Le 8 septembre 1749
Yolande de Polastron naît à Paris. Elle est la fille de Jean François Gabriel, comte de Polastron, baron de Saint-Michel, seigneur de Saint-André et de Noueilles, Venerque et Grépiac (1722-1794), gouverneur en Dordogne, chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, et de Jeanne Charlotte Hérault de Vaucresson (1726-1756), originaire de la noblesse de robe normande.
La famille de Polastron est au service des Rois de France depuis le XIIIe siècle. Le père de Yolande a servi le Dauphin Louis-Ferdinand en tant que menin. Son grand-père maternel a été lieutenant-général de police de Paris sous Louis XV. Deuxième enfant du couple Polastron, Yolande n’a jamais connu son aîné, mort jeune.
Le 14 avril 1756
Sa mère, la comtesse de Polastron, née Jeanne Charlotte Hérault de Vaucresson, meurt à l’âge de trente ans (elle était née le 21 avril 1726). C’est un coup dur pour la petite fille. Son père, qui ne s’en soucie pas, la confie à sa sœur Marie-Henriette de Polastron, comtesse d’Andlau (1716-1792).
C’est un coup dur pour la petite fille. Son père, qui ne s’en soucie pas, la confie à sa sœur Marie-Henriette de Polastron, comtesse d’Andlau (1716-1792).
La Maison de Polastron est issue d’une noblesse de souche ancienne. Fortement endettée à l’époque de la naissance de Gabrielle, la famille mène un moyen train de vie. Ne pouvant vivre à hauteur de leur rang, ses parents quittent la capitale pour le château familial de Noueilles, dans le sud-ouest de la France.
Yolande n’a que six ans quand sa mère décède, son éducation est alors prise en charge par sa tante, la comtesse d’Andlau, née Marie-Henriette de Polastron (1716-1792).
La comtesse d’Andlau, tante paternelle de Yolande, avait été chassée de la Cour, en 1746, avec armes et bagages par la volonté de Louis XV pour avoir laissé traîner à portée de main de Madame Adélaïde, dont elle était la gouvernante depuis 1739, Le Portier des Chartreux , un livre considéré comme infâme.
Son père se remarie à Anne Charlotte de Noé (1729 – 1821).
En avril 1758
Sa belle-mère, Anne-Charlotte de Polastron, donne le jour à Denis Gabriel Adhémar de Polastron (1758-1821). C’est lui qui épousera Louise d’Esparbès de Lussan (1764 – 1804) en 1780 . Deux autres enfants naîtront de cette union : Adélaïde et Henriette.
Mademoiselle de Polastron est ravissante, avec «des yeux bleus remplis d’expression, un front élevé, un nez un peu en l’air sans être retroussé, une bouche charmante, de jolies dents, petites, blanches et parfaitement rangées», «c’est la plus céleste figure qu’on puisse voir, selon le duc de Lévis. Son regard, son sourire, tous ses traits sont angéliques. Je ne dis point qu’elle ressemble à ces anges comme les angolais les représentent avec des cheveux blonds et des yeux bleus clairs, beautés un peu fades, comme presque toutes celles de leur pays. Elle a une de ces têtes où Raphaël sait joindre une expression spirituelle à une douceur infinie.»
Yolande figure dans les mémoires de Madame de Genlis, quand elle évoque les années 1768-1770. Cela prouve bien que la future comtesse de Polignac n’était pas cette femme obscure qui venait de débarquer de sa campagne lorsque la Reine s’éprit d’elle… même Félicité de Genlis est sous le charme :
« Il y avait à cette époque à la cour de fort jolies femmes, entre autres la vicomtesse de Laval, et la comtesse Jules, depuis duchesse de Polignac. Cette dernière avait une vilaine taille, quoique parfaitement droite, mais petite, sans délicatesse et sans élégance ; son visage eût été sans défaut, si elle avait eu un front passable ; ce front était grand, d’une forme désagréable, et un peu brun, quoique le reste de son visage fût très blanc. Quand la mode s’établit de rabattre les cheveux presque jusqu’aux sourcils, le visage de la comtesse Jules devint véritablement enchanteur ; il y avait dans sa physionomie une candeur touchante, et en même temps de la finesse ; son regard et son sourire étaient célestes. Les portraits qui restent d’elle sont très enlaidis, et ne donnent même pas l’idée de ce délicieux visage. Elle était douce et bienveillante, ses manières étaient simples, et par conséquent aimables, et la faveur dont elle a joui depuis n’a jamais rien changé à son extérieur. On disait qu’elle avait peu d’esprit ; pour moi, je ne la trouvais dans la société ni bornée ni même insipide. »
Mercure de France, collection Le Temps Retrouvé, Mémoires de Madame de Genlis
Yolande intègre le couvent de Penthemont, à Paris.
Marie-Catherine de Béthisy de Mézières est l’abbesse de Penthemont à Paris de 1743 à 1790.
Le couvent est devenu célèbre pour l’éducation des femmes de haute naissance, y compris les filles de protestants : alors qu’il était ambassadeur en France, Thomas Jefferson y envoie ses filles Martha et Mary.
Les conditions sont spartiates et les règles sont strictes. L’abbaye a également fourni des appartements aux femmes en quête d’indépendance vis-à-vis des familles ou des mariages difficiles.
Voici les mots du prince de Ligne :
«De l’âme la plus ferme et du tact le plus sûr Du meilleur des esprits et du cœur le plus pur La nature se plut à faire le mélange En joignant aux vertus la figure d’un ange»
En 1763
Sa tante, Marie-Henriette d’Andlau se fait carmélite au couvent Saint-Roch à Paris après la mort de son époux. A la révolution, la comtesse d’Andlau s’exilera au Portugal auprès de sa fille et de son gendre, notre ambassadeur à Lisbonne .
Elle y mourra en 1792 .
Le 7 juillet 1767
Yolande de Polastron épouse Jules de Polignac (1746-1817), à l’église Saint-Sulpice à Paris, en présence de Vaudreuil qui a tout organisé. Voici un extrait du contrat établi par Jacob-Nicolas Moreau fournissant les nom et prénoms de la mariée :
« Très haut et très puissant seigneur monseigneur Jean-François-Gabriel de Polastron, comte de Polastron, baron de Saint-Michel, seigneur de Saint-André, Laurac, La Barthe, Gourbielle et autres lieux, gouverneur pour le Roy des villes et château de Castillon et Castillonet sur Dordogne, colonel d’infanterie et cy devant du régiment de la Couronne, chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, demeurant ordinairement dans la ville de Toulouze, étant présentement à Paris, logé rue et paroisse Saint-André-des-Arts, stipulant pour très haute et très puissante demoiselle mademoiselle Yolande-Gabrielle-Martine de Polastron, sa fille mineure et de défunte très haute et très puissante dame madame Jeanne-Charlotte Hérault, son épouse en première noces, ladite demoiselle de Polastron demeurant chez madame la comtesse d’Andlau, sa tante ci après nommée, rue de Grenelle, quartier de Saint-Germain-des-Prés, paroisse Saint-Sulpice, à ce présente et de son consentement, d’autre part; ….. etc ….. »
Quant au marié, il est titré comte de Polignac et marquis de Mancini, ce dernier titre qui lui a été transmis par sa mère Diane-Adélaïde. Jules est le fils d’une petite nièce du cardinal Mazarin, famille illustre, certes, mais sans grande fortune. Jules a un front haut, le nez légèrement busqué, des yeux doux et des lèvres minces. Ses contemporains lui prêtent peu d’esprit et une «perspective bornée».
Le contrat de mariage de Yolande, rédigé et signé par Jacob-Nicolas Moreau, stipule que mademoiselle de Polastron possède : « quatre maisons se joignant, faisant l’encoignure du Quai de l’Horloge du Palais et de la place Dauphine, vis à vis la statue d’Henri IV et encore une autre maison size à Paris, rue Payenne au Marais .
Le jeune marié de vingt-deux ans étant capitaine au régiment du Royal Pologne, ils s’installent à Paris.
Ce jeune couple a une fortune, mais ils ont aussi la charge des pauvres membres de leur famille, de sorte qu’ils ne peuvent pas se payer Versailles…. Ils restent donc chez le père de Polignac ou chez madame d’Andlau, au Louvre ou à Claye, en Seine-sur-Marne. Yolande aime vivre à la campagne, et y serait restée toute sa vie sans l’intervention de Diane de Polignac.
Diane, sa belle-sœur, n’est pas très jolie, mais elle est intelligente, ambitieuse et douée pour les intrigues…
Depuis la fin du XVIe siècle, la Forteresse de Polignac est délaissée par la famille au profit du château plus confortable de Lavoûte-sur-Loire, mais n’en perd pas moins son rôle militaire décisif.
Diane a quatre ans de plus que Yolande. Elle « adopte » sa jeune belle-sœur et la prend sous son aile. Elle a un caractère bien trempé et ne manque pas d’ambition, elle sera la vraie femme du clan Polignac, celle qui dirigera plus ou moins dans l’ombre, elle qui, en définitive, aurait dû s’attirer les foudres des mauvais esprits de la Cour puis du peuple.
Dans leur modeste château de Claye-en-Brie, où le marié a grandi, « le couple Jules organise très simplement sa vie de châtelains campagnards. » Les quatre corps de bâtiments du château forment presqu’un carré autour d’une cour centrale flanquée de tours rondes aux quatre coins, séparé de beaux jardins à la française par des douves profondes inondées.
La Comtesse Jules, comme on appelle désormais Yolande, est « moralement et physiquement paresseuse », avec un caractère souple. Aussi, Diane n’a-t-elle aucune difficulté, comme Vaudreuil, à manipuler sa belle-sœur à sa guise. A Claye, le couple est apprécié de ses paysans, dont ils sont proches. Ils mènent une vie très simple et partagent leur temps entre Claye, leur modeste logement parisien de la rue des Bons-Enfants et les demeures de leurs familles respectives.
Le 7 mai 1768
Naissance d’Aglaé de Polignac, ( † 30 mars 1803), future duchesse de Guiche, alias Guichette. Yolande sera toujours une mère affectueuse, même au plus fort de sa faveur et de ses occupations royales.
Yolande n’est pas grande, mais elle a un gracieux maintien très délié. Elle danse à ravir et, selon le mélomane Bombelles, chante à la perfection en s’accompagnant à la harpe, à l’épinette …
Yolande n’est pas grande, mais elle a un gracieux maintien très délié. Elle danse à ravir et, selon le mélomane Bombelles, chante à la perfection en s’accompagnant à la harpe, à l’épinette …
« M. et Mme de Polignac ne méritaient pas la haine qui les poursuivait. J’avoue qu’ils cédaient à la flatterie et à l’importunité de leur clientèle ; qu’ils prêtaient l’oreille à la voix de conseillers pernicieux, et que, se laissant éblouir par la fortune, ils tombaient dans des erreurs et s’égaraient dans une fausse route ; mais y eut-il jamais une cour dans aucun temps, ni de courtisans ou de faux courtisans qui, dans une situation semblable, aient montré moins d’avidité, moins d’orgueil, ou qui aient commis moins de fautes ? Croit-on qu’il soit bien aisé à celui qui s’établit juge des faiblesses humaines d’en fixer la mesure, le terme et le but ? Doit-il condamner tout ce qui dépose contre l’ordre de ses idées ? Ne doit-on pas calculer en même temps la situation où s’est trouvé l’accusé, et en pesant tout avec impartialité, mesurer la largeur et la profondeur du torrent qui l’entraînait ? […] En quoi consistent les abus de pouvoir qu’on lui [famille de Polignac] impute ? Des services rendus à ses amis, un titre de duc et de hautes charges à la Cour pour lui-même ; de l’or, si l’on veut. Mais les hommes prennent de l’or partout où ils le trouvent, bien qu’il soit plus noble de le dédaigner. La faveur de la Cour enlevée à leurs concurrents, voilà en quoi consistaient l’exercice et l’abus du pouvoir des Polignac, voilà ce qui leur fit attribuer un crédit illimité dans les différentes branches de l’administration ; voilà ce qui les fit regarder pendant plusieurs années comme les maîtres de la monarchie .»
Mémoires de Tilly
Jules et Yolande qui ne sont pas complètement désargentés, comme on l’a dit trop souvent . Ils ont de la fortune, lui, héritée du côté Mancini Mazarini, elle, par les Hérault . Ils possèdent bel hôtel de la rue Payenne, aujourd’hui ambassade de Suède.
Or donc, monsieur et madame de Polignac n’aiment pas la vie à la Cour ( où ils ont été présentés bien avant l’arrivée en France de la Dauphine ) et lui préfèrent la quiétude de leur château de Claye-en-Brie .
Le 16 mai 1770
Ce mariage ramène un temps les Polignac à la Cour. Yolande est cousine de Louise Honorine Crozat du Châtel (1737-1801), l’épouse du duc de Choiseul, instigateur de l’union franco-autrichienne. La comtesse Jules est nommée par Louis XV pour danser durant un des bals donnés à l’occasion des noces. Yolande s’y fait remarquer par sa grâce et sa fraîcheur.
Mais la jeune femme est ravie de retrouver le calme de Claye où elle mène une grossesse paisible.
Le 11 janvier 1771
Naissance d’Armand de Polignac à Paris (il mourra le 1er mars 1847 à Paris).
« Le comte de Vaudreuil fait bien entendu partie de cette harmonie. Il serait bien incapable, au reste, de vivre longtemps loin de sa cousine, ni elle de se passer de lui. »
Le 16 novembre 1773
Mariage du comte d’Artois, frère du Dauphin et de Marie-Thérèse de Savoie, sœur de la comtesse de Provence.
À partir de 1774
La vie de la famille Polignac va être bouleversée car Louis XV nomme Diane de Polignac «parmi les dames pour accompagner la comtesse d’Artois ». De fait, il faudra se rendre plus souvent à Versailles.
Le 10 mai 1774
Mort de Louis XV.
Le Dauphin devient le Roi Louis XVI.
Le Dauphin devient Roi sous le nom de Louis XVI.
Louis XV à peine mort, les courtisans se ruent vers le nouveau Roi.
