L’affaire du collier est une escroquerie qui a pour victime, en 1785, le cardinal de Rohan, évêque de Strasbourg, et qui éclabousse la réputation de Marie-Antoinette.
En 1772
Louis XV souhaite faire un cadeau à madame du Barry. Il demande aux joailliers parisiens Bœhmer et Bassange de créer un collier de diamants inégalable. Cela prend aux bijoutiers un temps certain, du fait de la qualité des pierres à collecter ; Louis XV mourut entre temps.
Attention… le collier était à porter ainsi :
Le tout coûtait 1 600 000 livres… Peu de personnes devenaient donc aptes à y prétendre.
Et c’est à la Reine que les joailliers s’adressent alors.
En 1778
Le nouveau Roi, Louis XVI, souhaite Lui offrir le collier, mais Elle le refuse. Selon madame Campan, la Reine aurait déclaré que l’argent serait mieux dépensé pour l’équipement d’un navire de guerre.
Aussi sautent-ils sur l’occasion lorsqu’un acquéreur se fait connaître: c’est le Cardinal de Rohan (1734-1803).
Enfin , celui-ci pense agir pour la Reine grâce à l’entremise de Jeanne de La Motte (1756-1791), une descendante d’un bâtard de Henri II. Elle se fait donc passer pour une Valois ce qui la rend tout de suite plus crédible aux yeux du prélat .
Madame de La Motte explique les conditions dans lesquelles elle a connu Rohan : par l’intermédiaire de la marquise de Boulainvillers. Elle déclare avoir bénéficié de la protection de «Madame» (la comtesse de Provence ?) et obtenu grâce à elle une pension annuelle de 1.500 livres du Roi (en 1784).
Louis de Rohan a été ambassadeur de France en Autriche et sa lubricité a scandalisé Marie-Thérèse qui a communiqué son dégoût à Marie-Antoinette. La distance de la Reine à son égard affecte le cardinal.
La comtesse de La Motte, qui se dit intime de Marie-Antoinette, se propose de tout régler entre eux. Ivre d’argent, elle entend parler de la parure et imagine comment se l’approprier.
En mars 1784
Commence une correspondance entre le cardinal de Rohan qui croit écrire à la Reine quand il reçoit des missives signées Marie-Antoinette de France alors que l’aumonier de France aurait dû savoir que les reines ne signent que de leur nom de baptême, de leur prénom surtout !
Jeanne de La Motte qui se sera échappée en Angleterre publiera, en 1788, cette correspondance, ce qui nous permet de . restituer ici l’évolution de l’envoûtement du cardinal qui pense écrire à la femme qu’il adore mais qui le méprise depuis Son arrivée en France.
Voici ce à quoi ressemblent ces échanges :
Le 21 mars 1784
« Madame,
La charmante Comtesse m’a fait part combien vous avez paru sensible au récit qu’elle vous a fait de petits services que je lui ai rendus. L’intérêt seul qu’elle m’inspire m’a engagé à saisir toutes les occasions de l’obliger ; car certainement j’étais très éloigné de prévoir qu’elle serait un jour à même de parler de moi d’une manière à vous faire revenir des mauvaises impressions que mes ennemis vous ont toujours donné de mon caractère. Le hasard m’a donc mieux servi que toutes démarches car vous savez tout ce que j’ai fait pour me procurer le moyen de vous parler un instant sans avoir pu y réussir. Les personnes que je devais croire mes amis et qui avaient votre confiance, ont su profiter du désir que j’avais de faire cesser ma disgrâce, pour faire des imprudences, afin de mieux réussir et, sans une circonstance aussi extraordinaire que celle qui se présente aujourd’hui, j’aurais toujours passé à vos yeux pour un monstre, sans espoir de pouvoir jamais me justifier. Mais l’espérance commence à luire dans mon cœur et j’ose croire que vous ne dédaignerez pas de m’entendre. Que votre belle bouche prononce un oui, vous verrez votre esclave à vos pieds, et ce jour sera le plus heureux de sa vie.»Lettre du cardinal à celle qu’il croit être la Reine
Le 8 avril 1784
« Madame,
Je conçois aisément que d’après tout ce qui s’est passé, ce serait une contrariété dans votre conduite envers moi si l’on vous voyait m’accorder ouvertement et aussi promptement une protection que vos alentours vous ont persuadés que je ne méritais pas. Ce serait, sans doute, donner l’alarme à tous mes ennemis, qui ne manqueraient pas de se réunir dans cette occasion. Mais tous leurs effort seraient bien inutiles, si mon cher maître a le désir de pardonner à son esclave. Souveraine aussi puissante que respectée, vos volontés seront toujours des lois auxquelles vos alentours seront trop heureux de souscrire. Si cependant vous avez des raisons particulières pour garder des ménagements jusqu’à une certaine époque, je me conformerai à tout ce qui pourra vous plaire et j’éloignerai de tout mon pouvoir tout ce qui pourrait troubler la tranquillité et le bonheur de mon cher maître. J’ose espérer pour dédommager votre esclave soumis de toutes les contrariétés qu’il sera forcé d’éprouver que vous voudrez bien le mettre encore à même de baiser cette belle main et entendre cette charmante bouche prononcer son pardon.»Lettre du cardinal à Marie-Antoinette … de France
Le 10 avril 1784
« J’ai lu avec indignation la manière dont vous avez été trompé par votre nièce. Je n’ai jamais eu aucune connaissance des lettres dont vous me parlez et je doute qu’elles aient jamais existé. Les personnes dont vous vous plaignez ont effectivement contribué à votre disgrâce mais les moyens qu’ils ont employés étaient bien différents de ceux que vous supposez. J’ai tout oublié et j’exige que vous ne parliez jamais de rien qui ait rapport au passé. Le récit que la Comtesse m’a fait de la conduite que vous avez tenue avec elle m’a fait beaucoup plus d’impression que tout ce que vous m’avez écrit. J’espère que vous n’oublierez jamais que c’est à elle que vous devez votre pardon ainsi que la lettre que je vous écris. Je vous ai toujours regardé
comme u n homme très inconséquent et très indiscret. Cette opinion m’engage nécessairement à beaucoup de réserve et je
vous avoue que c e n’est que par une conduite toute opposée à celle que vous avez tenue que vous pourrez gagner ma confiance
et mériter mon estime.»Marie-Antoinette de France
On imagine aisément Jeanne de La Motte dicter ces propos à Louis Rétaux de Villette en s’esclaffant de s’envoyer ainsi des fleurs à elle-même…
Le 6 mai 1784
« Oui ! Je suis le plus heureux mortel qui existe. Mon maître me pardonne. Il m’accorde sa confiance et pour comble de bonheur, il a la bonté de sourire à son esclave et de lui faire publiquement des signes d’intelligence. Ces faveurs inattendues m’ont causé une si grande émotion, que j’ai craint pour un instant qu’on en soupçonne le motif par les réponses extraordinaires que j’ai faites. Mais j’ai été bientôt rassuré lorsque j’ai vu qu’on attribuait ma distraction à tout autre motif. Aussi ai-je pris un air d’approbation afin de détourner du véritable objet. Cette circonstance est pour moi un avertissement qui m’engagera désormais à diriger mes démarches et mes réponses d’une manière plus prudente.
Je sais apprécier toutes les obligations que j’ai à la charmante Comtesse. Dans quelque position que je me trouve, je saurai reconnaître ce qu’elle a fait pour moi. C’est entendu, tout dépend de mon maître. La facilité qu’il a de faire des heureux fait désirer à son esclave les moyens de suivre ses traces et d’être l’écho de ses volontés.»Lettre du cardinal à Marie-Antoinette … de France
Quand l’entrevue du bosquet se prépare … :
Le 19 mai 1784
« Je ne peux blâmer le désir que vous avez de me voir. Je voudrais, pour vous faciliter les moyens, lever tous les o obstacles qui s’y opposent, mais vous ne voudriez pas que je fisse des imprudences pour abréger une chose que vous devez être persuadé d’obtenir dans peu. Vous avez des ennemis, qui vous ont beaucoup desservi auprès du ministre. (La Comtesse vous dira la signification de ce mot, dont vous vous servirez à l’avenir.) Leur expulsion ne peut que vous être avantageuse. Je sais les révolutions et les changements qui doivent arriver, et j’ai calculé toutes les circonstances qui amèneront infailliblement les oc casions que je désire. En attendant soyez très circonspect, discret surtout, et comme on ne peut prévoir tout ce qui peut arriver, soyez réservé et très concis dans ce Que vous m’écrivez désormais.»
Marie-Antoinette de France
Le 2 juin 1784
« La Comtesse a mal compris ce que je lui ai dit relativement à la prière que je lui faisais de vous demander une entrevue. Je serais très injuste et vraiment indiscret de solliciter cette faveur d’après les obstacles qui s’y opposent et dont vous avez bien voulu me faire part. Voilà précisément ce que je lui ai dit en plaisantant, ne croyant nullement qu’elle vous en ferait part : « Charmante Comtesse, vous êtes bien aimable et vous méritez sans doute cet attachement qu’on a pour vous. Que vous êtes heureuse ! Vous verrez demain mon cher maître. Vous serez à ses pieds, tandis que son fidèle esclave vit dans une contrainte continuelle ; privé du seul et unique plaisir qu’il aurait de le voir, l’admirer, l’adorer et jurer à ses pieds que son respect, son attachement, son amour ne finiront qu’avec la vie. Vous pouvez mettre le comble à tous mes vœux. Cela dépend beaucoup de vous.
Ecoutez-moi. Je serais au désespoir que mon !maître imagine que toutes mes démarches n’ont pour but que l’ambition et le désir de me venger de mes ennemis. La prière que je lui ai faite de me recevoir a pu lui faire naître de pareils soupçons. Pour les faire cesser et lui persuader que je n’ai d’autre but et d’autre désir que de lui plaire, dites-lui que je consentirais bien volontiers de passer pour toujours dans l’esprit du public pour un homme disgracié et qui l’a bien mérité s’il voulait m’accorder les faveurs qu’il vous fait. Cet aveu est aussi sincère que le désir que j’ai de voir mes vœux accomplis. » a Comtesse a beaucoup ri de cette idée et s’est bien promise [sic!] de vous en amuser. La manière dont elle vous a rapporté notre conversation est sans doute ce qui a donné lieu aux reproches que vous me faites. Mon crime est bien pardonnable. Aussi je compte beaucoup sur votre indulgence ; vous êtes si bonne, si empressée à secourir les malheureux que votre esclave ne peut se persuader que vous le priverez encore longtemps d’embrasser vos genoux.»Lettre du cardinal à Marie-Antoinette … de France
Le lecteur sourit déjà à lire le pauvre cardinal qui se fait esclave soumis et discret mais affamé d’estime sinon d’amour, alors on imagine l’amusement de Jeanne de La Motte et son amant qui doivent répondre à une telle missive…
Le 12 juin 1784
« Le sauvage (le baron de Planta, tout dévoué au cardinal, est ainsi désigné dans la correspondance) est enchanté. Il vient de me raconter le signe d’intelligence et de bonté qu’il a reçu du maître. Pour le contrarier, j’ai cherché à lui faire entendre que c’était à la Comtesse et non à lui que cela s’était adressé. Il était furieux. Vous voyez combien on est jaloux de vous plaire et mériter un de vos regards. Depuis ce moment le sauvage est heureux et je suis persuadé qu’il n’y a rien au monde qu’il n’entreprenne pour mériter votre estime et votre protection. Il espère que vous vous apprivoiserez avec sa figure et que ses qualités vous le feront trouver plus supportable.
