y vient aussi souvent avec son frère le Prince Royal : elle a treize ans et lui sept ans. Ils jouent au volant ou à d’autres jeux. Mademoiselle Pauline de Tourzel, âgée de quinze ans, prend part à leur jeu. Madame Royale la traite en amie intime.
«Ah! que j’aime ma maîtresse»
dans Les Événements Impromptus.
Le 1er mars 1792
Léopold II, le frère de Marie-Antoinette, meurt.
Avènement de Son neveu François II, qui sera couronné Empereur le 19 juillet.
Le 25 mars 1792
Ultimatum de la France sur l’Autriche.
Le 20 avril 1792
Déclaration de guerre au Roi de Bohême et de Hongrie, François II.
Le 27 mai 1792
Décret sur la déportation des prêtres réfractaires.
Le 29 mai 1792
Décret supprimant la garde constitutionnelle du Roi.
Le 11 juin 1792
Louis XVI oppose son veto aux décrets des 27 mai et 8 juin.
Lui et la Reine sont désormais surnommés «Monsieur et Madame Veto».
Le 20 juin 1792
Le peuple des faubourgs, encadré par des gardes nationaux et ses représentants, comme le brasseur Santerre (10 à 20 000 manifestants selon Roederer), pénètre dans l’assemblée, où Huguenin lit une pétition. Puis elle envahit le palais des Tuileries.
La foule envahit les Tuileries pour faire lever le veto.
« Avec le courage passif qui est le sien », selon Michel Vovelle, le Roi subit sans faiblir pendant deux heures le défilé de la foule, accepte de coiffer le bonnet phrygien et boit à la santé de la Nation pour faire passer les paroles de Legendre :
« Monsieur, vous êtes un perfide, vous nous avez toujours trompés, vous nous trompez encore », mais refuse de retirer son veto comme de rappeler les ministres girondins, invoquant la loi et la constitution.»
La Reine n’a pu parvenir jusqu’au Roi ; elle est dans la salle du conseil et on avait eu de même l’idée de la placer derrière la grande table, pour la garantir autant que possible de l’approche de ces barbares … les révolutionnaires passent devant Elle afin de L’observer :
« Elle avait attaché à sa tête une cocarde aux trois couleurs qu’un garde national lui avait donnée. Le pauvre petit dauphin était, ainsi que le roi, affublé d’un énorme bonnet rouge. La horde défila devant cette table ; les espèces d’étendards qu’elle portait étaient des symboles de la plus atroce barbarie. Il y en avait un qui représentait une potence à laquelle une méchante poupée était suspendue ; ces mots étaient écrits au bas : Marie Antoinette à la lanterne. Un autre était une planche sur laquelle on avait fixé un cœur de bœuf, autour duquel était écrit : cœur de Louis XVI. Enfin un troisième offrait les cornes d’un bœuf avec une légende obscène.
L’une des plus furieuses jacobines qui défilaient avec ces misérables s’arrêta pour vomir mille imprécations contre la reine.
Sa Majesté lui demanda si elle l’avait jamais vue : elle lui répondit que non ; si elle lui avait fait quelque mal personnel : sa réponse fut la même mais elle ajouta :
«c’est vous qui faites le malheur de la nation.
– On vous l’a dit, reprit la reine ; on vous a trompée. Epouse d’un roi de France, mère du dauphin, je suis française, jamais je ne reverrai mon pays, je ne puis être heureuse ou malheureuse qu’en France ; j’étais heureuse quand vous m’aimiez ».
Cette mégère se mit à pleurer, à lui demander pardon, à lui dire :
«c’est que je ne vous connaissais pas ; je vois que vous êtes bien bonne».
Mesdames de Lamballe, de Tarente, de La Roche-Aymon, de Mackau entourent alors la Reine, ainsi que Madame de Tourzel qui souligne dans ses Mémoires :
«La Reine était toujours dans la chambre du Roi, lorsqu’un valet de chambre de Mgr le Dauphin accourut tout hors de lui avertir cette princesse que la salle était prise, la garde désarmée, les portes de l’appartement forcées, cassées et enfoncées, et qu’on le suivait.
On se décida à faire entrer la Reine dans la salle du Conseil, par laquelle Santerre faisait défiler sa troupe pour lui faire quitter le château. Elle se présenta à ces factieux au milieu de ses enfants, avec ce courage et cette grandeur d’âme qu’elle avait montrés les 5 et 6 octobre, et qu’elle opposa toujours à leurs injures et à leurs violences.
Sa Majesté s’assit, ayant une table devant elle, Mgr le Dauphin à sa droite et Madame à sa gauche, entourée du bataillon des Filles-Saint-Thomas, qui ne cessa d’opposer un mur inébranlable au peuple rugissant, qui l’invectivait continuellement.
Plusieurs députés s’étaient aussi réunis auprès d’elle.
Santerre fait écarter les grenadiers qui masquaient la Reine, pour lui adresser ces paroles : » On vous égare, on vous trompe, Madame, le peuple vous aime mieux que vous le pensez, ainsi que le Roi ; ne craignez rien « .
« Je ne suis ni égarée ni trompée, répondit la Reine, avec cette dignité qu’on admirait si souvent dans sa personne, et je sais (montrant les grenadiers qui l’entouraient) que je n’ai rien à craindre au milieu de la garde nationale « .
Santerre continua de faire défiler sa horde en lui montrant la Reine. Une femme lui présente un bonnet de laine ; Sa Majesté l’accepte, mais sans en couvrir son auguste front. On le met sur la tête de Mgr le Dauphin, et Santerre, voyant qu’il l’étouffait, le lui fait ôter et porter à la main.
Des femmes armées adressent la parole à la Reine et lui présentent les sans-culottes ; d’autres la menacent, sans que son visage perde un moment de son calme et de sa dignité.
Les cris de « Vivent la Nation, les sans-culottes, la liberté ! à bas le veto ! » continuent.
Cette horde s’écoule enfin par les instances amicales et parfois assez brusques de Santerre, et le défilé ne finit qu’à huit heures du soir.
Madame Elisabeth, après avoir quitté le Roi, vint rejoindre la Reine, et lui donner de ses nouvelles.
Ce prince revint peu après dans sa chambre, et la Reine, qui en fut avertie, y entra immédiatement avec ses enfants.»
Vers dix heures du soir
Pétion et les officiers municipaux font évacuer le château.
Même s’il a subi une humiliation, Louis XVI a fait échouer la manifestation, par son obstination imprévue et sa fermeté tranquille, et il se tient désormais sur ses gardes.
Surtout, elle renforce l’opposition royaliste, le déchaînement de la foule et le courage du Roi suscitant un courant d’opinion en sa faveur. Des départements parviennent à Paris adresses et pétitions pour dénoncer la manifestation, même si de nombreux clubs envoient des pétitions hostiles au Roi.
Pétion est suspendu de ses fonctions de maire.
Louis XVI conserve sa détermination à défendre la Constitution en espérant un sursaut de l’opinion en sa faveur, ce qui se manifeste le 14 juillet, troisième fête de la fédération, étant l’objet de manifestations de sympathie.
Le 11 juillet 1792
«La patrie en danger».
Le 25 juillet 1792
Signature du manifeste de Brunswick, une mise en demeure de la France, sommée de respecter la famille royale. Les Parisiens sont outrés par le ton belliqueux du texte lorsqu’il est connu en France quelques jours plus tard.
