L’abbé de Vermond

L'abbé de Vermond par Benjamin Warlop

En 1735

Naissance de Mathieu-Jacques de Vermond, nom qui peut également s’orthographier Vermont à l’époque, dans le village d’Estrées en Picardie d’une famille de chirurgiens de campagne.

Ces date et lieu de naissance restent une hypothèse car comme le précise Eugène Welvert dans son L’Éminence grise de Marie-Antoinette l’abbé Mathieu-Jacques de Vermond datant de 1922, le village d’Estrées ayant été totalement détruit durant la Première Guerre mondiale, il ne reste plus aucune archive paroissiale et municipale.

On lui connaît au moins deux frères. L’un devient à son tour chirurgien, à la carrière prestigieuse puisqu’il sera accoucheur de Marie-Antoinette. Le second entre dans la carrière militaire. Mathieu-Jacques se consacre quant à lui à l’étude et la prêtrise.

Brillant, il poursuit ses études à Paris. Il est reçu rapidement docteur en théologie à la Sorbonne et se lie d’amitié avec Etienne-Charles de Loménie de Brienne (1727-1794), issu d’une grande famille de la noblesse.

Le cardinal Loménie de Brienne (vers 1770)

En 1760

Loménie de Brienne est nommé évêque de Condom, petit évêché de Gascogne où l’illustre Bossuet (1627-1704) commença également sa carrière. L’abbé de Vermond devient son vicaire. L’Eglise reste encore en ce XVIIIe siècle le meilleur tremplin pour ceux envisageant d’ambitieuses carrières.

Il est impossible de savoir si Loménie de Brienne se rend dans son lointain diocèse et encore moins si son vicaire l’y a suivi. Le devoir de résidence est alors tout à fait théorique.

Condom

En 1763

Loménie de Brienne obtient rapidement l’archevêché de Toulouse, nettement plus prestigieux. Nous sommes certains de sa présence dans cette ville car il consacre beaucoup de son temps  aux travaux publics et réformes religieuses, notamment avec la sécularisation de nombreux ordres qui lui provoqueront de nombreuses animosités.

L'archevêque Loménie de Brienne visitant le chantier des Ponts Jumeaux Salle des Illustres (Toulouse)‎ - Édouard Debat-Ponsan 1896

Toute sa vie Vermond restera fortement attaché à l’archevêque. Néanmoins, il est difficile de savoir s’il l’a réellement accompagné à Toulouse car vraisemblablement à la même époque il est nommé bibliothécaire du collège des Quatre-Nations, c’est-à-dire l’actuelle bibliothèque Mazarine.

Salle de la bibliothèque Mazarine

Tous deux sont des bibliophiles avertis et les Mémoires secrets font de l’abbé Vermond un rédacteur de plusieurs articles de l’Encyclopédie sur le thème de la théologie avec un point de vue peu orthodoxe et difficilement acceptable pour les plus dévots.

Loménie de Brienne devient un prélat célèbre pour sa proximité avec les Lumières et son appartenance au parti du duc de Choiseul (1719-1785), ministre des Affaires étrangères de Louis XV. Ce qui lui provoque l’animosité des dévots, ennemis du ministre.

Le duc de Choiseul par Carle Van Loo

En 1768

Le ministre tout-puissant élabore des mariages dans toute l’Europe afin de sceller l’alliance des Bourbon avec les Habsbourg. Celui couronnant son projet d’alliance doit unir le Dauphin, petit-fils de Louis XV avec la benjamine des filles de l’Impératrice Marie-Thérèse (1717-1780). C’est sans compter avec le parti dévot qui lutte contre tout rapprochement avec l’Autriche.

De son côté, l’Impératrice enfin assurée du mariage de sa fille avec l’héritier du trône de France souhaite lui donner une éducation plus française. Si le français est une des langues apprises par tous les enfants de Marie-Thérèse et de l’Empereur François (1708-1765) du fait des origines lorraines de ce dernier, la jeune fille la maîtrise moins bien que l’allemand sa langue maternelle et l’italien appris avec tous ses frères et sœurs établis dans la péninsule.

En outre, Marie-Thérèse s’aperçoit horrifiée que sa dernière fille n’a reçu jusque-là qu’un vernis d’éducation. A douze ans Antonia sait à peine lire et écrit très difficilement. Elle est très éloignée des belles-lettres et de toutes matières sérieuses. Sa grande-maîtresse, madame de Brandeiss (ou Brandis), afin de se faire bien voir de l’Impératrice qui tient à un rapport hebdomadaire des progrès de ses enfants, écrivait au crayon à papier les devoirs de son élève qui n’avait ensuite qu’à recopier par-dessus à l’encre.

L'éducation des derniers Archiduc et Archiduchesses, Maximilien, Marie-Caroline, Marie-Antoinette et leur nièce Marie-Thérèse
Christoph Willibald Gluck, compositeur autrichien par Duplessis

Marie-Thérèse qui s’aperçoit de la supercherie la renvoie sans ménagement. Il lui faut maintenant trouver quelqu’un de confiance. Elle nomme la comtesse Lerchenfeld à la place. Cela n’empêche pas Marie-Antoinette d’écrire en cachette à sa première grande maîtresse des années durant.

Malgré ces lacunes criantes, la jeune Madame Antoine comprend et lit plusieurs langues (l’allemand, le dialecte viennois, l’italien, le français, le hongrois, le tchèque, le latin…) à défaut de savoir les parler couramment. Elle montre également un certain talent pour la musique, enseignée par le célèbre Gluck.

En avril 1768

La comtesse de Brandeiss est remplacée, à cause de son excessive complaisance envers son élève, par l’ancienne gouvernante de Marie-Caroline, la comtesse de Lerchenfeld qui restera à son poste jusqu’à sa mort en 1770. Elle est alors remplacée par la comtesse de Trautmaussdorfft.

Mesdames de Brandeiss et de Lerchenfeld n’ont jamais exigé de l’Archiduchesse  un travail suivi. Il faut rattraper le temps perdu.

Image de Marie-Antoinette (1975) de Guy-André Lefranc

L’abbé de Vermond se met à l’œuvre sans retard, la lourde tâche qui lui incombe devant être accomplie en dix-huit mois à peine. Il ne tarde pas à donner à Monsieur de Mercy ses impressions sur son élève :

« Elle a plus d’esprit qu’on ne lui en a cru pendant longtemps. Malheureusement cet esprit n’a été accoutumé à aucune contention jusqu’à douze ans. Un peu de paresse et beaucoup de légèreté m’ont rendu son instruction plus difficile. J’ai commencé pendant six semaines par des principes de belles-lettres. Elle m’entendait bien lorsque je lui présentais des idées toutes éclaircies ; son jugement était presque toujours juste, mais je ne pouvais l’accoutumer à approfondir un objet, quoique je sentisse qu’elle en était capable. J’ai cru voir qu’on ne pouvait appliquer son esprit qu’en l’amusant.»

Image de La Guerre des Trônes (2022) de Vanessa Pontet et Eric Le Roux

Elle ne démontre pas de talents particuliers pour les arts plastiques, au contraire de certaines de Ses sœurs aînées. Néanmoins, Elle a su retenir les leçons de Son père au goût artistique sûr. Parmi tous les enseignements donnés à l’Archiduchesse c’est assurément la danse qu’Elle préfère. Il ne s’agit pas alors d’un enseignement futile mais une nécessité politique afin de savoir se tenir à la Cour. Marie-Thérèse et François sont très friands des petits ballets réalisés par leurs nombreux enfants et la jeune Antonia est de la partie dès Ses premiers mois.

Ballet donné par les Archiducs et Archiduchesses lors du second mariage de Joseph II

Marie-Thérèse nomme peu auparavant le célèbre théoricien français de la danse Jean-Georges Noverre (1727-1810) maître des ballets de sa Cour.

Image de Marie-Antoinette (2005) d'Alain Brunard
Jean-Georges Noverre par Jean-Baptiste Perronneau

Marie-Antoinette excelle dans cet art et l’on peut dire que l’on doit à l’artiste la célèbre démarche aérienne de la Reine et son port de tête qui la faisait reconnaître sans hésitation de toute sa cour. Marie-Antoinette n’oubliera jamais ce qu’Elle doit à Gluck (1714-1787) et Noverre et ne cessera de protéger leur carrière parisienne. Ainsi malgré des lacunes dans son éducation, Marie-Antoinette montre des talents certains dans de nombreux domaines et très important, Elle fait preuve d’une mémoire prodigieuse.

L'Archiduchesse Antonia au clavecin

Mais pour «franciser» davantage l’Archiduchesse, Marie-Thérèse pense aussi à lui donner des cours par des comédiens français alors en tournée à Vienne, Aufresne pour la prononciation et la déclamation et Sainville pour le goût du chant français.

Choiseul par l’entremise de l’ambassadeur le marquis de Durfort (1746-1826) fait comprendre à Marie-Thérèse que ce choix déplaît fortement à Louis XV qui n’envisage pas la future Dauphine élevée par des histrions. Ces quelques mois auront suffi à l’adolescente pour développer un grand goût pour le théâtre français, qui  ne se démentira jamais. Marie-Thérèse demande donc à Choiseul de choisir lui-même une personne de confiance, à la fois érudite et suffisamment pédagogue pour savoir captiver la jeune Archiduchesse qui n’aspire qu’à l’amusement. Une autre condition est donnée : il lui faut un prêtre afin d’en faire le confesseur de l’Archiduchesse. Sa qualité de Français lui permettra ensuite de la suivre une fois mariée. Le ministre peu au fait pour choisir un précepteur et encore moins un confesseur pour une future Reine de France, demande l’avis de l’évêque d’Orléans, monseigneur de Jarente (1706-1788) ministre de la feuille des bénéfices qui de par sa charge connaît tous les membres du clergé. Celui-ci se tourne vers l’archevêque de Toulouse qui pense à son ami l’abbé de Vermond.

Louis-Sextius Jarente de La Bruyère, évêque d'Orléans
Image de la Guerre des Trônes (2022)
L'abbé de Vermond par Benjamin Warlop d'après Elisabeth Vigée Le Brun

Le 6 octobre 1768

L’archevêque d’Orléans écrit au comte de Mercy-Argenteau (1727-1794) , ambassadeur de l’Impératrice à Paris :

« Je dois espérer que l’impératrice en sera satisfaite ; et c’est un des désirs que j’ai eus de ma vie ; je vous prie d’en assurer cette grande princesse ; c’est avec une véritable confiance que je crois qu’il réussira.»

De par ses liens avec Loménie de Brienne, l’abbé de Vermond est considéré avec suspicion par le parti dévot, d’autant qu’il a été choisi par un autre prélat aux mœurs douteuses, l’évêque d’Orléans qui non seulement entretient des maîtresses mais n’hésite pas non plus à tirer des bénéfices substantiels de par sa fonction. Une conception de la religion aux antipodes de celle de l’impératrice Marie-Thérèse !

Le 22 octobre 1768

Malgré sa nomination, le duc de Saint-Florentin, ministre de la Maison du Roi lui conserve sa charge à la bibliothèque Mazarine, ses appointements et son appartement de fonction. On considère que sa mission n’est que temporaire (Lettre du duc de Saint-Florentin à monsieur de Riballier, grand-maître du collège).

Le 26 octobre 1768

Avant de partir pour Vienne, l’abbé de Vermond fait un détour par le château de Fontainebleau où réside la cour afin de prendre les dépêches de Mercy. Entre les deux hommes s’établit une relation durable d’entière confiance. Il ne s’arrête pas pour autant afin de ne pas laisser le temps aux courtisans de commenter sa nomination. Il sait que ses détracteurs sont nombreux, et en premier lieu le duc de La Vauguyon (1706-1772) , gouverneur du Dauphin, futur époux de son élève.

Florimond-Claude, comte de Mercy-Argenteau
Antoine Paul Jacques de-Quelen de Caussade duc de La Vauguyon, par Sophie Rochart, 1838, château de Versailles

Membre éminent du parti dévot, le duc de La Vauguyon n’hésite pas à envoyer une lettre à l’Impératrice afin de lui dénoncer l’erreur de ce choix, tant les deux futurs mariés seront éduqués dans des principes totalement contraires. Marie-Thérèse, prévenue par le duc de Choiseul en qui elle a entière confiance, n’y voit qu’une preuve supplémentaire de la malveillance de ce parti opposé à l’alliance autrichienne.

Fin de l’année 1768

Si le marquis de Durfort (1716-1787) ambassadeur de Louis XV à Vienne reçoit très froidement l’abbé, il est au contraire très bien accueilli par la cour de Vienne. Il fréquente le médecin et ami de l’Impératrice Van Swieten (1733-1803) et vit pour ainsi dire dans l’intimité avec la famille impériale.

D’après madame Campan (1752-1822), ennemie acharnée de l’abbé, cette familiarité de la part de l’impératrice était avant tout un calcul politique afin de s’attacher définitivement ce Français devenu Autrichien de cœur :

« Son orgueil avait pris naissance à Vienne, où Marie-Thérèse, autant pour lui donner du crédit sur l’esprit de l’archiduchesse, que pour s’emparer du sien, lui avait permis de se rendre tous les soirs au cercle intime de sa famille,  où depuis quelques temps la future dauphine était elle-même admise. Joseph II, les archiduchesses aînées, quelques seigneurs honorés de la confiance de Marie-Thérèse, formaient cette réunion ; et tout ce qu’on peut attendre de personnes d’un rang élevé, en réflexions sur le monde, sur les cours et sur les devo

Henriette Genêt, épouse Campan, par Joseph Boze

 

Toujours d’après madame Campan, le moyen de se faire bien voir de l’Impératrice était dû à son esprit d’intrigue :

« L’abbé de Vermond, en racontant ces détails, avouait le moyen qu’il avait employé pour être admis dans ce cercle intime. L’impératrice, l’ayant rencontré chez l’archiduchesse, lui demanda s’il avait formé quelques liaisons à Vienne ? « Aucune, Madame, répondit-il ; l’appartement de madame l’archiduchesse et l’hôtel de l’ambassadeur de France, sont les seuls lieux que doive fréquenter l’homme honoré du soin de l’éducation de la princesse. » Un mois après, Marie-Thérèse, par une habitude assez ordinaire aux souverains, rencontrant l’abbé, lui fit la même question, et sa réponse fut exactement semblable. Le lendemain il reçut l’ordre de se rendre tous les soirs au cercle de la famille impériale.»

L’abbé ne peut que comparer cette situation à celle vécue à la Cour de France. Dès lors l’abbé vouera une admiration sans bornes à l’impératrice et sera corps et âme dévoué à la cause de l’alliance :

« Enivré de la réception que la cour de Vienne lui avait faite, n’ayant rien vu de grand avant cette époque, l’abbé de Vermond n’admirait et n’estimait que les usages de la famille impériale ; il ne cessait de tourner en dérision l’étiquette de la maison de Bourbon.»

Mémoires sur la vie de Marie-Antoinette, madame Campan, (1822)

Georges Werler interprète l'abbé de Vermond dans la série de Guy-André Lefranc, Marie-Antoinette (1975) avec Geneviève Casile
L'Impératrice Marie-Thérèse

En 1769

L’abbé de Vermond prend à cœur sa mission d’éduquer la jeune Archiduchesse, ce qui n’est pas une sinécure tant Antonia est rétive à toute contrainte. Mais il semble être totalement ébloui par son élève qui à déjà treize ans détient une capacité de séduction à nulle autre pareille. Certains historiens n’hésitent pas à l’imaginer amoureux.

A Mercy, il écrit :

« Elle a une figure charmante, elle réunit toutes les grâces du maintien, et si, comme on doit l’espérer, elle grandit un peu, elle aura tous les agréments qu’on peut désirer d’une princesse. Son caractère, son cœur sont excellents.»

Marie-Antoinette par Krantzinger

Sans avoir la certitude de sentiments plus poussés que lui permettent son rôle de précepteur/confesseur, son dévouement envers Marie-Antoinette est sincère et absolu. Cependant, il n’hésitera pas à exiger d’elle de manière quasi tyrannique, l’exclusivité de l’intimité, haïssant et se faisant haïr de tous ceux amenés à être également aimés de Marie-Antoinette et n’ayant pas comme lui les intérêts de la maison d’Autriche comme priorité.
De Son côté la toute jeune Marie-Antoinette lui accorde rapidement toute Sa confiance. Orpheline de père à seulement dix ans, Elle ressent le besoin rassurant d’une présence paternelle auprès d’Elle.
L’abbé présente à Marie-Thérèse son plan d’éducation qu’elle approuve : la religion, l’histoire de France, la littérature, l’orthographe, la prononciation du français, la connaissance des mœurs et usages français et celle des grandes familles que la future Dauphine sera amenée à fréquenter. Le tout en une heure par jour et sur le mode de la conversation, seul moyen d’intéresser son élève. La leçon a lieu à quatre heures de l’après-midi.

Il faut, en effet, en revenir toujours à cette méthode, obtenir par la causerie et par le plaisir l’attention que refuse l’esprit de l’enfant, qui sera d’ailleurs celui de la femme. Mais Vermond ne se décourage pas, loue le caractère, le cœur excellent, l’affabilité déjà séductrice et dont il est le premier à subir le charme. La princesse témoigne de la reconnaissance à sa façon au maître qui est en même temps son confesseur. A Schœnbrunn, où la vie de la famille impériale était plus retirée qu’à Vienne, les leçons se prolongeaient en causeries.