J’espérais recevoir de vos nouvelles avant de partir, mais la Comtesse vient de me dire que la toilette et l’étiquette du jour ne vous avaient laissé aucun moment de libre. Je suis très content du ministre. Je ne désespère pas de le voir, un jour, mon médiateur. »Lettre du cardinal à Marie-Antoinette … de France
En juillet 1784
Nicole Leguay est abordée par Nicolas de La Motte.
Il tourne autour d’elle, l’ausculte, la dévisage pendant plusieurs jours au Palais Royal, puis finit par lui adresser la parole.
« J’eus le tort de lui répondre » dira-t-elle.
Le 28 décembre 1784
Se présentant donc comme une amie intime de la Reine, la comtesse de La Motte rencontre les joailliers Bœhmer et Bassange qui lui montrent le collier de 2 840 carats qu’ils souhaitent rapidement vendre car ils se sont endettés pour le constituer.
Tout de suite elle imagine un plan pour entrer en sa possession. Elle déclare au joaillier qu’elle va intervenir pour convaincre la Reine d’acheter le bijou, mais par le biais d’un prête-nom.
De fait, le cardinal de Rohan reçoit en janvier 1785 une nouvelle lettre, toujours signée « Marie-Antoinette de France », dans laquelle la reine lui explique que ne pouvant se permettre d’acquérir ouvertement le bijou, elle lui fait demander de lui servir d’entremetteur, s’engageant par contrat à le rembourser en versements étalés dans le temps — quatre versements de 400 000 livres — et lui octroyant pleins pouvoirs dans cette affaire.
En outre la comtesse s’est ménagé la complicité de Cagliostro, dont le cardinal est fanatique (ils iront jusqu’à déclarer « Cagliostro est Dieu lui-même ! » ). Devant le cardinal, le mage fait annoncer par un enfant médium un oracle dévoilant les suites les plus fabuleuses pour le prélat s’il se prête à cette affaire : la reconnaissance de la Reine ne connaîtra plus de bornes, les faveurs pleuvront sur la tête du cardinal, la Reine le fera nommer par le Roi premier ministre.
L’amant de madame de La Motte, Marc Rétaux de Villette (un ami de son mari), possédant un talent de faussaire, imite parfaitement l’écriture de la Reine.
Il réalise pour sa maîtresse de fausses lettres signées « Marie-Antoinette de France » (alors, je le rappelle, qu’Elle ne signe, que Marie-Antoinette, les Reines de France ne signant que de leur prénom, Marie-Antoinette n’était d’ailleurs pas de France mais de Lorraine ou d’Autriche … ou même que d’un simple trait !). La comtesse entretient ainsi une fausse correspondance, dont elle est la messagère, entre la Reine et le cardinal dont le but affiché est de les réconcilier.
Le cardinal de Rohan a beau être crédule, il a besoin de preuves des écrits qu’il reçoit de la Reine.
Or le comte de La Motte avait découvert par l’entremise de Cagliostro qu’une prostituée, Nicole Leguay (1761-1789)
que La Motte fait appeler baronne d’Oliva pour l’introduire dans son salon, opérant au Palais-Royal, s’était forgé une réputation due à sa ressemblance avec Marie-Antoinette. Madame de La Motte la reçoit et la convainc de bien vouloir, contre une somme de 15 000 livres, jouer le rôle de la Reine recevant en catimini un ami, dans le but de jouer un tour…
C’est ainsi que se trame l’entrevue du bosquet …
Voici le lieu :
Le bosquet de la Reine,
Le cadre historique de l’Affaire du Collier
( texte et photographies de Christophe Duarte ; Versailles – passion )
Le Bosquet de la Reine, tel que nous le voyons aujourd’hui, a été créé en 1774 lors de la replantation du Parc ordonnée par Louis XVI.
« Je crois qu’il n’y a point d’autre moyen pour le rendre agréable et multiplier l’espace, que d’en faire un Bosquet dans le goût moderne, de le composer de tous les arbres étrangers qui ont quelques agréments. Dans ce lieu il sera nécessaire de varier artistiquement la forme des arbres, celle des feuilles, la couleur des fleurs, le temps de leur fleuraison, et leurs différentes teintes de verdure… »
Gabriel Thouin – 22 octobre 1775
Il présente l’aspect d’un jardin à l’anglaise qui remplace le fameux Labyrinthe, construit en 1673 par André Le Nôtre et qui était formé d’une multitude de petites allées cachant dans leurs détours trente-neuf fontaines. Ce lieu subit de multiples détériorations qui amènent à sa disparition en 1774.
Remplacé par l’actuel bosquet qui prend d’abord le nom de «Bosquet de l’ancien Labyrinthe», puis «Bosquet de Vénus» avant de devenir «Bosquet de la Reine» en 1835.
Le nouveau tracé, simple mais élégant, avait été conçu pour mettre en valeur des arbres exotiques introduits en France au XVIIIe siècle : séquoia, cèdre du Liban, pin de Corse, noyer noir d’Amérique et marronnier rouge. La salle centrale est plantée de dix tulipiers de Virginie.
Ce bosquet ne comporte ni vase ni statues : son intérêt vient essentiellement de l’essence de ses arbres, pour la plupart nouvellement introduites en France. En pénétrant ces lieux ouverts on a le sentiment d’entrer dans une parfumerie naturelle tant la flore exhale des parfums sensationnels !
Un nouveau réaménagement sera réalisé sous Louis-Philippe en 1839.
Une nouvelle campagne de replantation touche tout le parc dans les années 1860-1880.
L’état actuel du bosquet est l’héritier de cette replantation.
Les arbres plantés à cette époque, arrivés à obsolescence, sont décimés par les tempêtes de février 1990 et de décembre 1999.
Une campagne actuelle de replantation a pour but de redonner à ce Bosquet son état XVIIIe siècle.
C’est ici que se déroule la fameuse scène de l’Affaire du collier où la fausse Marie-Antoinette rencontre le Cardinal de Rohan.
Dans la nuit du 11 août 1784
Entre onze heures et minuit
Le cardinal se voit confirmer un rendez-vous au Bosquet de Vénus dans les jardins de Versailles à onze heures du soir.
Là, Nicole Leguay, déguisée en Marie-Antoinette dans une robe de mousseline à pois (copiée d’après le tableau d’Élisabeth Vigée Le Brun…), le visage enveloppé d’une gaze légère noire, l’accueille avec une rose et lui murmure un « Vous savez ce que cela signifie. Vous pouvez compter que le passé sera oublié ».
Avant que le cardinal puisse poursuivre la conversation, Madame de La Motte apparaît avec Rétaux de Villette en livrée de la Reine avertissant que les comtesses de Provence et d’Artois, belles-sœurs de la Reine, sont en train d’approcher. Ce contretemps, inventé par madame de La Motte, abrège l’entretien.
Nicole Le Guay d’Oliva explique qu’elle ne savait pas qu’on lui faisait jouer le rôle de la Reine. Jeanne de La Motte et son mari lui ont donné pour instruction de remettre une lettre et une rose à « un très grand seigneur » et de lui dire « vous savez ce que cela veut dire ». Le Guay d’Oliva ne sait pas qu’il s’agit de Rohan. Jeanne de La Motte lui fait croire que la Reine assiste à la scène et même, qu’Elle s’adresserait à elle.C’est Jeanne de La Motte elle-même qui habille Nicole d’Oliva :
« Je fus mise en robe blanche de linon moucheté. C’était, autant que je puis me souvenir, une robe à l’enfant, ou une gaule, espèce de vêtement qu’on désigne plus souvent sous le nom de chemise ; et l’on voulu que je fusse coiffée en demi-bonnet. »
« Entre onze heures et minuit », dit-elle, d’Oliva sort avec Jeanne de La Motte et son mari.
«J’étais couverte d’un mantelet blanc, et j’avais une thérèse sur la tête.»
Point capital, d’Oliva indique que «la nuit était sombre, pas le moindre clair de lune,et je ne pouvais rien distinguer que les personnes et les objets qui m’étaient familiers.»
Nuit noire et thérèse sur la tête : voilà sans doute ce qui explique pourquoi Rohan ne s’est pas aperçu qu’il n’avait pas affaire à la Reine… La Demoiselle d’Oliva raconte la fameuse scène ainsi ( ce sont ses propres termes ) :
« Je présente la rose au grand seigneur inconnu ; et je lui dis, vous savez ce que cela veut dire, ou quelque chose d’à peu près semblable. Je ne puis affirmer s’il la prit, ou s’il la laissa tomber. Pour la lettre, elle resta dans ma poche ; elle fut entièrement oubliée. Dans l’instant même que je venais de parler, la dame de La Motte accourt vers nous, et dit très bas, mais avec précipitation : vite, vite, venez. C’est du moins tout ce que je me rappelle avoir entendu. Je me sépare de l’inconnu, et me retrouve à quelques pas plus loin, avec le sieur de La Motte ; tandis que sa femme et l’inconnu partent ensemble et disparaissent. (…) Le sieur de La Motte me reconduit à l’hôtel garni. Nous restons à causer, en attendant le retour de la dame de La Motte. Elle arrive sur les deux heures après minuit (…) ».
Le témoignage de la demoiselle Le Guay d’Oliva est clair: La Motte, et son mari, ainsi que Rétaux de Villette ont tout manigancé. Elle a participé à une mise en scène destinée à tromper le cardinal. Ce témoignage capital est accablant pour La Motte et disculpant pour Rohan. Le témoignage de Le Guay d’Oliva est d’autant plus crédible, qu’on ne saurait la soupçonner de s’être entendue avec Rohan pour faire accuser La Motte : en effet, Rohan accuse d’Oliva, dans son mémoire, d’avoir été de mèche avec La Motte !..»