Le 3 août 1792
Une majorité de sections de Paris demande la déchéance de Louis XVI.
Jeudi 9 août 1792
Marie-Antoinette va alternativement chez le Roi, et chez Ses enfants, accompagnée de Madame Elisabeth, et retourne dans le cabinet du Roi.
Le 10 août 1792
En pleine nuit, le tocsin sonne au couvent des Cordeliers. Danton lance alors les sections parisiennes à l’assaut de l’hôtel de Ville, met à la porte la municipalité légale et y installe sa «commune insurrectionnelle», qui s’effondrera le 9 thermidor avec Robespierre.
Le commandant de la garde Nationale, Galliot de Mandat, favorable à Louis XVI, est convoqué à l’hôtel de ville. C’est un piège. Dès qu’il y pénètre, il est assassiné. Son corps est jeté dans la seine, et sa tête, plantée sur une pique. Santerre, le roi des faubourgs, le remplace.
Les Tuileries constituent le dernier objectif. Pour défendre le palais, le Roi peut compter sur ses mille à mille deux cents gardes Suisses, sur trois cents chevaliers de Saint louis, sur une centaine de nobles et de gentilshommes qui lui sont restés fidèles. La Garde nationale est passée dans le camp adverse. Seul le bataillon royaliste des «filles de Saint Thomas» est demeuré fidèle au souverain.
On craint pour la vie de la Reine. Le Roi décide alors de gagner l’Assemblée nationale. Il est accompagné par sa famille, Madame Élisabeth, la princesse de Lamballe, la marquise de Tourzel, ainsi que des ministres, dont Étienne de Joly, et quelques nobles restés fidèles.
Roederer, le «procureur syndic du département» convainc le Roi de se réfugier à l’assemblée Nationale avec sa famille. Ceux qui ne font pas partie de la famille royale ne sont pas autorisés à les accompagner.
Dans ses mémoires, madame de Tourzel raconte ainsi la scène :
« Nous traversâmes tristement les Tuileries pour gagner l’Assemblée. MM. de Poix, d’Hervilly, de Fleurieu, de Bachmann, major des Suisses, le duc de Choiseul, mon fils et plusieurs autres se mirent à la suite de Sa Majesté mais on ne les laissa pas entrer ».
Le 10 août 1792, le dernier acte de Louis XVI, Roi des Français, est l’ordre donné aux Suisses «de déposer à l’instant leurs armes».
Louis XVI. en proie à la plus vive anxiété, se réfugie avec sa famille au sein de l’assemblée, où il entre en disant :
« Je suis venu ici pour éviter un grand crime qui allait se commettre. »
L’assemblée nationale fait entrer les membres de la famille royale dans la minuscule loge du logographe et continue les débats.
Revenu dans le château, Bachmann demande un ordre précis du Roi, et cet ordre ne venant pas, il organise la défense des Gardes suisses qui font face à l’envahissement des émeutiers.
Le soir du 10 août 1792
La famille royale est logée temporairement aux Feuillants dans des conditions difficiles : quatre pièces du couvent seulement leur sont dédiées… pendant trois jours.
Vendredi 11 août 1792
La Famille Royale se trouve sans vêtements de rechange. M. Pascal, officier des cent suisses, qui a une corpulence comparable à celle de Louis XVI, lui offre des vêtements ; la duchesse de Gramont transmet du linge de corps à Marie Antoinette ; la comtesse Gover-Sutherland, épouse de l’ambassadeur d’Angleterre, apporte des vêtements pour le prince royal.
Louis XVI apprenant l’envoi de linges que la duchesse de Gramont, sœur de feu le duc de Choiseul, vient de faire à la Reine, lui écrit le billet suivant, qui indique que la duchesse de Gramont ne borne pas ses offres à celle de quelques vêtements :
« Au sein de l’Assemblée nationale, le 11 août.
Nous acceptons, Madame, vos offres généreuses, l’horreur de notre position nous en fait sentir tout le prix, nous ne pourrons jamais reconnaître tant de loyauté que par la durée de nos plus tendres sentiments.
Louis. »
Louis XVI
Samedi 12 août 1792
Louis XVI et sa famille retournent, à dix heures, dans la loge du logographe.
Le soir, ils retournent aux Feuillants. Il espère y goûter un peu de repos et conserver avec lui les cinq gentilshommes qui l’avaient accompagné. Mais la garde est changée par des hommes jaloux et méchants. Le Roi passe, avec sa famille, dans la salle où l’on a préparé le souper. Ils sont servis, pour la dernière fois, par les cinq gentilshommes. La séparation prochaine rend ce repas triste et funèbre, car Louis XVI a appris qu’un décret ordonne de les faire arrêter. Louis XVI ne mange pas mais le prolonge autant qu’il le peut. Il ordonne aux cinq gentilshommes de le quitter, et leur fait embrasser ses enfants. Pendant ce temps, la garde monte pour se saisir d’eux mais ils arrivent à s’échapper par un escalier dérobé.
Le 13 août 1792
La Commune décide de transférer la famille royale au Temple… en passant par la place Louis XV qu’on a déjà rebaptisée Place de la Révolution, on montre au Roi comme la statue de son grand-père est en train d’être déboulonnée pour faire disparaître toutes les marques du régime qui devient dès lors ancien…
Selon madame de Tourzel, la famille royale, accueillie par Santerre, voit d’abord la cour du palais illuminée de lampions comme s’ils étaient attendus pour une fête ; on retrouve l’ambiance des grands couverts qui rythmaient la vie de Cour à Versailles et aux Tuileries…
Après un splendide dîner servi dans l’ancien palais du comte d’Artois ( où la famille royale espère encore être logée) , la messe est dite dans un salon. Après avoir visité les lieux, Louis XVI commence à répartir les logements.
A onze heures du soir
Alors que le Dauphin est gagné par le sommeil et que madame de Tourzel est surprise d’être emmenée en direction de la Tour, le Roi comprend qu’il a été joué par la Commune.
Pétion, qui estimait que la grande Tour était en trop mauvais état, a résolu de loger la famille royale dans la petite en attendant la fin des travaux ordonnés pour isoler la prison du monde extérieur.
La Tour qui tant frémir Marie-Antoinette, autrefois, qu’Elle avait demandé à Son beau-frère qu’il la détruise. Était-ce un pressentiment de Sa part?
Quittant les magnifiques salons du comte d’Artois, la famille royale est emmenée dans la petite tour pour être logés dans les appartements de Jacques-Albert Berthélemy, ancien avocat archiviste de l’ordre de Malte, détenteur de cette charge depuis 1774. Il avait obtenu ce logement de fonction en 1782, où il vivait , en vieux célibataire et il n’y avait véritablement de la place chez lui que pour loger un seul maître de maison. Pour des raisons de sécurité, les domestiques héritent des pièces du bas, les plus confortables, tandis que la famille royale loge dans les parties hautes de la tour, dans des pièces à l’abandon depuis des années. Du mobilier est apporté du Garde-Meuble et du palais du Temple afin de compléter celui de l’archiviste.
« La famille royale occupa d’abord la petite tour; il n’y avait que deux chambres à chaque étage, et une petite qui servait de passage de l’une à l’autre. On y plaça la princesse de Lamballe, et la Reine occupa la seconde chambre, en face de celle de Mgr le Dauphin. Le Roi logea au-dessus de la Reine, et l’on établit un corps de garde dans la chambre à côté de la sienne. Madame Élisabeth fut établie dans une cuisine, qui donnait sur ce corps de garde et dont la saleté était affreuse. »
Le 20 août 1792
On vient chercher tous ceux qui n’appartiennent pas à la Famille Royale stricto sensu. Madame de Lamballe, Madame de Tourzel et sa fille Pauline sont transférées dans l’affreuse prison de la Petite Force, les trois dames sont réunies dans une seule cellule assez spacieuse.
