Les élections pendant la révolution (1789-1795)
Sont présentées dans cet article les différentes élections qui se sont déroulées durant la période révolutionnaire précédant le Directoire. Leur impact est fondamental sur les événements de cette période, tout en participant à la restructuration profonde du pays. Mais elles sont avant tout le point de départ de la démocratie en France.
Nous aborderons essentiellement les élections nationales. Les élections locales sont très mal renseignées et il faudrait alors se pencher cas par cas, au niveau départemental, cantonal et communal. Ce qui n’est pas notre propos. Si leur intérêt est d’avoir contribué à l’apprentissage de la citoyenneté, notamment pour les populations les plus éloignées physiquement et socialement des centres politiques de la France, elles n’ont que peu de conséquences sur le reste du pays durant cette période et par conséquent ce qui pourrait concerner Marie-Antoinette et ses proches. Seules les élections locales de Paris nous intéresseront car ses différents électeurs, donc ses élus locaux ont pu influer sur leur destin.
Nous chercherons d’une part à déterminer jusqu’à quel point, selon les différents régimes qui se sont succédés sur ce court laps de temps, les Français dans leur ensemble, ont été appelés aux urnes. D’autre part, notre seconde interrogation sera de connaître les conséquences sur le pays (et le reste de l’Europe) de ces élections. Leurs réponses croisées pourront nous apporter de très intéressantes informations sur la place laissée aux citoyens à cette époque, le rôle des élus, les événements politiques et la démocratie en général.
Les élections en France avant 1789
Philippe le Bel décide le 10 avril 1302 de réunir à Notre-Dame de Paris pour la première fois les représentants des trois ordres du royaume, le clergé, la noblesse et le tiers état (c’est-à-dire les représentants des villes) afin que les représentants les plus notables de ce qui sera plus tard la nation le soutienne face au pape Boniface VIII. Le souverain pontife refuse en effet de l’aider financièrement dans sa lutte contre les Flamands. Le conseil principal du Roi de France, le parlement, gère les questions judiciaires. Une assemblée plus large, _et ponctuelle_ pourra s’occuper des questions fiscales, point de friction entre Philippe le Bel et le pape. Les membres du clergé, naturellement tenus à soutenir le saint père, n’ont pas d’autre choix, coincés entre la noblesse et le tiers état tout au Roi, de suivre l’opinion royale. C’est une victoire pour Philippe le Bel, son peuple légitimant ainsi sa politique.
Si leur régularité n’est pas de mise, il y aura tout de même plus d’une trentaine de convocations d’états généraux entre 1302 et 1789. Leur objectif officiel est de soutenir le Roi dans sa politique fiscale mais il s’agit avant tout de confirmer les choix politiques du souverain.Leur convocation peut donc présenter un risque politique si l’opposition dans le royaume, et notamment chez les grands, est importante.
L’élection des députés de chaque province aux états généraux se fait par une élection au sein d’assemblées primaires provinciales au niveau des bailliages et sénéchaussées. leur nombre au Moyen-Âge est difficile à établir mais correspondra plus tard à nos cantons actuels. Ce sera pour longtemps la plus petite unité électorale. La paroisse et plus tard la commune devront attendre le XIXème siècle.
Ces assemblées provinciales sont séparées en trois collèges correspondant aux trois ordres. La noblesse réunit en son sein les représentants de toutes les familles jugées comme nobles dans cette unité, pour le clergé les titulaires des principaux sièges ecclésiastiques ou abbatiaux, et pour le tiers-état les représentants des villes dites «libres» ou «les bonnes villes.» Il ne viendrait à personne de demander l’avis des paysans formant pourtant l’écrasante majorité du royaume.
A la fin de sa régence en 1614, face aux princes du sang qui contestent son pouvoir, Marie de Médicis convoque les états généraux qui se réunissent pour la dernière fois avant 1789. Ces élections sont devenues récurrentes depuis la fin du Moyen-Âge. La Guerre de Cent ans puis les guerres de religion ont obligé les souverains à s’appuyer sur une assemblée aussi large que possible afin d’affirmer leur légitimité face aux crises institutionnelles de ces périodes troublées et que ne pouvaient plus résoudre le Parlement.
Les élections n’ont guère changé en trois siècles si ce n’est que depuis 1484, les députés viennent devant le Roi avec des cahiers de doléances rédigés par les assemblées primaires. Les députés sont donc tenus par leurs électeurs si ce n’est de les appliquer, du moins à défendre ce qui a été décidé dans les cahiers de doléances. De ce fait, les députés disposent d’un mandat exécutif, bien plus proche de la représentation directe et donc de la souveraineté populaire (enfin plutôt aristocratique à cette époque) et non un mandat représentatif propre à la souveraineté nationale. Le député des états généraux de l’Ancien Régime dépend de ses électeurs, il a été choisi parmi eux et doit donc défendre ce qui a été discuté collégialement durant les différentes élections graduelles et la rédaction des cahiers de doléances.
Avec la monarchie absolue, Louis XIII, Louis XIV et Louis XV ne voient plus l’intérêt de ces grandes assemblées. Leur pouvoir étant incontesté, nul besoin de demander conseil aux représentants du royaume. Les deux derniers ont déjà fort à faire avec leurs parlements à qui ils récusent leurs prétentions à représenter le peuple. Ce sont les rois qui disposent des trois pouvoirs : l’exécutif, le législatif (ce sont eux et eux seuls qui représentent les Français) et le judiciaire dont les parlements ne sont que l’émanation, ses membres oubliant trop souvent n’être que des officiers du Roi à qui ils doivent soumission. Pas des députés élus par le peuple. Le discours de la Flagellation de Louis XV en 1766 rappelle les fondements de la répartition des pouvoirs en France : «que l’ordre public tout entier émane de moi et que les droits et les intérêts de la Nation, dont on ose faire un corps séparé du Monarque, sont nécessairement unis avec les miens et ne reposent qu’en mes mains.»
Les états généraux ne sont qu’un intermédiaire entre le Roi et la Nation. Comme on l’a vu, cette dernière restreinte aux plus riches. Il ne viendrait alors à l’esprit d’aucun potentiel député (grands seigneurs, évêques, riches bourgeois…) de demander à la véritable majorité du royaume son avis. Les Rois ayant cela en tête et qui estiment avoir pour mission de Très-Chrétien de protéger le peuple des plus puissants peuvent donc difficilement réunir une assemblée qui n’agit que pour ses propres intérêts. Et qui peut en plus s’opposer à leur politique.
L’habitude de voter au niveau national est donc plutôt rare dans le royaume. Il ne faut cependant pas croire qu’il s’agissait d’un concept totalement étranger à la grande majorité des Français avant 1789. Car en effet, on vote beaucoup au niveau local, le plus souvent par communautés. Ainsi dans de nombreux monastères et abbayes, leurs membres élisent leurs supérieurs. De même que l’évêque est traditionnellement désigné par les chanoines. Comme le pape d’ailleurs, élu parmi les cardinaux. Certes, ce droit de vote tend à se réduire car la monarchie absolue tient à désigner elle-même qui sera à la tête de ces communautés religieuses d’importance, sans parler des diocèses au rôle capital pour le fonctionnement du royaume. Mais ce principe électif est confirmé après le concile de Trente et si l’abbé principal est choisi par le Roi, tous les autres postes monastiques peuvent être l’objet d’élections, aux procédures très complexes, différentes selon chaque ordres (Cîteaux, Cluny, Fontevrault…).
En ville, dans les métiers, on vote également pour les jurandes et corporations, qui elles-mêmes désignent les échevins, consuls et autres magistrats municipaux. Ce système s’est certes érodé depuis le Moyen-Âge et le temps des villes libres, les rois tendant à imposer là aussi leurs candidats. Mais il subsiste néanmoins, habitudes bien ancrées chez les maîtres des métiers qui tiennent à leurs libertés ou dirons-nous privilèges.
A un niveau plus important, celui de la province, peuvent être élus les membres des états. Ceux-ci concernent seulement les provinces récemment rattachées au royaume. On y retrouve la même organisation et les mêmes objectifs que pour les états généraux : leur convocation est temporaire et n’a d’autres fins que des questions fiscales. Le clergé, la noblesse et les plus riches des villes choisissent par ordre leurs représentants. Le poids décisionnaire de ces députés est minime et dépend entièrement de l’intendant désigné par le Roi. Ce qui occasionne des points de désaccord réguliers avec le pouvoir royal, ces provinces rappelant qu’elles ne se sont réunies au royaume de France que sous certaines conditions, notamment en conservant ses libertés locales. Ces assemblées d’états n’existent pas dans les pays d’élection ou d’imposition, dont la fiscalité est directement décidée par le Roi.
On le voit, des élections sont possibles à tous les échelons du royaume. Mais elles sont loin d’être partout et pour tous. On vote par corps, pour protéger ses libertés, ses privilèges, pas dans l’idée d’un bien général. Et seuls les notables sont concernés.
Le règne de Louis XVI : 1774-1789
Dès son avènement, Louis XVI décide de donner plus de représentativité à ses sujets et une possible voix pouvant aller jusqu’à lui. Le plan proposé par Turgot en 1775 est ambitieux : de la paroisse jusqu’au niveau national en passant par la province, seront créées des assemblées où les trois ordres ne seraient plus distingués. Seuls les propriétaires restent néanmoins concernés et le poids de leur vote et de leur éligibilité proportionnel à leurs revenus. Chaque assemblée à son niveau doit débattre de la fiscalité, des routes et des préoccupations de la province, voter et donc être partie intégrante des décisions prises en la matière.
Turgot est renvoyé en 1776 et son plan n’est donc pas retenu. Cependant Louis XVI est sensible à cette question et tente de réitérer l’expérience. Il demande la même année un nouveau plan à Necker plus pragmatique. Louis XVI tient d’autant plus à cette idée qu’il pense lutter contre les parlements locaux par ces assemblées bien plus représentatives.
Une première expérience en 1778 est menée dans le Berry, province centrale et enclavée du royaume, donc particulièrement pauvre. On y voit aussi l’attachement du Roi pour le nom qui lui a été donné à sa naissance. D’autres provinces suivent, comme la Haute-Guyenne puis le Dauphiné et le Bourbonnais. Mais les parlements voient d’un très mauvais oeil ces assemblées concurrentes et celui de Paris refuse d’enregistrer la décision royale de 1781 créant l’assemblée du Bourbonnais. Quant à la province du Dauphiné, son parlement montrera rapidement son rejet vigoureux de la décision royale. D’autant que cette province dispose déjà d’une assemblée d’états où se retrouvent évidemment une forte majorité de parlementaires. La décision royale est prise comme une véritable provocation.
Louis XVI ne se décourage pas pour autant et demande à Calonne en 1783 de généraliser dans tout le royaume ces assemblées qui seront habilitées à voter la subvention territoriale, impôt sur le revenu touchant proportionnellement les plus riches, dont la noblesse. Ce que le Roi et son contrôleur des finances estiment comme la solution la plus équitable à la crise financière du royaume. L’Eglise en reste exemptée mais a bien conscience que cela ne peut qu’être provisoire. Calonne présente un nouveau plan au Roi en 1786 qui ressemble à s’y méprendre à celui proposé par Turgot. A cela nulle surprise car le rédacteur de ces deux plans est la même personne : Pierre Samuel du Pont de Nemours (1739-1817), physiocrate, économiste et journaliste engagé, proche de Turgot qui l’engage auprès de lui à son entrée au gouvernement et qui restera proche du pouvoir tout le long du règne. Mais là encore, Louis XVI ne réussit pas à imposer sa décision face au Parlement. Il décide donc de convoquer le 29 décembre 1786 une assemblée de notables désignés par lui-même parmi les plus puissants du royaume : ses frères, les princes du sang, sept archevêques, sept évêques, six ducs et pairs, six ducs non pairs, huit maréchaux, des intendants, des parlementaires, des députés des pays d’états, des représentants des corps de ville des plus grandes cités du royaume, soit au total cent quarante-sept personnes. Une telle représentativité ne peut qu’être hostile aux réformes proposées. La réunion est un échec et Louis XVI est obligé de renvoyer Calonne et de nommer comme premier ministre le chef de l’opposition : l’archevêque de Toulouse Loménie de Brienne. Celui-ci va néanmoins rapidement adhérer aux vues du Roi et propose à son tour le un édit instituant des assemblées provinciales et des municipalités élues dans les pays d’élection, qui n’avait pas d’états provinciaux pour voter les impositions.