En 1775
Le baron de Besenval (1721-1791) est l’éphémère amant de la comtesse de Polignac.
En juin 1775
La Reine donne au château de Versailles une fête qui ouvre la saison d’été. Ce soir-là, le beau-père de Yolande l’emmène au château de Versailles. Il fait une chaleur étouffante. Dans un coin du salon, Marie-Antoinette remarque des jeunes gens qui ne dansent pas. Agacée comme peut l’être une maîtresse de maison qui s’occuperait du bon déroulement du bal, Elle les invite un peu brusquement à sortir. L’intervention jette un froid, si bien que même ceux qui dansaient s’arrêtent. Marie-Antoinette semble ne pas comprendre cette soudaine bouderie. Yolande, qui a assisté à la scène, s’approche de la Reine et Lui explique avec naturel et douceur :
« Madame, Votre Majesté, en faisant à ces dames l’honneur de les admettre à ces bals n’a sûrement pas eu l’intention de leur donner la mortification, comme elle vient de le faire, d’en chasser leurs maris et leurs frères dont la plupart sont des danseurs.
– Non, madame, je n’ai pas dit cela pour eux, mais pour beaucoup de personnes qui ne dansent pas. »
Se rendant compte de Sa bévue, la Reine s’empresse de rappeler les jeunes gens. Le salon se remplit à nouveau. L’incident est clos. Reconnaissante, Marie-Antoinette va vers Yolande de Polignac, Elle prend ses mains dans les Siennes :
« Je n’oublierai jamais que vous m’avez donné une marque d’estime et d’attachement en me faisant apercevoir d’une action qu’on aurait pu interpréter contrairement à mon action… Je désire votre amitié, faites-moi le plaisir de venir demain déjeuner avec moi. »
« Bientôt après, elle fut remarquée par la Reine à une partie de barre, frappée par cette figure angélique, par sa grâce et son air de simplicité, elle s’informa de son nom . Alors elle lui parla pour lui reprocher de se montrer rarement à Versailles en l’engageant à y venir plus souvent, qu’elle la verrait avec plaisir . C’était un ordre assez flatteur… Dans les premiers temps votre mère allait un peu plus souvent faire sa cour, mais pas autant que la Reine l’aurait voulu, s’attachant de plus en plus à votre mère dont elle appréciait les qualités.»
Madame de La Tour Landhorte
Dès 1774, des bruits courent sur les préférences de la Reine, « la Reine serait une femme à femme. » Ces calomnies proviennent, très probablement, du chancelier Maupeou et des filles (vieilles filles) de Louis XV, tous fervents opposants à l’Autriche. Ces rumeurs colleront à la peau de la souveraine ainsi qu’à Yolande. Pour les libellistes, cette dernière « est l’instigatrice de tous les vices et la partenaire idéale de Marie-Antoinette pour de supposés embarquements pour Lesbos. » A ces ennemis s’ajoute Marie-Thérèse de Lamballe (1749-1792), princesse malheureuse et sincère, mais terne et excessive dans ses sentiments.
Besenval précise que si la duchesse de Polignac « a reçu de la nature le plus charmant visage qu’on ait vu […] sa taille et le reste de sa figure ne répondaient pas à tant de perfection ; cependant elle passait et méritait de passer pour la plus jolie femme de son temps, et celle qui plaisait le plus généralement ».
Madame de Polignac a un caractère complexe. Les mémorialistes font toujours état de sa douceur, son aménité, sa nonchalance qui confine à la paresse. Elle apparaît comme discrète, presque «en demi teinte», ne se mettant jamais en avant … Elle cultive une humeur égale et méprise les petites intrigues de la Cour. Tout cela est vrai, pourtant, il serait faux de croire qu’elle manque de caractère.
Selon Elisabeth Vigée Le Brun, dans son caractère « la duchesse de Polignac joignait à sa beauté, vraiment ravissante, une douceur d’ange, l’esprit à la fois le plus attrayant et le plus solide. »
De même, selon madame de Genlis, « elle était douce et bienveillante, ses manières étaient simples, et par conséquent aimables » ; pour Besenval, « son caractère était encore plus parfait que sa figure […]. Son maintien, ses actions, sa conversation, et jusqu’au son de sa voix, tout se ressentait de sa douceur ».
A cela il faut ajouter qu’elle a de bonnes notions d’allemand, grâce auxquelles Marie-Antoinette pourra parler en sa compagnie dans Sa langue maternelle.
Yolande n’est pas une intellectuelle mais une affective, et une passionnée. Un rien peut la blesser très fort. Elle n’est ni ambitieuse, ni intrigante, ni vénale, mais d’autres dans ses entours le sont pour elle ! Ce qui frappe surtout les mémorialistes, c’est que sa douceur se traduit par une forme de discrétion qui détonne dans le cercle des courtisans de la Reine. Cette retenue peut passer pour un manque d’esprit. Même si son opinion est plutôt positive vis-à-vis de madame de Polignac, madame de Genlis le signale en passant :
« On disait qu’elle avait peu d’esprit ; pour moi, je ne la trouvais dans la société ni bornée ni même insipide. »
Le 19 septembre 1775
Marie-Antoinette octroie à la princesse de Lamballe le titre très lucratif de « surintendante de la Maison de la Reine », dont la charge consiste à organiser les plaisirs de celle-ci. Ce titre avait été aboli par Louis XV en raison de son coût. Elle a lassé la Reine mais s’impose dans Sa vie par ce titre.
La princesse de Lamballe et Yolande ont l’intelligence de cohabiter, la comtesse étant toujours d’un calme olympien.
Fin 1775
Vaudreuil quitte Versailles pour Paris.
« Madame de Polignac gagne chaque jour du terrain dans le cœur de la reine. […] Le comte de Vaudreuil en est aux anges et cela le rend presque tendre pour la comtesse Diane.»
Madame d’Adhémar
Les Polignac occupent, à Versailles, un très bel appartement, proche de ceux de la Reine. Louis XVI aime aussi à passer du temps avec les Polignac, mais sa présence rend les choses tout de suite plus guindées, et le Roi ayant pour habitude de se retirer vers dix heures du soir, il n’est pas rare que les horloges soient avancées pour hâter son départ.
L’appartement voisin qui est occupé par le duc d’Antin puis le duc de la Rochefoucauld, est occupé par le mari de madame de Polignac. On voit l’intervention de la comtesse Jules dans de nombreuses affaires concernant la Reine ( affaire du comte de Guînes [1775-76], rapprochement avec Maurepas [1775-76]).
Le 1er septembre 1777
Madame de Polignac ayant refusé la place de dame du palais comme celle de dame d’atours, avec les dividendes qui vont avec, la Reine fait attribuer à Monsieur de Polignac la survivance de la charge de premier écuyer, au détriment du duc de Lauzun auquel la place avait été proposée.
Dès sa position de premier écuyer établie, Jules semble pris de la folie des grandeurs. Il demande à la Reine d’augmenter son écurie de quarante chevaux, avec les voitures et personnels y afférant. Alors qu’on lui attribue quatorze «gens de livrée» pour son service, il en demande le double et décide de passer leur traitement de 503 livres à 759 livres. Il fait passer son écurie personnelle de dix-huit à vingt-cinq chevaux et ses voitures de quatre à six.
Il décide de louer à l’année des maisons à Versailles, Compiègne et Fontainebleau pour loger son personnel.
« [La duchesse de Polignac] passait souvent des heures entières avec moi, en attendant la reine. Elle m’entretint librement et ingénument de l’honneur et en même temps du danger qu’elle voyait dans la bonté dont elle était l’objet. La reine cherchait les douceurs de l’amitié ; mais cette gratification, si rare dans tous les rangs, peut-elle exister entre une reine et un sujet, quand ils sont entourés, de plus, de pièges tendus par l’artifice des courtisans ? Cette erreur pardonnable fut fatale au bonheur de Marie-Antoinette.»
Les Mémoires de madame Campan
« Les vrais amis de madame de Polignac souffrent de l’ascendant qu’a pris sur elle monsieur d’Adhémar ; ils voient dans cette faiblesse une nouvelle preuve de la franchise et de la solidité des affections de cette jeune femme. Elles croit des vertus à son ami, elle croit à son attachement et y tient sans autre calcul que celui d’aimer qui nous aime. »
Marc de Bombelles
Le 12 septembre 1777
Mercy écrit à Marie-Thérèse :
« … La faveur de la comtesse Jules de Polignac n’a fait qu’accroître jusqu’à ce moment. La Reine ne peut plus se passer de la société de cette jeune femme; elle est dépositaire de toutes ses pensées, et je doute fort qu’il y en ait d’exceptées à cette confiance sans bornes. Ces derniers temps, il n’en est rien résulté de fort nuisible. (…) La princesse de Lamballe, qui est revenue depuis quinze jours des eaux de Plombières, a été reçue par la Reine avec beaucoup de démonstrations de bonté ; mais cet accueil n’est qu’une forme de bienséance qui devient de plus en plus embarrassante et gênante. La Reine cherche quelquefois à se tromper elle-même à cet égard ; mais comme elle nous permet toujours, à l’abbé de Vermond et à moi, de lui exposer sans détour nos réflexions et nos remarques, S.M. finit par convenir de bonne foi que nous ne nous méprenons guère sur le vrai état de ses affections. (…)»
Le comte de Mercy
Le 14 septembre 1777
« J‘ai pris à moi pour survivancier de M. de Tessé, M. le comte de Polignac, colonel du régiment du roi et homme de très bonne maison. Il est mari d’une femme que j’aime infiniment.»
Marie-Antoinette à Sa mère
Puis en novembre :
C’est là qu’on voit à quel point Mercy et Vermond furent nuisibles pour Marie-Antoinette et ne cachèrent même pas leur jalousie quand une autre personne qu’eux pouvaient avoir de l’influence sur elle. Mercy et Vermond L’ont maintenue dans Son rôle d’Archiduchesse, prioritaire à leurs yeux. Madame de Polignac en fait la Reine de France. On comprend que Maurepas, son oncle, y soit vigilant.
Le 7 mai 1778
La belle-sœur de Yolande, Diane de Polignac, qui était jusqu’alors dame pour accompagner la comtesse d’Artois, est nommée Dame d’honneur de Madame Élisabeth par Louis XVI.
« Au lieu de ces voitures lourdes et superbes où la feue reine se plaçait avec toutes ses dames, Marie-Antoinette emploie des chars élégants pour elle seule, Mme de Polignac, MM. de Vaudreuil et Besenval. […] Point d’officier ni de garde d’escorte. On va dans cet équipage à Trianon s’ébattre, innocemment sans doute, mais dans une liberté qui prête à calomnie.»
Le comte de Saint-Priest
Le 17 août 1778
Pendant l’affaire de Bavière, le comte de Mercy écrit :
«La comtesse de Polignac ayant dû se rendre chez ses parents à la campagne dans le moment même où la nouvelle de l’entrée de l’armée ennemie en Bohême causait à la Reine tant d’inquiétudes et de chagrin, le Roi crut devoir donner à son auguste épouse une marque d’attention en écrivant par un courrier exprès à la comtesse de Polignac de revenir sur-le-champ à la cour afin que la Reine eût le soulagement de pouvoir s’entretenir avec la personne à laquelle elle accorde le plus de confiance et d’amitié.»
Florimond de Mercy à Marie-Thérèse
Le 18 décembre 1778,
vers minuit
La Reine ressent les premières douleurs et fait appeler Son mari à une heure et demie. Pendant ce temps, Madame de Lamballe, surintendante de Sa maison, court avertir la famille royale. Lorsque les douleurs La reprennent, avec violence, Marie-Antoinette s’installe dans un petit lit de travail dressé exprès près de la cheminée.
Les courtisans, massés dans l’antichambre de la Reine et le cabinet du Roi, sont si nombreux qu’ils se répandent jusque dans la Galerie des Glaces. Tous trépignent d’impatience. Lorsqu’on ouvre enfin les portes, ils s’élancent dans les appartements de la Reine et s’agglutinent jusqu’à Son lit. Même du temps de Louis XIV, on n’avait jamais vu une foule si dense ! La pauvre souveraine croit mourir, et serre les dents pour ne pas donner à ces yeux scrutateurs le spectacle de Sa souffrance.
La naissance est un supplice. Un instant, on croit que l’enfant est mort, mais des vagissements se font entendre : il vit. La Reine n’a pas le temps de s’en réjouir. Elle n’en peut plus. La tension, l’émotion, l’atmosphère confinée et étouffante, le vacarme des courtisans, le travail éreintant de douze heures… Elle est prise d’une convulsion et s’évanouit. Terreur du médecin. Il faut La saigner pour La réanimer et reprendre les suites naturelles de l’accouchement !
Marie-Antoinette n’apprend que plus tard qu’elle a donné le jour à une fille, et pleure abondamment.
Marie-Antoinette vient de donner naissance à Marie-Thérèse Charlotte, dite Madame Royale, future duchesse d’Angoulême. L’enfant sera surnommée «Mousseline» par la Reine.
Si elle n’est pas le Dauphin désiré, elle rassure sur la fertilité du couple royal et elle est très aimée de ses parents.
Du 12 avril au 21 avril 1779
Marie-Antoinette se retire à Trianon pour sa convalescence. C’est la première fois qu’Elle y dort. Elle est toujours susceptible d’être contagieuse aux yeux du temps et doit donc préserver Sa petite fille et Son mari.
Elle est alors veillée par le comte d’Esterházy (1740-1805), le baron de Besenval (1721-1791) et les ducs de Coigny (1737-1821) et de Guînes (1735-1806).
« Les trois semaines que nous passâmes à Trianon furent très agréables, uniquement occupés de la santé et de l’amusement de la reine, de petites fêtes simples dans un lieu charmant , des promenades en calèches ou sur l’eau. Point d’intrigues, point d’affaires, points de gros jeux. Seule la magnificence qui y régnait pouvait faire soupçonner qu’on était à la cour.»