Le 3 septembre 1792
Assassinat de la princesse de Lamballe (1749-1792) dont la tête, fichée sur une pique, est promenée sous les fenêtres de Marie-Antoinette au Temple.
Massacres dans les prisons.
Madame de Tourzel et sa fille Pauline, future comtesse de Béarn, en réchappent.
Le 20 septembre 1792
Victoire de Valmy, considérée comme l’acte de naissance de la République.
Le 21 septembre 1792
Abolition de la royauté.
Peu à peu la Famille Royale adopte un rythme de vie régulier :
6 h : lever du Roi. Prière. Le reste de la famille se lève un peu plus tard.
9 h : petit-déjeuner, assez copieux, du moins au début puis instruction des enfants
12 h : promenade sur le chemin de ronde
13 h : retour dans les appartements
14 h : déjeuner puis jeux du type échecs et broderie
16 h : sieste du Roi puis, de nouveau, instruction des enfants
20 h : dîner et coucher des enfants
21 h : dîner des adultes
Vers minuit : coucher
Le 20 novembre 1792
Découverte de l’ «armoire de fer» aux Tuileries.
Le 3 décembre 1792
Pétion renforce la décision de faire juger Louis XVI par la Convention.
Le 11 décembre 1792
Louis comparaît devant la Convention pour la première fois. Il est autorisé à choisir un avocat. Il demandera l’aide de Tronchet, de De Sèze et de Target. Celui-ci refusera. M. de Malesherbes (1721-1794) se portera volontaire.
Le 26 décembre 1792
Seconde comparution de Louis XVI devant la Convention.
Le 13 janvier 1793
Les commissaires de service au Temple informent le Conseil général que la fille de Marie-Antoinette, étant malade depuis quinze jours, et ses jambes commençant à s’engorger, par l’effet d’une incommodité naturelle à son sexe, demande que le médecin Brunier vienne la voir .
Le conseil arrête que le docteur Brunier pourra voir et soigner la malade, mais qu’il ne pourra communiquer avec Marie-Antoinette qu’en présence des commissaires de service et que toutes les drogues seront dégustées par l’apothicaire.
Du 16 au 18 janvier 1793
La Convention vote la mort du Roi. Philippe Égalité est l’un de ceux qui ont donné leur voix pour la peine capitale.
Le 20 janvier 1793
Louis XVI passe la soirée avec sa femme, sa soeur et ses enfants pour leur dire adieu.
Le 21 janvier 1793
Dix heures vingt-deux minutes
Exécution de Louis XVI qui a pu prendre congé de sa famille la veille et être accompagné à l’échafaud par un prêtre insermenté, l’abbé Edgeworth de Firmont (1745-1807), recommandé par Madame Elisabeth.
« Ma mère ne voulait plus descendre dans le jardin, car cela l’obligeait à passer la porte de la chambre de mon père, ce qui la faisait trop souffrir; mais craignant que le manque d’air ne puisse nuire à mon frère et à moi-même, elle demanda, en février, de monter sur la tour, ce qui lui fut accordé.»
Marie-Thérèse de France
Le 24 janvier 1793
Madame Royale est soignée par le Docteur Brunier :
Le 28 février 1793
Le valet de chambre Cléry (1759-1809) est renvoyé du Temple
Le 10 mars 1793
Formation du Tribunal révolutionnaire.
Le 20 mars 1793
Après l’exécution du Roi, Marie-Antoinette demeure au Temple avec Ses deux enfants et Sa belle-sœur Élisabeth.
Quelques fidèles ont tenté de les faire évader.
D’abord un officier municipal, nommé Toulan, Méridional au cœur chaud qui, muni d’un billet de la Reine, entre en rapport avec Jarjayes et Lui soumet un plan hasardeux. Des habits d’officiers municipaux seront cachés dans la Tour, la Reine et Madame Élisabeth les revêtiront le jour où Toulan sera de garde avec son collègue Lepitre, comme lui royaliste de cœur.
Un faux lampiste viendra allumer les réverbères, les enfants déguisés lui seront remis, ils passeront pour les siens.
Tout paraît d’abord succéder.
Adroit, Toulan fait pénétrer au Temple Jarjayes qui, ayant parlé à la Reine, fournit les fonds nécessaires. On se procure des voitures et des passeports; les fugitifs doivent gagner la Normandie puis l’Angleterre.
Mais Toulan est dénoncé a la Commune et le projet avorte. Marie-Antoinette pourrait s’enfuir seule, Elle refuse, veut partager le sort de Ses enfants :
« Nous avons fait un beau rêve, voilà tout… »
Le 6 avril 1793
Formation du Comité de Salut public.
Le 22 juin 1793
Le baron de Batz, singulier personnage au cerveau débordant d’idées, royaliste fougueux, financier sans vergogne, s’il n’a pu sauver Louis XVI le 21 janvier, n’a pas renoncé a sauver sa famille.
A son tour, ce diable d’homme, aidé de l’officier municipal Mîchonis et d’un épicier appelé Cortey, capitaine dans la garde nationale, s’introduit au Temple, le jour où Michonis est de service à la Tour.
Les princesses, revêtues de capotes d’uniforme, doivent sortir l’arme au bras avec le petit Roi dans une patrouille conduite par Cortey.
Le 29 juin 1793
Prise de remords terribles, Madame Tison sombre bientôt dans la folie . Il faut la retirer de la tour du Temple.
Le 3 juillet 1793 à dix heures du soir
Louis-Charles, Louis XVII, est enlevé à sa mère et confié au cordonnier Antoine Simon (1736-1794).
Pendant une heure
La Reine lutte pour convaincre les cinq municipaux de Lui laisser Son fils … en vain …
Ce n’est que lorsque les envoyés du Comité de salut public La menacent de s’en prendre à la vie de Ses enfants que Marie-Antoinette les laissent emmener Son Chou d’amour qui logera dans l’ancien «appartement » de Louis XVI, un étage en dessous…
Le savetier Antoine Simon, un ivrogne qui sait à peine lire, sera son nouvel instituteur.
La Reine reste avec Sa fille et Sa belle-sœur. Elle guette les passages de Son fils dans l’escalier du Temple.
« Ma mère ne descendait plus dans le jardin, parce que cela l’obligeait à passer la porte de la chambre de mon père, ce qui la peinait trop ; mais craignant que le manque d’air ne nuise à mon frère et à moi, elle demanda, en février, de monter sur la Tour, qui lui fut accordée.»
Récit de Marie-Thérèse
Le 2 août 1793
à deux heures quarante du matin
Marie-Antoinette est transférée de nuit à la Conciergerie. Elle dit adieu à Sa fille et à Sa belle-sœur…
Elle y sera traitée avec une certaine bienveillance par une partie du personnel de la prison, dont surtout Rosalie Lamorlière (1768-1848).
Août 1793
Grâce à Michonis Marie-Antoinette obtient qu’on Lui envoie du Temple un colis de la part de Madame Élisabeth contenant des chemises, deux paires de bas de soie noire, une cape et une paire de chaussures à la «Saint-Huberty», dont Elle avait besoin d’urgence, car les Siennes étaient pourries par l’humidité…
Le 5 septembre 1793
La Terreur est mise à l’ordre du jour.