Le lendemain (12 août 1785)
Le cardinal écrit une lettre à la « Reine », regrettant la brièveté de la rencontre. Il est définitivement conquis, sa reconnaissance
et sa confiance aveugle en la comtesse de La Motte deviennent plus que jamais inébranlables :
« Mon adorable maître, permettez que votre esclave exprime la joie qu’il ressent des faveurs que vous lui avez accordées. Cette rose charmante est sur mon cœur. Je la conserverai toute ma vie. Elle me rappellera sans cesse le premier instant de mon bonheur. En quittant la Comtesse j’étais si transporté que, sa ns m’en apercevoir, je me suis trouvé à l’endroit charmant que vous aviez choisi. Après avoir traversé la charmille, je désespérais de connaître la place où votre esclave chéri s’est précipité à vos pieds, destiné sans doute à n’éprouver dans cette belle nuit que des sensations heureuses. J’ai retrouvé ce joli gazon que ces jolis petits pieds avaient un peu foulé. Je m’y suis précipité comme si vous aviez encore été et j’ai baisé avec tant d’ardeur l’herbe sur laquelle vous étiez assise que cette belle main qui m’a été livrée avec cette grâce et cette bonté qui n’appartient qu’à mon cher maître … J’ai eu beaucoup de peine à quitter ce lieu enchanté … J’y aurais sûrement passé la nuit, si je n’avais craint de causer quelques inquiétudes à mes alentours, qui savaient que j’étais sorti. Rentré chez moi, je n’ai pas tardé à me mettre au lit. J’ai eu beaucoup de peine à m’endormir. L’imagination frappée de votre adorable personne m’a causé pendant le sommeil des sensations les plus délicieuses. Heureuse nuit ! Vous avez été le plus beau jour de ma vie. Adorable maître, votre esclave ne peut trouver d’expressions pour peindre sa félicité. Vous avez vu hier son embarras, sa timidité, son silence, effets naturel de l’amour le plus pur. Vous seule dans l’univers pouviez produire ce qu’il n’a jamais éprouvé. Je crois quelquefois avoir fait un rêve agréable. Mais, rapportant toutes les circonstances de mon bonheur, me rappelant ce son de voix enchanteur prononcer mon pardon, je me porte à des excès de joie accompagnés d’exclamations qui, si elles pouvaient être entendues, feraient croire au dérangement de mon cerveau. Voilà mon état. Je le trouve bien heureux et je désire le conserver toute ma vie.
Je ne partirai pas que je n’ai reçu de vos nouvelles.»Lettre du cardinal à Marie-Antoinette … de France
Madame de La Motte profite de sa position dans l’estime du cardinal pour se rappeler à lui par le biais de la «reine», et ainsi préparer la suite du plan…
Le 9 août 1784
« Je crois avoir trouvé l’occasion et le prétexte que le maître désire. Je lui ai fait part dernièrement des craintes de son esclave, et des dangers auxquels il s’expose, surtout d’après les soupçons que son assiduité a fait naître. une découverte le perdrait à jamais par les tournures qu’on donnerait à la chose et malgré l’autorité du maître, il se trouverait forcé de sacrifier son esclave pour ne pas être compromis dans des propos qui ne finiraient jamais. Nous sommes quelquefois forcés de donner notre confiance à des alentours qui profitent souvent des circonstances pour nous engager à faire des inconséquences que nous n’apercevons pas d’abord. Leur but est d’avoir des armes qu’ils savent tourner contre nous pour conserver leur empire et nous mettre dans l’impossibilité d’agir selon nos désirs. Voilà la position du maître. Contrarié dans ses vues, dans ses projets, dans sa conduite même, il voit mais trop tard, le danger qu’il y a de se livrer sans réserve surtout aux méchants qui savent tirer parti de tout. Ne sachant pas encore la raisons des ménagements qu’il doit avoir, ni la nature de ses confidences, je ne peux lui donner aucun conseil, ni chercher les moyens d’éviter tout ce qui pourrait lui être désagréable. C’est entendu. Je dois donc me borner à lui indiquer le moyen de faire venir ouvertement son esclave sans que le ministre, les P(olignac), les V(audreuil), les B(esenval) etc. puissent faire aucune réflexion sur cette démarche. Ce premier pas fait, rien ne sera plus facile que de continuer des visites qui ne seront naturelles d’un côté et sans conséquence de l’autre.
Vous avez dans ce moment une jeune personne qui travaille sous vos yeux. Je sais que ses ouvrages vous ont plu et que vous désirez lui être utile. Elle a fait part de vos bontés à un ecclésiastique, son parent, à qui elle a beaucoup d’obligations. Celui-ci est venu me consulter et me demander s’il pouvait espérer obtenir une place qui était vacante et qui me serait demandée par vous. Instruit de toutes ces particularités, je lui ai fait dresser un mémoire qui sera remis à la petite avec toutes les instructions nécessaires ; vous trouverez la requête dans le fond de votre corbeille, et vous jugerez par ce qu’elle contient qu’il vous faut nécessairement faire venir l’esclave pour recevoir les ordres du maître. Cette démarche naturelle et l’empressement de souscrire à ses volontés, lui fournira sans doute l’occasion de montrer son indulgence et oublier insensiblement le passé.
La comtesse restera jusqu’à jeudi, afin de pouvoir me rapporter votre décision ou vos ordres.
M.B.S.T.C.B.(initiales non identifiées) . C’est entendu.»Marie-Antoinette de France
Le 13 août 1784
« Il y a un proverbe qui dit qu’un bonheur ne va jamais sans un autre. Ma triste aventure vous prouvera qu’il est faux. Ne soyez point effrayée, apprêtez-vous au contraire à bien rire et à vous moquer de moi à la première rencontre. Après le bonheur le plus parfait, je regagner furtivement le passage en question, lorsque passant près d’une charmille, un bruit assez considérable m’a fait croire que c’était quelqu’un qui voulait me surprendre. Effrayé au suprême degré, je n’ai fait qu’un saut pour me mettre hors de prise. Ma précipitation m’ayant empêché de prendre les précautions ordinaires, et ayant encore moins observé que la pluie avait rendu le terrain très glissant, je me suis trouvé sans trop savoir au beau milieu du fossé. Le sauvage qui m’attendait de l’autre côté, ne voyant dans ma chute plaisante qu’un excès de maladresse de ma part, s’est mis à rire aux éclats, se tenant les côtes et faisant des contorsions que je n’avais jamais vues chez lui. Quelques mots significatifs ont calmé pour un instant son frire immodéré et il m’a aidé à sortir promptement du bourbier où j’étais enfoncé. Vous connaissez le sérieux du sauvage. Auriez-vous jamais cru qu’après lui avoir dit le sujet de ma peur, il se serait mis à rire tout de nouveau ? Non, sans doute. Hé bien ! Le voilà parti, se tordant, se roulant dans l’herbe, et ne pouvant proférer une seule parole. Ne voyant aucun mouvement de l’autre côté, j’ai attendu avec assez de patience la fin de cette gaieté extraordinaire. Devenu un peu plus calme, je lui ai dit assez sérieusement qu’il ne m’arriverait jamais de le conduire avec moi, puisque dans un moment aussi délicat il se conduisait avec autant de folie que d’indiscrétion. «Ne me condamnez pas sans m’entendre, m’a-t-il répondu. Ecoutez-moi ; un lapin ou quelque perdrix vous ont fait peur, vous avez cru avoir à vos trousses toute la clique et sans faire la moindre réflexion vous êtes venu faire le plongeon pour vous soustraire à leurs vues. Mettez-vous à ma place. N’ayant rien aperçu ni entendu qui ait pu donner lieu à cette retraite précipitée, mon premier mouvement a été de rire : vous me racontez votre frayeur, je devine le motif qui y a donné lieu. Je vous examine, je vous vois rempli de boue, et votre culotte déchirée d’un bout à l’autre. Qui diable y tiendrait ? Je regarde. Je vois la vérité de son récit. Nos yeux se rencontrent, et nous faisons chorus. Tout allait bien jusque-là, à cela près d’une culotte déchirée et d’une mascarade assez dégoûtante. Mais la découverte de mon pouce démis a remis un peu de sérieux dans notre marche. Rentré chez moi, le sauvage a fait l’office de chirurgien ; grâce à son baume, je souffre beaucoup moins aujourd’hui. La Comtesse que j’ai vue ce matin, me voyant avec une main empaquetée, m’a naturellement demandé ce qui m’était arrivé. Quoique certain des plaisanteries qu’elle ne manquerait pas de me faire, je lui ai raconté ma triste aventure ; elle en a tant ri qu’elle a été forcée de me quitter pour passer dans un autre appartement. Les marques qu’elle avait laissées dans le salon (de son rire immodéré) m’ayant fait craindre une nouvelle ondée, je me suis retiré sans la revoir. Cette charmante rien ne manquera pas de vous raconter ce qu’elle appelle ma maladresse, mais j’espère pour cette fois que sa gaieté n’aura pas le même résultat.»
Lettre du cardinal à Marie-Antoinette … de France
Vu la vacuité de cette lettre, on se réjouit que ce ne soit pas la Reine qui a eu à la lire !
Quand la pseudo reine se met à tutoyer le cardinal pour mieux l’appâter :
Le 16 août 1784
« Une remarque qui m’a été faite hier avec un air de curiosité et de soupçon, m’empêchera d’aller aujourd’hui à T(rianon), mais ne me privera pas pour cela de voir mon aimable esclave. Le ministre part à onze heures pour aller chasser à R(ambouillet). Il reviendra fort tard, ou pour mieux dire, dans la matinée. J’espère, pendant son absence, me dédommager de l’ennui et des contrariétés que j’ai éprouvées depuis deux jours. Des imprudences m’ont conduite à ne pouvoir éloigner sans danger des objets qui me déplaisent et m’obsèdent. ils m’ont si bien étudiée et je sais si peu feindre et dissimuler qu’ils n’attribuent mon changement qu’à une discrétion qui leur paraît condamnable. Il est donc bien essentiel d’être sur ses gardes afin d’éviter toute surprise.
La question hardie qu’on m’a faite, me persuade qu’on a abusé de ma confiance et de ma facilité, et qu’on a profité des circonstances pour mettre des entraves à mes volontés. J’ai un moyen de m’en instruire, mais je veux auparavant te consulter. Comme tu joueras le principal rôle dans le projet que j’ai formé, il faut nécessairement que nous soyons aussi bien d’accord sur cet objet, que nous l’étions vendredi sur le S(ofa). Cette comparaison te fera rire sans doute, mais comme elle est juste et que je désire t’en donner des preuves ce soir avant de parler de choses sérieuses, observe exactement ce qui suit : prends le costume d’un commissionnaire, un paquet à la main et promène-toi à onze heures et demie sous les piliers de la chapelle. J’enverrai la Comtesse qui te servira de guide et te conduira par un petit escalier dérobé dans un appartement où tu trouveras l’objet de tes désirs.»
Marie-Antoinette de France
Le 18 août 1784
« Depuis la démarche que j’ai faite à la Comtesse auprès du président d’Aligre pour votre affaire des Quinze-Vingts, je soupçonne (d’après son étonnement) qu’il aura cherché à approfondir le motif qui m’a fait agir, et que, n’ayant rien pu découvrir, il en aura parlé à certaines personnes qui sont censées n’ignorer de rien, et qui peut-être dans dans cette occasion auront dissimulé leur étonnement, afin de faire voir qu’ils ont toujours ma confiance. La gêne dans laquelle je me trouve par le redoublement de leurs assiduités, les propos continuels dont je suis assaillie, les regards inquiets et curieux, lorsque je réponds à une question, tout enfin me persuade qu’ils soupçonnent notre intelligence, et qu’ils emploient tous les moyens d’en avoir la certitude.