Valentin Ladislas, comte d’Esterházy
Des hommes en tant que garde-malades étaient alors indispensables puisque la rougeole pouvait entraîner de graves conséquences sur les dames potentiellement enceintes. Les moyens de contraception n’existaient pas encore et donc toutes ses dames du palais en âge de procréer pouvaient être enceintes. De plus, dans ces situations de maladies contagieuses à risque pour les femmes, Marie Leszczyńska agissait de même et personne ne trouvait rien à redire…
Mais outre ces garde-malades qui font scandale, la Reine est aussi veillée par Monsieur, Madame, le comte d’Artois et la princesse de Lamballe. Madame de Polignac manque à l’appel car atteinte de rougeole elle-aussi. La maison entière de la souveraine s’est établie au Grand Trianon et Marie-Antoinette doit recevoir quelques instants ses dames d’honneur et d’atours. Seules les dames du palais ne sont pas conviées. Il faut dire aussi qu’il s’agit d’une maladie qui peut être d’une extrême gravité pour les femmes enceintes. Or beaucoup d’entre elles, jeunes mariées, sont susceptibles de l’être.
Le 1er février 1780 Marie-Thérèse d’Autriche à sa fille Marie-Antoinette :
« On dit que la Polignac, sous le seul titre de la faveur auprès de vous, a demandé le comté de Bitche à ériger en duché. Le public était surpris d’une demande qui annonce plus d’avidité que d’attachement. On dit qu’à cette heure que vous voulez lui faire donner encore des millions. Je ne fais point de cas de ces bruits, ne les croyant vraisemblables, mais je trouve nécessaire et utile que vous en soyez instruite, surtout dans les circonstances ou l’État a tant de charges à soutenir. »
L’Impératrice Marie-Thérèse
Le 15 février 1780
La réponse de Marie-Antoinette :
« Je suis trop accoutumée aux inventions et exagérations de ce pays-ci pour être surprise de ce qu’on a débité sur Mme de Polignac. Il est assez ordinaire ici que le Roi contribue à la dot des personnes de la cour et de naissance qui ne sont pas riches. Le mariage de la petite Polignac est arrêté avec le comte de Gramont, qui est déjà capitaine des gardes en survivance. Sa mère a pensé au comté de Bitche, mais ce n’a été qu’un instant, et aussitôt qu’elle en a su la valeur, elle a été la première à me le dire et en a abandonné l’idée. Pour le titre de duc, c’est une pure invention. Quant à l’argent, le Roi dotera sûrement la petite fille, et on en dira peut-être plus de louis d’or qu’il n’y aura d’écus. C’est une grande joie pour moi de voir que la manière de penser du Roi m’épargne toute sollicitation pour mon amie. Il est bien persuadé de la parfaite honnêteté et de la noblesse de ses sentiments. Il sera charmé de lui faire du bien pour elle-même. Je n’en suis pas moins sensible à la marque d’amitié qu’il me donne dans cette occasion.»
Le 17 avril 1780
«Ce qui affermit le plus la comtesse de Polignac dans sa position, c’est le Roi semble d’avoir contracté une sorte d’amitié pour elle, il lui sait gré d’être devenue une ressource essentielle pour la Reine, il s’habitue lui-même dans la société de cette favorite, lorsqu’elle est absente de Versailles, le monarque prend soin de lui faire écrire pour l’avertir des temps et des moments où sa présence peut devenir le plus nécessaire ou agréable à la Reine.»
Florimond de Mercy à Marie-Thérèse
Paul et Pierrette Girault de Coursac observent que madame de Polignac en donne au Roi pour son argent, car il lui faut tenir table ouverte, organiser des bals, recevoir chez elle la société que Louis XVI a choisie pour sa femme, mais elle est tenue de rester de garde près de la Reine, de L’amuser, de La surveiller, de La diriger, de subir Ses sautes d’humeur et Ses caprices, sans jamais pouvoir quitter ce service écrasant pour plus de quelques jours qu’elle ne soit rappelée à la Cour par un message urgent du Roi.
Le 14 mai 1780
Yolande accouche de de Jules Auguste Armand Marie de Polignac (1790-1847) , et les mauvaises langues répandent des bruits :
« Madame Jules de Polignac fait ses couches tout bonnement dans l’appartement de Monsieur de Vaudreuil. Antoinette ne quitte pas le chevet de son lit et lui sert de garde accoucheuse. Les ignorants et ceux qui ne se connaissent pas plus aux intrigues de la Cour qu’aux différents motifs qui les déterminent, trouvent singulier que Madame Jules n’ait pas fait ses couches au château de Versailles, et ne se soit pas mise à portée de son amie : cela paraît plus naturel, plus décent. Ces gens là ne savent pas que cela n’eût pas convenu. Ces fréquents voyages de Paris, ces visites, ont un but qui n’eût pas été rempli autrement. Madame de Polignac a fait un garçon; Vaudreuil sait donc faire des garçons … A la fin de tout cela, nous aurons un Dauphin .»
Henri d’Alméras : Marie Antoinette et les pamphlets royalistes et révolutionnaires
Des libelles circulent sur la nature saphiques de ses relations avec la Reine…
Toujours manipulée, Yolande augmente ses demandes et obtient enfin le paiement de la dot ainsi qu’une rente juteuse pour Vaudreuil.
On profite d’elle, elle le sait et cela l’exaspère, mais elle cède, comme le confirme madame d’Adhémar :
« Mon Dieu, me disait Madame de Polignac, que j’eusse été heureuse si l’affection de la Reine avait pu se cacher sous un voile épais, si l’on eût ignoré mon ascendant sur elle ! Depuis que l’on connaît cette amitié si flatteuse pour moi, on ne me laisse plus respirer ; lorsque j’aimerais tant l’oisiveté et la paix ».
Madame d’Adhémar
Le 5 juin 1780
Le demi-frère de Yolande, Adhémar de Polastron (1758-1821) épouse Louise d’Esparbès de Lussan (1764-1804) à Versailles.
Le 11 juillet 1780
Sa fille, Aglaé (1768-1803) épouse, à douze ans, Antoine, duc de Gramont et de Guiche (1755-1836). Elle devient ainsi duchesse de Guiche et est surnommée « Guichette » par sa famille. Le marié se voit décerner un brevet de capitaine et un an plus tard, une propriété qui rapporte 70.000 ducats de rentes.
Jules de Polignac est élevé au rang de duc héréditaire de Polignac. La comtesse de Polignac devient ainsi duchesse.
L’érection de la vicomté de Polignac en duché héréditaire n’a rien d’une faveur extraordinaire car la famille de Polignac figure parmi les plus anciennes familles nobles de la monarchie ( noblesse immémoriale).
Le 29 novembre 1780
Mort de l’Impératrice Marie-Thérèse (1717-1780) après une courte maladie.
Une mort à l’image de sa vie : un exemple de dignité et de force. Atteinte d’un »durcissement des poumons», elle se sentait, disait-elle, «devenir intérieurement comme de la pierre».
C’est pour Marie-Antoinette »le plus affreux malheur».
La nouvelle du décès de Marie-Thérèse n’arrive à Versailles que le 6 décembre 1780 :
« La douleur de la reine fut telle qu’on devait la prévoir et la craindre. Une heure après avoir appris cet événement, elle prit le deuil de respect, en attendant que le deuil de Cour fût prêt ; elle resta enfermée dans ses cabinets pendant plusieurs jours, ne sortit que pour entendre la messe, ne vit que la famille royale et ne reçut que la princesse de Lamballe ou la duchesse de Polignac. Elle ne cessait de parler du courage, des malheurs, des succès et des pieuses vertus de sa mère.»
Henriette Campan
« Madame de Polignac, née calme, paresseuse même, accoutumée à une vie paisible, libre au sein de sa famille et de ses amis, contrariée, fatiguée, bien souvent, de ce qu’exigeait d’elle le rôle de favorite, dont elle aurait vu la fin avec joie, sans l’attachement réel qu’elle avait pour la reine ; madame de Polignac ne pouvait considérer qu’avec effroi, qu’avec une répugnance invincible, une charge dont la chaîne est si pesante, et que rien ne peut alléger.»
Le baron de Besenval
En février 1781
Lors de l’affaire des Bouches de l’Escaut, les Polignac offrent leur soutien à Vergennes contre la Reine, qui commence alors à se détacher du clan.
Le 24 août 1781
Lors des couches de madame de Polignac, qui demeure 9, rue de l’Annonciation, la Reine vient séjourner dans le château de La Muette pour ne pas quitter Son amie.
« Après ce dîner, où l’on causa si bien, quoique ce fut un dîner, je fis plusieurs visites ; une en particulier à la duchesse de Polignac, l’amie de la reine; madame de Polignac, dis-je, née de Polastron, était l’amie de cœur de la reine qui en a fait depuis la gouvernante de ses enfants. La reine l’aimait, en effet, si tendrement, que, lorsqu’elle fit ses couches à Passy, Sa Majesté alla s’établir à la Muette, afin de la voir plus à son aise et plus souvent.»
Henriette d’Oberkirch
Le 22 octobre 1781
Naissance du Dauphin, Louis-Joseph-Xavier-François premier Dauphin.
En juin 1782
« – Elle est petite et mal faite, bien qu’elle soit très-droite, mais elle marche mal et n’a aucune grâce ; son visage est parfait, à l’exception de son front trop brun et dont la forme est désagréable ; elle a la physionomie la plus charmante, la plus douce, la plus naïve, la plus candide; son sourire est enchanteur. Loin d’être enivrée de la place qu’elle occupe, elle conserve toute sa simplicité, les manières les plus naturelles; ses faits sont d’an calme inaltérable, le calme d’une bonne conscience qui s’allie néanmoins avec une vive sensibilité.
— Quand je suis avec elle, dit Sa Majesté, je ne suis plus la reine; je suis moi-même.
Je restai longtemps chez elle; j’aime son esprit sans prétention. Beaucoup assurent qu’elle n’en a aucun. Il faut bien lui faire payer sa faveur par des calomnies ou des injures.»
Mémoires de la baronne d’Oberkirch
Le 27 décembre 1781
Yolande accouche à Versailles de son dernier enfant, Camille Henri Melchior de Polignac ( qui mourra le 2 février 1855 à Fontainebleau)
Pour Elisabeth Vigée Le Brun, Yolande est «la plus belle, la plus douce, la plus aimable femme qu’on pût voir » et sa « figure était céleste ». Elle cherchera d’ailleurs à se faire ressembler à elle dans des autoportraits.
Le 24 octobre 1782
Selon l’idée du baron de Besenval, la Reine donne à madame de Polignac la place de gouvernante des enfants de France en remplacement de madame de Guéménée, victime de la faillite de son mari ( d’un passif de trente-trois millions de livres).
« Indépendamment de ce que madame de Polignac a toutes les qualités nécessaires pour avoir la préférence, je crois que V[otre] M[ajesté] dégraderait son sentiment aux yeux du public, si elle ne donnait pas cette marque de confiance à son amie, quand bien même elle serait sûre d’en être refusée.»
Le baron de Besenval
Paris, 28 octobre 1782
« Sire
Madame la Duchesse de Polignac a été nommée Gouvernante des Enfants de France. Cette dame qui a toujours avec une modération rare joui de la haute faveur où elle est a peut-être beaucoup d’envieux mais pas un ennemi. Elle prêtera dimanche serment.»
Le comte de Creutz, ambassadeur de Suède à la cour de France
Quand la princesse de Guéménée donne sa démission de la charge de gouvernante des Enfants de France, la duchesse de Polignac, nommée à sa place, vient habiter l’appartement de l’aile aux premiers jours de novembre 1782. On réserve au mari un petit logement comprenant antichambre, cabinet et chambre à coucher. La chambre de la gouvernante est séparée de celle du Dauphin par une porte de glace sans tain, qui permet de voir de l’une dans l’autre.
Le chevalier de l’Isle, écrivant au prince de Ligne que leur amie, madame de Polignac, reçoit « toute la France », les mardis, mercredis et jeudis, ajoutait : « On habite durant les trois jours, outre le salon toujours comble, la serre chaude dont on a fait une galerie, au bout de laquelle est un billard. »
La galerie de bois sera, jusqu’à la fin, le coin des réunions intimes de la duchesse.
Le 24 novembre 1782
« Madame de Polignac recevra-t-elle toute la France ? interroge le prince de Ligne.
— Oui, répond le chevalier de l’Isle, trois jours de la semaine : mardi, mercredi, jeudi. Pendant ces soixante-douze heures, ballet général ; entre qui veut, dîne qui veut, soupe qui veut. Il faut voir comme la racaille des courtisans y foisonne. On habite, durant ces trois jours, outre le salon, toujours comble, la serre chaude, dont on a fait une galerie, au bout de laquelle est un billard. Les quatre jours de la semaine qui ne sont point ci-dessus dénommés, la porte n’est ouverte qu’à nous autres favoris. Vous y êtes attendu.
Madame de Polignac couchera-t-elle avec Monsieur le Dauphin? ajoute ce polisson toujours enclin à l’égrillardise. Il a été spécialement énoncé qu’elle couchera avec qui elle voudra. Seulement une porte de glace, pratiquée entre sa chambre et celle du dauphin, laisse voir de l’une tout ce qui se passe dans l’autre.»
Hélène Becquet considère que le couple royal a su s’extraire des coteries pour désigner la gouvernante des Enfants Royaux. La Reine ayant estimé que Son amie serait sans doute la personne la plus adéquate pour tenir ce rôle car cela Lui permettrait de s’investir beaucoup plus dans l’éducation de ses enfants ce qui lui tenait à cœur. Et effectivement, il me semble que la coterie Polignac n’a en aucune manière influencée cette initiative de la Reine mais est seulement intervenue après coup pour décider la duchesse de Polignac à accepter la charge car celle-ci, comme nous le savons, n’était pas enthousiaste à l’idée de perdre ainsi une certaine liberté . A ce moment, le couple formé par la Reine et Son amie fonctionnait encore bien.
De fait, le vrai problème de madame de Polignac a été de concilier son rôle de favorite avec celui de gouvernante. Souvent auprès de la reine, elle ne pouvait être en même temps auprès des Enfants qui n’étaient pas dans la même partie du château.
Nommée Gouvernante des Enfants de France et duchesse, elle emménage dans le logement des Gouvernantes, au rez-de-chaussée de l’Aile du Midi, sous les appartements de Madame Elisabeth.
