L’Empereur Joseph II de Habsbourg-Lorraine

Joseph II

Le 13 mars 1741

« Naissance de Joseph Benoît, Auguste, Jean, Antoine, Michel, Adam, de Habsbourg-Lorraine, premier fils de l’Archiduchesse Marie-Thérèse et du grand-duc de Toscane François-Etienne, ancien duc de Lorraine.»

Image de Joseph II, despote éclairé (2021), documentaire de Max Jacobi
Image de Joseph II, despote éclairé (2021), documentaire de Max Jacobi
La Hofburg de Vienne
François-Etienne de Lorraine
Marie-Thérèse d'Autriche par Martin van Meytens

Le pape Benoît XIV (1675-1758)  accepte de devenir le parrain de l’enfant.

Le pape Benoît XIV

Le 4 avril 1741

Réapparition publique de Marie-Thérèse après ses couches. Ce garçon tant espéré, après la naissance de trois filles, dont deux décédées, et d’aucun garçon à la génération précédente, naît au milieu des pires troubles.

Autour de l’Archiduchesse héritière, les hauts fonctionnaires, les grands seigneurs, le personnel politique viennois restent également dubitatifs, ne sachant s’il ne vaut pas mieux rallier tout de suite ses adversaires. Seul le vainqueur pourra leur assurer de conserver leurs grandes propriétés terriennes…

Marie-Thérèse décide de se battre jusqu’au bout, au nom de son fils nouveau-né. Sa naissance assoit le position de la jeune reine en détresse. Personne ne peut remettre en cause les droits de l’enfant. Le petit archiduc légitime sa mère.

Marie-Thérèse multiplie alors les représentations de son fils.

L'Archiduc Joseph d'Habsbourg-Lorraine, prince royal d'Hongrie, Bohême, Slovénie et Croatie, par Martin van Meytens. L'enfant tient le collier de l'Ordre de la Toison d'Or, symbole de la dynastie des Habsbourg

Le 10 avril 1741

Défaite à Mollwitz qui consomme la perte de la Silésie.

Pour se faire couronner «Roi de Hongrie» selon la tradition et non «Reine» (ce qui excluait d’office François-Etienne des cérémonies du couronnement, au plus grand chagrin de Marie-Thérèse), Marie-Thérèse fait au préalable un grand travail de préparation et de communication. Non seulement elle peut craindre l’accueil de ce peuple souvent rebelle aux exigences de Vienne, mais jusque là elle s’est peu intéressée à eux. Dans la situation désespérée où elle est alors, il lui faut convaincre la diète et les guerriers magyards de se joindre à elle. L’affaire n’est pas gagnée d’avance.

Pour montrer qu’elle est digne de monter sur ce trône et susciter la confiance, elle est attentive à chaque détail.
Les semaines qui précèdent, elle apprend à monter à cheval à califourchon pour se préparer à la cérémonie qui suit le couronnement à la cathédrale, et qu’elle ne peut rater sous aucun prétexte.

 

Pour se faire voir et applaudir du peuple, elle choisit de voyager sur le Danube. Les bateaux et les banderoles sont aux couleurs de la Hongrie. Elle même a revêtu le costume hongrois. La foule, touchée au cœur, l’acclame tout au long du voyage.

Le 20 juin 1741

Arrivée à Presbourg, elle reçoit trois jours plus tard les députés de la diète.

Joseph est l’héritier masculin qui permettra à sa mère d’affirmer sa légitimité et son autorité. Son père François Ier lui garantit l’accès à une éducation libre et ouverte.

Le 25 juin 1741, jour du couronnement

Vêtue d’une somptueuse robe blanche, brodée d’or et de bleu, Marie-Thérèse parcourt les rues qui la mènent à la cathédrale dans un carrosse découvert, ce qui lui vaut un triomphe de la population.

Couronnement de Marie-Thérèse, 1741, Pressburg by Johann Hertz

Cela n’empêche pas les festivités à Vienne, telle une conjuration contre le mauvais sort. Le peuple est en liesse après tant d’années sans héritier mâle et exhorte le jeune couple archiducal à donner au plus vite d’autres petits princes.

Marie-Thérèse s’y attelle avec ardeur. Elle sait que seules ses maternités pourront lui assurer son trône.  Et les enfants meurent trop rapidement à cette époque, même dans les palais…

Le 11 septembre 1741

Marie-Thérèse convoque la diète de Hongrie à Presbourg (aujourd’hui Bratislava) où coiffée de la couronne du Roi de Hongrie, elle tient un discours exalté, mêlant courage et désespoir, pour l’avenir de ses enfants :

« Confiante dans votre loyauté, je dépose entre vos mains mon sort et celui de mes enfants ».

Les Hongrois sont désormais tout à elle au cri de :

«Notre vie et notre sang!»

Le 20 septembre 1741

Le grand-duc de Toscane, François-Etienne arrive à Bratislava avec son fils de six mois afin de le présenter aux seigneurs hongrois prêts à oublier leurs désirs d’indépendance contre les Habsbourg pour sauver leur jeune reine en détresse et son fils nouveau-né.

Ni Marie-Thérèse, ni Joseph une fois Empereur n’oublieront ce soutien à leur égard. Lorsque tous deux lutteront contre le féodalisme de leurs états, ils ne toucheront pas aux droits des seigneurs hongrois…

Le 19 décembre 1741

L’Électeur de Bavière se fait couronner Roi de Bohême à Prague. Une véritable insulte pour Marie-Thérèse car ce prétendant, soutenu par la France, est son plus sérieux concurrent. En effet, il refuse la Pragmatique Sanction, en tant qu’époux de la fille de Joseph Ier, frère aîné de l’empereur Charles VI. Il estime ses droits supérieurs à ceux de Marie-Thérèse.

Marie-Thérèse par Martin van Meytens
Joseph II enfant, attribué à Martin van Meytens

Le 21 janvier 1742

Marie-Thérèse envoie une lettre au vieux maréchal autrichien Khevenhüller afin de le tirer de sa retraite pour qu’il puisse prendre les armes contre les ennemis de l’Etat. Elle y joint son portrait et celui du petit archiduc :

«Tu as devant les yeux l’image d’une reine et de son fils abandonnés du monde entier. Que penses-tu de l’avenir de cet enfant ?[…]»

Marie-Thérèse utilise politiquement l’image de son fils pour galvaniser ses troupes.

Le futur Joseph II prend conscience très tôt de sa dignité d’héritier des Habsbourg. 

Choyé par ses parents et toute la cour, rien ne lui est refusé. L’Archiduc prendra rapidement un caractère d’enfant trop gâté.

Marie-Thérèse et son fils entourée de ses différentes couronnes, aquarelle anonyme

Le 13 mai 1742

Naissance de sa soeur Marie-Christine (1742-1798).

Le 17 mai 1742

Défaite à Chotusitz en Bohême.

Le 25 juillet 1742

Le comte Silva-Tarouca (1691-1771), Portugais au service des Habsbourg et qui deviendra ami intime de Marie-Thérèse avec qui elle partagera une longue correspondance écrit :

« C’est une mère qui a des entrailles pour tous ses enfants.»

Lettre de Tarouca à la duchesse d’Arenberg

Marie-Thérèse et François Ier, avec leur fils aîné, le futur Joseph II, vêtu d'un uniforme de hussard

La jeune Impératrice n’a alors que cinq enfants dont trois vivants. Malgré son nouveau statut de souveraine et la guerre qui s’ensuivit, elle peut encore être pleinement mère avec eux.

Le 2 janvier 1743

Marie-Thérèse organise un grand carrousel au Manège espagnol du palais de la Hofburg afin de célébrer ses victoires (et malgré les défaites qu’on tente d’oublier). On distingue un enfant au coin de la loge au fond, certainement l’héritier du trône, auprès de son père et de sa grand-mère, assistant à la célébration de sa mère :

Le carrousel des dames dans l'école d'équitation d'hiver, Martin Van Meytens et son atelier

Malgré la guerre, la crise diplomatique, les deuils, son travail acharné, Marie-Thérèse sait que pour plaire à ses sujets et à ne pas se montrer abattue devant les puissances européennes, elle doit assumer une vie de cour éclatante avec soirées d’appartement, bals, illuminations, représentations théâtrales, ballets…

Tout en se réservant une vie familiale presque bourgeoise.

Le

Naissance de sa soeur Marie-Elisabeth (1743-1808).

Marie-Thérèse et François-Etienne veulent développer le plus possible chez chacun de leurs enfants des talents artistiques. Chaque garçon devra savoir jouer d’un instrument.

Marie-Thérèse d'Autriche par Daniel Schmiddely

 

En tant qu’héritier du trône et comme tout garçon de la noblesse, le jeune Joseph reçoit une éducation militaire.

Octobre 1743

Le comte Silva-Tarouca s’inquiète d’une profonde mélancolie de Marie-Thérèse qui selon lui se répète tous les six mois et en particulier à l’automne.

Joseph est un enfant déterminé, téméraire, passionné par les sciences. Il est fougueux, impétueux, autoritaire et se doit de ronger son frein, avant de pouvoir un jour à son tour monter sur le trône.

Le 16 septembre 1744

Sa soeur aînée Marianne donne de l’inquiétude pour sa santé. Des témoins de la cour notent que tout le monde s’en inquiète, la Reine la première.  Marianne est la seule enfant qui lui reste de cette période bénie où elle n’était que grande-duchesse de Toscane.

Le 1er février 1745

Naissance de son frère Charles-Joseph (1745-1761).

Le 28 février 1745

Marianne, Joseph et Christine jouent une petite pièce écrite par la princesse Trautson devant un public restreint.

Le 5 août 1745

Nouvelle dépression relatée entre Marie-Thérèse et son ami Tarouca :

«Je suis assez basse de santé et d’humeur ;  c’est vrai que je vous ai évité, n’ayant pas la force de vous parler.»

BADINTER, Elisabeth, Les conflits d’une mère, Marie-Thérèse d’Autriche et ses enfants, Paris, Flammarion, 2020,  p. 39

Le 13 septembre 1745

François-Etienne est élu Empereur du Saint-Empire Romain Germanique sous le nom de François Ier.

Le 4 octobre 1745

Couronnement à Francfort de François-Etienne. 
Marie-Thérèse ne vient qu’en tant que simple spectatrice, refusant la couronne.
Pour l’occasion elle entame une correspondance qui ne cessera plus avec la princesse Trautson restée à Vienne qui est en charge des enfants.

L’intimité en est presque surprenante : 

«Je vous embrasse de tout mon coeur. Pensez de vous conserver.»

Bibliothèque nationale autrichienne, BADINTER, Elisabeth, Les conflits d’une mère, Marie-Thérèse d’Autriche et ses enfants, Paris, Flammarion, 2020,  p. 56

L'Empereur François Ier par Martin van Meytens

Le 5 mai 1747

Naissance de son frère Pierre Léopold (1747-1792).

A l’occasion de la fête de leur père, les petits Archiducs et Archiduchesses montent sur scène à Schönbrunn sur un petit théâtre inauguré pour l’occasion. De telles représentations dont raffolent les parents deviendront très courantes.

Marie-Thérèse a conscience des défauts de son fils trop gâté selon elle par ses serviteurs. Sauf qu’elle et son mari aussi laissent tout passer à leur héritier. Elle n’aura de cesse toute sa vie de l’aimer à la folie, tout en considérant très sévèrement ses défauts. Avec lui, plus que tous, elle sera partagée entre son rôle de mère et celui d’impératrice, mère d’un futur empereur.

Le 18 avril 1748

Signature du traité d’Aix-la-Chapelle qui met fin à la Guerre de Succession d’Autriche.

Marie-Thérèse et François-Etienne sont reconnus dans leurs droits mais perdent définitivement la Silésie.

Le 12 juin 1748

Voyage en Moravie accompagné cette fois de Joseph :

« Le fils se conduit comme vous pouvez vous l’imaginer, pas mal, mais rien moins que de me pouvoir flatter.»

Marie-Thérèse à la princesse Trautson

Le 17 septembre 1748

Naissance et mort de sa fille Marie-Caroline.

Eprouvée par ce dixième accouchement, Marie-Thérèse souhaiterait ne plus avoir d’enfants.

Lettre sans date mais sûrement de septembre 1748 de l’Impératrice à son amie Antonia de Saxe :

« Je serais assez contente de finir avec dix enfants, car je sens que cela m’affaiblit et me vieillit beaucoup. Ce dont je ne me soucierais pas si cela ne me rendait moins capable pour le travail de la tête.»

Correspondance entre l’impératrice Marie-Thérèse et l’électrice Maria-Antonia de Saxe

On peut comprendre que dix enfants à élever, en n’omettant ni instructions ni rapports hebdomadaires pour chacun, en ayant à charge un vaste état à réformer et étant sujette à des crises régulières de dépression peuvent suffire à largement l’occuper sans en rajouter d’autres enfants.

Joseph, au centre, facilement reconnaissable parmi ses nombreux frères et sœurs par Martin van Meytens

Voici ce qu’ écrit Marie-Thérèse à Batthyany, nouveau précepteur de Joseph, âgé de sept ans:

« Il faut admettre que ceux qui le servent ont trop facilement satisfait ses désirs et ses requêtes (…) Ils l’ont par trop flatté et l’ont laissé se faire prématurément une idée de sa haute position. Il s’attend à être obéi et honoré, trouve la critique déplaisante et presque intolérable, s’abandonne à ses caprices, se comporte de manière discourtoise, et même avec rudesse avec les autres

François-Etienne est très rapidement méprisé par son fils, qui le trouve peu brillant militairement et parce qu’il accepte de laisser sa femme gouverner, se préoccupant plus de tâches d’intérieur (finances, sciences, décoration de leurs différentes résidences, réunions familiales…). François-Etienne se contente d’être un simple grand-duc de Toscane, après avoir laissé les puissances européennes le dépouiller de son duché de Lorraine. Sans le long combat mené par Marie-Thérèse, il n’aurait jamais été élu empereur. Couronne qui d’ailleurs en ce XVIIIème siècle n’est plus qu’une coquille vide.

L'Empereur entouré des savants Gerard van Swieten, Johann Ritter vob Baillou, Valentin Jamerai-Duval et Johann Marcy,  ses conseillers en sciences naturelles   par Franz Messmer et Jakob Kohl
Marie-Thérèse au masque : l'Impératrice aime aussi les fêtes et les bals.
Johann Christoph von Bartenstein par Martin van Meytens

En 1749

Marie-Thérèse se tourne également vers son directeur de la Chancellerie d’Etat  Johann Christoph von Bartenstein, un de ses conseillers les plus écoutés depuis le début de son règne, afin de l’aider dans l’éducation de l’héritier. Elle lui doit son mari adoré, l’élection de celui-ci en tant qu’Empereur et les tractations de la fin de la guerre de Succession.

Le 13 août 1749

Premier entretien entre l’enfant, sa mère et ses professeurs. Passage qui se répètera tous les mois, avec un public de plus en plus étoffé.

Marie-Thérèse marque son enthousiasme.

Marie-Thérèse et Joseph II

Un père jésuite lui enseigne la morale, le latin, les mathématiques et la stratégie militaire, tandis que le père Martini, son professeur de droit naturel, trouve en lui un étudiant intéressé par les idées nouvelles, les « droits d’homme » et le bien-être du peuple. Plus tard, il s’intéressera particulièrement aux idées des physiocrates. Les « Lumières », incarnées par Voltaire et son royal disciple, Frédéric II lui font d’ailleurs une forte impression. Joseph regarde avec une impatience agacée mais aussi avec une certaine jalousie les victoires de Frédéric II et son habileté à gouverner. Il entrevoit là le but qu’il doit atteindre. Mais l’empire cosmopolite catholique des Habsbourg-Lorraine, à l’équilibre fragile, exige beaucoup plus de nuances et de diplomatie que la Prusse paysanne, protestante et docile.

Le 4 février 1750

Naissance de sa soeur Marie-Jeanne-Gabrielle (1750-1762).

Le 19 mars 1751

Naissance de sa soeur Marie-Josèphe (1751-1767).

Portrait de la famille impériale par Martin Van Meytens, 1752 : Joseph se trouve auprès de sa mère, presqu'au centre, en rouge, de façon à être distingué tout de suite au milieu de tous ses frères et sœurs.

Le 13 août 1752

Naissance de sa fille Marie-Caroline (1752-1814).

Portrait de la famille impériale par Martin Van Meytens, 1752, même pose
L'Archiduc Joseph

Le 1er juin 1754

Naissance de son frère Ferdinand (1754-1804).

Portrait de la famille impériale par Martin Van Meytens, 1754, même pose.

Si Marie-Thérèse adore ses enfants, elle ne leur accorde que peu de temps, peu de place dans sa vie. Les affaires d’état passent avant tout. Et ensuite, son mari. Après viennent les enfants. Et selon ses prédilections marquées.

Une miniature qui représente le régime disciplinaire de Marie-Thérèse :

Artiste inconnu (1750) - Musée National de Varsovie

Le programme éducatif de ses enfants était ainsi programmé selon une déclaration écrite par l’Impératrice :
Huit heures du matin, réveil et prière «élévation à Dieu » et se lever du lit.
Neuf heures, prière du matin, toilettes et petit déjeuner.
Neuf heures et demie : la kammerfrau (la femme de chambre) fait répéter et apprendre par cœur le catéchisme
De neuf heures et demie à dix heures, permission de jouer.
Onze heures : une demi-heure d’écriture et de nouveau récréation
De onze heures à onze heures et demie: confession
-Midi : heure du déjeuner et de la liberté
A deux heures après midi :  de nouveau récréation
A quatre heures après midi : cours de français
A cinq heures du soir : amusement avec les jeux de cartes, livres et enseignement des mots français par des images ou danse.
A six heures du soir : réciter le Noster Pater pour rappeler toujours la présence de Dieu.
A sept heures et demie du soir : dîner
A huit heures et demie du soir : nettoyage du soir et lit.
Quand le temps le permettra, nous modifierons les horaires afin qu’on puisse «sortir en calèche en hiver et se promener dans le jardin en été. »
Les heures d’études étaient complétées par les professeurs de musique, de dessin et de langues. Chaque matin, l’impératrice recevait le rapport médical du Docteur Van Swieten, qui lui rapportait l’état de santé de ses enfants. L’Impératrice voit les enfants tous les huit ou dix jours. La femme de ménage était autorisée à punir et à fouetter les jeunes princesses.

Le 2 novembre 1755

Naissance de sa soeur Marie-Antoinette (1755-1793).

L'Archiduc Joseph vers 1755

Adolescent à l’esprit affûté, Joseph tourne le dos aux arts d’agrément, prend la religion en aversion, connaît les langues étrangères, notamment le français et l’italien. Et poursuit seul, par la lecture et la méditation, son éducation philosophique (Voltaire, les encyclopédistes).

Portrait de la famille impériale par Martin Van Meytens, 1755, même pose.

Le 1er mai 1756

Signature à Versailles du traité d’alliance entre la France et l’Autriche, mettant fin à plus de deux cent cinquante ans de rivalité entre les deux puissances.

Le 25 mai 1756

Ratification à Vienne du traité.

A cette occasion, on évoque le mariage entre l’Archiduc Joseph et la petite-fille aînée du Roi de France Louis XV, Isabelle de Bourbon-Parme.

Isabelle de Bourbon-Parme par Jean-Marc Nattier

Début de la Guerre de Sept ans.

Frédéric II envahit la Saxe, avec l’idée d’attaquer ensuite l’Autriche. L’hiver vient stopper son offensive.

Le 8 décembre 1756

Naissance de son frère Maximilien (1756-1801).

Portrait de la famille impériale par Martin Van Meytens, 1756, même pose.

La fratrie est complète. Marie-Thérèse va devoir mettre un terme à ses rapports conjugaux estimant avoir trop d’enfants et vivant depuis toujours dans la crainte de mourir en couches comme sa soeur. Elle se préoccupe beaucoup moins de ses six derniers enfants qu’elle ne l’aura fait avec ses aînés. Néanmoins, elle exige des rapports précis de chacun des ayas et ayos qui ont généralement en charge deux archiducs ou archiduchesses, la plupart élevés par pair. Elle ordonne d’être mise au courant à la moindre alerte de santé de ses enfants :

« J’ai tenu si fermement sur l’exécution de cet ordre, que j’ai voulu être moi-même informée jour et nuit dès qu’on s’était aperçu du moindre changement ou accident, relativement à l’état de santé de mes enfants, sans crainte d’être effrayée par quelque nouvelle fâcheuse.»

