

La comtesse de Brandeiss aux côtés de la petite Antonia
détail de ce tableau :

Réunion de la famille impériale à l’occasion des fêtes du mariage de l’Archiduc héritier Joseph et d’Isabelle de Parme ; le couple impérial est au centre, entouré par les nouveaux mariés, le marié près de son père, la mariée près de sa belle-mère. Les quatre autres Archiducs se répartissent ensuite, deux par deux, puis les Archiduchesses se divisent en deux groupes de quatre, chaque série commençant par une des aînées, soit Marie-Anne, soit Marie-Christine, suivies ensuite de leurs cadettes par ordre décroissant. Marie-Antoinette est donc une des deux petites Archiduchesses aux extrémités, l’autre étant Marie-Caroline.
Il est couramment admis que Madame de Brandeiss montre trop de clémence vis-à-vis de son élève, et qu’elle est démise de ses fonctions pour lui avoir mâché la besogne à de nombreuses reprises. D’où vient ce renseignement ? Sans doute de Madame Campan… Or, voici le texte exact d’ Henriette :
« Les grandes maîtresses, n’ayant aucune inspection à craindre de la part de Marie-Thérèse, cherchèrent à se faire aimer de leurs élèves en suivant route si blâmable et si commune d’une indulgence funeste aux progrès et au bonheur futur de l’enfance. Marie-Antoinette fit congédier sa grande maîtresse en avouant à l’impératrice que toutes ses pages d’écriture et toutes ses lettres étaient habituellement tracées au crayon; la comtesse de Brandès fut nommée pour remplacer cette gouvernante et s’acquitta de ses devoirs avec beaucoup d’exactitude et de talent. La reine regardait comme un malheur pour elle d’avoir été trop tard confiée à ses soins et resta toujours en relation d’amitié avec cette dame.»
Mémoires de Madame Campan

Madame Antoine en 1760, aquarelle de Johann Christoph von Reinsperger
Selon ce texte, la maîtresse trop complaisante et la comtesse de Brandeiss ne sont pas la même personne.
Le 6 octobre 1760
Célébration du mariage de Joseph II (1741-1790) et d’ Isabelle de Bourbon-Parme (1741-1763) à Vienne en grandes pompes.

Isabelle de Bourbon-Parme et l’Archiduc Joseph au moment de leur mariage, d’après Martin van Meytens


Madame Antoine en 1760
« La gouvernante, la comtesse Brandeiss, était une femme d’une très grande bonté et d’une intelligence médiocre qui comblait la petite Antoine de marques d’affection -marques que celle-ci ne recevait peut-être pas de sa mère. Elle la câlinait et la gâtait et Antoine l’adorait en retour. »
Antonia Fraser

Détail du tableau peint par Johann Georg Weickert: l’Archiduchesse Antonia (1765)
Le 18 août 1765
Mort de l’Empereur François Ier (1708-1765), lors des festivités du mariage de l’Archiduc Léopold à Innsbruck.

Pompeo Batoni, en 1771, entoure l’Empereur des figures emblématiques de la Justice, de la Clémence,
de la Force et de la Vérité, qu’il lui fait désigner d’un geste auguste.

L’Archiduchesse Antonia par Liotard

En avril 1768
La comtesse de Brandeiss est remplacée, à cause de son excessive complaisance envers son élève, par l’ancienne gouvernante de Marie-Caroline, la comtesse de Lerchenfeld qui restera à son poste jusqu’à sa mort en 1770. Elle est alors remplacée par la comtesse de Trautmaussdorfft. (note 38, p. 535).

La comtesse de Trautmaussdorfft dans Marie-Antoinette (1938) de Van Dyke
Originaire de Bavière, intelligente et sévère, en juillet 1735, elle a épousé le comte Philipp Ernst von Lerchenfeld, dont elle a eu un fils. Avant sa nomination de gouvernante, elle a déjà exercé les fonctions de grande maîtresse de la garde-robe des grandes princesses.

Madame Antoine

Marie-Antoinette encore à Vienne
Le 19 avril 1770
Mariage par procuration de Maria-Antonia et du Dauphin à l’église des Augustins de Vienne.

Marianne Faithfull incarne Marie-Thérèse d’Autriche pour Sofia Coppola
Le lien entre la mère et la fille sera assuré par Florimond de Mercy-Argenteau (1727-1794) , ambassadeur de Marie-Thérèse en France depuis 1766) qui a , envers sa pupille, un rôle presque paternel…

Le comte de Mercy-Argenteau
Le 16 mai 1770
Le mariage de Marie-Antoinette et du Dauphin est célébré dans la chapelle royale de Versailles.