Les principes retenus sont :
- maintien de la distinction par ordre ;
- doublement du tiers état ;
- le vote par tête (et non par ordre) ;
- un suffrage privilégiant les propriétaires mais suffisamment élargi pour mécontenter les plus riches.
Pour le parlement dans son ensemble, c’en est trop. Il est hors de question pour ses membres d’enregistrer un tel édit qui selon eux briserait les fondements mêmes du royaume. C’est surtout que ces messieurs du parlement se déclarent représentants du peuple depuis la Fronde alors qu’ils ne sont que les (très) riches propriétaires de leur office, transmis par voie de succession et qui accèdent par ce biais à la noblesse.
Les relations entre Louis XVI et le Parlement de 1765 à 1790
Fin 1787, devant cette opposition très virulente, Louis XVI n’a d’autre choix que de convoquer les états généraux qui lui sont réclamés par l’opinion publique et le parlement, certains de prendre ainsi le Roi en otage : soit il accepte les vues du parlement (dans son ensemble car ceux de province, en particulier celui du Dauphiné sont très remontés), soit il convoque les états généraux dont la réunion n’a plus eu lieu depuis cent soixante-treize ans. Louis XVI prend le risque et préfère encore l’inconnu plutôt que de continuer à se débattre avec ces messieurs du parlement qui lui empoisonnent son règne. Il fixe une date : 1792. Les parlementaires pensent jouer aux plus fins et lui arrachent l’année 1789 s’il souhaite que d’autres édits indispensables (un énième emprunt pour rembourser les énormes dettes du royaume, l’édit de tolérance, une réforme en profondeur de la justice…) soient enregistrés. Dans leur enthousiasme, sûrs de leur victoire contre le pouvoir absolu, les parlementaires ignorent que leur fin est proche. Car une assemblée véritablement représentative va prendre définitivement leur place. Louis XVI aura au moins eu sa revanche à leur égard.
Car Louis XVI qui s’est senti quelque peu forcé la main ne compte pas laisser les cartes aux mains des plus privilégiés. Il convoque une seconde assemblée des notables qui s’avère tout aussi inutile, si ce n’est nuisible, afin d’organiser les élections. Très vite le Roi se détache des conseils prodigués par les plus privilégiés du royaume. Les élections reprendront les principes qu’il a choisi pour les assemblées provinciales. Louis XVI tient bon malgré la toujours si vive opposition. Il sait qu’il s’agit de la seule solution pour réformer efficacement le royaume après toutes ses tentatives infructueuses. Mais cela ne peut fonctionner que si le peuple, le vrai, est le plus largement possible représenté. Il décide donc le 5 juillet 1788 de supprimer la censure et d’accorder la liberté d’expression, donc de la presse. Ainsi pense-t-il une autre opinion pourra aussi faire entendre sa voix.
L’été 1788, Louis XVI renvoie Loménie de Brienne, qui part tout de même avec un chapeau de cardinal. Le premier ministre est honni d’une partie de la noblesse, des parlementaires et de tous ceux vivant de ces puissants, donc une grande partie des Parisiens et autres citadins dépendants des parlements (greffiers, notaires, imprimeurs, libraires…). L’opposition réclame le retour de Necker au contrôle des finances, ce que Louis XVI soutenu par Marie-Antoinette accepte. Le 25 septembre 1788, le parlement parisien exige que les députés du tiers état soient uniquement issus de la robe. L’opinion publique comprend dès lors que loin de défendre les intérêts du peuple, les parlementaires ne font que protéger leurs privilèges. Plus besoin pour le pouvoir de ménager les parlementaires qui ont enfin montré leur vrai visage. Lorsque ceux-ci tentent une dernière négociation auprès du Roi, il leur répond : « Je n’ai rien à répondre à mon parlement sur ses supplications. C’est avec l’assemblée de la Nation que je concerterai les dispositions propres à consolider, pour toujours, l’ordre public et la prospérité de l’Etat.»
Le parlement peut dire adieu à ses prétentions politiques. Autant dire que le Parlement va rapidement tomber dans les oubliettes de l’Histoire… Louis XVI exprime clairement son souhait de travailler de concert avec les véritables représentants du royaume, et «pour toujours.» Pour Louis XVI, ces états généraux, contrairement aux précédents, n’ont donc rien de temporaires.
Louis XVI se sent prêt désormais à prendre une mesure aux conséquences majeures lors de son conseil du 27 décembre 1788 : le doublement des représentants du tiers état. Louis XVI aurait cédé à l’opinion. Or quelle opinion ? Certainement pas celle des parlementaires et affiliés, horrifiés par ce doublement. Or la cour est généralement favorable aux parlements, noblesses d’épée et de robe étant depuis longtemps alliées. De l’autre côté de l’échiquier politique, quelques auteurs qui deviendront rapidement célèbres comme Guilloitn ou Siéyès profitent de la liberté d’expression octroyée par Louis XVI pour faire entendre leur voix et réclamer en effet un doublement du tiers qui est somme toute logique car formant plus de 90% de la nation. Mais ces écrits sont vite muselés par le parlement et si cela représente un souhait chez beaucoup, confirmé par l’inondation de caricatures dénonçant le sort injuste des membres du tiers état face à la noblesse et le clergé, ce n’est certainement pas eux qui peuvent faire plier le pouvoir. Donc à défaut, on en attribue traditionnellement la paternité à Necker mais c’est oublier que cette décision avait déjà été prise pour les assemblées provinciales décidées par Louis XVI. Si Necker l’a suggéré, c’est le Roi et lui seul qui en est responsable. Marie-Antoinette assiste exceptionnellement au Conseil du Roi, car la situation met en jeu les institutions du royaume. Les frères du Roi sont également conviés. Contrairement à ce qu’affirme sa légende noire, la Reine soutient pleinement cette décision selon les mots de son secrétaire des commandements Augeard : « La noblesse et le clergé ont bien des torts vis-à-vis de nous ; ils nous ont abandonnés ainsi que les parlements. Je suis la reine du Tiers, moi !» Et le garde des sceaux de rajouter qu’elle garde «le plus profond silence ; il était cependant aisé de démêler qu’elle ne désapprouvait pas le doublement du tiers.» Monsieur est pour, selon l’opinion du bureau qu’il présidait à la seconde assemblée des notables. Le comte d’Artois est contre.
Un mois plus tard, le 24 janvier 1789, Louis XVI signe deux textes : la lettre de convocation envoyée à tous les bailliages et sénéchaussées qui doivent ensuite la transmettre à toutes les paroisses du royaume et son Règlement pour l’exécution des lettre de convocation qui met en place l’organisation des élections. Les deux textes se trouvent ci- contre en version intégrale. On y lit les voeux, espoirs et objectifs de Louis XVI. Sa préoccupation première est de donner la voix à ceux les plus éloignés de sa personne :
«Le roi, (…), a voulu que ses sujets fussent tous appelés à concourir aux élections des députés qui doivent former cette grande et solennelle assemblée ; Sa Majesté a désiré que des extrémités de son royaume et des habitations les moins connues, chacun fût assuré de faire parvenir jusqu’à elle ses vœux et ses réclamations ; Sa Majesté ne peut souvent atteindre que par son amour à cette partie de ses peuples que l’étendue de son royaume et l’appareil du trône semblent éloigner d’elle, et qui, hors de la portée de ses regards, se fie néanmoins à la protection de sa justice et aux soins prévoyants de sa bonté.
Sa Majesté a donc reconnu, avec une véritable satisfaction, qu’au moyen des assemblées graduelles ordonnées dans toute la France pour la représentation du tiers-état, elle aurait ainsi une sorte de communication avec tous les habitants du son royaume, et qu’elle se rapprocherait de leurs besoins et de leurs vœux d’une manière plus sûre et plus immédiate.» Ainsi, chaque Français est concerné, quel que soit son rang ou son niveau de richesse. Les dispositions des élections mises en place organisent ensuite tout un système pyramidal, propre au régime féodal encore en cours mais qui s’avère de plus en plus capitaliste. Si le plus humble paysan des régions reculées du royaume ne sera jamais élu et ne votera certainement pas, ses préoccupations seront prise en compte par son député et les cahiers de doléances rédigés théoriquement tous ensemble et amenés avec lui à Versailles.
Seulement, là encore Louis XVI s’écarte des traditions : la lettre de convocation fait bien parti de l’appareil royal au moment où sont appelés les états généraux. Mais on le voit, elle est courte et n’apporte aucun élément de véritable organisation. Louis XVI y joint donc un règlement extrêmement détaillé qui va à l’encontre des habitudes. Ce qui permet à ceux connaissant ces traditions (le haut clergé, la haute noblesse et le parlement) de considérer qu’il est de leur devoir de ne pas en tenir compte. Et donc de procéder à des élections selon leurs vues et non celles du Roi qu’il a voulu généralisées à tout le royaume.
Soucieux de ménager cette partie de la population, minoritaire mais à la forte influence, Louis XVI insiste dans son règlement sur les traditions tout en rappelant que ce n’est plus possible d’en calquer parfaitement l’organisation : «Le roi, en réglant l’ordre des convocations et la forme dus assemblées, a voulu suivre les anciens usages autant qu’il était possible. Sa Majesté, guidée par ce principe, a conservé, à tous les bailliages qui avaient député directement aux États généraux en 1614»
Cela pour respecter la monarchie telle qu’elle semble avoir toujours été et amadouer les plus récalcitrants quant à ses élections. Cependant, si Louis XVI accepte de reprendre le découpage des circonscriptions par bailliages et sénéchaussées comme cela s’est toujours fait, il faut aussi prendre en compte que de nouvelles provinces ont été rattachées depuis 1614 au royaume et que ces découpages médiévaux n’ont plus de raison d’être depuis longtemps. Les titres de baillis et sénéchaux existent toujours mais leurs prérogatives sont devenues essentiellement symboliques. A l’annonce de la convocation des états généraux en 1788, de nombreux notables locaux vont racheter ces charges tombées depuis longtemps en désuétude. C’est en effet l’intendant nommé par le Roi qui détient la réalité du pouvoir local depuis le XVIIème siècle, par de nouvelles divisions territoriales, les généralités. Les baillis et sénéchaux vont donc pour la dernière fois retrouver des prérogatives depuis longtemps perdues. Un petit sursaut de féodalisme qui va finalement ressembler à un feu de paille.
Quatre cents juridictions ont donc été confirmées ou créées au grand bonheur de ces messieurs (qui vont vite déchanter !). La seconde carte d’Armand Brette explicite ces juridictions : en rouge-orangé les bailliages, en bleu les sénéchaussées. Il ne faut pas oublier non plus la distinction entre pays d’élections (plus foncés) et pays d’états (intermédiaires), toujours en cours puisque les assemblées provinciales n’ont pas pu être généralisées. A quoi il faut rajouter les pays d’imposition (plus clairs). D’autres terres du royaume ne peuvent être ni l’un ni l’autre : les états du pape, les terres impériales (Strasbourg…), les diocèses indépendants (comme Metz, Toul et Verdun), la Corse, les colonies… Sans oublier les villes qui ne votent pas à la manière des paroisses rurales, en particulier Paris. Enfin sur les deux cartes, on voit deux provinces le Dauphiné et une large partie des Pyrénées qui n’entrent pas dans les divisions territoriales : en effet ces provinces ont obtenu le droit de choisir ses députés selon les dispositions des états provinciaux d’antan. D’une part cela fait suite à la journée des tuiles de Grenoble du 7 juin 1788 et d’autre part, les territoires pyrénéens correspondent à la Navarre qui est encore considérée comme un royaume indépendant et n’a donc pas à appliquer les nouveautés du royaume de France. On imagine le casse-tête pour les officiers du Roi chargés d’appliquer partout les voeux de Sa Majesté !