Lettre à la comtesse Lerchenfeld, aya de Jeanne et Josepha, novembre 1756

Le 19 janvier 1757

Joseph, héritier du trône, est atteint de petite vérole. On craint pour sa vie et on craint que l’épidémie se répande au sein de la famille impériale.On parle de petite vérole «copieuse». Joseph s’en sort très amaigri et le visage grêlé.

Le 29 janvier 1757

Si l’héritier est évidemment l’objet de toutes les attentions, sa soeur Marie-Christine atteinte à son tour se démarque réellement pour la première fois du reste de sa fratrie :

« Tout est en grande alarme à la cour, l’archiduchesse Marie a pris ce matin la petite vérole. (…) Il serait bien dommage pour elle et aussi pour son beau visage, car vous ne sauriez croire comme elle s’est changée à son avantage, avec cela une affabilité charmante. Tous les étrangers en sont épris.»

Caroline Khevenhüller à son fils Sigismond

Réunion intime de la famille impériale, par Martin van Meytens (?) L'héritier du trône est reconnaissable car habillé de rouge au premier rang. Il joue du violoncelle.
Image de Joseph II, despote éclairé (2021), documentaire de Max Jacobi : le couple impérial

Mars 1757

C’est au tour de Marianne d’être gravement malade, d’une probable pneumonie aux graves complications. 

Effrayée, Marie-Thérèse avoue à la comtesse de Lerchenfled :  «elle a cru succomber.»

Le 9 avril 1757

Marie-Anne reçoit l’extrême-onction.

Marie-Thérèse écrit à son ami Tarouca :

« Ma pauvre fille est presque sans espérance. Elle souffre on ne peut plus et dit des choses très touchantes (…) pleines de tendresses pour moi (…). Rien ne la trouble que de m’abandonner. (…) Je vous avouerai que c’est cette enfant que j’aimais le plus (…).»

Lettre de Marie-Thérèse au  comte Silva-Tarouca

Marie-Thérèse parle déjà de sa fille au passé…

Marianne survit malgré tout mais ses capacités respiratoires en restent définitivement affaiblies, et ses vertèbres fusionnent ce qui la rend bossue. L’idée d’un mariage est définitivement abandonné. On craint désormais pour sa vie au moindre rhume.

Elle n’a perdu pour l’instant que trois enfants en bas âge. Les perdre à l’adolescence est pour elle une horrible perspective :

« Le bon Dieu m’a épargné depuis longtemps de telles pertes et je sens revivre toutes celles que j’ai faites.»*

A madame de Lerchenfeld

Le 6 mai 1757

Frédéric II envahit Prague.

Le 18 juin 1757

Bataille de Kolin. Les Autrichiens obtiennent la victoire contre les Prussiens. Les Autrichiens sont en passe de reconquérir la Silésie. A ce moment, l’adolescent qu’est l’Archiduc Joseph se prend de passion pour Frédéric II, l’ennemi de sa mère, modèle plus admirable à ses yeux que son père. Il incarne pour l’adolescent le héros militaire qu’il rêve de devenir lui-même. Il décide de ne plus quitter l’habit militaire, le seul à ses yeux digne de ses rêves de gloire.

En 1759

Alternant victoires et défaites, mais en majorité des victoires, Marie-Thérèse peut envisager avec soulagement la fin prochaine de son ennemi Frédéric II. Et donc le mariage de son fils aîné afin de célébrer l’alliance avec la France.

Frédéric II par Anton Graff
Joseph face à son père...
Portrait posthume de François Ier par Pompeo Batoni, en 1771, qui entoure l'Empereur des figures emblématiques de la Justice, de la Clémence, de la Force et de la Vérité, qu'il lui fait désigner d'un geste auguste.

Les investissements de l’Empereur François-Étienne dans les filatures, manufactures de draps et faïences permettront d’asseoir la fortune familiale des Habsbourg jusqu’en 1918.

Image de Marie-Thérèse d'Autriche (2021) téléfilm de Robert Dornhelm

Le 6 septembre 1759

Elisabeth de France, infante de Parme et fille aînée de Louis XV négocie le mariage de sa fille Isabelle avec l’héritier du trône, un mariage bien plus prestigieux que ne fut le sien avec un infant cadet d’Espagne. Le mariage est alors assuré. Marie-Thérèse n’aura de cesse de marier la plupart de ses enfants à des Bourbons.

Le 21 novembre 1759

La Prusse est au bord de l’effondrement après la bataille de Maxen et Frédéric II envisage le suicide. Néanmoins, il existe trop de tensions entre les armées russes et autrichiennes et de son côté la France n’obtient pas de victoire définitive contre l’Angleterre, sur terre comme sur les mers. Frédéric II parle alors de «miracle de la maison de Brandebourg».

Le 9  décembre 1759

Décès d’Elisabeth de France, duchesse de Parme. La période de deuil oblige à repousser encore le mariage.

Isabelle de Bourbon-Parme par Jean-Marc Nattier
La famille ducale de Parme par Giuseppe Baldrighi. Isabelle apparaît en princesse accomplie.

Le 10 mars 1760

Marie-Thérèse écrit au duc de Choiseul qu’elle ne mariera jamais ses quatre filles aînées car il n’existe aucun parti digne d’elles.

Marie-Thérèse n’est pas toujours fiable en terme de prédictions…

Le 7 septembre 1760

Mariage par procuration à Parme. Marie-Thérèse envoie le prince de Liechtenstein épouser la princesse au nom de l’Archiduc Joseph.

sabelle de Bourbon-Parme et l'Archiduc Joseph au moment de leur mariage, d'après Martin van Meytens

Isabelle de Bourbon-Parme (1741-1763), petite-fille de Louis XV, est une jeune fille d’un esprit et d’une intelligence supérieurs, mais d’un tempérament mélancolique presque morbide.

L'Archiduc Joseph
Isabelle de Parme par Giuseppe Baldrighi

Le 28 septembre 1760

François-Etienne finit par lui donner les conseils nécessaires pour le mariage. Le jeune homme déjà profondément inquiet est encore plus terrifié :

« J’ai une certaine peur de me marier, plus que je n’aurai d’aller dans une bataille. […] Ayant toutes les instructions de S. M. l’Empereur, qui me font horreur et qui m’ont extrêmement surpris, je suis extrêmement en peine de mon bonheur futur ; je n’entre certainement dans cet état par aucune curiosité ou avidité de bête ; la pensée seule de devoir me porter à cela me coûte infiniment et me dégoûte. […] Victime de l’Etat, je me sacrifie, espérant que Dieu voudra m’en récompenser, si pas dans ce monde, au moins dans l’autre.»

L’Archiduc Joseph

Isabelle de Parme par Martin van Meytens

Le 1er octobre 1760

Accueil de la princesse par l’Empereur François-Etienne.

Le 2 octobre 1760

L’Impératrice et l’Archiduc rencontrent Isabelle au petit château de Laxembourg, près de Vienne.

Le château de Laxenburg

Le 6 octobre 1760

Célébration du mariage à Vienne en grandes pompes.

Marie-Thérèse souhaite les fêtes les plus extraordinaires, à la hauteur de l’événement. L’Impératrice a fait élever son fils de manière à ce qu’il ignore tout du sexe avant son mariage. Elle n’admet aucune prostituée sur ses territoires, aucun couple adultère à sa Cour. 

 

François-Etienne est beaucoup moins bégueule et entretient une maîtresse, la princesse Auesperg relativement tolérée par l’impératrice qui s’est trop fatiguée à lui donner seize enfants. Mais les relations sont difficiles entre le père et le fils.

 

On ne connaît pas la réaction de Joseph devant son père entretenant une maîtresse. Ses sœurs Marie-Anne, Marie-Elisabeth et Marie-Amélie l’ont acceptée, se rendant même chez elle avec leur mère au petit château de Laxembourg pour y dîner.

La princesse von Auersperg, maîtresse de l'Empereur François Ier, artiste inconnu

Marie-Thérèse  décide de faire immortaliser les fêtes du mariage par son peintre préféré Martin van Meytens aidé de son atelier.

L’artiste n’achèvera l’ensemble qu’en 1765.

L'entrée d'Isabelle de Bourbon-Parme dans Vienne, par Martin van Meytens et son atelier
L'entrée d'Isabelle de Bourbon-Parme dans Vienne, par Martin van Meytens et son atelier
Détail de la Hofburg de L'entrée d'Isabelle de Bourbon-Parme dans Vienne
Banquet dans la grande antichambre du palais de la Hofburg de Vienne, par Martin van Meytens et son atelier
Souper dans la salle de la Redoute à la Hofburg, Martin van Meytens et son atelier
Sérénade dans la salle de la Redoute, Martin van Meytens et son atelier. Le couple impérial est au centre, entouré par les nouveaux mariés, Joseph près de son père, Isabelle près de sa belle-mère. Les quatre autres archiducs se répartissent ensuite, deux par deux, puis les archiduchesses se divisent en deux groupes de quatre de part et d'autre, en ordre décroissant.

Pour cette dernière composition, Marie-Thérèse demande à l’artiste de rajouter ses derniers enfants qui n’avaient pu assister aux cérémonies car alors trop jeunes : les Archiducs Ferdinand, Maximilien et leurs sœurs Marie-Caroline et Marie-Antoinette. L’artiste place aussi le jeune prodige Wolfgang Gottlieb Mozart que l’on peut repérer dans la foule. Il n’était au moment des faits qu’un simple bambin de quatre ans parfaitement inconnu mais qui était depuis devenu une célébrité internationale.

Contre toute attente Joseph devient follement amoureux de sa femme. Il n’aimera qu’elle. Malheureusement pour lui ces sentiments ne sont pas du tout réciproques même si en apparence Isabelle joue à la plus parfaite des épouses. Elle a très vite cerné sa psychologie, comprit les angoisses et complexes du jeune homme. Bien plus supérieure à lui intellectuellement, elle lui fait croire à chaque instant que c’est lui le maître, comblant ainsi sa misogynie exacerbée.

Elle voue par contre très rapidement une passion dévorante pour sa belle-sœur Marie-Christine.

Détail montrant le jeune Mozart devenu en quelques années une véritable «star».
Marie-Christine par le Maître des portraits des Archiduchesses

Contre toute attente Joseph devient follement amoureux de sa femme. Il n’aimera qu’elle.

« Tya-Tya », comme la surnomme affectueusement Joseph, fait la conquête de son mari, de sa belle-famille et de toute la Cour de Vienne.

Malheureusement pour lui ces sentiments ne sont pas du tout réciproques même si en apparence Isabelle joue à la plus parfaite des épouses. Elle a très vite cerné sa psychologie, compris les angoisses et complexes du jeune homme. Bien plus supérieure à lui intellectuellement, elle lui fait croire à chaque instant que c’est lui le maître, comblant ainsi sa misogynie exacerbée. Elle voue par contre très rapidement une passion dévorante pour sa belle-sœur Marie-Christine. Néanmoins, vis-à-vis de Marie-Christine, Isabelle est obligée de cacher ses sentiments à Joseph qui ne supporte pas plus cette sœur et demande donc à sa belle-sœur d’entrer dans son jeu. Et dans l’idée également que Joseph puisse davantage apprécier à son tour Mimi :

« Je ne peux m’empêcher, à cause de l’extrême tendresse que j’ai pour vous, de vous écrire ces lignes, mais je vous conjure, au nom de cette même tendresse, de faire attention à ce que je vais vous dire. Vous savez l’aventure d’hier ;  elle est capable d’entraîner après des suites si vous tenez votre parole. J’ai convaincu l’Archiduc de son tort, quoique à  la vérité vous en ayez autant l’un que l’autre, mais c’est ce qu’il doit ignorer. Je vous supplie donc, quand vous le verrez, d’en agir absolument comme de coutume, que s’il est froid envers vous, de faire semblant de ne vous en pas apercevoir, que si l’on vient à parler de l’aventure en question, de lui en faire une sorte d’excuse en plaisanterie. Non que je prétende par là lui prouver qu’il avait raison, mais je m’en servirai au contraire pour lui faire sentir son tort et pour vous rendre plus estimable dans son esprit ;  que si il badine encore ne faites semblant de rien, tâchez de lui céder, d’en rire ; j’aurai soin de relever tout ce que vous ferez de la sorte, et de vous en faire un mérite devant lui, ce qui ne manquera pas de redoubler son amitié pour vous. Pardon de tout ce que je vous dis ; cela ne vient que de mon amitié. Je vous conjure encore d’y faire attention. Croyez que ce n’est que pour notre satisfaction mutuelle que je vous parle. Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur et attends votre réponse comme un criminel la sentence, car vous savez que la tête me tourne de vous. A propos, qu’il ne soit pas question vis-à-vis de lui que je vous ai écrit aujourd’hui.»

Isabelle de Bourbon-Parme à l’Archiduchesse Marie-Christine

Portrait de Marie-Christine attribué à Ducreux

Leur correspondance témoigne des sentiments exacerbés qu’éprouvait Isabelle, jeune femme étrangère, très intelligente mais fragile voire dépressive envers sa belle-sœur.

Il est toutefois difficile de leur donner une signification précise selon les conceptions actuelles de l’homosexualité.

Les expressions de tendresse exaltées qu’on trouve dans cette correspondance sont tout à fait conformes à la mode de l’époque (telles qu’elles abondent, par exemple, dans la correspondance – littéraire – entre Julie et Claire de La Nouvelle Héloïse, ou dans celle – authentique – entre la duchesse du Devonshire et Lady Foster)…

Face à l’exaltation amoureuse d’Isabelle, Marie-Christine semble avoir montré une attitude plus compassée, s’efforçant en vain de remettre Isabelle dans un état d’esprit plus raisonnable (les lettres de Marie-Christine n’ont jamais été retrouvées, mais on déduit leur contenu des réponses d’Isabelle, qui souffre de la non-réciprocité de ses sentiments).
Au surplus, précisément à cette époque, Marie-Christine après avoir vécu un chagrin d’amour avec le duc de Wurtemberg commence à fréquenter Albert de Saxe pour qui elle éprouve de plus en plus de sentiments. Lui aussi est un cadet issu d’une famille bien inférieure aux Habsbourg ! Mais son père est Roi et sa sœur Dauphine.

 Images de Marie-Thérèse d’Autriche (2021) téléfilm de Robert Dornhelm

Les conseils d’Isabelle porteront leurs fruits. En effet, des années plus tard, alors que Joseph exile ses sœurs Marie-Anne et Marie-Elisabeth dans des couvents de province suite à la mort de leur mère, il éloigne également Marie-Christine, mais avec la charge prestigieuse de gouvernante des Pays-Bas autrichiens.

Le 9 octobre 1760

Les troupes autrichiennes et russes occupent Berlin. De quoi renforcer les fêtes nuptiales.

Le 22 décembre 1760

Fausse couche d’Isabelle ou simple «petite incommodité» selon Marie-Thérèse.

Le 26 décembre 1760

Nouvelle épidémie de variole au sein de la famille impériale.

L’Archiduc Charles-Joseph tombe malade.

En 1761

Le 18 janvier 1761

Mort de son frère Charles-Joseph.

L'Archiduc Charles-Joseph par Johann Christoph von Reinsperger

Ce décès est un des trois qui causera le plus de chagrin à Marie-Thérèse.

Le 9 mars 1761

La princesse ne laisse rien paraître en public de son malheur d’être mariée _au contraire_, encore moins dans ses lettres à son père ou à son grand-père.  Néanmoins,  Louis XV écrit à son gendre le duc de Parme :

«Je suis enchanté que votre fille vous ait mandé qu’elle est heureuse. […] Notre gendre me paraît despotique.»

Archives d’Etat de Parme, carteggio Borbonico Estero, 50, 12

Le 5 août 1761

Grossesse d’Isabelle déclarée officiellement. Joseph qui exulte écrit à son beau-père :

« Je ne doute plus que ma femme soit grosse. […] Je suis au comble de la joie de voir que la grossesse de ma femme avance si heureusement et sans l’incommoder beaucoup. Elle m’en paraît même contente et je crois que cela lui fait plaisir. Pour moi, cela m’en fait beaucoup de même qu’à Leurs Majestés et à tout le public qui commence à s’en douter. Ainsi, pourvu qu’elle accouche heureusement, tout sera enchanté, mais c’est un moment auquel je n’ose penser sans trembler.»

Isabelle de Bourbon-Parme

Marie-Christine, face aux effusions croissantes d’Isabelle, finit par se résoudre à éviter soigneusement de se trouver seule avec elle, ne la rencontrant plus qu’en public dans les cérémonies de la Cour. Enfin, elle choisit de s’éloigner définitivement en s’établissant à Prague. De cette époque datent les lettres les plus désespérées d’Isabelle, qui se livre alors avec Marie-Christine à un véritable chantage au suicide. À quoi Marie-Christine répondit froidement (une de ses rares lettres subsistantes) :

« Votre désir de mort est une chose entièrement mauvaise, et qui témoigne de votre égoïsme ou d’une prétention aux résolutions héroïques ».

Au demeurant, « Isabelle était déchirée entre ses sentiments pour sa belle-sœur, son devoir envers son mari, et sa foi catholique ardente. Elle se sentait mourir de honte et de culpabilité (« Dieu connaît mon désir de fuir une vie par laquelle je L’offense chaque jour », écrit-elle ailleurs). Son sentiment de faute est impressionnant. Marie-Thérèse semble ne s’être jamais aperçue de rien. »

Après la mort d’Isabelle, dont Joseph II est désespéré, Marie-Christine elle-même offre à son frère, pour le consoler par un souvenir de sa femme, l’ensemble des lettres qu’elle a reçues de la défunte, et ce dernier les conservera soigneusement dans ses propres papiers.

Isabelle juge très sévèrement son mari, l’Empereur et l’Impératrice qui l’ont aimée plus que tout.

Elle juge ainsi la mère :                                      

« Pour ce qui regarde les enfants, l’Impératrice les aime mais elle a un principe faux qui est le trop de rigueur. Il faut toujours tâcher de les soutenir vis-à-vis d’elle, les excuser sans cependant vouloir cacher leurs défauts, ce qui serait trop dangereux, et tâcher de l’engager à prendre le parti de la douceur. Mais il faut surtout prendre un terme par-devant soi bien long, et plus long même qu’il ne le faut, car sans cela l’impatience s’en mêle et regâte tout. Il ne faut pas craindre de lui parler des défauts de ses enfants, c’est leur rendre service : on empêche par là qu’elle ne s’en ouvre à d’autres, ou du moins l’on prévient le tort qu’on pourrait leur faire.»

Isabelle de Bourbon-Parme à l’Archiduchesse Marie-Christine, novembre 1763, édition établie par Elisabeth Badinter, Tallandier.

A suivre ces conseils, Marie-Christine deviendra réellement l’enfant chérie de l’Impératrice, à qui elle peut tout demander.

Mais si elle n’hésite pas à rien cacher des défauts de ses frères et sœurs, en particulier des trois derniers, elle ne l’engagera jamais à prendre le parti de la douceur vis-à-vis d’eux.

Le 1er octobre 1761

Prise par les Autrichiens de la forteresse prussienne de Schweidnitz (aujourd’hui Świdnica en Pologne). Malheureusement, les nombreuses disputes avec les Russes ne permettent pas aux Autrichiens de conforter leurs positions. Pour les Russes, la Silésie n’est pas une priorité stratégique. Pour Marie-Thérèse, c’est la raison essentielle de son entrée en guerre. Et du renversement des alliances.

Frédéric II se bat désormais en mode défensif. Les Autrichiens, les Russes et les Français pensent que la victoire contre la Prusse ne peut plus faire de doute pour l’année suivante.

Le 20 mars 1762

Naissance de Marie-Thérèse, fille de Joseph et d’Isabelle.