Ce matin le ministre m’a parlé de toi avec un air de bonté qui me fait croire qu’il a reçu quelque avis. Comme ce n’est pas la première fois que cela est arrivé, et que je n’ai jamais manqué d’en instruire et de consulter les perso nnes qui, je crois, en étaient les auteurs, le tout afin de m’enchaîner davantage : je ne manquerai pas de leur faire part de mon étonnement avec des circonstances qui me feront juger si mes soupçons sont bien ou mal fondés.
Tu as bien raison de me dire que je suis dans un bois, entourée de tout ce qu’il y a de plus dangereux et de plus venimeux sur la surface du globe. Mais enfin il faut hurler avec les loups jusqu’à ce qu’on les ait emmuselés. Pour le ministre, je connais ses grosses finesses et son faible pour moi. Eux connaissaient sa brutalité et la valeur de son premier coup de boutoir. C’est ce qui me rassure. Ils savent que dans des circonstances plus délicates que celle-ci, j’ai enchaîné le lion et lui ai fait voir et croire tout ce que j’ai voulu.
Tu sais ce qui m’empêche de me débarrasser de mes sangsues. Aide-moi à découvrir et à leur ôter les moyens de me nuire. Tes désirs seront bientôt satisfaits.
Je t’attends, ce soir, à la même heure et au même endroit. j’espère avant cet heureux moment, savoir tout du ministre.
J.T.R.T.B.A.V.C.S. (initiales non identifiées) Adieu. »Marie-Antoinette de France
Voilà comment se défaire habilement d’une promesse bien difficile à tenir :
Ce même jour
« Je t’écris à la hâte pour te prévenir qu’il m’est impossible de te recevoir ce soir. Je suis plus instruite que je ne voudrais et quoique furieuse de la scène que je viens d’avoir avec la P(olignac), je veux cacher mon ressentiment et porter la dissimulation au dernier période. Je sais que la colère n’est bonne à rien, c’est pourquoi je prends le parti qui convient, quoique contraire à mon inclination. Je ne quitterai pas le ministre que je ne l’aie mis au point que je désire. Cet objet rempli, je saurai trouver un abri, et si la bombe éclate, je trouverai le moyen de faire rejaillir les éclats de ceux qui y auront mis le feu. Ne pars que demain à une heure et ne manque pas de te promener ce soir dans l’allée de T … Comme je ne doute pas (d’après ce qui m’a été dit) qu’on fait épier toutes tes démarches, il est essentiel de les embarrasser et de les mettre dans l’impossibilité de réaliser leurs soupçons.
La Comtesse restera ici demain afin de pouvoir te faire savoir ce qui se sera passé. Compte sur mon attachement et sois persuadé que je saurai traiter comme je le dois des ingrats qui sont devenus tes ennemis parce que tu ne m’as pas été présenté par eux. De la discrétion surtout ; je compte sur la Comtesse comme sur moi-même.»Marie-Antoinette de France
On remarque comme Jeanne imagine remplacer Yolande de Polignac dans l’estime de la Reine… pour le cardinal du moins… Bientôt, Rohan se rêve le nouveau Mazarin pour la France et la Reine :
Le 21 août 1784
« Je serais injuste, d’après la confiance que vous m’accordez sur les événements présents, si je ne suivais pas le plan de conduite que vous me tracez. Soyez assurée que je sacrifierai tout pour la tranquillité et le bonheur de mo n cher maître telle circonstance qui puisse arriver pendant mon absence (qui est devenue nécessaire). Il se rappellera de ma bonne foi, de mon zèle à le servir et de mon amour le plis tendre. Je ne suis pas superstitieux. Cependant, te dirai-je que j’ai des pressentiments que je crains de voir se réaliser. Plus je réfléchis aux confidences que tu m’as faites, plus je vois de possibilités à un raccommodement. Les absents ont toujours tort. Une fois arrivé à S(averne), on trouvera mille moyens de me desservir. je ne serai pas là pour me défendre. La calomnie soutenue part des lettres anonymes, qui voleront de tous côtés, seront [sic] les armes dont se serviront mes ennemis et puis viendra à leur appui le beau F(ersen). « Ce n’est pas, te dira-t-on, un homme ambitieux. Il est jeune, aimable, il n’aspire qu’au bonheur de vous plaire mais le C(ardinal) c’est un R(ou)é, dont les affaires sont très dérangées, et qui n’est susceptible d’aucun attachement qu’autant que son intérêt et son ambition sont satisfaits. » Voilà, je suis sûr, une partie de leurs entreprises et des propos qu’ils vous tiendront. Si cela ne suffit pas pour vous déterminer, ils auront recours aux derniers expédients. je vous avoue, c’est là je le crains le plus. Ce serait une scélératesse sans exemple, mais d’après leur peu de délicatesse, et le soin extrême qu’ils ont eu à soustraire et conserver ces écrits, il est évident qu’ils ne l’ont fait que dans l’intention d’en faire un mauvais usage. Cependant, d’après toutes les réflexions que j’ai faites, je crois qu’avec de la résolution, appuyé par l’autorité, on pourrait les forcer à une restitution. Infaillible, et qui cadre parfaitement avec leur caractère intéressé. Je t’en ferai part dans ma première lettre. Depuis cette découverte, mon esprit travaille sans cesse pour trouver le plus prompt et le meilleur expédient. Et je t’avoue que je reviens toujours à mon premier avis.
Je partirai le jour de la fête, et ne paraîtrai à V(ersailles) qu’autant que je recevrai un ordre particulier. Je vais, en attendant, m’occuper du grand objet. Le paquet partira demain dans la nuit. Les précaution que je prendrai éviteront toute confidence qui pourrait devenir dangereuse, et si, par malheur, il arrivait quelque surprise le porteur ne pourra donner aucun indice, ni aucun signalement.»Lettre du cardinal à Marie-Antoinette … de France
D’après madame de La Motte, la Reine aurait fait partir le cardinal pour Saverne afin de mener à bien une négociation financière avec les émissaires de Joseph II. Il s’agissait de faire passer à l’Empereur six à sept millions de livres. Mais le cardinal n’ayant pu parvenir à réunir la somme, c’est la reine qui s’en serait chargée. Elle aurait éprouvé un vif ressentiment contre le prince de Rohan.
Le 24 août 1784
« Le courrier était parti hier, à minuit et demi. La Comtesse te dira comment je m’y suis pris pour faire remettre le paquet. J’ai donné toutes les instructions nécessaires pour l’arrivée et le départ de mes deux courriers. Par ce moyen, j’aurai de tes nouvelles au moins une fois par semaine, et s’il arrivait quelque chose d’extraordinaire, j’aurai toujours une personne de confiance prête à partir. Tous mes équipages sont prêts. Demain est le jour fatal où je me sépare de tout ce que j’ai de plus cher. Cette réflexion me fait frissonner et me donne une tristesse que je ne puis surmonter. Cependant je sais que mon absence est nécessaire ici et ma présence indispensable là-bas. Je crois que je suis jaloux. C’est une terrible maladie. Le personnage en question me trouble la cervelle, et me fait redouter mon départ. Aie un peu de pitié de moi, cherche à me rassurer et persuade-toi que je ne survivrais pas à une infidélité. Adieu. Aie soin de toi. Sois heureuse et pense quelquefois à ton esclave.»
Lettre du cardinal à Marie-Antoinette … de France
Le cardinal prend de l’assurance quant à sa place dans le cœur de celle à laquelle il écrit…
Le 3 septembre 1784
« Il est bien étonnant que le courrier ne soit pas encore de retour, cela me donne des inquiétudes, d’autant plus que j’ai demandé l’expédition la plus prompte. Si, à la réception de cette lettre, il n’était pas encore arrivé, dépêche sur-le-champ un courrier avec le billet que tu trouveras ci-joint. Dis-lui verbalement à qui il faut que je le remette.
Ton départ a fermé la bouche à tout le monde. Soit discrétion ou politique, on n’a pas prononcé ton nom ; on redouble d’attention et l’on cherche à me faire oublier la scène ainsi que le motif qui y a donné lieu. Le conseil que tu me donnes est impraticable. On ne m’a jamais dit que l’on possédait, je l’ai seulement soupçonné par la conduite, les reproches et les propos que j’ai entendus. Je suis bien persuadée que telle chose arrive, ils ne s’exposèrent jamais à faire parvenir dans les mains du ministre aucun écrit, mais j’aurais toujours des inquiétudes de savoir en leur possession des objets qui pourraient troubler ma tranquillité. Je suis très décidé à prendre un parti ; mais j’ai tant fait de sacrifices pour tous ces gens-là et le ministre m’a si souvent accusée d’inconstance et de légèreté, qu’il me faut absolument un prétexte valable auprès de lui. Ce n’est pas qu’il les aime ni les estime. Au contraire, mais il prétend que c’est par rapport à moi, et qu’il en coûte toujours infiniment d’avoir de nouveaux favoris. Voilà une économie bien placée. Adieu.
Je pars demain pour Trianon, où je resterai quelques jours afin d’être plus libre de voir la Comtesse. Tu ne m’avais pas dit que le sauvage resterait à Patis. C’était bien inutile.»Marie-Antoinette de France
Le 8 septembre 1784
« Vous avez dû recevoir un paquet que je vous ai envoyé. Je suis surprise de n’e n avoir pas encore reçu la réponse. Vous devez juger de mon inquiétude par ce qu’il renferme. J’espère qu’à l’avenir vous mettrez plus d’exactitude.»
Marie-Antoinette … de France
Lorsque madame de La Motte se sert de la crédulité du cardinal pour en obtenir des biens, elle le fait voussoyer par la reine…
Le 13 septembre 1784
Le maître verra le paquet que je lui envoie que son objet est rempli et que son billet est devenu inutile. Le courrier qui a précédé celui-ci était chargé d’une lettre assez longue relative à ses alentours. D’après les plus profondes réflexions de l’esclave, il croit que le maître peut sans danger suivre le conseil qu’il lui donne, car après tout, il est le maître. J’ai fait remettre à la Comtesse une petite fiole pour vous. Elle renferme une liqueur avec laquelle on peut écrire sans que cela paraisse, et qui étant montrée au feu et à la lumière devient noire et disparaît ensuite. Dans le cas de quelques particularités, laissez vos lignes un peu écartées afin de pouvoir écrire entre avec cette liqueur. J’ai vu avant-hier la personnes en question, sa réponse m’a l’air d’une défaite honnête. il doit revenir dans la semaine pouf me dire ses dernières volontés. S’il refuse j’ai une autre personne en vue. La Comtesse vous communiquera ce qui est interdit sur cette feuille.
T.C.E.T.M.A.B. ( initiales non identifiées )»Lettre du cardinal à Marie-Antoinette … de France
Lorsqu’on voit LE sujet du collier enfin abordé…
Le 23 septembre 1784
De Saverne
« Si l’esclave est assez heureux de contribuer à la réussite du grand objet que le maître a entrepris, il croit qu’un rapprochement serait très essentiel avant l’exécution. Le voile le plus épais devant cacher à jamais l’auteur du projet, il faut mettre de l’impossibilité pour remonter à la source afin de jouir doublement des avantages et des ressources contre les événements. J’ai parfaitement senti la dernière réflexion. Il n’y a rien de stable da ns le monde. D’après cette vérité, la politique du maître est bien vue, car dans le cas d’une révolution il est sûr de trouver un appui qui saura faire valoir ses droits et empêcher le triomphe de ses ennemis. Partagé entre la crainte et l’espérance, ma position est des plis cruelles et mon existence malheureuse. Cependant quand je fais réflexion sur le passé et que je mets en considération le degré de confiance du maître, je vois l’injustice de mes craintes. L’espérance de me voir bientôt dans ses bras fait renaître ma joie, et me rend ma sécurité.»
