LA LETTRE ADRESSÉE À MADAME DE TOURZEL POUR L’EMPLOYER 

Le 16 juillet 1789

La marquise de Tourzel entre dans l’Histoire par sa charge de gouvernante de Marie-Thérèse et Louis-Charles.

« Madame, j’avais confié mes enfants à l’amitié, aujourd’hui, je les confie à la vertu.»

Par ces paroles , Marie-Antoinette accueille Madame de Tourzel qui devient ainsi  gouvernante des Enfants de France, poste laissé vacant par le prompt départ de Madame de Polignac en émigration.

Avant de se résoudre à l’accepter, Madame de Tourzel hésite, comme nous le raconte Pauline de Tourzel dans ses Souvenirs :

Fuite en exil de Yolande de Polignac et sa famille.

Le combat entre ses affections particulières et le souvenir de la bonté que le roi et la reine lui avaient témoignée à l’époque de la mort de mon père dura plusieurs jours. Mais le sentiment des malheurs de cette famille royale, le spectacle de l’abandon où beaucoup de ceux qui l’entouraient l’avaient déjà laissée, l’emportèrent. Elle se résigna au sacrifice qu’on lui demandait ; c’en était un alors, et un bien grand, on pouvait déjà prévoir quelques-uns des malheurs cachés de l’avenir.

Pauline de Tourze

Madame de Tourvel

Le 24 juillet 1789

Marie-Antoinette adresse à la nouvelle gouvernante de Ses enfants cette émouvante lettre où Elle les décrit si bien :

24 juillet 1789.

« Mon fils a quatre ans quatre mois moins deux jours. Je ne parle pas ni de sa taille, ni de son extérieur, il n’y a qu’à le voir. Sa santé a toujours été bonne, mais, même au berceau, on s’est apperçu que ses nerfs étaient très-délicats et que le moindre bruit extraordinaire faisoit effet sur lui. Il a été tardif pour ses premières dents, mais elles sont venues sans maladies ni accidents. Ce n’est qu’aux dernières, et je crois que c’étoit à la sixième, qu’à Fontainebleau il a eu une convulsion. Depuis il en a eu deux, une dans l’hiver de 87 à 88, et l’autre à son inoculation ; mais cette dernière a été très-petite. La délicatesse de ses nerfs fait qu’un bruit auquel il n’est pas accoutumé lui fait toujours peur ; il a peur, par exemple, des chiens parce qu’il en a entendu aboyer près de lui. Je ne l’ai jamais forcé à en voir, parce que je crois qu’à mesure que sa raison viendra, ses craintes passeront. Il est, comme tous les enfants forts et bien portants, très étourdi, très léger, et violent dans ses colères ; mais il est bon enfant, tendre et caressant même, quand son étourderie ne l’emporte pas. Il a un amour-propre démesuré qui, en le conduisant bien, peut tourner un jour à son avantage. Jusqu’à ce qu’il soit bien à son aise avec quelqu’un, il sait prendre sur lui, et même dévorer ses impatiences et colères, pour paroître doux et aimable. Il est d’une grande fidélité quand il a promis une chose ; mais il est très indiscret, il répète aisément ce qu’il a entendu dire, et souvent sans vouloir mentir il ajoute ce que son imagination lui a fait voir. C’est son plus grand défaut, et sur lequel il faut bien le corriger. Du reste, je le répète, il est bon enfant, et avec de la sensibilité et en même temps de la fermeté, sans être trop sévère, on fera toujours de lui ce qu’on voudra. Mais la sévérité le révolteroit, parce qu’il a beaucoup de caractère pour son âge ; et, pour donner un exemple, dès sa plus petite enfance le mot pardon l’a toujours choqué. Il fera et dira tout ce qu’on voudra quand il a tort, mais le mot pardon, il ne le prononcera qu’avec des larmes et des peines infinies. On a toujours accoutumé mes enfants à avoir grande confiance en moi, et quand ils ont eu des torts, à me les dire eux-mêmes. Cela fait qu’en les grondant j’ai l’air plus peinée et affligée de ce qu’ils ont fait que fâchée. Je les ai accoutumés tous à ce que oui, ou non, prononcé par moi, est irrévocable, mais je leur donne toujours une raison à la portée de leur âge, pour qu’ils ne puissent pas croire que c’est l’humeur de ma part. Mon fils ne sait pas lire, et apprend fort mal ; mais il est trop étourdi pour s’appliquer. Il n’a aucune idée de hauteur dans la tête, et je désire fort que cela continue. Nos enfants apprennent toujours assez tôt ce qu’ils sont. Il aime sa sœur beaucoup, et a bon cœur. Toutes les fois qu’une chose lui fait plaisir, soit d’aller quelque part ou qu’on lui donne quelque chose, son premier mouvement est toujours de demander pour sa sœur de même. Il est né gai. Il a besoin pour sa santé d’être beaucoup à l’air, et je crois qu’il vaut mieux pour sa santé le laisser jouer et travailler à la terre sur les terrasses que de le mener plus loin. L’exercice que les petits enfants prennent en courant, en jouant à l’air est plus sain que d’être forcés à marcher, ce qui souvent leur fatigue les reins.
Je vais maintenant parler de ce qui l’entoure. Trois sous-gouvernantes, mesdames de Soucy, belle-mère et belle-fille, et madame de Villefort. Madame de Soucy la mère, fort bonne femme, très instruite, exacte, mais mauvais ton. La belle-fille, même ton. Point d’espoir. Il y a déjà quelques années qu’elle n’est plus avec ma fille ; mais avec le petit garçon il n’y a pas d’inconvénient. Du reste, elle est très fidèle et même un peu sévère, avec l’enfant : Madame de Villefort est tout le contraire, car elle le gâte ; elle a au moins aussi mauvais ton, et plus même, mais à l’extérieur. Toutes sont bien ensemble.
Les deux premières femmes, toutes deux fort attachées à l’enfant. Mais madame Lemoine, une caillette et bavarde insoutenable, contant tout ce qu’elle sait dans la chambre, devant l’enfant ou non, cela est égal. Madame Neuville a un extérieur agréable, de l’esprit, de l’honnêteté ; mais on la dit dominée par sa mère, qui est très intrigante.
Brunier le médecin a ma grande confiance toutes les fois que les enfants sont malades, mais hors de là il faut le tenir à sa place ; il est familier, humoriste et clabaudeur.
L’abbé d’Avaux peut être fort bon pour apprendre les lettres à mon fils, mais du reste il n’a ni le ton, ni même ce qu’il faudrait pour être auprès de mes enfants. C’est ce qui m’a décidée dans ce moment à lui retirer ma fille ; il faut bien prendre garde qu’il ne s’établisse hors les heures des leçons chez mon fils. C’est une des choses qui a donné le plus de peine à madame de Polignac, et encore n’en venoit-elle toujours à bout, car c’étoit la société des sous-gouvernantes. Depuis dix jours j’ai appris des propos d’ingratitude de cet abbé qui m’ont fort déplu.
Mon fils a huit femmes de chambre. Elles le servent avec zèle ; mais je ne puis pas compter beaucoup sur elles. Dans ces derniers temps, il s’est tenu beaucoup de mauvais propos dans la chambre, mais je ne saurois pas dire exactement par qui ; il y a cependant une madame Belliard qui ne se cache pas de ses sentiments : sans soupçonner personne on peut s’en méfier. Tout son service en hommes est fidèle, attaché et tranquille.