Naissance de la petite Marie-Thérèse. Gouache signée et datée de Marie-Christine

Malgré la déception du sexe de l’enfant, les parents, les grands-parents, les nombreux oncles et tantes sont tous heureux, persuadés que la petite Archiduchesse est annonciatrice de nombreux frères et sœurs. L’Impératrice devient la marraine de l’enfant. Désormais, toutes ses petites-filles aînées de chacun de ses enfants seront ses filleules.

C’est une rare occasion qui montre Joseph exprimer ses sentiments. A son beau-père :

 

 

« C’est avec la plus grande joie du monde que je donne part à V. M. et très cher beau-père que ma très chère femme vient d’accoucher dans cet instant d’une fille. Elle a beaucoup souffert et moi de même par conséquent, ayant toujours été présent.»

Bicchieri

Sa fille, Marie-Thérèse d'Autriche
L'Archiduc Joseph par Jean Etienne Liotard

Le 21 juillet 1762

Revigoré par sa nouvelle alliance avec la Russie, Frédéric II bat les Autrichiens à Burkersdorf .

Le 9 octobre 1762

Schweidnitz est reprise par les Prussiens.

Le 13 octobre 1762

Visite de la famille Mozart à Schönbrunn.

La famille Mozart

La famille impériale est très férue de musique et au grand bonheur du couple impérial et de Joseph, Isabelle joue merveilleusement bien du violon.

Le 29 octobre 1762

Lors de la bataille de Freiberg, l’armée de Frédéric II repousse les Autrichiens de Silésie.

Marie-Thérèse sait qu’elle a perdu.

En 1762, Marie-Christine réalise cette gouache, portrait de la famille impériale dans un intérieur bourgeois. La Saint-Nicolas, d'après une gravure de Jacobus Houbraken

Le 22 décembre 1762

Mort de sa fille Marie-Jeanne-Gabrielle, née en 1750.

L’Archiduchesse Marie-Josèphe lui succède comme future fiancée de Ferdinand IV, Roi de Naples et de Sicile (1751-1825).

Voilà ce qu’écrit alors Marie-Thérèse  :

« Je considère la pauvre Josèphe comme une victime de la politique. Si seulement elle remplissait ses devoirs envers Dieu et son mari, en veillant au salut de son âme, je serais contente, même si elle devait être malheureuse. »

Lettre tirée de la biographie d’Elfriede Iby, spécialiste de Marie-Thérèse et Schönbrunn

L'Archiduchesse Marie-Jeanne-Gabrielle par Pierre Benevaux
Joseph, Marie-Thérèse, Isabelle de Bourbon Parme et Marie-Christine par Meytens (1763)
Marie-Thérèse par Liotard (1762) Albertina Museum

Du haut de ses vingt-deux ans, Joseph couche sur le papier dans ses Rêveries sa volonté de s’attaquer aux piliers de la monarchie d’alors : le clergé et la noblesse. Pour lui, influencé par les Lumières, la souveraineté n’est pas de droit divin : elle vient du peuple. 

Image de Marie-Thérèse d'Autriche (2021) téléfilm de Robert Dornhelm

Le 27 novembre 1763

Décès d’Isabelle de Bourbon-Parme. Pour l’Impératrice c’est l’un des trois deuils les plus difficiles de sa vie après celui de son époux et de son deuxième fils Charles-Joseph. Avant de quitter ce monde, l’Archiduchesse confie à son amie Marie-Christine des conseils afin de pouvoir manipuler à son aise Joseph, l’Empereur et l’Impératrice. Cependant, l’esprit d’Isabelle a probablement inspiré certaines conceptions éclairées de son époux.

Le décès d'Isabelle de Parme dans Joseph II, un despote éclairé

Le 25 janvier 1765

Le mariage de Joseph II avec Maria Josepha de Bavière.

Lors de cette cérémonie, les Archiducs et Archiduchesses donnent un spectacle…

Peinture de Johann Georg Weikert, d'un ballet donné le 24 janvier 1765, dans le cadre des festivités célébrant le mariage de Joseph II avec Marie-Josèphe de Bavière, qui ont lieu le lendemain.
Les festivités du mariage de Joseph II par Johann Georg Weickert
Email sur cuivre représentant un portrait miniature de l'Empereur Joseph II et sa seconde épouse Marie-Josèphe de Bavière. Dans un cadre capsule serti de diamants taille rose. Le revers gravé d'une description en anglais et d'un numéro de collection. Avec un support articulé.

Le 5 août 1765

Mariage de l’Archiduc Léopold avec Marie-Louise d’Espagne à Innsbruck.

A cette occasion, Marie-Thérèse décide de réaménager la galerie du palais de la Hofburg d’Innsbruck avec les portraits de tous ses enfants, auxquels on rajoutera en fonction conjoints et petits-enfants.

Ultime portrait de la famille impériale par Martin van Meytens (1765)
L'Archiduc Joseph par Meytens

Le 18 août 1765

Mort de l’Empereur François Ier, lors des festivités du mariage de Léopold à Innsbruck.

Portrait posthume par Johann Zoffany en 1777

Marie-Antoinette racontera, en 1790, à  Mesdames de Tourzel, de Fitz-James et de Tarenteaux que l’Empereur François Ier, partant pour l’Italie, d’où il ne devait jamais revenir , rassemble ses enfants pour leur dire adieu :

« J’étais la plus jeune de mes sœursmon père me prit sur ses genoux, m’embrassa à plusieurs reprises, et, toujours les larmes aux yeux, paraissant avoir une peine extrême à me quitter. Cela parut singulier à tous ceux qui étaient présents, et moi-même je ne m’en serais peut-être pas souvenue si ma position actuelle , en me rappelant cette circonstance, ne me faisait voir pour le reste de ma vie une suite de malheurs qu’il n’est que trop facile de prévoir.»

Pompeo Batoni, en 1771, entoure l'Empereur des figures emblématiques de la Justice, de la Clémence, de la Force et de la Vérité, qu'il lui fait désigner d'un geste auguste.

Élu à la tête du Saint Empire à la mort de son père, Joseph modernise la médecine. Pragmatique, il sent l’importance politique et économique d’une réforme de l’État. Il lui faudra attendre encore quinze ans pour pouvoir réaliser ses ambitions. Il partage en effet le pouvoir avec sa mère, qui craint de le voir détruire, par sa hâte, l’œuvre de sa vie… Joseph est couronné Empereur du Saint-Empire. Ce titre le place au-dessus de sa mère, qui reste néanmoins à la tête de l’Autriche. Elle nomme son fils co-régent.

Image de Joseph II, despote éclairé (2021), documentaire de Max Jacobi

Le 9 novembre 1765

Son oraison funèbre est prononcée par Corneille-François de Nélis dans l’église Sainte-Gudule ; Il est inhumé à Vienne dans le caveau familial des Capucins.

Marie-Thérèse ne quittera plus le deuil…

Avènement de Joseph II qui partage le pouvoir avec Marie-Thérèse.  Joseph II  devient Empereur du Saint Empire et corégent avec sa mère, mais il n’est chargé que de la représentation et des affaires militaires et est exclu de la politique étrangère et des décisions politiques internes de l’empire. Finalement, plein de rancœur contre la manière dont sa mère lui lie les mains, il décide de voyager à travers l’Europe où il rend visite à ses frères et soeurs.

Joseph II par Anton von Maron (1775)

La mort inopinée de son père plongeant l’Impératrice Marie-Thérèse dans une dépression profonde, Marie-Christine profite de cette faiblesse momentanée pour arracher à sa mère l’autorisation de se marier par amour plutôt que par raison d’État. Marie-Christine est ainsi la seule à être épargnée par la politique de mariage de sa mère et à pouvoir, avec l’aide de Marie-Thérèse, épouser l’homme de son choix, à savoir Albert de Saxe-Teschen.

Janvier 1766

Mariage de l’Archiduchesse Marie-Christine (1742-1798) avec  Albert de Saxe-Teschen (1738-1822), frère de la Dauphine Marie-Josèphe de Saxe, mère du duc de Berry.

Marie-Christine et Albert de Saxe-Teschen

Le 8 avril 1766

Mariage de Marie-Christine avec  Albert de Saxe-Teschen (1738-1822), frère de la Dauphine Marie-Josèphe de Saxe, mère du duc de Berry, au château de Hof.

Le 28 mai 1767

Marie-Josèphe de Bavière, seconde épouse de l’Empereur  Joseph II, meut de la variole. Elle quitte la vie sans déplaisir, n’étant plus appréciée de personne depuis la mort de son beau-père. Joseph II voit ce décès comme un soulagement… Il aura négligé cette épouse au point de ne même pas visiter sa tombe… 

Eléonore de Liechtenstein

 

La seule femme à laquelle Joseph s’intéressera est Eléonore de Liechtenstein (1745-1812) qui, entre 1768 et 1790, agira comme conseillère politique de  Joseph II à travers son salon ou cercle de discussion. Elle a grandi et fait ses études dans un couvent français à Strasbourg . À l’âge de quinze ans, elle hérite de vastes domaines de sa tante en Bohême, et elle et sa sœur Maria Leopoldine (1741-1795) sont présentées à la cour impériale de Vienne et nommées demoiselle d’honneur de l’Impératrice Marie-Thérèse d’Autriche , au cours de laquelle service, ils firent la connaissance de la famille impériale. À partir de 1768, elle tint un cercle de discussion avec un groupe de personnes, dont l’empereur Joseph II , et, grâce à lui, devint influente sur les affaires de l’État. Joseph II aurait été amoureux d’Éléonore de Liechtenstein et aurait tenté de la convaincre d’être sa maîtresse en 1771-1772, mais elle a refusé et ils sont devenus amis pour la vie.

Joseph en est réduit à fréquenter des femmes de petite vertu, bien que l’aspect charnel de la vie ne semble que peu importante pour lui.

 

Considérée avec Marie-Amélie comme la plus belle des archiduchesses, elle s’en sort mais enlaidie, elle ne peut plus prétendre au mariage.

Marie-Thérèse qui n’a jamais attrapé la petite vérole ne quitte pas le chevet de chacun de ses enfants qui en sont atteints.

Dans un élan de piété filiale, Marie-Thérèse demande à Marie-Josèphe de se recueillir devant le tombeau de sa belle-sœur morte prématurément quelques mois plus tôt. Cette pauvre princesse doit avant de partir pour Naples rendre ses derniers devoirs à sa famille en entrant aux Capucins, crypte des Habsbourgs où est inhumée tout récemment la seconde femme de Joseph II emportée par la variole.
L’Impératrice ne peut ignorer les conséquences ! Mais les devoirs passent avant tout !
La jeune fille est finalement très vite atteinte et meurt seulement au bout de quelques jours, remplacée en toute urgence par Marie-Caroline, qui se retrouve propulsée reine de Naples.

Le 15 octobre 1767

Mort de l’Archiduchesse Marie-Josèphe (1751-1767), sa soeur.

L'Empereur Joseph II et ses sœurs Marie-Anne et Marie-Elisabeth

En 1768

C’est à la mort prématurée de deux de ses sœurs, Marie-Jeanne (1750-1762) et Marie-Josèphe (1751-1767) que l’Archiduchesse Charlotte doit son mariage avec Ferdinand IV de Naples (1751-1825), le souverain est très grand, fort laid et de plus doté d’un caractère brutal.

L'Archiduchesse Marie-Josèphe
Marie-Caroline d'Autriche, Reine de Naples et de Sicile (1768) par Eusebius Johann Alphen
Ferdinand IV de Naples

Le 7 avril 1768

Mariage de celle qui devient Marie-Caroline a lieu à Vienne par procuration.

Le 12 mai 1768

Mariage de l’Archiduchesse Marie-Caroline avec Ferdinand Ier des Deux-Siciles.

 

 

Le 24 juin 1768

Mort de la Reine de France Marie Leszczyńska (1703-1768), à Versailles.

Mais Louis XV (1710-1774) est  toujours gaillard malgré ses cinquante-huit ans, les chancelleries et les filles du Roi (qui craignent un retour de leur père à une vie de débauche qui ruinerait sa santé et son salut) songent à un remariage avec une princesse de leur rang. Marie-Elisabeth est toute désignée ; ses vingt-cinq ans et sa beauté réputée devraient faire d’elle l’épouse idéales. 
En cas de réussite du projet, les deux sœurs, Marie-Elisabeth et Marie-Antoinette, auraient été successivement Reines de France, l’aînée ayant épousé le grand-père et la cadette le petit-fils pour le plus grand intérêt de l’alliance austro-française mais aussi des intérêts de la Maison impériale. Ainsi doit penser l’Impératrice Marie-Thérèse.

Cependant la coquette Marie-Élisabeth n’ira jamais à Versailles. La variole vient briser ses espoirs. Elle s’en sort mais la maladie défigure l’Archiduchesse au point de lui faire perdre toutes ses chances sur le marché du mariage, lui laissant des marques indélébiles sur le visage.

Au désespoir de ses frères et sœurs, Marie-Elisabeth portera, sa vie durant, le deuil de sa beauté perdue.

Marie Leszczyńska, lisant la Bible (1748) par Jean-Marc Nattier
Marie-Elisabeth en deuil de sa beauté par Lukas Zatko
A l’occasion du mariage de sa sœur Marie-Amélie avec le duc de Parme en 1769, l’Empereur Joseph II profite de son voyage en Italie pour se rendre à Turin, capitale du royaume de Piémont-Sardaigne. A l’évidence, si cette escale de l’Empereur à Turin est conditionnée par des relations diplomatiques, cette visite sert aussi de prétexte au souverain pour rencontrer les jeunes princesses de Savoie. Joseph II est veuf de ses deux épouses précédentes et n’a pas de descendance. Aussi, de fait, si Joseph est peu disposé à se remarier, sa mère l’Impératrice Marie-Thérèse encourage son fils à convoler à nouveau. Bon gré, mal gré, le monarque fait semblant de se soumettre à la volonté maternelle.
En France, Louis XV est parfaitement renseigné sur le voyage de Joseph II en Italie.
Il écrit ainsi à Ferdinand de Parme, le 17 avril 1769 :

« Je crois que vous aurez reçu l’empereur comme il le désire. L’on dit qu’il doit pousser son voyage jusqu’à Turin pour y voir l’aînée des princesses de Savoie pour l’épouser s’il la trouve à son gré. J’ai son portrait qui me plaît tout à fait. Je ne sais si au naturel il la trouvera de même.»

Frédéric II par Anton Graff

En 1769

Joseph va rencontrer Frédéric II, le pire ennemi de sa mère, que lui admire car il est son véritable modèle politique, au grand désarroi de l’Impératrice. Il admire son géni militaire autant que ses réformes sociales et sa proximité avec son peuple, c’est un despote éclairé, un roi philosophe qui correspond à la pensée nlouvelle de l’époque, notamment Voltaire. Six ans après la paix, ils vont lutter contre une nouvelle menace : celle des récoltes qui sont mauvaises. L’Europe est sortie exsangue de la guerre de Sept Ans, la pauvreté et la famine font des ravages.

Joseph sent qu’il est à l’aube d’une Ere nouvelle et qu’il doit engager des réformes, comme Frédéric le Grand.

Les deux souverains se retrouvent en Silésie, au palais épiscopal de Neisse, en Pologne. Le Roi de Prusse et l’Empereur du Sant-E:mpire germanique sont rivaux, mais dès leur première entrevue, les deux souverains s’embrassent comme deux frères. Ils discutent de la situation politique de l’Europe et de la menace révolutionnaire. Joseph souhaite briser le pouvoir de la noblesse. Mais Frédéric le lui déconseille : le lien entre servage et finance pèse trop lourd en cas de guerre.

Rencontre de Frédéric II avec l'empereur Joseph II à Neisse 1769 - Adolph von Menzel
Image de Joseph II, despote éclairé (2021), documentaire de Max Jacobi

Dans son compte-rendu de cet entretien à sa mère, Joseph écrit qu’à ses yeux Frédéric est un génie. L’estime est mutuelle. Le Roi de Prusse prédit que l’Europe s’enflammera lorsque Joseph sera seul maître de l’Autriche. C’est un Empereur comme on n’en a pas connu depuis dans le Saint-Empire Germanique.

Joseph se déplace dans son pays et en Europe même, sans mprotocole, sous un nom d’emprunt, le comte de Falkenstein. 

Joseph II avec son frère Léopold grand duc de Toscane (1769) par Pompeo Batoni

Le 13 juin 1769

Louis XV demande officiellement la main de l’Archiduchesse Maria-Antonia pour le Dauphin.

Le 19 juin 1769, le Roi de France écrit au duc de Parme, son petit-fils :

« C’est le onze que l’empereur a dû arriver à Turin, j’espère en avoir des nouvelles jeudi prochain et je vous avoue que je suis curieux de ce voyage, car nous en avons besoin aussi de ce pays là.»

La conclusion de ce projet matrimonial n’est pas concluante. Si l’Empereur a l’occasion d’observer les princesses de Savoie, en particulier les deux aînées, la balance n’oscille pas en leur faveur. Il confie même à son frère Léopold, que Marie-Thérèse était «de travers».

Le 27 juin 1769

Mariage par procuration de l’Archiduchesse Marie-Amélie, sa fille, avec Ferdinand Ier, duc de Parme.

Le 19 juillet 1769

Ferdinand Ier de Bourbon-Parme, duc de Parme de Plaisance et de Guastalla épouse Marie-Amélie dans le Palais ducal de Colorno.

Le mariage est suivi de fêtes et spectacles.

Ferdinand Ier, duc de Parme et l'Archiduchesse Marie-Amélie

En 1770

L’équilibre financier de l’Autriche, situation exceptionnelle dans l’Europe de la guerre de Sept Ans, est restauré au début des années 1770 et le thaler d’argent thérésien émis à partir de 1741 est le marqueur de cette prospérité retrouvée et multipliée par les créations de manufactures.

Le 23 janvier 1770

Mort de sa fille, Marie-Thérèse (1762-1770).

Marie-Thérèse, fille de Joseph II et d'Isabelle de Parme

Perdu de douleur, Joseph s’écrie :

«Mon Dieu ! Rendez-moi ma fille ! »

Désormais, Joseph va consacrer sa vie toute entière à l’état.

Le tombeau de la petite Marie-Thérèse

Toute la politique de l’Autriche passe toujours par Marie-Thérèse qui rechigne visiblement à partager le pouvoir avec Joseph, lequel s’en indigne :

« Les affaires sont traitées d’un étage à l’autre sans que l’on se voie …  C’est pour moi plus amer que la mort de penser que si longtemps j’ai vécu uniquement pour ce fils, que je l’ai idolâtré .   C’est terrible de se dire que nous nous aimons tout en nous disputant ainsi et que nous nous torturons sans parvenir à nous satisfaire ni l’un ni l’autre .»

Le 3 avril 1770

Marie-Antoinette reçoit solennellement le portrait du Dauphin Louis-Auguste.

Le 14 avril 1770

Le contrat du mariage est signé.

Françoise Seigner est M/arie-Thérèse dans Marie-Antoinette (1975) de Guy-André Lefranc
Maria-Antonia par Antonio Pencini (1770)

Le 16 avril 1770

L’ambassadeur de France à Vienne demande officiellement la main de l’Archiduchesse au nom de Louis XV.

Le 17 avril 1770

L’Archiduchesse Maria-Antonia renonce officiellement à Ses droits sur l’Autriche.

Le 19  avril 1770

Mariage par procuration de Marie-Antoinette et du Dauphin à l’église des Augustins de Vienne:

A six heures après-midi, à la sonnerie des trompettes et au son des tympans, toute la Cour de Marie Thérèse, se rend à l’église des Augustins de Vienne.

L’Archiduchesse, toute souriante, porte une robe de drap d’argent. L ‘Archiduc Ferdinand qui a dix-sept mois de plus que Marie-Antoinette, habillé en soie blanche, avec une bande bleue drapée sur la poitrine, remplace le Dauphin.

L'Archiduc Ferdinand

L’église des Augustins est une église paroissiale, une vaste structure reliée à l’aile Leopoldina de Hofburg (les appartements privés de la famille royale) par un long couloir. Joseph II conduit le cortège, puis l’Impératrice Marie Thérèse et derrière elle l’Archiduc Ferdinand qui donne la main à Marie-Antoinette. Pour l’occasion de Gluck a créé une composition pour orgue qui résonne dans l’église.