Le 17 septembre 1793
Loi des suspects
Le 3 octobre 1793
La Reine est déférée au Tribunal révolutionnaire.
Hébert prépare son ignoble accusation d’inceste. On fait signer un aveu au petit Louis-Charles, qui y révèle des choses affreuses , notamment que sa mère et sa tante le faisaient souvent coucher entre elles… Lorsqu’Élisabeth est confrontée à son neveu elle ne peut relâcher :
« Le petit monstre !!!»
Le 7 octobre 1793
Madame Royale est à son tour confrontée aux hommes qui ont interrogé son frère. Louis-Charles est dans un grand fauteuil et ne cache pas sa joie de revoir sa soeur qui se jette dans ses bras. Madame Simon sépare aussitôt les enfants et on passe à l’interrogatoire de la jeune fille, terrorisée.
Interrogatoire de Marie-Thérèse, fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette :
Et le seizième jour du premier mois, l’an second de la République française une et indivisible, une heure de relevée, nous sommes transportés comme dessus avec le citoyen David, député à la Convention nationale et membre du Comité de sûreté générale, avons appelé Thérèse Capet, laquelle avons interpellé de dire vérité, ce qu’elle a promis.
D. Si elle connait le citoyen Dangé, officier municipal ?
R. Qu’elle a entendu prononcer son nom par ses collègues, mais qu’elle ne le connait pas.
D. Si elle ne l’a pas vu embrasser son frère vers la fin de l’année dernière?
R. Qu’elle ne l’a pas vu.
D. Si elle a vu pareillement le citoyen Toulan, membre du conseil?
R. Qu’elle ne l’a pas vu et ne le connait pas.
D. Si elle a vu et connait Jobert, membre du conseil, et si elle se rappelle lui avoir vu tenir une boite remplie de petites figures de cire ?
R. Que oui, et que Simon même était présent.
D. Si Jobert lui parlait souvent en particulier ?
R. Que non.
D. Si elle se rappelle d’une soirée ou il faisait fort froid, ou on les enferma elle et son frère dans une tourelle tandis que les membres du conseil ci-dessus désignés s’entretenaient avec la femme Capet et sa belle-sœur?
R. Que c’était pour les accoutumer au froid et qu’ils s’occupaient à y jouer.
D. Si elle se rappelle avoir entendu un colporteur qui criait les nouvelles à dix heures et demie du soir, aux environs du Temple?
R. Qu’elle a bien entendu le colporteur, mais qu’à dix heures environ elle était toujours couchée.
D. Si elle se rappelle avoir entendu Toulan promettre à sa mère et à sa tante de leur envoyer un colporteur tous les soirs à dix heures et demie pour crier les nouvelles qui pourraient les intéresser?
R. Qu’elle ne s’en est pas aperçue.
D. Si lorsqu’elle jouait avec son frère il ne la touchait pas où il ne fallait pas qu’elle fut touchée ; si on ne faisait pas sauter son frère sur une couverture, et si ses mère et tante ne le faisaient pas coucher entre elles ?
R. Que non.
Et de suite avons fait venir Charles Capet, et l’avons invité à nous déclarer si ce qu’il a dit hier relativement aux attouchements sur sa personne était vrai ?
R. A persisté dans ses dire, les a répété et soutenu devant sa sœur et a persisté à dire que c’était la vérité.
D. Interpellé une seconde fois de déclarer si cela était bien vrai, a répondu : Oui, cela est vrai ; sa sœur a dit ne l’avoir pas vu.
A elle observé que son frère nous a paru avoir déclaré la vérité; qu’étant presque toujours ensemble, il était impossible qu’elle ne se fut pas aperçue de tout ce qu’avait déclaré son frère.
R. Qu’il peut se faire que son frère, ait vu des choses qu’elle n’a pas vu, attendu qu’elle était occupée pour son instruction.
D. Si elle était constamment avec sa mère et sa tante ?
R. Presque toujours.
D. Si souvent les deux femmes ci dessus ne s’enfermaient pas très souvent avec des officiers municipaux?
R. Qu’elle ne se souvient que de la fois qu’on les enferma dans la tourelle pour jouer.
D. Combien elle a resté dans cette tourelle?
R. Qu’elle ne s’en souvient plus.
Et Charles interpellé, répond : A peu près une heure.
D. A quel jeu elle jouait dans cette tourelle ?
R. Qu’ils causaient des effets du froid dans les pays du Nord et de la mort qui pourrait s’en suivre si l’on s’endormait au froid.
D. Si elle se rappelle comment elle est sortie du château le jour qu’ils sont partis pour aller à Varennes, et si elle a vu Lafayette? (Cette question a trait à une déclaration verbale faite hier par Charles en notre présence et qui se trouve ici développée.)
R. Qu’elle a vu la voiture de Lafayette ou du moins qu’elle a cru que c’était lui parce qu’il y avait deux gendarmes devant.
Sur ce Charles lui a observé qu’il y avait des flambeaux et qu’il a eu peur.
D. A quelle heure ils sont sortis du château?
R. Répondent l’un et l’autre : vers dix et onze heures du soir, que lui était couché et qu’on l’avait habillé en fille, presqu’endormi ; observent tous les deux que tout cela s’est passé dans le silence, qu’ils sont descendus par un escalier dérobé d’une femme de garde-robe de leur mère nommée Rochereuil, et elle, Thérèse, reprend la parole pour dire que la femme Rochereuil ne l’a pas su.
D. Comment étaient habillés ses père, mère et tante?
R. Tout simplement; qu’elle ne se souvient plus des noms qu’ils portaient l’un et l’autre, mais que sa mère avait pris le titre de femme de chambre de madame de Tourzel, et qu’eux enfants passaient pour les enfants de ladite dame de Tourzel, laquelle se faisait appeler baronne de Corf ou à peu près.
A eux observé que l’un des deux veut cacher la vérité, vu qu’ils ne s’accordent pas.
Répondent tous les deux ensemble : Ce n’est pas moi !
Charles observe à sa sœur qu’elle a vu les officiers municipaux causer avec sa tante et sa mère et qu’il peut se faire qu’elle l’ait oublié.
Thérèse répond qu’elle peut l’avoir oublié, car elle ne s’en souvient pas.
Charles reprend; lui rappelle l’anecdote des tourelles où on les avait enfermés.
Ce dont elle se souvient très bien, mais elle observe que son frère ayant plus d’esprit qu’elle et observant mieux elle peut avoir échappé ce qu’il a saisi.
Charles observe que même lorsqu’ils furent sortis de la tourelle, Toulan et Lepitre, désigné par Charles comme boiteux, causaient encore avec leur mère et leur tante.
Sur ce Thérèse répond qu’elle prit un livre, mais elle se rappelle avoir entendu Toulan causer de son pays un jour avec ses collègues durant le souper.
A elle observé qu’elle nous a dit ne pas connaitre Toulan, et que cependant elle prouve actuellement le connaitre.
Répond qu’elle se le rappelle en ce moment.
Interpellés l’un et l’autre de dire s’ils connaissent Renard, architecte?
Thérèse répond qu’elle ne le connait pas.
Charles répond en la regardant qu’il le connait.
Et Thérèse reprend qu’elle se souvient de lui.
A eux demandé, si Renard allait souvent au château ?