« Vous assujettissez trop l’abbé, dit un jour l’Impératrice.
— Non, maman, je vois bien que cela lui fait plaisir.»

Et cette réponse mutine ravit Vermond, de plus en plus convaincu que Versailles et la nation française seront enchantés de leur Dauphine. Il Lui apprend ce qu’il juge le plus nécessaire pour son rang : la biographie des Reines de France, la généalogie de la Maison de Bourbon, les places importantes de la Cour et du royaume et les principales familles qui les remplissent. Elle prend goût à l’État militaire de la France :

« Je suis sûr, écrit Vermond, que, peu de temps après son mariage, elle connaîtra les colonels par leur nom et distinguera bien les régiments par la couleur et le numéro de leurs uniformes.»

Le français de l’enfant devient passable ; le précepteur est sûr du succès, quand Elle n’entendra plus l’allemand ni le mauvais français des personnes à son service. L’écriture, lente à l’excès, reste défectueuse et, pour l’orthographe, reparaît la même observation : Elle ne ferait presque aucune faute, si Elle pouvait se livrer à une attention suivie.

Il réussit nettement moins bien en tant que confesseur, ne voyant dans sa vocation de prêtre plus un moyen d’ascension sociale facile qu’une marque sincère d’attachement pour la foi.

« J’ai fait céder, pour le temps que je passerai ici pour la confession aux vues de S. M. l’Impératrice. Je puis bien assurer Votre Excellence que mon éloignement pour cette fonction a beaucoup diminué par les bontés et la confiance singulière que m’a témoignées Son Altesse Royale. J’ai commencé à la confesser pour les fêtes de Noël.»

Lettre du 31 janvier 1769 de l’abbé de Vermond au comte de Mercy

Toute Sa vie Marie-Antoinette respectera Ses devoirs de catholique mais ne témoignera jamais de dévotion excessive. La religion ne sera jamais une priorité dans Sa vie, au contraire de Sa mère ou des Reines de France auxquelles Elle doit succéder.

Le 21 juin 1769

Après quelques mois d’observation et de légers progrès, Vermond peut écrire à Mercy  :

« Elle a plus d’esprit qu’on ne lui a cru pendant longtemps. Malheureusement, cet esprit n’a été accoutumé à aucune contention jusqu’à douze ans. Un peu de paresse et beaucoup de légèreté m’ont rendu son instruction plus difficile. J’ai commencé pendant six semaines par des principes de belles-lettres. Elle m’entendait bien lorsque je lui présentais  des idées toutes éclaircies ;  son jugement était presque toujours juste, mais je ne pouvais l’accoutumer à approfondir un objet quoique je sentisse qu’elle en état capable. J’ai cru qu’on ne pouvait appliquer son esprit qu’en l’amusant.»

L’abbé de Vermond considère aussi qu’il est également de son devoir de former la future Dauphine à l’apparence d’une princesse destinée à régner sur la France. Elle a un physique charmant, il Lui faut l’être davantage.
Il demande à Mercy de lui envoyer un coiffeur français. Ce sera Larseneur qui pour cacher son front trop haut et bombé met au point une coiffure dite à la Dauphine. Il demande aussi un dentiste chargé de corriger Sa dentition.
La jeune fille apprend aussi à s’habiller à la française. Les résultats sont plus que satisfaisants.

En Sa dernière année à Vienne, Marie-Antoinette s’est gracieusement développée. Elle a perdu la gaucherie de l’enfance ; les leçons de Noverre Lui ont donné l’élégance des mouvements, celles de Vermond l’aisance de l’esprit.

« Les étrangers, écrit l’abbé, et ceux qui ne l’ont pas vue depuis six mois sont frappés de cette physionomie, qui acquiert tous les jours de nouveaux agréments. On peut trouver des figures plus régulièrement belles, je ne crois pas qu’on en puisse trouver de plus agréables. Quelque idée qu’en aient pu donner en France ceux qui l’ont vue ici, on sera surpris du ton de bonté, d’affabilité, de gaieté, qui est peint sur cette charmante figure.»

Portrait de Marie-Antoinette envoyé à la Cour de France pour Ses fiançailles, Ducreux, Versailles

Vermond sait que la future Dauphine pourra être mal reçue par certains. Et il ne pourra être que jugé responsable si la jeune fille déplaît.

On peut lire en effet à la même époque dans Chroniques de l’Œil-de-Bœuf :

« C’est sur la dernière des filles de Marie-Thérèse, Antonia, que le duc de Choiseul a jeté les yeux; même les choses sont tellement avancées que l’impérial a demandé secrètement à Paris un instructeur français pour apprendre à sa fille notre langue et les usages de la cour de Versailles. Le choix du ministre est tombé sur l’abbé de Vermont, petit collet de toilette, ecclésiastique musqué et joli, qui depuis quelque temps déjà réside auprès de l’archiduchesse. On a souvent des nouvelles de cette instruction, et, selon le dire général, elle n’est rien moins qu’édifiante. Vermont, au lieu d’enseigner à son élève ces vertus modestes, cette piété résignée qui font chérir et plaindre Marie-Thérèse, femme de Louis XIV et Marie Lezczinska, femme de Louis XV, initie Son Altesse Impériale à la dissimulation de la galanterie, aux inconséquences des petits appartements, et quelques-uns ajoutent à l’immoralité de nos mœurs illustres.»

Les thèmes sont déjà proches des pamphlets qui tout le long de son règne et durant la Révolution saliront Marie-Antoinette.

De son côté, madame Campan estime que cette éducation est volontairement ratée :

« Il avait établi son influence sur elle dans l’âge où les impressions sont le plus durables, et il était aisé de voir qu’il n’avait cherché qu’à se faire aimer de son élève, et s’était très-peu occupé du soin de l’instruire. On pourrait l’accuser même d’avoir, par un calcul adroit mais coupable, laissé son élève dans l’ignorance.»

Mais avec le peu de temps accordé, il aurait été impossible pour n’importe quel précepteur de faire mieux.

Le 7  février 1770

Marie-Antoinette a Ses premières règles. Dès lors le mariage peut se faire.

Le 3 avril 1770

Marie-Antoinette reçoit solennellement le portrait du Dauphin Louis-Auguste.

Portrait en médaillon du Dauphin Louis-Auguste porté par Marie-Antoinette lors de Son mariage par procuration, Hall

Semaine sainte du 8 au 13 avril

Retraite de trois jours Marie-Antoinette auprès de son confesseur afin de se préparer à ses Pâques et son mariage.

C’est à la veille de Son mariage, au milieu des préparatifs de fête et dans le frémissement joyeux de ses rêves, que Marie-Antoinette voit évoquer devant Elle le plus austère des devoirs de la vie, la mort. Elle fait une retraite de trois jours, pendant la Semaine-Sainte, séparée de Sa famille et de la Cour, livrée à ses méditations d’enfant et aux directions religieuses de l’abbé de Vermond. Elle s’y soumet sans peine, ne trouvant pas trop long l’isolement qu’on Lui impose :

«  Il me faudrait même plus de temps pour vous exposer toutes mes idées, dit-Elle alors à l’abbé.»

Une fois en retraite, à ces graves exercices de recueillement et de prière Elle apporte Son ardeur vive et Son enthousiasme ingénu. Toujours aussi peu à l’aise dans ce rôle, Vermond préfère utiliser ce temps pour autre chose.

Vermond à Mercy :

« Votre Excellence imagine bien que les méditations ne pourront être fort longues. J’ai grande peur que les lectures spirituelles et les exhortations que je dois faire ne puissent l’être beaucoup davantage. Cependant il faudra remplir ces trois jours où Son Altesse Royale ne verra personne.»

Le 14 avril 1770

Le contrat du mariage est signé.

Le 16 avril 1770

L’ambassadeur de France à Vienne demande officiellement la main de l’Archiduchesse au nom de Louis XV.

Le 17 avril 1770

L’Archiduchesse Maria-Antonia renonce officiellement à Ses droits sur l’Autriche.

 

Le 18 avril 1770

Brevet de la part de Louis XV qui permet à l’abbé de Vermond de suivre et de rester auprès de Marie-Antoinette. Marie-Thérèse y tient particulièrement. D’une part pour le bien-être de sa fille qui a besoin d’une personne qu’elle affectionne auprès d’elle alors qu’elle doit quitter ses proches et son pays, et d’autre part parce que l’impératrice souhaite une personne qui pourra lui rapporter tout les faits et gestes de sa fille.

Mercy en a également besoin : sa qualité d’ambassadeur lui permet d’approcher aussi souvent que désiré son Archiduchesse mais il préfère volontairement se restreindre à des visites protocolaires une à deux fois par semaine. De plus, il réside à Paris plutôt qu’à Versailles. De cette manière, la cour ne pourra jamais l’accuser d’intriguer auprès de Marie-Antoinette. Il lui faut donc quelqu’un de confiance dans la place au quotidien. Et ce quelqu’un est l’abbé de Vermond.

Maria-Antonia par Antonio Pencini (1770)

Mercy écrit à Marie-Thérèse :

« Tant que je serai secondé par cet ecclésiastique, je crois pouvoir répondre qu’il n’arrivera jamais de grands inconvénients. Mais s’il était déplacé, ce serait une perte irréparable et qui me jetterait dans de grands embarras . »

Louis XV accepte malgré la tradition des mariages royaux qui veut que soit renvoyée toute la suite des princesses mariées à l’étranger afin de s’acclimater plus rapidement à leur nouveau pays et éviter toute ingérence du pays allié. Déjà Vermond est Français, il n’a donc pas à repartir en Autriche. Louis XV sait aussi que de par son âge, l’éducation de la jeune fille est loin d’être achevée. Il tient surtout à plaire à l’impératrice et comprend qu’il serait cruel de séparer celle qui n’est encore qu’une enfant de tous ses proches.

Vermond devient donc lecteur de la Dauphine, ceci pour continuer Son instruction. Il touchera 6000 livres d’appointements par mois. Louis XV ne sait pas qu’il a commis une grave erreur : il vient de nommer auprès de sa petite-belle-fille celui qui sera le meilleur informateur auprès de Mercy et de Marie-Thérèse.

Louis XV par Drouais, 1773
Image de La Guerre des Trônes (2022)

Le 19  avril 1770

Mariage par procuration de Maria-Antonia et du Dauphin à l’église des Augustins de Vienne. La mariée est en drap d’argent . C’est Son frère, l’Archiduc Ferdinand, qui tient le rôle de Son époux.

Eglise des Augustins à Vienne, paroisse des Habsbourgs

Le 21 avril 1770

Marie-Antoinette part pour la France, au cours d’un voyage qui durera plus de vingt jours et qui comportera un cortège d’une quarantaine de véhicules.

Marianne Faithfull incarne Marie-Thérèse d’Autriche pour Sofia Coppola
Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola

Pour l’occasion, Marie-Thérèse a également envoyé le prince de Starhemberg comme ambassadeur extraordinaire. Il est chargé tout particulièrement  de rendre le rapport le plus complet sur les premiers moments de la Dauphine en France, ses faits et gestes, ses rapports avec sa nouvelle famille, en bien comme en mal.

Le prince de Starhemberg, ambassadeur extraordinaire de l'Impératrice

Lui aussi sait pouvoir compter sur l’abbé qui ne quitte pas son élève et lui rapporte jusqu’à la moindre pensées de la jeune fille, transmises ensuite à l’impératrice. L’ambassadeur extraordinaire saura par la suite à son tour lui rendre service.

Marie-Antoinette ignore totalement qu’une des personnes en qui Elle a le plus confiance est en fait un espion. Mais du point de vue de Vermond il n’y a aucun mal. Sa priorité est de protéger Marie-Antoinette et sa sécurité ne peut passer que par l’alliance. En outre pour la Marie-Antoinette de quatorze ans seules comptent tout naturellement les paroles de Sa mère : Elle doit avoir confiance en Vermond, Mercy, Starhemberg qui sont ses yeux et parlent en son nom. Il en va de même pour le duc de Choiseul : l’instigateur de l’alliance et de ce mariage doit être particulièrement bien distingué de la Dauphine.

Marie-Antoinette suivra ces conseils et élargira sa distinction envers tous les proches du ministre.

Le 7 mai 1770

Marie-Antoinette , comme on L’appelle désormais, est «remise» à la France sur un îlot du Rhin, considéré comme une frontière symbolique. Elle prend congé de Sa suite autrichienne ainsi que de Son chien, Mops.

L’entrée de Marie-Antoinette à Strasbourg
Mops le carlin de Marie-Antoinette

Seul Lui reste l’abbé de Vermond.

Elle fait la connaissance de Sa nouvelle suite composée du comte de Saulx-Tavannes, chevalier d’honneur de la Dauphine, du marquis de Granges, maître des cérémonies, du comte de Tessé, premier écuyer, du chevalier de Saint-Sauveur, commandant des gardes du corps de la Dauphine, du maréchal de Contades, commandant de la province, du marquis de Vogüé, commandant en second; Suivent les dames désignées pour accompagner la princesse, la comtesse de Noailles (1729-1794) qui sera Sa dame d’honneur jusque 1775 et qu’Elle surnomme très vite «Madame l’Étiquette», les duchesses de Villars et de Picquigny, la marquise de Duras, les comtesses de Mailly et de Saulx-Tavannes qui avaient toutes fait partie de la maison de la feue Reine Marie Leszczyńska

Madame de Noailles est incarnée par Judy Davis dans Marie-Antoinette de Sofia Coppola

Le 14 mai 1770

Après avoir traversé l’est de la France en liesse, Marie-Antoinette rencontre le Dauphin pour la première fois dans la forêt près de Compiègne.

Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola
Rencontre du Dauphin Louis-Auguste et de l'Archiduchesse Marie-Antoinette, La Guerre des Trônes, France 5, 2023
Louis-Auguste, Dauphin de France par Louis-Michel Van Loo

Le cortège se rend au château de la Muette où Marie-Antoinette est présentée au comte de Provence et au comte d’Artois, et où Elle fait connaissance avec la nouvelle et dernière favorite du Roi, la comtesse du Barry (1743-1793).

Le château de La Muette

Le 16 mai 1770

Le mariage de Marie-Antoinette et du Dauphin est célébré dans la chapelle royale de Versailles.

Louis-Auguste, Dauphin de France par Louis-Michel Van Loo
Marie-Antoinette Dauphine, huile sur toile de Joseph Ducreux, 1770

Les mariés sont décrits comme gauches et timides.

Image du film de Sofia Coppola (2006)

L’abbé, serviteur subalterne, ne participe pas aux cérémonies de Cour, au contraire de Mercy et Starhemberg, en leur qualité d’ambassadeurs de l’Impératrice.

L'abbé de Vermond dans Marie-Antoinette, la véritable histoire (2006) de François Leclerc et Yves Simoneau

En tant que membre de la Maison de la Dauphine, l’abbé de Vermond est logé au Grand Commun.  Il habite dans le bâtiment qui se nomme «la petite cour» et qui est l’ancien hôpital militaire de Versailles sis le long des communs du château. Son quartier est occupé aussi par les dames de la Reine ( comme madame Thiebault …) et une partie du secrétariat de la Reine. On le voit se déplacer dans les couloirs, très discret, comme une souris ! Ne se prêtant à aucun commérage : il n’est pas aimé !!!

Le Grand Commun
(texte et illustrations de Christophe Duarte – Versailles passion )

Dans les 189 logements particuliers mis à la disposition des «logeants» s’entassent les courtisans les plus chanceux, laissant aux «galopins» l’inconvénient des allers-et-retours des appartements en ville. Pour les légions de domestiques indispensables au palais et à ses habitants, des appartements communautaires ont été aménagés dans le Grand Commun, mais beaucoup doivent se contenter d’un lit sous les combles.

L'entrée du Grand Commun
Le Grand Commun où sont logés les serviteurs des membres de la famille royale
Cour intérieure du Grand Commun
Le petit logement de l'abbé de Vermond, au premier étage du Grand Commun est coloré en bleu

Manque d’espace, fumée, obscurité rendent les lieux peu accueillants, sans compter les multiples dégradations dues aux changements incessants d’occupants. Néanmoins, des courtisans de plus grande qualité, qui n’ont pu trouver de place au château, habitent le Grand Commun. A force de cloisonnement, d’entresols, on peut dénombrer 1 500 personnes réparties dans 220 logements.

Couloirs du Grand Commun
Escaliers du grand commun
Logement du premier étage du Grand Commun

Voir cet article :

Le 17 mai 1770

Au matin de la nuit des noces, l’abbé constate le départ matinal du Dauphin, délaissant trop tôt sa jeune épouse. Marie-Antoinette ne semble pas des plus heureuses et un peu plus tard, Louis-Auguste qui vient lui rendre visite se limite à cette question :

« Avez-vous bien dormi ?
_Oui.»

La réponse étant tout aussi laconique de la part de Marie-Antoinette. Vermond qui nous rapporte ces paroles est le premier témoin de la mésentente du couple delphinal. Mais surtout il remarque rapidement que le Dauphin le déteste, ne lui adressant jamais la parole. Il veut absolument le renvoyer. Sa place est d’autant fragile que son brevet de lecteur datant du mois précédent n’est pas encore enregistré. On ne peut que supputer ses raisons, les historiens ne faisant pas consensus sur la question.
Il est certain en tout cas que le Dauphin pouvait avoir toutes les raisons de le détester compte tenu de ce portrait dressé par Vermond de celui-ci à Marie-Thérèse lors de son arrivée à Vienne en 1768 :

« La nature semble avoir tout refusé à Monseigneur le Dauphin…»

Le Dauphin Louis-Auguste déteste ouvertement l'abbé de Vermond qui le décrit sans pitié : «Les jambes grêles et assez en arche, les cheveux blonds, la tête petite et ronde, le teint pâle, le front large et assez haut, les yeux un peu enfoncés ( ... ) . Il n'aime point les arts et surtout Il déteste la musique ( ... ) Il passe pour avoir le caractère bienfaisant quoique dur.»