L’église des Augustins à Vienne où a eu lieu le mariage par procuration de Marie-Antoinette.

La messe est dite par le nonce du pape, Monseigneur Visconti, assisté par le curé de la Cour, Briselance. Les prie-Dieu des «mariés» sont recouverts de velours rouge brodé d’or ; quand les deux mariés s’agenouillent, ils répondent à la question du nonce, une formule latine: «Vol et ita promis» (c’est ce que je veux et promets). Les anneaux, dont l’un sera livré par Marie-Antoinette au Dauphin, sont bénis ; Ferdinand glisse au doigt de sa sœur l’anneau de rubis du Dauphin et la fait ensuite se lever pour l’embrasser sur les joues ; après quoi Briselance s’apprête à prononcer l’acte Nuptial, Kaunitz l’authentifie et Durfort le légalise (en fait, ce dernier acte aurait dû revenir au beau-frère de Marie-Antoinette, Albert de Saxe Teschen, mais Versailles a fait savoir au prince qu’il ne fallait pas qu’il se dérange et qu’il pouvait laisser sa place à l’ambassadeur). Albert n’a pas objecté, mais pour le dîner de mariage, il ne veut pas entendre de raison, donc Durfort n’assiste pas au banquet et reste chez lui. Le comte de San Giuliano, grand maître des cuisines impériales, a accompli des merveilles ce soir-là. Cent cinquante invités sont admis, non pas à dîner, mais à admirer les neuf princes convives qui mangent dans de la vaisselle d’or.

Le 21 avril 1770

Marie-Antoinette part pour la France, au cours d’un voyage qui durera plus de vingt jours et qui comportera un cortège d’une quarantaine de véhicules.

Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola

Le lien entre la mère et la fille sera assuré par Florimond de Mercy-Argenteau (1727-1794) , ambassadeur de Marie-Thérèse en France depuis 1766) qui a , envers sa pupille, un rôle presque paternel…

Florimond-Claude, comte de Mercy-Argenteau
Marie-Thérèse d'Autriche
L'Empereur Joseph II par Joseph Hickl
Joseph II

Le 7 mai 1770

Marie-Antoinette , comme on L’appelle désormais, est «remise» à la France sur un îlot du Rhin, considéré comme une frontière symbolique. Elle prend congé de Sa suite autrichienne ainsi que de Son chien, Mops.

Arrivée de Marie-Antoinette à Strasbourg
Mops le carlin de Marie-Antoinette

Le 16 mai 1770

Le mariage de Marie-Antoinette et du Dauphin est célébré dans la chapelle royale de Versailles.

Louis-Auguste, Dauphin de France par Louis-Michel Van Loo
Gravure du mariage de Marie-Antoinette avec le Dauphin, le 16 mai 1770
Marie-Antoinette Dauphine, huile sur toile de Joseph Ducreux, 1770

 

 

En 1773, Marie-Antoinette commande deux portraits tissés, de Sa mère Marie-Thérèse d’Autriche et de Son frère Joseph II, à la Tapisserie des Gobelins et les fait encastrer en haut des miroirs, au-dessus de la cheminée et face à celle-ci. Les portraits sont exécutés par le lissier Michel-Henri Cozette (1744-1822).

La chambre de Marie-Antoinette à Versailles

La Bohême est le joyau de l’Empire des Habsbourgs, mais en 1770 et 1771, les récoltes sont très mauvaises : la famine fait des ravages et emporte 600 000 personnes sur une population de quatre millions. Joseph incrimine l’avarice des nobles ainsi que la lenteur de l’administration. Il fait venir des céréales de Hongrie. Il se rend sur place pour constater la misère de son peuple. Il comprend que les difficultés viennent en partie de l’état mais aussi du servage : le système féodal ne fonctionne plus. Joseph II se rapproche de son peuple, néanmoins ce n’est pas un humaniste qui se préoccupe du bien-être de ses sujets, c’est un pragmatique. Au XVIIIe siècle, l’agriculture est la seule source de revenu pour un souverain qui veut développer son état. En somme, améliorer les conditions de ses sujets revient à améliorer le développement de l’état tel qu’il le conçoit.
 Mère et fils se heurrtent de plus en plus fréquemment. Marie-Thérèse est gardienne d’un ordre que Joseph voudrait voir aboli. A plusieurs reprises, Joseph menace d’abdiquer. L’Impératrice trouve que son fils veut aller trop loin alors que lui trouve que les réformes de sa mère sont trop lentes. Leur collaboration est toutefois fructueuse dans certains domaines, notamment dans la politique éducative. Joseph tient à créer des écoles obligatoires pour les enfants. Ils travaillent main dans la main sur la codification des droits. Joseph a à coeur de l’uniformiser. C’est au sujet de l’Eglise qu’il y a le plus de frictions entre eux. 

Louis XV par Armand-Vincent de Montpetit

En 1774

Marie-Thérèse, qui considère son  plus jeune fils comme peu apte au mariage, envoie Maximilien François  – il est d’ailleurs le seul de ses enfants à le faire – en «voyage de cavalier», un usage répandu dans les cercles de la noblesse. Ce voyage conduit le jeune Archiduc dans les cours de ses frères et sœurs mariés en Italie et en France. Tout comme pour les autres membres de la fratrie, sa mère a consigné pour lui, par écrit, pour le voyage, les règles de conduite et de vie.

Le 10 mai 1774

Mort de Louis XV. 

Le Dauphin devient Roi sous le nom de Louis XVI. La nouvelle Reine Marie-Antoinette soupire :

« Mon Dieu, guidez-nous, protégez-nous, nous régnons trop jeunes ! »

Marie-Antoinette au Globe (1775) par Jean-Baptiste Gautier-Dagoty
Joseph II

« Vous savez que mes circonstances parfois me permettent des excursions que je tâche de me rendre profitables pour voir et observer les provinces de la monarchie, et autant que je le puis, les voisins : or, indubitablement, les Pays-Bas auront leur tour : je les ai même réservés pour la bonne bouche. Je ne m’arrêterai pas des mois en Flandre, sans voir le matériel de la Hollande. Vous habitez un pays trop intéressant, et dont vous faites les relations les mieux vues et tentantes, pour que je ne désire d’en juger de mes yeux… »

Joseph II au comte Barbiano de Belgiojoso

Joseph II

Le 7 février 1775

L’Archiduc Maximilien (1756-1801) rend visite à sa sœur. Il voyage sous le pseudonyme de comte de Burgau.
Voilà bientôt cinq ans que Marie-Antoinette n’a pas vu Son petit frère. Il apporte bien quelques recommandations et conseils de leur mère, qui risquent fort d’être désagréables à entendre, mais quelle joie de se revoir après si longtemps ! Marie-Antoinette entraîne l’Archiduc dans le tourbillon des fêtes de Versailles sans se soucier, une fois de plus, des règles protocolaires. Il en résultera quelques difficultés avec les princes du sang, quelques bévues qui entameront encore un peu plus le crédit de la Reine auprès de la Cour.
Une telle insouciance ne peut qu’exaspérer un peu plus le pauvre Mercy qui doit déployer des trésors d’imagination et de patience pour essayer de convaincre la Reine que Sa vie est auprès de son époux. Marie-Antoinette écoute, fait mine d’entendre pour oublier aussitôt et retourner à Ses distractions sans lesquelles, avoue-t-Elle, Elle mourrait d’ennui !…

Marie-Antoinette, le Roi Louis XVI de France et l'Archiduc Maximilien, huile sur toile de Joseph Hauzinger :  le tableau est réalisé un an après l'événement ; Hauzinger, l'un des peintres de la cour de Marie-Thérèse, pour dépeindre la Reine, utilisa comme modèle l'une de Ses sœurs. On ne sait pas qui des trois présentes à la Cour de Marie-Anne, de Marie-Elizabeth ou de Marie-Christine. Celle-ci, même si elle était mariée, revenait pratiquement toujours aux côtés de sa mère et c'est sans doute celle à laquelle ont été demandées les séances. Selon, en effet, une dame de Marie-Thérèse qui avait eu l'occasion de revoir Marie-Antoinette, Marie-Christine était la sœur qui Lui ressemblait le plus.

C’est un échec en termes de relations publiques et le jeune homme est rapidement surnommé «l’Archibête».

Dimanche 11 juin 1775

Louis XVI est sacré à Reims.

Louis XVI à Reims par Benjamin Warlop

Juillet 1775

« Très-chère soeur. Le courrier vient de me remettre votre chère lettre, qui m’a fait beaucoup de plaisir quant aux sentiments que vous voulez bien me témoigner, et au désir que vous avez de me voir. Vous ne pouvez pas douter non plus, combien le même désir m’anime, mais les occasions, mes premiers devoirs et ma raison doivent être les seuls guides de toutes mes actions.
Je ne puis répondre des événements qui peuvent se présenter jusqu’au temps où je pourrais me donner la satisfaction de vous embrasser, aussi peu que mon amour pour la tranquillité d’esprit m’inspirera pour lors. Permettez, que là-dessus, ma chère soeur, je vous parle avec toute la franchise que l’amitié seule et l’intérêt autorise, et dont l’intention fait l’excuse.
Comment voudriez-vous, que j’aille vous voir et me mettre dans le grand monde de la cour et du pays que vous habitez, dans les circonstances dans lesquelles je vois que vous vous trouvez, et dans lesquelles vous avez bien voulu vous mettre? Autant que j’en sais, vous vous mêlez d’une infinité de choses d’abord qui ne vous regardent pas, que vous ne connaissez pas, et auxquelles des cabales et des alentours qui vous flattent et qui savent exciter tantôt votre amour-propre et envie de briller, ou même entretenir une certaine haine et rancune, vous font faire une démarche après l’autre, propres à troubler le bonheur de votre vie, et qui doivent nécessairement vous procurer tôt ou tard des désagréments cuisants, et en diminuant l’amitié et l’estime du roi, vous faire perdre toute l’opinion du public et toute la considération, que vous pourriez avec l’appui de cette opinion vous acquérir, et que vous vous êtes même acquise étonnamment jusqu’ à présent.
De quoi vous mêlez-vous, ma chère soeur, de déplacer des ministres, d’en faire envoyer un autre sur ses terres, de faire donner tel département à celui-ci ou à celui-là, de faire gagner un procès à l’un, de créer une nouvelle charge dispendieuse à votre cour, enfin de parler d’ affaires, de vous servir même de termes trés-peu convenables à votre Situation? Vous êtes-vous demandé une fois, par quel droit vous vous mêlez des affaires du gouvernement et de la monarchie française ? Quelles études avez-vous faites?
Quelles connaissances avez-vous acquises, pour oser imaginer que votre avis ou opinion doit être bonne à quelque chose, surtout dans des affaires, qui exigent des connaissances aussi étendues? Vous, aimable jeune personne, qui ne pensez qu’à la frivolité, qu’à votre toilette, qu’à vos amusements toute la journée, et qui ne lisez pas, ni entendez parler raison un quart d’heure par mois, et ne réfléchissez, ni ne méditez, j’en suis sûr, jamais, ni combinez les conséquences des choses que vous faites ou que vous dites?
L’impression du moment seule vous fait agir, et l’impulsion, les paroles mêmes et arguments, que des gens que vous protégez, vous communiquent, et auxquels vous croyez , sont vos seuls guides. Peut-on écrire quelque chose de plus imprudent, de plus irraisonnable , de plus inconvenable que ce que vous marquez au comte de Rosenberg touchant la manière avec laquelle vous arrangeâtes une conversation à Rheims avec le duc de Choiseul? Si jamais une lettre, comme celle-là s’égarait, si jamais, comme je n’en doute presque point, il vous échappe des propos et phrases pareilles vis -à -vis même de vos plus intimes confidents, je ne puis plus entrevoir le malheur de votre vie, et j’avoue que par l’attachement que je vous ai voué, cela me fait une peine infinie. Ce sont vos ennemis, ce sont ceux qui désirent le plus de voir détruite toute influence que vous pourriez avoir, qui vous poussent à de pareilles démarches.
Croyez-moi, et écoutez la voix d’un ami et d’un homme que vous savez qu’il vous aime. Distinguez-la de la foule de tous ceux qui vous encensent, et croyez que personne ne peut et ne veut vous dire la vérité comme moi; qu’elle est de toutes les nations et de tous les pays. Quittez donc toutes ces tracasseries , ne vous mêlez absolument en rien d’ affaires; éloignez et rebutez même tous ceux qui voudraient vous y attirer pour quelque chose. Attachez-vous fortement à mériter l’amitié et la confiance du roi, c’est d’abord votre devoir d’état, et c’ est le seul intérêt que vous pouvez et devez avoir. Epluchez ses goûts, conformez-vous à eux; tâchez d’être beaucoup avec lui, ne l’incommodez néanmoins pas, et méritez par votre discrétion et sûreté sa confiance. Ne parlez jamais à des ministres d’ affaires, ni pour recommander quelqu’un, et dans toutes les occasions, où vous serez sollicitée, ne vous chargez jamais d’autre chose que d’ en parler au roi ; et alors n’ en pressez point la réussite avec importunité ou humeur, et ne donnez aucune réponse, hors celle dont le roi vous chargerait expressément.
Du reste lisez, occupez-vous , ornez votre esprit, donnez -vous des talents, et rendez-vous propre à trouver des ressources en vous-même dans un âge plus avancé et dans le cas, où cette grande approbation du public qui fait tous vos désirs et plaisirs actuels, vous quittera, comme cela ne peut manquer d’ arriver. Voilà le rôle au bout du compte, ma chère soeur, que chaque femme sage doit faire dans son ménage . Mon coeur, mes sentiments vous doivent être connus, ma chère soeur, et même qu’éloigné par état de vous je ne puis avoir autre intérêt à ce que je vous conseille, que vous- même. Voilà les sentiments qui guident ma plume.
Vous êtes épouse ; c’ est un état qui a les devoirs les plus sacrés et les plus stricts. Vous êtes reine; c’est une charge, qui exige qu’on en remplisse les fonctions. Sous ces deux points de vue vous ne pouvez vous méconnaitre; réfléchissez-y souvent, et votre esprit vous en dira plus que moi. Comme épouse et surtout comme femme d’un roi vous avez des considérations , des devoirs et des intérêts bien différents de ceux de toutes les autres dames, princesses et reines du monde. Que faites-vous ici en France, par quel droit vous respecte, vous honore-t-on, que comme la compagne de leur roi? Vous seriez bafouée, aussi jolie que vous êtes; la chute, et en soi et par comparaison, serait affreuse pour vous. A quoi tenez-vous dans le coeur du roi et surtout a son estime? Examinez-vous, employez- vous tous les soins à lui plaire? Etudiez-vous ses désirs, son caractère pour vous y conformer, tâchez -vous de lui faire goûter, préférablement à tout autre objet ou amusement, votre compagnie et les plaisirs que vous lui procurez et auxquels sans vous il devrait trouver du vide? Vous rendez-vous nécessaire à lui, le persuadez-vous que personne ne l’aime plus sincèrement et n’a sa gloire et bonheur plus à coeur que vous? Voit-il votre attachement uniquement occupé de lui, de le faire briller même sans le moindre égard à vous même?
Modérez-vous votre gloriole de briller à ses dépens, d’être affable quand il ne l’est pas, de paraitre s’occuper d’objets qu’il néglige, enfin de ne vouloir n’avoir de réputation à ses dépens, mais le persuadez-vous de cette modestie, lui faites-vous ces sacrifices, êtes-vous d’une discrétion impénétrable sur ses défauts et faiblesses, les excusez -vous , faites -vous taire tous ceux qui en osent lâcher quelque chose, êtes-vous de même secrète sur tous les conseils que vous lui donnez, et qui ne doivent jamais paraitre, que les affaires réussissent ou non? Savez-vous arranger vos discours aux circonstances , pensez-vous à préparer par une conduite conséquente de loin les effets? Est-ce que vous ne vous rebutez pas des difficultés, des refus?  Retournez-vous adroitement à la charge, sans importuner, sans témoigner une volonté, car enfin vis-a-vis de lui vous ne pouvez avoir que des désirs, et lui tant sur votre personne que sur les affaires de son pays peut seul avoir des volontés. II n’y a pas de galanterie qui tienne; un particulier peut craindre le ridicule que son impolitesse lui donnerait, mais un roi s’en moque et d’un mot peut disposer de votre sort. N’oubliez pas cela!
Mettez-vous, ma soeur, du liant, du tendre, quand vous êtes avec lui? Recherchez -vous des occasions, correspondez -vous aux sentiments qu’ il vous fait apercevoir ? N’êtes-vous pas froide, distraite, quand il vous caresse, vous parle? Ne paraissez-vous pas ennuyée, dégoûtée même? Comment, si cela était, voudriez-vous qu’un homme froid s’ approche et enfin vous aime ? Ce point exige toute votre attention, et tout ce que vous ferez pour obtenir ce grand but, sera le lien le plus fort que vous mettrez au bonheur de votre vie. Ne vous rebutez jamais, et soutenez lui l’espérance toute votre vie, qu’il pourra encore avoir des enfants, que jamais il n’y renonce ou en désespère. Vous devez éviter cette idée et toute séparation de lit de toutes vos forces, qui ne consistent que dans vos charmes et votre amitié.
Le rendez-vous bien confiant, n’abusez-vous jamais ou ne le rebutez -vous pas des confiances qu’il vous fait? Agissez-vous de même, et est-ce que vous lui dites tout ou au moins assez pour qu’il n’apprenne les choses, qui vous regardent ou l’intéressent, de personne d’autre, avant vous enfin, qu’il soit persuadé d’aucune réticence de votre part. Ce qui seul peut le rendre confiant, aidez-vous aux choses que vous voyez qu’il désire beaucoup, ne commettez-vous jamais mal à propos votre crédit? Ne le mettez-vous jamais dans le cas de vouloir, et de lutter contre votre opinion qui doit plier adroitement devant la sienne, quand vous voyez qu’elle ne sera pas suffisante, qui doit être discrète, mais qui doit revenir à la charge, lorsque l’événement ou le premier moment d’ardeur sera changé ? Tout votre crédit doit être caché on doit le soupçonner agissant et influant en tout, mais ne le voir paraitre nulle part. Le roi seul, votre mari, doit par état agir, et il ne faut jamais que vous paraissiez en rien; une ignorance, une modestie même affectée là-dessus ne peut qu’ être avantageuse et vous faire honneur. Ne croyez jamais a l’amitié, à l’esprit ni à l’attachement de personne qui vous conseillerait autre chose ; son intérêt seul sûrement et non le vôtre la guiderait.
Etudiez-vous assez son caractère? II ne se connait ordinairement qu’en le suivant exactement et avec réflexion. Vous appliquez-vous à savoir ce qu’il fait quand il est seul? Savez-vous les gens et les objets qu’il préfère? Evitez-vous de le gêner, et surtout que votre présence ne le dérange pas? Afin qu’il n’aille se cacher en rien de vous, participez-y, de quelconque espèce que ses amusements internes peuvent être, et peu-à-peu, s’ils ne sont pas d’un genre qui convient, tâchez de lui en procurer d’autres plus solides et utiles mais en même temps qui l’amusent davantage, car ce n’est ni par conviction, ni d’autorité, qu’il faut les lui faire quitter; son dégoût et sa propre volonté doivent opérer ce changement. Tâchez de procurer au roi les sociétés qui lui conviennent; elles doivent être les vôtres, et s’il y a quelque préjugé contre quelqu’un, même de vos amis, il faut le lui sacrifier. Enfin votre seul objet, le but de vos actions pendant toute votre vie , celui qui vous mène à tout et hors duquel vous ne pourriez jamais trouver ni bonheur, ni considération, ni crédit, doit être l’amitié, la confiance du roi.
Si vous possédez celle-là et agissez à vous la conserver, votre réputation sera bien plus solidement établie et votre bonheur bien plus affermi qu’à présent, où vous paraissez lutter de crédit avec les ministres et vouloir profiter mutuellement de sa faiblesse. Selon mes principes vous ne paraitriez jamais; mais tous, si vous inspirez la vraie confiance au roi, avec le roi même ne pourraient faire un pas, sans que vous n’y influiez. Vous auriez par le public la reconnaissance de tout le bien qui se ferait, et en ne paraissant pas, vous seriez à couvert du blâme et approuvée par tous les plus sévères censeurs qui ne pourraient disconvenir que vous remplissez avec la plus grande exactitude les devoirs de votre état. Ne vous souciez point et ne prenez jamais une affaire tellement à coeur, que vous la voulussiez absolument faire réussir, et que la non-réussite vous fâche, et que vous vous en croyiez déshonorée presque. C’est tendre votre crédit et l’exposer. Selon mes principes il ne faut jamais le commettre ainsi, mais céder à propos pour revenir une autre fois, mais pour cela faire, il faut déjà ne jamais promettre solennellement protection à personne, ni se déclarer vouloir une affaire, mais toujours avec doute sur l’effet se rabattre à dire qu’on en parlerait, qu’on ne pouvait répondre de l’effet ni de ce qu’on voudrait, et si même l’on réussit, rejeter toujours avec une modestie suivie l’effet sur le roi et tourner vers lui la reconnaissance et la gloire ; il vous en restera assez.
Entre autre de votre façon de négocier les différents objets avec le roi, de vos moyens quelque spirituels qu’ils peuvent être, il faut absolument même vis-a-vis de ses plus intimes amis s’imposer un silence parfait puisque cela ne convient pas , et qu’entre mari et femme il faut une discrétion parfaite, et puis vous découvririez aux autres vos armes, affaibliriez vos moyens et les enseigneriez aux autres, dont ils pourraient se servir contre vous, outre qu’une indiscrétion pareille devrait être choquante pour le roi. Ainsi, que les choses réussissent facilement ou difficilement ou point du tout, personne ne doit jamais savoir ce qui s’est passé à ce sujet entre vous.
Comme reine vous avez un emploi lumineux; il faut en remplir les fonctions. La décence, la consistance de la cour et l’apparence surtout doivent beaucoup être mises en considération. Le respect qu’imprime l’intérieur, et la décence sont importants; ils font les deux tiers du jugement du public. Ils ne peuvent point être calqués sur aucun exemple que sur celui de vos égales. Revoyez toutes les reines d’Europe et informez-vous de la vie qu’elles mènent; combinez leur âge avec le vôtre et vos circonstances; joignez à cela la réflexion sur la nation avec laquelle vous vivez, et je crois que vous trouverez bien des difficultés dans la vie que vous menez, et bien de l’avantage sur toutes les autres. Comparez par exemple l’lmpératrice qui a soixante ans, qui est souveraine et veuve. Voyez les gênes qu’elle s’est imposées, et la décence qu’elle a su garder. Ceci n’est pas indifférent. Votre façon n’est elle pas un peu trop leste, n’avez-vous pas par la cour adopté un peu des façons du moment auquel vous êtes venue ici, ou celui de plusieurs dames qui, quoique très-aimables et respectables, ne peuvent point vous servir de modèle, car vous n’en pouvez trouver hors de votre état? Plus le roi est sérieux, plus votre cour doit avoir l’air de se calquer après lui. Avez-vous pesé les suites des visites chez les dames, surtout chez celles où toute sorte de compagnie se rassemble et dont le caractère n’est pas estimé? Avez-vous pensé à l’effet que vos liaisons et amitiés, si elles ne sont pas placées sur des personnes en tout point irréprochables et sûres, peuvent et doivent avoir dans le public, puisque ou vous auriez l’air d’y participer et d’autoriser le vice, point qui devrait vous perdre même chez les gens pervers, qui ne peuvent s’empêcher d’aimer et estimer la vertu, ou vous restez dans un aveuglement volontaire et risquez de goûter leur poison et d’en être aveuglée et enfin englobée, car on juge très-bien des personnes par leurs goûts et par leurs liaisons. Si elles vous trahissaient avec cela peut-être, et que vos confidences, soit-ce par leurs circonstances , liaisons, ou faiblesses fussent sues, vous seriez bien à plaindre et certainement toujours la dernière à le savoir et à vous en apercevoir, car tout le monde aurait grand soin de vous le cacher ou de vous le relever d’une façon seulement pour s’ancrer davantage.
Le choix des amis et amies est bien difficile, surtout dans votre position ; il vous faudrait tâcher de vous attacher des hommes aussi instruits que sûrs et qui soient éloignés de toute ambition ou désir. Le choix est difficile, mais ne vous rebutez pas des difficultés et tâchez avec patience et constance d’y parvenir, car la chose est trop désirable et pour vous et pour le roi.
Avez-vous pesé les conséquences affreuses des jeux de hasard, la compagnie qu’ils rassemblent, le ton qu’ils y mettent, le dérangement enfin, qu’en tout genre ils entraînent après soi tant dans les fortunes que les moeurs de toute une nation ?
Pouvez-vous vous dissimuler que toute la partie sensée de l’Europe vous rendrait responsable des ruines des jeunes gens, des vilenies qui s’y commettent, et des abominations qui en sont les suites, si vous protégez et étendez ces jeux, ou que bien plus vous les recherchiez et couriez après? C’est un article d’une conséquence si grande et d’un danger si manifeste, que je laisse à votre pénétration à en dire le reste. Rappelez-vous les faits qui se sont passés sous vos yeux, et puis pensez que le roi ne joue pas et que c’est scandaleux que vous seule, pour ainsi dire, de la famille les souteniez. Un noble effort et toute la terre vous approuvera.
De même daignez penser un moment aux inconvénients, que vous avez déjà rencontrés aux bals de l’opéra, et aux aventures, que vous m’en avez racontées vous-même là-dessus. Je ne puis vous cacher que c’est de tous les plaisirs indubitablement le plus inconvenable de toute façon, surtout de la façon que vous y allez , car Monsieur qui vous accompagne n’est rien. Qu’y voulez-vous être inconnue et jouer un personnage différent au vôtre? Croyez-vous que l’on ne vous connait pas malgré cela, et qu’on vous lâche des propos aucunement faits pour être entendus, mais qu’on dit exprès pour vous amuser et vous faire croire que l’on les a tenus bien innocemment, mais qui peuvent faire effet. Ou si l’on ne vous connait pas effectivement, croyez-vous que le lendemain l’on ne le sait pas, et vous même avez grand soin de raconter les aventures du bal.
Le lieu par lui-même est en très-mauvaise réputation ; qu’ y cherchez- vous? Une conversation honnête ? Vous ne pouvez l’avoir avec vos amies ; le masque l’empêche. Danser non plus ;pourquoi donc des aventures, des polissonneries, vous mêler parmi le tas de libertins, de filles, d’étrangers, entendre ces propos, en tenir peut-être qui leur ressemblent, quelle indécence ! Je dois vous avouer que c’est le point, sur lequel j’ai vu le plus se scandaliser tous ceux qui vous aiment et qui pensent honnêtement. Le roi, abandonné toute une nuit a Versailles, et vous, mêlée en société et confondue avec toute la canaille de Paris ! Et y voyez-vous beaucoup de gens, en femmes ou en hommes, posés et de réputation? Enfin, ma chère soeur, prenez-moi pour exemple. Je n’irais certainement pas que presque démasqué et en compagnie de quelques personnes sensées, afin que tout le monde me connaisse, et je m’ établirais dans une loge, à voir le spectacle pendant une heure, et puis je reviendrais chez moi. Je suis toujours démasqué ; la Grande-Duchesse ne se mêle jamais dans la foule à Florence, mais va se mettre dans une loge. Mon frère aussi, enfin c’est un point qui, si vous ouvriez les yeux, vous devrait choquer, car je dois lâcher le mot, il est indécent et peu fait pour donner au public de l’opinion ni de votre goût, discernement ni mesure.
L’exercice immodéré et trop fréquent du cheval est toujours par lui-même dangereux à une femme, mais dans votre situation le public, dont je suis parfaitement bien informé, soit préjugé, soit raison, attribue à l’exercice du cheval que vous n’avez point d’enfants. On croit cela généralement, ainsi pour ce grand objet et pour ne point donner une prise si marquée sur vous, modérez ce plaisir et surtout évitez les occasions où cela est si saillant comme les chasses et parties au bois de Boulogne, où tout Paris accourt et qui en fait la nouvelle.