Répondent qu’il y allait quand on avait quelque chose à faire faire dans les appartements.
Lecture à eux faite du présent interrogatoire, ont déclarés, qu’il contenait vérité, y persistent et ont signé et paraphé avec nous.
Le présent clos à deux heures le jour que dessus.
THERÈSE CAPET, LOUIS CHARLES CAPET.
DAVID, PACHE, DAUJON (1), officier municipal; CHAUMETTE, HEUSSÉE , administrateur de police; D. E. LAURENT.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) :pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de noteshistoriques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, pp.71-78.
Interrogatoire de madame Elisabeth :
Et de suite avons fait descendre Elisabeth Capet, et lui avons demandé si elle connait les citoyensDangé, Toulan, Lepitre, Brunot, Vincent, Moelle,
Lebœuf, Beugnot, Michonis et Jobert ?
R. Qu’elle les connait de vue et de nom comme Laurent, Seguy, Simon, Heussée, ci-présent.
D. Si elle se rappelle avoir vu Dangé prendre Charles dans ses bras, l’embrasser en lui disant : « Je voudrais vous voir à la place de votre père » ?
R. Qu’elle ne s’en est pas aperçue.
D. Si elle se rappelle une soirée où il faisait froid et que l’on avait enfermé les deux enfants dans une des tourelles, tandis qu’elle s’entretenait avec Toulan et Lepitre ?
R. Qu’elle ne s’en rappelle pas.
D. A quelle époque à peu près Toulan avait promis de faire venir un colporteur aux environs de la Tour, à l’effet d’y crier les nouvelles qui pourraient les intéresser?
R. Que jamais Toulan ni aucun autre ne leur a fait une pareille promesse.
Sur ce Charles Capet, amené et interpellé de déclarer les faits, a dit persister dans ses dires, alors il s’élève une discussion entre les deux, et l’enfant soutient qu’il a dit la vérité.
A elle lue la déclaration de Charles au sujet des indécences mentionnées en la pièce en date du quinze présent mois.
R. Qu’une pareille infamie est trop au dessous et trop loin d’elle pour pouvoir y répondre ; que d’ailleurs l’enfant avait cette habitude longtemps auparavant, et qu’il doit se rappeler qu’elle et sa mère l’en ont grondé plusieurs fois.
Charles interpellé de s’expliquer à ce sujet, atteste qu’il a dit la vérité.
A elle lu le reste de la déclaration de Charles sur le même sujet et dans laquelle il persiste, ajoutant qu’il ne se rappelle pas les époques, mais que cela arrivait fréquemment.
R. Que comme cela ne regarde qu’elle, elle n’y répondra pas plus qu’au reste, et qu’elle croit devoir être par sa conduite à l’abri du soupçon.
Charles interpellé de déclarer qui l’avait instruit le premier dans cette pratique ?
R. Les deux ensemble.
Et sur l’observation à lui faite par sa tante qu’il avait commencé une autre phrase, répond : toutes deux ensemble.
D. De déclarer si cela arrivait le jour ou la nuit?
R. Qu’il ne s’en souvient pas, mais qu’il croit que c’était le matin.
A elle demandé si c’était Renard architecte qui conduisait la marche à travers les corridors lors de la fuite pour Varennes ?
Répond qu’elle est descendue par l’escalier de son appartement ; qu’elle n’a point traversé de corridor, et que Renard n’était pas avec elle.
A elle demandé si elle a vu la voiture de Lafayette ?
Charles dit qu’elle ne peut l’avoir vu, parce qu’elle n’était pas encore dans la voiture.
Elle répond qu’elle l’a vu en passant à pied au moment où elle sortait de la petite cour appelée des Princes, pour gagner sa voiture.
A elle demandé si elle se rappelle avoir vu entre les mains de Jobert, officier municipal, une petite boîte remplie de figures de cire, qu’il disait être l’ouvrage de sa fille ?
Répond qu’elle s’en souvient.
Lecture a elle faite du présent interrogatoire, a déclaré contenir vérité, y a persisté et signé et paraphé avec nous.
Le présent clos le jour et an que dessus, trois heures et demie de relevée.
ELISABETH CAPET, LOUIS CHARLES CAPET, SEGUY, DAVID, PACHE, CHAUMETTE, HEUSSÉE, administrateur de police; DAUJON, D. E. LAURENT.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) :pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de noteshistoriques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, pp.78-81.
Le 16 octobre 1793
Marie-Antoinette est condamnée à mort, en rentrant dans Sa cellule, Elle adresse à Madame Élisabeth cette ultime lettre qui ne lui parviendra jamais :
ce 16 8bre à 4 h ½ du matin
« C’est à vous, ma Sœur, que j’écris pour la dernière fois. Je viens d’être condamnée non pas à une mort honteuse, elle ne l’est que pour les criminels, mais à aller rejoindre votre frère ; comme lui innocente, j’espère montrer la même fermeté que lui dans ces derniers moments. Je suis calme comme on l’est quand la conscience ne reproche rien, j’ai un profond regret d’abandonner mes pauvres enfants ; vous savez que je n’existais que pour eux, et vous, ma bonne et tendre Sœur : vous qui avez par votre amitié tout sacrifié pour être avec nous ; dans quelle position je vous laisse ! J’ai appris par le plaidoyer même du procès que ma fille était séparée de vous. Hélas ! la pauvre enfant, je n’ose pas lui écrire, elle ne recevrait pas ma lettre je ne sais même pas si celle-ci vous parviendra, recevez pour eux deux ici, ma bénédiction. J’espère qu’un jour, lorsqu’ils seront plus grands, ils pourront se réunir avec vous, et jouir en entier de vos tendres soins. Qu’ils pensent tous deux à ce que je n’ai cessé de leur inspirer, que les principes, et l’exécution exacte de ses devoirs sont la première base de la vie ; que leur amitié et leur confiance mutuelle, en feront le bonheur ; que ma fille sente qu’à l’âge qu’elle a, elle doit toujours aider son frère pour les conseils que [rature] l’expérience qu’elle aura de plus que lui et son amitié pourront lui inspirer ; que mon fils à son tour, rende à sa sœur, tous les soins, les services que l’amitié peut inspirer ; qu’ils sentent enfin tous deux que, dans quelque position où ils pourront se trouver, ils ne seront vraiment heureux que par leur union. Qu’ils prennent exemple de nous, combien dans nos malheurs, notre amitié nous a donné de consolations, et dans le bonheur on jouit doublement quand on peut le partager avec un ami ; et où en trouver de plus tendre, de plus cher que dans sa propre famille ? Que mon fils n’oublie jamais les derniers mots de son père, que je lui répète expressément : qu’il ne cherche jamais à venger notre mort. J’ai à vous parler d’une chose bien pénible à mon cœur. Je sais combien cet enfant, doit vous avoir fait de la peine ; pardonnez-lui, ma chère Sœur ; pensez à l’âge qu’il a, et combien il est facile de faire dire a[sic]un enfant ce qu’on veut, et même ce qu’il ne comprend pas, un jour viendra, j’espère, où il ne sentira que mieux tout le prix de vos bontés et de votre tendresse pour tous deux il me reste à vous confier encore mes dernières pensées. J’aurais voulu les écrire dès le commencement du procès ; mais, outre qu’on ne me laissait pas écrire, la marche en a été si rapide, que je n’en aurais réellement pas eu le temps.