Le 19 mai 1770

«Nous ne tardâmes non plus à nous apercevoir que M. le Dauphin était déjà prévenu contre lui (Vermond), puisque dès le troisième jour, ce prince étant venu chez Mme la Dauphine lorsque l’abbé s’y trouvait, et celui-ci ayant cru devoir sortir de la chambre, Mme la Dauphine le nomma et présenta à M. le Dauphin, sur quoi l’abbé fit un mouvement pour se rapprocher de la porte, mais M. le Dauphin sans seulement le regarder, et sans avoir l’air d’écouter, lui ferma la porte au nez et le laissa dehors.»

Rapport du prince de Stahremberg à l’Impératrice

Le 20 mai 1770

L’abbé de Vermond ne se décourage pas et se rend directement dans l’antichambre du Dauphin pour une présentation en forme :

«celui-ci passa tout court devant lui, et ne fit pas le moindre semblant de l’avoir aperçu.»

Son gouverneur, le duc de La Vauguyon, qui a commencé à attaquer Vermond dès sa nomination continue sa lutte contre l’abbé, heureusement soutenu par le prince de Starhemberg et le comte de Mercy.

Entre cette date et le 7 juin se passe ensuite un entretien entre l’abbé de Vermond et le duc de La Vauguyon présenté évidemment par Starhemberg et l’occasion encore de montrer à quel point le gouverneur est néfaste :

«Peu de jours après on alla encore plus loin, puisque le duc de La Vauguyon, dans une visite que l’abbé lui fit, lui déclara tout net que sa sa charge n’était qu’un pur titre ad honores, qu’il n’était pas d’usage ici d’aller chez les princesses de la manière qu’il allait chez Mme la Dauphine, et qu’il fallait au surplus savoir si cette princesse avait encore besoin d’instruction, et si M. le Dauphin trouverait bon qu’elle en prît de lui. Il ajouta à l’égard de la confession que l’emploi de confesseur auprès d’une princesse non réellement mariée était de trop d’importance pour qu’on put le laisser exercer à quelqu’un qui en avait aussi peu l’habitude que lui.»

Il faut dire aussi que l’abbé n’est prêtre que pour la forme et doit terriblement choquer le Dauphin et son gouverneur d’avoir partiper à la rédaction de l’Encyclopédie concernant la théologie où son point de vue ne peut qu’heurter les plus dévots. Il n’est donc évidemment pas possible pour eux de laisser la Dauphine dans les mains d’un religieux qui l’est si peu.

Le duc de Choiseul, Starhemberg et Mercy savent qu’ils ne pourront pas maintenir plus longtemps Vermond confesseur de la Dauphine. Prenant les devants, ils font le choix de l’abbé de Maudoux confesseur de Louis XV.

Dès le mois de juin 1770

Le Dauphin tente d’éloigner l’abbé de Vermond de la Dauphine ce que le Roi lui refuse.

La comtesse de Noailles, dame d'honneur de la Dauphine par Benjamin Warlop

Le 8 juin 1770

La comtesse de Noailles expose au comte de Mercy les suites de la cabale montée par le duc de La Vauguyon qui ne désarme pas.  Le gouverneur réclame désormais sa destitution en tant que lecteur de la Dauphine, sous prétexte que Marie-Antoinette ne lit pas. Il est vrai qu’Elle répugne à ces séances de lecture mais en cette période d’installation à Versailles, il lui était difficile de trouver le temps pour ses études.

Le 9 juin 1770

Rejoignant les vues de Mercy sur ce point, la dame d’honneur démontre à Louis XV la nécessité de garder Vermond auprès de la Dauphine :

« le roi dit qu’il persistait à vouloir que l’abbé de Vermond restât à son emploi de lecteur […]»

Mercy, lettre du 15 juin 1770

Il ne reste plus qu’à convaincre Marie-Antoinette de prendre plus au sérieux ses lectures afin de couper court aux accusations :

« Malgré les promesses faites au prince de Starhemberg il n’y avait eu jusqu’à ce jour-là aucune lecture. Je proposai à l’abbé de Vermond d’insister fortement et même de parler de se retirer je me rendis l’après-midi du 9 chez S. A. R. Elle était seule avec la comtesse de Noailles, laquelle s’étant retirée dans un coin de la chambre, me laissa en liberté de parler. J’en profitai pour dire à Mme la dauphine que j’étais extrêmement mortifié de devoir mander à V. M. la retraite très-prochaine de l’abbé de Vermond, qui, en ne remplissant pas les fonctions de lecteur, ne pouvait rester à la cour sans que son séjour y eût une apparence d’intrigue, dont on avait déjà su faire un usage dangereux, que cela ne convenait ni par rapport à V. M. ni pour Mme la dauphine même, et que par conséquent il fallait bien prendre un parti là-dessus. S. A. R. parut un peu embarrassée sur ce que je venais de lui exposer. Elle me dit que pour rien au monde elle ne consentirait à l’éloignement de l’abbé, et que si cela tenait à ses lectures, elle les commencerait dès le jour même, ce qui en effet fut exécuté dans la même après-dînée. Mme la dauphine renouvela ses promesses de suivre sans interruption les heures destinées à quelque occupation sérieuse, et j’en pris occasion d’entrer dans le plus grand détail sur la nécessité et l’utilité de cette méthode, et sur les inconvénients inévitables qu’il y aurait à s’en écarter.»

Mercy, lettre du 15 juin 1770

Florimond , comte de Mercy-Argenteau, par Antoine Vestier 1787

On constate que Mercy n’hésite pas à user de chantage affectif envers Marie-Antoinette, à lui faire peur, à manipuler sa jeunesse et son innocence afin d’obtenir ce qu’il souhaite, à savoir un informateur auprès de la princesse. Constatant que cette méthode fonctionne parfaitement, il  n’hésitera pas à l’utiliser à maintes reprises. Mais enfin, Marie-Antoinette accepte de se remettre à lire. Ceci démontre aussi l’affection qu’elle porte à son précepteur.

Néanmoins, si l’on se fie encore à Mercy dans cette même lettre :

« L’abbé de Vermond m’a remis de son côté une lettre que je joins pareillement. J’ai appris de cet abbé que Madame la dauphine avait fait deux lectures depuis samedi, et qu’elle paraissait décidée à les continuer.»

Le 15 juin tombant un vendredi, Marie-Antoinette n’a donc suivi que deux cours de l’abbé. Cela reste peu, surtout si l’on compare avec le Dauphin qui lui est un lecteur insatiable ! Mercy n’est pas présent en permanence à la Cour et dans l’intérieur de la Dauphine/Reine – Vermond lui y est !

Marie-Antoinette, Dauphine, auteur inconnu

Le 24 juin 1770

Louis XV nomme l’abbé de Maudoux confesseur de la Dauphine. Vermond est enfin débarrassé d’une mission qui ne lui a jamais convenu.

Le 12 juillet 1770

Marie-Antoinette, alors jeune Dauphine depuis le mois de mai précédent, conte à Sa mère, Marie-Thérèse, le déroulement de Ses journées :

« (…) je me lève à dix heures, ou à neuf heures, ou à neuf heures et demie, et, m’ayant habillée, je dis mes prières du matin, ensuite je déjeune, et de là je vais chez mes tantes, où je trouve ordinairement le roi. Cela dure jusqu’à dix heures et demie ; ensuite à onze heures, je vais me coiffer. (…) A midi est la messe : si le roi est à Versailles, je vais avec lui et mon mari et mes tantes à la messe ; s’il n’y est pas, je vais seule avec Monseigneur le Dauphin, mais toujours à la même heure. Après la messe, nous dînons à nous deux devant tout le monde, mais cela est fini à une heure et demie, car nous mangeons fort vite tous les deux. De là je vais chez Monseigneur le Dauphin, et s’il a affaires, je reviens chez moi, je lis, j’écris ou je travailkle, car je fais une veste pour le roi, qui n’avance guère, mais j’espère qu’avec la grâce de Dieu elle sera finie dans quelques années. A trois heures je vais encore chez mes tantes où le roi vient à cette heure-là ; à quatre heures vient l’abbé (de Vermond) chez moi, à cinq heures tous les jours le maître de clavecin ou à chanter jusqu’à six heures. A six heures et demie je vais presque toujours chez mes tantes (…) A sept heures on joue jusqu’à neuf heures (…) A neuf heures nous soupons, (…) nous allons nous coucher à onze heures. Voilà toute notre journée.»

Marie-Antoinette

Le 8 juillet 1770

Louis-Auguste et Marie-Antoinette ont enfin une discussion sérieuse sur leur mariage. Ils évoquent leurs problèmes conjugaux et leur conversation tourne ensuite sur madame du Barry et les intrigues de cour. Marie-Antoinette défend le duc de Choiseul que la favorite veut abattre alors que Louis-Auguste tente de lui ouvrir les yeux sur ce ministre tout aussi intriguant, arrivé au pouvoir par l’entremise d’une autre favorite royale, madame de Pompadour (1721-1764). Marie-Antoinette n’en démord pas et estime que les intrigues d’alors ne pouvaient être pire que celles actuelles.

Le duc de Choiseul

Voilà comment Mercy a eu les moyens d’en parler à Marie-Thérèse :

« Cet entretien en est resté là, et voici comment j’en ai été informé. Lorsque je me suis aperçu de l’agitation qu’occasionnaient à Mme la dauphine les propos de Mesdames, j’en devins inquiet et crus devoir charger l’abbé de Vermond de tâcher dans ses conversations particulières de calmer l’esprit de Mme la dauphine. Je lui suggérai même le langage qui me paraissait le plus propre à y réussir. L’abbé s’en acquitta, et ce fut à cette occasion que Mme l’archiduchesse, dans un premier mouvement de vivacité et de joie, lui confia tout ce que je viens d’exposer. Je suis convenu avec l’abbé qu’il ferait sentir à Mme la dauphine l’importance de garder le secret sur pareille matière, sans exception ni de Mesdames ni de personne; et il fut aussi décidé entre l’abbé et moi de n’en rien dire au duc de Choiseul, pour être à couvert de toute indiscrétion.»

Mercy, lettre du 14 juillet 1770

Discrétion que n’hésitent pas à trahir ni l’abbé, ni Mercy ! On peut continuer à être horrifié à l’idée d’une jeune fille sincère dans ses sentiments aux mains de ces deux hommes qui la manipulent à leur guise :

« Je suppose qu’il plaira à V. M. de ne point témoigner dans ses lettres à Mme la dauphine que V. M. est instruite des particularités dont il s’agit, parce que, dans le cas où Mme l’archiduchesse soupçonnerait que je les ai rapportées, elle pourrait concevoir de la méfiance de l’abbé de Vermond, et cela nous priverait du grand avantage d’être à même de remédier par nos représentations à ce que les différentes conjonctures peuvent exiger.»

Mercy, lettre du 14 juillet 1770

La mère étant mise à contribution pour mieux manipuler la fille !

En été 1770

D’après une lettre de Marie-Antoinette à sa mère, du 12 juillet 1770 nous savons que l’abbé se présente chez elle tous les jours à quatre heures, pour une heure à peine car suivent ensuite les maîtres de clavecin et de chant :

« […] A trois heures je vais encore chez mes tantes où le roi vient à cette heure là à quatre heures vient l’abbé chez moi, à cinq heures tous les jours le maître de clavecin ou à chanter jusqu’à six heures.»

L’abbé ne Lui fait pas seulement la lecture, il profite aussi de ces moments pour former l’esprit et le maintien de la princesse :

« S. A. R. a été assez exacte à continuer ses lectures; elles sont toujours suivies d’une petite conversation sérieuse avec l’abbé de Vermond sur les actions et les propos de la journée, et il résulte un bien infini de cette méthode, parce que, malgré sa vivacité naturelle, Mme la dauphine n’oublie rien de ce qu’on lui dit; elle écoute avec docilité, et l’on est sur qu’elle fera attention à tout ce qu’on peut lui exposer de raisonnable.»

Mercy, lettre du 14 juillet 1770

Mercy n’a qu’à se louer de ce serviteur si zélé :

« De tout ce qui entoure Mme l’archiduchesse, le seul qui lui soit vraiment utile, c’est l’abbé de Vermond, et je dois toute justice aux services importants que je lui ai vu rendre à S. A. R. par sa façon de lui exposer la vérité et de la lui faire sentir.»

Mercy, lettre du 14 juillet 1770

Jugement qui n’est partagé ni par les dévots menés par le duc de La Vauguyon ni par madame Campan des années plus tard, pourtant éloignée de ce parti :

« L’abbé de Vermond venait chez elle tous les jours, mais évitait de prendre le ton imposant d’un instituteur, et ne voulait pas même, comme lecteur, conseiller l’utile lecture de l’histoire. Je crois qu’il n’en a pas lu un seul volume, dans toute sa vie, à son auguste élève ; aussi n’a-t-il jamais existé de princesse qui eût un éloignement plus marqué pour toutes les lectures sérieuses.»

Madame Campan, Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, reine de France et de Navarre (1822)

La future femme de chambre de la Reine n’a peut-être pas si tort dans cette critique puisque Mercy avoue lui-même que ces trop courts moments d’études servaient également à faire passer les vues du duc de Choiseul qui voit sa faveur auprès de Louis XV s’amoindrir :

« Je me concerte toujours avec le duc de Choiseul sur tout ce qui regarde S. A. R., et je lui rapporte moi-même ou par le canal de l’abbé de Vermond les conseils du ministre, qui dans les conjonctures critiques actuelles croit ne pas devoir se montrer souvent chez Madame l’archiduchesse.»

« Malgré ses intrigues, ce mariage tant escompté ne lui permettra pas de garder son poste de ministre tout-puissant… »

Malheureusement les multiples services rendus par Vermond, si utiles aux yeux de Mercy, ne sont pas suffisamment récompensés. Mal endémique de la cour de France, les détenteurs d’offices des maisons royales et princières voient très souvent leurs appointements différés, parfois de plusieurs mois. Or Vermond, dernier à intégrer officiellement la Maison de la Dauphine et qui n’a toujours pas reçu son brevet de lecteur, est du coup le dernier à être payé. Devant cette injustice et surtout parce que Mercy refuse de perdre un tel allié, l’ambassadeur en informe l’impératrice et met à contribution Marie-Antoinette :

« cependant il n’y a pas eu moyen encore de faire expédier à cet ecclésiastique son brevet de lecteur, ni de lui faire toucher les appointements attachés à cet emploi. A l’arrivée de M » » la dauphine, tout ce qui compose sa maison a reçu des présents le seul abbé de Vermond a été oublié, et même les frais de son voyage de Strasbourg jusqu’ici ne lui ont pas été remboursés. Il m’a paru que dans une pareille occasion Mme l’archiduchesse ne pouvait se dispenser de protéger son lecteur, et j’ai supplié S. A. R. d’en parler au ci-devant comte de Saint-Florentin, maintenant duc de La.Vrillière, pour que ce ministre mette en règle le traitement de l’abbé de Vermond, lequel commençait à être un peu affecté de sa position.»

Mercy, lettre du 14 juillet 1770

Lettre de Marie-Antoinette de juillet 1770

Le 1er août 1770

Marie-Thérèse soucieuse de voir l’abbé dans une situation financière difficile envoie à Mercy :

« je vous charge de lui dire de ma part beaucoup d’honnêtetés, en l’assurant de tout le gré que je lui ai des soins qu’il se donne pour le bien de ma fille; « mandez-moi par Pichler [si vous ne croyez pas qu’il conviendrait que vous le soulagiez par quelques avances; je vous en laisse l’arbitre.»

Marie-Antoinette peinte vers 1770 par Joseph Ducreux

L’Impératrice sait pouvoir compter sur l’abbé, notamment pour corriger le maintien de la Dauphine. Et son travail n’est pas aisé tant la jeune fille est entraînée vers la légèreté et la raillerie !

Le 2 août 1770

L’abbé de Vermond reçoit enfin ses appointements  ! Marie-Antoinette n’a pas hésité à évoquer auprès de Louis XV l’injustice de la situation pour son lecteur. Au lieu des 6000 prévus, Louis XV double la somme. Peut-être Choiseul y est-il aussi pour quelque chose tant il sait l’abbé être utile à sa cause de plus en plus fragile…

L’abbé ne s’arrête pas en si bon chemin et met à contribution ses deux protecteurs  pour l’avenir de son frère officier militaire :

« L’abbé de Vermond implore les bontés et la protection de Mme la Dauphine pour son frère, chevalier de Saint-Louis, capitaine réformé de la Légion de Flandre, dont il donne le détail des services : le sieur Vermond demande au duc de Choiseul « de vouloir bien lui accorder, en faveur de ses blessures, un brevet de Lieutenant Colonel, avec dix huit cent livres d’appointements sur le quatrième denier, pour le mettre en état de se soutenir en attendant qu’il soit employé »…

Marie-Antoinette tient à témoigner Son attachement envers Son lecteur et donc contribuer à la réussite du projet :

Notons la signature toute innocente de celle qui n'est officiellement Marie-Antoinette que depuis trois mois à peine. Elle ne s'est pas encore tout à fait faite à Sa nouvelle identité...