Lettre du cardinal à Marie-Antoinette … de France
Bientôt les ambitions du cardinal créent des difficultés à la comtesse de La Motte….
Le 22 octobre 1784
« Le désir que j’ai d’être utile à la Comtesse, et de lever tous les obstacles qui s’opposent encore à une réception publique me fait mettre en usage tous les moyens possibles pour remplir ces deux objets. Le maître jugera par laz démarche que j’ai fait faire à un de mes protégés si la réussite des sollicitations pourra servir de prétexte aux désirs naturels et aplanir toutes difficultés. L’abbé de Sefarges doit céder sa place de maître de l’oratoire à l’abbé de Pfaff, originaire Allemand, et qui a ses parents à Bruxelles près l’Archiduchesse. Comme il existe une difficulté que vous seule pouvez lever, je lui ai conseillé d’aller à Bruxelles, d’employer tous les moyens auprès de l’Archiduchesse afin de l’engager à lui donner une lettre de recommandation pour vous. Comme cette affaire ne peut pas se traiter sans moi puisque je fournis les fonds, ce sera un double motif pour me faire appeler. J’avais imaginé un moyen pour accélérer et éviter un refus, mais comme cela aurait pu vous compromettre et faire naître des soupçons, je n’ai pas été plus avant, c’est entendu. Vous conviendrez que les événements se succèdent si rapidement de part et d’autre, qu’il y aurait du danger à trop s’avancer. Cette réponse politique pour un esprit ambitieux m’étonne d’autant plus que les époques dont on parle sont encore bien éloignées. Je prévois beaucoup de difficultés pour amener cela à bien. C’est entendu, je serrai toujours prêt à exécuter scrupuleusement les ordres du maître. Le plus agréable sans doute, serait d’être rappelé près de sa divine personne.»
Lettre du cardinal à Marie-Antoinette … de France
On calme les inquiétudes du cardinal, et trouve la façon de ne pas répondre à ses attentes :
Le 12 décembre 1784
« Si j’avais suivi la maxime qui dit «en tout ce que tu fais hâte-toi lentement», l’accident qui est arrivé à ta dernière lettre n’aurait pas eu lieu. L’empressement, l’avidité de lire m’ayant fait approcher la lettre trop près de la lumière, le feu y a pris et, malgré ma célérité de l’éteindre, je n’ai pu en sauver qu’une partie. A bon entendeur salut. Le premier paquet était parti lorsque le courrier est arrivé. Comme le temps pressait, je n’ai pu répondre au sujet de l’Abbé. Si j’avais été prévenue, je lui aurais évité un voyage inutile. Nous sommes convenus de ne jamais accorder à qui que ce soit aucune demande de ce genre. Certainement l’Abbé ne fera pas exception à la règle. D’ailleurs quand bien même ce projet aurait pu avoir lieu, il est censé que l’objet n’aurait pas justifié la démarche. La position où je me trouve amènera infailliblement une occasion plus favorable. L’expédition la plus prompte abrégera l’exil de l’esclave : je crois que c’est entendu. »
Marie-Antoinette de France
Le collier est clairement évoqué :
Le 26 janvier 1785
« Si je n’avais pas voulu mettre du mystère dans l’emplette du bijou, je ne vous aurais certainement pas employé pour me le procurer. Je n’ai pas coutume de traiter ainsi avec mes joaillers, et cette manière de procéder est d’autant plus contraire à ce que je me dois, que deux mots suffisaient pour me mettre en possession de l’objet : je suis surprise que vous ayez osé me proposer un pareil arrangement, mais qu’ik n’en soit plus question. C’est une bagatelle qui m’a fait faire quelques réflexions dont je vous ferai part avant peu. La Comtesse vous remettra votre papier. Je suis fâchée que vous vous soyez donné tant de peine inutilement.»
Marie-Antoinette de France
Le 1er février 1785
Convaincu, le cardinal signe les quatre traites et se fait livrer le bijou qu’il va porter le soir même à madame de La Motte dans un appartement qu’elle a loué à Versailles. Devant lui, elle le transmet à un prétendu valet de pied portant la livrée de la Reine (qui n’est autre que Rétaux de Villette). Pour avoir favorisé cette négociation, l’intrigante bénéficiera même de cadeaux du joaillier.
Immédiatement les escrocs dessertissent maladroitement le collier en abîmant les pierres précieuses et commencent à revendre les pierres. Rétaux de Villette a quelques ennuis en négociant les siennes. Leur qualité est telle, et, pressé par le temps, il les négocie si en dessous de leur valeur, que des diamantaires juifs soupçonnent le fruit d’un vol et le dénoncent. Il parvient à prouver sa bonne foi et part à Bruxelles vendre ce qu’il lui reste. Le comte de La Motte part de son côté proposer les plus beaux diamants à deux bijoutiers anglais de Londres. Ceux-ci, pour les mêmes raisons que leurs collègues israélites, flairent le coup fourré. Ils envoient un émissaire à Paris : mais aucun vol de bijoux de cette valeur n’étant connu, ils les achètent, rassurés. Les dernières pierres sont donc vendues à Londres.
Le cardinal doit s’étonner de ne voir la Reine porter ce qu’il pense être le plus beau joyau qui soit, aussi reçoit-il cette lettre :
« Comment ? De la vanité avec moi. Hé mon ami doit-on se gêner, chercher des tournures, et manquer de confiance au point où nous en sommes? Sais-tu que ta discrétion et ta fausse gloire t’ont valu la lettre que tu as reçue (cette lettre n’a pas été publiée par Jeanne de La Motte) et que, sans la Comtesse qui m’a tout conté, j’aurais attribué ce prétendu arrangement à un tout autre motif. Heureusement tout est éclairci. La Comtesse te remettra l’écrit et t’expliquera le motif de la tournure que j’ai prise. Comme je suis censée ignorer la confidence que tu lui as faite ainsi que la marque de confiance que tu lui donneras, en lui faisant voir nos arrangements particuliers, c’est une raison plus que suffisante pour la rassurer et lever toutes difficultés. Tu garderas cet écrit et ne le remettras qu’à moi. J’espère malgré mon incommodité te voir avant la fête. J’attends la Comtesse demain. Je lui dirai si je pourrai recevoir de mon esclave l’objet qui a failli nous brouiller.»
Marie-Antoinette de France
Jeanne de La Motte reprend le voussoiement de la reine quand elle s’adresse au cardinal :
Le 6 juillet 1785
« Vos craintes sont mal fondées. Le refroidissement et l’éloignement que vous croyez qu’on a pour vous n’est nullement l’effet de l’inconstance. Interrogez-vous vous-même. J’ai grand désir de vous parler. Les démarches que je vous fais faire doivent vous le prouver. Le ministre est revenu de la chasse beaucoup plus tôt que je l’attendais. Il était encore avec moi, ainsi que Madame Elisabeth lorsque je vous ai envoyé la personne de confiance. Ne partez pas aujourd’hui, trouvez-vous à dix heures chez la Comtesse et croyez que personne ne désire plus que moi l’explication que vous demandez.»
Marie-Antoinette de France
Le 12 juillet 1785
La Reine reçoit une lettre des bijoutiers de la Cour à propos du collier acquis en Son nom par le cardinal de Rohan. Elle n’y comprend rien et brûle le document en présence de Madame Campan.
Madame de La Motte tente de gérer les craintes du cardinal :
Le 19 juillet 1795
« Je crois vous avoir dit que je disposais de la somme que je désirais pour l’objet en question et que vraisemblablement je ne remplirais les engagements qu’à mon retour de Fontainebleau. La Comtesse vous remettra trente mille livres pour les intérêts. La privation du principal doit être pris en considération et ce dédommagement les tranquillisera.
Vous vous plaignez et je ne dis mot. C’est une circonstance bien extraordinaire. Le temps vous apprendra peut-être le motif de mon silence. Je n’aime pas les gens soupçonneux, surtout lorsqu’ils ont aussi peu de raison de l’être. J’ai un principe dont je ne me départirai jamais. Votre dernière conversation est bien contraire à ce que vous m’avez dit antérieurement. Réfléchissez, et si votre mémoire vous sert bien, vous jugerez, en comparant les époques, ce que je dois penser de vos pressantes sollicitations.»Marie-Antoinette de France
Le ton de la reine est bien plus narquois.
Le 1er août 1785
Pendant ce temps, la première échéance est attendue par le joaillier et le cardinal. Toutefois, l’artisan et le prélat s’étonnent de constater qu’en attendant, la Reine ne porte pas le collier.
Madame de La Motte les assure qu’une grande occasion ne s’est pas encore présentée, et que d’ici là, si on leur parle du collier, ils doivent répondre qu’il a été vendu au sultan de Constantinople.
En juillet cependant, la première échéance approchant, le moment est venu pour la comtesse de gagner du temps. Elle demande au cardinal de trouver des prêteurs pour aider la Reine à rembourser. Elle aurait, en effet, du mal à trouver les 400 000 livres qu’elle doit à cette échéance. Mais le bijoutier Böhmer va précipiter le dénouement. Ayant eu vent des difficultés de paiement qui s’annoncent, il se rend directement chez la première femme de chambre de Marie-Antoinette, madame Campan, et évoque l’affaire avec elle. Celle-ci tombe des nues et naturellement va immédiatement rapporter à la Reine son entretien avec Böhmer. Marie-Antoinette, pour qui l’affaire est incompréhensible, charge le baron de Breteuil, ministre de la Maison du Roi, de tirer les choses au clair. Le baron de Breteuil est un ennemi du cardinal de Rohan, ayant notamment convoité en vain son poste d’ambassadeur à Vienne. Découvrant l’escroquerie dans laquelle le cardinal est impliqué, il se frotte les mains, et compte bien lui donner toute la publicité possible.
Madame de La Motte les assure qu’une grande occasion ne s’est pas encore présentée, et que d’ici là, si on leur parle du collier, ils doivent répondre qu’il a été vendu au sultan de Constantinople. En juillet cependant, la première échéance approchant, le moment est venu pour la comtesse de gagner du temps. Elle demande au cardinal de trouver des prêteurs pour aider la Reine à rembourser. Elle aurait, en effet, du mal à trouver les 400 000 livres qu’elle doit à cette échéance. Mais le bijoutier Böhmer va précipiter le dénouement. Ayant eu vent des difficultés de paiement qui s’annoncent, il se rend directement chez la première femme de chambre de Marie-Antoinette, Madame Campan, et évoque l’affaire avec elle. Celle-ci tombe des nues et naturellement va immédiatement rapporter à la Reine son entretien avec Böhmer. Marie-Antoinette, pour qui l’affaire est incompréhensible, charge le baron de Breteuil, ministre de la Maison du Roi, de tirer les choses au clair. Le baron de Breteuil est un ennemi du cardinal de Rohan, ayant notamment convoité en vain son poste d’ambassadeur à Vienne. Découvrant l’escroquerie dans laquelle le cardinal est impliqué, il se frotte les mains, et compte bien lui donner toute la publicité possible.