Le mariage dans le film de Sofia Coppola (2006)
Le 20 août 1770
« Le 5, je remis à Madame la dauphine une lettre que m’avait envoyée le prince de Starhemberg, et qui était de la comtesse de Brandis. S.A.R. plaisanta un peu sur cette correspondance , et ne témoigna pas y être fort attachée ; je pris la liberté de lui dire qu’en ce cas le moyen le plus simple était de ne pas faire de réponse. »
Le comte de Mercy-Argenteau


Le couple delphinal par Martin van Meytens (1771)
« Ma très chère Brandis, je vous fais mon compliment ; croyez bien ma chère Brandis, que les vœux que je forme pour votre bonheur sont dictés par le cœur le plus reconnoissant, j’espère qu’à l’avenir…»
Lettre de Marie-Antoinette à Madame de Brandis
Le 17 février 1773
« La comtesse de Brandis écrit quelque fois des nouvelles à Madame la dauphine ; il serait peut-être prudent de n’envoyer ces lettres que par les courriers.»
Le comte de Mercy-Argenteau

Marie-Antoinette, Dauphine (1773)
Le 3 mars 1773
Marie Thérèse répond :
« Je ne suis non plus tranquille sur la correspondance de ma fille avec la comtesse de Brandis, qui pourrait bien rouler sur des anecdotes ou mal fondées ou peu propres à être rapportées. Je l’ai fait sentir à cette dame, qui allègue pour motif de sa correspondance les commissions dont ma fille la charge. [Elle ne se fera plus par la poste]. Vous ferez bien de veiller sur la suite de cette correspondance. »
Les [] sont dans le corps même de la lettre. Une note infrapaginale nous apprend que la comtesse de Brandis avait été gouvernante de Marie-Antoinette à Vienne, sans plus, et que Marie-Thérèse va faire cesser plus tard tout à fait cette correspondance.
Le 18 avril 1773
Voici en quels termes Marie-Antoinette parle de Madame de Brandeiss dans une lettre à Sa mère :
« Il y a un mois que je n’avais eu des lettres de la Brandis. J’en étais fort inquiète, non seulement parce que je craignais qu’elle fût malade, mais parce qu’il m’était fort doux d’avoir toutes les semaines des nouvelles de ma chère famille et des événements publics de Vienne. Comme les lettres de la poste me sont remises par ma dame d’honneur, on s’est aperçu que je n’en recevais plus, et cela faisait un mauvais effet. Je vous serai bien obligée, ma chère maman, de l’engager à m’écrire plus exactement.»
Marie-Antoinette entretient une amitié et une correspondance avec Madame de Brandeiss. Cela eût-il été possible avec une femme congédiée pour faute à son égard… et qu’Elle aurait fait congédier Elle-même ?
Antonia Fraser nous apprend pourquoi Marie-Antoinette cessa de recevoir des lettres de sa maîtresse en 1773 :
« … et [elle] gardait aussi le contact [avec Vienne] par l’intermédiaire de sa gouvernante bien-aimée, la comtesse de Brandeiss, qui lui racontait chaque semaine d’une plume bavarde ce que faisaient sa mère, ses frères et ses sœurs … »
Et lorsque, en avril 1773, le flot de lettres provenant de la comtesse Brandeiss se tarit soudain sans raison apparente, elle se montra désespérée. Ayant appris par Mercy que l’ordre venait de l’impératrice, elle éclata en sanglots et supplia l’ambassadeur d’obtenir que l’interdiction soit levée : c’était avant tout de son ancienne gouvernante qu’elle dépendait pour avoir des nouvelles de sa mère, allégua-t-elle. Mercy accepta de se charger de cette mission à condition que les lettres de Brandeiss soient moins fréquentes et plus discrètes. Marie Antoinette n’en continua pas moins, malgré la désapprobation de sa mère, à venir en aide à Brandeiss et aux membres de sa famille -un jeune cousin issu de germain qui se destinait à l’Eglise, par exemple.
Ici aussi, on peut se demander à quelle désapprobation la biographe fait allusion, puisque, lorsque Marie-Antoinette, entreprendra, en 1780 de venir en aide à ce cousin de Madame de Brandeiss, sa mère, au contraire, l’approuvera sans réserve.
Le 20 avril 1773
« Le mardi 6 de ce mois, étant à Versailles, Madame la dauphine me fit appeler dans son cabinet. Je la trouvai fort affectée et triste ; elle me dit qu’étant accoutumée à recevoir toutes les semaines une lettre de la comtesse de Brandis, ces lettres lui manquaient depuis un mois ; qu’elle ne pouvait en imaginer d’autre cause si ce n’est que V.M. avait interdit la régularité de cette correspondance, que c’était cependant la seule par laquelle elle avait la consolation de recevoir assidûment des nouvelles de la santé de V.M. et de celle de la famille impériale, et que si V.M. croyait qu’elle pût se passer de ces nouvelles, ce serait faire un grand tort à son amour son auguste mère, et à son tendre attachement à sa famille. Madame l’archiduchesse prononça ces mots en versant des larmes ; je répondis que cette dernière réflexion n’était certainement pas fondée, que V.M. connaissait trop bien le cœur de Madame la dauphine pour ne pas lui rendre pleine justice, mais que s’il avait été enjoint à la comtesse de Brandis d’écrire moins fréquemment, c’était sans doute pour que ses lettres parviennent par des courriers et avec plus de sûreté. Madame l’archiduchesse repartit que ces lettres ne contenaient jamais rien qui ne pût être lu partout, qu’elle ne voulait d’autres nouvelles que celles qui pouvaient la tranquilliser sur la personne de V.M. et sur la famille impériale, mais qu’elle désirait vivement, par cette seule et unique raison, que la régularité des lettres de la comtesse de Brandis ne fût point interrompue, qu’elle supplierait V.M. avec instance de vouloir bien y consentir, et qu’elle exigeait que je coopérasse de mon côté à tâcher de lui obtenir cette satisfaction, sauf à prescrire à la comtesse de Brandis la plus grande réserve dans le contenu de ses lettres. »
Mercy à Marie-Thérèse
Marie Thérèse écrit à la fois à sa fille :
« Mais pour la correspondance de la Brandis, vous voudrez la laisser à l’arrangement pris par le courrier.»
et à Mercy :
« Comme la correspondance de la comtesse de Brandis pourrait aboutir à des nouvelles capables d’inspirer à ma fille des préjugés contre différentes personnes qui pourraient en ressentir l’effet, lorsqu’elles arriveraient en France, je trouve mieux de supprimer cette correspondance, en chargeant tour à tour quelqu’un de la famille de lui donner régulièrement de nos nouvelles. »
Antonia Fraser a donc peut-être raison quand elle affirme que Marie -Antoinette continue malgré tout de correspondre avec sa grande maîtresse…
Le 30 mai 1774
Marie-Thérèse signale à sa fille qu’elle ne lui marque rien des affaires d’ici. Ses sœurs ou la Brandis lui en informent exactement. (p.177)
Voici donc encore une mention de cette grande maîtresse, qui montre que Marie Antoinette entretient une correspondance suivie avec elle, avec l’assentiment de sa mère, et au même titre qu’avec ses sœurs.
Le 10 mai 1774
Mort de Louis XV.