Donc qui peut voter ? Le principe de base est que tout homme de plus de vingt-cinq ans a le droit d’être représenté, à partir du moment d’être inscrit sur le rôle d’imposition. Le plus bas impôt est donc exigé. Sont exclus les journaliers (les ouvriers les plus pauvres, des campagnes et des villes qui travaillent comme son nom l’indique à la journée et peuvent très facilement se retrouver au chômage et se déplacer de paroisse en paroisse selon les emplois trouvés) et les domestiques. Cette dernière catégorie interroge : jusqu’à quel degré est-on considéré comme domestique ? En effet, nombre de domestiques de grandes maisons disposent eux-même de domestiques. Et certains sont extrêmement riches, à l’instar du premier valet de chambre de Louis XVI, Antoine Thierry de Ville d’Avray devenu maire de Versailles. Nous verrons plus loin que de nombreux serviteurs des maisons royales et princières seront élus, D’autres restrictions imposent de prouver sa résidence, ce qui interdit les vagabonds et autres forains. Les preuves de résidence restent néanmoins assez aisées, bien plus qu’aujourd’hui d’ailleurs. Des témoins suffisent. Et à cette époque, surtout à la campagne, tout le monde se connaît.
De ce fait, sur la population en 1789 d’environ 28 millions de Français (naturalisés compris), 5 à 6 millions disposent du droit de vote. Il s’agit du pays au corps électoral le plus important. Les Etats-Unis, nouveau modèle démocratique du temps n’a que 300 000 électeurs sur une population de 3 millions d’habitants (esclaves compris). Au Royaume-Uni, on compte le même nombre d’électeurs pour une population de 14 millions d’habitants ! Or ce pays constitue l’idéal politique des philosophes des Lumières… Le Royaume-Uni ne peut absolument pas être considéré comme un précurseur de la démocratie électorale. Il n’a atteint le taux de 60 % et plus (celui de la France en 1789) qu’au moment de la troisième réforme électorale, en 1884. C’est seulement au sortir de la première guerre mondiale que le suffrage universel a été instauré chez les Britanniques. Les Américains suivront longtemps ce modèle de grands propriétaires pour se rapprocher au XIXème siècle du modèle français de 1789. C’est donc la France de Louis XVI, encore monarchie absolue, qui détient le record de participation électorale, accordant un droit de vote bien plus élargi que le suffrage censitaire. Malgré ses défauts. En particulier, la société partagée en trois ordres, donc trois types de suffrages différents.
Le clergé voit sans surprise ses évêques et abbés être électeurs directs. Mais à la grande surprise des grands prélats, ils ne sont pas d’office retenus comme députés par le Roi : ils doivent être élus. C’est un scandale pour certains comme le cardinal de Montmorency, évêque de Metz qui rappelle à Louis XVI l’union faite en la matière entre Henri II et le cardinal de Lorraine son prédécesseur. Et les exemples de ce type, dans cet ordre ou celui de la noblesse, et même dans le tiers état sont considérables. Plus bas dans la hiérarchie ecclésiastique, les chapitres de chanoines ont droit à un élu pour les assemblées générales pour dix chanoines, les autres communautés religieuses, femmes comprises un représentant pour vingt. Ceux qui ne disposent pas de paroisse, les vicaires et autres clercs sans bénéfice entrent aussi dans cette catégorie. Les curés votent individuellement et voient leur représentation en surnombre par rapport au haut clergé. Louis XVI a donc à coeur de favoriser la part majoritaire et la moins riche du clergé. Il considère à juste titre que ce sont eux qui sont directement en contact avec les plus malheureux du royaume. Et qui ne peuvent pas voter. Toujours dans la perspective de soutenir les plus fragiles, Louis XVI n’accorde pas le droit de vote aux membres des séminaires, collèges et hôpitaux car établissements publics en mission. Leur priorité aux yeux de Louis XVI n’est pas de sauvegarder les privilèges de leur ordre mais bien de sauver, d’éduquer des vies et des âmes. De même, un curé élu député ou même celui en cours de vote (donc de déplacement) ne doit pas laisser sa paroisse sans secours spirituels. Il ne faut pas oublier, comme le rappellent très justement Julia Cagé et Thomas Piketty dans leur remarquable ouvrage Une histoire du conflit politique 1789-2022, que c’est l’Eglise sous l’Ancien Régime qui assure la protection sociale, l’éducation et la santé. L’état providence n’existe réellement qu’après 1945.
Chez les nobles aussi les femmes possédant un fief peuvent se faire représenter : les filles (c’est-à-dire les célibataires), les veuves mais aussi les épouses dont les biens sont séparés de ceux de leur mari. Les mineur(e)s sont aussi concerné(e)s par cette dernière clause, dans le cas d’avoir perdu ses parents avant ses vingt-cinq ans et possesseurs d’un fief.
La diffusion de cette convocation, des élections et de la rédaction des cahiers de doléances dans les deux premiers ordres du royaume est plutôt aisée, les réseaux de communication fonctionnant relativement bien en leur sein et entre les deux. Cela devient plus compliqué dans les zones rurales reculées parmi une population qui pour la majorité ne sait ni lire ni écrire. Et qui n’a jamais été concernée par les états généraux, rappelons-le, le tiers état représentant seulement la bourgeoisie des villes au Moyen-Âge. Les baillis et sénéchaux sont donc mis à contribution comme jamais depuis très longtemps. A eux d’envoyer tous les magistrats et agents sous leurs ordres dans toutes les paroisses de leur juridiction afin de prévenir la population. La principale voie de communication est alors le prône à la messe, d’où encore le rôle indispensable du curé de paroisse. D’après les témoignages du temps, nombreux sont ceux qui ont eu les larmes aux yeux en écoutant leur curé leur lire la lettre du Roi. Pour la première fois de l’histoire, il est non seulement demandé aux paysans leur avis mais aussi d’assister le Roi dans sa politique. C’est inédit et extraordinaire ! Si un citadin au métier libéral peut largement relativiser une telle annonce, ce n’est pas le cas de la grande masse des paysans du royaume qui ne peut qu’y croire.
Au plus tard huit jours après réception de la convocation, les hommes de la paroisse doivent se réunir en assemblée primaire et décider entre eux à la fois de la rédaction du cahier de doléances de leur communauté mais aussi des députés les représentant pour les assemblées suivantes : deux pour pour deux cents feux, trois pour trois cents feux, quatre pour quatre cents feux, etc. Encore faut-il se mettre d’accord sur la définition d’un feu qui n’est pas la même selon les provinces et qui est alors la plus petite unité fiscale : une maison, une famille, le nombre de cheminées ?
Cette première catégorie d’électeurs élus selon des modalités quelque peu diverses selon les provinces, voire entre paroisses voisines, doit ensuite se réunir par circonscriptions plus larges. Ce qui demande un déplacement important : parfois une journée ou deux, en laissant femme, enfants, ferme sans protection masculine. Et un voyage coûte, surtout si l’on est obligé de dormir loin de chez soi. Sans surprise, ce sont donc les plus riches du village qui vont être élus et devenir ensuite grands électeurs : ils ont les moyens de voyager et peuvent laisser leur famille et leurs biens en sécurité.
Dans les villes, il faut se réunir par corporations, un député pour cent individus dans le métier, deux pour deux cents individus, etc. Les métiers libéraux ont droit à plus de députés (ils sont en effet moins nombreux) : deux pour cent individus, six au dessus de deux cents… Ceux n’appartenant pas à des métiers peuvent se réunir dans leur hôtel de ville et là encore on retrouve un député pour cent, deux pour deux cents… Il est déjà plus facile au monde urbain de se déplacer pour voter et discuter des doléances. On se doute aussi que les élus appartiennent plus à la catégorie des maitres des métiers que leurs employés. Les femmes qui disposent de leur propre entreprise, orpheline, veuve, séparée ou célibataire, sont une fois encore appelées aussi à choisir des représentants (masculins, cela va de soi).
Ce premier suffrage, qu’on appelle assemblée primaire, est loin d’être universel mais des plus larges néanmoins. Il donne des milliers d’élus, tous élus à haute voix, sans présentation et programme établis à l’avance, qu’il va falloir ensuite diviser par quatre en une nouvelle assemblée et c’est ce quart qui se retrouvera dans les bailliages principaux. Louis XVI parle d’élections graduelles. Les bailliages secondaires envoient donc leurs élus dans les bailliages principaux et entre eux désignent le député final (avec synthèse des cahiers de doléances). L’élu du bailliage principal qui n’a pas de bailliages secondaires le devient automatiquement. Louis XVI justifie ce choix pour éviter une assemblée générale trop nombreuse car s’y réunissent cette fois-ci la noblesse et le clergé qui n’ont pas à restreindre leurs représentants du fait d’être moins nombreux dans la population et donc avec des élections graduelles moins nécessaires. Louis XVI se préoccupe aussi des voyages et donc des frais occasionnés trop coûteux, à grande échelle de surcroît.
Les membres du clergé, et ceux de la noblesse dans leur ensemble, femmes comprises et les représentants des bailliages secondaires se retrouvent donc en assemblée générale au jour fixé entre mars et avril 1789 par le bailli ou sénéchal selon les prescriptions du règlement . Louis XVI détaille même les places de chacun : «Dans les séances, l’ordre du clergé aura la droite, l’ordre de la noblesse occupera la gauche, et celui du tiers-état sera placé en face. Entend, Sa Majesté, que la place que chacun prendra en particulier dans son ordre ne puisse tirer à conséquence dans aucun cas, ne doutant pas que tous ceux qui composeront ces assemblées n’aient les égards et les déférences que l’usage a consacrés pour les rangs, les dignités et l’âge.» Tous doivent prêter serment. Les nobles et ecclésiastiques pourront ensuite se retirer dans un endroit particulier afin de délibérer par ordre. Il est possible aussi de rédiger les cahiers tous ensemble mais il faut le consentement de chacun des trois ordres. Tout ceci n’empêche pas les innombrables querelles de préséances si caractéristiques de l’Ancien Régime. Les susceptibilités sont d’autant plus chatouilleuses quand les notables voient leur domination de plus en plus contestée, par le Règlement royal lui-même. Tous ces élus ont été désignés à haute voix. Maintenant il va falloir choisir entre eux (pour chaque ordre) un ou plusieurs députés, avec suppléants, à envoyer aux états généraux mais cette fois-ci à bulletin secret. L’urne évidemment n’existe pas, ni l’isoloir. Les enjeux deviennent nationaux, les egos aussi prennent davantage d’importance. Trois membres de l’assemblée sont choisis pour vérifier «les billets» (les bulletins), leur nombre et de déclarer le choix de l’assemblée. «Les billets de ce premier scrutin seront déposés, par tous les députés successivement, dans un vase placé sur une table au-devant du secrétaire de l’assemblée, et la vérification en sera faite par ledit secrétaire, assisté des trois plus anciens d’âge. Les trois membres de l’assemblée qui auront eu le plus de voix seront les trois scrutateurs. Les scrutateurs prendront place devant le bureau, au milieu de la salle de l’assemblée, et ils déposeront d’abord dans le vase à ce préparé leurs billets d’élection, après quoi tous les électeurs viendront pareillement, l’un après l’autre, déposer ostensiblement leurs billets dans ledit vase. Les électeurs ayant repris leurs places, les scrutateurs procèderont d’abord au compte en recensement des billets ; et si le nombre s’en trouvait supérieur à celui des suffrages existants dans l’assemblée, en comptant ceux qui résultent des procurations, il serait, sur la déclaration des scrutateurs, procédé à l’instant à un nouveau scrutin et les billets dit premier scrutin seraient incontinent brûlés. Si le premier billet portait plusieurs noms, il serait rejeté sans recommencer le scrutin ; il en serait usé de même dans le cas où il se trouverait un ou plusieurs billets qui fussent en blanc. Le nombre des billets étant ainsi constaté, ils seront ouverts, et les voix seront vérifiées par lesdits scrutateurs, à voix basse. La pluralité sera censée acquise par une seule voix au-dessus de la moitié des suffrages de l’assemblée. Tous ceux qui auront obtenu cette pluralité seront déclarés élus. A défaut de ladite pluralité, on ira une seconde fois au scrutin, dans la forme qui vient d’être prescrite ; et, si le choix de l’assemblée n’est pas encore déterminé par la pluralité, les scrutateurs déclareront les deux sujets qui auront réuni le plus de voix, et ce seront ceux-là seuls qui pourront concourir à l’élection qui sera déterminée par le troisième tour de scrutin, en sorte qu’il ne sera dans aucun cas nécessaire de recourir plus de trois fois au scrutin. En cas d’égalité parfaite de suffrages entre les concurrents dans le troisième tour de scrutin, le plus ancien d’âge sera élu. Tous les billets, ainsi que les notes des scrutateurs, seront soigneusement brûlés après chaque tour de scrutin. Il sera procédé au scrutin autant de fois qu’il y aura de députés à nommer.»