Le scandale
La prétendue comtesse, sentant les soupçons, s’est entre-temps arrangée pour procurer au cardinal un premier versement de 35 000 livres,
grâce aux 300 000 livres qu’elle a acquis de la vente du collier et dont elle s’est déjà servie pour s’acheter une gentilhommière.
Mais ce versement, d’ailleurs dérisoire, est désormais inutile. Parallèlement, la comtesse informe les joailliers que la prétendue signature de la Reine est un faux, afin de faire peur au cardinal de Rohan et l’obliger à régler lui-même la facture par crainte du scandale.
L’affaire éclate. Entre-temps, les mêmes aigrefins, menés par l’ex-inspecteur des mœurs, agent secret et escroc Jean-Baptiste Meusnier,
en profitent pour soutirer 60 000 autres livres à d’autres bijoutiers.
De plus en plus scandalisée, Marie-Antoinette presse Vermond et Breteuil de faire éclater l’affaire au grand jour
Le 13 août 1785
Après de longues concertations avec l’abbé de Vermond et le ministre, il est décidé que ce dernier en parle au Roi, veille de l’Assomption, jour de fête de la Reine
Le 14 août 1785
Le Roi est prévenu de l’escroquerie .
Le 15 août 1785
Alors que le cardinal — qui est également grand-aumônier de France — s’apprête à célébrer en grande pompe la messe de l’Assomption dans la chapelle du château de Versailles, il est convoqué dans les appartements du Roi en présence de la Reine, du garde des sceaux Miromesnil et du ministre de la Maison du Roi, Breteuil.
Le cardinal se voit sommé d’expliquer le dossier constitué contre lui.
Le prélat comprend qu’il a été berné depuis le début par la comtesse de La Motte. Il envoie chercher les lettres de la « Reine ».
Le Roi réagit :
« Comment un prince de la maison de Rohan, grand-aumônier de France, a-t-il pu croire un instant à des lettres signées Marie-Antoinette de France ! ».
La Reine ajoute :
« Et comment avez-vous pu croire que moi, qui ne vous ai pas adressé la parole depuis quinze ans, j’aurais pu m’adresser à vous pour une affaire de cette nature ? ».
Le cardinal tente de s’expliquer. « Mon cousin, je vous préviens que vous allez être arrêté. », lui dit le Roi.
Le cardinal supplie le Roi de lui épargner cette humiliation, il invoque la dignité de l’Église, le souvenir de sa cousine la comtesse de Marsan qui a élevé Louis XVI. Le Roi se retourne vers le cardinal :
« Je fais ce que je dois, et comme Roi, et comme mari. Sortez. »
Au sortir des appartement du Roi, il est arrêté dans la galerie des Glaces au milieu des courtisans médusés. Alors que la Cour est sous le choc, il demande à un ecclésiastique s’il a du papier et un crayon, puis d’aller trouver son Grand Vicaire pour lui remettre cette missive écrite à la hâte, afin que ce dernier brûle les lettres que Marie-Antoinette lui aurait fait parvenir.
Le scandale éclate !
Le cardinal est emprisonné à la Bastille du 16 août 1785 au 1er juin 1786.
Il commence immédiatement à rembourser les sommes dues, en vendant ses biens propres, dont son château de Coupvray (à la fin du XIXe siècle, les descendants de ses héritiers continueront de rembourser sporadiquement par fractions les descendants du joaillier…). La comtesse de La Motte est arrêtée, son mari s’enfuit à Londres (où il bénéficie du droit d’asile) avec les derniers diamants, Rétaux de Villette est déjà en Suisse.
Les malheurs du cardinal de Rohan inspirent les pamphlétaires :
« Pour certain cardinal, elle (la Reine) entre en passion
Rohan, tout glorieux d’une aussi belle flamme
Fait avec ses catins bientôt diversion,
Ne quitte plus la Cour, a le bonheur de plaire,
Obtient une entrevue, a chez la Reine accès,
Couche enfin avec elle, et la rend bientôt mère.
Ce pauvre cardinal n’eut pas un long succès;
Toinon s’étant donnée, elle voulut se vendre;
Le cardinal rougit d’acheter ses bienfaits;
La Reine le vola sans qu’il put s’en défendre
Et mit sur lui le vol. De là ce grand procès.
Tout le monde vit clair; le Parlement vit trouble.
Le cardinal perdit. Louis est éclairé ?
Il voit que la Reine est aussi catin que double.
Rohan est à la Cour par Louis attiré;
Toinette des Bourbons augmente la famille;
Ce commerce à Louis est à peu près égal:
Mais nous qui nourrissons et père, et mère, et fille
Pouvons nous écrier avec le cardinal
Que les reines catins ont toujours fait du mal.»
extraits des «Fureurs utérines de Marie-Antoinette, femme de Louis XVI »
Clairvaux, jeudi 17 août 1785
L’abbaye s’apprête à célébrer la Saint-Bernard. Dom Rocourt, l’abbé de Clairvaux, a entre autres retenu ce soir-là pour le dîner Jacques-Claude de Beugnot, jeune comte avocat mi-parisien, mi-baralbin, et la comtesse de La Motte.
« Il savait, à n’en point douter, les liaisons intimes qui subsistaient entre le cardinal de Rohan et Madame de La Motte, et il la traitait comme une princesse de l’Église »
ironise Beugnot dans ses Mémoires.
L’abbé Maury, panégyriste de saint Bernard, arrive de Paris à neuf heures et demi du soir et fait sensation :
« Il y a une nouvelle à laquelle on ne comprend rien, qui étonne, qui confond tout Paris. M. le cardinal de Rohan a été arrêté mardi dernier, jour de l’Assomption, en habits pontificaux et en sortant du cabinet du roi ». Quelqu’un demande « le motif d’une arrestation aussi violente ».
« On parle d’un collier de diamants qu’il a dû acheter pour la reine »
indique l’abbé Maury
Beugnot raconte :
« Madame de La Motte avait laissé tomber sa serviette des deux mains. Sa figure pâle et immobile restait perpendiculaire à son assiette. Le premier moment passé, elle fait effort et s’élance hors de la salle à manger […], je vais la retrouver. Déjà elle avait fait mettre ses chevaux ; nous partons.
« J’ai peut-être eu tort de partir si brusquement« , lui souffle-t-elle, affirmant qu’elle n’a rien à voir dans cette histoire. « Je n’étais pas dupe« », précise Beugnot, convaincu du contraire.
À Bar-sur-Aube, elle passe une partie de la nuit à brûler tous ses papiers .
Dans la voiture qui les ramenait à Bar-sur-Aube, Beugnot bouleversé, proposa de l’aider à fuir. Elle refuse. Il la supplie d’au moins brûler tout ce qu’elle possède de compromettant. Chez elle, la comtesse sort « un grand coffre de bois de santal rempli de papiers ». Entre autres, toutes les lettres passionnées du cardinal de Rohan mais aussi celles des joailliers « qui parlaient de collier et de termes échus ». Beugnot l’aide à « tout jeter au feu ». L’opération dure jusqu’à trois heures du matin :
« A quatre heures, elle était arrêtée. À quatre et demie, sur les chemins de la Bastille », note-t-il.
Le 22 août 1785
Après avoir brièvement résumé l’affaire à Son frère Joseph II, Marie-Antoinette conclue :
« J’espère que cette affaire sera bientôt terminée, mais je ne sais pas encore si elle sera renvoyée au Parlement ou si le coupable et sa famille s’en rapporteront à la clémence du roi, mais dans tous les cas, je désire que cette horreur et tous ces détails soient bien éclaircis aux yeux de tout le monde.»
Automne-Hiver 1785-1786
Le Parlement, docile en apparence, propose d’envoyer une délégation à Versailles afin d’entendre la déposition de la Reine. Louis XVI refuse, offusqué qu’on puisse considérer la Reine de France comme une justiciable normale. Il y a longtemps que les parlementaires ont oublié que la justice n’émane que du Roi seul et qu’ils n’en sont que ses humbles représentants…
Marie-Antoinette accepte néanmoins d’envoyer un mémoire pouvant éclairer les conseillers.
Cette pièce a aujourd’hui disparu.
Après écoutes des deux prévenus, d’autres suspects et témoins sont arrêtés. En Suisse pour le faussaire et amant de la comtesse de La Motte, Louis Marc Antoine Rétaux de Villette et à Bruxelles le 20 octobre 1785 :
Nicole Leguay, dite baronne d’Oliva, prostituée ayant joué le rôle de la Reine lors de la scène du bosquet, son amant et le mage et charlatan notoire, Cagliostro qui a promis monts et merveilles au cardinal. Tout ce petit monde est écroué à la Bastille où les conseillers du Parlement se rendent pour les entendre. Les prisonniers ne sont pas tenus au secret et peuvent donc se retrouver régulièrement.
Seul le mari de la principale coupable, le soi-disant comte de La Motte a pu s’échapper à Londres, dépeçant et vendant sans problèmes les diamants du collier.
Le 20 octobre 1785
On interpelle aussi Cagliostro et Nicole Leguay à Bruxelles avec son amant dont elle est enceinte.
L’avocat Jean-Jacques Duval d’Eprémesnil, connu pour son opposition systématique au pouvoir royal, veut défendre son ami Cagliostro qu’il retrouve dans des loges ésotériques. Ses critiques de la Cour sont particulièrement virulentes.
Il est soutenu par un public friand de l’histoire, ravi de voir la Reine de France traînée dans la boue.
En mai 1786
Nicole Leguay accouche à la Bastille.
Le procès
Le Roi laisse au cardinal le choix de la juridiction qui aura à se prononcer sur son cas : ou bien s’en remettre directement au jugement du roi en huis clos, ou être traduit devant le Parlement de Paris.
Le procès public s’ouvre devant les soixante-quatre magistrats de la Tournelle et la Grand-chambre du Parlement présidée par le marquis Étienne François d’Aligre assisté de conseillers honoraires et maîtres des requêtes.
Ceci s’avère fort malhabile de la part de Louis XVI : le cardinal décidant de mettre l’affaire dans les mains du Parlement qui est toujours, plus ou moins, en fronde contre l’autorité royale.
Le 22 mai 1786
Le Parlement se réunit pour entendre la lecture des pièces de l’affaire. La Grande Chambre et la Tournelle réunies sous l’égide de son premier président d’Aligre, rassemblent soixante-quatre juges, sans compter les conseillers honoraires et les maîtres des requêtes. Les princes du sang et les pairs se sont récusés. Maître Fremyn fait office de greffier.
Le 29 mai 1786
Fin de la lecture des pièces.