L’appartement de madame de Polignac a disparu sous Louis-Philippe par la construction des salles du musée dédiées aux aquarelles. Dans la seconde moitié du XXe siècle, des bureaux ont été créés pour les conservateurs.
« La reine aimait ses enfants et le roi ; c’était peut être tout ce qu’elle aimait en France ; à l’exception de Madame de Polignac qui, en obtenant ses bonnes grâces, devint bientôt en quelque sorte un nouveau membre de la famille, car elle avait pour elle l’affection qu’on porte à une sœur chérie : ce fut un tort Madame de Polignac, douce, bonne, affectueuse, ne possédait aucune des qualités qui peuvent être utiles dans une favorite Son influence ne put servir l’état; elle l’employa uniquement à s’enrichir, elle et ses créatures; elle s’environna de nullités dont elle forma bientôt un rempart autour de la reine, voulant la rendre, pour ainsi dire, invisible à tous ceux qui étaient étrangers à la sphère dans laquelle elle vivait Cette sphère où se confondaient les haines, les mortifications, les craintes, les espérances personnelles, devint le centre de petites intrigues, et d’ambitions étroites, desquelles ne pouvaient surgir aucunes de ces pensées généreuses qui font la gloire des empires en les raffermissant lorsqu’ils menacent de s’écrouler.»
Louis XVIII – Propos recueillis par le duc de D**** (1832)
Le duc de Lévis décrit ainsi les Polignac nouvellement installés :
« Tout le reste de la semaine, elle menait une véritable vie de château. Une douzaine de personnes formaient, avec sa famille, sa société ; il y régnait une aimable liberté. On y jouait et on faisait de la musique, on causait ; jamais il n’était question d’intrigues ou de tracasseries, pas plus que si l’on eût été à cent lieues de la capitale et de la Cour. Je me rappelle avec un plaisir mêlé de regrets les agréables soirées que j’y ai passées, pendant les deux hivers qui ont précédé la Révolution. »
Le duc de Lévis
En 1783
La Reine commence déjà à ne plus venir aussi familièrement qu’autrefois chez madame de Polignac ; Elle se dégoûte de cette compagnie, où beaucoup de gens Lui déplaisent et que la favorite ne veut pas Lui sacrifier.
« La reine s’éloigna insensiblement du salon de Mme de Polignac et prit l’habitude d’aller souvent et familièrement chez Mme la comtesse d’Ossun, sa dame d’atours, dont le logement était très près de l’appartement de la reine ; elle y venait dîner avec quatre ou cinq personnes ; elle y arrangeait de petits concerts, dans lesquels elle chantait ; enfin, elle montrait là plus d’aisance et de gaîté qu’elle n’en avait jamais laissé apercevoir chez Mme de Polignac. »
Le comte de La Marck
Le 3 mars 1783
Monsieur d’Adhémar arrivé à Londres sans considération, en partira sans considération et ce qu’ikl aura perdu de plus dans l’opinion publique sera contrebalancé par la faveur. On assure que, sacrifiant constamment à l’idole qui le lui a procuré, il a orné sa chambre-à-coucher de Londres d’un portrait de la duchesse de Polignac, et que celui de la Reine ne se voit que dans un passage. L’illumination de son hôtel, lorsque Fox a été au moment d’avoir la minorité, n’a pas mieux pris en France qu’en Angleterre. Un ambassadeur doit être impartial ou au moins le paraître dans sa conduite extérieure.
Les vrais amis de madame de Polignac souffrent de l’asscendant qu’a pris sur elle monsieur d’Adhémar ; ils voient aussi dans cette faiblesse une nouvelle preuve de la franchise et de la solidité des affections de cette jeune femme. Elle croit des vertus à son amis, elle croit à son attachement et y tient sans autre calcul que celui d’aimer qui nous aime. Les contrariétés qu’éprouve l’affaire de monsieur de Chazet n(ont mis à même de causer deux fois à tête reposée avec la duchesse de Polignac et de croire, d’après sa manière de parler, que la faveur la plus étonnante n’a rien changé à la droiture de son caractère.
« Vous connaissez par vous-même une partie de ce qu’il [le comte d’Adhémar] vaut, mais ce n’est pas du côté des agréments que je veux vous le faire connaître aujourd’hui. Je désire même que vous oubliiez ce qu’il a pu vous paraître à cet égard. Vous le trouverez simple, honnête, sûr dans la société, enfin rempli des qualités essentielles qui e n ont fait mon ami le plus intime, c’est à ce titre que je le recommande à vous, ma chère Georgina […] Je dois vous ajouter encore que, quoique la fortune ne l’ait pas bien traité jusqu’ici, il n’est pas moins de la plus grande naissance et qu’en le nommant à l’ambassade d’Angleterre, le roi n’a pas cru faire moins de justice à son nom qu’à son mérite.»
Yolande de Polignac à Georgiana de Devonshire
Madame de Boigne écrit que
« madame de Polignac n’est pas une méchante personne. Elle est tyrannisée par son amant le comte de Vaudreuil, homme aussi léger qu’immoral et qui par le moyen de la reine met le trésor public au pillage. »
Au mois de mars 1783
Le jour où le Dauphin devait être sevré, la gouvernante et la Reine étaient parties à Paris et y avaient passé la nuit. Le Roi s’en étant aperçu se met fort en colère .
Ce que rapporte Bombelles :
« Le Français peu accoutumé à ce que la Reine se sépare volontairement du Roi autant de temps, voit avec beaucoup d’humeur ces courses trop légères sous tous les rapports. Une circonstance qui s’est jointe à la convenance dont il serait que la Reine s’éloignât moins de la Cour, a rendu la chose encore plus choquante. C’est que l’on s’est cru obligé de sevrer hier Monseigneur le Dauphin, et ce même jour sa mère et sa gouvernante étaient au bal à Paris .
Le Roi est venu voir son fils et, n’ayant trouvé près de lui que ma belle-mère ( Madame de Mackau, sous-gouvernante des Enfants de France ), après l’avoir traitée avec une bonté particulière, il a demandé en sortant de l’appartement où était Madame de Polignac. Un valet de chambre a répondu qu’elle était à Paris. Sur quoi le Roi a marqué hautement son mécontentement et n’a pas caché qu’elle y était allée sans sa permission . Quelque bon que soit un prince, il est aussi mal que dangereux d’abuser de la douceur de son caractère.
La Reine et sa société n’ont que des intentions honnêtes, mais l’une s’appuie trop sur la solidité de son crédit, et les autres font trop de fond de leur faveur. Tandis qu’ils s’étourdissent sur ses inconvénients, ils donnent prise à leurs ennemis par de petites fautes répétées, que le courtisan malin et délaissé voit à travers le microscope et s’efforce de parvenir à le montrer sous le même aspect à un maître fait pour être heureux, fait pour être aimé et auquel ( en l’abandonnant trop souvent à la solitude de son palais ) on semble dire : » Portez seul le poids du gouvernement et laissez-nous jouir de tous ses agréments .»Journal de Bombelles
Le 2 mai 1783
« A Paris, j’ai dîné chez M. de Vergennes avec Fitzherbert et M. d’Adhémar, qui attend toujours des nouvelles du départ du duc de Manchester pour effectuer le sien, afin de se rencontrer dans le passage de Calais à Douvres avec l’ambassadeur venant d’Angleterre. Le départ prochain de M. d’Adhémar n’afflige réellement que madame la duchesse de Polignac et M. de Vergennes, la première parce qu’elle perd un ami, auquel l’affection qu’elle montre est un objet de satire pour les courtisans, le second parce qu’il perd un des plus solides ressorts de son intrigue. Le reste de la société est fort aise de l’éloignement d’un homme qui s’était trop emparé de l’esprit de la duchesse. Jalousé par tous les membres de cette société, on voit que la Reine ne le traite bien que par égard pour son amie. Le Roi n’a jamais varié à cet égard ; ne faisant aucun cas de M. d’Adhémar, il le traite froidement dans toutes les rencontres et de considère en lui qu’un homme adroit et entreprenant, déploiera ce genre de talent dans une ambassade où on le croit nécessaire. On rapporte un propos du Roi qui prouverait que son opinion sur la naissance de M. d’Adhémar n’est pas meilleure que celle qu’il a conçue sur son caractère. Sa Majesté, en parlant du procès de Messieurs de La Boulbène, doit avoir dit : « Pourquoi n’ont-ils pas fait comme M. d’Adhémar, en prenant le nom d’une famille éteinte ? »»
Marc de Bombelles
Le 4 juin 1783
Le duc de Coigny, le duc de Polignac, les comte d’Esterházy, et de Coigny, Mesdames d’Andlau, de Chalon et de Coigny, qui étaient allés faire une course à Londres, en sont revenus ; ils nous ont rapporté entre autres nouvelles que le comte d’Adhémar, ne trouvant point dans cette vaste capitale de l’Angleterre une seule maison qui lui convienne, était résolu à en faire bâtir une ; bien entendu que par ce moyen le Roi la paiera, la meublera et que Son Excellence trouvera ce moyen de bonifier son traitement. Que de distance de cette position à celle du pauvre petit major de Nîmes ! Alors un logement bien mesquin lui convenait, aujourd’hui les maisons qui suffirent à Messieurs de Guerchy, de Nivernais, du Châtelet, de Guînes et de Noailles ne peuvent loger monsieur d’Adhémar. Et cependant, il vivra sûrement avec moins de magnificence que ses prédecesseurs…
En octobre 1783
Vaudreuil, avec le soutien de Yolande de Polignac, assaille Marie-Antoinette pour obtenir la nomination de Charles-Alexandre de Calonne (1734-1802) au contrôle général des finances.
Dès lors la relation entre la Reine et Son amie se détériore car Marie-Antoinette se rend compte des manœuvres politiques que leur lien Lui fait faire… Elle déteste Calonne qu’Elle trouve intrigant.
Le 3 novembre 1783
Calonne est nommé contrôleur général des finances, contre la pression des milieux financiers.
En novembre 1783
Madame de Polastron écrit à madame de Laage de Volude, du château de la Muette, que le comte d’Artois y est lui-même , et que la Reine s’y est rendue afin d’être plus près de Passy où est madame de Polignac :
« Tu serais bien aimable de venir samedi au Ranelagh ; la reine y sera et elle serait fort aise de t’y voir. La personne qui t’a parlé de moi ( Artois ) est ici, elle y a dîné et elle y soupe. Elle m’a dit que vous aviez parlé ensemble de plusieurs choses qui nous intéressent.»
Le 3 avril 1784
Secondée par une équipe de sous-gouvernantes, Yolande est responsable de la santé et de l’éducation des jeunes princes et veille sur eux comme s’ils étaient ses enfants. Madame Royale est une enfant difficile et la duchesse lutte avec peine contre ses caprices. Louis-Joseph est un bébé, avec les réveils nocturnes que cela implique. En outre, Yolande a un devoir de représentation lié à sa fonction, puisqu’elle est présente lors des visites faites au Dauphin et à sa sœur. Elle reçoit d’ailleurs les visites avec ses propres enfants sur les genoux !
« Nous nous sommes rendus chez madame la duchesse de Polignac ; reçus extrêmement aimablement et poliment alors qu’elle était à sa toilette, telle une Vénus en mousseline blanche entourée de cinq dames, toutes vêtues de blanc, qui l’aidaient à se préparer, cette femme est des plus gracieusement aimable.»
Un américain introduit chez madame de Polignac en 1785
Du mardi au jeudi
Ce sont les visites officielles, la Cour et les ambassadeurs se pressent chez l’héritier du trône.
Du vendredi au lundi
Ce sont les visites des intimes. Le rythme de vie de la duchesse l’épuise. De constitution fragile, elle voit sa santé diminuer. Celle du Dauphin également, ce qui ne manque pas de l’alarmer. Elle se consacre presque entièrement à Louis-Joseph, qu’elle entoure de tendres soins.
Le 27 mars 1785
A sept heures et demi du matin, naissance de Louis-Charles, duc de Normandie, Dauphin en 1789 et déclaré Roi de France en 1793 par les princes émigrés sous le nom de Louis XVII.
Le comte de La Marck à propos de madame de Polignac :
« M. et Mme de Polignac ne se montrèrent jamais soigneux de réunir chez eux les personnes qu’il aurait le mieux convenu à la Reine d’y rencontrer : elle en était souvent peinée.
Le comte de Mercy, qui connaissait ces particularités de l’intérieur Polignac, s’y montrait rarement et seulement ce qu’il fallait pour ne pas trop remarquer son éloignement.
Le comte de Fersen, certainement inspiré par la Reine, se refusa toujours à entrer dans cette intimité quoiqu’on lui eût fait toutes les avances pour l’y attirer.
Enfin, quatre ans avant la révolution, c’est-à-dire en 1785, les choses en étaient venues au point que la Reine, avant de sortir de chez elle pour aller chez Mme de Polignac, envoyait toujours s’informer par un de ses valets de chambre des noms des personnes qui s’y trouvaient, et s’abstenait souvent, d’après la réponse.
La Reine se hasarda une fois à exprimer à Mme de Polignac la déplaisance que lui inspiraient plusieurs des personnes qu’elle rencontrait chez elle. Mme de Polignac, soumise à ceux qui la dominaient, et, malgré sa douceur habituelle, n’eut pas honte de répondre à la Reine :
« Je pense que, parce que votre Majesté veut bien venir dans mon salon, ce n’est pas une raison pour qu’elle prétende en exclure mes amis. »
Elle donne beaucoup de son temps pour aider et satisfaire la Reine. Rappelons nous ce qu’en dit Vaudreuil :
« Son temps, sa santé prodigués aux soins pénibles de l’éducation des trois enfants du Roi, le sacrifice entier de sa paresse naturelle, de tous ses goûts, de sa sauvagerie, le mérite de n’avoir jamais nui à personne, d’avoir rendu de grands services à des ingrats,…..»
ou encore :
« Je vois clairement mes amis dépouillés, et quinze ans des plus belles années de la vie de Madame de Polignac, employés à faire les honneurs de Versailles à la ville, à la Cour et aux étrangers; l »obligation de tenir, par la volonté de ses souverains, auberge royale.»