De nombreux baillis, sénéchaux ou leurs lieutenants se présentent pour la noblesse ou selon pour le tiers et protestent vivement s’ils ne sont pas élus, allant jusqu’à écrire au Roi contre cette injustice faite à leur charge qui traditionnellement leur donnait le droit de siéger aux états généraux. La réponse de du garde des sceaux Charles de Paule de Barentin (1738-1819) le 19 mai 1789 au prévôt de Paris qui s’arroge le même droit est tout à fait claire quant à la vision de Louis XVI : «Je ne dois pas vous dissimuler que les principes qui ont servi de bases à la convocation actuelle me paraissent s’opposer à ce que vous désirez. Vous jugerez
facilement que le Roi ayant manifesté l’intention que l’admission à l’assemblée des États généraux fût uniquement l’effet d’une élection libre, il ne serait pas possible d’avoir égard à
aucune prétention fondée sur des exemples ou des titres qui s’écarteraient de ce principe.» Les abus ou simples tentatives, voire les fraudes, sont légions. Il est en effet possible d’être élu dans les trois ordres ou pour plusieurs bailliages, l’élu doit donc faire un choix. Les autres mandats seront alors assurés par un suppléant. Barentin tente désespérément de rappeler à ses officiers quel est le véritable esprit du Règlement. Au lieutenant général de Tartas lui expliquant qu’il serait bon qu’un négociant soit élu dans sa sénéchaussée, il lui répond le 27 avril 1789 : «Vous ne devez point vous permettre de chercher à
déterminer le choix des votants, ni de faire aucunes démarches tendant à gêner les suffrages ; il faut laisser aux membres des assemblées la liberté de donner leur confiance à ceux qu’ils en
jugeront le plus dignes. Cette conduite s’éloignerait d’ailleurs entièrement de l’impartialité que vous devez manifester.» N’oublions pas non plus que de nombreuses juridictions ont refusé de respecter le Règlement du Roi sous prétexte d’aller à l’encontre des anciennes traditions, donc des libertés. On a vu le cas avec deux pays d’états, la Navarre et le Dauphiné. Leurs députés aux états généraux n’ont donc pas été élus dans les conditions générales. Mais il y en a beaucoup d’autres, comme le bailliage d’Orléans, avec à sa tête le cousin de Louis XVI qui depuis quelques années s’oppose systématiquement au pouvoir royal. Après avoir défendu les parlements, le duc d’Orléans conteste désormais les modalités des élections aux états généraux. Il se présente comme le défenseur de la liberté mais c’est bien celle de l’aristocratie qu’il défend. Les exemples sont multiples et représentatifs de l’ambiance tendue du moment. Un principe cependant en ressort : la lutte entre les tenants des libertés (donc des privilèges) et la liberté défendue par Louis XVI et son gouvernement. Si le pouvoir royal a sa part de responsabilités devant tant d’erreurs, comment aussi organiser de telles élections, en si peu de temps, sur un territoire aussi vaste et une population aussi nombreuse ?
Au final, malgré des procédures qui ont différé d’une circonscription à une autre, voire entre paroisses, malgré la pression des plus grands du royaume qui ont tout fait pour justifier localement leur refus de respecter le Règlement émis par Louis XVI, le clergé obtient 291 sièges, la noblesse 270 et le tiers état 578. Ces chiffres peuvent légèrement varier en fonction des historiens mais le principe reste le même. : les membres du tiers état obtiennent la majorité face au clergé et à la noblesse. De plus, le bas-clergé est en supériorité numérique face au haut-clergé. Louis XVI a obtenu au moins cela. Au prix cependant de voir de nombreux témoignages de prêtres frappés par leurs supérieurs hiérarchiques. On peut imaginer le scandale local, qui s’est sûrement répété des dizaines et des dizaines de fois un peu partout dans le royaume, lorsque l’évêque ou l’abbé qui se déplace en personne à l’assemblée générale, occupe la place d’honneur et voit un simple prêtre, un petit curé de campagne, se faire élire à sa place ! On imagine aussi très bien la pression des plus puissants sur le peuple de paysans, certes aisés, mais considérés tout de même comme des vilains.
Le 27 avril 1789, une nouvelle ordonnance royale donne convocation pour Versailles aux députés nouvellement élus. Avec prescription des habits à porter selon son ordre. Le même jour, des émeutes éclatent à la fabrique Réveillon, du nom d’un riche entrepreneur du quartier Saint-Antoine qui a suggéré l’idée de réduire le salaire des ouvriers pour faire face au chômage. Le contexte politique est donc extrêmement tendu. Les plus humbles de la capitale peuvent penser à juste titre qu’ils seront encore les grands oubliés des événements politiques qui s’annoncent. La fracture entre riches et pauvres est immense. Dans les cahiers de doléances, dans des lettres envoyées par des particuliers à Necker ou autres officiels, dans les journaux, nombreux sont ceux qui parlent de «révolution». C’est le cas par exemple de la communauté de Remiremont, pourtant un couvent féminin dont la vocation est d’éduquer les jeunes filles issues des plus grandes familles. C’est dire ! C’est cette convocation, ces élections qui vont permettre d’abattre les injustices et «régénérer la nation». Mais les uns pensent que cela permettra enfin de revenir à une monarchie aristocratique, éloignée de l’absolutisme louisquatorzien où les libertés de chacun seront renouvelées et confirmées, en fonction de son ordre, quand d’autres, _qui semblent encore minoritaires_, espèrent que ceux-ci disparaitront enfin pour donner toute sa place à une nation réellement unie. On l’a vu, les Français ne donnent pas le même sens au mot Liberté. Si l’Egalité a été souhaitée par Louis XVI en donnant davantage de représentativité à ceux négligés d’habitude, trop de coutumes et traditions persistent privilégiant les plus puissants (pourtant outrés des manquements qui leur ont été faits). Quant à la Fraternité, elle n’existe même pas au sein d’un même ordre, impossible de l’envisager partagée par tous les Français.
Notre propos n’est pas de développer les différents événements qui se sont ensuite déroulés à Versailles suite à la réunion des états généraux. Ceci a déjà été écrit (voir le lien ci-contre). Contentons-nous cependant d’un point de vue purement électif de souligner le travail monstrueux des agents du Roi qui ont dû faire face à tant de différences d’une localité à une autre. Cette organisation participera bientôt à d’autres transformations majeures du pays : l’abolition des privilèges et la création des départements.
De par le Roi,
Notre aimé et féal.
Nous avons besoin du concours de nos fidèles sujets pour Nous aider à surmonter toutes les difficultés où Nous Nous trouvons relativement à l’état de Nos finances, et pour établir, suivant nos vœux, un ordre constant et invariable dans toutes les parties du gouvernement qui intéressent le bonheur de nos sujets et la prospérité de Notre royaume. Ces grands motifs Nous ont déterminé à convoquer l’Assemblée des États de toutes les provinces de notre obéissance, tant pour Nous conseiller et Nous assister dans toutes les choses qui seront mises sous nos yeux, que pour Nous faire connaître les souhaits et doléances de nos peuples, de manière que par une mutuelle confiance et par un amour réciproque entre le souverain et ses sujets, il soit apporté le plus promptement possible un remède efficace aux maux de l’État, que les abus de tous genre soient réformés et prévenus par de bons et solides moyens qui assurent la félicité publique et qui nous rendent à Nous particulièrement, le calme et la tranquillité dont Nous sommes privés depuis si longtemps.
Donné à Versailles, le .
Règlement fait par le roi pour l’exécution des lettres de convocation du 24 janvier 1789 | |
Le roi, en adressant aux diverses provinces soumises à son obéissance des lettres de convocation pour les États généraux, a voulu que ses sujets fussent tous appelés à concourir aux élections des députés qui doivent former cette grande et solennelle assemblée ; Sa Majesté a désiré que des extrémités de son royaume et des habitations les moins connues, chacun fût assuré de faire parvenir jusqu’à elle ses vœux et ses réclamations ; Sa Majesté ne peut souvent atteindre que par son amour à cette partie de ses peuples que l’étendue de son royaume et l’appareil du trône semblent éloigner d’elle, et qui, hors de la portée de ses regards, se fie néanmoins à la protection de sa justice et aux soins prévoyants de sa bonté. Sa Majesté a donc reconnu, avec une véritable satisfaction, qu’au moyen des assemblées graduelles ordonnées dans toute la France pour la représentation du tiers-état, elle aurait ainsi une sorte de communication avec tous les habitants du son royaume, et qu’elle se rapprocherait de leurs besoins et de leurs vœux d’une manière plus sûre et plus immédiate. Sa Majesté a tâché de remplir encore cet objet particulier de son inquiétude, en appelant aux assemblées du clergé tous les bons et utiles pasteurs qui s’occupent de près et journellement de l’indigence et de l’assistance du peuple, et qui connaissent plus intimement ses maux et ses appréhensions. Le roi a pris soin néanmoins que dans aucun moment les paroisses ne fussent privées de la présence de leurs curés, ou d’un ecclésiastique capable de les remplacer ; et dans ce but Sa Majesté a permis aux curés qui n’ont point de vicaires de donner leur suffrage par procuration. Le roi appelle au droit d’être élus pour députés de la noblesse tous les membres de cet ordre indistinctement, propriétaires ou non propriétaires : c’est par leurs qualités personnelles, c’est par les vertus dont ils sont comptables envers leurs ancêtres, qu’ils ont servi l’État dans tous les temps et qu’ils le serviront encore ; et le plus estimable d’entre eux sera toujours celui qui méritera le mieux de le représenter. Le roi, en réglant l’ordre des convocations et la forme dus assemblées, a voulu suivre les anciens usages autant qu’il était possible. Sa Majesté, guidée par ce principe, a conservé, à tous les bailliages qui avaient député directement aux États généraux en 1614, un privilège consacré par le temps, pourvu du moins qu’ils n’eussent pas perdu les caractères auxquels cette distinction avait été accordée ; et Sa Majesté, afin d’établir une règle uniforme, a étendu la même prérogative au petit nombre de bailliages qui ont acquis des titres pareils depuis l’époque des derniers États généraux. Il est résulté de cette disposition que de petits bailliages auront un nombre de députés supérieur à celui qui leur aurait appartenu dans une division exactement proportionnée à leur population ; mais Sa Majesté a diminué l’inconvénient de cette inégalité, eu assurant aux autres bailliages une députation relative à leur population et à leur importance ; et ces nouvelles combinaisons n’auront d’autre conséquence que d’augmenter un peu le nombre général des députés. Cependant le respect pour les anciens usages et la nécessité de les concilier avec les circonstances présentes, sans blesser les principes de la justice, ont rendu l’ensemble de l’organisation des prochains États généraux, et toutes les dispositions préalables, très difficiles et souvent imparfaites. Cet inconvénient n’eût pas existé si l’on eût suivi une marche entièrement libre, et tracée seulement par la raison et par l’équité ; mais Sa Majesté a cru mieux répondre aux vœux de ses peuples, en réservant à l’assemblée des États généraux le soin de remédier aux inégalités qu’on n’a pu éviter, et de préparer pour l’avenir un système plus parfait. Sa Majesté a pris toutes les précautions que son esprit de sagesse lui a inspirées, afin de prévenir les difficultés, et de fixer toutes les incertitudes ; elle attend, des différents officiers chargés de l’exécution de ses volontés, qu’ils veilleront assidûment au maintien si désirable de l’ordre et de l’harmonie ; elle attend surtout que la voix de la conscience sera seule écoutée dans le choix des députés aux États généraux. Sa Majesté exhorte les électeurs à se rappeler que les hommes d’un esprit sage méritent la préférence, et que par un heureux accord de la morale et de la politique, il est rare que dans les affaires publiques et nationales les plus honnêtes gens ne soient aussi les plus habiles. Sa Majesté est persuadée que la confiance due à une assemblée représentative de la nation entière empêchera qu’on ne donne aux députés aucune instruction propre à arrêter ou à troubler le cours des délibérations. Elle espère que tous ses sujets auront sans cesse devant les yeux, et comme présent à leurs sentiments, le bien inappréciable que les États généraux peuvent opérer, et qu’une si haute considération les détournera de se livrer prématurément à un esprit de défiance qui rend si facilement injuste, et qui empêcherait de faire servir à la gloire et à la prospérité de l’État la plus grande de toutes les forces, l’union des intérêts et des volontés. Enfin, Sa Majesté, selon l’usage observé pur les rois, ses prédécesseurs, s’est déterminée à rassembler autour de sa demeure les États généraux du royaume, non pour gêner en aucune manière la liberté des délibérations, mais pour leur conserver le caractère le plus cher à son cœur, celui de conseil et d’ami. En conséquence, Sa Majesté a ordonné et ordonne ce qui suit : Art. Ier. Les lettres de convocation seront envoyées aux gouverneurs des différentes provinces du royaume, pour les faire parvenir, dans l’étendue de leurs gouvernements, aux baillis et sénéchaux d’épée, à qui elles seront adressées, ou à leurs lieutenants.