Mais en vous dégoûtant de plusieurs soi-disant amusements, oserais-je, ma chère soeur, vous en substituer un autre qui les vaut richement tous ? C est la lecture. De grâce, regardez cet objet comme ce qu’il y a de plus important, et choisissez des livres, qui vous fassent penser et qui vous instruisent. Cette ressource vous restera seule toute votre vie, dans toutes les occasions et circonstances possibles, enfin si vous l’éprouvez sérieusement pendant une couple d’heures par jour, mais pas seule. Tâchez de lire avec quelque horaire  sensé et assidu, afin d’en causer et faire les applications nécessaires. Vous y prendrez goût, vous n’aurez plus besoin de la dissipation ni de courir non sans bien des inconvénients après elle, et pour tuer le temps, fréquenter des sociétés dangereuses et que vous même méprisez. La lecture vous tiendra lieu de tout et ces deux heures de calme vous donneront le temps de réfléchir et de trouver dans votre pénétration tout ce que vous aurez à faire ou ne pas faire le reste des 22 heures.  Ce point essentiel, unique, je ne puis assez le recommander; si je le vois établi, je croirais presque le bonheur de votre vie assuré autant que par l’ardent désir que j’en ai, j’en tremble actuellement, car ainsi à la longue cela ne pourra aller et la révolution sera cruelle, si vous ne la préparez. Lecture et société raisonnable, voilà le bonheur de la vie et qui pour votre situation devient essentiel, mais dans la société, permettez que je l’observe, le ton, surtout en famille, est affreux. Gardez-vous, ma soeur, des propos contre le prochain, dont on fait tout l’amusement. Refusez de savoir les aventures et histoires des particuliers, et si vous en apprenez, si même tout le monde en parle, évitez les discours. Rien de si odieux d’abord pour les individus, rien de plus injuste par les devoirs de la société que nous nous devons mutuellement, rien de plus méprisable que d’aiguiser son esprit et de vouloir faire rire du bout des lèvres des hommes et femmes qui ensuite vous craignent, fuient et méprisent. Par des méchancetés dites sur le prochain, on fuit ces gens-là et on éloigne tous les honnêtes gens. L’on a l’air ou de ne pas se soucier de la vertu, en traitant socialement les mêmes gens, dont on sait et dit des horreurs.
Cela est destructif à la confiance, qu’une souveraine, et à la décence qu’elle doit inspirer. Evitez, je vous en supplie, ces discours, et surtout la curiosité de vouloir tout savoir, car on exagère facilement. C’est un gouffre que cette curiosité, car quand on s’y laisse aller, on n’en peut plus se tirer et l’on n’apprend que des mensonges, parce que tout le monde conspire. On devient enfin ennemi du genre humain, malheureux ; l’on est délaissé : j’en ai vu les plus affreux exemples.
De grâce, ménagez vos recommandations ! C’est un point bien délicat. Vous pouvez faire les injustices les plus criantes sans y penser et pour un souvent , dont peu vous importe qu’on oblige. Vous dégoutez dix honnêtes gens, et scandalisez le reste du monde. L’on ne cherche alors que des chemins détournés pour parvenir, et le vrai mérite, qui va toujours tout droit, reste en arrière et est oublié. Que votre crédit soit ménagé pour les grandes occasions, et dans les petites résistez courageusement aux sollicitations qu’on vous ferait, et enfin ne prenez avec chaleur parti pour personne, mais faites examiner l’affaire, ne vous mêlez jamais dans les affaires particulières et surtout les secrets ou brouilleries de ménage, et encore moins les galanteries ou affaires de coeur. II serait affreux que votre curiosité vous entrainât à paraitre savoir, approuver, protéger ou aider même peut-être au vice, au scandale, et  l’indécence.
Jugez quel effet cela ferait, et au nom de votre réputation, craignez ces occasions et surtout l’envie démesurée de savoir; elle est toujours accompagnée de celle de le raconter et de s’en mêler. II serait abominable que l’on vous trouvât dans des tripots et intrigues, et qu’on pût se couvrir de votre nom ou s’en servir d’égide pour le mal et le scandale. Adieu votre réputation et estime à jamais ; c’est des choses qu’on ne répare plus.
La politesse et l’affabilité, ma chère soeur, ont des bornes, et elles ne sont d’une valeur qu’autant qu’on les partage et ménage à propos. II faut bien de la distinction là-dessus, et il faut penser à votre situation et à votre nation, qui est trop encline à se familiariser et à manger dans la main. De grâce, ménagez-vous prudemment ; le trop vouloir plaire, dire à chacun quelque chose d’obligeant, c’est affaiblir vos moyens et jeter les plus précieuses récompenses de bons et vrais services à des gens sans mérite ; c’est leur ôter à jamais la valeur. La compagnie de tous les jeunes gens est en vérité une chose d’abord dangereuse, inutile, parce qu’on n’y apprend rien, et peu édifiante aux yeux du public. Les étrangers sont dans le même cas ; un tas d’Anglais et autres viennent ici, qui ne seraient admis de personne, et vous vous mettez en société avec eux, vous les distinguez ; cela doit choquer la nation, cela fait le plus mauvais effet dans l’étranger, où ces gens, au grand étonnement de ceux qui les jugent, se vantent de vos bontés et font singulièrement penser de vous et de vos goûts. On attribue cette facilité facilement à de la coquetterie, qui veut plaire à tout le monde, et courir après l’applaudissement de la foule, en manquant l’approbation des gens sensés au sentiment desquels la foule revient pourtant toujours à la fin.
L’ exemple dans la conduite externe et la chose la plus essentielle à une reine , votre contenance dans l’église , est- elle conforme aux yeux qui vous regardent? Pour l’amour de vous même, pensez-y sérieusement ; c’est une chose extrêmement importante et dont peut dépendre votre considération et bonheur..Que jamais une maudite mode, un bel air pris à faux vous détourne à paraitre, même si malheureusement vous n’étiez pas intérieurement, dévote, recueillie à l’église. Vous y manquez, je dois le dire, beaucoup. Le plus grand impie devait l’être par politique. Dieu vous garde de l’être ; vous perdriez la seule consolation vraie dans toutes les choses de la vie, votre tranquillité, enfin vous seriez à plaindre dans cette vie. Je ne parle pas de l’autre, mais votre conscience vous le dira. Ecoutez-la; c’est tout ce que je puis vous recommander, et n’étouffez pas les remords et les sentiments ; c’est le plus tendre, c’est le plus sûr, le plus vrai, le plus important de mes avis, il regarde votre âme, que j’aime tant, et toute votre vie en dépendra.
Que la lecture des mauvais livres, faits pour séduire les âmes les plus fortes, soit bannie de chez vous; ils font douter de tout et ne remettent rien à la place. Les obscénités sont si indécentes et l’on en parle quelquefois, croyant que c’est de la mode , et l’on ne sent pas combien scandaleux cela est et fait mépriser par les plus grands libertins mêmes. Evitez cela, et que les gens, qui vous parlent sur ce style ou vous font douter de votre religion et de ses actes externes, vous soient en horreur, et faites le leur sentir de même qu’oubliez et évitez de parler ou laisser entrevoir à jamais les saloperies, dont vous vous êtes remplie l’imagination par ces lectures.
Entretenez l’union, l’amitié dans toute la famille, mais gardez-vous de la trop grande familiarité et surtout de la séduction des étourdis, qui veulent vous avoir compagne de leur vie et couvrir leurs folies de votre autorité. Telles sont les courses des chevaux, les fréquentes allures à Paris, les bals de l’opéra, les chasses du bois de Boulogne, toutes ces parties fines dont le roi n’est point et qui de science certaine ne lui font, et à juste titre, point plaisir. Pensez que vous êtes son épouse, que vous êtes reine, et n’oubliez pas un tendre frère et ami qui vous dit tout cela, éloigné de 300 heures, sans presqu’ avoir d’espérance de vous revoir, mais qui vous aime et aimera toute la vie plus que soi même.
Voilà les observations que j’ai faites. Vous êtes faite pour être heureuse, vertueuse et parfaite, mais il est temps et plus que temps de réfléchir et de poser un système qui soit soutenu. L’âge avance, vous n’avez plus l’excuse de l’enfance. Que deviendrez-vous si vous tardez plus longtemps? Une malheureuse femme et encore plus malheureuse princesse, et celui qui vous aime le plus dans toute la terre, vous lui percerez l’âme. C’est moi qui ne m’ accoutumerai jamais à ne vous pas savoir heureuse.
Je vous embrasse. Lisez-moi, croyez-moi et vous m’en aimerez davantage, quand vous en sentirez les fruits. Arrachez le bandeau qui vous empêche de voir votre devoir et votre vrai bonheur. Devenez en réfléchissant ce que vous pourriez être pour la vie et acquérez la réputation dont vos vertus, vos agréments, votre caractère est digne ; mais de la constance et de la fermeté ! Là il est juste d’être inébranlablement entêté dans le bien, en s’opposant à tous les séducteurs avec courage et force.»

J.

« N’oubliez pas non plus, ma chère amie, de tenir l’ordre dans vos gens, de bien choisir, s’il vous en manque, de ne pas surcharger de dépenses inutiles les caisses du roi. Vous devez là-dessus au public, qui sans cela crie, l’exemple que votre caisse et vos dépenses soient réglées après vos revenus, et n’ayez pas honte de modérer vos largesses ou fantaisies et jeux après elle, pour éviter soigneusement toute dette ou dérangement. Soyez très sèche et bien attentive à écrire des billets, même à vos amis, car il en faut toujours le moins que possible. Rien ne commet plus facilement; leur interprétation tôt ou tard et l’abus qu’on en peut faire, peuvent être cruels et ne sont presque point à prévoir.»

Miniature sur ivoire. Marie-Christine est à l'extrême gauche, en compagnie de son époux Albert de Saxe, duc de Teschen... Maximilien, Marie-Elisabeth, Marie-Anne et Joseph II  autour de Marie-Thérèse... L'oeuvre est de Marie-Christine !
Joseph II, empereur du Saint-Empire romain germanique par Louis-Simon Boizot
Emmanuelle Béart est Marie-Antoinette pour Caroline Huppert, en 1988. Léa Gabrielle est madame de Lamballe et Isabelle Gélinas madame de Polignac

Joseph II tente de se servir de Marie-Antoinette à Laquelle il voue une affection véritable, pour faire adopter à la France une politique étrangère favorable à l’Autriche. Du vivant de sa mère, il se charge, en effet, essentiellement des affaires militaires et tente de mener à bien des expansions territoriales. Influencé par les philosophes français et, en particulier, par les théoriciens du droit naturel, il mène une politique de despote éclairé et parvient à promouvoir de nombreuses réformes à la mort de l’Impératrice (1780).

Françoise Seigner incarne Marie-Thérèse dans la série Marie-Antoinette (1975) de Guy-André Lefranc
Joseph II en uniforme, anonyme

Les rapports de plus en plus inquiétants de l’ambassadeur Mercy-Argenteau à l’Impératrice Marie-Thérèse provoquent chez cette dernière des craintes pour sa fille et pour l’alliance franco-autrichienne. Afin d’en savoir plus sur le contexte des difficultés de la vie conjugale de Marie-Antoinette et du Roi et de donner des conseils à tous égards, Marie-Thérèse envoie l’Empereur Joseph II en France. 

Le 18 avril 1777

Visite de Joseph II en France. Il voyage en Europe sous le nom de comte de Falkenstein. A la requête de l’Impératrice , il rend visite à sa sœur pour tenter de comprendre la stérilité du couple royal. L’Empereur, qui voyage sous le nom de comte de Falkenstein, arrive à sept heure et demie du soir au Petit-Luxembourg, où il loge chez le comte de Mercy-Argenteau, pendant son séjour à Paris.

Le Petit Luxembourg

 

Le 19 avril 1777

Joseph, suivi du comte Belgiojoso, arrive à neuf heure et demie. Sur sa demande, la Reine a envoyé l’abbé de Vermond pour l’accueillir dans la cour du château, car l’Empereur veut se rendre directement dans les petits cabinets de sa sœur, sans rencontrer âme qui vive. Fidèle à sa consigne, l’abbé, évitant les antichambres remplies de monde, lui fait emprunter corridors et escaliers dérobés qui  le conduisent jusqu’à Marie-Antoinette encore revêtue d’un déshabillé et à peine coiffée.