Nuit du 29 au 30 mai 1786
Les prisonniers de la Bastille sont enfin écroués à la Conciergerie. Jeanne de La Motte, l’instigatrice de l’Affaire du Collier, qui avait toujours eu des velléités d’appartenir à la famille royale, est enfin invitée à loger au palais du Roi… Robert II le Pieux… pour y être jugée.
Le 30 mai 1786
L’avocat Joseph Omer Joly de Fleury (1715-1810) désigné comme procureur général donne son réquisitoire.
- que la pièce signée Marie-Antoinette de France soit déclarée frauduleuse ;
- que le comte de La Motte, par coutumace et Rétaux de Villette soient condamnés aux galères à perpetuité ;
- que la comtesse de La Motte soit fouettée, marquée du V de « voleuse » et enfermée à perpétuité dans la prison de La Salpêtrière ;
- que le cardinal, dans un délai de huit jours, admette publiquement son erreur de la scène du bosquet, sa tromperie envers les marchands et qu’il demande pardon au Roi et à la Reine.
- qu’il soit également démis de ses charges, à faire aumône aux pauvres, de s’éloigner des résidences royales et de rester en prison jusqu’à la déclaration de l’arrêt.
Il conclue que le cardinal est doublement coupable par sa haute naissance et par ses charges prestigieuses d’avoir osé croire en la scène du bosquet et de négocier l’achat d’un collier au nom de la Reine.
Son supérieur, l’avocat général Séguier se lève alors. La coutume voulait en effet que le réquisitoire lui soit soumis au préalable, ce que ne fit pas Fleury. Une joute verbale dont le Parlement et le public se délectent commence :
« Prêt à descendre au tombeau, vous voulez couvrir vos cendres d’ignominie et la faire partager aux magistrats ! _Votre colère, monsieur, ne me surprend point, répond le procureur général.
Un homme voué au libertinage comme vous, devait nécessairement défendre la cause du cardinal. _Je vois quelques fois des filles, réplique Séguier.
Je laisse même mon carrosse à leurs portes. C’est affaire privée. Mais on ne m’a jamais vu vendre bassement mon opinion à la fortune.»
Séguier accuse ainsi Fleury de s’être vendu à la Cour.
Les prévenus sont ensuite entendus.
Rétaux de Villette (1754-1797) écouté le premier, avoue avoir signé les lettres Marie-Antoinette de France mais ne croit pas avoir falsifié la signature de la Reine puisque justement Elle ne signe pas Marie-Antoinette de France.
C’est ensuite le tour de Jeanne de La Motte.
L’un des assistants témoigne :
« La femme La Motte a paru avec un ton d’assurance et d’intrépidité, avec l’œil et la contenance d’une méchante femme que rien n’étonne ; mais elle s’est fait écouter parce qu’elle parle sans l’air d’embarras. Elle s’attachait plus aux probabilités qu’aux faits et surtout à l’impossibilité qui est au procès de montrer des lettres, des écrits et toutes les preuves qu’on désirerait y voir. Je ne crois pas que cette femme, qui a de la tournure, des grâces et de l’élévation, ait pu intéresser personne, parce que son procès est trop clair.»
Jeanne n’hésite pas à déclarer que le cardinal lui avait montré plus de deux cents lettres écrites de la main de la Reine dont une qui commençait par « Je t’envoie... ». Ainsi selon Jeanne de La Motte, Marie-Antoinette tutoyait le cardinal mais aussi le rencontrait clandestinement très régulièrement !
Les magistrats, même les plus critiques envers le pouvoir royal, s’indignent devant de tels mots, crient au scandale et s’offusquent encore plus quand Jeanne de La Motte sort avec de nombreuses révérences et au sourire provocateur.
En troisième comparaît le cardinal de Rohan dont l’état de souffrance, l’humilité touchent les magistrats qui l’entendent pendant plus de deux heures.
Puis est attendue Nicole Leguay, dite baronne d’Oliva. Un huissier excuse son absence car la prévenue donne le sein à son nouveau-né.
Les procès-verbaux notent : « La loi se tut devant la nature.»
A sa comparution, les magistrats sont déjà tous gagnés par sa beauté et son innocence.
Cagliostro apparaît le dernier, fier et triomphant, racontant sa vie abracadabrantesque.
A six heures du soir les prisonniers retournent à la Bastille en voitures séparées. Le cardinal et Cagliostro sont acclamés par la foule.
Toutes les salles du Palais, les rues alentours sont bondées de monde. Le guet, à pied ou à cheval circule du Pont-Neuf à la rue de la Barillerie. Les prisonniers sont déjà arrivés. Dès cette heure matinale, dix-neuf Rohan, en deuil, sont à l’entrée de la Grand’ Chambre. Ils font leur révérence aux magistrats en silence.
La comtesse de Brionne (1734-1815) vient de faire une scène au président d’Aligre, l’accusant d’être vendu à la Cour. Née Rohan et tante du cardinal, elle oublie que par son mariage elle est une princesse lorraine et donc cousine de Marie-Antoinette.
Le 31 mai 1786, six heures du matin
Ces messieurs du Parlement entrent dans la Grande Chambre. Comme le veut la tradition leurs conclusions sont installées sur le bureau. Mais avant de les ouvrir, le conseiller Robert de Saint-Vincent se lève pour protester énergiquement contre la garde militaire qui entoure continuellement le cardinal et empêche son avocat de l’approcher.
Le premier président rappelle qu’il y a des ordres. Mots qui provoquent aussitôt des rumeurs. Enfin l’avocat est autorisé à s’approcher de son client. Le Parlement déclare les « approuvé » en bas du contrat de vente du collier et les « Marie-Antoinette de France » comme faussement attribués à la Reine. Puis, à l’unanimité des soixante-quatre magistrats, la comtesse de La Motte est déclarée coupable.
Deux magistrats, Saint-Vincent et Dyonis du Séjour, d’autres disent Delpech et Amelot, réclament contre elle la peine de mort. Il s’agit en réalité d’une manœuvre des amis du cardinal. En effet, quand la peine de mort est proposée, les conseillers appartenant au clergé ne peuvent plus siéger. Or sur les treize clercs, seuls deux sont favorables à Rohan.
Le comte de La Motte est condamné par coutumace aux galères,
Rétaux de Villette banni,
Nicole Leguay mise hors de cours, c’est-à-dire acquittement avec notion de blâme pour avoir osé se substituer à la Reine dans une scène d’escroquerie,
Cagliostro déchargé de toute accusation. Mais c’est au sujet du cardinal que les parlementaires s’opposent en deux camps.
Les rapporteurs de l’enquête Titon de Villotran et Dupuy de Marcé se rangent du côté du procureur Fleury. Boula de Montgodefroy, en tant que doyen de l’assemblée se prononce pour l’acquittement pur et simple. Il faut dire que son neveu, trésorier de la Grande Ecurie, travaille directement sous les ordres de la comtesse de Brionne… Le conseiller de Saint-Vincent s’oppose encore au réquisitoire du procureur, estimant que ses mots proviennent directement du ministère. Aucune peine ne peut être prononcée contre celui qui n’a été que la dupe d’une escroquerie.
Le résultat de cette affaire est résumé par l’exclamation, au lendemain du verdict, de Fréteau de Saint-Just (1745-1794), magistrat du Parlement de Paris :
« Un cardinal escroc, la reine impliquée dans une affaire de faux ! Que de fange sur la crosse et le sceptre ! Quel triomphe pour les idées de liberté ! »
Le 31 mai, dix heures du soir
Après plus de dix-sept heures de délibération, à vingt-six voix contre vingt-trois, le cardinal est mis hors de cours, blâmé seulement pour la scène du bosquet. Le verdict est acclamé par la foule. Les membres du Parlement sont couronnés de fleurs par les dames de la Halle dans la cour de May.
Si mademoiselle d’Oliva, Cagliostro et le cardinal de Rohan sont rapidement libérés, Jeanne de La Motte et Rétaux de Villette restent à la Conciergerie, ignorant leur sort.
Les jours suivants
D’après Bachaumont, la prisonnière mange à la table du concierge Hubert, chez qui elle reste pendant la journée, passant par des alternatives d’espérance et de désespoir, tandis que son amant joue du violon pour les prisonniers. Apprenant l’acquittement du cardinal de Rohan, Jeanne entre dans une fureur terrible : elle saisit son pot de chambre et se le brise sur la tête. Elle tremble de toutes parts et le sang coule sur son visage. Deux femmes doivent désormais coucher auprès d’elle.
Le 13 juin 1786
L’exécution prévue est ajournée. Certains disent que la comtesse de La Motte sera finalement grâciée par le Roi, que Marie-Antoinette l’a prise en pitié. Après le cardinal acclamé par l’opinion, c’est au tour de Jeanne de La Motte d’être considérée comme la victime innocente de la Reine.
Quoi que fasse cette dernière, l’opinion La veut coupable.
Le 19 juin 1786
Le procureur annonce l’exécution pour le surlendemain.
Le 21 juin 1786
Les badauds se massent dans les cours du Palais et alentours, les fenêtres des maisons voisines se louent à prix d’or.
Mais tout le monde est déçu, Jeanne de La Motte ne franchit pas les portes du Palais. Le lieutenant général de la Police Louis Thiroux de Crosne craint de ne plus pouvoir assurer la sécurité dans le quartier du Palais.
Le 21 juin 1786, à cinq heures du matin
Jeanne de La Motte est réveillée par le concierge. Elle pense devoir repasser devant ses juges. Elle refuse de se lever. Elle consent finalement à s’habiller.
Arrivée au seuil de la cour de May, quatre bourreaux assistés de deux valets la saisissent, lui lient les mains et la portent jusqu’au pied du grand escalier. Le greffier maître Breton, qui a remplacé maître Freymin lui ordonne de se mettre à genoux et d’entendre l’arrêt du Parlement.
Jeanne change de couleur et un flot d’injures coule de ses lèvres. Elle mord ceux qui l’approchent, déchire ses vêtements, s’arrache le cheveux.
Les bourreaux réussissent tant bien que mal à la maintenir agenouillée pendant la lecture du greffier.
A l’annonce du fouet et des «V» qui lui seront marqués au fer, Jeanne fulmine :
«C’est le sang des Valois que vous traitez ainsi !»
Et s’adressant au public :
« Souffrirez-vous que l’on traite ainsi le sang de vos Rois ? Arrachez-moi à mes bourreaux !»
Ses cris sont si terribles qu’on les entend dans tout le Palais. Elle insulte le Parlement, le cardinal et évidemment la Reine. Elle réclame d’avoir la tête tranchée. Elle tombe ensuite dans une sorte de prostration dont elle ne sort qu’à l’annonce de ses biens confisqués. En temps normal, les exécutions se déroulent à midi. Cette heure matinale permet d’éviter la foule de curieux des derniers jours. Cela n’empêche pas deux cents à trois cents personnes attirées par les cris de venir voir ce qui se passe.
Le libraire Ruault témoigne :
« Elle se défendait comme un lion, des pieds, des mains, des dents, et de telle façon qu’ils ont été obligés de couper ses vêtements et jusqu’à sa chemise, ce qui a été de la plus grande indécence pour tous les spectateurs.»