Je meurs dans la religion catholique, apostolique et romaine, dans celle de mes pères, dans celle où j’ai été élevée, et que j’ai toujours professée, n’ayant aucune consolation spirituelle à attendre, ne sachant pas s’il existe encore ici des prêtres de cette religion, et même le lieu où je suis les exposerait trop, si ils y entraient une fois. Je demande sincèrement pardon à Dieu de toutes les fautes que j’ai pu commettre depuis que j’existe. J’espère que dans sa bonté il voudra bien recevoir mes derniers vœux, ainsi que ceux que je fais depuis longtemps pour qu’il veuille bien recevoir mon âme dans sa miséricorde et sa bonté. Je demande pardon à tout ceux que je connais, et à vous, ma Sœur, en particulier, de toutes les peines que, sans le vouloir, j’aura pu vous causer. Je pardonne à tous mes ennemis le mal qu’ils m’ont fait. Je dis ici adieu à mes tantes [rature] et à tous mes frères et sœurs. J’avais des amis, l’idée d’en être séparée pour jamais et leurs peines sont un des plus grands regrets que j’emporte en mourant, qu’ils sachent, du moins, que jusqu’à mon dernier moment, j’ai pensé à eux. Adieu, ma bonne et tendre Sœur ; puisse cette lettre vous arriver ! pensez toujours à moi ; je vous embrasse de tout mon cœur, ainsi que ces pauvres et chers enfants ; mon Dieu ! qu’il est déchirant de les quitter pour toujours. Adieu, adieu ! je ne vais plus m’occuper que de mes devoirs spirituels. Comme je ne suis pas libre dans mes actions, on m’amènera peut-être, un prêtre, mais je proteste ici que je ne lui dirai pas un mot, et que je le traiterai comme un être absolument étranger.»
A douze heures un quart
Exécution de Marie-Antoinette, place de la Révolution.
La tombe de Louis-Joseph, premier Dauphin, à Saint-Denis est profanée.
Madame Royale et sa tante restent dans l’ignorance du sort de Marie-Antoinette.
Le 9 décembre 1793
Décès à Vienne de Yolande de Polignac (née le 8 septembre 1749), son ancienne gouvernante «morte de douleur», en exil à Vienne. On lui a pourtant caché la façon dont Marie-Antoinette est morte , lui disant qu’Elle s’est éteinte en prison…
Hiver 1793-1794
Le Père Duchesne, à la fin de l’automne ou au début de l’hiver 1793, appelle à l’exécution de Madame Elisabeth :
« Pas de quartier à la racaille ! Quand il y a du mauvais sang, il faut le laisser faire. La Convention s’est couverte de gloire en se purgeant de la crasse tardive… Si les traîtres ne sont pas tous guillotinés, vous serez les prochains à tomber. Exigez, par l’enfer, que tout ce qui reste de la race Capet soit immolé, et surtout que la jeune Babet [Madame Elisabeth] soit envoyée rejoindre son prétendu Manuel. Ne lâchons pas prise tant que le dernier des Brissotines n’aura pas passé la tête par la fenêtre.
Le 9 mai 1794 au soir
« Au moment où nous allions nous coucher, les verrous furent retirés et quelqu’un frappa à notre porte. Ma tante a répondu qu’elle mettait sa robe; ils répondirent qu’elle ne devait pas être si longue, et ils frappèrent si fort qu’on crut que la porte allait s’enfoncer. Elle l’ouvrit en s’habillant. Ils lui dirent : « Citoyenne , tu veux bien descendre. »
Marie-Thérèse de France
« Et ma nièce ?
-Nous nous occuperons d’elle plus tard.»
Ma tante m’a embrassé et m’a dit de rester calme car elle reviendrait bientôt.
« Non, citoyenne, tu ne reviendras pas, lui dirent-ils ; Prends ta coiffe et descends.»
Ils l’accablèrent alors d’injures et de grossièretés ; elle supporta tout avec patience, prit son bonnet ; m’embrassa de nouveau, et me dit d’avoir du courage et de la fermeté, d’espérer toujours en Dieu, de pratiquer les bons principes de religion que m’avaient donnés mes parents, et de ne pas faillir aux dernières instructions que me donnaient mon père et ma mère .»
On extirpe Madame Élisabeth du Temple, on la conduit à la Conciergerie où à son arrivée personne ne lui dit ce qu’il est advenu de la Reine… elle pense être mise en cellule avec Elle, mais devant la gêne et le silence elle pense que Marie-Antoinette en tant que Reine déchue est mise au secret…
Madame Royale reste seule au Temple, au dessus de chez son petit frère…
« Un jour vint [dans ma prison] un homme que je crois être Robespierre. Les officiers lui témoignaient un grand respect. Sa visite était un secret même pour les gens de la Tour, qui ne savaient pas qui il était ; ou, du moins, ne me le disait pas : il me dévisageait avec insolence, jeta les yeux sur mes livres, et, après s’être joint aux officiers municipaux dans une perquisition, se retira. »
Madame Royale, Mémoires
L’été 1794
Des admirateurs anonymes louent un appartement au quatrième étage de la rotonde qui fait face à la tour du Temple. Là, profitant de ce que les bruits portent facilement, ils organisent de petits concerts de musique de chambre, toutes fenâtes ouvertes, pour en faire profiter l’illustre prisonnière. Parmi les habitués de ces petits concerts, la police identifie les anciens valets de Louis XVI, Hue et Cléry, et leurs épouses, ainsi que Madame de Tourzel et ses filles. Ces dernières qui se doutent de la situation de la princesse, s’offrent pour lui tenir compagnie.
Jacques Bernot, Madame de Tourzel, gouvernante des enfants de Louis XVI (2022) ; Nouvelles Editions Latines
« Je suis restée dans une grande désolation quand j’ai été séparée de ma tante ; Je ne savais pas ce qu’elle était devenue et personne ne voulait me le dire. Je passai une nuit très cruelle : et pourtant, bien que j’étais très inquiète de son sort, j’étais loin de penser que je la perdrais en quelques heures. Parfois je me persuadais qu’on la renverrait hors de France ; puis, quand je me rappelai la manière dont ils l’avaient emmenée, mes craintes reprirent.»
Marie-Thérèse de France
Le 27 juillet 1794
Chute de Maximilien de Robespierre ( né le 6 mai 1758), il est guillotiné le lendemain.
Le 9 novembre 1794
(1757-1841) est nommé adjoint de Laurent. Gomin est droit, bon et sensible. Il est ému au moment où il foule pour la première fois l’escalier qu’a emprunté Louis XVI pour aller à l’échafaud.
Le 8 juin 1795
Mort de Louis XVII à l’âge de dix ans. Il était atteint de tuberculose osseuse.
Le 24 juin 1795
Monsieur, toujours en émigration , est proclamé Roi sous le nom de Louis XVIII.
Après le décès de Louis XVII, sa sœur est mieux traitée au Temple. Son ordinaire change totalement.
En effet, par arrêté du 25 Prairial An III (13 juin 1795) du Comité de Sûreté Générale (Archives Nationales -AFII 278, folio 1605, F7-4392) -donc un jour après la signature de l’Acte de décès de son prétendu frère – Madame Renée Hillaire de Chanterenne (1762-1838) est nommée Dame de Compagnie de la Princesse.
Elle est autorisée à recevoir des visites, notamment celle de sa compagne de jeu à Versailles, aux Tuileries et quelques jours au Temple, Pauline de Tourzel ainsi que la mère de cette dernière.