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Intéressons-nous maintenant à la composition sociologique de ceux qui après plusieurs élections graduelles finissent députés. Nous ne listerons pas les élus un par un mais allons observer leurs origines sociales.
- Pour la généralité de Paris :
- Le clergé : deux très grands prélats issus de la haute noblesse de cour sont élus : Antoine-Éléonor-Léon Leclerc de Juigné de Neuchelles (1728-1811), archevêque de Paris et l’abbé François-Xavier-Marc-Antoine, duc de Montesquiou-Fezensac (1756-1832), agent général de l’Eglise de France, c’est-à-dire celui chargé de gérer les biens de l’Eglise, immensément riche . L’honneur est sauf pour le haut clergé : deux de leurs plus éminents représentants sont élus. Si le rang des dix autres est moindre, n’appartenant pas aux grandes familles de la cour, ils restent très élevés dans la hiérarchie ecclésiastique : commendataire d’abbayes, chanoine, recteur de l’Université, membre du Parlement…Un seul curé est présent : Joseph-Marie Gros (1742-1792), qui officie à Saint-Nicolas du Chardonnet. Il est surnommé «le nouveau Saint-Vincent de Paul». Il est probablement le seul de cette liste à avoir une réelle connaissance de la pauvreté. Les cinq suppléants sont issus de la même catégorie sociale majoritaire, avec encore un seul curé.
- La noblesse : on compte six militaires issus des familles de la cour (Rochechouart, Lévis-Mirepoix, Lusignan, Clermont-Tonnerre, La Rochefoucauld), trois conseillers au Parlement (Peletier de Saint-Fargeau, Duport, , Dionis de Séjour) et un électron libre,
Gérard de Lally-Tollendal (1751-1830) fils illégitime d’un homme qui a donné son nom à un scandale politique sous Louis XV, défendu par Voltaire. Leurs dix suppléants sont là encore en majorité issus de la noblesse d’épée élevée et quelques-uns de la robe.
- Le tiers état : parmi les vingt membres de cet ordre, nous trouvons essentiellement des avocats, procureurs, bâtonniers, notaires (dont plusieurs conseillers au Parlement), des officiers de maisons royale ou princière… Autant dire un tiers état très relevé. Seuls quatre députés n’ont pas de métier libéral : un marchand de soie, un négociant, un orfèvre et un maître épicier. Les trois premiers ne sont financièrement pas n’importe qui car ils participeront par la suite à la gestion financière de l’Empire et l’un d’eux deviendra directeur de la Banque de France. On est donc dans la bourgeoisie financière. Dans cette liste, nous trouvons évidemment des noms promis à devenir très célèbres par la suite (Bailly, Guillotin, Siéyès…). Leurs vingt suppléants sont quasiment tous liés au Parlement ou au Châtelet. Les quelques exceptions sont des banquiers.
- Prévôté et vicomté de Paris :
- Le clergé : sur les quatre élus, on a deux curés, un ancien évêque et un abbé. Les deux suppléants sont également curés (dont un docteur de la Sorbonne). La proportion est donc plus équitable que sur Paris.
- La noblesse : trois nobles d’épée issus de la cour, un noble de robe. Il en va de même pour leurs suppléants.
- Le tiers état : sur ses huit membres, nous trouvons encore quatre avocats au Parlement et un négociant versaillais officier dans la Maison du Roi et échevin de la ville royale. Mais il y aussi deux laboureurs et un vigneron. Pour leurs suppléants, il n’y a qu’un cultivateur quand les autres sont tous de la robe ou propriétaires (c’est-à-dire vivant noblement).
- Bailliage de Provins :
- Le clergé : un abbé et un curé comme suppléant.
- La noblesse : le député et son suppléant sont tous deux issus de la noblesse militaire, au service du Roi. Le premier est grand bailli.
- Le tiers état : un greffier-cultivateur, un avocat, les deux suppléants un négociant et un magistrat.
- Bailliage de Nemours :
- Le clergé : deux curés (dont un bachelier en théologie) pour député et suppléant.
- La noblesse : un Noailles, de surcroît grand bailli, son suppléant est de noblesse moins haute.
- Le tiers état : nous retrouvons Samuel du Pont de Nemours, donc un proche du pouvoir et le bailli local. Leurs suppléants sont aussi membres de la magistrature locale.
- Bailliage de Meaux :
- Le clergé : un curé et pour suppléant un abbé, également parlementaire. Ce pauvre curé sera bientôt moqué dans toute l’assemblée et va rapidement démissionner, au grand plaisir de son suppléant qui se considère forcément comme plus légitime.
- La noblesse : un d’Aguesseau et comme suppléant un Clermont-Tonnerre.
- Le tiers état : un magistrat et un négociant ; idem pour leurs suppléants.
- Bailliage de Mantes :
- Le clergé : un curé.
- La noblesse : un chevalier petit seigneur.
- Le tiers état : un cultivateur fait chevalier, un magistrat.
- Bailliage de Beauvais :
- Le clergé : un curé ; idem pour son suppléant.
- La noblesse : un maréchal de camp, chevalier de Saint-Louis et grand bailli ; un capitaine de cavalerie comme suppléant.
- Le tiers état : un laboureur et un avocat au Parlement.
- Bailliage de Senlis :
- Le clergé : un curé.
- La noblesse : un Lévis, au service du comte de Provence et grand bailli.
- Le tiers état : un laboureur et un conseiller au bailliage, maire de Senlis.
- Bailliage de Sens :
- Le clergé : un curé.
- La noblesse : un Mortemart maréchal de camp ; un capitaine de gardes-françaises et chevalier de Saint-Louis comme suppléant.
- Le tiers état : deux officiers du bailliage ; un autre magistrat comme suppléant.
- Bailliage d’Etampes :
- Le clergé : un curé.
- La noblesse : un officier des gardes-françaises et chevalier de Saint-Louis ; un commandant d’infanterie et chevalier de Saint-Louis comme suppléant.
- Le tiers état : un garde du trésor royal, un receveur bourgeois de sa ville.
- Bailliage de Montfort l’Amaury :
- Le clergé : deux curés (dont un bachelier en théologie) ; idem comme suppléants.
- La noblesse : un Montmorency, gouverneur du château de Compiègne , au service du comte d’Artois, grand bailli, un ancien mousquetaire chevalier de Saint-Louis ; un maréchal de camp chevalier de Saint-Louis, un colonel de dragons comme suppléants.
- Le tiers état : deux avocats au parlement, un conseiller du Roi, un négociant ; un bourgeois, un avocat, un laboureur comme suppléants.
- Bailliage de Melun :
- Le clergé : un curé ; le vicaire de Cambrai, abbé commendataire, chanoine, frère de l’ancien ministre Calonne comme suppléant.
- La noblesse : un conseiller au parlement ; un mestre de camp attaché à la garde de la Reine, grand bailli comme suppléant.
- Le tiers état : deux avocats au bailliage, un conseiller du Roi, un négociant ; un avocat au bailliage, un procureur du Roi pour la forêt de Fontainebleau.
- Bailliage d’Amiens :
- Le clergé : un curé professeur au collège et l’évêque d’Amiens (un Machault) ; un curé comme suppléant.
- La noblesse : un Croÿ, prince d’Empire et Grand d’Espagne, maréchal de camp, frère de madame de Tourzel, un Noailles, gouverneur du château de Versailles, mestre de camp ; un petit seigneur comme suppléant.
- Le tiers état : un cultivateur, un négociant, un marchand, un avocat au parlement et bailliage ; un procureur comme suppléant.
- Gouvernement de Péronne :
- Le clergé : un curé et un abbé membre de l’Académie française ; un curé doyen du bailliage.
- La noblesse : Alexandre de Lameth, garde du corps du Roi, le duc de Mailly, président du bailliage ; deux chevaliers de Saint-Louis comme suppléants.
- Le tiers état : deux avocats au bailliage, un agriculteur, un propriétaire vivant noblement ; trois avocats, un propriétaire qui remplacera rapidement l’agriculteur comme suppléants.
- Sénéchaussée de Ponthieu à Abbeville :
- Le clergé : un curé.
- La noblesse : un chevalier de Saint-Louis colonel du Royal-Guyenne.
- Le tiers état : un avocat, un négociant ; le lieutenant de la sénéchaussée en suppléant.
- Bailliage de Montreuil-sur-mer :
- Le clergé : un curé.
- La noblesse : un chevalier de Saint-Louis, mestre de camp.
- Le tiers état : un propriétaire et le lieutenant du bailliage.
- Bailliage de Calais :
- Le clergé : un curé licencié en théologie de la Sorbonne.
- La noblesse : un chevalier de Malte, ancien chambellan de l’impératrice-reine et actuellement chambellan de l’empereur ; un ancien mousquetaire comme suppléant.
- Le tiers état : un avocat au parlement, un procureur du Roi des eaux et forêts.
- Sénéchaussée de Boulogne :
- Le clergé : le vicaire du diocèse et abbé commendataire ; un curé universitaire.
- La noblesse : le duc d’Aumont, premier gentilhomme de la Chambre du Roi ; un chevalier de Saint-Louis.
- Le tiers état : le doyen des avocats de la sénéchaussée, ancien mayeur de Boulogne, un avocat au parlement ; deux avocats au parlement.
- Bailliage de Saint-Quentin :
- Le clergé : un curé.
- La noblesse : un seigneur vivant à Paris ; un colonel des gardes françaises comme suppléant.
- Le tiers état : un seigneur fourrier des logis du Roi (le député de la noblesse et ce dernier se partageant une seigneurie), un chapelain de l’ordre de Malte et censeur du Roi.
- Bailliage de Soissons :
- Le clergé : un curé ; un curé-prieur comme suppléant.
- La noblesse : un Egmont-Pignatelli, allié aux Duras et Richelieu, maréchal de camp ; un seigneur procureur-syndic de la noblesse du bailliage.
- Le tiers état : un propriétaire et un avocat au parlement.
- Bailliage de Châlons-sur-Marne :
- Le clergé : l’évêque-comte pair de France.
- La noblesse : un seigneur.
- Le tiers état : un avocat au parlement, un marchand laboureur ; un avocat au parlement premier échevin de Châlons lieutenant du bailliage.
- Bailliage de Vitry-le-François :
- Le clergé : un curé docteur en théologie, un curé gradué en droit canon.
- La noblesse : un seigneur syndic, un seigneur chevalier de Saint-Louis ; un écuyer chevalier de Saint-Louis brigadier des armées du Roi mestre de camp, un baron colonel de régiment chevalier de Saint-Louis.
- Le tiers état : un lieutenant de bailliage secondaire (Sainte-Menehould), un ancien mousquetaire, le lieutenant général du bailliage, un maitre des forges.