De l’esclavage dans une cage dorée…
La forte position de Yolande rend son clan tout puissant. De par sa place, elle est à même de continuer à aider ses amis, toujours avec des rentes, des places et même celle de Premier Écuyer du comte d’Artois pour l’oncle de son mari, lui permettant ainsi de gérer rien de moins que le château de Chambord transformé en haras !
Il ne reste plus alors chez madame de Polignac que le duc de Normandie ; pour les autres enfants, la Reine s’est instituée gouvernante. Ses matinées sont à eux ; Elle assiste aux leçons de leurs maîtres et quelquefois les fait répéter. Tous les loisirs que le plaisir prenait autrefois sont aujourd’hui réservés à ces nouveaux devoirs. Qu’on juge si Marie-Antoinette est capable de former l’âme de Ses enfants :
« On les a toujours accoutumés, écrit-Elle, à avoir grande confiance en moi, et quand ils ont eu des torts, à me les dire eux-mêmes. Cela fait qu’en les grondant, j’ai l’air plus peinée et affligée de ce qu’ils ont fait que fâchée. Je les ai accoutumés tous à ce que oui ou non, prononcé par moi, est irrévocable, mais je leur donne toujours une raison à la portée de leur âge pour qu’ils ne puissent pas croire que c’est humeur de ma part… Mon fils n’a aucune idée de hauteur dans la tête, et je désire fort que cela continue : nos enfants apprennent toujours assez tôt ce qu’ils sont… »
Tel est le ton de l’instruction adressée un peu plus tard à madame de Tourzel, quand elle est appelée à remplacer Yolande. Aucune mère n’a étudié ses enfants avec des idées plus justes ni une affection plus clairvoyante. On sent le progrès moral accompli chez Marie-Antoinette ; on entrevoit aussi ce qu’elle fût devenue comme reine, en des temps moins troublés.
Le 15 août 1785
Alors que le cardinal de Rohan — qui est grand-aumônier de France — s’apprête à célébrer en grande pompe la messe de l’Assomption dans la chapelle du château de Versailles, il est convoqué dans les appartements du Roi en présence de la Reine, du garde des sceaux Miromesnil et du ministre de la Maison du Roi, Breteuil.
Il se voit sommé d’expliquer le dossier constitué contre lui. Le prélat comprend qu’il a été berné depuis le début par la comtesse de La Motte. Il envoie chercher les lettres de la « Reine ». Le Roi réagit :
« Comment un prince de la maison de Rohan, grand-aumônier de France, a-t-il pu croire un instant à des lettres signées Marie-Antoinette de France ! ».
La Reine ajoute :
« Et comment avez-vous pu croire que moi, qui ne vous ai pas adressé la parole depuis quinze ans, j’aurais pu m’adresser à vous pour une affaire de cette nature ? ».
Le cardinal tente de s’expliquer.
« Mon cousin, je vous préviens que vous allez être arrêté», lui dit le Roi.
En 1786
Lorsqu’il rentre dans sa septième année, le Dauphin Louis-Joseph «passe aux hommes» pour recevoir une éducation de futur souverain dans laquelle il met toute son application malgré ses douleurs physique. C’est avec un pincement au cœur que Yolande remet le Dauphin malade, âgé de six ans, entre les mains de son précepteur, le duc d’Harcourt. Opposé à la duchesse de Polignac, il va influencer son pupille afin de le retourner contre sa gouvernante, provoquant une peine infinie à Yolande.
Le 9 juillet 1786
Marie-Antoinette met au monde Son dernier enfant, une petite fille qui reçoit les prénoms de Marie-Sophie-Hélène-Béatrix, couramment appelée Sophie-Béatrix ou la Petite Madame Sophie.
« La reine avait l’habitude de venir après le dîner chez Madame la duchesse de Polignac ou, plus précisément, de Monsieur le Dauphin, dont elle était gouvernante. Un jour, elle a fait apporter un petit dessin à l’aquarelle qu’elle avait fait dans le parc de Trianon. Il a laissé ce dessin sur une table dans sa boîte à couleurs et est allé jouer au tric-trac avec la princesse de Lamballe et le baron de Vioménil. J’ai profité de ce moment pour prendre la boîte de couleurs et je suis allé dans le cabinet de Madame de Polignac. C’est là que je me suis précipité d’ajouter au dessin une petite scène à laquelle j’avais assisté au même endroit. Quelques jours plus tôt, la reine est allée se promener à Trianon pour voir le travail qu’elle avait commandé là-bas. Elle se trouva à côté d’un petit travailleur qui transportait de l’herbe dans une brouette ; elle a dit qu’elle voulait se vanter d’avoir travaillé dans son jardin ; elle a pris la brouette des mains de ce jeune homme et commença à la pousser. Elle n’avait pas prêté attention au fait que le sol était incliné, afin que la brouette la traîne la traîne le plus vite qu’elle ne le souhaitait, la reine l’a laissé tomber en riant. Nous étions différents derrière elle et on a tout de suite remarqué. Le duc de Villequier est arrivé en premier et lui a dit très sérieusement qu’on craignait qu’elle tombe, ce qui a augmenté les rires de la reine.
Puisque le dessin représentait la vue de cette pente, j’ai rapidement peint la scène où la reine laissait partir la brouette en riant et où le duc de Villequier lui parlait. Le duc était facile à reconnaître, petit, avec des épaules larges et un cou court. À son tour, il était encore plus étonnant en ressemblance car les autres personnages étaient de petites figures de six à sept lignes. Ce travail ne m’a pris que deux heures. Après le tric-trac, la reine a joué au billard dans une galerie voisine. J ‘ ai remis le dessin dans la boîte sans que personne ne le remarque, et Madame de Polignac l’a fait ramener à la reine.
Le lendemain matin, Madame de Polignac m’a envoyé un valet à Paris pour me dire de venir à Versailles avant h. C’était vraiment un rendez-vous. » Mon cousin « , m’a-t-elle dit très sérieusement, la reine est furieuse contre vous de vous être permis d’ajouter des figures à son dessin. Elle m’a demandé de vous en témoigner et de vous empêcher d’apparaître devant elle. Donc vous ne pourrez plus venir chez moi à l’heure où elle viendra.
– Ce n’est pas possible, ai-je répondu, selon ma connaissance du caractère de la reine. Je crois, au contraire, qu’elle aurait été très heureuse de voir représenté sur son dessin l’événement de la brouette qui l’avait tant fait rire ; en outre, personne sauf elle, vous et moi, ne peut savoir qu’elle-même n’a pas peint cette petite aventure. Elle peut être sûre de ma discrétion. « » Vous avez raison « , répondit Madame de Polignac ; hier soir, la reine m’a envoyé chercher et m’a montré son dessin, qui n’avait pas ces figures quand elle l’a ramené chez moi. Comme elle avait interrogé ses femmes et que personne ne pouvait lui dire qui avait touché ce dessin, il m’a demandé si, parmi ma compagnie d’hier, je ne soupçonnais pas quelqu’un qui aurait pu faire ces figures. J ‘ ai tout de suite pensé à vous et pendant que j’hésitais à vous nommer, la reine m’a dit gentiment :
– Mais alors parlez ; Je ne suis pas en colère ; Je trouve que l’espace qui est resté libre sur mon dessin son état merveilleusement rempli, et j’ai reconnu le duc de Villequier avec son expression et Madame la comtesse Diane.
-Eh bien, Madame, je vais avouer à Votre Majesté que je crois que le coupable est un de mes cousins, le comte de Paroy, qui est peintre ; je ne peux que suspecter de lui.
-Je vous charge de lui faire savoir ; et de lui faire croire que je suis très en colère. Vous allez le reprocher à voix haute, mais que je trouve finalement qu’il a bien fait et je l’ai vu avec plaisir. Je ne veux pas qu’il en parle, dites-lui. Alors cousin, je vous préviens de tout ça. Je vous ai fait essayer de bonne heure pour vous en informer ; restez déjeuner avec moi ; je suis sûre que la reine ne tardera pas à arriver, mais n’ayez pas l’air de savoir qu’elle n’est pas en colère. Vers midi, la reine est entrée chez Madame de Polignac, alors qu’elle écrivait, je regardais un grand livre d’impression représentant les vues de la Suisse. Je me suis levé et je suis allé dans le compartiment d’une fenêtre ; la reine, en passant devant moi, m’a jeté un regard sévère et se dirigé directement vers Madame de Polignac, à qui elle demanda s’il m’avait parlé : Oui, dit ; sa réponse est qu’elle ne Il a pensé qu’il pouvait manquer à Votre Majesté.
– Oh ! J ‘ y crois que la reine a continué, appelez-le.
– Madame de Polignac m’a fait signe de m’approcher ; j’obéis, respectueusement et avec enthousiasme. » Dessinez très bien » dit la reine en souriant ; vous me l’avez prouvé hier sur mon petit dessin
– Madame, répondis-je, j’ai été témoin de la scène que j’ai tracée là-bas et qui a tellement fait rire Votre Majesté ; je pensais qu’elle ne serait pas déçu de revoir le souvenir dessiné au même endroit que c’était arrivé.
– Madame de Polignac vous a crié, n’est-ce pas ? Elle a suivi les ordres de Votre Majesté, mais j’avais confiance en sa gentillesse en reconnaissant que mon intention était de faire quelque chose qui lui ferait plaisir.
-Vous avez eu une bonne idée ; j’enverrai ce dessin à Bruxelles à ma sœur ; je suis sûre qu’elle va aimer.»Mémoires du comte de Paroy
En avril 1787
Le duc et la duchesse de Polignac (1749-1793) et le comte de Vaudreuil passent deux mois en Angleterre dont six semaines à Bath. Ils semblent également missionnés d’aller trouver madame de La Motte à Londres pour calmer les bruits qu’elle y fait courir contre Marie-Antoinette. Il est faux que madame de La Motte ait en son pouvoir des lettres qui puissent compromettre la Reine, «mais toute calomnie répandue contre (Elle) exerce sur les esprits prévenus plus d’empire que la vérité».
« La duchesse de Polignac, prenant pour prétexte le besoin des eaux de Bath partit tout à coup pour l’Angleterre et remit elle-même les sommes convenues à M. et Mme de la Motte qui lui livrèrent à ce prix la prétendue minute de la diatribe annoncée. Comment pouvait-on se fier de la bonne foi de ce couple taré et méprisable.»
Abbé Georgel, Mémoires
En avril 1787
La chute de Calonne fait l’objet d’une lutte acharnée entre Vaudreuil et Polignac qui font leur possible pour maintenir le ministre, complaisant pour leurs dettes colossales et la Reine qui fait le siège de Son mari afin d’obtenir la tête du contrôleur général. Étienne de Loménie de Brienne (1727 – 1794), archevêque de Toulouse (1763), contrôleur général des Finances en remplacement de Calonne, il ne parviendra pas à résoudre la crise financière, car comme son prédécesseur, il s’oppose aux privilèges.
Le 1er mai 1787
Étienne-Charles de Loménie de Brienne (1727-1794) s’impose comme principal ministre d’Etat grâce à l’appui de Marie-Antoinette.
C’est l’entrée au gouvernement d’un virulent ennemi pour la duchesse qui aura la preuve que les libelles imprimés contre elle sont l’œuvre du cardinal (que deviendra Loménie de Brienne en 1788) : «Je conviens que j’ai dit beaucoup de mal de lui à la Reine, mais je prouvais ce que j’avançais et je le défie d’en faire autant.»
Une fois au pouvoir, il met fin aux grandes spéculations boursières, puis réussit à faire enregistrer par le parlement de Paris des décrets établissant le libre-échange à l’intérieur du pays et prévoyant l’instauration d’assemblées provinciales ainsi que le rachat des corvées. Lorsque les parlementaires refusent d’enregistrer les décrets qu’il propose d’appliquer au droit de timbre et au nouvel impôt foncier général, il persuade Louis XVI de tenir un lit de justice pour les y contraindre.
« L’archevêque (Loménie de Brienne) et l’abbé de Vermond, qui n’avaient pu détruire madame de Polignac, eussent obtenu qu’elle n’influe plus autant dans les affaires.»
Le baron de Besenval
Le 19 juin 1787
La petite Sophie décède sans doute atteinte d’une tuberculose pulmonaire. La cause de son trépas est un peu mystérieuse mais il semble s’agir d’une grave infection pulmonaire.
Cette alerte provoque le retour précipité des Polignac à Versailles.
A leur retour, les Polignac trouvent leur appartement repeint et meublé à neuf par les soins de la Reine.
Cet appartement est , à l’origine, celui de la Dauphine. L’objectif est de faire un appartement unique pour le Dauphin et Madame Royale avec des salles d’études, un dortoir unique, etc..Le plan montre l’appartement en 1786 où celui-ci avait encore la forme de celui que nous connaissons aujourd’hui : Madame Royale occupe l’appartement le long de la façade sud et le Dauphin, l’angle du bâtiment.
Le 27 juin 1787
« Madame de la Motte s’est échappée de la [Salpêtrière] ; son évasion a été concertée avec le gouvernement … C’est le fruit du voyage de Madame de Polignac et du comte de Vaudreuil à Bath. On prétend que monsieur de la Motte a mis à ce prix et à celui d’une bourse la cession de quelques lettres de la reine à sa femme, lettres qu’il était prêt à rendre publiques pour se justifier. Madame de Polignac revient triomphante avec la conquête des lettres…»
Lescure, Correspondance secrète inédite sur Louis XVI, Marie-Antoinette, la Cour et la ville (1777-1790)
Ces marchandages n’ont probablement pas été menés par la duchesse elle-même, bien trop visible et surveillée, ils ont dû être confiés à une personne de son entourage avec l’aide éventuelle de la duchesse de Devonshire, on pense à la comtesse Diane dont l’intelligence redoutable semble l’avoir rendue plus apte à ce genre de mission.