Sa garde-robe fut entièrement transformée : jolies robes aux belles couleurs, rubans etc.. aucune tenue de deuil !.. …(Le Bulletin du Temple note que pour le 10 août 1795 sont livrés à Madame Royale, chemises de toile fine de Hollande, bas de soie de couleur, souliers, déshabillés avec taffetas ; au 20 septembre 1795 : elle s’habille d’une robe de nankin vive tous les jours ; etc..).
Pourtant, ses donneurs d’ordre et elle-même sont supposés savoir que son frère vient de mourir…
Dans une lettre adressée à son oncle, le comte de Provence, avant d’arriver à Vienne, elle s’apitoie de la mort de ses parents et de sa tante mais aucun mot sur celle de son frère.
Le 3 septembre 1795
Madame de Tourzel et sa fille, Pauline, rendent, pour la première fois, visite à Madame Royale, l’Orpheline du Temple :
« En arrivant au Temple, je remis ma permission aux deux gardiens de Madame, et je demandais à voir Madame de Chantereine en particulier. Elle me dit que Madame était instruite de tous ces malheurs, qu’elle nous attendait et que nous pouvions entrer. Je la priai de dire à Madame que nous étions à la porte. Je redoutais l’impression que pouvait produire sur cette princesse la vue de deux personnes qui, à son entrée au Temple, accompagnaient ce qu’elle avait de plus cher au monde, et dont elle était réduite à pleurer la perte; mais heureusement la sensibilité qu’elle éprouva n’eût aucune suite fâcheuse. Elle vint à notre rencontre, nous embrassa tendrement, et nous conduisit à sa chambre, ou nous confondîmes nos larmes sur les objets de ses regrets. Elle ne cessa de nous en parler, et nous fit le récit le plus touchant et le plus déchirant du moment où elle se sépara du Roi son père, dont elle était si tendrement aimée, et auquel elle était si attachée.
Je ne puis ajouter au récit de Cléry qu’un trait, qui peint la grandeur d’âme de ce prince et son amour pour son peuple.»
Je laisse parler Madame :
« Mon père, avant de se séparer de nous pour jamais, nous fit promettre à tous de ne jamais penser à venger sa mort; et il était bien assuré que nous regarderions comme sacré l’accomplissement de sa dernière volonté. Mais la grande jeunesse de mon frère lui fit désirer de produire sur lui une impression plus forte. Il le prit sur ses genoux et lui dit: « Mon fils, vous avez entendu ce que je viens de dire; mais comme le serment est encore quelque chose de plus sacré que les paroles, jurez, en levant la main, que vous accomplirez la dernière volonté de votre père.»
Mon frère lui obéit en fondant en larmes, et cette bonté si touchante fit encore redoubler les nôtres.»
On ne peut rien ajouter à une semblable réflexion dans un pareil moment. Nous avions laissé Madame faible et délicate, et en la revoyant au bout de trois ans de malheurs sans exemple, nus fûmes bien étonnées de la trouver belle, grande et forte, avec cet air de noblesse qui fait le caractère de son visage. Nous fûmes frappées, Pauline et moi, d’y retrouver les traits du Roi, de la Reine, et même de Madame Élisabeth. Le ciel la destinait à être le modèle de ce courage qui, sans rien ôter à la sensibilité, rend cependant capable de grandes actions, ne permit pas qu’elle succombât sous le poids de tant de malheurs. Madame en parlait avec une douceur angélique; nous ne lui vîmes jamais un seul sentiment d’aigreur contre les auteurs de tous ses maux. Digne fille du Roi son père , elle plaignait encore les français, et elle aimait toujours ce pays où elle était si malheureuse; et sur ce que je lui disais que je ne pouvais m’empêcher de désirer sa sortie de France pour la voir délivrée de son affreuse captivité, elle me répondit avec l’accent de la douleur: «J’éprouve encore de la consolation en habitant un pays ou reposent les cendres de ce que j’avais de plus cher au monde. ». Elle ajouta, fondant en larmes et sur le ton le plus déchirant: «J’aurais été plus heureuse de partager le sort de mes bien-aimés parents que d’être condamnée à les pleurer.»
Qu’il était douloureux et touchant en même temps d’entendre s’exprimer ainsi une jeune princesse de quinze ans, qui, dans un âge où tout est espoir et bonheur, ne connaissait encore que la douleur et les larmes! Elle nous parla avec attendrissement du jeune Roi son frère, et des mauvais traitements qu’il essuyait journellement […]. Je ne pus m’empêcher de demander à Madame comment avec tant de sensibilité, et dans une si affreuse solitude, elle avait pu supporter tant de malheurs.
Rien de si touchant que sa réponse, que je ne puis m’empêcher de transcrire: « Sans religion, c’eût été impossible; elle fut mon unique ressource, et me procura les seules consolations dont mon cœur puisse être susceptible; j’avais conservé les livres de piété de ma tante Élisabeth; je les lisais, je repassait ses avis dans mon esprit, je cherchais à ne pas m’en écarter et à les suivre exactement.
En m’embrassant pour la dernière fois et m’excitant au courage et à la résignation, elle me recommanda positivement de demander que l’on mit une femme auprès de moi. Quoique je préférasse infiniment ma solitude à celle que l’on y aurait mise alors, mon respect pour les volontés de ma tante ne me permit pas d’hésiter.
On me refusa, et j’avoue que j’en suis bien aise. Ma tante, qui ne prévoyait que trop le malheur auquel j’étais destinée, m’avait accoutumée à me servir seule et à n’avoir besoin de personne. Elle avait arrangé ma vie de manière à en employer toutes les heures: le soin de ma chambre, la prière, la lecture, le travail, tout était classé. Elle m’avait habituée à faire mon lit seule, me coiffer, me lacer, m’habiller, et elle n’avait, de plus, rien négligé de ce qui pouvait entretenir ma santé. Elle me faisait jeter de l’eau pour rafraîchir l’air de ma chambre, et avait exigé, en outre, que je marchasse avec une grande vitesse pendant une heure, la montre à la main, pour empêcher la stagnation des humeurs.»
Ces détails si intéressants à entendre de la bouche même de Madame nous faisaient fondre en larmes.»
Mémoires de madame de Tourzel
La jeune détenue reçoit ses amies avec l’empressement et la joie de l’amitié, auxquels se confondent les larmes. Elles passent plusieurs heures en sa compagnie et dînent avec elle. Pauline est presque surprise de retrouver une jeune fille en bonne santé : elle la trouve « belle, grande et forte. Sa figure offr(e) un mélange des traits du Roi, de la Reine et de Madame Elisabeth.»
Elle leur parle de ses malheurs «avec une douceur angélique sans un seul sentiment d’aigreur contre les auteurs de ses maux» et confie qu’elle aurait préféré partager le sort de ses parents à être condamnée à les pleurer.