- Bailliage de Sézanne :
- Le clergé : un curé ; un curé.
- La noblesse : le grand bailli maréchal de camp capitaine et gouverneur de la ville ; un conseiller au parlement.
- Le tiers état : le lieutenant général du bailliage, un maire ; un avocat au parlement et notaire, un avocat au parlement.
- Bailliage de Reims :
- Le clergé : l’archevêque-duc, premier pair de France primat de la Gaule Belgique ; un chanoine sénéchal de chapitre et docteur en théologie.
- La noblesse : un seigneur maréchal de camp commandeur de l’ordre de Saint-Louis capitaine de la ville, un seigneur brigadier du Roi ; un ancien capitaine de dragons, un lieutenant des gardes françaises.
- Le tiers état : un maître des forges, un professeur de droit lieutenant de la justice ducale, un bourgeois, un avocat au parlement ; un notaire, un avocat au parlement.
- Bailliage de Troyes :
- Le clergé : deux curés ; deux curés.
- La noblesse : un chevalier honoraire de l’ordre de Malte colonel d’infanterie premier major aux gardes-françaises chevalier de Saint-Louis, un chevalier de Saint-Louis et de l’ordre de Malte maréchal de camp ; un mousquetaire, un colonel d’infanterie.
- Le tiers état : deux négociants, deux avocats dont un au parlement ; un avocat du Roi, un avocat procureur fiscal, un bailli secondaire, un négociant.
- Bailliage de Langres :
- Le clergé : l’évêque-duc.
- La noblesse : un chevalier de Saint-Louis lieutenant-colonel du régiment Rohan.
- Le tiers état : un avocat au parlement, un procureur du Roi ; trois avocats dont un au parlement, un lieutenant de bailliage secondaire, un prévôt.
- Bailliage de Chaumont-en-Bassigny :
- Le clergé : deux curés.
- La noblesse : un Choiseul colonel du régiment Royal-Dauphin, un ancien capitaine au régiment du Roi.
- Le tiers état : un cultivateur, un procureur du Roi au bailliage, un médecin, un avocat au parlement ; un cultivateur.
- Bailliage du Vermandois à Laon:
- Le clergé : l’évêque de Laon (un Sabran) et deux curés ; un curé.
- La noblesse : deux chevaliers dont l’un lieutenant des maréchaux de France dans le bailliage, l’autre capitaine des chasseurs du Languedoc et un chevalier de Saint-Louis ; deux chevaliers et un chevalier de Saint-Louis comme suppléants.
- Le tiers état : le maire de Laon et secrétaire du Roi, deux subdélégués de l’intendant au bailliage et avocats, un procureur-syndic et un laboureur.
- Bailliage de Château-Thierry :
- Le clergé : un curé docteur de l’université, docteur en théologie à Paris ; un curé.
- La noblesse : un chevalier lieutenant des maréchaux de France dans le bailliage ; le mestre de camp du maréchal de Broglie.
- Le tiers état : le lieutenant du bailliage, un avocat au parlement ; un avocat au bailliage, un laboureur.
- Bailliage de Crépy-en-Valois :
- Le clergé : un curé.
- La noblesse : Louis-Philippe duc d’Orléans ; un capitaine d’artillerie et un capitaine aux gardes françaises comme suppléants.
- Le tiers état : le lieutenant du bailliage, conseiller du Roi et du duc d’Orléans et un laboureur.
Nous avons vu plus haut que cette élection n’a pas suivi le Règlement de Louis XVI. On imagine bien que le duc d’Orléans a essayé de placer des hommes à lui et a octroyé une place à un laboureur par démagogie. Cependant, il n’est certainement pas le seul grand seigneur rencontré parmi ces élus à avoir agi de la sorte.
- Bailliage de Clermont-en-Beauvaisis :
- Le clergé : l’évêque de Beauvais, pair de France, un La Rochefoucauld ; un curé.
- La noblesse : le duc de La Rochefoucauld, grand maître de la garde-robe du Roi (à qui il adressera bientôt les mots restés célèbres dans la nuit du 14 juillet).
- Le tiers état : un cultivateur, un conseiller du Roi.
- Bailliage de Villers-Cotterêts :
- Le clergé : un curé ; un prieur.
- La noblesse : le bailli, conseiller du Roi ; un maréchal de camp, commandeur de Saint-Louis.
- Le tiers état : un contrôleur général et intendant des maisons, domaines et finances du duc d’Orléans qui refuse son élection, le maire de Ferté-Milon ; un fermier qui remplace le premier. Peut-on y voir un souci d’honnêteté, conscient d’avoir obtenu la majorité des voix sous pression ?
- Bailliage d’Orléans :
- Le clergé : un curé, un chanoine et un abbé commendataire ; un curé et un abbé commendataire comme suppléants.
- La noblesse : le bailli, lieutenant général de la province, maréchal de camp, maître de la garde-robe du comte de Provence, un conseiller du Roi, magistrat du bailliage, un chevalier de Saint-Louis officier des gardes-françaises ; un chevalier de Saint-Louis, un ancien mousquetaire et le président de la chambre des requêtes du parlement de Paris.
- Le tiers état : un avocat au parlement, recteur de l’université d’Orléans, un avocat au bailliage, deux négociants, un entrepreneur de manufactures, un ancien médecin du Roi ; un lieutenant de police, le maître des eaux et forêts de Beaugency, un propriétaire, un bailli secondaire.
- Bailliage de Blois :
- Le clergé : un curé, un prieur-curé.
- La noblesse : Alexandre de Beauharnais, chevalier, sous-officier de Sarre-Infanterie (nous savons que sa noblesse n’était pas suffisante pour être présenté à la cour), un chevalier novice des ordres royaux militaire et hospitalier de Notre-Dame du Mont-Carmel et de Saint-Lazare de Jérusalem, capitaine du corps royal du génie ; Antoine Lavoisier, fermier général et savant. Ce dernier est donc considéré comme noble.
- Le tiers état : deux avocats au parlement, un lieutenant criminel, un conseiller du Roi, tous exerçant la justice dans le bailliage principal ou secondaires.
- Bailliage de Chartres :
- Le clergé : l’évêque ; un curé.
- La noblesse : un chevalier de Saint-Louis, mestre de camp ; un Talon conseiller du parlement.
- Le tiers état : le subdélégué de l’intendant, Jérôme Pétion de Villeneuve (on admirera la particule enlevée dans les mois suivants), un négociant grand juge-consul ; un avocat au parlement, un avocat et échevin.
- Bailliage de Dourdan :
- Le clergé : un curé bachelier en droit ; le grand vicaire de Chartres.
- La noblesse : le sous-lieutenant des gardes du comte d’Artois ; un Broglie, grand bailli, prince du Saint-Empire.
- Le tiers état : un notaire et Lebrun, un écuyer ancien secrétaire du chancelier Maupeou (et futur consul !).
- Bailliage de Gien :
- Le clergé : un curé.
- La noblesse : un petit seigneur.
- Le tiers état : deux avocats ; un avocat.
- Bailliage de Montargis :
- Le clergé : un curé.
- La noblesse : La Touche-Tréville, un officier de la marine, dont la famille est anoblie seulement sous Louis XIV, membre de la société Cincinnatus, chevalier de Saint-Louis, héros d’Amérique, grand bailli d’Orléans, chancelier du duc d’Orléans, futur héros de la marine de l’empire ; un Lusignan, ancien lieutenant aux gardes du corps du Roi.
On peut s’interroger sur l’ambiance au sein de la noblesse entre membres anciens et les anoblis de fraîche date. Rappelons que les Lusignan se considèrent comme descendants de la fée Mélusine et ont été quand même rois de Jérusalem. Rien de moins !
3. Le tiers état : un procureur-syndic, le lieutenant du bailliage ; un maire, un notaire échevin.
- Bailliage de Vendôme :
- Le clergé : un curé qui refuse son élection ; un curé qui remplace le premier élu.
- La noblesse : un ancien capitaine de dragons, chevalier de Saint-Louis.
- Le tiers état : un échevin et un marchand de fer (dont c’est la première occurrence).
- Bailliage de Bourges :
- Le clergé : l’archevêque, deux curés et un chanoine ; un prieur bachelier en droit.
- La noblesse : le premier gentilhomme de la chambre du comte de Provence et grand bailli, un mestre de camp chevalier de Saint-Louis, un propriétaire agronome, un ancien officier de la marine ; un chevalier de Malte également chevalier de Saint-Louis.
- Le tiers état : cinq avocats, soit au bailliage, soit échevins, deux médecins, un professeur à la faculté de Bourges, l’autre du comte d’Artois, le lieutenant du bailliage ; un conseiller, un maître des eaux et forêts.
- Sénéchaussée de Moulins :
- Le clergé : trois curés ; deux procureurs dont un pour le grenier à sel.
- La noblesse : trois chevaliers de Saint-Louis dont un ancien marin ; un chevalier de Saint-Louis et membre de la société de Cincinnatus.
- Le tiers état : deux procureurs , deux avocats au parlement, un conseiller du Roi, lieutenant de la sénéchaussée, un propriétaire vivant noblement ; un avocat au parlement.
- Bailliage du Nivernois et Donzizois à Nevers :
- Le clergé : un prieur-curé chanoine, un curé ; l’évêque de Nevers.
- La noblesse : un Sérent, fils du gouverneur des ducs d’Angoulême et de Berry et de la dame d’atours de madame Elisabeth, un maréchal de camp ; un sous-lieutenant des gardes du corps du Roi, le chambellan du précédent duc d’Orléans.
- Le tiers état : trois avocats au parlement, un avocat aux conseils du Roi résidant à Paris, (le parachutage ne date pas d’aujourd’hui) ; un conseiller au bailliage, un ancien échevin.
- Bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier :
- Le clergé : le vicaire général de Nevers et abbé commendataire ; un prieur conseiller au bailliage.
- La noblesse : un ancien capitaine de cavalerie ; un capitaine au régiment des chasseurs de Franche-Comté. Le premier refuse son élection et est donc remplacé par son suppléant.
- Le tiers état : un conseiller du Roi lieutenant du bailliage, le lieutenant de la vénerie du Roi ; un juge, un avocat au parlement.
- Sénéchaussée de la Haute-Marche à Guéret :
- Le clergé : deux curés (universitaires).
- La noblesse : deux maréchaux de camp dont un chevalier de Saint-Louis.
- Le tiers état : un inspecteur de manufactures et subdélégué de la généralité, le receveur des fermes, un avocat du Roi, le correspondant de la subdélégation (donc au service de l’intendant).
- Sénéchaussée de Lyon :
- Le clergé : le vicaire général de Lyon et abbé commendataire, un curé licencié en droit et ancien prédicateur du roi de Pologne, un curé bachelier, un curé prévôt du chapitre.
- La noblesse : trois seigneurs chevaliers, dont un chevalier de Saint-Louis et un écuyer membre de l’académie de Lyon.
- Le tiers état : trois négociants, deux bourgeois de Lyon, un imprimeur-libraire, un médecin et un conseiller à la Monnaie lieutenant général de la sénéchaussée ; un avocat à Paris, un marchand et un laboureur. Deux des élus (un bourgeois et le conseiller) refusent leur élection et sont remplacés par les deux premiers suppléants.
- Sénéchaussée de Villefranche-de-Beaujolais :
- Le clergé : un curé docteur à la Sorbonne.
- La noblesse : un lieutenant des gardes du corps du Roi dans la compagnie écossaise; un colonel de régiment.
- Le tiers état : un avocat maire de Villefranche, un négociant.
- Bailliage de Forez à Montbrison :
- Le clergé : deux curés.
- La noblesse : un chevalier de Saint-Louis ancien lieutenant colonel de cavalerie, un chevalier de Saint-Louis major des vaisseaux du Roi.
- Le tiers état : le grand bailli membre de l’ordre de Cincinnatus maréchal de camp chevalier de Saint-Louis, deux bourgeois, le bibliothécaire de l’académie de Lyon.
- Sénéchaussée de Riom :
- Le clergé : quatre curés et un chanoine ; un curé et un prieur.