Le 27 décembre 1787
Axel de Fersen écrit à Gustave III :
« Madame de Polignac se soutient toujours elle est toujours aussi bien qu’elle était, mais depuis le départ de M. Calonne les individus de sa société ne sont plus rien et n’ont aucun crédit. La Reine est assez généralement détestée, on lui attribue tout le mal qui se fait et on ne lui sait pas gré du bien.
Le choix de M. Necker serait fort bon et l’Archevêque se serait fait beaucoup d’honneur s’il l’avait appelé quand il a été fait ministre principal. On a une grande idée, et avec raison, de l’honnêteté et des talents de cet homme… Le Roi est toujours faible et méfiant, il n’a de confiance qu’en la Reine, aussi il paraît que c’est elle qui fait tout, les ministres y vont beaucoup et l’informent de toutes les affaires, on a beaucoup dit dans le public que le Roi commençait à boire que la Reine entretenait cette passion et profitait de son état pour lui faire signer tout ce qu’elle voulait, rien n’est plus faux il n’a pas le penchant pour la boisson et dans la supposition qu’on fait ce serait un vice trop dangereux pour les suites qu’il, pourrait avoir, car une autre pourrait surprendre au Roi une signature aussi bien que la Reine.
Depuis que l’anglomanie s’est glissée dans tous les esprits, Versailles a été plus désert qu’a 1 ‘ordinaire, pour y ramener du monde on dit, qu’il va y avoir des soupers trois fois par semaine chez la Reine, on doit s’assembler à 9h. jusqu’à 11h. Je crois que cela n’est pas encore décidé, il y a jeu les samedis et dimanches.»
En mai 1789
Jeanne de La Motte, qui avait été payée ( par les Polignac? ) pour ne pas écrire ses «souvenirs» publie ses mémoires complétés par la prétendue correspondance échangée entre la Reine et le cardinal…
Le 5 mai 1789
Les souvenirs du marquis de Ferrières nous éclairent sur le rôle tenu par le salon de la duchesse de Polignac entre le moment où les Etats généraux se sont réunis et les événements du 14 juillet. On y perçoit la manœuvre qui s’y joue pour rallier à leurs idées l’ensemble des députés du second ordre et notamment les provinciaux moins acclimatés aux
méandres de la politique parisienne et à ses intrigues de Cour :
« Les grands ont soin d’entretenir notre résolution de ne point consentir au votement par tête. Ils disent ouvertement que la noblesse de province sauvera l’état.»
Si, dans ses activités de lobbying, la duchesse semble se cantonner à son rôle d’hôtesse aimable , mais assez passive, si le duc, à son habitude, s’y montre absent, on y voit par contre déployer tous leurs talents le comte d’Artois, Diane de Polignac et le comte de Vaudreuil.
Le 22 mai 1789
« Je dinai chez la duchesse de Polignac. Le comte d’Artois y vint dîner. Libre, familier, causant avec l’un, causant avec l’autre, de manières engageantes, il se mit à table. On me plaça entre la comtesse Diane de Polignac et le fameux comte de Vaudreuil. Grâce aux ressources que j’ai dans l’esprit, la conversation se soutint sans langueur entre nous trois. Ce fut même au point que je n’eus pas le temps de manger, quoique le dîner fût magnifique et délicat. Le comte et moi sommes devenus amis. Il est charmant, simple, rempli d’esprit et de finesse ; il aime les arts, cultive les lettres. Je ne suis point étonné de son succès ; c’est l’homme le plus aimable de la cour. La comtesse Diane a de l’esprit. C’est elle qui gouverne sa famille. Elle me fit un compliment fort honnête au sortir de la table et je m’aperçus bientôt qu’elle avait rendu un témoignage avantageux de moi. La duchesse m’adressa la parole et M. le comte d’Artois vint directement à moi et causa un moment […]. C’est une maison où l’on est libre, on y parle et comme le dit la duchesse, c’est l’Hôtel de la liberté.»
Le marquis de Ferrières
«Mon frère et ma sœur ne pouvaient se dispenser de tenir grand état, leur position et leurs charges le leur commandaient. Ils donnaient à manger aux députés et la manière simple et franche que vous leur connaissez leur eût bientôt acquis l’estime de toute cette bonne noblesse qui, sortant de sa province, ne possédant aucune grâce du souverain, soutenait son autorité, sa couronne malgré les menaces qui lui étaient faites journellement.»
Diane de Polignac à madame de Sabran
Madame la duchesse de Polignac si peu connue et si calomniée, aime trop son repos, est trop paresseuse, trop apathique enfin pour se livrer aux mouvements d’une grande intrigue. C’est chez la comtesse Diane, qui a tout l’esprit et la méchanceté de sa famille que se tiennent les comités où les chefs du parti de la noblesse ourdissent leurs trames. Madame de Polignac les reçoit bien chez elle, mais il n’est jamais question de leurs projets en sa présence. La duchesse n’est coupable que d’avoir été trop en faveur auprès de la souveraine.
Le 29 mai 1789
«J’étais entre la comtesse Diane et le comte de Vaudreuil. La comtesse est, dit-on, l’esprit de la famille ; elle en a effectivement. Le comte est charmant ; je n’ai point vu d’homme plus aimable. […] La duchesse de Polignac ne parle pas et a l’air ennuyée. Sa jolie fille, la duchesse de Guiche ne dit pas non plus grand chose.»
Le marquis de Ferrières
Le 31 mai 1789
Le 4 juin 1789
Mort du Dauphin, Louis-Joseph-Xavier-François, à Meudon.
Le 7 juin 1789
Aglaé de Guiche (1768-1803) accouche d’un garçon, Antoine IX Héraclius Agénor de Gramont, duc de Guiche (1789-1855).
Le Roi et la Reine se retirent à Marly pour le pleurer. Il est enterré avec un cérémonial réduit à Saint-Denis compte tenu le contexte économique difficile.
Un mois après la mort du Dauphin Louis-Joseph
Le duc d’Harcourt, la duchesse et leurs petites filles s’étant retirés, les appartements sont occupés par Louis Charles duc de Normandie, devenu Dauphin à l’âge de quatre ans, et par sa sœur aînée Madame Royale, accompagnés de leur gouvernante et de son mari, la duchesse et le duc de Polignac. Selon les ordres donnés à Monsieur Loiseleur par la gouvernante dans les premiers jours de juillet, il faut procéder à de petits travaux consistant «dans quelques changements de cloisons légères pour distribuer convenablement au service de Madame fille du Roi». Selon la volonté de Madame de Polignac et de la Reine Elle-même, les travaux devaient commencer dès le lundi 6 juillet 1789, malgré la présence du prince et de la princesse.
La nouvelle organisation que Madame de Polignac entendait mettre en place consistait à muer l’ancien appartement du Dauphin en un «Appartement des Enfants de France», commun au Dauphin et à sa sœur. Ainsi, après la Salle des Gardes et les deux Antichambres, laissant sur la droite le service de Madame Royale, on trouverait sur la gauche trois chambres communicantes : la première pour Madame Royale dans l’ancienne chambre à coucher du Dauphin, la deuxième pour le Dauphin Louis-Charles dans le Cabinet d’angle, et la troisième pour la gouvernante dans l’ancienne bibliothèque. A la suite, l’ancien appartement du duc d’Harcourt serait devenu celui de Monsieur de Polignac, et celui de la duchesse d’Harcourt serait repris par la duchesse de Polignac pour y établir ses pièces de représentation, y compris la salle à manger dont elle demandait le rétrécissement.
Plan du rez-de-chaussée du Corps Central le 6 juillet 1789 :
– Appartement des Enfants de France :
R1 : Salle des Gardes, R2 : Antichambre, R3 : Pièce des Nobles, R7 : Chambre à coucher de Madame Royale, R8 : Chambre à coucher du Dauphin, R9 : Chambre de veille de la duchesse de Polignac, R11 : escalier pour monter chez la Reine, R12 : garde-robe, R13 : bains.
– Service de Madame Royale : R4 et S2 à S3.
– Appartement du duc de Polignac :
Q15 : passage, Q15BIS : pièce du suisse, Q11 : première antichambre, Q12 : valet de chambre, Q10:
seconde antichambre, Q7BIS : salon, Q8 : chambre à coucher, Q9 : cabinet particulier, R10 : garde-robe à l’anglaise.
– Appartement de la duchesse de Polignac :
Q1 : entrée, Q1BIS : pièce du suisse, Q4 : réchauffoir, Q2 : antichambre, Q3 et Q3TER : service, Q5 : salle à manger, Q6 : salon de compagnie, Q6BIS : chambre à coucher, Q7 : cabinet particulier, Q14 : bains.
Les démontages préliminaires commencent le 6 juillet 1789 dans la bibliothèque destinée à devenir chambre de la gouvernante, et dans la chambre contiguë attribuée à Monsieur de Polignac. La dépose des glaces se poursuit le lendemain dans l’ancien appartement de M. de Bourcet, ainsi que dans l’ancienne pièce de retraite des sous-gouverneurs. Madame de Polignac ne devait pas voir l’achèvement de ces travaux…
mais …
Le 11 juillet 1789
Le comte d’Artois se trouve chez la duchesse de Polignac. Il aperçoit le comte des Cars sur la terrasse de l’Orangerie, il l’appelle et lui confie :
« Si tu promets le secret, je te dirai quelque chose qui te fera plaisir. Eh bien ce soir, il ne sera plus à ses fenêtres (me montrant celle de la Surintendance [où se trouvent installés les bureaux de Necker]). C’est enfin décidé entre le roi et la reine.»
Dans la manière dont la véritable duchesse de Polignac, personnage plutôt effacé et discret dans les textes de mémorialistes familiers de la cour de la fin de l’Ancien Régime, devient dans les pamphlets publiés au cours du règne de Louis XVI puis pendant la Révolution un personnage parlant et agissant, on peut repérer des effets de contagion romanesque. Yolande de Polignac se retrouve en effet intégrée dans des récits et un réseau intertextuel assez clairement libertins, et devient de ce fait une pièce particulièrement importante du dispositif pamphlétaire, dont la stratégie semble de politiser et d’idéologiser la tradition libertine.
Maxime Triquenaux
Le 14 juillet 1789
Le peuple prend la Bastille.
Le 15 juillet 1789
On met le Roi au courant.
Le 16 juillet 1789
Louis XVI se rend à l’assemblée, en compagnie de ses deux frères. Il revient au château à pied, entouré des députés et du peuple qui l’accompagnent jusque dans la Cour de Marbre. Le Roi, la Reine, la Famille Royale paraissent au balcon, mais sans madame de Polignac, à qui on a demandé de ne pas se montrer. cette dernière aurait dit à madame Campan : « Ah ! Madame! quel coup je reçois. »
L’absence de la duchesse est remarquée.
« Ah dit une femme désappointée, la duchesse n’est pas avec elle !
– Non, répondit un homme, mais elle est encore à Versailles ; elle est comme les taupes ! Elle travaille en dessous, mais nous saurons piocher pour la déterrer !»
Madame Campan a entendu ce discours et, affolée, l’avait rapporté à Marie Antoinette. Depuis la matinée, on rapporte à la souveraine nombre d’avertissements du même genre. Cette dernière s’était donc résolue à demander à Son amie bien aimée de quitter Versailles et la France pour se mettre à l’abri.
Le 17 juillet 1789
Madame de Polignac quitte Versailles et la France parce que c’est que le Roi le lui ordonne. Et en s’éloignant de Marie-Antoinette qui lui donne une bourse de 500 louis, elle croit sincèrement que les esprits échauffés contre la Reine vont se calmer. Par ailleurs, elle n’a pas le choix, son mari et sa belle-sœur décident (toujours) pour elle, en l’occurrence il s’agit de sauver sa tête mise à prix .
Et puis, et ce n’est pas la moindre des raisons : madame de Polignac est mère. Elle se doit à ses enfants. Jules et Melchior sont encore très jeunes et à sa charge .
C’est ainsi que, le 16 juillet au soir, la famille Polignac quitte le château dans un désordre indescriptible. Comme la Reine sait Ses amis désargentés, en dépit de leurs charges, Elle fait porter à Yolande une bourse de 500 louis par Dominique Campan
Tout le monde s’entasse dans une berline. Il n’avaient pu emporter chacun que le strict nécessaire. A minuit, un courrier apporte à la duchesse un mot d’adieu de Marie Antoinette :
« Adieu la plus tendre des amies, le mot est affreux ; voilà l’ordre pour les chevaux. Adieux. Je n’ai que la force de vous embrasser.»
Marie-Antoinette
Vaudreuil venu lui dire adieu la trouve «pâle, triste et amaigrie», Yolande lui dit en pleurant : «Vaudreuil, vous aviez raison, Necker est un traitre, nous sommes perdus».
La voiture s’en va dans la nuit, avec à son bord le duc et la duchesse de Polignac, la comtesse Diane, l’abbé de la Balivière et Guichette qui vient d’accoucher.
Armand et Melchior partent de leur côté. Yolande tremble d’être reconnue et redoute pour la vie de ses fils.
A Sens, lors d’un relais de poste, on a failli reconnaître la favorite de la Reine. Le héros de cette aventure est le jeune abbé Cornu de la Balivière, aumônier ordinaire du Roi, qui l’accompagne et qui déclare :
« Toute la canaille des Polignac a pris la fuite et Monsieur Necker , le brave Genevois, va rentrer dans le ministère.»
Et la foule qui entourait la berline des fuyards, rassérénée, laisse partir Yolande qu’elle n’a finalement pas reconnue.
Le départ de Madame de Polignac ne se fait pas sans danger. A chaque étape, la voiture est fouillée. On la cherche partout. A Sens, le postillon de la voiture la reconnaît mais garde pour lui cette découverte, lui sauvant probablement la vie. C’est au poste suivant qu’il lui déclare :
« Madame de Polignac, il y a des gens honnêtes en ce monde. je vous ai tous reconnus à Sens ».
Le texte des Adieux de Mme la duchesse de Polignac aux François s’inscrit plutôt dans une forme d’éloquence oratoire marquée par l’adresse directe de la locutrice au public :
« Calmez, Français, calmez vos regrets trop vifs ; la Polignac a fui avec précipitation, avec mystère ; elle le devait à sa sûreté ; mais elle ne vous a pas abandonnés pour toujours ; vous êtes un peu comme le soufre et le salpêtre ; malheur à celui qui vous manie, s’il ne sait pas prendre des précautions ! La duchesse n’était pas faite pour en manquer.»