Comme le disait sa mère à son propos :

« C’est un point très-essentiel à l’égard de ma fille d’être délicate et réservée en se prêtant à des recommandations, pour ne point être à charge au roi. Elle y était portée en tout temps mais je l’en ai toujours détournée, et ce n’était que quelques mois avant son départ que je lui ai permis de me faire des recommandations, ayant été même obligée d’y mettre des bornes, parce qu’elle voulait les étendre trop loin.»

Si Marie-Thérèse ne peut qu’être satisfaite de voir enfin l’abbé payé pour les services ô importants (!) rendus, elle met en garde Mercy : elle sait sa fille peu modérée dans les grâces qu’elle accorde. Et il ne faudrait surtout pas en abuser au point d’en lasser Louis XV. Mais quand Marie-Antoinette aime quelqu’un, elle veut que cette personne soit heureuse et n’hésite pas à élargir ce bonheur à tout l’entourage de la personne concernée. C’est un trait essentiel de son caractère.

Du point de vue de Mercy, ces gratifications sont amplement méritées :

« Cet ecclésiastique est à Mme la dauphine d’une utilité qui est au-dessus de toute récompense. Il parle à S. A. R. de toute chose avec un zèle et une vérité qu’il a le talent de faire sentir, et qui nous ont préservés de presque tous les inconvénients de la position difficile et délicate où se trouve Mme l’archiduchesse. Il n’est sorte de tentative qu’on n’ait faite pour tâcher d’éloigner cet abbé, lequel ne s’est lié avec personne de la cour, et ne s’occupe que des moyens de remplir tout ce qu’il croit pouvoir être à l’avantage de Mme la dauphine.»

Le 10 août 1770

Le duc de Choiseul sollicitant une audience auprès de la Dauphine, Mercy fait passer une note à Vermond afin que celui-ci prépare l’entretien avec Marie-Antoinette. Le sujet doit concerner le Dauphin et son aversion pour le ministre. C’est d’autant plus délicat et inquiète quelque peu l’ambassadeur que Choiseul n’en aurait peut-être rien su si la conversation du couple delphinal n’avait pas été éventée.

Son meilleur agent auprès de la Dauphine est donc une fois de plus mis à contribution.

La jeune princesse fait une très bonne impression à Choiseul, charmé par ses grâces et désormais assuré d’avoir une alliée de poids dans la famille royale. Malgré ce succès dû en partie à Vermond, nous sommes une fois de plus très éloignés des attributions ordinaires d’un instituteur ou d’un lecteur !

Mercy tient à davantage récompenser son acolyte :

Le duc de Choiseul

« Je l’ai sondé sur une gratification que V. M. m’autorise à lui donner mais sa délicatesse et son désintéressement l’ont porté à détourner cette proposition. Comme une marque de grâce serait cependant très-bien placée à son égard, elle pourrait avoir lieu, s’il plaisait à V. M. de lui faire donner, comme de la part de Mme la dauphine, un meuble utile et de quelque valeur, auquel cas je supplierais V. M. de me faire fixer à peu près le prix auquel j’aurais à me borner.»

Le comte de Mercy

Le 1er septembre 1770

En attendant, l’abbé qui espère plus de temps pour ses lectures en tentant de rogner sur celui des maîtres de clavecin et de chant, les voit maintenant réduites par les jeux de Marie-Antoinette avec le jeune fils de cinq ans de sa première femme de chambre madame de Misery. Et comble de malheur, la Dauphine accepte l’entrée de madame Thierry à son service car elle aussi est mère d’un petit garçon !

A Mercy qui fait passer les plaintes de l’abbé à ce propos, Marie-Thérèse lui répond :

« Elle a toujours beaucoup aimé à s’entretenir avec des enfants et je sens bien que cette sorte d’amusement [et l’éloignement pour la lecture et toute application] est capable de la dissiper pendant le temps de ses lectures avec l’abbé Vermond. Pour la rendre donc exacte sur ce point, je pense l’engager à m’envoyer tous les mois, par votre canal, une espèce de journal des lectures qu’elle fait avec l’abbé.»

L’Impératrice agrée également à l’idée d’un cadeau de valeur jusqu’à 4000 florins et demande à Mercy que cela provienne de la main de sa fille.

Le 5 septembre 1770

« La future première femme de chambre a occasionné un petit mouvement d’aigreur entre Mme la Dauphine et sa dame d’honneur. Mme la Dauphine a trouvé qu’on différait trop longtemps de mettre la survivancière en exercice. Je ne sais qui l’a conseillée, elle a cru avoir le droit de la mettre en possession quoiqu’elle n’eût pas de brevet ni prêté serment. Elle n’en avait pas parlé à Mme de Noailles et lui a fait seulement dire par cette femme de chambre ( madame Thierry ). Mme la Dauphine ne m’en a parlé qu’après avoir donné cette mauvaise commission… J’ai eu à essuyer les plaintes de Mme de Noailles plus piquée qu’elle ne l’a encore été et reparlant plus que jamais de quitter Mme la Dauphine à qui cette menace est revenue, apparemment par Mesdames, a pris son parti à cet égard. Elle ne serait pas fâchée que Mme de Noailles quittât dans un an ou deux, et s’était déjà fait un petit système pour la remplacer… J’ai représenté à Mme la Dauphine … que dans l’état actuel, on lui donnerait sûrement une des dames en faveur. L’ascendant des tantes est plus fort que jamais , je me casserais le nez si je voulais la combattre directement.»

L’abbé de Vermond à Mercy

Le 14 septembre 1770

Mercy met dans la confidence Marie-Antoinette ravie de pouvoir faire une belle surprise à Son lecteur. Elle est par contre beaucoup moins enthousiaste à l’idée de tenir un journal de Ses lectures :

« Madame la dauphine ne m’a rien dit de la demande que lui fait V. M. de lui envoyer un journal de ses lectures ; je n’ai pas cru devoir paraître instruit de cette demande, dont Mme l’archiduchesse a témoigné être un peu embarrassée, à en juger par l’empressement avec lequel elle consulta sur-le-champ l’abbé de Vermond, pour qu’il lui suggérât le moyen de satisfaire en cela aux intentions de V. M.. Cette circonstance produira le très-bon effet de rendre Mme la dauphine plus attentive à ses lectures, qui se font assez régulièrement, mais qui sont un peu trop abrégées.»

Bibliothèque de la Reine au château de Versailles que Marie-Antoinette fait aménager à cette époque,malgré Son peu de goût pour la lecture

Mercy a d’autant plus besoin de Vermond que Marie-Antoinette subit de plus en plus l’influence pernicieuse de Madame Adélaïde qui la pousse à ne pas suffisamment tenir son rang de première dame de la cour afin de mieux s’octroyer cette place qu’elle tenait jusqu’à l’arrivée de l’Archiduchesse.

Vermond arrive à démontrer à Marie-Antoinette que des conseils tels que de ne pas répondre aux corps constitués en audience à la cour fait plutôt mauvais effet dans le public et qu’elle doit au contraire se montrer affable envers les visiteurs. La famille royale reste la plupart du temps muette lors de ces rencontres protocolaires, Marie-Antoinette sera aimable.

Ce qui ne l’empêche pas de battre froid envers les dames et courtisans qui lui déplaisent, madame du Barry la première mais aussi tous ceux qu’elle considère de sa société.

Le 10 octobre 1770

« Madame la Dauphine dès qu’elle m’a vu, m’a dit de la suivre dans son cabinet. Elle avait le cœur gros et les yeux rouges. Elle m’a avoué qu’elle avait pleuré et a même recommencé en me parlant de Monsieur le Dauphin ; voici l’occasion . Madame la Dauphine n’avait point de chevaux pour sortir ; elle craignait de s’ennuyer , et pour remplir sa journée elle a arrangé la veille qu’elle irait avec des chevaux de poste à Saint Denis où Mesdames devaient aller à cheval et en voiture. Elle a réfléchi qu’elle serait obligée de quitter le Dauphin aussitôt après le dîner, que ce dîner même déplairait au Dauphin parce qu’il serait obligé de dîner avec les dames ; par ces considérations elle a fait le sacrifice de son amusement et rompu son projet. Elle l’a conté à son époux, elle en espérait quelques petits mots de douceur et de remerciements, elle n’y a trouvé que froideur et le laconisme le plus désobligeant. En me contant cette doléance, la Dauphine se rappelait d’autres petits chagrins  et conclue amèrement qu’il est bien dur de vivre avec un homme sans sentiment et qui ne tient aucun compte de ce qu’on fait pour lui. Madame la Dauphine était fort émue, je l’étais moi-même, et de ce que je vois, et de ce que je crains pour cet hiver. Elle a à peine fini de pleurer lorsqu’on vient lui dire que Madame Adélaïde est revenue chez elle ; la Dauphine y est allée en me disant de l’attendre ; un moment après Monsieur le Dauphin est venu chez sa tante ; M. le Dauphin est rentrée chez lui . Madame la Dauphine sans dire un mot a pris son livre et son peignoir et s’est mise entre les mains de ses friseurs ; je me suis retiré.»

L’abbé de Vermond à Mercy

Marie-Antoinette faisant mine d'ignorer madame du Barry ; série télévisée de Guy-André Lefort (1975)

Le 13 octobre 1770

Le journal de lectures tant réclamé par l’impératrice ne vient toujours pas. Vermond estime en effet que cela occasionne plus d’embarras qu’autre chose. Il a déjà trop peu de temps à consacrer aux livres, demander à la Dauphine  d’écrire pendant ce temps imparti limiterait fortement l’étude. Il est vrai que Marie-Antoinette écrit encore très difficilement et lentement et ce point ne peut être qu’un objet d’apprentissage à lui tout seul. Vermond admet devant Mercy qu’il faut absolument faire de l’écriture, mais aussi l’orthographe tout aussi catastrophique, une priorité.

« L’abbé convint qu’il y avait beaucoup à désirer sur l’une et sur l’autre que, quant au caractère de l’écriture, il serait difficile de le rectifier jusqu’à un certain point; mais que, pour l’orthographe, il allait y redoubler tous ses soins.»

Il tente néanmoins d’excuser son élève en expliquant qu’ayant crainte de voir ses lettres à sa mère interceptées, elle attend la dernière minute pour les écrire et dans la précipitation « au moyen de laquelle Mme la dauphine n’écrit jamais si mal que lorsqu’elle écrit à V. M.» (Mercy à Marie-Thérèse, lettre du 20 octobre 1770).

Mercy joint à son courrier un rapport justificatif de l’abbé sur l’état des lectures de la Dauphine qui apportent de nombreux détails sur la situation de la jeune fille :

« Lectures de Madame la dauphine.
Le désir et le besoin de causer sur mille objets que leur espèce ou leur nouveauté rendait intéressants pour Mme la dauphine l’ont empêchée pendant quelque temps- de se prêter aux lectures. Dès qu’il m’a été possible d’ouvrir mon livre, j’ai repris les synonymes français ; cette étude m’a paru la plus instante. Outre l’inexactitude qui restait encore dans le langage de Mme la dauphine, elle acquérait chaque jour des idées qu’on n’avait ni pu ni dû lui donner à Vienne. Son embarras et ses méprises ont été rares et courtes. Je ne lisais, à la vérité, que deux ou trois pages par jour; je me prêtais à chaque article à son envie de parler, j’en profitais pour rectifier ses idées et l’accoutumer à l’expression convenable. On paraît fort content du langage de Mme la dauphine même dans son intérieur, où elle parle avec plus de vivacité et moins d’attention; elle s’exprime aisément, agréablement et très-noblement dans les occasions et sur les choses remarquables.
Dans le courant, il lui arrive quelquefois de faire des phrases qui ne sont pas bien françaises mais elle y donne toujours une énergie et un agrément fort préférables à l’exactitude grammaticale. Je n’ai pas poussé ce petit cours de français aussi loin que j’aurais désiré; j’espère le reprendre cet hiver. Lorsque je me suis aperçu que l’ennui du français détruisait l’attention, j’ai lu à Mme la dauphine plusieurs lettres du comte de Tessin au prince de Suède son élève. J’ai été bien content des réflexions que ces lettres lui ont fait faire, et de l’attention qu’elle a prêtée aux miennes. Les dernières lectures ont été de quelques brochures anciennes, connues sous le titre de Bagatelles morales. On y voit les mœurs, les usages et les ridicules de bien des Français peints d’un coloris aussi agréable qu’intéressant. Mme la dauphine y a pris plaisir; elle se livrait quelquefois à en faire des applications; mais cet inconvénient, naturel à son âge et un peu à son caractère, est resté entre elle et moi; je crois pouvoir répondre qu’il a contribué à lui en faire éviter dans sa manière d’être en public.
Je suis en possession de me présenter toutes les après-dînées chez Mme la dauphine pour ses lectures ; jusqu’ici elles ont été souvent abrégées par les courses multipliées qu’elle fait chez Mesdames ses tantes, et quelquefois supprimées par les promenades; j’espère beaucoup de l’hiver.
Il serait bien à désirer que Mme la dauphine donnât à S. M. l’impératrice la satisfaction de pouvoir juger par elle-même de son application et du progrès qu’elle fait par ses lectures, en lui en envoyant des extraits ou un résultat tous les mois. Cette princesse m’en a parlé elle-même, il y a environ cinq semaines, et j’ai vu avec grande joie, dans cette occasion et quelques autres, combien les lettres de S. M. font impression sur elle. Ce n’est plus cette petite crainte d’enfant que je lui ai vue plusieurs fois à Vienne; c’est un excellent mélange, de soumission, de respect, de confiance et de désir de satisfaire son auguste mère. Madame la dauphine me disait « Comment ferai-je? Maman me demande compte dé mes lectures. Vous ne direz sûrement que la vérité, Madame; » et j’en pris occasion de lui représenter combien elle y avait manqué. Elle en convint, mais, en raisonnant sur la manière de satisfaire S. M. à l’avenir, elle me donna lieu d’y apercevoir plusieurs difficultés.
Il est bien certain qu’indépendamment de la satisfaction que Mme la dauphine désirerait donner à l’impératrice sur cet objet, elle y gagnerait beaucoup pour elle-même. Son âge et son caractère ont besoin d’un peu de gêne pour toute application suivie; l’engagement d’écrire sur ses lectures la rendrait plus exacte et plus attentive; mais comment écrira-t-elle? Je ne puis lui être d’aucun secours à cet égard; je ne suis presque jamais chez Madame la dauphine lorsqu’elle écrit. Elle me fait quelquefois appeler lorsqu’elle finit ses lettres, mais elle observe de me garder fort peu de temps l’écritoire ouverte. Elle me dit quelquefois « On ne manquerait pas de publier que vous me dictez mes lettres.» Cette crainte n’est’pas sans fondement; je ne pourrais pas hasarder d’écrire en présence et sous la dictée de Mme, la dauphine, ni même de lui dire ce que j’aurais écrit chez moi. M. le dauphin me trouve quelquefois dans le cabinet de Mme la dauphine il entre toujours sans être annoncé. D’autres fois une femme de chambre, un garçon de chambre entrent pour une commission de Mesdames ; V. E. connaît notre cour : quels contes ne ferait-on pas si on m’avait trouvé lisant des papiers? Mme la dauphine ne peut donc écrire sur ses lectures que lorsqu’elle est seule; elle en est fort capable, et ma présence serait plus nécessaire pour la déterminer que pour l’aider; elle s’y déterminera bien sincèrement par le grand désir qu’elle a de satisfaire S. M. l’impératrice mais cette détermination générale pourrait bien, quoique sincère, avoir peu d’effet. Un peu de légèreté et de paresse naturelle suffisent pour ne jamais trouver le temps d’un travail auquel rien de pressant n’existe. Madame la dauphine aura tort; mais c’est presque un tort de l’âge, tant il est ordinaire, et sa position y fournit un appui et même une sorte de justification ; Mme la dauphine ne croit aucun papier en sûreté chez elle. Elle craint les doubles clefs, elle craint qu’on ne prenne les siennes dans ses poches pendant la nuit. Cette crainte, fondée on non, est réellement dans son âme. Elle voulait relire la dernière lettre de S. M. l’impératrice, et n’a cru pouvoir la conserver une nuit qu’en la mettant dans son lit. C’est par cette raison qu’elle n’écrit jamais que le jour où ses lettres partent; pour lors elle se trouve pressée, et de là vient sa mauvaise écriture et sa mauvaise orthographe. Si Madame la dauphine écrivait sur ses lectures, elle craindrait qu’on ne vît ses papiers. Monsieur le dauphin ne la confirmerait sûrement pas dans le bon usage d’écrire. Je crois bien que Mesdames ses tantes ne cherchent pas à l’en détourner; mais ne rougirait-elle pas à. leurs yeux d’avoir l’air d’être encore en éducation? A quinze ans sa raison n’est pas encore assez forte contre certaines plaisanteries. Le roi n’a jamais donné ni avis ni réprimande à Mesdames, même dans leur enfance. Elles avaient eu des relations assez infidèles de l’éducation des archiduchesses pendant le premier mois que Madame la dauphine a passé en France, Mesdames lui parlaient souvent de son éducation et de la leur; elles lui laissaient assez voir qu’elles regardaient l’éducation des archiduchesses comme fort sévère. Ces propos sont finis et bien finis, mais ne reviendraient-ils pas, et Madame la dauphine ne les craindrait-elle pas, si on savait qu’elle envoie le résultat de ses lectures? Je suis honteux de révéler ces minuties à V. E., mais elle sait que les petites difficultés arrêtent souvent les choses les plus raisonnables.
J’ai beaucoup réfléchi aux inconvénients de la manière de rendre compte des lectures et au grand avantage de l’engagement que Madame la dauphine prendrait à cet égard; je ne voyais qu’un moyen à tenter. S. M. l’impératrice pourrait demander à Mme la dauphine de lui donner tous les mois quelques pages différentes et séparées de ses lettres Madame la dauphine pourrait me les remettre aussitôt qu’elles seraient écrites et elles partiraient avec les lettres. Je crois qu’il serait bon que S. M. ne parût pas demander un compte bien étendu Madame la dauphine le trouverait impossible par la crainte d’être surprise par M. le dauphin on est forcé d’avoir égard aux lieux et aux circonstances.
V. E. connaît le malheur de nos princes et nos princesses ; l’éducation finie, ils ne connaissent plus ni occupations ni avis. On travaille souvent à les subjuguer, rarement à les éclairer et à les diriger. Cinq mois d’expérience et d’attention continuelle me persuadent que l’exemple ne gâtera Madame la dauphine sur aucun article essentiel. Son véritable respect pour l’impératrice et la bonne tournure que prend son caractère m’en garantissent. Elle n’a fait jusqu’ici aucune faute importante; V. E. sait par elle-même comment elle écoute et revient sur ses petites méprises. J’admire tous les jours sa douceur et, j’ose dire, sa docilité. Elle me permet des vérités respectueuses en présence de sa dame d’honneur et des personnes de sa chambre, des vérités fermes et même plus fortes qu’à Vienne, lorsque je suis dans son cabinet. Je sens bien que je dois sa confiance au suffrage de S. M. l’impératrice mais n’est-il pas étonnant qu’elle se soutienne, et que Madame la dauphine ait le courage de conserver un moniteur importun au milieu des hommages et de l’adulation?»