Le comte Louis-Charles de Belgiojoso (1728-1801), ambassadeur à Londres
Marie-Antoinette par Benjamin Warlop
Joseph II

« Le premier moment entre lui et la reine fut des plus touchants; ils s’embrassèrent et restèrent longtemps dans l’attendrissement et le silence

raconte l’ambassadeur Mercy qui tient la confidence de  l’abbé de Vermond

Jeffrey Jones campe un Joseph II plus vrai que nature dans Amadeus (1984) de Milos Forman 
Philippe Laudenbach incarne Joseph II dans la série Marie-Antoinette (1975) de Guy-André Lefranc
Marie-Antoinette accueille Joseph II par Benjamin Warlop
Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola
Image de Marie-Antoinette, Reine d'un seul amour (1989) de Caroline Huppert

Puis l’Empereur va chez Maurepas avec le comte de Belgiojoso. Ils ont à attendre neuf ou dix minutes, car le comte s’est seulement nommé au valet de chambre, sans annoncer le comte de Falkenstein. On les prie donc d’attendre car Maurepas est en entretien avec Monsieur Taboureau. Le prince d’Havré survient et fait signe au valet, qui, tout confus, ouvre la porte du cabinet. Monsieur de Maurepas se répand en excuses que l’Empereur fait cesser en disant :

« Monsieur, les affaires d’Etat doivent aller avant les visites des particuliers.»

Il fait très bonne impression sur Marie-Antoinette et Louis XVI ainsi que sur l’entourage par l’intérêt qu’il témoigne à la culture française.
Après les visites, le Roi, la Reine et l’Empereur dînent en trio. Joseph est fort en retenue, fort content et affecte presque du respect.

Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola

Au sortir de table, Joseph retourne à Paris.

Lorsque l’Empereur arrive la première fois chez la Reine, Elle dit à Sa nombreuse Cour : 

« Je ne vous présente point à mon frère, mais je vous présente mon frère.» voulant faire sentir l’incognito qu’il a résolu de garder. 
Il sera si émerveillé du bâtiment des Invalides, et surtout du dôme qu’il dit au Roi :

« Vous possédez le plus bel édifice de l’Europe. 
_Lequel donc?
_Les Invalides
_ On le dit .
_ Comment, est-ce que vous n’avez pas encore examiné cet édifice?
_ Ma foi non.

_ Ni moi non plus, reprend la Reine.
_ Ah! pour vous, ma sœur, dit l’Empereur en souriant, je n’en suis pas étonné, car vous avez tant d’affaires !»

Danny Huston y incarne Joseph II

Le 20 avril 1777

L’Empereur visite l’Hôtel des Invalides et va à l’Opéra pour voir la représentation d’Orphée de Gluck et du « Devin du village » de Jean-Jacques Rousseau.

L'hôtel des Invalides

Intelligent, sérieux, très autoritaire, mais affectueux à l’égard de sa sœur, Joseph II, qui voyage sous le nom de comte de Falkenstein, crée au sein de la famille royale une atmosphère confidentielle et fraternelle et obtint les aveux non seulement de la Reine, mais aussi du Roi. 

Le 21 avril 1777

La conversation du Roi avec Joseph II dure plus de deux heures, elle aborde même des matières d’État.

 Joseph II revient chez la Reine et, après le concert, va souper avec Elle chez Madame. Le souper est plus que gai, c’est-à-dire de la part du Roi et des deux princes ses frères.

Les Invalides
La salle-à-manger de la comtesse de Provence par Benjamin Warlop
A Versailles, Joseph II habite l’Hôtel du Juste, 6 rue du Vieux Versailles

Le 22 avril 1777
Le matin

La Reine redoute de laisser Son frère en tête à tête avec Son mari. Marie-Antoinette conduit Son frère à Trianon. ils y dînent sans autre suite que celle de madame de Mailly, dame d’atours et de madame de Duras, dame du palais.

Après le dîner

L’Empereur et la Reine se promènent seuls dans les jardins où ils ont une longue conversation. Joseph y aborde les négligences (supposées) de sa sœur à l’endroit du Roi, Son époux. Elle lui fait des aveux  plus étendus sur Louis XVI et ses entours ; Elle convient des raisons de l’Empereur, en mettant cette restriction qu’il viendra un temps où Elle suivra de si bons avis.

Le 23 avril 1777

L’Empereur arrive à Versailles, l’abbé de Vermond qui l’attendait à la porte de l’appartement, l’introduit jusqu’au cabinet. On s’embrasse avec une tendresse marquée par les larmes, puis tous les deux rient. La Reine ne parle qu’allemand, et au bout d’une demi-heure, Elle prend Son frère par-dessous le bras pour le conduire chez le Roi et de là chez les princesses.

Puis l’Empereur va chez Maurepas avec le comte de Belgiojoso. Ils ont à attendre neuf ou dix minutes, car le comte s’est seulement nommé au valet de chambre, sans annoncer le comte de Falkenstein. On les prie donc d’attendre car Maurepas est en entretien avec Monsieur Taboureau. Le prince d’Havré survient et fait signe au valet, qui, tout confus, ouvre la porte du cabinet. Monsieur de Maurepas se répand en excuses que l’Empereur fait cesser en disant :

« Monsieur, les affaires d’Etat doivent aller avant les visites des particuliers.»

Après les visites, le Roi, la Reine et l’Empereur dînent en trio. Joseph est fort en retenue, fort content et affecte presque du respect.

Au sortir de table, il retourne à Paris, où il visite la Manufacture de Sèvres, puis la Sorbonne

La Sorbonne
La manufacture de Sèvres
Joseph II

Le 24 avril 1777

L’Empereur évite avec soin ce qui ressemble au cérémonial et garde l’incognito jusqu’à ne pas se faire scrupule d’aller visiter les ministres et les grands seigneurs. Il loge à Paris où la Reine va incognito souper avec lui chez le comte de Mercy.

Image de Marie-Antoinette, Reine d'un seul amour (1989) de Caroline Huppert

Le 25 avril 1777

La Reine convient avec l’Empereur de se retrouver le soir à l’Opéra à Paris.…

Le 26 avril 1777

Joseph II participe à une course de chevaux donnée par le comte d’Artois. L’équitation est un sport que la jeune Reine apprécie particulièrement…

Fière et royale, Marie-Antoinette apparaît sur les peintures comme une cavalière aguerrie. Elle apprécie ce sport qu’Elle pratique notamment avec de Sa belle-sœur, Madame Elisabeth. Mais ce qui marque réellement les esprits ce n’est pas tant qu’une femme monte à cheval mais plutôt que cette dernière pratique l’équitation à la manière d’un homme c’est-à-dire à califourchon.

La Course des Chevaux, Jean-Michel Moreau le Jeune

Charles d’Artois est le prince pour lequel l’Empereur témoigne le plus de penchant. Il lui dit :

« Vous avez de l’esprit, des grâces et de la figure. Si l’amitié que je me sens pour vous ne m’aveugle pas, je crois apercevoir en vous tout ce qu’il faut pour devenir un grand homme ; mais permettez-moi de vous le dire, mon amitié, le bien que je vous veux, mon âge, et même mon expérience déjà bien exercée, m’en donnent le droit, avec tant de qualités brillantes, il vous faudrait peu de travail pour en acquérir de plus solides. Si mes affaires me permettaient de rester plus longtemps avec vous, je crois pouvoir me flatter que je ne tarderais pas à obtenir toute votre confiance ; nous nous aiderions réciproquement pour devenir des hommes vraiment grands.» 

Charles-Philippe, comte d'Artois par Antoine Callet d'après Duplessis, 1775
Jonas Bloquet est Joseph II dans la série Marie-Antoinette de Canal +

Le 27 avril 1777

Mercy, sortant de la maladie, se rend dans l’appartement de l’Empereur auquel il expose les points qui concernent le voyage de Joseph II :

    • les motifs sur lesquels se fonde l’ascendant de la Reine sur Son époux. Il fait savoir que celui-ci se glorifie des charmes et des qualités de la Reine qu’il aime autant qu’il est capable d’aimer, mais qu’il La craint au moins autant qu’il L’aime, ce dont il cite des preuves.

    • Il analyse les vrais sentiments de la Reine pour le Roi, observe qu’Elle le néglige trop et l’intimide souvent.

    • Il prouve que les princes de la maison de Bourbon ne se sont tenus que par l’habitude, et surtout par celle qui les accoutume à parler d’affaires…

    • Nécessité pour la Reine de songer avec le temps de former un ministère qui Lui soit dévoué…

    • Il parle des fantaisies de la Reine, de Son goût pour les diamants, de Ses dettes, de la complaisance du Roi en facilitant les moyens de les payer…

    • Il s’étend enfin beaucoup sur la passion du jeu et ses conséquences.

Joseph II
Image de Joseph II, despote éclairé (2021), documentaire de Max Jacobi

Le 29 avril 1777

Joseph se rend à Versailles, où il reste le soir. Ce n’est que deux  semaines après son arrivée, que la Reine se résout à le laisser seul avec Son mari. Le Roi parle naturellement de sa position dans l’état de mariage, et avoue que jusqu’à présent ses forces physiques ne sont pas développées, mais qu’il s’aperçoit de leurs progrès journaliers ( ce qui implique des rapports quotidiens…)  et qu’il espère d’avoir bientôt des enfants. L’Empereur se borne à le confirmer dans cet espoir et ne lui fait aucune autre question sur cette matière, la Reine ne lui en ayant rien laissé ignorer. Le Roi parle ensuite de quelques objets de gouvernement intérieur. Il reste vague ; l’Empereur ne veut l’embarrasser ni lui sembler trop curieux, il s’en tient à l’écouter et à ne parler que de manière à entretenir la conversation.

Jonas Bloquet (à droite) est Joseph II dans la série Marie-Antoinette de Canal +
Image de Marie-Antoinette, Reine d'un seul amour (1989) de Caroline Huppert

Le 1er mai 1777 
Après-midi

Joseph II va voir le Garde-Meuble du Roi.

Le 2 mai 1777

L’Empereur va voir l’hôpital général nommé la Salpétrière. Il passe ensuite à la maison de force à Bicêtre.

La maison de force de Bicêtre
Le garde-meubles du Roi

Pressentie pour épouser ce frère de Marie-Antoinette (deux fois veuf mais sans enfant et de vingt-trois ans son aîné), Madame Élisabeth obtient de Louis XVI, son frère, de pouvoir rester à Versailles, à l’instar de ses tantes.

« Nous attendons incessamment l’empereur ici. Reste à savoir quelles seront les suites de cette visite auguste. Le public veut que le mariage de Madame Élisabeth en soit le résultat mais les gens qui croient être dans la bouteille à l’encre assurent qu’il n’en sera rien et alors, son séjour ici ne peut faire qu’un mauvais effet pour cette aimable princesse dont on dira qu’il n’a pas voulu après l’avoir vue …»

Madame de Mackau à Marc de Bombelles

«[…]Je rentre à Versailles demain, où je débuterai la reprise de mon service par l’opéra qu’on donne à l’Empereur. Je voudrais bien pouvoir y céder ma place à votre petite femme qui est très affligée de ne pas y aller. Cela nous satisferait également.
Il faut pourtant, avant de finir, vous dire un mot de l’Empereur car il serait ridicule qu’une lettre partant de Versailles ne parlât pas d’un prince qui, dans ce moment-ci, y fixe toutes les attentions. Sa manière d’être, si peu communes aux personnes de son rang, étonne, mais cette simplicité ne voile pas la majesté, elle n’est qu’adoucie. Son honnêteté, sa bonté, son affabilité lui gagnent tous les coeurs. S’il n’était pas adoré dans son pays, j’en serais bien étonnée. Pour moi qui ai eu l’honneur de le voir chez Madame Elisabeth, j’en étais si contente que je formais en secret des voeux qui vraisembablement ne seront point exaucés. Mais d’après l’attachement que vous me connaissez pour ma charmante petite princesse, vous pouvez juger qu’il fallait que je crusse voir sur la physionomie de l’Empereur qu’il était fait pour la rendre heureuse. Et, dans le vrai, il ne pourrait faire un choix plus convenable car il est impossible d’être plus aimable que cette jeune princesse. Mais, mon ami, les gens de ce haut parage ne se marient pas pour le bonheur, ils ne sont pas aussi heureux que nous, n’est-ce pas ? Plaignons-les sur cet article et réjouissons-nous de l’usage que nous allons faire de notre bon sens en préférant le bonheur aux grandeurs et à l’opulence.

[…]»

Madame de Mackau à son gendre, le marquis de Bombelles

Madame Elisabeth en vestale par Charles Leclercq

Le 3 mai 1777

L’Empereur visite la Manufacture des Gobelins puis le Cabinet d’histoire naturelle du Roi au Jardin des plantes.

La Manufacture des Gobelins

Le 4 mai 1777
Dans la matinée,

L’Empereur va au jardin du duc de Chartres (le jardin du Palais-Royal), après-midi à la Comédie française, ensuite chez M. Necker, et il passe le reste de la soirée au Palais-Royal chez la duchesse de Chartres.

Le jardin du Palais-Royal

Le 6 mai 1777

Leurs Majestés dînent à la Muette. Ensuite a lieu la revue des deux régiments des Gardes à la plaine des Sablons.

Charles-Léopold de Grevenbroeck. "Vue du château de la Muette avec l'arrivée du roi". Dessus-de-porte commandé en 1738 pour la chambre du roi au château de la Muette. Huile sur zinc. Paris, musée Carnavalet.
Uniforme complet des gardes françaises de la période de la guerre de Sept Ans (1756-1763), et Garde Suisse, 1792

Le 8 mai 1777

L’Empereur va voir le matin après la messe l’Imprimerie royale, puis  la manufacture de la Savonnerie.

L'imprimerie royale
La Savonnerie est une fabrique royale de tapis, fondée au Louvre par Henri IV en 1604. Elle fut transportée en 1615 dans les bâtiments d'une fabrique de savon, quai de Billy. Cet établissement sera réuni en 1828 à celui des Gobelins.

Il va ensuite au cabinet de physique du Roi établi à Passy, puis offre une boite émaillée et d’une médaille d’or à l’abbé de l’Épée, qui instruit les sourds et muets. Il a vu cette école deux jours plus tôt.

Le cabinet de physique du roi Louis XVI à Passy, Musée Carnavalet
L'école de l'abbé de l'Epée

Joseph achève sa journée en visitant le palais du Luxembourg.

Le palais du Luxembourg

 À Versailles, après le souper avec toute la Famille Royale il y a des jeux. La Reine joue au billard, le Roi au Piquet, Monsieur au Wiscle, Madame au Tripot et le comte d’Artois à l’Ombre. Le jeu finit vers une heure après minuit. Joseph couche à Versailles devant chasser le lendemain avec le Roi.

Le salon des jeux du Roi

Le 9 mai 1777

L’Empereur va à la chasse avec le Roi : ils montent en voiture ensemble. Ils peuvent alors poursuivre leurs conversations particulières. Au retour, Joseph détermine avec quelque peine la Reine à aller trouver le Roi dans son appartement. Elle s’y rend cependant et le ramène chez Elle où l’on joue au billard jusqu’au moment du souper chez Madame.  Pour la première fois depuis son arrivée, l’Empereur abandonne le ton d’affectueuse galanterie  qu’il avait jusqu’alors adopté vis à vis de Marie-Antoinette : il L’envoie sèchement  trouver le Roi et ne perd pas une occasion de Lui faire des réflexions désagréables devant des gens qui ne manquent pas de le rapporter au Roi.

Le 10 mai 1777

L’Empereur se rend au dépôt des gardes françaises.

Isle de France Monuments de Paris N°78. Vue des boulevards, pris en face de l'Hôtel de Montmorency, et le Dépôt des Gardes Françaises.

Le 11 mai 1777

L’Empereur a une conversation fort affectueuse avec sa sœur : le ton de l’amitié et de la gaieté rétablit la confiance et la bonne volonté de la Reine. Si bien qu’Elle lui demande d’Elle-même des points par écrit pour Lui servir de règle sur Sa conduite à venir.

II résume ainsi la situation :

« Le Roi est mal élevé, il a l’extérieur contre lui , mais il est honnête, point sans quelques connaissances, mais faible pour ceux qui savent l’intimider, et par conséquent mené à la baguette, sans curiosité, sans élévation , dans une apathie continuelle, d’une vie très uniforme. Il est fort au reste, et paraît qu’il devrait pouvoir devenir père ; là-dessus il y a des mystères inconcevables ; il bande à ce que l’on dit, très ferme, il l’introduit même, mais il ne remue pas et se retire ensuite sans avoir déchargé. Nous ne faisons pas comme cela, et c’est être un « souffleur » d’un haras (cf l’étalon qui prépare les juments pour la saillie, qu’il ne pratique pas lui-même) qui est un fichu métier. La Reine est une très jolie et très aimable femme par tous les pays du monde, mais elle est ivre de la dissipation de ce pays, et bref, elle ne remplit ni les fonctions de femme ni celles de reine comme elle le devrait, car comme femme elle néglige absolument le Roi, elle le fait marcher plus d’autorité que par tous les autres moyens, elle ne se soucie ni de jour ni de nuit de sa société.»

Joseph II à son frère Léopold, grand-duc de Toscane       

Le 12 mai 1777

L’Empereur va voir l’École vétérinaire, fondée en 1765, qui est  alors et encore à Alfort, à 8 km de Paris, puis il visite le jardin de Bercy.

L'École vétérinaire

Le soir, l’Empereur se rend à l’opéra pour voir la représentation de «Alzire et les américains» de Rousseau.

Le 13 mai 1777

L’Empereur se rend au château de Bellevue, chez Mesdames, tante de Louis XVI.

Petites chamailleries entre l’Empereur et sa sœur : Joseph ne se dérange pas pour La critiquer ou La blâmer de certaines choses. 

Kirsten est la Marie-Antoinette de Sofia Coppola

« La toilette de la Reine est également un sujet de critique constant auprès de l’Empereur. Il lui reproche d’avoir introduit trop de nouvelles modes ; et la taquine sur son utilisation du rouge. Un jour qu’elle en mettait plus qu’à l’ordinaire, avant d’aller au spectacle, il lui montra une dame qui était dans la chambre, et qui était, en vérité, très fardée.  » Un peu plus sous les yeux, dit l’Empereur à la Reine ; «Mettez-vous sur le rouge comme une furie, comme le fait cette dame.«  La Reine supplie son frère de s’abstenir de ses plaisanteries, ou du moins de les adresser, quand elles sont si franches, à elle seule.»

Mémoires de madame Campan

Charlotte de Turckheim est Marie-Antoinette dans Jefferson à Paris (1995) de James Ivory
Reconstitution 3D du château de Bellevue en 1757

Puis, l’Empereur se rend à Trianon. Les dames jouent au jeu de bague et dans le jardin il y a des spectacles joués par les comédiens français. Après le dîner à Trianon, on se rend à la représentation des «Fausses Infidélités», comédie en un acte de Nicolas-Thomas Barthe, et de «L’amoureux de quinze ans, ou la double fête», comédie en trois actes et en prose composée par Johann Paul Ägidius Martini, créée en 1771.

Le Roi est au château de Choisy.

Le 14 mai 1777

L’Empereur a passé la nuit à Versailles, il a logé dans la petite chambre d’une femme de chambre de la Reine attenante à la sienne :

La porte de la c hambre de la Reine qui mène aux petits appartemnts et aux pièces de service....
Les femmes de chambre sont tout juste logées aux encoignures.
L'escalier de service qui mène aux pièces des femmes de chambre

 Il va voir le matin la grande et la petite Ecurie, la machine de Marly et le pavillon de Louveciennes, la comtesse du Barry  s’y trouve alors. Il la rencontre dans les jardins et fait avec elle quelques moments de conversation. A son retour à Versailles, il a un entretien avec le Roi qui lui fait de nouvelles confidences sur son état de mariage.