Pamphlet de l’époque
Le 21 juillet 1789
Ils arrivent , au soir, en Suisse et vont s’installer à Bâle chez le chevalier de Roll, cousin de Besenval. Une fois à Bâle, les Polignac respirent. Ils restent sur place durant dix jours au terme desquels Melchior, Jules puis Vaudreuil les rejoignent. Celui-ci jure de ne plus se séparer de Yolande, dont la santé est chancelante.
Yolande rencontre alors Necker : «Je lui ai tout dit et je lui ai ajouté que je n’avais été pour rien dans son renvoi, ni dans son rappel … »
« Il pourrait paraître étonnant de voir Madame la duchesse de Polignac rechercher monsieur Necker et ce ministre vouloir bien se prêter à lui rendre visite ; mais ce n’était pas cette dame qu’on regardait comme l’âme du parti contraire à M. le directeur général et au rétablissement de la Constitution nationale, mais madame la comtesse Diane de Polignac sa belle-sœur.»
Le 24 juillet 1789
Madame de Polignac est remplacée par la marquise de Tourzel (1749-1832), veuve du Grand Prévôt de France.
Celle-ci, ayant reçu les consignes et les conseils de la Reine le 24 juillet, entre en fonctions le 26 juillet 1789. Elle s’installe presque aussitôt, avec sa fille cadette Pauline, près des Enfants Royaux, mais selon une organisation toute différente de celle qui avait été arrangée par Madame de Polignac. Cette fois, la notion d’un «Appartement des Enfants de France» étant exclue, le Dauphin Louis-Charles dispose de tout l’appartement de son défunt frère Louis-Joseph (excepté la bibliothèque), et sa sœur Madame Royale de celui de la Duchesse d’Harcourt (hormis le cabinet particulier sur parterre, la pièce des bains et les entresols sur cours).
La nuit du 4 août 1789
Abolition des privilèges.
Le 14 août 1789
Les Polignac retrouvent Vaudreuil et le comte d’Artois en arrivant à Bâle. Joseph les emmènera à Rome chez le cardinal de Bernis.
Le 26 août 1789
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.
Fin septembre 1789
Au bout de deux mois passés en Suisse, l’équipée Polignac se rend en Italie, à Turin. Mais le Roi de Sardaigne, beau-père du comte d’Artois, ne souffre pas la présence de Yolande dans sa capitale. Jules opte alors pour Rome, espérant que la ville plaira à son épouse et que le climat l’aidera à aller mieux. Le voyage est pénible et la duchesse dépérit.
Le 5 octobre 1789
Des femmes du peuple venues de Paris marchent sur Versailles pour demander du pain.
Le 6 octobre 1789
Vers cinq heures du matin, les appartements privés sont envahis. La Reine s’échappe en jupon par une porte dérobée. Plus tard, Sa présence est réclamée par la foule. Elle va au-devant du peuple, courageuse, au mépris de Sa vie.
La famille royale est ramenée de force à Paris.
Elle s’installe aux Tuileries et un semblant de vie de Cour se met en place.
Le 29 décembre 1789
Marie-Antoinette écrit à Yolande … madame Etlinguers est son nom d’exil :
« Je suis bien aise que M. de Guiche soit avec vous . C’est un gendre digne de vous et de votre mari, par son attachement, sa noblesse et sa loyauté . Tout le monde lui rend justice ici et même ses ennemis lui rendent hommage par la haine qu’ils ont montrée contre lui . Dites-lui bien des choses pour moi ( que ) je ne peux vous dire .»
Madame de Polignac et la Reine continuent de s’envoyer jusqu’en 1792 des lettres, écrites à la hâte, avec les moyens du bord ; lettres qui traversaient les montagnes, les plaines et les chemins boueux, afin de donner un signe de vie, de partager ses peines, comme le prouve cet extrait d’une lettre de la Reine à la duchesse de Polignac :
Le 7 janvier 1790 :
« Je ne peux résister au désir de vous embrasser, mon cher cœur, mais ce sera en courant, car l’occasion qui se présente est subite, mais elle est sûre, et elle jettera ce mot dans un gros paquet qui est pour vous. Nous sommes surveillés comme des criminels, et en vérité, cette contrainte est horrible à supporter. Avoir sans cesse à craindre pour les siens, ne pas s’approcher d’une fenêtre sans être abreuvée d’insultes, ne pouvoir conduire à l’air de pauvres enfants sans exposer ces chers innocents aux vociférations, quelle position, mon cher cœur ! (…) »
Marie-Antoinette
Mardi 9 février 1790
Louis XVI écrit à la duchesse de Polignac, sous le nom de Madame Erlinger. Il lui donne des nouvelles de Marie Antoinette qui a une entorse et sur ses enfants.
Ceci m’a été raconté en 1790 par la Reine Elle-même, qui ajouta :
« Je n’en veux pas pour cela à Mme de Polignac ; dans le fond, elle est bonne et elle m’aime ; mais ses alentours l’avaient subjuguée. »
La Reine, n’ayant rien obtenu de ce côté, s’éloigna insensiblement du salon de Mme de Polignac et prit l’habitude d’aller souvent et familièrement chez Mme la Comtesse d’Ossun, sa dame d’atours, dont le logement était très près de l’appartement de la Reine : elle y venait dîner avec quatre ou cinq personnes ; elle y arrangeait de petits concerts, dans lesquels elle chantait ; enfin elle montrait là plus d’aisance et de gaîté qu’elle n’en avait jamais laissé apercevoir chez Mme de Polignac. »
Le comte de La Marck
Madame de Polignac et sa famille errent de pays en pays, en Suisse, En Italie, à Rome, à Venise, puis aboutissent à Vienne en 1791.
Violaine Küss était la duchesse de Polignac dans Je m’appelais Marie-Antoinette (1993) de Robert Hossein
Le 14 juillet 1790
Fête de la Fédération.
Devenus indésirables à Rome, les Polignac partent pour Venise. Bien que le climat ne convienne pas à la duchesse, elle aime cette ville où elle vit une période relativement heureuse.
Isabelle de Charrière, dans une lettre d’avril 1790, alors que la duchesse a émigré, décrit Yolande comme promenant « froidement son ennui et son insouciance de Rome à Venise » et paraissant « étrangère à tout ce qui s’est fait sous son nom et par elle-même à son insu : on assure qu’elle a regretté souvent la tranquillité dont elle jouissait avant que sa belle-sœur la comtesse Diane l’eut présentée » à la Cour.
Isabelle de Charrière, dans une lettre d’avril 1790, alors que la duchesse a émigré, décrit Yolande comme promenant « froidement son ennui et son insouciance de Rome à Venise » et paraissant « étrangère à tout ce qui s’est fait sous son nom et par elle-même à son insu : on assure qu’elle a regretté souvent la tranquillité dont elle jouissait avant que sa belle-sœur la comtesse Diane l’eut présentée » à la Cour.
Le 23 mai 1790
Diane rejoint Venise accompagnée de son père. Elle loge chez les Bombelles. Le marquis, ambassadeur à Venise depuis octobre 1789, s’agite alors et s’occupe des arrangements de la comtesse Diane «que son extrême gêne rend très difficiles».
Le 24 mai 1790
A dix heures et demie le matin, Bombelles embarque dans sa péotte armée de six bons rameurs, le duc et la duchesse de Polignac, le duc et la duchesse de Guiche, le comte de Vaudreuil, le vicomte et la vicomtesse de Vaudreuil, et Idalie de Nyvenheim, la fiancée d’Armand de Polignac. Ils arrivent à cinq heures à l’Hôtel de France où monsieur et madame de Champcenetz, le vicomte de Polignac, Diane, Angélique de Bombelles et tous les enfants les attendent. Guichette préfère aller chez Diane mais le reste de la société dîne chez Bombelles, avant d’aller s’établir au Lion Blanc, la meilleure auberge de Venise, sur le Grand Canal. Puis Bombelles emmène Yolande sur la place de Saint-Marc, où tout le monde s’empresse pour voir cette dame si célèbre.
Le 26 mai 1790
Le marquis de Bombelles conduit les ducs de Polignac et de Guiche ainsi que Vaudreuil visiter la superbe maison de Carpenedo. Ses grands jardins à la française donnent sur une terrasse qui domine la grande route d’Allemagne à Venise passant par Trévise ; c’est celle du Frioul et de toutes les provinces adjacentes. Un pavillon octogonal, orné dans le même goût que le château, orne le grand chemin.
Début juin 1790
Le duc de Polignac signe le bail qui le fera jouir de la maison de Carpenedo meublée, de ses jardins, pour un an, pour la somme de douze cents ducats courants. Le soir-même Jules vient prendre possession des lieux avec Bombelles.
Yolande va enfin souffler et pouvoir se sentir un peu chez elle.
Le 6 septembre 1790
A Carpanedo, la duchesse marie son fils Armand à Idalie de Nyvenheim (née en 1775), qui s’acclimate très bien au clan Polignac.
« L’évêque de Trévise étant arrivé, ainsi que les ambassadeurs d’Espagne, de Vienne, et le ministre de Sardaigne, j’ai donné le bas à Mlle de Nyvenheim pour la conduire à la chapelle . Mes gens, en grande livrée, me précédaient et suivaient Mme de Bombelles à laquelle le comte Armand de Polignac donnait la main. Venaient ensuite la duchesse de Polignac, la comtesse Diane, la duchesse de Guiche, Madame de Polastron.
La chapelle décemment ornée renfermait beaucoup de monde. Une bonne musique s’est fait entendre . L’évêque a confirmé Mlle de Nyvenheim , les deux enfants du duc de Polignac, son petit frère ( fils du dernier mariage du vicomte de Polignac ) et Edmond de Villeront dont le duc de Polignac prend soin . Ce sacrement étant conféré, les deux futurs époux ont reçu celui du mariage, et la messe, dite par l’évêque, a été solennisée par son clergé, la musique, et l’assistance des personnes ci-dessus nommées »
Marc de Bombelles
Le 12 mai 1791
Louis XVI écrit à la duchesse de Polignac qui est à Venise. Ces mots peignent la situation politique :
« Les amis sont fous et imbéciles, et font toutes sortes de sottises, et les ennemis deviennent tous les jours de plus en plus méchants. »
Le 20 juin 1791
Évasion de la famille royale.
Le 21 juin 1791
La famille royale est reconnue et arrêtée à Varennes.
Le 25 juin 1791
La famille royale rentre à Paris sous escorte.
Le Roi est suspendu.
A Padoue, Yolande effondrée apprend le désastre de la bouche même de l’Empereur, lui-même instruit par un courrier du prince de Condé.
Padoue, 3 juillet 1791
« Ah ! Monseigneur, quelles trente-six heures nous venons de passer ! Et par combien d’alarmes, de douleurs et d’agitations nous avons acheté le bonheur ! Mais enfin, depuis la lettre que j’ai eu l’honneur de vous écrire par Denis, un courrier, venu de Verdun à l’avoyer Steiger, puis à Turin, puis à Padoue, nous apprend que le Roi, la Reine et leur auguste famille a été sauvée par les manœuvres et la valeur de Bouillé. Notre désespoir s’est changé en transports de joie et je dois dire que l’Empereur, qui avait été consterné par l’arrestation du Roi, a éprouvé par sa délivrance un bonheur aussi vif que le mien même. J’avoue que je jouis d’avoir dit à l’Empereur et à tous les Vénitiens, que l’arrestation du Roi avait accablés : « Je réponds que, si M. de Bouillé n’a pas été tué, il sauvera le Roi ; et comme les nouvelles ne disent pas que M. de Bouillé a été tué, j’ose répondre que le Roi est sauvé. » Mes paroles se sont répandues dans tous les états Venitiens et y ont porté la consolation et l’espoir, jusqu’à la nouvelle et l’heureux dénouement qui me fait passer pour prophète. Ah ! il ne faut pas l’être pour prédire que Bouillé se sera fait tuer plutôt que de laisser prendre son Roi ; il ne faut que le connaître. J’espère bien qu’il est déjà maréchal de France.
L’Empereur a été parfait dans cette circonstance, et tout le monde a été frappé de la vérité des divers sentiments qu’il a éprouvés. Il est venu lui-même frapper, à quatre heures du matin, à la porte du duc de Polignac qui était couché et qui, en chemise, a appris de la bouche même de l »Empereur la délivrance du Roi, de la Reine et de sa famille.
Mais ce qui est inconcevable, c’est que l’Empereur n’ait reçu aucun courrier ni de vous, ni du Roi, ni de M. de Mercy, ni de Mme l’archiduchesse.
Je suis resté à attendre jusqu’à ce matin ; mais enfin je ne tiens plus à mon impatience, et je pars. L’Empereur m’a donné une lettre de compliments pour la Reine ; mais, afin qu’elle arrive plus vite, j’ai prévenu S.M.I. que je la donnerai à Armand, dont les forces, malgré mon ardeur, sont supérieures aux miennes. J’ai été si remué par toutes ces vicissitudes que j’ai été trois nuits entières sans fermer l’oeil et je craindrais de rester en chemin, si je forçai trop ma marche. J’irai cependant le plus vite que je pourrai, vous en êtes bien sûr.
Armand va partir à l’instant. Je partirai demain, à la pointe du jour ; mais, comme le courrier de Flachslanden ira plus vite que nous tous, le duc de Polignac lui remet ses dépêches et moi ma lettre.
Le duc de Polignac a fini sa mission auprès de l’Empereur, puisqu’il n’y en peut plus avoir que donnée par le Roi, devenu libre ; mais, Monseigneur, vous ne négligerez rien pour qu’il en ait une nouvelle, j’en suis bien sûr. Jusque-là, mes amis resteront à Vicence. Ils écrivent l’un et l’autre au Roi et à la Reine, et c’est Armand qui portera leurs lettres ; mais dans leurs lettres ils ne parlent que de l’excès de leur joie, de leur bonheur qui n’est troublé que par le regret de n’être pas à portée de les leur exprimer eux-mêmes, et ils expliquent les motifs qui les déterminent à attendre les ordres de Leurs Majestés, qui y verront une nouvelle preuve de leur délicatesse et de leur dévouement.