Outre qu’on apprend que Marie-Antoinette vit dans la peur, craignant avant tout Son mari, n’hésitant pas à dormir avec Ses lettres et Ses clés auprès d’Elle, Vermond ne cache pas son mépris envers les membres de la famille royale et fait tout pour le lui faire partager. L’abbé se sait indispensable aux yeux de Mercy et de l’Impératrice et cette longue justification a surtout pour but de leur démontrer que s’ils le perdaient, ils n’auraient plus aucune influence sur la Dauphine.

Le 1er novembre 1770

Sa note justificative fait son effet car Marie-Thérèse répond à Mercy :

« Je vous suis infiniment obligée des soins et attentions continuelles que vous avez pour ma fille; continuez de même, avec l’abbé, de la conduire; je ne crains que les Mesdames.»

Madame Adélaïde par Ducreux, telle qu'elle apparaît à Marie-Antoinette qui arrive en France
Mesdames Sophie, Victoire et Louise, cette dernière étant alors déjà retirée au Carmel

L’Impératrice rajoute :

« Je suis entièrement d’accord sur la note de l’abbé qu’il vous a remise : je la garde ; vous ne saurez assez lui marquer mon contentement.»

Elle n’est néanmoins pas dupe des belles paroles de l’abbé qui se défend d’aider Marie-Antoinette pour son courrier :

« J’ai trouvé la tournure de cette petite lettre si bien de ma fille, que je l’attribue à l’abbé ;je vous prie de m’en dire la vérité.»

La lettre du 1er novembre de l’impératrice à sa fille nous apprend que Marie-Antoinette s’astreint à la lecture de Bossuet, d’un livre d’heures du cardinal de Noailles datant aussi de Louis XIV et d’une petite Année spirituelle, tous trois livres bien trop sérieux pour une jeune fille d’à peine quinze ans ! On comprend dès lors sa répugnance…

Le 8 novembre 1770

Lors d’un spectacle de cour, les comédiens chantent quelques vers pour la Dauphine. Mercy exhorte l’abbé de Vermond pour encourager Marie-Antoinette à les remercier, sans oublier de marquer sa satisfaction au duc d’Aumont, premier gentilhomme de la chambre en charge d’organiser les spectacles.

Le 16 novembre 1770

Les lectures sont toujours difficiles mais « en revanche, les conversations avec l’abbé de Vermond deviennent plus longues, plus sérieuses et plus instructives.» (Mercy, lettre du 16 novembre 1770)

Le séjour à Fontainebleau permet à Mercy et l’abbé des entretiens plus longs et moins formels avec la Dauphine. Vermond obtient maintenant deux heures d’entretien ! Mercy ne fait aucun mystère à l’Impératrice de son réseau d’espionnage dont l’abbé est le rouage principal :

« Je me suis assuré de trois personnes du service en sous-ordre de Mme l’archiduchesse c’est une de ses femmes et deux garçons de chambre qui me rendent un compte exact de ce qui se passe dans l’intérieur ; je suis informé jour par jour des conversations de l’archiduchesse avec l’abbé de Vermond, auquel elle ne cache rien ; j’apprends par la marquise de Durfort jusqu’au moindre propos de ce qui se dit chez Mesdames, et j’ai plus de monde et de moyens encore à savoir ce qui se passe chez le roi, quand Madame la dauphine s’y trouve.»

Mesdames, dans la série de Guy Lefranc, 1975

Marie-Antoinette qui craint d’avoir son courrier lu par son mari ou par des membres de son service, qui ne supporte pas l’idée d’être menée par quelqu’un, notamment par ses tantes, qui vit quasiment dans la paranoïa, ignore que les véritables espions/manipulateurs sont ailleurs. Il y aurait donc presque de l’ironie à lire ceci, Mercy parlant de l’abbé :

« Madame la dauphine lui donne toute sa confiance, et certainement jamais confiance n’a été mieux placée.»

Le 29 novembre 1770

Marie-Antoinette, suivant la chasse du Roi en voiture, voit son postillon tomber et écrasé par les quatre chevaux. Elle prend les choses en main, fait envoyer des chirurgiens et organise le retour du blessé à Versailles dans des conditions qui n’aggraveraient pas son état. Émue, Elle prend ensuite tout naturellement des nouvelles de son protégé. Mais même si cette anecdote a quelque peu touché les âmes sensibles et augmente la popularité de la Dauphine, certains courtisans tentent de la rassurer en lui disant « que les gens d’écurie avaient le cœur dur». (Mercy , lettre du 17 décembre 1770)

Marie-Antoinette en amazone ou habit de chasse par l'Autrichien Krantzinger

Le 30 novembre 1770

Émue par cette réponse qu’Elle a moyennement appréciée, Marie-Antoinette la rapporte à l’abbé de Vermond :

« Le lendemain, en présence de bien du monde, elle parla à l’abbé de Vermond de ce motif de consolation, qu’elle ne goûtait pas. L’abbé fut révolté qu’on respectât assez peu la sensibilité de Mme la dauphine pour oser lui tenir de pareils propos. Il lui répondit que les gens qui parlaient ainsi se trompaient fort; que les pauvres gens vivaient plus ensemble, étaient moins dissipés, et devaient s’aimer autant pour le moins que les grands entr

Mercy , lettre du 17 décembre 1770

Vermond a certainement été touché par l’acte d’humanité de la Dauphine. Et il n’oublie pas qu’il n’est que le fils d’un chirurgien de campagne… Il est de son devoir que celle destinée à devenir reine sache comment vivent ses futurs sujets. D’ailleurs il est acquis que Vermond n’est désormais plus utile aux études, mais bien à conseiller la Dauphine :

« L’abbé de Vermond, qui en tout opère des merveilles, n’effectue que peu de chose en matière d’étude. En revanche, ses conversations deviennent journellement plus utiles ; elles roulent sur des préceptes essentiels de conduite, que Mme la dauphine met en effet très-bien en usage, et il n’y a rien à désirer de ce côté-là.»

Le 17 décembre 1770

Ce qui n’empêche pas Mercy et Marie-Thérèse d’espérer encore un journal de lectures. Après près de six mois, Mercy ne désespère pas que cette influence si positive envers la Dauphine puisse aller jusqu’à Son époux :

« Je m’étais flatté qu’en voyant habituellement l’abbé de Vermond, il s’accoutumerait à lui parler, et sûrement la conversation de cet ecclésiastique aurait pu lui devenir très-utile ; mais jusqu’à ce jour M. le dauphin’ne lui a pas encore adressé la parole, sans que cela provienne d’aucune prévention contre cet abbé, mais purement par embarras ou nonchalance.»

Le comte de Mercy

Or contrairement à ce que dit Mercy, certainement par excès de confiance mais aussi par une très mauvaise connaissance du Dauphin particulièrement impénétrable, Louis-Auguste déteste cordialement l’abbé. Il ne se départira jamais de son mutisme à son égard, sauf lors d’une notable exception. Mercy se flatte de pouvoir un jour gouverner le Dauphin, par l’entremise de la Dauphine, elle-même menée par Vermond qui l’est lui par Mercy !

Le 18 décembre 1770

L’abbé de Vermond reçoit en cadeau une vaisselle d’argent dont se préoccupait Mercy soucieux de récompenser au mieux son acolyte le plus fiable :

« L’abbé de Vermond a reçu le présent en vaisselle d’argent que V. M. a daigné lui destiner, et quoique ce bienfait lui ait été-remis au nom de Madame la dauphine, il sait cependant qu’il le doit à la clémence de V. M., et je crois qu’il en mettra aujourd’hui à ses pieds de très-humbles actions de grâces.»

 Le 24 décembre 1770

Le duc de Choiseul (1719-1785) , l’un des principaux artisans du mariage franco-autrichien ( il était chef du gouvernement de Louis XV entre 1758 et 1770), est exilé à cause de son orientation libérale  dont la pratique politique s’apparente à une cogestion implicite avec les adversaires de la monarchie absolue. Marie-Antoinette est persuadée que Jeanne Du Barry a forcé la décision du Roi.

Marie-Thérèse reçoit la nouvelle comme un coup dur :

« L’éloignement de Vermond est sûr, je regarde cela comme infaillible et la chute de ma fille. Vous n’aurez non plus cette facilité de l’approcher, ni on n’osera vous informer de tout.»

Lettre de Marie-Thérèse à Mercy du 4 janvier 1771

Le duc de Choiseul par Louis-Michel Van Loo

L’Impératrice comprend mieux la gravité de la situation, notamment en ce qui concerne l’état catastrophique des relations entre Marie-Antoinette et Son époux, que ce que veut bien lui en  dire  Mercy :

« Cette abominable clique gâtera ma fille, et lui rendra ou suspects ou incommodes ceux qui pourraient lui donner des bons conseils. Je vous avoue que je regarde comme décisif ce coup pour ma fille, mais pas pour l’alliance, qui convient autant à la France qu’à nous. Je vous prie de me marquer toutes les particularités, mais surtout les propos, la contenance du dauphin, que je crois pas si sot, mais entièrement adonné et mené par cette clique, ainsi faux et hypocrite.»

Marie-Thérèse sent bien que la chute de Choiseul ne signifie pas forcément la fin de l’alliance mais bien une possible répudiation de sa fille ou au moins une séparation nette avec Mercy et surtout Vermond dont l’influence est jugée néfaste par les opposants de Choiseul. Elle redoute même l’éloignement de l’abbé.
Mercy doit entreprendre une triple action auprès de l’Impératrice :

  • obtenir qu’elle désavoue les conseils qu’elle avait tout d’abord donnés à sa fille de ne se conduire que d’après les avis de Mesdames ; qu’elle les aide, lui et l’abbé de Vermond à combattre leur influence sur Marie-Antoinette ;
  • lui donner le change sur la colère grandissante de Louis XV contre la Dauphine en attribuant cette colère au refus de la jeune femme de traiter poliment madame du Barry et les gens de la société du Roi, et aux conseils qu’Elle est supposée donner à Son mari s’imiter Sa conduite à leur égard.
  • Lui faire admettre progressivement que les gens du parti dominant ennemis de Choiseul, que la favorite elle-même, sont ses nouveaux alliés pour la Dauphine et contre le Dauphin.

Paul et Pierrette Girault de Coursac

Tout dépend donc de l’attitude de Louis XV et de son héritier envers Marie-Antoinette…

Le 6 janvier 1771

Marie-Thérèse très inquiète de la situation écrit à sa fille :

« Vous avez plus besoin que jamais, ma fille, des conseils de Mercy et de l’abbé, qui, je crains, connaissant son honnêteté, sera fort ébranlé de ce coup mais ne vous laissez induire dans aucune faction, restez neutre en tout; faites votre salut, l’agrément du roi, et la volonté de votre époux.»

Vermond risque le renvoi et la Dauphine doit faire profil bas afin de ne pas encourir le pire . L’Impératrice l’incite au sérieux et à l’étude, celle-ci restant la seule justification de la présence de Vermond auprès d’Elle :

« Tâchez de tapisser un peu votre tête de bonnes lectures, elles vous sont plus nécessaires qu’à une autre. J’en attends depuis deux mois la liste de l’abbé, et je crains que vous ne vous aurez guère appliquée les ânes et les chevaux auront emporté le temps requis pour la lecture mais à cette heure, en hiver, ne négligez pas cette ressource, qui vous est plus nécessaire qu’à une autre, n’ayant aucun autre acquis, ni la musique, ni le dessin, ni la danse, peinture et autres sciences agréables. Je reviens donc toujours à la lecture, et vous chargerez l’abbé de m’envoyer tous les mois ce que vous aurez achevé, et ce que vous comptez commencer.»

Seulement Marie-Thérèse ignore que l’équitation est le moyen le plus sûr pour plaire au Roi et à son petit-fils, tous deux cavaliers émérites.

Marie-Antoinette à cheval par Louis-Auguste Brun

Le 20 janvier 1771

L’abbé de Vermond se rend à Paris récupérer la lettre de l’Impératrice pour sa fille, Mercy ne pouvant se rendre à Versailles car enrhumé.

Le 23 janvier 1771

Pendant que Marie-Thérèse exhorte sa fille à la neutralité et la soumission envers Louis XV et Son mari, Mercy la pousse au contraire à marquer publiquement son mécontentement du renvoi du duc de Choiseul, toujours par l’entremise de Vermond :

« Le même jour de l’exil du duc de Choiseul, et une heure après que j’en eus connaissance (ne pouvant dans un moment si critique me rendre moi-même à Versailles), mon premier soin fut de faire parvenir à Madame la dauphine, par le canal de l’abbé de Vermond, les remarques qui me parurent les plus importantes, sur la conduite et le langage qu’il convenait à S. A. R. de tenir dans une conjoncture où elle serait sans doute observée de près. Je la fis supplier de garder un maintien qui ne cachât point le déplaisir que devait lui causer le renvoi d’un ministre que tout le monde sait avoir été honoré des bontés et, de la confiance de V. M., et qui d’ailleurs a essentiellement coopéré à l’arrangement du mariage de Madame la dauphine, que ces deux motifs d’intérêt pourraient être allégués par S. A. R. dans tous les cas où on lui parlerait du ministre exilé, mais qu’il fallait éviter tout propos de justification en sa faveur, se borner simplement à le plaindre du malheur d’avoir déplu au roi son maître, et surtout ne faire aucune mention ni de ses ennemis, ni des moyens qu’ils ont employés pour le perdre.»

Il est parfois difficile de comprendre comment Marie-Thérèse a pu avoir une telle confiance en cet ambassadeur. Mercy craint maintenant l’influence de la comtesse de Narbonne (1734-1821), dame d’atours de Madame Adélaïde :

« La comtesse de Narbonne, dame d’atours de Mme Adélaïde, gouverne entièrement cette princesse, et voudrait aussi par son moyen gouverner Mme la dauphine; elle y a déjà réussi en bien des choses, mais la présence de l’abbé de Vermond met un obstacle à l’entière exécution de son projet, et cela me fait craindre que cette dame d’atours pourrait bien s’occuper des moyens d’écarter l’abbé.»

Françoise de Chalus, duchesse de Narbonne-Lara, dame d'atours puis d'honneur de Madame Adélaïde

Lorsqu’à chaque fois Marie-Antoinette cherchera à se dégager de l’influence des deux compères, ce sera toujours pour Mercy la faute de quelqu’un. Il est vrai que Marie-Antoinette subit forcément l’influence de ses tantes qu’elle fréquente quotidiennement, et peut-être aussi celle des membres de leur service (elle apprécie notamment la présence de leur jeune lectrice Henriette Genêt, future madame Campan, avec qui elle joue de la musique), mais peut-être y trouve-t-elle aussi probablement une nouvelle manière de voir les choses.

Mercy et Vermond seront toujours jaloux de leur influence et n’admettront jamais que d’autres puissent endosser leur rôle. Pire : à leurs yeux, ce sont les autres qui tentent de manipuler Marie-Antoinette. Eux ne sont que de bons serviteurs fidèles et dévoués.

Mercy craint désormais le pire, que Marie-Antoinette puisse ne rien faire contre le départ de Son lecteur :

« Quoique Madame la dauphine lui accorde à juste titre toute sa confiance, cependant on est parvenu à rendre S. A. R. un peu timide et incertaine dans ses opinions, de façon que, contre son propre gré, il ne serait pas impossible qu’elle se laissât entamer sur le chapitre de l’abbé de Vermond, si Mesdames s’appliquaient de suite à lui inspirer des doutes sur l’utilité de garder auprès de sa personne cet ecclésiastique, dont toute la cabale serait enchantée de se débarrasser.»