- La noblesse : trois maréchaux de camp dont le grand sénéchal, un ancien mousquetaire, un chevalier ; un écuyer lieutenant criminel de la sénéchaussée, un mestre de camp, un colonel de régiment chevalier de Saint-Louis, un chevalier, un capitaine de dragons chevalier de Saint-Louis.
- Le tiers état : un conseiller du Roi intendant de la marine, un conseiller du Roi prévôt et lieutenant général de la sénéchaussée, un échevin avocat au parlement, un écuyer négociant, un bourgeois propriétaire, un avocat au parlement, un avocat fiscal, un négociant ancien maire, un secrétaire de la province d’Auvergne, un procureur de la sénéchaussée ; un avocat au parlement, un bailli secondaire, un avocat châtelain, un bourgeois propriétaire.
- Sénéchaussée de Clermont-Ferrand :
- Le clergé : l’évêque ; un curé.
- La noblesse : un lieutenant général des armées du Roi commandant en chef en Auvergne ; un seigneur (du nom de Barentin), un major des vaisseaux du Roi à Brest (que fait-il donc en Auvergne ?).
- Le tiers état : un avocat membre de l’assemblée provinciale, un avocat maire procureur-syndic ; trois avocats dont un bailli, un bâtonnier, un échevin et un médecin.
- Sénéchaussée de Saint-Flour :
- Le clergé : l’évêque et deux curés.
- La noblesse : un grand d’Espagne grand bailli colonel du Royal-Vaisseau, un capitaine du régiment des cuirassiers du Roi, un chevalier.
- Le tiers état : cinq avocats dont deux au parlement, le sixième lieutenant général du bailliage des montagnes d’Auvergne.
- Sénéchaussée de Limoges :
- Le clergé : l’évêque premier aumônier de Monsieur, un curé.
- La noblesse : un chevalier des ordres du Roi, mestre de camp et premier maître d’hôtel du Roi, un Mirabeau (frère cadet du plus célèbre et bientôt surnommé «Mirabeau-Tonneau» pour son intempérance) chevalier de Saint-Louis, membre de l’ordre de Cincinnatus, chevalier de l’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem ; le grand sénéchal, un chevalier de Saint-Louis lieutenant des maréchaux de France.
- Le tiers état : un conseiller du Roi lieutenant général de la sénéchaussée, un seigneur conseiller du Roi directeur de la Monnaie de Limoges, deux avocats au parlement ; un médecin, un avocat au parlement procureur de la Monnaie.
- Sénéchaussée de Tulle :
- Le clergé : un curé bachelier en théologie, un curé docteur en théologie ; le vicaire général du diocèse.
- La noblesse : un conseiller au parlement de Bordeaux, le major du régiment Royal-Picardie ; un seigneur.
- Le tiers état : le lieutenant général de la sénéchaussée, un lieutenant d’une sénéchaussée secondaire, deux avocats ; un avocat du Roi.
- Sénéchaussée de Poitiers :
- Le clergé : cinq curés, un chanoine prieur-curé, l’évêque de Poitiers et l’évêque de Luçon (un Merçy, parent de l’ambassadeur d’Autriche).
- La noblesse : un Montmorençy-Luxembourg pair de France maréchal de camp lieutenant général de la province, un Crussol lieutenant général des armées du Roi, un chevalier de Saint-Louis, un lieutenant de vaisseau de l’académie royale de marine, deux seigneurs, un maréchal de camp ; un seigneur maréchal de camp, le lieutenant général de la sénéchaussée, un procureur de la sénéchaussée.
- Le tiers état : deux conseillers de sénéchaussées secondaires, quatre avocats dont un du parlement et un autre du Roi, un procureur du Roi, un procureur syndic, un lieutenant criminel de sénéchaussée secondaire, un président et un lieutenant général de sièges de bourgs, un médecin, un notaire, un échevin ; deux conseillers de présidial ou de sénéchaussées, un bourgeois, un avocat procureur.
- Sénéchaussée de Châtellerault :
- Le clergé : un curé ; un curé.
- La noblesse : colonel du régiment d’Artois dragons, gentilhomme d’honneur du comte d’Artois ; un seigneur.
- Le tiers état : le lieutenant général de la sénéchaussée, le procureur du Roi de la sénéchaussée ; un avocat.
- Sénéchaussée de La Rochelle :
- Le clergé : un curé docteur en théologie ; un bachelier en droit prieur-curé.
- La noblesse : un chevalier de Saint-Louis lieutenant colonel ; un seigneur.
- Le tiers état : un chevalier seigneur conseiller du Roi maître de la chambre des comptes, un procureur du Roi premier avocat du Roi de la sénéchaussée maire de la La Rochelle ; un capitaine de la marine marchande syndic de Saint-Martin-de-Ré, un lieutenant- canonnier des côtes cultivateur, un négociant.
- Sénéchaussée de Saint-Jean-d’-Angély :
- Le clergé : un curé.
- La noblesse : un mestre de camp chevalier de Saint-Louis ; idem.
- Le tiers état : le lieutenant général de la sénéchaussée, un avocat au parlement.
- Sénéchaussée de Saintonges à Saintes :
- Le clergé : l’évêque, un chanoine prieur-curé.
- La noblesse : un chevalier de Saint-Louis capitaine de vaisseau, un La Tour du Pin Gouvernet lieutenant général de l’armée du Roi de la province ; un seigneur, un lieutenant de vaisseau.
- Le tiers état : deux négociants, le lieutenant général criminel de Saintes, un avocat au parlement.
- Bailliage de Tours :
- Le clergé : l’archevêque, deux curés, un prieur ; le vicaire, un curé.
- La noblesse : un maréchal de camp, un colonel de régiment chevalier de Saint-Louis, un chef d’escadron, un Luynes pair de France chevalier de Saint-Louis ; un seigneur, un capitaine de grenadiers.
- Le tiers état : trois avocats au parlement, un avocat au bailliage, un lieutenant criminel de bailliage secondaire, deux propriétaires dont un à Saint-Domingue, un négociant ; le président du grenier à seul, un maître des forges, un propriétaire, un procureur au parlement de Paris.
- Sénéchaussée du Maine au Mans :
- Le clergé : trois curés, un chanoine prieur, l’évêque.
- La noblesse : le procureur-syndic de la noblesse de l’assemblée provinciale, un lieutenant des vaisseaux du Roi, le vidame du Mans chevalier de Saint-Louis, un Tessé grand d’Espagne, chevalier des ordres du Roi lieutenant général de la province, premier écuyer de la Reine, un ancien capitaine chevalier de Saint-Louis ; un Choiseul-Praslin colonel du régiment Lorraine-Infanterie (il remplace dès août 1789 le procureur-syndic), un seigneur (il remplace Tessé en mai 1790), un brigadier chevalier de Saint-Louis, un lieutenant-colonel de cavalerie, un lieutenant-colonel d’infanterie.
- Le tiers état : un juge-civil, un changeur pour le Roi, un conseiller du Roi et de Monsieur lieutenant général de la sénéchaussée, un négociant en toiles, un avocat ducal et procureur, un maître des grosses forges, un conseiller du Roi juge de la sénéchaussée, un maitre des eaux et forêts, un conseiller du Roi, un conseiller ; un conseiller du Roi et de Monsieur bailli secondaire juge, un échevin ancien administrateur des hôpitaux ancien directeur général de la Société royale d’agriculture de la généralité de Tours, un notaire.
- Bailliage de Rouen :
- Le clergé : le cardinal-archevêque primat de Normandie et abbé de Cluny (un La Rochefoucauld), un curé et deux prieurs.
- La noblesse : un Rochechouart de Mortemart colonel du régiment de Navarre, un lieutenant-colonel de cavalerie, un président à mortier du parlement de Rouen, un avocat général du même parlement.
- Le tiers état : un avocat au parlement, un prieur de la chambre de commerce et banquier, deux négociants, deux laboureurs, un propriétaire, un marchand de bois ; un écuyer conseiller du Roi lieutenant du bailliage, un avocat au parlement, un échevin trésorier des guerres officier commensal de la maison de la Reine.
- Bailliage d’Evreux :
- Le clergé : deux curés dont un bachelier en théologie.
- La noblesse : un retraité lieutenant-colonel mestre de camp, un maréchal de camp chevalier de Saint-Louis et chevalier honoraire de l’ordre de Malte.
- Le tiers état : un laboureur marchand de chevaux, un conseiller du Roi et de Monsieur d’un bailliage secondaire, un avocat, un négociant.
- Bailliage de Caux à Caudebec :
- Le clergé : deux curés et le vicaire de Rouen.
- La noblesse : un marquis, un conseiller au parlement demeurant ordinairement à Paris, un maréchal de camp commandeur de Saint-Louis inspecteur du corps royal d’artillerie ; un ancien mestre de camp des gendarmes de la garde du Roi.
- Le tiers état : un négociant au Havre, trois procureurs de bailliages secondaires, deux laboureurs dont un conseiller du Roi au présidial.
- Bailliage de Chaumont-en-Vexin :
- Le clergé : un docteur en théologie grand vicaire archidiacre du Pontoise et Vexin.
- La noblesse : un seigneur conseiller du Roi chancelier garde des sceaux de feu le duc d’Orléans ; un mousquetaire.
- Le tiers état : un procureur du Roi, un conseiller d’état ; un avocat notaire.
- Bailliage de Caen :
- Le clergé : trois curés.
- La noblesse : le duc de Coigny pair de France gouverneur de Cambrai bailli et capitaine des chasses de la varenne du Louvre chevalier des ordres du Roi lieutenant général de ses armées gouverneur de Caen grand bailli, un colonel de cavalerie, un maréchal de camp chevalier de Saint-Louis.
- Le tiers état : un avocat, un cultivateur ancien lieutenant de la grande louveterie de France, un négociant, un lieutenant de bailliage secondaire, un conseiller de bailliage secondaire, l’ancien directeur de la monnaie de Caen.
- Bailliage de Coutances :
- Le clergé : trois curés et l’évêque abbé.
- La noblesse : un ancien capitaine de cavalerie chevalier de Saint-Louis, un ancien officier au corps royal d’artillerie, un seigneur, un maréchal de camp officier de marine demeurant à l’archevêché de Paris (un Juigné, frère du premier de cette liste).
- Le tiers état : deux avocats, un négociant, un maire, un lieutenant de bailliage secondaire, un procureur de bailliage secondaire, un bailli de bailliage secondaire, un vicomte maire.
- Bailliage d’Alençon :
- Le clergé : deux curés.
- La noblesse : un marquis, un conseiller au parlement demeurant ordinairement à Paris, un maréchal de camp commandeur de Saint-Louis inspecteur du corps royal d’artillerie ; un ancien mestre de camp des gendarmes de la garde du Roi.
- Le tiers état : un négociant au Havre, trois procureurs de bailliages secondaires, deux laboureurs dont un conseiller du Roi au présidial.
Sénéchaussée d’Angers :
- Le clergé : trois curés dont un membre de l’académie des sciences et belles-lettres d’Angers, un chanoine curé-prieur ; deux curés.
- La noblesse : un aide de camp grand sénéchal de la province d’Anjou, deux seigneurs, un Choiseul-Praslin ; un capitaine d’artillerie, un conseiller au parlement de Paris.
- Le tiers état : un lieutenant de la sénéchaussée, un lieutenant criminel d’une sénéchaussée secondaire, deux bourgeois, un négociant, un conseiller et un avocat du Roi au présidial, un médecin.
- Sénéchaussée de Saumur :
- Le clergé : un prieur-curé ; un curé.
- La noblesse : un seigneur ; un ancien capitaine des chevau-légers de la garde du Roi.
- Le tiers état : un négociant, l’ancien maire ancien bâtonnier ; un avocat fiscal.
- Sénéchaussée du Loudunois à Loudun :
- Le clergé : un curé.
- La noblesse : un un seigneur chevalier de Saint-Louis.
- Le tiers état : un avocat du Roi subdélégué de l’intendant, un avocat au parlement procureur du bailliage.
- Sénéchaussée d’Angoulême :
- Le clergé : l’évêque, un curé ; un chanoine.
- La noblesse : un Saint-Simon, grand d’Espagne maréchal de camp membre de l’ordre de Cincinnatus commandeur de l’ordre royal de Saint-Louis, un seigneur chevalier de Saint-Louis brigadier des armées du Roi.