La grande Écurie du Roi
Joseph II rend visite à madame du Barry à Louveciennes

Apprenant qu’il a visité la maison de madame du Barry dont il connaît le passif avec Elle, Marie-Antoinette le boude. Une autre chamaillerie fraternelle a des origines plus frivoles : 

Joseph est à la toilette de sa sœur , lui montrant les plumes en quantité et les fleurs qu’Elle porte sur la tête, Elle lui en demande son avis. Il lui répond sèchement qu’il trouve cette coiffure bien légère pour coiffer une couronne…

Le 15 mai 1777

« L’empereur alla dîner à Choisy où toute la famille royale l’attendait ; il communiqua à la Reine la lettre écrite par V.M. qui devait partir le lendemain par le courrier ; la Reine fut frappée d’un passage de cette lettre où l’empereur marque qu’il présume que son auguste sœur a senti la force de ses avis, l’empereur, pour ne pas paraître avoir cédé à sa manière de voir et de penser : la Reine avec franchise avoua à son auguste frère qu’il l’avait devinée dans ce point et qu’elle s’était proposée de lui dire la même chose un moment avant qu’il ne partît.»

Mercy à Marie-Thérèse   

Le château de Choisy

Le 16 mai 1777 

Joseph II va à l’Académie des Inscriptions et belles lettres.

L'institut de France où siège l'Académie Française

 Le soir, Joseph se rend avec la Reine à l’opéra à la représentation d’Alceste de Gluck.

Le 17 mai 1777

Joseph II se rend à neuf heures à Saint-Denis pour y voir Madame Louise, devenue Mère Thérèse de Saint-Augustin.

Le 18 mai 1777

Joseph est présent à la cérémonie de l’Ordre du Saint-Esprit. Il y rencontre Choiseul revenu de ses terres pour l’occasion, qu’il traite avec bonté. Il lui parle longuement mais d’objets indifférents. Le duc sera mécontent d’avoir tiré si peu parti du séjour de l’Empereur.

Joseph rapporte le fait au Roi et à la Reine l’après-midi. Il rapporte que si Choiseul avait été en place, sa tête inquiète et turbulente aurait pu jeter le royaume dans de grands embarras. Le Roi applaudit à cette observation, mais cela déplaît à la Reine.

Le 22 mai 1777
Après-midi

L’Empereur va voir la maison de plaisance du duc de Penthièvre à Sceaux.

Le château de Sceaux

Le 23 mai 1777

Joseph va le matin voir le jardin du maréchal de Biron.

Il y a encore des vivacités entre l’Empereur et la Reine. Ils vont ensemble à la Comédie de la ville de Versailles, au retour, Marie-Antoinette évoque l’idée de se rendre le lendemain à la Comédie Italienne à Paris. Joseph observe que c’est un jour de jeûne, que le Roi ne dîne pas et qu’il serait mal de lui faire attendre trop tard son souper. Il ajoute à cela quelques raisons qui déplaisent à la Reine parce qu’elles sont dites en présence de deux dames du palais.

Le 24 mai 1777

Joseph emploie sa journée à voir une belle maison de plaisance nommée Ermenonville. Le château d’Ermenonville appartient au comte de Girardin, qui l’a réparé et a créé, dans le goût du temps, son magnifique parc.

Le château d'Ermenonville

Plus tard, Sophie von la Roche sillonnant  la campagne de France sans manquer un lieu de référence, arrive à Ermenonville pour voir le tombeau de Jean-Jacques Rousseau :  

« En traversant le village, j’aperçus sur une maison une inscription avec le nom de Joseph II.   Nous nous arrêtâmes, descendîmes et découvrîmes que le maître de cette chaumière bien propre avait fait placer cette pierre au-dessus de sa porte , parce que l’empereur Joseph II , lors de son passage, avait voulu déjeuner chez lui, plutôt que chez le marquis de Girardin .

L’Empereur Joseph II
a dîné dans cette maison, le XXIV May 1777.

Préférer aux palais cette simple chaumière,
Y déposer des Rois, le faste et la grandeur,
De ses hôtes charmés honorer la candeur,
Auprès d’eux conserver l’égalité première,
C’est ce qu’a fait un prince. Et vous croyries peut-être ( sic )
Qu’il faut le mettre au rang des héros fabuleux,
Si l’on ne nommait Joseph deux,
des Germains fortunés, et le père et le maître.
 
Par Mr. le Chanoine Allard de Senlis»

                           Voici la maison dite de Joseph II qui abritait l’auberge où l’Empereur s’est arrêté :

« J’entrai dans la maison; le mari, la femme, les filles et les nièces se rassemblèrent autour de moi, m’interrogèrent sur la santé de l’empereur, me parlèrent de son amabilité,  me montrèrent la place où il s’était assis, racontèrent, tous en même temps,  ce qu’il avait dit, comment il s’était informé sur tout, s’était promené dans leur jardin et s’était émerveillé que chaque coin fût si bien cultivé. Le mari, auprès duquel la femme me conduisit au jardin, me raconta avec fierté que Joseph, après avoir fait le tour du jardinet, lui avait dit :  » Si tous mes sujets s’occupaient aussi bien de leurs champs et de leurs jardins que vous le faites, je serais le plus grand et le plus heureux des princes .  » Et Joseph avait raison, car tout est si si soigneusement et correctement tenu que ces gens méritent le respect.  Tous dirent à l’unanimité qu’ils n’oublieraient jamais ce jour-là.  Chacun montrait la chaise sur laquelle il s’était assis et ils me prièrent de lui dire à mon retour combien ils l’aimaient et qu’ils ne l’oublieraient jamais .  Il faut dire qu’il les avait généreusement gratifiés, mais je remarquai toutefois que l’estime de ces gens reposait plutôt sur son comportement bienveillant que sur son cadeau.
Le respect avec lequel je parlais de l’empereur m’attira leur sympathie, ils me serrèrent tous la main et me souhaitèrent un bon voyage.  Je sortis de cette chaumière le coeur attendri et les gens me bénirent par amour pour l’empereur.»

Sophie von la Roche : Journal d’un voyage à travers la France

Joseph II incarné pour un programme télévisé
Joseph II

Puis Joseph II se rend au château de Chantilly chez le prince de Condé.

Le château de Chantilly

Le 25 mai 1777

Joseph II rend visite à Nicolas-Philippe Ledru (Comus), un illusionniste et physicien, qui fait les expériences avec l’électricité.

Puis, la Reine conduit son auguste frère à Saint-Hubert, où il chasse avec le Roi.

Vue du Château de Saint-Hubert vu de l'Etang, Thomas Compignie
Nicolas-Philippe Ledru, dit Comus (1731-1807) Simon-Bernard Lenoir, Musée Carnavalet

Le 27 mai 1777

La Reine participe à la chasse au sanglier du Roi dans la forêt de Marly.

Il y a encore une petite dispute entre le frère et la sœur en présence de Mercy ; il s’agit d’une bagatelle que la Reine désire et que Joseph conteste avec beaucoup de rigidité. Cette bagatelle entraîne une autre proposition  de la part de l’Empereur : s’il avait été le mari de sa sœur, il aurait su diriger Ses volontés et les faire naître dans la forme où il les aurait voulu. Le vrai sens de ce propos n’est pas compris par la Reine. Elle y voit le projet de La dominer et cela La mortifie. Mercy apporte de la gaieté dans la conversation afin d’apaiser le ton de l’échange , puis il reste seul avec la Reine pour lui expliquer les paroles de Joseph, ce qui La calme.

Puis Joseph discute près de deux heures avec Louis XVI à propos du gouvernement de la France, du génie de la nation. Le Roi parle ensuite de son grand désir d’avoir des enfants et s’étend sur les conséquences importantes attachées à ce bonheur. Il s’exprime sur la Reine avec un épanchement de tendresse et relève avec satisfaction toutes Ses qualités charmantes.

Le 29 mai 1777

Jour de la Fête-Dieu, l’Empereur assiste aux offices d’église.

Le 30 mai 1777

L’Empereur part ce soir, vraisemblablement au regret de tous les Français capables de sentir ses vertus et ses rares qualités personnelles.

Images de Marie-Antoinette, Reine d’un seul amour (1989) de Caroline Huppert
avec Chris Moosbrugger dans le rôle de Joseph II
LA FAMILLE ROYALE DE FRANCE Petit médaillon de forme ovale, contenant sous verre bombé dans un entourage en or les profils finement sculptés en ivoire de Louis XVI, de Marie-Antoinette, du comte de Provence, du comte d'Artois, de Henri IV, de Sully et au centre de l'Empereur Joseph II d'Autriche, sur fond en tissu de couleur vert clair. Cet objet commémoratif est réalisé à l'occasion de la visite officielle de l'Empereur Joseph II à Versailles du 19 avril au 30 mai 1777.
Service de porcelaine de Sèvres se composant de 295 pièces, offert par Louis XVI et Marie-Antoinette à Joseph II

Les adieux entre l’Empereur, le Roi et sa famille sont des plus tendres, mais ceux entre le frère et la sœur font verser des larmes. Joseph II passe un quart d’heure dans le cabinet de la Reine, seul avec Elle, et en le reconduisant, Marie-Antoinette sanglote, et lui fait des efforts pour cacher son émotion, non moins vive. Louis XVI lui a fait de superbes présents de tapisseries des Gobelins, de porcelaines…

Monsieur par le 10 juin  et trouvera l’Empereur à Toulon. Ces deux princes ont d’abord été réservés l’un pour l’autre, mais depuis peu ils se sont rapprochés. Monsieur a de grandes qualités plus analogues au caractère de l’Empereur, que celles plus brillantes qu’heureuses du comte d’Artois.

En partant, Joseph promet à la famille royale qu’il reviendrait lui faire une visite l’année prochaine…

Ces panneaux de tapisserie, représentant les fables d’Ésope, sont offerts en 1777 par Louis XVI à Joseph II. Ce sont des oeuvres de Jean-Baptiste Oudry, Pierre-Josse Perrot…

Pendant son séjour français, Joseph aurait contracté une union morganatique avec une jeune comtesse qui mourut en couches. Sa soeur aurait fait élever l’enfant du mariage, Whilhemine , à Versailles, dans une petite maison du parc où la comtesse de Gramont avait logé auparavant ; la baronne d’Oberkirch qui en parle, dit que la fille de l’empereur est le portrait même de sa tante…

Le 2 juin 1777

Départ de Versailles de Joseph II qui va visiter la France.

Le 4 juin 1777

« L’empereur, un moment avant son départ, m’a dit qu’il avait prié la Reine de me montrer les conseils qu’il lui a laissés par écrit. La Reine m’en a parlé le même jour et m’a paru frappée de l’instance avec laquelle son frère lui avait recommandé de me (les) communiquer. Elle ne m’en a pas reparlé depuis, et je n’en ai encore vu que la partie que l’empereur m’a montrée.»

Vermond à Mercy 

Le 9 juin 1777

« Avec cela sa situation avec le Roi est singulière, il n’est son mari qu’à deux tiers, et puis, quoiqu’il l’aime, il la craint davantage, et notre sœur a plus le crédit d’une maîtresse que celui qu’une épouse devrait avoir, car elle le mène de force à des choses qu’il ne voudrait pas même. Cet homme est un peu faible, mais point imbécile, il a des notions, il a du jugement, mais c’est une apathie de corps comme d’esprit. Il fait des conversations raisonnables, il n’a aucun goût de s’instruire ni curiosité, enfin il n’est impuissant ni de corps ni d’esprit, mais le fiat lux n’est pas venu, la matière est encore en globe. Imaginez que dans son lit conjugal voici le secret : il a des érections fortes, bien conditionnées ; il introduit le membre, reste là sans se remuer deux minutes peut-être, se retire sans jamais décharger, toujours bandant, et souhaite le bonsoir. Cela ne se comprend pas, car avec cela il a parfois des pollutions nocturnes, mais en place ni en faisant l’œuvre jamais ; et il est content, disant tout bonnement qu’il ne faisait cela que par devoir et qu’il n’y avait aucun goût. Ah ! si j’aurais pu être présent une fois, je l’aurais bien arrangé ! Il faudrait le fouetter pour le faire décharger de colère comme les ânes. Ma sœur avec cela a peu de tempérament, et ils sont là deux francs maladroits ensemble. Voilà à peu près la situation des choses.»

Joseph II à son frère Léopold, grand-duc de Toscane

Voici un portrait de Joseph II tracé par Manon Phlipon. Dans une lettre à son amie, Sophie Cannet, la future madame Roland, écrit à l’époque du voyage de l’Empereur en France :

« L’Empereur est bien fait, doux, simple et noble, ressemblant à la Reine grand sans excès, bien campé, blond sans être roux. Il annonce la bonté et a tout à la fois l’air digne et tant soit peu timide. Il va partout, quelquefois sans suite, à pied ou en fiacre. Il visite les hôpitaux, les monuments, il se rend toujours là où il n’est pas attendu, et saisit ainsi la vérité avant qu’on ne lui mette des voiles.» Voilà une phrase qui fleure son Jean-Jacques et nous donne un avant-goût de ces «flambeaux de la vérité» et de ces «masques de l’imposture», dont s’émailleront les discours des rhéteurs de la Révolution. Mais Marie-Jeanne à cette heure d’une visite impériale ne songe guère à revendiquer des améliorations sociales, ni à sacrifier sur l’autel de la Liberté, elle admire un souverain absolu dans la simplicité de son allure, dans son maintien, dans sa manière de s’intéresser à toutes choses. «Il donne des preuves de son goût et de sa bienfaisance par ses remarques, ses questions et ses largesses … Tout est conséquent chez lui. Il ne fait pas comme ces princes qui, venant incognito, ne laissent pas que de traîner avec eux tout leur faste. Il garde son incognito et en jouit parfaitement.Jusqu’à sa mise qui se trouve en conformité avec son programme voulu de simplicité: un habit puce avec un bouton d’acier, de petites bottines, une seule boucle à la frisure. » 

Le 10 juin 1777

Départ de Louis-Stanislas de Provence, frère de Louis XVI, pour Toulon où il retrouve Joseph II.

Le 31 juillet 1778
à dix heures et demie du soir

L’enfant royal donne son premier mouvement dans le ventre de Marie-Antoinette….

Le 18 décembre 1778

Après un accouchement difficile, Marie-Antoinette donne naissance de Marie-Thérèse, du prénom de sa grand-mère maternelle. L’enfant est surnommée «Mousseline» par la Reine.

Image de Marie-Antoinette, Reine d'un seul amour (1989) de Caroline Huppert

En juillet 1780

L’Archiduc Maximilien succède à son oncle Charles-Alexandre de Lorraine (1712-1780) en tant que grand-maître de l’Ordre Teutonique, ordre militaire chrétien apparu au Moyen Âge. Cette carrière ecclésiastique, planifiée par Marie-Thérèse qui la considère comme la perspective la plus logique pour caser un «Archiduc au huitième rang», est assurée -ainsi que le note Marie-Thérèse dans ses instructions…

Maximilien, en Grand-Maître de l'Ordre des Chevaliers Teutoniques

En août 1780

L’Archiduc Maximilien, son frère, devient archevêque de Münster et prince électeur de Cologne grâce en partie à l’appui de la France.

 Le 29 novembre 1780

Mort de l’Impératrice Marie-Thérèse après une courte maladie. Une mort à l’image de sa vie : un exemple de dignité et de force. Atteinte d’un «durcissement des poumons», elle se sentait, disait-elle, «devenir intérieurement comme de la pierre».

Françoise Seigner dans la série Marie-Antoinette (1975) de Guy-André Lefranc

Elle a pris congé de ses enfants, les présents et les absents. En prononçant le nom de Marie-Antoinette, elle n’a pas caché son émotion, puis, reprenant son calme, elle a dit :

« J’ai toujours désiré mourir ainsi ; mais je craignais que cela ne me fût pas accordé. Je vois à présent qu’on peut tout avec la grâce de Dieu.»

Pendant la nuit du 29 novembre, elle a lutté contre le sommeil :

« Pourquoi voulez-vous que je dorme alors qu’à tout moment je pourrais être appelée devant mon juge ? J’ai peur de dormir, je ne veux pas être pris par surprise. Je veux voir la mort venir.»

L'Impératrice Marie-Thérèse
Marie-Thérèse bénit Joseph II avant de mourir

La nouvelle de la mort de la souveraine est d’abord accueillie avec incrédulité. Mais les oraisons funèbres, y compris protestantes, commémorent un règne et un temps «qui ne sera plus jamais semblable» (Joseph von Sonnenfels). L’histoire de la domination de Marie-Thérèse est une mémoire à partager. Si les États voulaient s’en souvenir, elle devrait s’écrire dans la seigneurie de Frydlant (actuelle République tchèque), dans les Sudètes, dans le village de Paternion en Carinthie, d’où sont partis les transports de protestants vers la Transylvanie, dans la ville allemande et luthérienne de Levoca, aux confins des royaumes de Pologne et de Hongrie (actuelle Slovaquie), parmi les communautés magyares et serbes de Kikinda en Voïvodine, à Semlin, dans la quarantaine sur le Danube devant Belgrade, ou à Gorizia, au croisement du Littoral et de l’Esclavonie, d’où sont originaires les Cobenzl, ambassadeurs et ministres de Bruxelles à Constantinople.

Images de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola

Ses traces sont partout pour qui sait les voir. L’Impératrice-Reine Marie-Thérèse n’est pas un lieu de mémoire transnational, mais elle révèle une mémoire européenne partageable au-delà des divisions.

Joseph II est désormais seul à la tête de l’Empire.

Sa politique va s’opposer à celle de sa mère.

Il résout de prendre pour ligne directrice le principe de la raison pure et pour modèle les théories de physiocrates. Les réformes menées par Joseph s’accélèrent : tolérance religieuse, refonte en profondeur de l’Église et de l’administration… Saisi d’une sorte de fièvre réformatrice, il proclame un nombre étourdissant d’édits, intervenant dans tous les domaines. Mais la noblesse résiste, et l’agitation révolutionnaire grandit. Il devra annuler la plupart de ses décrets

La douleur de Marie-Antoinette est immense et démonstrative. Elle écrit à Joseph II : 

«Oh, mon frère, , il ne me reste donc que vous dans un pays qui m’est et me sera toujours cher… Souvenez-vous que nous sommes vos amis, vos alliés; aimez-moi…»

Du 1er au 3 décembre 1780

Le corps de l’Impératrice-Reine est exposé dans un vêtement très simple ainsi qu’elle l’a désiré.

L’urne qui renferme son cœur est portée le 2 décembre au soir dans la chapelle Notre-Dame de Lorette, contiguë au palais. On y lit l’inscription suivante :

« Dans cette urne est enfermé le cœur auguste de Marie-Thérèse, impératrice des Romains, reine de Hongrie et de Bohême : souveraine pieuse, humaine et juste, qui pendant sa vie, consacra ce cœur à Dieu, à ses sujets et au salut public. Sa libéralité prévint le pauvre, la veuve et l’orphelin; sa grandeur d’âme dans l’adversité s’éleva au dessus de son sexe. Née le 13 mai 1717, elle mourut le 29 novembre 1780.»

Ses entrailles sont déposées dans le maître-autel de l’église métropolitaine de Saint-Etienne où se trouvent celles des autres princes et princesses de la maison d’Autriche.

Le 3 décembre 1780 au soir

Le corps de l’Impératrice-Reine est conduit sur un char à l’église des Capucins. Marie-Thérèse est alors annoncée par chacun de ses titres: Impératrice douairière du Saint Empire Romain, Roi de Hongrie, Reine de Bohême, de Dalmatie, de Croatie, de Slavonie, de Galicie etc., Archiduchesse d’Autriche, Grande princesse de Transylvanie, Duchesse de Bourgogne, de Lothier, de Styrie, de Brabant, de Limbourg, de Luxembourg, de Gueldre, de Württemberg, de Haute et Basse Silésie, de Mantoue, de Milan, de Parme, de Plaisance, de Guastalla, d’Auschwitz, de Zator, Margrave de Moravie, de Burgau, de Haute et Basse Lusace, Duchesse douairière de Lorraine et de Bar, Grande duchesse douairière de Toscane, Comtesse de Habsbourg, de Flandre, de Tyrol, de Hainaut, de Kybourg, de Gorice et Gradisca, de Namur, Dame de Malines et de la Marche windique. A chacun de ses titres, l’entrée est refusée par le moine Capucin. Mais lorsqu’on l’annonce comme la plus humble des servante de Dieu, alors, le moine lui ouvre la porte de l’église…

Images de Joseph II, despote éclairé (2021), documentaire de Max Jacobi

Son corps est alors descendu dans le caveau où s’élève son monument funéraire près du tombeau de François Ier, son époux.