Lettre de Mercy à Marie-Thérèse du 23 janvier 1771

Ce qui évidemment serait une catastrophe pour Mercy :

«L’éloignement de l’abbé priverait S. A. R. de la seule personne vraiment utile et de confiance qu’elle ait à ses ordres ; il en résulterait pour moi un embarras extrême, en perdant une voie sûre de faire parvenir à Madame l’archiduchesse tout ce que je crois nécessaire de lui faire savoir, et je suis dans ce cas-là plusieurs fois par semaine.»

Mercy et Vermond dans Marie-Antoinette de Sofia Coppola

Dans la suite de son rapport, l’ambassadeur tente de rassurer sa souveraine ou de se rassurer lui-même :

« V. M. a lieu d’être tranquille à cet égard; je suis aussi bien sûr qu’on ne réussira pas à m’interdire l’accès dont je suis en possession auprès de S. A. R., pourvu qu’elle veuille bien elle-même me soutenir dans l’occasion, ce qui lui sera très-facile, de même qu’à l’égard de l’abbé de Vermond.»

Mesdames, dont il se méfie, semblent avoir quelque peu compris la situation puisque Mercy avoue l’air de rien :

« Je ne pourrais sans de très grands inconvénients paraître trop souvent à Versailles, et, depuis quelque temps, quand je m’y trouve, S. A. R. n’a presque jamais le loisir de me parler, et cet obstacle est toujours occasionné par Mesdames.»
(…)
« Je ne crains en cela (son éloignement et celui de Vermond) que les insinuations de Mme Adélaïde, et je m’en rapporte sur cet article au contenu de mon très humble rapport.»

Lettre de Mercy à Marie-Thérèse du 23 janvier 1771

Il n’y a jamais eu dans l’histoire des reines de France nées à l’étranger d’exemple si frappant d’un ambassadeur tenant d’influencer sa princesse ressortissante. Mercy le sait très bien et fait tout pour ne pas donner de soupçons. D’où la nécessité de l’abbé de Vermond auprès de Marie-Antoinette. Et cette chance qu’il partage totalement ses vues !

Et il est du rôle de Mesdames, filles de France, d’arracher la Dauphine à tout influence autrichienne.

Ainsi, Marie-Antoinette entre dans une intrigue de ses tantes pour faire accorder le titre de duc au marquis de Durfort, dont l’épouse est  dame d’atours de Madame Victoire. Marie-Antoinette n’oublie pas qu’il fut ambassadeur de Louis XV à Vienne lors de ses fiançailles et se fait un devoir de récompenser cet homme et son épouse. Ce qui est également le souhait de l’Impératrice qui avait apprécié cette dame.

Pour Mercy :

« J’ai engagé l’abbé de Vermond à faire usage de toutes ces réflexions, et à démontrer à Madame l’archiduchesse que, dans la circonstance en question, elle a été jouée sans s’en apercevoir.»

La bonne nouvelle pour Mercy est que Marie-Antoinette de par la saison hivernale lit plus :

« En revanche les occupations sérieuses sont aussi un peu plus suivies, et S. A. R. a fait dans ces derniers temps quelques lectures de cinq quarts d’heure, ce qui n’était pas encore arrivé.»

Lettre de Mercy à Marie-Thérèse du 23 janvier 1771

Marie-Antoinette par Duplessis (étude)

Le 11 février 1771

Marie-Thérèse entend bien la situation et répond à son ambassadeur :

« Tout dépend de votre adresse, de vous ménager, comme jusqu’ici, des occasions de parler de temps à temps à ma fille, et de maintenir l’abbé Vermond dans son poste actuel.»

Lettre de Marie-Thérèse à Mercy

La condition sine qua non pour maintenir leur système ! Marie-Thérèse cerne parfaitement la nature humaine :

« Peut-être ma fille même ne serait-elle pas fâchée de se voir débarrassée d’un homme qui pourrait lui être incommode dans ses moments de dissipation. Je ne doute donc pas que, pour l’éloigner, on n’emploie les moyens les plus séduisants et même l’appât de quelque établissement brillant.»

Il est clair que Vermond pourrait ne pas refuser une abbaye de renom ou une autre place prestigieuse. L’Impératrice craint surtout que ce départ probable pourrait mettre la Dauphine en situation délicate avec l’arrivée prochaine de Sa future belle-sœur de Savoie, la comtesse de Provence.

Le 22  février 1771

Afin de prévenir tout départ de l’abbé qui l’éloignerait de la Dauphine, Mercy prend les devants :

« Depuis mon dernier et très humble rapport, j’ai eu différentes occasions de rappeler à Mme la dauphine les réflexions nécessaires il la garantie des surprises qu’on aurait peut-être voulu lui faire sur le chapitre de l’abbé de Vermond, dont le zèle est fort incommode à bien des gens. S. A. R. a parfaitement compris l’importance de cet objet, et elle s’est décidée en dernier lieu à donner à cet abbé une marque authentique de bonté et de protection, qui le mettra à couvert des entreprises que l’on pouvait méditer contre lui. L’évêque d’Orléans avait destiné à cet ecclésiastique une abbaye de douze mille livres, lorsqu’il y en aurait une vacante cela est arrivé tout à l’heure, et, sur la demande que Mme la dauphine a faite au roi de cette abbaye vacante, elle a été accordée sur-le-champ à l’abbé de Vermond.»

Lettre de Mercy à Marie-Thérèse du 25 février 1771

On sent le soulagement de l’ambassadeur ! Nous ne connaissons malheureusement pas le nom de cette abbaye. Le même jour, cloué au lit par une attaque de rhumatisme, c’est une fois de plus Vermond chez son protecteur qui se charge de transmettre la lettre de l’Impératrice à sa fille.

Le 25 février 1771

« Sacrée Majesté. Depuis la date de mon dernier et très-humble rapport du 23 de janvier, je me suis constamment occupé des moyens de remettre sous les yeux de Mme la dauphine les objets qui exigent le plus d’attention de sa part, et, après m’être concerté avec l’abbé de Vermond, nous sommes convenus que lui de son côté, et moi du mien, nous rendrions nos instances un peu pressantes sur les points qui, dans ces derniers temps, ont paru menacer quelques inconvénients.»

Lettre de Mercy à Marie-Thérèse

Marie-Antoinette par Ducreux

Ces inconvénients étant l’influence de Mesdames et la place que pourrait prendre la future comtesse de Provence. On frémit à l’idée d’une jeune Marie-Antoinette harcelée par ces deux hommes qui font tout pour l’inciter à rejeter sa nouvelle famille. Vermond permet à Mercy de se rassurer :

« S. A. R. ne me dit rien de positif sur mes remarques relatives à Mesdames ses tantes mais, d’après le langage qu’elle a tenu ensuite à l’abbé de Vermond, j’ai lieu de croire qu’elle se détache un peu de ses préventions.»

Au mois de mars 1771

Mesdames interviennent avec succès, à la grande colère de Vermond, pour engager la Dauphine à répondre aux avances de Son mari et à lui ouvrir la porte de Sa chambre. Mercy ne peut tolérer longtemps que les filles du Roi se mettent ainsi au travers de ses projets.

 

Le 15 mars 1771

Marie-Thérèse à Mercy :

« Pourvu que l’abbé Vermond reste ferme dans son poste, je crains moins. Je suis bien aise de la grâce que ma fille lui a procurée ; ce n’est que dans des cas extraordinaires que je serai bien aise de recevoir ses rapports.»
[…]
J’approuve infiniment la générosité de ma fille de secourir les gens de son service dans leur indigence, mais je me doute si l’abbé. Vermont ne lui est pas quelquefois un mentor incommode, et je trouve à sa place les avertissements que vous lui donnez pour la garantir des surprises qu’on pourrait lui faire sur son chapitre.»

L'Impératrice Marie-Thérèse

Deux points sur cet extrait :

1/Il est difficile de comprendre pour quelles raisons Marie-Thérèse écrit cette fois-ci Vermont alors qu’elle a toujours écrit Vermond, dans la même lettre y compris.

2/Parler d’indigence pour l’abbé de Vermond est un peu fort ! Il touchait tout de même 12 000 livres par mois, somme dorénavant doublée.

Le 22 mars 1771

« Votre Eminence partagera sûrement ma joie, Monsieur le Dauphin a passé la nuit avec Madame la Dauphine. On a beaucoup parlé et de bonne amitié. Je compte qu’il reviendra ce soirs et les jours suivants. Madame la Dauphine avait promis de ne rien exiger, elle a tenu parole et la tiendra plusieurs jours, elle est dans temps de la générale ( expression conventionnelle pour indiquer la venue des règles ). Quelque besoin que j’ai de voir V.E., je ne crois pas pouvoir quitter dimanche Madame la Dauphine.»

L’abbé de Vermond à Mercy

Le 1er avril 1771

« Je me repose donc sur vos soins de vous maintenir sur le pied où vous vous trouvez vis-à-vis de ma fille, et de ménager encore à l’abbé l’influence qui lui est tant nécessaire pour être utile à ma fille. Je ne lui parlerai pas du projet de m’envoyer le journal de ses lectures ; elle me les a envoyées de la main de l’abbé. Voilà sa lettre, qui est encore très mal écrite, et ne me dit jamais rien d’intéressant.»

Lettre de Marie-Thérèse à Mercy

Vermond conserve peut-être toute son influence mais il n’a toujours pas réussi à améliorer l’écriture de la Dauphine ! Il est triste de constater que la mère n’hésite pas à envoyer la lettre de sa fille à son ambassadeur. Marie-Antoinette est bien à ses yeux avant tout, un pion politique.

Le 16 avril 1771

« Je dois convenir que les soins de l’abbé de Vermond y ont pour le moins autant contribué que les miens (le règlement des relations conflictuelles entre la Dauphine et sa dame d’honneur, la comtesse de Noailles), et cet honnête ecclésiastique rend à Madame la dauphine des services que l’on ne saurait apprécier heureusement il a su se concilier toute l’estime et la confiance de S. A. R. Sa position le met d’ailleurs à portée de voir journellement ce qui se passe, et de pouvoir en parler à toute heure. Je ne jouis pas de ce dernier avantage, et quand je parviens une fois ou deux la semaine à parler à Madame l’archiduchesse, elle ne m’accorde que bien peu de moments, et toujours avec une grande crainte qu’on ne fasse des remarques sur ces courtes audiences.»

Lettre de Mercy à Marie-Thérèse

Une fois de plus, Mercy tente d’excuser l’écriture de la Dauphine et donc Vermond :

« que le caractère d’écriture de Madame la dauphine n’est jamais si mauvais que dans ses lettres à V. M., parce qu’elle les écrit avec beaucoup trop de précipitation, dans la crainte d’être surprise soit par M. le dauphin, soit par Mesdames ses tantes, auxquelles jusqu’à présent elle n’a jamais rien communiqué de sa correspondance avec V. M. C’est un point sur lequel j’avais insisté dès le commencement, et que S. A. R. a toujours observé strictement. J’ai cependant averti l’abbé de Vermond de redoubler ses soins pour tâcher de gagner un peu de correction dans l’écriture et l’orthographe. Je rejoins ici la lettre de Madame la dauphine que V. M. a. daigné m’envoyer.»

Presqu’un an après Son arrivée, Mercy conforte toujours sa pupille dans Sa peur des lettres lues par Son mari et rajoute désormais les tantes dont il refuse l’influence.
Une fois de plus, nous avons bien la preuve que la jeune fille a appris à se méfier des mauvaises personnes puisque Sa propre lettre à Sa mère fait deux aller-retours Versailles/Vienne/Paris/Vienne !
On se demande en quoi il aurait été grave que l’époux de Marie-Antoinette lise les lettres de son épouse ? Tandis qu’il semble normal à l’Impératrice de faire lire les lettres de sa fille à son ambassadeur !

Le 6 mai 1771

Marie-Antoinette apprend que le Roi accorde la place de dame d’atours en survivance à madame de Saint-Mégrin, belle-fille du duc de La Vauguyon.

« Madame la dauphine, alarmée de cette nouvelle, envoya chercher l’abbé de Vermond; elle lui dit qu’elle n’avait pas le temps de me consulter, qu’il n’y avait pas un instant à perdre, qu’elle voulait écrire au roi,qui était à la Muette, et que l’abbé devait lui faire un projet de lettre. L’abbé représenta qu’il valait beaucoup mieux parler qu’écrire, mais Madame la dauphine ayant persisté dans sa volonté, l’abbé forma le projet de lettre suivant : 
 » J’apprends que madame de Villars pense a demander à V. M. la survivance de sa place pour madame de Saint-Mégrin ; j’en suis si occupée que je ne puis attendre pour vous en parler le moment où j’aurais le bonheur de vous voir. J’aurais bien de la peine à voir madame de Saint-Mégrin dans ma maison, et surtout dans une place comme celle-là. J’ai trop de confiance dans l’amitié de mon cher papa pour croire qu’il voulût me donner ce chagrin je le supplie instamment de me l’épargner. »»

Lettre de Mercy à Marie-Thérèse du 22 mai 1771

Marie-Antoinette s’inquiète pour rien et l’on peut s’interroger sur l’intervention de Mesdames décrite par Mercy, par l’entremise de Vermond :

« Mesdames voulurent changer le contenu de cette lettre et y insérer tout plein de phrases maladroites et déplacées; l’abbé de Vermond fit tout au monde pour les faire retrancher, mais il ne l’obtint qu’en partie, et l’ascendant de Mesdames prévalut comme de coutume. Le roi répondit le même jour ce qui suit « On ne m’a pas parlé pour madame de Saint-Mégrin ; je me souviens que feu mon fils lui avait promis une place dans la maison de sa belle-fille, mais les choses ont bien changé depuis, et vous avez eu la maison de la reine; lorsque les places vaqueront par mort ou démission, j’espère que vous agréerez les personnes que je vous proposerai. Je ne suis pas surpris que madame de Saint-Mégrin ne vous convienne pas, elle est trop jeune et par trop bête. »

Ce dernier mot était effacé, mais d’une manière à laisser la facilité de le lire.

En effet, il avait été établi dès le décès de  Marie Leszczyńska en 1768 que la future dauphine et en toute logique future Reine hériterait de la maison de la feue Reine. Tandis que la maison de la Dauphine Marie-Josèphe de Saxe, morte en 1767 passerait à la comtesse de Provence. Le fils de Louis XV, ami du duc de La Vauguyon qu’il avait nommé gouverneur de ses fils, notamment pour son attachement à la cause du parti dévot, lui avait fait une promesse sans se douter qu’entre temps, sa mère, son épouse et lui-même seraient depuis décédés.

La maison de la Reine étant complète, madame de Saint-Mégrin ne peut que passer chez la belle-fille suivante. Louis XV rassure la petite Dauphine : il n’a jamais pensé une seule fois lui imposer madame de Saint-Mégrin qui n’a rien à faire dans sa maison. On se demande si ce n’est pas encore un moyen d’effrayer inutilement Marie-Antoinette. En toute logique, ce n’aurait pas été à Vermond à intervenir mais à la comtesse de Noailles, qui d’un mot aurait rassuré la Dauphine. Ou bien Mesdames qui ont agi mais de manière négative selon Vermond et Mercy.

Est-il possible que de son côté Mercy tente également d’effrayer Marie-Thérèse qui de loin voit sa fille  entourée d’ennemis et gonfle artificiellement le rôle de Vermond ?

« Le 11 (mai 1771), la Cour se rendit à Fontainebleau

Madame la dauphine parut assez occupée de l’objet de ce voyage. On remarqua qu’elle était plus attentive et caressante vis-à-vis du roi, qui en fut enchanté. Le lendemain, toute la famille royale alla à une distance de deux lieues au-devant de madame la comtesse de Provence.»

Lettre de Mercy à Marie-Thérèse du 22 mai 1771

Le 11, 12 et 13 mai 1771

Séjour à Fontainebleau pour accueillir la comtesse de Provence. Vermond est encore plus nécessaire que d’habitude afin de conseiller Marie-Antoinette dans l’accueil délicat de sa nouvelle belle-sœur. Les partis de cour font tout pour opposer les deux princesses.

Si tout le monde s’accorde sur l’instruction poussée de la princesse savoyarde, de son esprit et sa parfaite éducation, elle manque de grâce et de charme. Marie-Antoinette est rassurée de ne pas trouver une rivale. Les deux jeunes couples vont vivre le plus souvent possible ensemble.

Le 22 mai 1771

Vermond n’a pas de scrupules à agir bien au-delà de ce que sa fonction de lecteur le lui permet :

« Relativement aux occupations journalières de Mme l’archiduchesse, je n’ai pour cette fois rien de fort essentiel a observer. Les heures de lecture se remplissent avec un peu plus de régularité que par le passé, et il en résulte toujours un très grand bien, en ce que l’abbé de Vermond se trouve journellement à portée de suivre des conversations intéressantes, dans lesquelles il saisit les moyens de suggérer ce que les différentes conjonctures exigent pour le bien de Madame l’archiduchesse.»

Lettre de Mercy à Marie-Thérèse

Mercy et Vermond dans la série Marie-Antoinette (1975) de Guy-André Lefranc

L’abbé de Vermond a pour confident l’abbé de Véri (1724-1799).