Ah ! Monseigneur, quels transports auront été les vôtres, en revoyant tous les objets chers à votre excellent cœur, et surtout après tous les dangers qu’ils ont couru ! Le ciel m’aurait dû, pour récompense de mon attachement et de ma fidélité, de me rendre le témoin de cette belle et touchante scène.
Il ne doit plus rester dans un cœur comme le vôtre de traces de tous les torts réels ou apparents qui ont croisé vos projets. La dernière action du Roi ses fers rompus réparent tout, et font tout ce que vous vouliez faire. Puisqu’il avait le projet de fuir ses bourreaux, il a dû arrêter tous vos mouvements, qui pouvaient nuire à son plan, et tout est expliqué. Une union parfaite entre vous et le Roi et le Reine est plus nécessaire que jamais au rétablissement et à l’affermissement du trône. N’écoutez que cela. Toute autre chose serait funeste tôt ou tard. Je suis bien sûr que Calonne et que votre cœur ne vous donneront pas d’autre conseil. Réunissez la considération juste que vous avez acquise à tous les moyens que le Roi a conquis par son évasion, pour régénérer la monarchie et la religion. Vous pouviez, vous deviez donner des ordres, quand le Roi était dans les fers, quand il ne pouvait avoir que des résolutions dictées par la contrainte, quand il pouvait être à chaque instant victime de mille embûches ; mais à présent il a repris son pouvoir, et vous n’avez plus que le droit de l’éclairer, de lui parler avec la loyauté et la franchise qui vous caractérisent ; mais il faut surtout donner l’exemple de l’obéissance. Dans les premiers moments, les yeux de l’univers sont fixés sur vous, et vous allez être jugé. Mille troubles nouveaux, plus dangereux peut-être que les premiers, naîtraient d’une division entre vous, et on ne remet l’ordre qu’en se soumettant à l’ordre ; c’est à vous particulièrement à en donner l’exemple. Donnez au Roi tous les cœurs que votre conduite a conquis. Ah ! mon prince, vous mettrez ainsi, et non autrement, le comble à votre gloire.
Il me paraît clair qu’il n’y a pas eu d’accommodement contraire aux droits indestructibles de la monarchie et du monarque ; ainsi vous n’avez plus à protester, mais à jouir, aider et obéir. Mais pourquoi dire à mon prince ce qu’il voit, ce qu’il sent comme moi ? C’est pour qu’il connaisse que celui qu’il honore de son amitié en est digne.
Toutes les prétendues intrigues de la Reine ne sont plus à présent que des démarches nécessaires et bien combinées, puisqu’elle avait un plan, et que le plan a réussi. Tout autre raisonnement porterait à faux. Je n’aime pas M. le baron de Breteuil ; mais si, dans cette occasion, il a guidé ce plan, la France entière lui doit son salut. Je lui fais hommage de ma reconnaissance ; mais je ne le verrai jamais, parce qu’il a été l’ennemi de mes amis, et mon cœur ne peut écouter rien que cela.
En finissant sa mission, le duc de Polignac à décider l’Empereur à envoyer cent mille francs à Sérent pour les besoins urgents, à fournir les armes aux catholiques du Languedoc, à indiquer à l’Espagne qu’il est peut-être urgent – le Roi de France ne pouvant pas dans les premiers moments disposer de ses escadres – d’envoyer des avisos dans nos colonies pour avertir de la délivrance du Roi et prévenir, s’il est possible, les mauvaises manœuvres des scélérats. L’ambassadeur d’Espagne a envoyé un courrier en conséquence, tant il a été frappé de cette importance. Le duc de Polignac vous rend compte de tout cela et de quelques autres objets ; puis il prendra congé de l’Empereur, sa mission étant finie jusqu’à de nouveaux pouvoirs. Le duc pense qu’il serait peut-être plus avantageux pour lui, si on place M. de Vérac ailleurs, de prendre sa place en Suisse. De toute manière, c’est ce qu’il y aurait de mieux, de plus décent pour sa position, et il laisse en vos mains le soin du bonheur de vos amis.
Mme de Polignac m’a montré la lettre qu’elle écrit à la Reine, et en vérité je ne crois pas qu’on puisse mieux penser et mieux dire, vu sa position.
Je forme les vœux les plus ardents (et j’en ai l’espoir) pour que les préventions qu’on avait contre Calonne aient été effacées par les preuves multipliées de son zèle infatigable, de son courage, de sa fidélité et de ses talents ; mais, si les préventions subsistent encore, faites votre possible pour les détruire ; et, après cela, si vous n’y réussissiez pas, restez-en là, et qu’il retourne au lieu qu’il avait quitté pour servir son pays et son maître, mais que du moins il y retourne avec la décoration qu’il n’a jamais mérité de perdre. Cet objet ne peut pas, ce me semble, être douteux. Mais, Monseigneur, on ne force pas la confiance ; vous l’entreprendriez en vain, et dans une telle circonstance, il faut, pour produire un bien si difficile à faire, une confiance absolue. Ce n’est qu’ainsi qu’il pourrait travailler utilement. Toute autre chose est indigne de lui et de vous qui l’aimez.
Je vous ai dit tout ce que mon cœur, ma raison, ma conscience m’ont dicté. Il ne me reste plus qu’à vous rejoindre, à vous presser dans mes bras, et à combattre sous vos yeux. J’y cours.
P.S. Le duc de Polignac vous mande, Monseigneur, qu’il vous renvoie votre lettre à l’Empereur qu’il a jugé inutile de lui remettre, les circonstances étant absolument changées. Comme vous en avez copie, il est inutile de vous la renvoyer, et je la brûle.»
Le comte de Vaudreuil au comte d’Artois
En juillet 1791
Les Polignac se réfugient à Vienne. Yolande n’en est pas ravie, d’autant que le climat est froid et humide. Artois et Vaudreuil organisent maladroitement une contre-révolution et sont en lien avec l’Empereur, frère de la Reine. Quand eux et les Jules comprennent qu’il ne fera rien pour aider sa sœur, puis que son fils l’imitera, ils sont effondrés.
Le 15 août 1791
Axel de Fersen dîne chez madame de Polignac.
« Elle me parla plus des affaires que de la reine. Elle me dit mille choses ; qu’à l’affaire de Lyon, le roi avait tout approuvé et en avait tout approuvé et avait promis à M. de Rully, chanoine de Lyon, envoyé par la ville au comte d’Artois et envoyé par lui au roi, de partir le 9 ; que le chanoine avait parlé au roi ; que par bonheur le comte d’Artois avait retardé et que dans l’intervalle était arrivée une lettre du roi de Sardaigne, pour empêcher le comte d’Artois d’agir […] Elle désapprouvait la méfiance. »
Le 20 août 1791
Fersen revoit madame de Polignac.
« Elle parle toujours d’affaires et pas de son amie.»
Le 14 septembre 1791
Le Roi prête serment à la Constitution.
En 1792
Le duc de Polignac est le représentant officieux de Louis XVI à Vienne.
Le 20 juin 1792
La foule envahit les Tuileries pour faire lever le veto.
Le Roi refuse.
Le 10 août 1792
Les Tuileries sont envahies par la foule. On craint pour la vie de la Reine. Le Roi décide de gagner l’Assemblée nationale.
Le 10 août 1792, le dernier acte de Louis XVI, Roi des Français, est l’ordre donné aux Suisses «de déposer à l’instant leurs armes»
La position de la Garde devient de plus en plus difficile à tenir, leurs munitions diminuant tandis que les pertes augmentent.
La note du Roi est alors exécutée et l’on ordonne aux défenseurs de se désengager. Le Roi sacrifie les Suisses en leur ordonnant de rendre les armes en plein combat.
Des 950 Gardes suisses présents aux Tuileries, environ 300 sont tués au combat ou massacrés en tentant de se rendre aux attaquants après avoir reçu l’ordre du Roi de rendre les armes en plein combat.
Le 13 août 1792
La famille royale est transférée au Temple après avoir été logée temporairement aux Feuillants dans des conditions difficiles. Quatre pièces du couvent leur avaient été assignées pendant trois jours.
Le 3 septembre 1792
Assassinat de la princesse de Lamballe (1749-1792) dont la tête, fichée sur une pique, est promenée sous les fenêtres de Marie-Antoinette au Temple… Yolande ne peut que s’imaginer à la place de la pauvre princesse si elle était restée en France….
Massacres dans les prisons
Le 20 septembre 1792
Victoire de Valmy, considérée comme l’acte de naissance de la République.
Le 21 septembre 1792
Abolition de la royauté.
Le 2 octobre 1792
Dans une lettre, le duc Armand Jules de Polignac écrit qu’il a des difficultés à trouver de l’argent pour faire subsister sa nombreuse famille.
Le 3 décembre 1792
Pétion (1756-1794) renforce la décision de faire juger Louis XVI par la Convention.
Le 11 décembre 1792
Louis XVI comparaît devant la Convention pour la première fois. Il est autorisé à choisir un avocat. Il demandera l’aide de Tronchet, de De Sèze et de Target. Celui-ci refuse. Monsieur de Malesherbes (1721-1794) se porte volontaire.
Le 26 décembre 1792
Seconde comparution de Louis XVI devant la Convention.
Le lundi 21 janvier 1793
Exécution de Louis XVI
La famille de Polignac entre en deuil royal.
Allure que Yolande doit alors avoir dans sa tenue de deuil.
Le 31 mars 1793
Fersen est à Stockholm, il y reçoit une lettre de la duchesse de Polignac qui lui donne des nouvelles de la santé de la Reine :
« De Vienne le 19 mars 1793
Mr de Nolcken s’est acquitté de votre commission près de moi, Monsieur ; je suis bien reconnaissante de votre aimable souvenir. Si j’avais su plus tôt le lieu que vous habitez je me serais empressée de vous donner des nouvelles de notre malheureuse amie [Marie-Antoinette]. J’en ai eu par un médecin que je n’ose nommer. Sa santé, celle de ses enfants est bonne malgré la douleur profonde dont elle est accablée. J’ai profité de cette même occasion pour lui faire dire que tous ses amis se portaient bien, mais je n’ai pas écris moi-même et je n’ai nommé personne. Cette tendre amie a trouvé aussi le moyen de me faire dire les choses du monde les plus touchantes et les plus sensibles. Je vous laisse à juger de l’impression que cela m’a fait.
Depuis six semaines je suis malade ; il est impossible de résister à tous les genres de peines que nous éprouvons. Je pleure et // pleurerai toute ma vie notre vertueux monarque [Louis XVI], et vous devez juger quels sont mes inquiétudes sur le sort de sa famille ; je vous avoue cependant que depuis ces derniers succès j’espère un peu, mais je n’ose me livrer à cet espoir, et l’inquiétude est le sentiment qui me domine pour le moment. Je suis bien sûre que vous pensez comme moi, et cette certitude m’attache à vous plus que jamais.
Adieu, Monsieur, puisse-je vous revoir dans des temps plus heureux.»
Le 3 juillet 1793 à dix heures du soir
Louis-Charles, Louis XVII, est enlevé à sa mère et confié au cordonnier Antoine Simon (1736-1794).
Pendant une heure, la Reine lutte pour convaincre les cinq municipaux de Lui laisser Son fils… en vain…
Ce n’est que lorsque les envoyés du Comité de salut public La menacent de s’en prendre à la vie de Ses enfants que Marie-Antoinette les laissent emmener Son Chou d’amour qui logera dans l’ancien «appartement» de Louis XVI, un étage en dessous…
Le savetier Simon, ivrogne qui sait à peine lire, sera son nouvel instituteur. Triste successeur de Yolande et Louise-Elisabeth (de Tourzel) que ce triste sire !
Dans la nuit du 2 au 3 août 1793
Marie-Antoinette est transférée de nuit à la Conciergerie. Elle y est traitée avec une certaine bienveillance par une partie du personnel de la prison, dont surtout Rosalie Lamorlière (1768-1848).
Le 3 octobre 1793
La Reine est déférée au Tribunal révolutionnaire.
Le 14 octobre 1793
Marie-Antoinette comparaît devant le président Herman (1759-1795)
Une série de témoins défile sans apporter de preuves convaincantes de Sa culpabilité, et pour cause.
Hébert lance l’accusation d’inceste qui vaut à la Reine une réplique mémorable :
« J’en appelle à toutes les mères.»
Le 16 octobre 1793
Exécution de Marie-Antoinette.
En octobre 1793
La duchesse déchue dépérit, n’a plus le goût à rien, ne cesse de pleurer. Elle reçoit le coup fatal lorsque la nouvelle de l’exécution de son amie lui parvient … On lui dit pourtant que la Reine est morte de privations dans Sa prison.
Dans la nuit du 4 au 5 décembre 1793
Son agonie commence. Atteinte par un cancer, dévorée de douleur et de chagrin, Yolande Martine Gabrielle de Polignac s’éteint sans douleur ni bruit, veillée par Vaudreuil et Diane, deux mois après la mort de celle qui a été son amie.
Un témoin raconte sa mort : « Son dernier soupir n’était que son dernier souffle, et pour le dire en un mot, sa mort fut aussi douce qu’elle-même l’avait été.»
Le 9 décembre 1793
On enterre la duchesse de Polignac.
On grave sur sa pierre tombale «Morte de douleur».
Sa tombe, aujourd’hui introuvable, a sans été doute détruite.
Le 27 juin 1794 ( 9 messidor an II )
Son père, Jean François Gabriel de Polastron, né en 1722, est guillotiné. Il est inhumé au cimetière de Picpus à Paris, comte de Polastron, il était aussi gouverneur de Castillon, colonel du régiment de la Couronne.
Ceux qui écrivent sur la Reine sont souvent sévères envers madame de Polignac que l’on considère comme une profiteuse, une opportuniste, … les termes ne manquent pas.
Mais la fin tragique de la Duchesse montre que son amitié était sincère. Et la Reine avait pour elle une affection sincère.