À la suite du décès de Charles Alexandre de Lorraine, le 4 juillet 1780, Marie-Thérèse confie la direction des Pays-Bas à sa fille, Marie-Christine d’Autriche et à son époux Albert de Saxe-Teschen. Cependant, Marie-Thérèse meurt quelques mois plus tard et son fils, Joseph II, le nouvel Empereur, confirme sa sœur et son époux dans leurs fonctions de « lieutenants, gouverneurs et capitaines généraux des Pays-Bas » par lettres patentes le 12 janvier 1781. Joseph II désigne également le duc Albert de Saxe-Teschen pour faire, en son nom, la solennelle entrée dans les Pays-Bas.

« C’est avec la plus grande satisfaction que je m’acquitte d’un ordre reçu de feu Sa Majesté l’impératrice, en conférant à Votre Altesse et à son époux le stadhourat des Pays-Bas autrichiens. Les Pays-Bas ont de nombreux avantages sur la plupart des autres contrées de l’Europe, les habitants y sont aisés, la noblesse s’y distingue par son aménité et son instruction; le commerce y est florissant; le peuple a de l’attachement pour notre maison, que notre oncle Charles Alexandre de Lorraine a su faire adorer des bons et estimables Belges. »

Joseph II, Lettre à Marie-Christine, de janvier 1781

En attendant l’arrivée des deux nouveaux gouverneurs, Albert et Marie-Christine, le prince de Starhemberg administre les Pays-Bas en tant que ministre plénipotentiaire.
Albert et Marie-Christine arrivent à Tirlemont le 10 juillet 1781, accueillis par le prince de Starhemberg et une députation extraordinaire des États de Brabant, composée de l’évêque d’Anvers, le cardinal de Frankenberg et de trois prélats, pour le clergé, des ducs Wolfgang-Guillaume d’Ursel et Louis-Engelbert d’Arenberg, du comte de Spanhem et du baron de Celles, pour les nobles, et des bourgmestres de Louvain, Bruxelles et Anvers ainsi que du pensionnaire d’Aguilar, pour les représentants des villes, puis à Bruxelles en fin de journée.

Du 31 mai au 27 juillet 1781

Joseph II voyage dans les Pays-Bas, en Belgique et en Hollande. Il décide de l’effectuer avant l’arrivée du couple de nouveaux gouverneurs généraux, sa soeur Marie-Christine et Albert de Saxe-Teschen, désignés par Marie-Thérèse peu avant sa mort. Les Pays-Bas sont alors administrés par le prince de Starhemberg, ministre plénipotentiaire depuis 1770 à Bruxelles. Aucun souverain des Pays-Bas n’avait plus visité ou résidé dans ce territoire depuis l’Archiduc Albert en 1621. Il s’agit donc d’un événement important, même si la visite est rapide ! Joseph est accompagné d’un équipage réduit, accompagné du lieutenant général de Terzy, du chirurgien Brambilla, de deux gardes nobles et de deux secrétaires de cabinet. Les principales villes des Pays-Bas où il fait étape sont : Luxembourg le 31 mai 1781, Namur, Charleroi, Mons, Courtrai, Furnes, Ostende, Bruges, Gand, Saint-Nicolas, Anvers, Malines, Louvain, Bruxelles où il passe quinze jours. De là, Joseph II effectue un crochet dans les Provinces-Unies (Rotterdam, la Haye, Amsterdam, Utrecht) et puis il reprend son voyage dans les Pays-Bas en passant par Aix-la-Chapelle, Limbourg, Spa, Louvain pour revenir à Bruxelles du 22 au 27 juillet, ville qu’il quitte finalement pour Paris et Vienne.

Joseph II visite principalement les installations militaires, les manufactures mais il assiste à des offices religieux. Il discute avec les autorités militaires, administratives et ecclésiastiques mais aussi avec les gens du peuple.
Pendant son voyage, Joseph II reçoit de nombreuses pétitions, des appels à la générosité du souverain, des demandes d’emploi, des demandes de titres, des plaintes d’héritiers dépouillés, des demandes d’interventions dans des litiges privés, des demandes d’intervention diplomatique, des pétitions relatives à l’administration des finances, des pétitions relatives à l’industrie, des pétitions relatives aux affaires maritimes et commerciales, des pétitions d’ordre politique, des pétitions relatives à l’enseignement, des pétitions relatives à la justice et à la police et des pétitions relatives aux affaires religieuses,

Le 17 juillet 1781

Les gouverneurs font leur joyeuse entrée comme duc de Brabant, au nom de l’Empereur.

Après le serment d’usage, le cardinal de Frankenberg célèbre la messe dans l’église Sainte-Gudule. Cependant, lors de la fête en soirée, un accident se produit à l’occasion du feu d’artifice et coûte la vie à vingt-quatre personnes.

Le pouvoir réel se trouve dans les mains du ministre plénipotentiaire et non plus dans celles des gouverneurs ; c’est la décision de Joseph II. Le prince Starhemberg rédige un plan pour le budget des Pays-Bas, puis est choisi comme grand maître à Vienne par l’Empereur.

À la suite du serment prêté en son nom par le duc Albert de Saxe-Teschen, Joseph II s’engage à respecter les privilèges des Pays-Bas, comme ses prédécesseurs. Cependant pendant son règne, Joseph II promulgue plus spécifiquement dans les Pays-Bas de nombreux édits ou ordonnances qui vont à l’encontre des us et coutumes des habitants.

Du 29 juillet au 5 août  1781

L’Empereur Joseph II séjourne à nouveau  à Versailles. Marie-Antoinette est alors enceinte du futur Dauphin Louis-Joseph. Au cours de cette semaine, il reprend son nom d’incognito, le comte de Falkenstein. Lors de ce très bref séjour, il ne se rend pas à Paris et reprend son appartement de l’hôtel du Juste, rue du Vieux-Versailles.

Joseph II, empereur du Saint-Empire romain germanique Anonyme
Joseph II, empereur du Saint-Empire romain germanique Anonyme

Baptisé par un historien d’« empereur révolutionnaire », l’œuvre réformatrice de Joseph II est énorme, il publiera plus de 6000 décrets et 11000 lois en dix ans. Elle touche tous les domaines. Sitôt maître absolu, il veut imposer ses réformes. D’abord religieuses, inspirées de l’Aufklärung, elles consistent à soumettre l’Église à l’État : réduction du nombre de séminaires, suppression de congrégations et d’ordres contemplatifs jugés inutiles, tolérance à l’égard des chrétiens non catholiques… Ces réformes inquiétent si fortement le Saint-Siège que le pape Pie VI fera en personne le voyage depuis Rome pour inciter l’Empereur à revenir sur ses intentions.

Fresque dans galeries du Vatican

« Monsieur le cardinal, depuis que je suis monté sur le trône et que je porte au front la première couronne du monde, j’ai fait de la philosophie la législatrice de mon empire. ( … ) Comme je déteste les superstitions et les sadacéens, je saurai en affranchir mon peuple ; à cet effet, je supprimerai les couvents et je congédierai les moines ou je les soumettrai aux évêques de leurs diocèses. On me dénoncera à Rome comme usurpateur du royaume de Dieu, je le sais, on criera bien haut que la gloire d’Israël est souillée, on s’irritera surtout que j’aie entrepris toutes ces choses sans l’approbation du serviteur des serviteurs de Dieu.
 Voilà cependant à quoi nous devons la décadence de l’esprit humain… Jamais les serviteurs de l’autel n’ont voulu consentir à ce qu’un gouvernement les reléguât à la seule place qui leur convient, et ne leur laissât d’autres occupations que la méditation de l’Évangile ; ils n’ont jamais compris que la loi civile pût empêcher les lévites d’usurper le monopole de la raison humaine. Les principes du monachisme, depuis Pacôme jusqu’à nos jours, sont entièrement contraires aux lumières de la raison, le respect des moines pour les fondateurs de leur ordre s’est changé en idolâtrie, et nous voyons revivre en eux ces Israélites qui allaient à Bethel adorer le veau d’or. Cette fausse interprétation de la religion s’est répandue dans le vulgaire, qui ne connaît plus Dieu et attend tout des saints !
 L’influence des évêques, consolidée par moi, détruira bientôt ces fausses croyances ; je donnerai à mon peuple, au lieu du moine, le prêtre ; au lieu du roman des canonisations, l’Évangile ; au lieu des controverses, la morale. J’aurai soin que le nouvel édifice que j’élèverai pour l’avenir soit durable ; mes séminaires généraux seront des pépinières de bons prêtres, et les curés qui en sortiront porteront dans le monde un esprit éclairé, et le communiqueront au peuple par un sage enseignement. Ainsi, dans quelques siècles, il y aura de vrais chrétiens ; ainsi, quand j’aurai accompli mon plan, les peuples de mon empire connaîtront suffisamment leurs devoirs envers Dieu, envers la patrie et envers le prochain, et nos neveux nous béniront un jour de les avoir délivrés de la tyrannie de Rome, et d’avoir ramené les prêtres à leurs devoirs en soumettant leur avenir au seigneur, mais leur présent à la patrie.
»

Joseph II au cardinal Hrzau

Sur soixante-trois mille moines dans trois mille couvents, on supprime d’abord tous les solitaires, tous les ordres mendiants, tous ceux qui mènent une vie purement contemplative, tous les ordres de femmes à l’exception des sœurs d’Elisabeth, qui soignent les malades, et des ursulines qui instruisent les filles pauvres.  Joseph fait passer les biens des couvents dans la caisse de la religion, et les revenus sont divisés en trois parts : la première est destinée à salarier les curés des paroisses nouvellement créées, la seconde dote les écoles publiques, et la troisième assure aux moines chassés de leurs couvents une pension viagère mais les moines, en rentrant dans la vie privée, doivent devenir des travailleurs, non des rentiers.

Pie VI, atterré, écrit à Joseph, le 15 décembre 1781:

« Comme nous avons appris par expérience que les affaires prennent une mauvaise tournure, quand elles ne sont pas traitées de la bouche à la bouche, nous avons résolu de nous rendre à Vienne, auprès de votre majesté, sans nous laisser arrêter ni par la longueur et les difficultés de la route, ni par notre grand âge et notre faiblesse, car ce sera cour nous une grande consolation que de causer avec votre majesté, et, en lui montrant toute la bienveillance de notre cœur, de l’amener à concilier les droits de sa couronne avec les intérêts de l’église. »

… ce à quoi Joseph répond sans ménagement :                                        

« Si votre sainteté persiste dans le dessein de venir ici, je puis l’assurer qu’elle y sera reçue avec le respect et la vénération dus à son éminente dignité, mais je dois la prévenir que les objets sur lesquels elle voudrait conférer sont si bien décidés, que son voyage sera absolument inutile.   (…)  »

C’est alors qu’a lieu le fameux voyage du pape à Vienne.  Pie VI part du Vatican le 27 février 1782

Parmi les autres réformes entreprises par ce monarque inspiré par l’esprit des Lumières, il faut citer sa réforme territoriale de l’administration, la création d’un statut de la fonction publique réservée aux titulaires de titres universitaires et non plus à la noblesse du royaume, une réforme totale de l’enseignement imitée de Frédéric II, l’instauration d’un mariage civil, la suppression des jurandes, l’abolition du servage et des monopoles de vente seigneuriaux, la possibilité du rachat des corvées, l’accession à la propriété des paysans en tenure. Chacun de ses sujets doit être mis en possession de ses libertés innées.

La réforme la plus audacieuse pour l’époque est l’institution d’un impôt de quotité (par tête) payable par tous les propriétaires, sans exception, et basé sur un cadastre général. Joseph II entreprend donc de supprimer les privilèges de la noblesse et du clergé. Il sème le trouble dans la double monarchie. Ses successeurs reviendront sur la plupart.

Jeffrey Jones incarne Joseph IIc dans Amadeus (1984) de Milos Forman

Il réorganise ses Etats en centralisant l’Administration , en remodelant le système judiciaire , en proclamant la liberté de la presse, en prescrivant l’utilisation de la langue allemande et en réduisant le pouvoir de l’Eglise. Il fait abolir le servage, supprime les ordres contemplatifs, proclame la tolérance pour les protestants et les orthodoxes, améliore la conditions des juifs et institue le mariage civil et le divorce.

On parle de «Joséphisme» pour décrire la politique de la période.

A Paris, Joseph avait visité l’Hôtel-Dieu, l’hôpital le plus ancien et le plus important de la capitale. Il y voit que par manque de moyen, on entasse plusieurs personnes dans un lit, les vivants à côté des morts. Cela le pousse à réorganiser l’hospice de Vienne pour créer l’hôpital le plus moiderne d’Europe : il y a désormais un lit par malade, c’est une avancée majeure pour ces personnes pauvres. On les y nourrit aussi convenablement, pour ne pas répéter les erreurs de l’Hôtel-Dieu.

Joseph recherche de plus en plus la solitude. Les épreuves l’ont-elles rendu misanthrope? 

En 1782

Par un arrêt du Conseil du roi du 25 octobre 1782, afin de rectifier et simplifier la frontière entre la Flandre française et le Hainaut français, neuf villages et hameaux du pays d’Ostrevent sont transférés de la province du Hainaut français (généralité de Valenciennes) à la province de Flandre française (généralité de Lille) : Dechy, Erchin, Férin, Flesquières(dans l’actuelle commune de Cantin), Guesnain, Lallaing, Loffre, Masny et Roucourt ; tandis que trois villages sont transférés de la Flandre française au Hainaut français : Abscon, Erre et Marquette-en-Ostrevant.

Dès 1783

L’Empereur Joseph II prend une première série de mesures qui frappent l’administration, la justice, la fiscalité, les coutumes. Ces mesures sont mal ressenties par la population.

En 1786

Joseph interdit la fabrication du pain d’épices au motif qu’il serait mauvais pour l’estomac.

Le 3 novembre 1786

Joseph II promulgue une ordonnance sur le nouveau règlement pour la procédure civile aux Pays-Bas.

Le diplôme de l’Empereur du 1er janvier 1787 portant établissement d’une nouvelle forme pour le gouvernement général des Pays-Bas modifie l’organisation administrative du pays. Au centre, le ministre plénipotentiaire devient le chef et le président d’un Conseil général du gouvernement. Autour de lui, neuf intendants représentants les neuf cercles, terme remplaçant le nom de province. Ce diplôme remplace en effet les noms des provinces au profit de neuf Cercles désignés par les noms des chefs-lieux : Anvers, Bruges, Bruxelles, Gand, Limbourg, Luxembourg, Mons, Namur et Tournai. Les cercles sont eux-mêmes divisés en arrondissements dirigés par des commissaires. En pratique, pour l’Empereur il s’agit de créer une chaîne directe de commandement de Vienne vers les arrondissements des Pays-Bas, en éliminant le filtre des États des provinces.
Le 1er janvier 1787, l’Empereur édite également un diplôme de l’Empereur portant établissement des nouveaux tribunaux de justice aux Pays-Bas. La Justice est exercée par deux Conseils souverains de justice, le premier localisé à Bruxelles, le second à Luxembourg et par soixante-trois tribunaux de première instance.
 
Mais Joseph II s’obstine et publie une série d’ordonnances complémentaires précisant et organisant en détail le nouveau système de gouvernement dont l’édit du 12 mars 1787 portant établissement des intendances de cercles aux Pays-Bas.
 
Entre l’Empereur et la Belgique, le conflit n’est donc pas seulement celui d’un souverain éclairé avec un peuple arriéré, demeuré fidèle à une constitution archaïque; on y retrouve toute l’opposition de deux conceptions politiques qui se partagent alors les esprits : l’absolutisme et la souveraineté nationale. Tous deux invoquent en leur faveur le droit naturel, et toutes deux se prétendent appelées à faire le bonheur du peuple. 
 
En avril 1787
 
A l’occasion de l’Assemblée des États de Brabant, le comte de Limminghe s’adresse à tous les habitants du pays, dans un discours retentissant.

« En ce moment, que de bruits se répandent ! Que de nouvelles alarmes pour des Citoyens, pour des Chrétiens !… Les Temples du Dieu vivant fermés tout-à-coup, ou pour être dépouillés par des mains profanes, ou pour rester éternellement interdits ; de nouvelles violences contre de paisibles & édifiants Religieux ; de nouvelles profanations de tous les genres ; des Impôts qui emportent la moitié de nos possessions ; un empirisme qui soumet le produit de nos terres & de nos champs, toutes les richesses territoriales & nationales, aux spéculations de l’impéritie & de la sottise ; des vexations qui détruisent notre commerce de fond en comble ; un espionnage qui intercepte toute liberté ; un Code qui substitue aux lois de l’honneur & de l’équité, l’infamie du fouet & du knout ; une conscription qui condamne l’enfant sortant du sein de la mère, à l’esclavage & à la corruption du soldat… Arrêtons nos larmes, modérons notre désespoir. Il nous reste un vœu : c’est la stérilité de nos épouses & de nos filles, & que la Nation finisse avec son bonheur : Beatæ steriles & ventres qui non genuerunt. »

Le comte de Limminghe , Exposé devant les États du Brabant du 23 avril 1787

L’avocat Henri van der Noot intervient par après dans un discours conservateur pour défendre les privilèges acquis :

« Mais il est temps que je finisse : car si je devais détailler toutes les infractions et atteintes faites et portées à nos Privilèges & à la Constitution fondamentale de cette Province, il me faudrait écrire des volumes. Je crois en avoir dit assez pour vous démontrer, Messeigneurs, que la constitution fondamentale du Pays est violée, malgré le fait que le Duc Régnant, par sa Joyeuse Entrée, ait si solennellement promis & se soit obligé sous serment de la garder & remplir exactement. »

Henri van der Noot , Exposé devant les États du Brabant du 26 avril 1787

En 1788

Le prix du pain augmente tant qu’on s’en prend aux boulangers. 

Le 14 juillet 1789

Prise de la Bastille, à Paris.

La prise de la Bastille dans Les Années Lumière (1989) de Robert Enrico

Joseph trouve juste ce qui arrive à son beau-frère : il arrivera la même chose à ceux qui laissent régner leurs ministres, commente-t-il sèchement. Il estimle que Louis XVI n’a su le suivre dans la voie qu’il essayer de lui suggérer pour mieux connaître son peuple et que le Roi de France est resté coincé dans sa Cour en ignorant la détresse de ses sujets.
Désormais, Marie-Antoinette incarne la coupable légéreté des souverains qui a conduit à la révolution, que Joseph évoquait déjà en 1769.

Un portrait de Joseph II sur une bague en or et diamants. XVIIIe siècle
La Hofburg de Vienne

Le 20 février 1790

Joseph II meurt dix ans après sa mère, seul et rongé par le chagrin. Léopold II (1747-1792), son frère, devient Empereur des Romains, mais est alors toujours à Florence  et ne quitte pas sa capitale toscane avant le 3 mars.

L’annonce de sa mort est un soulagement pour ses sujets. Les bonnes intentions de l’Empereur n’ont pas toujours eu les résultats escomptés et son frère Léopold II lui succédant , a eu à lâcher du lest sur plusieurs points. Joseph II reste néanmoins dans le souvenirs des Autrichiens comme l’un de leurs plus grands empereurs. Il se sera préoccupé de faire disparaître le préjugé, le fanatisme, la partialité et la servitude. 

Dans l’une de ses dernières lettre, Joseph écrivait : 

« Intimement convaincu de la pureté de mes intentions, j’ose espérer qu’après ma mort, la postérité examinera mes buts et pésera mes actes de manière plus favorable et avec un peu plius d’impartialité et donc de justesse.»

Cela suggère qu’il pensait à un certain échec de son règne …

Sa pensée aurait pu sauver la monarchie un peu partout autour de l’Autriche. 

Une vie simple et une fin simple comme en témoigne son tombeau dans la crypte des Capucins à Vienne. Totalement différent de celui, très baroque, de ses parents.

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