Avant le séjour de Compiègne

Le Dauphin fait signifier à l’abbé de Vermond de sortir lorsqu’il l’entend annoncer ou qu’il le voit entrer chez la Dauphine.

Le 15 juillet 1771

Départ de la Cour pour Compiègne.

Le 1er janvier 1773

Alors que la comtesse du Barry, entourée de la duchesse d’Aiguillon et de la maréchale de Mirepoix, se présente au lever de la Dauphine au milieu d’une foule nombreuse, Marie-Antoinette prononce les paroles tant attendues, quelques mots restés célèbres :

« Il y a bien du monde aujourd’hui à Versailles »

C’est tout.

« Je lui ai parlé une fois, mais je suis bien décidée à en rester là et cette femme n’entendra plus jamais le son de ma voix.»

Elle tiendra parole ! … et écrira à Sa mère :

« C’est la plus sotte et impertinente créature qui soit imaginable ».

La scène dans la série télévisée Marie-Antoinette (1975) de Guy-André Lefranc: l'abbé de Vermond y épaule sa pupille

Le 14 août 1773

« Je suis vivement et profondément blessé du silence que garde avec moi Madame la Dauphine sur les dispositions de Monsieur le Dauphin à mon égard; il est probable que depuis deux ans elle ne lui a pas parlé de moi.»

L’abbé de Vermond

Le 10 mai 1774

Louis XV meurt de la petite vérole à Versailles vers quatre heures de l’après-midi. Il avait soixante-quatre ans.

Le Dauphin Louis-Auguste devient Roi sous le nom de Louis XVI

Louis XV par Armand-Vincent de Montpetit
Louis XVI d'après Duplessis

Dimanche 11 juin 1775

Louis XVI est sacré à Reims. L’abbé de Vermond a beau exposer gravement à la Reine tout l’intérêt qu’Elle aurait à se faire sacrer en même temps que Son époux, il «la trouv(e) d’une grande indifférence à cet égard».

Louis XVI lors de son sacre à Reims par Benjamin Warlop

En 1775

Besenval (1721-1791) et la comtesse de Brionne (1734-1815) ne tardent pas à reprendre leur ascendant sur Marie-Antoinette malgré Mercy et Vermond qui tentent vainement de s’opposer à leurs manœuvres politiques, pour le prochain retour aux affaires de Choiseul.

La comtesse de Brionne avec son amant, le duc de Choiseul, et l'abbé Barthélémy

Vermond songe sérieusement à se retirer et il faut toute l’énergie de Mercy pour l’en dissuader.

En 1776

Procès de Guînes ( son secrétaire, Barthélémy Tort de la Sonde (1738-1818), a utilisé son nom pour spéculer sur les fonds publics et escroquer plusieurs banquiers parisiens), qui écrit des mémoires justificatifs que le public dévore . Sous l’influence de Son cercle d’amis, Marie-Antoinette intervient pour étouffer l’affaire.  L’ambassadeur Lui en sera éternellement reconnaissant et Lui devra son titre de duc.

Le duc de Guînes par Benjamin Warlop
Marie-Antoinette recevant Glück : on reconnaît la princesse de Lamballe et l'abbé de Vermond... et le portrait du Roi par Callet

Lors de cette affaire de Guînes, Mercy et Vermond s’estiment encore heureux de pouvoir s’entretenir régulièrement avec Marie-Antoinette. Prévoyant les conséquences fâcheuses ils essaient vainement de Lui suggérer quelques moyens de sauver les apparences.

Vermond Lui parle avec assez de liberté :                             

« Vous êtes devenue fort indulgente sur les mœurs et la réputation de vos amies et amis. Je pourrais prouver qu’à votre âge cette indulgence, surtout pour les femmes, fait un mauvais effet; mais que vous en fassiez votre société, votre amie uniquement parce qu’elle est aimable ; certes, ce n’est pas la morale d’une prêtre ; mais que l’inconduite en tout genre, les mauvaises mœurs, les réputations tarées et perdues soient un titre pour être amis dans votre société, voilà ce qui vous fait un tort infini. Depuis quelques temps, vous n’avez même plus la prudence de conserver liaison avec quelques femmes qui aient réputation de raison et de bonne conduite.»

Propos de l’abbé cités par madame Campan

C’est Madame de Polignac (1749-1793) qui est la principale visée dans ces propos.

Yolande de Polignac Au chapeau de paille par Élisabeth Vigée Le Brun (1783)

Le 18 avril 1777

Visite de Joseph II en France. Il voyage en Europe sous le nom de comte de Falkenstein. A la requête de l’Impératrice , il rend visite à sa sœur pour tenter de comprendre la stérilité du couple royal. Il fait très bonne impression sur Marie-Antoinette et Louis XVI ainsi que sur l’entourage par l’intérêt qu’il témoigne à la culture française.

 

Joseph arrive à neuf heure et demie. Sur sa demande, la Reine a envoyé l’abbé de Vermond pour l’accueillir dans la cour du château, car l’Empereur veut se rendre directement dans les petits cabinets de sa sœur, sans rencontrer âme qui vive. Fidèle à sa consigne, l’abbé, évitant les antichambres remplies de monde, lui fait emprunter corridors et escaliers dérobés qui  le conduisent jusqu’à Marie-Antoinette encore revêtue d’un déshabillé et à peine coiffée.

« Le premier moment entre lui et la reine fut des plus touchants; ils s’embrassèrent et restèrent longtemps dans l’attendrissement et le silence», raconte Mercy qui tient la confidence de Vermond.

Joseph II par Joseph Hickel

Le 13 mai 1777

Dîner à Trianon offert à Joseph II, souper et spectacle.

Le 31 mai 1777

Départ de Joseph II de Versailles.

Le 4 juin 1777

« L’empereur, un moment avant son départ, m’a dit qu’il avait prié la Reine de me montrer les conseils qu’il lui a laissés par écrit. La Reine m’en a parlé le même jour et m’a paru frappée de l’instance avec laquelle son frère lui avait recommandé de me (les) communiquer. Elle ne m’en a pas reparlé depuis, et je n’en ai encore vu que la partie que l’empereur m’a montrée.»

Vermond à Mercy

Correspondance secrète 1778

Le 19 décembre 1778

Après un accouchement difficile, Marie-Antoinette donne naissance de Marie-Thérèse-Charlotte, dite Madame Royale, future duchesse d’Angoulême. L’enfant est surnommée «Mousseline» par la Reine.

La naissance est un supplice. Un instant, on croit que l’enfant est mort, mais des vagissements se font entendre : il vit. La Reine n’a pas le temps de s’en réjouir. Elle n’en peut plus. La tension, l’émotion, l’atmosphère confinée et étouffante, le vacarme des courtisans, le travail éreintant de douze heures… Elle est prise d’une convulsion et s’évanouit.

Images de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola

L’accoucheur de la Reine, Charles-Toussaint de Vermond, frère de l’abbé de Vermond, s’exclame :

« Donnez-lui de l’air, de l’eau tiède, elle doit être saignée au pied !»

Seul le Roi a la force d’ouvrir les fenêtres qui étaient calfeutrées pour l’hiver.

Image de Marie-Antoinette de Sofia Coppola

Terreur du médecin. Il faut La saigner pour La réanimer et reprendre les suites naturelles de l’accouchement !

Images de Marie-Antoinette, Reine d’un seul amour (1989) de Caroline Huppert
Vermond, médecin de la Reine, à sa table de travail lisant le traité d'accouchement, 1787
Images de Marie-Antoinette, Reine d'un seul amour (1989) de Caroline Huppert

Fin mars 1779

Marie-Antoinette attrape une rougeole très douloureuse, cause de violents maux de gorge et d’aphtes. Elle se retire donc à Trianon afin de préserver Sa petite fille et Son mari de tout risque de contagion.

« Je revins à Paris pour suivre mon projet de permanence à Rocroy. Au commencement du printemps de 1779 la reine tomba malade. Une fièvre très forte accompagnée de mouvements spasmodiques finit par être la rougeole. Le roi ne l’avait pas eue. M. le comte d’Artois, qui ne l’avait pas eue non plus, et Madame Elisabeth s’enfermèrent avec elle. Le duc de Goigny, le comte de Guînes, le baron de Besenval et moi eûmes la permission de la voir et fûmes séquestrés du reste de la cour. Dès qu’elle commença à entrer en convalescence, on lui conseilla d’aller s’établira Trianon.
La maison y venait tous les jours et on nous donna des logements au Grand Trianon. Le duc de Liancourt, qui s’est depuis distingué par son ingratitude, y fut ajouté. La comtesse Jules était tombée malade à Paris peu après la reine, et avait eu aussi la rougeole. La comtesse Diane resta avec Madame Élisabeth, et les trois semaines que nous passâmes à Trianon furent très agréables, uniquement occupés de la santé et de l’amusement de la reine; de petites fêtes simples dans un lieu charmant, dans une belle saison, des promenades en calèche ou sur l’eau, point d’intrigues, point d’affaires, point de gros jeux; seule la grande magnificence qui y régnait pouvait faire soupçonner que l’on fut à la cour. Le temps d’exil passé, tout reprit l’ordre accoutumé et je partis pour Metz avec la promesse de recevoir l’ordre d’aller à Rocroy en permanence dès que je le demanderais.
»

Valentin Ladislas

Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola

Elle est alors veillée par le comte d’Esterházy (1740-1805), le baron de Besenval (1721-1791) et les ducs de Coigny (1737-1821) et de Guînes (1735-1806). Ses dames ne peuvent lui tenir compagnie à ce moment car la rougeole est dangereuse pour les femmes enceintes, ce qu’elles peuvent toutes susceptibles d’être.

Valentin d'Esterházy par Benjamin Warlop
Le baron de Besenval par Benjamin Warlop
Le duc de Coisny par Benjamin Warlop
Le duc de Guînes par Benjamin Warlop

« Les trois semaines que nous passâmes à Trianon furent très agréables, uniquement occupés de la santé et de l’amusement de la reine, de petites fêtes simples dans un lieu charmant , des promenades en calèches ou sur l’eau. Point d’intrigues, point d’affaires, points de gros jeux. Seule la magnificence qui y régnait pouvait faire soupçonner qu’on était à la cour.»

Valentin Ladislas, comte d’Esterházy

Des hommes en tant que garde-malades étaient alors indispensables puisque la rougeole pouvait entraîner de graves conséquences sur les dames potentiellement enceintes. Les moyens de contraception n’existaient pas encore et donc toutes ses dames du palais en âge de procréer pouvaient être enceintes. De plus, dans ces situations de maladies contagieuses à risque pour les femmes, Marie Leszczyńska agissait de même et personne ne trouvait rien à redire…

Toujours secondé par Vermond, Mercy suggère alors à Marie-Antoinette d’écrire quelque petit billet à Son mari. « La proposition en fut d’abord reçue et rejetée avec une aigreur extrême.» Vermond insiste longuement pour parvenir à ce que la Reine  se borne à lui écrire «qu’elle a beaucoup souffert, mais que ce qui la contrari(e) le plus (est) de se voir privée encore pour plusieurs jours du plaisir de voir le roi».

Louis XVI est «enchanté» de ce message et Lui répond aussitôt. Une correspondance quotidienne s’engage entre les époux ce qui «f(a)it sensation dans Versailles et dès ce moment les propos se calmèrent».

Marie-Antoinette au Petit Trianon en compagnie de l'abbé de Vermond

En 1780

L’abbé de Vermond devient le dernier abbé de l’abbaye de Cherlieu, dont il ne fait que bénéficier des usufruits en bon représentant du clergé séculier qu’il est.

Le Déjeuner sur l'herbe ou Un goûter au petit Trianon par Jean Joseph Léon Fauret : la Reine dans Son hameau , entourée de Ses proches dont l'abbé de Vermond

Le 29 novembre 1780

Mort de l’Impératrice Marie-Thérèse après une courte maladie. Ayant appris la nouvelle avant sa femme, Louis XVI charge l’abbé de Vermond de La prévenir avec le plus de ménagement possible. Lorsque l’abbé s’est acquitté de sa pénible tâche, le Roi rejoint Marie-Antoinette et trouve les mots qui conviennent pour apaiser Son immense douleur.

L'Impératrice Marie-Thérèse

C’est pour sa fille, «le plus affreux malheur».

Françoise Seigner est Marie-Thérèse dans la série de Guy-André Lefranc (1975) 

Le 22 octobre 1781

Naissance du Dauphin, Louis-Joseph-Xavier-François (1781-1789), premier Dauphin.

Naissance du Dauphin par Jean-Michel Moreau, le jeune

Au discret Campan, la Reine confie toutes sortes d’inquiétudes : Elle lui emprunte des sommes importantes (quatre-vingt mille livres ! ) , Elle lui parle de Sa difficulté à faire revenir aux commandes le ministre Choiseul, qu’Elle apprécie : il est l’auteur de Son mariage. Sur-le-champ, l’abbé de Vermond, Son mentor, La réprimande : Comment ? Bouleverser la hiérarchie et se confier à un simple officier de chambre ? Alors qu’il considérait Dominique Campan comme son allié, Vermond le menace :

« La reine ne doit avoir ici que moi pour confident des choses qui doivent être ignorées

En 1783

On publie les lettres d’attache sur bulle qui autorisent Pofficial du diocèse de Chartres à procéder à la conversion du titre de l’abbaye de la Trinité de Tiron au diocèse de Chartres pour en réunir les biens et tous droits en dépendant à la cure de Saint-Louis. L’église Saint-Louis est confiée à la direction des prêtres de la Mission*  que l’on voit à l’œuvre et que l’on aime à Notre-Dame et à la chapelle du Palais. Il y a le curé en titre, douze prêtres, dont deux faisaient fonction de vicaires, deux clercs et quatre frères. Tout d’abord, on leur assure des pensions alimentaires de 11,400 livres, à titre provisoire. Et comme la jouissance des revenus est réservée à l’abbé de Vermont, titulaire de l’abbaye, les missionnaires n’en jouiront jamais ; la Révolution, qui destituera l’abbé, destituera aussi les Pères Lazaristes et tous les biens de Tiron feront retour à l’État.

* La Congrégation des prêtres de la Mission, fondée en 1625 par saint Vincent de Paul, avait pris le nom de Lazaristes de leur établissement dans une maison de l’ordre militaire de saint Lazare; ils s’occupaient alors de l’administration paroissiale, des missions au dedans et au dehors du royaume. A part la direction des paroisses leur vocation reste la même et s’exerce toujours dans les missions et l’enseignement religieux.

Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56870514/texteBrut

Le 27 mars 1785

Naissance de Louis-Charles, duc de Normandie, Dauphin en 1789 et déclaré Roi de France en 1793 par les princes émigrés sous le nom de Louis XVII.

Le 1er août 1785

 Le bijoutier Böhmer se rend chez la première femme de chambre de Marie-Antoinette, Madame Campan, et évoque l’affaire qui l’amène avec elle: il s’agit de l’achat du collier qu’il avait réalisé avec son associé Bassenge, pour madame du Barry, mais Louis XV étant mort, le bijou leur est resté sur les bras. Par l’entremise d’une aventurière, Jeanne de La Motte (1756-1791), la vente semblait possible car cette descendante d’un bâtard d’Henri II a approché le cardinal de Rohan, désolé d’être en disgrâce vis à vis de la Reine depuis Son arrivée en France. La comtesse de La Motte lui fait penser qu’en aidant Marie-Antoinette à acquérir cette parure, il pourrait espérer devenir ministre …

Louis-Charles, duc de Normandie par Élisabeth Vigée Le Brun
LE collier qui coûte 1 600 000 livres

Henriette Campan tombe des nues et va immédiatement rapporter à la Reine son entretien avec Böhmer. Marie-Antoinette, pour qui l’affaire est incompréhensible, fait appeler l’abbé de Vermond et le baron de Breteuil (1730-1807), ministre de la Maison du Roi, afin de tirer les choses au clair.

Le 2 août 1785

Le banquier français, Claude Baudard de Saint-James (1738-1787) rencontre l’abbé de Vermond et lui apprend que le cardinal de Rohan avait l’intention d’emprunter 700 000 livres au nom de la Reine. Etant donné l’importance de la somme, il est prêt à avancer, mais il veut des ordres précis et directs.

De plus en plus scandalisée, Marie-Antoinette presse Vermond et Breteuil de faire éclater l’affaire au grand jour. Marie-Antoinette reçoit les joailliers venus pour La remercier d’avoir acheté leur fabuleux collier par l’intermédiaire du cardinal de Rohan. Épouvantée par une telle révélation, la Reine ne peut articuler un seul mot. C’est l’abbé de Vermond, présent à cet entretien qui leur demande «comment le cardinal s’y est pris pour faire cette acquisition».

Le 14 août 1785

Après de longues concertations avec l’abbé et le ministre, il est décidé que ce dernier en parle au Roi, veille de l’Assomption, jour de fête de la Reine.

Le 15 août 1785

Alors que le cardinal — qui est également grand-aumônier de France — s’apprête à célébrer en grande pompe la messe de l’Assomption dans la chapelle du château de Versailles, il est convoqué dans les appartements du Roi en présence de la Reine, du garde des sceaux Miromesnil et du ministre de la Maison du Roi, Breteuil.

Il se voit sommé d’expliquer le dossier constitué contre lui. Le prélat comprend qu’il a été berné depuis le début par la comtesse de La Motte. Il envoie chercher les lettres de la « Reine ». Le Roi réagit :

« Comment un prince de la maison de Rohan, grand-aumônier de France, a-t-il pu croire un instant à des lettres signées Marie-Antoinette de France ! ».