- Le tiers état : un négociant, trois avocats au parlement.
- Sénéchaussée de la Basse-Marche au Dorat :
- Le clergé : un curé.
- La noblesse : le sénéchal chevalier de Saint-Louis.
- Le tiers état : deux avocats au parlement.
- Sénéchaussée de Bordeaux :
- Le clergé : l’archevêque, le vicaire, un curé ; un religieux.
- La noblesse : le premier président du parlement de Bordeaux, le président à mortier, un maréchal de camp capitaine sous-lieutenant des gendarmes de la garde du Roi, le chef d’escadron du Royal-Piémont ; un chevalier, un lieutenant général des armées du Roi chevalier de Saint-Louis, un capitaine de vaisseau, un chevalier de Saint-Lazare, un maréchal de camp gouverneur du château royal de Saint-Hubert, un écuyer académicien de Bordeaux et membre de la société royale d’agriculture de Paris.
- Le tiers état : un marchand de toiles et ancien consul, un armateur négociant, deux médecins, un négociant, deux notaires, un bourgeois ; un bourgeois vivant noblement, un avocat. Les négociants de Bordeaux sont évidemment des marchands d’esclaves.
- Sénéchaussée de Bazas :
- Le clergé : l’évêque ; un curé.
- La noblesse : le grand sénéchal.
- Le tiers état : deux avocats au parlement de Bordeaux.
Deux suppléants sans attribution d’ordre.
- Sénéchaussée de Castelmoron :
- Le clergé : un curé docteur en théologie.
- La noblesse : un noble vivant à Bordeaux.
- Le tiers état : deux avocats au parlement.
- Sénéchaussée d’Albret à Nérac :
- Le clergé : l’évêque de Condom, un chanoine prieur-curé ; le vicaire du diocèse.
- La noblesse : le futur fameux baron de Batz grand sénéchal.
- Le tiers état : deux avocats au parlement ; un négociant, un avocat.
- Sénéchaussée de Condom et de la Gascogne :
- Le clergé : un curé.
- La noblesse : un Lusignan-Xaintrailles brigadier des armées du Roi.
- Le tiers état : deux avocats au parlement.
- Sénéchaussée de l’Agenois à Agen :
- Le clergé : l’évêque et deux curés.
- La noblesse : le duc d’Aiguillon, pair de France, lieutenant général de la province de Bretagne, un seigneur, un Montségur maréchal de camp lieutenant général de la province du Lyonnais commandeur des ordres de Saint-Lazare et du Mont-Carme gentilhomme d’honneur de Monsieur.
- Le tiers état : trois avocats dont un au parlement, un juge royal, deux bourgeois cultivateurs ; un médecin.
- Sénéchaussée de Périgueux :
- Le clergé : un curé, un archiprêtre ; un prieur royal.
- La noblesse : un seigneur, un chevalier d’honneur de l’ordre de Malte ; un maréchal de camp gouverneur et grand bailli du Périgord.
- Le tiers état : deux avocats, deux lieutenants généraux de la sénéchaussée.
- Sénéchaussée de Libourne :
- Le clergé : un curé.
- La noblesse : un chevalier de Saint-Louis capitaine de dragons.
- Le tiers état : deux avocats.
- Sénéchaussée d’Auch :
- Le clergé : un docteur en théologie archi-prêtre.
- La noblesse : un ancien mousquetaire chevalier de Saint-Louis.
- Le tiers état : un seigneur procureur du Roi de la sénéchaussée, un avocat au parlement.
- Sénéchaussée de Mont-de-Marsan :
- Le clergé : un curé.
- La noblesse : un seigneur.
- Le tiers état : un conseiller au parlement, un avocat ; un médecin procureur-syndic.
- Pays de Rivière-Verdun, Gaure et baronnies de Léonac et Marestaing :
- Le clergé : un Breteuil évêque de Montauban et abbé ; un abbé commendataire chanoine et vicaire de l’évêque de Lombez.
- La noblesse : un capitaine des chasseurs à cheval de Flandre,
- Le tiers état : un procureur du Roi juge et procureur-syndic, un avocat au parlement.
- Comté de Comminges assemblé à Muret :
- Le clergé : deux curés dont un bachelier en théologie.
- La noblesse : un baron et un capitaine de cavalerie chevalier de Saint-Louis.
- Le tiers état : médecin maire, un négociant, un juge royal et un conseiller du Roi juge.
Malgré une élection locale qui n’a pas suivi le règlement royal (voir plus haut), les élus ont les mêmes origines sociologiques que tous ceux répertoriés précédemment.
- Sénéchaussée de Lannes à Dax :
- Le clergé : un curé.
- La noblesse : un seigneur.
- Le tiers état : un lieutenant général d’une sénéchaussée secondaire, un conseiller du Roi procureur d’un bailliage secondaire ; un avocat au parlement.
- Sénéchaussée d’Armagnac à Lectoure :
- Le clergé : un curé.
- La noblesse : un baron maréchal de camp grand sénéchal.
- Le tiers état : un conseiller du Roi juge-mage, un avocat au parlement.
- Sénéchaussée de Tartas :
- Le clergé : un curé.
- La noblesse : le comte d’Artois (!!!) frère du Roi qui refuse son élection ; le baron de Batz (le père) qui opte pour cette sénéchaussée plutôt que celle de Nérac laissée à son fils. Leur noblesse n’a pas été reconnue par Chérin généalogiste du Roi.
- Le tiers état : un notaire juge, un conseiller du Roi au sénéchal.
On se demande comment le comte d’Artois a pu se faire élire dans une sénéchaussée aussi éloignée de Versailles et aussi minuscule. On peut largement douter qu’il s’y soit déplacé.
- Pays des Quatre-Vallées assemblé à La Barthe-de-Neste :
- La noblesse : un capitaine du génie ; un Ségur colonel de dragons et ancien ambassadeur de Russie.
- Pays de Couserans assemblé à Saint-Girons :
- Le clergé : l’évêque.
- La noblesse : un seigneur ; un seigneur capitaine en second d’un régiment, un baron.
- Le tiers état : un seigneur en paréage avec le Roi colonel du régiment d’infanterie d’Austrasie gentilhomme d’honneur du comte d’Artois ; un avocat au parlement.
On se demande pourquoi l’élu du tiers état se présente dans cet ordre.
- Sénéchaussée du Quercy à Cahors :
- Le clergé : l’évêque et deux curés ; un curé.
- La noblesse : deux chevaliers de Saint-Louis anciens capitaines un du régiment Brissac-infanterie l’autre des dragons, un colonel du régiment Lauzun ; un colonel de cavalerie, un lieutenant des gardes du corps du Roi maréchal de camp.
- Le tiers état : trois avocats, un négociant, un lieutenant de bailliage secondaire, un président d’élection.
- Sénéchaussée Rodez :
- Le clergé : l’évêque (un Colbert de Seignelay).
- La noblesse : un maréchal de camp commandeur de Saint-Louis.
- Le tiers état : un bourgeois vivant noblement, un lieutenant de sénéchaussée.
- Sénéchaussée Rouergue à Villefranche :
- Le clergé : un prieur-curé professeur au collège de Rodez, le vicaire général.
- La noblesse : un seigneur, un chevalier de Saint-Louis brigadier des armées du Roi. Ce dernier refuse son élection ; un officier de marine chevalier de Saint-Louis qui le remplace.
- Le tiers état : quatre avocats.
Ce recensement permet d’expliquer bien des événements révolutionnaires. On est frappé par l’écrasante majorité de robins, présents dans les trois ordres, dont la sociologie oscille entre très proches du pouvoir (même si majoritairement dans l’opposition) et ce qu’on pourrait appeler une classe moyenne, instruite et cultivée, éloignée de la réalité de la population dans sa grande majorité paysanne. Le tiers-état est représenté soit par de riches entrepreneurs (agronomes ou de manufactures), soit par des officiers au service du Roi, c’est-à-dire des fonctionnaires, pour ne pas dire des hauts-fonctionnaires (pour une très large majorité). C’est cette bourgeoisie intermédiaire qui va pleinement profiter de la révolution puis de l’empire pour devenir ensuite la grande gagnante du XIXème siècle. Les notables _ou ceux amenés à le devenir_, pourtant récusés lors de leurs deux assemblées par l’opinion et même par Louis XVI restent donc majoritaires.
D’autres disparités apparaissent. En effet, comment ne pas considérer le décalage entre l’avocat habitué aux plaidoiries et discours publics du Palais et celui qui gère des petites affaires judiciaires dans des petites localités ? Entre un banquier-négociant parisien, au réseau important et le marchand ou fermier certes nanti localement mais qui ne connaît (presque) personne dans la capitale ? Malheureusement ce décalage est toujours d’actualité de nos jours. On découvre aussi que loin de la légende tenace, il n’y a pas du tout un seul et unique laboureur dans toute l’assemblée. Ils sont plusieurs et en nombre (bien que très minoritaires face aux avocats). La représentation unique qui en est faite dans le célèbre tableau des états généraux nous le montre sans perruque. Ce fut peut-être le cas. Ils sont cependant de riches exploitants, au personnel important, gros propriétaires, vivant souvent noblement. Et qui souvent se retrouvent plus riches que leur seigneur qui doit lui se contenter d’un château en ruines et d’une carrière militaire aux perspectives limitées.
Mais ils restent pour autant des vilains, des gueux aux yeux de la plupart des députés. Trop peu dans cette assemblée ont conscience de la réalité majoritaire du pays. Comment faire entendre sa voix lorsqu’on se sent en décalage social et forcément dépourvu de la haute formation intellectuelle de la plupart des membres de cette assemblée ? Cet écart de richesse et de réelle appartenance au peuple est certainement encore plus flagrant au sein du clergé et permet de comprendre les prochains drames que va subir l’Eglise de France. Louis XVI a réussi à obtenir une écrasante majorité de curés issus de petites paroisses sans prétention. Mais le haut-clergé bien qu’en minorité sait parler, connaît le droit et la théologie et a l’habitude de ces larges assemblées. La noblesse est peut-être plus homogène dans ses représentants, avec une répartition équitable entre épée et robe. Les deux ont des aspirations somme toute communes. Il y a cependant une différence marquée entre la noblesse proche du pouvoir, férue des nouvelles idées, beaucoup revenant d’Amérique et les petits seigneurs du monde rural, à la carrière militaire peu prestigieuse uniquement récompensée par l’ordre de Saint-Louis. Leur noblesse peut même leur être contestée par le généalogiste du Roi (les plus célèbres de cette liste dans ce cas étant Alexandre de Beauharnais et le baron de Batz). Ces seigneurs sont d’autant plus sensibles à cette question que leurs fiefs sont rachetés par de riches cultivateurs qui vivent de plus en plus noblement, n’hésitant pas à rajouter une particule à leur nom. Ces nobles locaux sont donc attachés à ce qui leur reste de privilèges, notamment en prenant conscience avec ces élections de l’importance de leur titre de bailli ou de sénéchal pourtant depuis longtemps tombé en désuétude. Ils tentent donc de récupérer en cette fin de 1788 et début 1789 leurs prérogatives de rendre la justice au nom du Roi abandonnées depuis plus d’un siècle au monde des petits magistrats et bourgeois devenus entretemps lieutenants, juges procureurs…
Les frustrations et jalousies sont donc multiples de toutes parts. On voit ainsi se dessiner par les origines sociales des députés la prochaine lutte entre le monde féodal et le libéralisme qui découlera forcément sur les conflits sociaux du XIXe et XXe siècles.
- Bibliographie :
ARCHIVES PARLEMENTAIRES de 1787 à 1860 ; 2-7. États généraux ; Cahiers des sénéchaussées et bailliages, tomes 1 et 2 imprimés par ordre du Sénat et de la Chambre des députés, Paris, 1879 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k495172/f223.item
ARCHIVES PARLEMENTAIRES https://intertextual-hub.uchicago.edu/philologic/ap/navigate/8/5/
BRETTE (Armand), Recueil de documents relatifs à la convocation des États généraux de 1789, imprimerie nationale (Paris), 1894, 728 pages, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62169428/f19.item