Ma fille a à elle deux premières femmes et sept femmes de chambre. Madame Brunier, femme du médecin, est à elle depuis sa naissance, la sert avec zèle ; mais sans avoir rien de personnel à lui reprocher, je ne la chargerois jamais que de son service. Elle tient du caractère de son mari. De plus, elle est avare, et avide de petits gains qu’il y a à faire dans la chambre.
Sa fille, madame Fréminville, est une personne d’un vrai mérite. Quoiqu’âgée seulement de vingt sept ans, elle a toutes les qualités d’un âge mûr. Elle est à ma fille depuis sa naissance, et je ne l’ai pas perdue de vue. Je l’ai mariée, et le temps qu’elle n’est pas avec ma fille, elle l’occupe en entier à l’éducation de ses trois petites filles. Elle a un caractère doux et liant, est fort instruite, et c’est elle que je désire charger de continuer les leçons à la place de l’abbé d’Avaux. Elle en est fort en état, et puis que j’ai le bonheur d’en être sûre, je trouve que c’est préférable à tout. Au reste, ma fille l’aime beaucoup, et y a confiance.
Les sept autres femmes sont de bons sujets, et cette chambre est bien plus tranquille que l’autre. Il y a deux très jeunes personnes, mais elles sont surveillées par leur mère l’une à ma fille, l’autre par madame le Moine.
Les hommes sont à elle depuis sa naissance. Ce sont des êtres absolument insignifiants ; mais comme ils n’ont rient à faire que le service, et qu’ils ne restent point dans sa chambre par de là, cela est assez insignifiant.»

Marie-Antoinette

Dessin de la marquise de Tourzel, gouvernante des enfants de France en compagnie du Dauphin

La première Reine Maman de l’Histoire de France

par Dominique Bonnet pour Paris Match

« Marie-Antoinette et ses enfants» par Élisabeth Vigée-Le Brun, 1787 - À droite en haut : détail du couvercle du coffre à layette du dauphin Louis Joseph - À droite en bas : «Portrait des deux enfants aînés de la reine» par Élisabeth Vigée Le Brun, 1784 À droite en haut: détail du couvercle du coffre à layette du dauphin Louis Joseph - À droite en bas : «Portrait des deux enfants aînés de la reine» par Élisabeth Vigée Le  brun, 1784 Château de Versailles (dist. RMN-Grand Palais) Christophe Fouin - The Art Archive / Musée du Château de Versailles / Alfredo Dagli Orti
Madame de Tourzel par Danloux

 

 

On l’ignore souvent mais la Reine Marie-Antoinette fut une mère très attentionnée pour ses quatre enfants. C’est ce que rappelle Hélène Delalex, attachée de conservation du patrimoine au château de Versailles, en charge de la Galerie des carrosses, dans son livre-coffret «Un jour avec Marie-Antoinette», publié en octobre dernier aux éditions Flammarion.