Le 6 septembre 1795
Louise-Elisabeth et Pauline rendent à nouveau visite à Madame Royale qui glisse dans la main de la jeune fille un morceau de papier en lui disant : « vous le lirez». Arrivée à l’hôtel de Charost, Pauline ouvre ce papier qui porte pour suscription : « A ma chère Pauline»
« Ma chère Pauline, le plaisir que j’ai eu à vous voir a beaucoup contribué à soulager mes maux. Tout le temps que j’ai été sans vous voir, j’ai beaucoup songé à vous. Malgré tout ce que j’ai eu à souffrir j’ai craint pour vous à la Force ; j’ai été tranquille en apprenant que vous étiez sauvée et en espérant que vous n’y retourneriez plus. Mon espérance est déçue : on vous replonge dans un nouveau cachot, pour y passer bien plus de temps que dans le premier. Enfin vous en sortez heureusement. Je n’ai su votre seconde détention que quand vous étiez sortie de Port-Royal ; depuis ce temps vous tâchez d’être réunie avec moi ou du moins de me voir. Quand je ne vous aurais pas connue et aimée comme je vous aimais, tant de preuves d’attachement, que vous avez données à mes parents et à moi, m’auraient attachée à vous pour la vie ; jugez par la tendresse avec laquelle je vous aimais déjà combien mon amour doit être augmenté. je vous aime, et vous aimerai toute ma vie.
A la Tour du Temple, ce 6 septembre
Marie-Thérèse-Charlotte. »
Madame Royale
Les dames de Tourzel obtiennent la permission de revenir à la tour du Temple tous les cinq jours à peu près. Elles arrivent à midi et la quittent à huit heures du soir.
Le 8 décembre 1795
Pierre Bénézech (1745-1802), ministre de l’Intérieur, commet le citoyen Gomin, l’un des commissaires à la garde du Temple, «d’accompagner jusques à Basle Marie Thereze Charlotte aujourdhuy détenue au Temple. Il se conformera en tout aux instructions qui lui seront donnée par le citoyen Mechin chargé de la conduite de Marie Thereze Charlotte et de son échange».. Bâle 5 nivôse (26 décembre). Théobald Bacher (1748-1813), chargé d’affaires de la République en Suisse, certifie que «la fille du dernier Roi des français ayant été remise à Basle, en ma présence, au Prince de Gavre commissaire autrichien », la commission dont fut chargé le citoyen Gomin se trouve remplie: «il s’en est acquitté avec tout le zèle et l’exactitude possible»…
Le 18 décembre 1795
Madame Royale quitte la prison du Temple pour être remise à sa famille autrichienne… en échange des commissaires français livrés aux Autrichiens par Dumouriez, dont fait partie Jean-Baptiste Drouet (1763-1824), le sinistre responsable de l’arrestation de la famille royale à Varennes… Madame de Tourzel se propose alors pour accompagner la princesse jusqu’à Vienne. Mais sa compagnie n’est pas jugée souhaitable par le comité de Salut public qui se méfie des convictions royalistes de l’ancienne gouvernante. C’est Madame de Soucy, l’ancienne sous-gouvernante du Dauphin, qui l’accompagne.
Marie-Thérèse à Renée de Chanterenne sur l’accueil qu’elle a reçu des gens le long de la route de son départ de France : Vous ne pourriez pas imaginer comment ils ont couru pour me voir. Certains m’appelaient « leur bonne dame », d’autres « leur bonne princesse ». Certains pleuraient de joie… quelle différence avec Paris !
… Partout j’ai senti ma douleur augmenter alors que je faisais face au départ de mes compatriotes qui ont crié mille vœux au ciel pour mon bonheur.
Ainsi chaperonnée, la princesse entreprend son voyage de Paris à Vienne, via Guîgnes, Provins, Troyes, Vendeuvre-sur-Barse, Chaumont, Fayl-Billot, Vesoul, puis Huningue et Bâle. Le voyage est long mais Madame Royale qui n’a pas parcouru les routes de France depuis le retour de Varennes, Quatre ans plus tôt, regarde de tous ses yeux. Elle est parfois reconnue, aux étapes, avec sympathie.
Jacques Bernot, Madame de Tourzel, gouvernante des enfants de Louis XVI (2022) ; Nouvelles Editions Latines
Elle ne porte pas le deuil non plus quand elle arrive à Vienne après le 19 décembre 1795 ; ce n’est que sur ordre de Louis XVIII – il faut bien faire une figure descente – qu’elle porte ces sombres vêtements et ce, pour peu de semaines.
Au contraire de sa mère, Marie-Thérèse sera très proche de sa tante, Marie-Christine (1742-1798) pendant son exil à Vienne jusqu’au décès de cette dernière, en 1798.
« Je suis sortie du Temple le 19 décembre à onze heures et demi du soir sans être aperçue de personne à la porte de la rue j’ai trouvé Mr Benezech. La rue du temple était déserte il n’y avait que l’homme attaché à Mr Benezech. Il m’a donné le bras et nous avons été à pied jusqu’à la rue Mélée, là nous avons rencontré sa voiture où je suis monté avec lui et Mr Gomin. Nous avons fait plusieurs tours dans les rues et enfin nous sommes arrivés sur les boulevards devant l’opéra ou nous trouvâmes la voiture de poste avec Mde Soucy et Mr Méchin officier de gendarmerie […] aux portes de Paris on nous a demandé notre passeport. À Charenton la première poste, on n’a pas voulu d’assignats les postillons on voulu absolument être payés en argent”… Déjeuner à Guignes: “on ne m’a pas reconnu […] j’ai été reconnu à la poste de Provins, il y a eu du monde qui s’est assemblé près de la voiture»…
À Nogent sur Seine elle est reconnue par la femme d’auberge qui la traite avec beaucoup de respect.
« La cour et la rue se remplirent de monde nous remontâmes en voiture, on s’attendrit en me voyant et on me donna mille bénédictions»…
Puis Gray, Troyes, Vendeuvre, Chaumont, Fayl-Billot, Vesoul, Ronchamp, Belfort, avec des détails sur les haltes, les postes, les attroupements…
« Nous arrivâmes le soir à onze heures à Belfort. Nous en repartîmes le lendemain 24 décembre à six heures du matin. Nous éprouvâmes encore beaucoup de difficultés dans le chemin enfin nous arrivâmes à Huningue à la nuit tombante le 24 décembre».
Elle ajoute, à propos de Jean-Baptiste Gomin (1757-1841) :
« Ce voyage malgré mon chagrin m’a paru agréable par la présence d’un être sensible dont la bonté dès longtemps m’était connue mais qui en a fait les dernières preuves en ce voyage par la manière dont il s’est comporté à mon égard, par sa manière active de me servir quoiqu’assurément il ne dut pas y être accoutumé. On ne peut l’attribuer qu’a son zèle. Il y a longtemps que je le connais cette dernière preuve ne m’était pas nécessaire pour qu’il eut toute mon estime mais il l’a encore davantage depuis ces derniers moments. Je ne peux dire davantage mon cœur sent fortement tout ce qu’il doit sentir; mais je n’ai pas de parole pour l’exprimer. Je finis cependant par le conjurer de ne pas trop s’affliger d’avoir du courage je ne lui demande point de penser à moi je suis sur qu’il le fera et je lui réponds d’en faire autant de mon côté».
Marie-Thérèse à madame de Chanterenne
Le 27 décembre 1795
Bacher signe le «Laissez passer le Citoyen Gomin préposé du gouvernement de la République française pour l’échange de la fille du dernier Roi des français allant à Huningue accompagné d’un courrier du Gouvernement revenant ensuite à Basle».
Au cours du voyage qui la mène à Vienne, Madame Royale rencontre plusieurs membres de sa famille jusqu’alors inconnus pour elle, notamment à Füssen, elle fait la connaissance des parents de sa grand-mère paternelle, Cunégonde de Saxe et l’électeur de Trèves. A Innsbruck elle est présentée à sa tante, l’Archiduchesse Marie-Elisabeth, abbesse du chapitre noble, qu’elle trouve dure et effrayante.