Pour échapper au fouet du bourreau, elle se roule par terre. « Le bourreau devait la suivre par terre en proportion de ce qu’elle roulait.»
Couchée sur la dalle, elle s’apprête à recevoir la marque de fer, à plat ventre, son jupon retroussé.
« Elle découvrait tout son corps qui était superbe et avait les plus belles formes.»
Après la première application du fer rouge, agitée de convulsion, le bourreau brûle le sein au lieu de l’épaule pour la seconde.
Elle réussit à mordre le bourreau et s’évanouit.
Une voiture l’emmène ensuite à la Salpêtrière, elle tente de s’évader en route.
Le 21 juin 1786, dans la journée
Le frère de Marc Rétaux de Villette, magistrat à Bar-sur-Aube vient le chercher à la Conciergerie. Craignant les galères, ce dernier y échappe pour un simple exil en Italie.
Le 17 mars 1788
Ce n’est qu’au bout de trois ans que le Roi autorisera le cardinal de Rohan à retrouver son diocèse de Strasbourg. Et ce n’est qu’en 1881 que la famille de Rohan finira de payer le collier, aux descendants des joailliers
Images du Fabuleux Destin d’Elisabeth Vigée Le Brun d’Arnaud Xainte
Madame de La Motte qui a nié toute implication dans l’affaire, reconnaissant seulement être la maîtresse du cardinal, est parvenue à s’évader de la Salpêtrière, au bout de quelques semaines, grâce à de mystérieuses protections : le duc d’Orléans met sur pied une quête publique en sa faveur.
Elle gagne l’Angleterre et publie à Londres un récit, dans lequel elle raconte sa liaison avec Marie-Antoinette, la complicité de celle-ci depuis le début de l’affaire et jusqu’à son intervention dans l’évasion.
On sait d’ailleurs que la Princesse de Lamballe a cherché à visiter Jeanne de La Motte à la Salpêtrière (pour l’aider à son évasion??? ) et qu’on l’a accueillie en ces mots :
« Madame de La Motte a été condamnée à être enfermée, pas à vous recevoir»…
Mais demeure le mystère de la raison de cette visite. Était-ce en tant qu’émissaire de la Reine qui voulait prendre des nouvelles de la néfaste voleuse?
Par le discrédit qu’il jeta sur la Cour dans une opinion déjà très hostile et le renforcement du Parlement de Paris, ce scandale aura indirectement sa part de responsabilité dans le déclenchement de la Révolution française quatre ans plus tard et dans la chute de la royauté. En effet, cette affaire prouve à l’opinion publique que la Royauté peut être rappelée à l’ordre par la justice…
En mai 1789
Jeanne de La motte, qui avait été payée pour ne pas écrire ses «souvenirs» publie ses mémoires complétés par la prétendue correspondance échangée entre la Reine et le cardinal…
Le 20 juillet 1792
La sentence prononcée en 1786 contre Madame de La Motte_qui est morte à Londres le 23 août 1791 : après s’être défenestrée de la chambre de son hôtel. Certaines personnes croient qu’elle fut assassinée par des royalistes mais elle tentait probablement d’échapper à des créanciers_est cassée. Il s’agit d’une mise en accusation indirecte de la Reine.
Quant aux 1 600 000 livres que valait le collier, Évelyne Lever, dans le livre qu’elle consacre à l’affaire, estime, selon des experts anonymes, que cela équivaudrait aujourd’hui à près de 7 000 000 d’euros ( environ 52 millions de francs … le livre a été écrit en 2004, d’où ce renseignement qui pourrait paraître superflu aujourd’hui… et peut-être inexact vu les fluctuations de nos monnaies … ) soit le prix d’un important château en Île-de-France ou dans le Val de Loire …
Le 17 mars 1788
Ce n’est qu’au bout de trois ans, que le Roi autorisera le cardinal de Rohan à retrouver son diocèse de Strasbourg. Et ce n’est qu’en 1881 que la famille de Rohan finira de payer le collier, aux descendants des joailliers.
Retentissement
Le résultat de cette affaire fut résumé par l’exclamation, au lendemain du verdict, de Fréteau de Saint-Just, magistrat du Parlement de Paris :
« Un cardinal escroc, la reine impliquée dans une affaire de faux ! Que de fange sur la crosse et le sceptre ! Quel triomphe pour les idées de liberté ! »
Bien que Marie-Antoinette ait été étrangère à toute l’affaire , l’opinion publique ne voulut pas croire en l’innocence de la Reine.
Accusée depuis longtemps de participer, par ses dépenses excessives, au déficit du budget du royaume, Elle subit à cette occasion une avalanche d’opprobres sans précédent. Les libellistes laissèrent libre cours aux calomnies dans des pamphlets où « l’Autrichienne » se faisait offrir des diamants pour prix de ses amours avec le cardinal.
Par le discrédit qu’il jeta sur la Cour dans une opinion déjà très hostile et le renforcement du Parlement de Paris, ce scandale aura indirectement sa part de responsabilité dans le déclenchement de la Révolution française quatre ans plus tard et dans la chute de la royauté. En effet, cette affaire prouve à l’opinion publique que la Royauté peut être rappelée à l’ordre par la justice…
En mai 1789
Jeanne de La Motte, qui avait été payée pour ne pas écrire ses « souvenirs », publie ses mémoires complétés par la prétendue correspondance échangée entre la Reine et le cardinal… A ce même moment, le cardinal de Rohan est élu du Clergé aux États Généraux ; il s’opposera à la constitution civile du clergé promulguée par la révolution et l’abolition de la monarchie.
En juin 1789
Nicole Leguay meurt à Vincennes.
Le 23 août 1791
Madame de La Motte se défenestre de la chambre de son hôtel et se tue. Certaines personnes croient qu’elle a été assassinée par des royalistes mais elle tentait probablement d’échapper à des créanciers
Le 20 juillet 1792
La sentence prononcée en 1786 contre madame de La Motte est cassée. Il s’agit d’une mise en accusation indirecte de la Reine.
En octobre 1793
Lors du procès de Marie-Antoinette, Fouquier-Tinville Lui demande quels étaient Ses liens avec la femme La Motte. La Reine indique qu’Elle ne l’a jamais rencontrée. Les accusateurs préfèrent inventer des faits, dont l’ignoble accusation sur le petit Louis XVII, plutôt que se référer à cette affaire qui avait déjà tant nui à la monarchie et à la Reine Elle-même malgré Son innocence, qu’on Lui reconnaît finalement à cet instant.
Le cardinal de Rohan prendra sa retraite en exil à Ettenheim, où il meurt le 16 février 1803.
Sources :
- Marie-Antoinette (1932) de Hilaire Belloc ( Payot, Paris)
- Marie-Antoinette (1940), de René Benjamin ; Les Editions de France
- La Reine Scandaleuse, Idées reçues sur Marie-Antoinette (2012) de Cécile Berly, éditions Le Cavalier Bleu
- Les Reines de France au temps des Bourbons, tome 4 : Marie-Antoinette L’insoumise (2002) de Simone Bertière
- Marie-Antoinette : Fashion Victim par Jean-Michel Bourdin ; dans Historia du 17 octobre 2018
- Marie-Antoinette (1953) d’ André Castelot
- Les Derniers Bijoux de Marie-Antoinette, par André Castelot ; Historama N°294, mai 1976
- Chère Marie-Antoinette (1988) de Jean Chalon
- L’Affaire du Collier de la Reine, Château de Versailles (magazine) N°2 ; juillet 2011
- Les diamants de la guillotine de Pierre Combescot
- La Princesse de Lamballe – Mourir pour la Reine (1979), de Michel de Decker ; chez Perrin
- Marie-Antoinette (2013) d’Hélène Delalex
- Louis XVI et Marie-Antoinette, un Couple en Politique (2006) de Joël Félix ; Payot
- LE MARIAGE FORCE ou Marie-Antoinette humiliée (avril 2015), de Jean-Pierre Fiquet ; chez Tallandier
- L’Affaire du Collier (1901) de Frantz Funck-Brentano chez Hachette (Paris)
- La Mort de la Reine : Les suites de l’Affaire du Collier (1901) de Frantz Funck-Brentano chez Hachette (Paris)
- La Révolution française (1928), de Pierre Gaxotte, chez Fayard
- Louis XVI et Marie-Antoinette : vie conjugale – vie politique (1990) de Paul et Pierrette Girault de Coursac ; O.E.I.L. (1990)
- Si Versailles m’était conté (1954), film de Sacha Guitry
- Un prince millionnaire aimé des sans-culottes, par Michel de Decker ; Histoire magazine N°26, avril 1982
- Cagliostro et la chute de l’Ancien Régime, par Guy Chaussinand-nogaret ; L’Histoire N°86, février 1986
- La Révolution Française à l’écran, de Roger Icart (1988), chez Milan
- Les beaux jours de Marie-Antoinette (1885), d’Arthur-Léon-Georges Imbert de Saint-Amand ; chez Edouard Dentu,
- La fin de l’Ancien Régime, d’Arthur-Léon-Georges Imbert de Saint-Amand ; chez Edouard Dentu,
- L’Agonie de la Royauté (1918), d’Arthur-Léon-Georges Imbert de Saint-Amand ; chez P. Letrielleux, Librairie-Éditeur, Paris VI
- Marie-Antoinette L’impossible Bonheur (1970) de Marguerite Jallut et Philippe Huisman ; chez Edita, Lausanne
- Marie-Antoinette – Aux côtés de Louis XVI dans la tourmente révolutionnaire (2014) ; Collection Reines, Maîtresses et Favorites chez Hachettes
- Les Chroniques de la Révolution (1988) chez Larousse
- Louis XVI (1985) d’Evelyne Lever ; chez Fayard
- Marie-Antoinette (1991) d’Evelyne Lever; chez Fayard
- Marie-Antoinette : la naissance d’une reine : Lettres choisies 1770-1793 (2005) d’Evelyne Lever
- L’Affaire du Collier de la Reine (1946), film de Marcel L’Herbier
- La Vie Joyeuse et Tragique de Marie-Antoinette (1933) de Pierre Nezelof ; chez Albin Michel
- Marie-Antoinette par Robert Hossein, Point de vue N°2357, octobre 1993
- Les Perles de Marie-Antoinette et les Diamants des Rois de France , Point de Vue Images du Monde N°63, 2018
- Marie-Antoinette Reine de la Mode et du Goût (2018) de Françoise Ravelle ; Parigramme – Carnet de Style
- La désinformation autour de Marie-Antoinette, d’Alain Sanders (2006) ; L’étoile du berger
- L’Affaire du Collier (2001), film de Charles Shyers
- Versailles ressuscité ; Ulysse hors-série (Télérama), mai 2000 : Les caprices de Marie-Antoinette, par Philippe Beaussant
- La Princesse de Lamballe – L’Ange de Marie-Antoinette (octobre 2005), d’Alain Vircondelet ; chez Flammarion
- Marie-Antoinette (1933) de Stefan Zweig
- Juger la reine (2016) d’ Emmanuel de Waresquiel