Mariée à quatorze ans avec le dauphin Louis, futur Roi Louis XVI, Marie-Antoinette d’Autriche, devenue reine consort en 1774, n’accouche de leur premier enfant que huit ans et demi après leur union, le 19 décembre 1778. Le bébé, une petite fille, est nommée Marie-Thérèse Charlotte. La jeune femme donnera encore naissance à trois autres enfants: Louis Joseph Xavier François le 22 octobre 1781, Louis-Charles –le futur Louis XVII- le 27 mars 1785 et Sophie-Béatrice le 9 juillet 1786.

Marie-Antoinette joue avec ses enfants à colin-maillard ou à la guerre-panpan

Cette maternité change sa vie du tout au tout. En devenant maman, Marie-Antoinette abandonne la frivolité qui la caractérisait jusqu’alors et son existence futile. Elle est mère et elle veut assumer son nouveau rôle. Or cela n’est pas prévu par l’étiquette. Les «Enfants de France» sont traditionnellement élevés, non par leurs parents, mais par la Gouvernante des enfants royaux recrutée dans la haute noblesse. Et quant il s’agit de garçons, ceux-ci «passent aux hommes» dès qu’ils ont atteint 7 ans, l’âge de raison, et sont alors confiés à un Gouverneur. Mais Marie-Antoinette n’entend pas «abandonner» ses petits et tient à accompagner leurs premiers pas. En cela, elle est la première reine de l’histoire de France proche de ses enfants, estime Hélène Delalex, qui raconte: «Elle envisage même d’allaiter sa fille, ce qui était impensable pour une reine de France. Elle se sent envahie d’un sentiment d’amour fort, et voir ses enfants grandir éveille chaque jour sa tendresse maternelle. Marie-Antoinette est une Reine-Maman qui n’hésite pas à témoigner son affection de manière démonstrative, jouant avec eux à colin-maillard ou à la guerre-panpan sous le regard sévère des dames de la Cour».

À l’instar de son épouse et avec elle, le roi Louis XVI veille à l’éducation de leurs trois enfants survivants, leur dernière fille Sophie-Béatrice étant décédée à l’âge de 11 mois. «Louis XVI est, à sa façon, un nouveau père: il est attentif à leur développement et les initie à la géométrie, la géographie et l’astronomie. (…) Marie-Antoinette les initie à la lecture, leur fait découvrir La Fontaine, mais aussi Rousseau, Voltaire, La Rochefoucauld et Montesquieu. Elle leur fait découvrir la simplicité de la vie campagnarde au Hameau, où les enfants aident Madame Richard à nourrir les chèvres et les moutons, et se bousculent pour monter dans la petite charrette tirée par le bouc à la belle robe blanche», indique Hélène Delalex.

L'amour maternel (vrs 1772) de Moreau le jeune

Appliquant les principes modernes de pédagogie et de développement de l’enfant popularisés par Jean-Jacques Rousseau dans son ouvrage «Émile ou De l’éducation», la Reine inculque aussi à ses enfants le sens des valeurs, la générosité et ne cède pas à leurs caprices. «Je les ai accoutumés tous à ce que oui ou non prononcé par moi soit irrévocable, mais je leur donne toujours une raison à la portée de leur âge pour qu’ils ne puissent pas croire que c’est humeur de ma part», écrit-elle à leur gouvernante, dans une correspondance rapportée par l’auteur.
Marie-Antoinette aura la douleur de perdre deux de ses enfants et d’être séparée des deux autres

Maman aimante, Marie-Antoinette aura la douleur de perdre, outre sa dernière-née, son fils aîné Louis Joseph. Atteint d’une tuberculose osseuse, l’héritier au trône, qui a été obligé de porter un corset de fer et de se déplacer en chaise roulante, s’éteint le 4 juin 1789, pendant les États généraux. Il n’avait que 7 ans et demi. «Après la mort du dauphin, Marie-Antoinette reporte son affection sur Louis-Charles. Fort, bien portant, plein de vie, il est toute sa joie. Il est aussi d’une vive intelligence et d’une grande richesse de cœur pour son âge, aussi le surnomme-t-elle affectueusement « Chou d’amour« », signale Hélène Delalex.

Son cruel destin séparera Marie-Antoinette de ses deux autres enfants durant la Révolution française. Incarcérée à la Prison de Temple, on lui enlève son fils le 13 juillet 1793. Puis le 2 août, la veuve de Louis XVI est contrainte de quitter sa fille pour rejoindre la Conciergerie. Deux mois et demi plus tard, la Reine est conduite à l’échafaud. Le petit Louis-Charles, devenu Louis XVII à la mort de son père, ne survivra à sa chère mère que 20 mois. Il meurt à la Prison de Temple le 8 juin 1795 à à peine plus de dix ans. Seule l’aînée de la fratrie, Marie-Thérèse de France dite «Madame Royale», atteindra l’âge adulte.

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