Louis-Auguste de Breteuil,ministre de la Maison du Roi, par Ménageot

La Reine ajoute :

« Et comment avez-vous pu croire que moi, qui ne vous ai pas adressé la parole depuis quinze ans, j’aurais pu m’adresser à vous pour une affaire de cette nature ? ».

Le cardinal tente de s’expliquer.

Lana Marconi est la Reine dans Si Versailles m'était conté (1953) de Sacha Guitry

« Mon cousin, je vous préviens que vous allez être arrêté. », lui dit le Roi. Le cardinal supplie le Roi de lui épargner cette humiliation, il invoque la dignité de l’Église, le souvenir de sa cousine la comtesse de Marsan qui a élevé Louis XVI. Le Roi se retourne vers le cardinal :

« Je fais ce que je dois, et comme Roi, et comme mari. Sortez. »

Au sortir des appartement du Roi, il est arrêté dans la Galerie des Glaces au milieu des courtisans médusés.

Arrestation du cardinal de Rohan dans L'Affaire du Collier (2001) 

Le 8 mai 1785

Mort du duc de Choiseul.

Insidieusement, grâce au discours de l’abbé de Vermond, Loménie de Brienne est devenu pour Marie-Antoinette l’homme du recours. L’Empereur qui l’a jadis rencontré lors de sa venue en France, Lui en avait aussi fait l’éloge.

Le 31 mai 1786

La prétendue comtesse de La Motte, elle, est condamnée à la prison à perpétuité à la Salpêtrière, après avoir été fouettée et marquée au fer rouge sur les deux épaules du « V » de « voleuse » (elle se débattra tant que l’un des « V » sera finalement appliqué sur son sein).

L'exécution du supplice de Jeanne de La Motte le 21 juin 1786

Le 22 juin 1787

Madame de La Motte qui a nié toute implication dans l’affaire, reconnaissant seulement être la maîtresse du cardinal, est parvenue à s’évader de la Salpêtrière. Elle s’enfuit à Londres…

Le 9 juillet 1786

Marie-Antoinette met au monde Son dernier enfant, une petite fille qui reçoit les prénoms de Marie-Sophie-Hélène-Béatrix, couramment appelée Sophie-Béatrix ou la Petite Madame Sophie.

En avril 1787

La duchesse Polignac (1749-1793) et le comte de Vaudreuil (1740-1817) passent deux mois en Angleterre dont six semaines à Bath. Ils semblent également missionnés d’aller trouver madame de La Motte (1756-1791) à Londres pour calmer les bruits qu’elle y fait courir contre Marie-Antoinette. Il est faux que madame de La Motte ait en son pouvoir des lettres qui puissent compromettre la Reine, «mais toute calomnie répandue contre (Elle) exerce sur les esprits prévenus plus d’empire que la vérité».

Evelyne Lever parle des mystérieux voyages de l’abbé de Vermond et des Polignac comme si l’abbé était missionné du même rôle qu’eux.

Le 1er mai 1787

Étienne-Charles de Loménie de Brienne (1727-1794) s’impose comme principal ministre d’Etat grâce à l’appui de Marie-Antoinette. Une fois au pouvoir, il met fin aux grandes spéculations boursières, puis réussit à faire enregistrer par le parlement de Paris des décrets établissant le libre-échange à l’intérieur du pays et prévoyant l’instauration d’assemblées provinciales ainsi que le rachat des corvées. Lorsque les parlementaires refusent d’enregistrer les décrets qu’il propose d’appliquer au droit de timbre  et au nouvel impôt foncier général, il persuade Louis XVI de tenir un lit de justice pour les y contraindre.

C’est l’entrée au gouvernement d’un virulent ennemi pour la duchesse qui aura la preuve  que les libelles imprimés contre elle sont l’œuvre du cardinal (que deviendra Loménie de Brienne en 1788) :

«Je conviens que j’ai dit beaucoup de mal de lui à la Reine, mais je prouvais ce que j’avançais et je le défie d’en faire autant.»

«L’archevêque (Loménie de Brienne) et l’abbé de Vermond, qui n’avaient pu détruire madame de Polignac, eussent obtenu qu’elle n’influe plus autant dans les affaires.»

Le baron de Besenval

Image de Lady Oscar de Jacques Demy, l'abbé de Vermond commente les actualités à la Reine

Le 19 juin 1787

La petite Madame Sophie décède sans doute atteinte d’une tuberculose pulmonaire. La cause de son trépas est un peu mystérieuse mais il semble s’agir d’une grave infection pulmonaire. Ce décès provoque le retour précipité des Polignac et de l’abbé de Vermond.

Jacques Necker par Duplessis

 

Le 18 août 1787

Les parlementaires sont exilés à Troyes et ne sont rappelés à Paris qu’après avoir consenti à étendre l’impôt direct à toutes les formes de revenus. Une nouvelle tentative visant à contraindre le parlement à enregistrer un décret autorisant un emprunt de 120 millions de livres rencontre une opposition déterminée.

Le 8 mai 1788

La lutte du parlement contre la politique de Brienne prend fin: il accepte sa propre démission. Marie-Antoinette entretient avec le prélat une correspondance secrète, sans doute grâce au zèle de l’abbé de Vermond. C’est sous l’influence de Son bon abbé que la Reine dénigre le Genevois, Jacques Necker (1732-1804) qui remplace Loménie de Brienne.

Début 1789

L’abbé de Vermond presse la Reine de se séparer de madame de Polignac. Les deux amies ont eu plusieurs altercations…

 Claude Evrard incarne l’abbé de Vermond dans Marie-Antoinette, Reine d’Un Seul Amour (1988) de Caroline Huppert

En mai 1789

Jeanne de La motte, qui avait été payée pour ne pas écrire ses «souvenirs» publie ses mémoires complétés par la prétendue correspondance échangée entre la Reine et le cardinal…

 Le 5 mai 1789

Ouverture des États-Généraux.

Procession des trois ordres, du Roi et de la Reine qui se rendent dans la Salle des Menus Plaisirs de Versailles.

Ouverture des Etats Généraux

Le 4 juin 1789

Mort du Dauphin, Louis-Joseph-Xavier-François, à Meudon.

Mort du Dauphin dans Les Années Lumière de Robert Enrico (1989)

Le 20 juin 1789

Serment du Jeu de paume

Le Serment du Jeu de Paume par Jacques-Louis David

Le 11 juillet 1789

Renvoi de Necker

Le 14 juillet 1789

Prise de la Bastille.

La prise de la Bastille dans Les Années Lumière (1989) de Robert Enrico

Le 16 juillet 1789

Louis XVI se rend à l’assemblée, en compagnie de ses deux frères. Il revient au château à pied, entouré des députés et du peuple qui l’accompagnent jusque dans la Cour de Marbre.

Le Roi, la Reine, la Famille Royale paraissent au balcon, mais sans madame de Polignac, à qui on a demandé de ne pas se montrer. cette dernière aurait dit à madame Campan :

« Ah ! Madame! quel coup je reçois.»

L’absence de la duchesse est remarquée.

Claude Evrard incarne l'abbé de Vermond dans Marie-Antoinette, Reine d'Un Seul Amour (1988) de Caroline Huppert

A minuit, madame de Polignac et sa famille montent en carrosse pour s’enfuir. On apporte à la duchesse un billet de la Reine :

« Adieu la plus tendre des amies, le mot est affreux ; voilà l’ordre pour les chevaux. Adieux. Je n’ai que la force de vous embrasser.»

Le départ des Polignac par Benjamin Warlop

De même, la Reine invite Vermond à fuir.

Claude Evrard incarne l'abbé de Vermond dans Marie-Antoinette, Reine d'Un Seul Amour (1988) de Caroline Huppert

 

En juillet 1789

« D’après le comte de Paroy (Mémoires, p. 43, note du comte de Paroy, cf. Gallica), après le départ de Madame de Polignac, l’abbé de Vermond parut seul en faveur. On le regardait comme un conseiller nuisible au bonheur du peuple, on cria haut contre lui. La reine, alarmée pour lui, l’engagea d’aller à Valenciennes, où commandait le comte d’Esterhazy; mais l’abbé ne s’y crut pas en sûreté et partit pour Vienne où il est resté.»

« L’abbé de Vermond est enragé de s’être vu arracher les rênes du gouvernement qu’il tenait toutes entières tandis que M. de Brienne siégeait à Versailles. L’abbé, dans son courroux, n’épargne dans ses invectives ni le baron de Breteuil, ni Mme de Polignac , ni même la Reine. Il a même osé dire que Sa Majesté ne mérite plus d’être servie depuis qu’elle a souffert l’éloignement de l’archevêque .»

Marc de Bombelles

Départ après 15 juillet 1789

Les rumeurs le disent parti avec madame de Polignac mais cela est faux, part un peu plus tard de son côté, rejoint Esterhazy puis Vienne. Coblentz avec le Comte d’Artois, puis à Ratisbonne avec les Bombelles et aussi à Vienne. Madame de Polignac a bien quitté Versailles en compagnie d’un abbé, mais certes pas Vermond ( elle et lui ne peuvent pas supporter !!! ) ! C’est l’abbé Cornu de la Balivière, aumônier ordinaire du Roi.

« Le départ de la duchesse de Polignac devait laisser tomber tous les dangers de la faveur sur l’abbé de Vermond; on en parlait déjà comme d’un conseiller nuisible au bonheur du peuple. La reine en fut alarmée, et lui conseilla de se rendre à Valenciennes, où commandait le comte d’Esterhazy; il ne put y résider que peu de jours, et partit pour Vienne où il est toujours resté.»

Madame Campan

« La nuit du 17 au 18 juillet, la reine, ne pouvant dormir, me fit veiller près d’elle jusqu’à trois heures du matin. Je fus très-surprise de l’entendre dire que l’abbé de Vermond serait fort long-temps sans reparaître à la cour, quand même la crise actuelle s’apaiserait, parce qu’on lui pardonnerait trop difficilement son attachement pour l’archevêque de Sens, et qu’elle perdait un serviteur bien dévoué; puis, tout-à-coup, elle me dit que je ne devais pas l’aimer beaucoup, que cependant il était peu prévenu contre moi; mais qu’il ne pouvait souffrir que mon beau-père occupât la place de secrétaire du cabinet. Elle ajouta que j’avais certainement étudié le caractère de l’abbé, et comme je lui avais fait quelquefois des portraits à l’imitation de ceux qui étaient en usage du temps de Louis XIV, elle me demanda celui de l’abbé, tel que je le concevais, sans la moindre restriction. Mon étonnement fut extrême. Cet homme qui, la veille, était dans la plus grande intimité, la reine me parlait de lui avec beaucoup de sang-froid, et comme d’une personne qu’elle ne reverrait peut-être plus !
Je restai pétrifiée:… la reine persista, et me dit que, depuis plus de douze ans, il avait été ennemi de ma famille, sans avoir pu la desservir dans son esprit; qu’ainsi je n’avais pas même à redouter son retour, quelque sévère que fût la manière dont je l’avais jugé. Je résumai promptement mes idées sur ce favori, et je me rappelle seulement que le portrait fut fait avec sincérité, en éloignant néanmoins tout ce qui pouvait donner l’idée de la haine. J’en citerai un seul trait: je disais que, né bavard et indiscret, il s’était fait singulier et brusque pour masquer ces deux défauts. La reine m’interrompit en disant: « Ah, que cela est vrai! » J’ai eu occasion, depuis cette époque, de découvrir que malgré la haute faveur de l’abbé de Vermond, la reine avait pris quelques précautions pour se garantir par la suite d’un ascendant dont elle ne pouvait juger toutes les conséquences.»

A peine l’abbé de Vermond est-il parti, la Reine fait à madame Campan une étrange demande : qu’elle improvise son portrait à la manière de ceux « qui étaient en usage du temps de Louis XIV». Dégagée de l’emprise de Vermond, la Reine tente de comprendre sa personnalité. Henriette Campan s’exécute sans forcer le trait : 

« Né bavard et indiscret, il s’était fait singulier et brusque pour masquer ces deux défauts».

Le 4 août 1789

Abolition des privilèges.

La Nuit du 4 août 1789, gravure de Isidore Stanislas Helman (BN)

Le 26 août 1789

Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

Le 5 octobre 1789

Des milliers de parisiennes marchent sur Versailles pour réclamer du pain.

Image de Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy

Le 6 octobre 1789

A six heures du matin, les appartements royaux sont envahis par la populace qui a su pénétré par une grille mal fermée. la Reine est réveillée en sursaut et Elle s’enfuit dans les corridors de Ses petits appartements pour rejoindre la chambre du Roi. Elle échappe de peu aux meurtriers venus L’assassiner.

Le matin du 6 octobre 1789 par Benjamin Warlop

La famille royale est ramenée de force à Paris.

Départ du Roi de Versailles, par Joseph Navlet
Les Tuileries dans Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy

Le 14 juillet 1790

 Fête de la Fédération.

Jean-François Balmer et Jane Seymour dans Les Années Lumière de Robert Enrico (1989)

Le 20 juin 1791

Évasion de la famille royale.

Le 21 juin 1791

 Le Roi et la Reine sont arrêtés à Varennes.

Chez l'épicier Sauce à Varennes, par Prieur

Le 25 juin 1791

La famille royale rentre à Paris, escortée au pas par la populace, dans un silence glacial .

Le Roi est suspendu.

Image de Marie-Antoinette (1056) de Jean Delannoy

Le 29 novembre 1791

Décret faisant des prêtres réfractaires à la Constitution civile du clergé des «suspects».

Le 20 juin 1792

La foule envahit les Tuileries pour faire lever le veto.

Le Roi refuse.

Escalier monumental des Tuileries (juste avant sa destruction)
Le dévouement de Madame Élisabeth, prise par la foule pour la Reine, elle ne les détrompe pas pour donner à sa belle-sœur la possibilité de se réfugier et de sauver Sa vie.

Le 11 juillet 1792

«La patrie en danger».

Le 25 juillet 1792

Signature du manifeste de Brunswick, une mise en demeure de la France, sommée de respecter la famille royale. Les Parisiens sont outrés par le ton belliqueux du texte lorsqu’il est connu en France quelques jours plus tard.

Le 10 août 1792

Sac des Tuileries.

Le Roi est suspendu de ses fonctions.

La prise des Tuileries le 10 août 1792

Le 13 août 1792

La famille royale est transférée au Temple après avoir été logée temporairement aux Feuillants dans des conditions difficiles: quatre pièces du couvent seulement leur étaient dédiées… pendant trois jours.

La Tour du Temple

Le 20 septembre 1792

Victoire de Valmy considérée comme l’acte de naissance de la république.

Le 21 septembre 1792

Abolition de la Royauté.

Le 14 novembre 1792

Les troupe françaises entrent à Bruxelles.

Le 11 décembre 1792

Début du procès de Louis XVI.

Le 21 janvier 1793

Exécution de Louis XVI

Le 3 juillet 1793

Louis-Charles, Louis XVII, est enlevé à sa mère et confié au cordonnier Antoine Simon (1736-1794).

La Séparation de Marie Antoinette et Son Fils (1856)  par Edward Matthew Ward

Dans la nuit du 2 au 3 août 1793

Marie-Antoinette est transférée de nuit à la Conciergerie.

Le 14 octobre 1793

Marie-Antoinette comparaît devant le président Herman.

Le 16 octobre 1793 

Exécution de Marie-Antoinette, place de la Révolution .

Louis XVII agonisant

Le 8 juin 1795

L’annonce de la mort en prison du fils du défunt Roi Louis XVI âgé de dix ans, Louis XVII pour les royalistes, permet au comte de Provence de devenir le dépositaire légitime de la couronne de France et de se proclamer Roi sous le nom de Louis XVIII. Pour ses partisans, il est le légitime Roi de France.

Le comte de Provence par Adélaïde Labille-Guiard

Le 19 décembre 1795

Marie-Thérèse, l’Orpheline du Temple, quitte sa prison escortée d’un détachement de cavalerie afin de se rendre à Bâle, où elle est remise aux envoyés de l’Empereur François II.

A partir de la fin de l’année 1799

Napoléon Bonaparte (1769-1821) dirige la France.

Du 10 novembre 1799 au 18 mai 1804

Bonaparte est Premier consul.

Bonaparte Premier consul par Jean-Auguste-Dominique Ingres

De 1802 à 1805

Napoléon Ier est aussi président de la République italienne

Bonaparte au Pont d'Arcole par Antoine-Jean Gros (1801)

Du 18 mai 1804 au 11 avril 1814

Napoléon Ier règne sur la France en tant qu’empereur.

Le 2 décembre 1804

Sacre de Napoléon Ier à Notre-Dame de Paris et couronnement de Joséphine.

Sacre de Napoléon Ier par Jacques-Louis David

Du 17 mars 1805 au 11 avril 1814

Napoléon Ier est Roi d’Italie.

Claude Evrard incarne l'abbé de Vermond dans Marie-Antoinette, Reine d'Un Seul Amour (1988) de Caroline Huppert

En 1806

L’abbé Mathieu-Jacques de Vermond meurt à Vienne, sans être revenu en France depuis son départ en 1789…

« Cet abbé de Vermond, dont les historiens parleront peu parce que son pouvoir était resté dans l’ombre.»

Madame Campan (Mémoires) qui l’a longtemps côtoyé

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