Le Dauphin devient Roi sous le nom de Louis XVI.
Marie-Antoinette, portrait Au Globe par Gautier-Dagoty, 1775
Le 16 mars 1780
Marie-Antoinette prévient Sa mère d’une décision qu’Elle a prise :
« Le baron m’avait parlé d’un cousin de la Brandis qui se destine à être abbé. Je lui en ai écrit, sans qu’elle m’en ait jamais parlé. Charmée de pouvoir faire quelque chose pour elle. Si ma chère maman l’approuve, je le ferai venir en France pour finir ses études.»
(p. 378)
Marie-Thérèse s’empresse de le faire par retour du courrier :
« Je vous remercie pour ce que vous voulez faire pour le cousin de la Brandis. Cela fait honneur à votre cœur, et j’approuve que vous le faites venir tout de suite, pour qu’il puisse profiter des principes et sciences nécessaires pour cet état.»
(pp 379-380)
Que d’attentions portée à une femme démise de ses fonctions ! Et si Henriette Campan (1752-1822) avait raison ? La correspondance de Marie Antoinette corrobore en tout cas tout à fait son témoignage.
Le 29 novembre 1780
Mort de l’Impératrice Marie-Thérèse après une courte maladie.

C’est pour Marie-Antoinette, «le plus affreux malheur».

Weber cite deux fois la comtesse de Brandeiss, comme une personne de grandes qualités. Voilà qui confirme le témoignage de Madame Campan. Ce dernier est d’autant plus curieux que personne, dans l’éducation de Marie-Antoinette, ne semble trouver grâce aux yeux de sa femme de chambre : Marie-Thérèse se désintéresse de ses enfants, Vermond n’est bon qu’à comploter… Il n’y a que cette Brandeis à qui la jeune Archiduchesse regrettera de ne pas avoir été confiée plus tôt et à qui elle conservera son affection.
L’histoire nous a gardé trois noms, Brandeiss, Lerchenfeld et Trautmannsdorff.
La bonne maîtresse pleines de qualités à qui Marie Antoinette conservera sa reconnaissance, c’est bien la comtesse de Brandeis, à qui elle écrit encore en 1780… et sans doute encore après, mais Marie-Thérèse n’est plus là pour centraliser le courrier.