
Sommaire de l’article :
- Epoque gallo-romaine (50 av J-C – Vème siècle)
- Epoque mérovingienne (Ve-VIIIe siècles)
- Epoque carolingienne (VIIIe-Xe siècles)
- Les Capétiens (987-1328) : les premiers Capétiens (987-1180) et la Curia Regis ; Philippe II Auguste (1180-1223) ; Saint Louis (1226-1270); Philippe III le Hardi (1270-1285) ; Philippe IV le Bel (1285-1314) et les débuts du Parlement
- Les Valois (1328-1589) : Jean II le Bon (1350-1364) ; Charles V le Sage (1364-1380) ; Charles VI le Fol ou le Bien-Aimé (1380-1422) ; Charles VII le Victorieux (1422-1461) ; Louis XI (1461-1483) ; Charles VIII (1483-1498) ; Louis XII (1498-1515) ; François Ier (1515-1547) et la vénalité des charges ; Henri II (1547-1559) ; François II (1559-1560) ; Charles IX (1560-1574) ; Henri III (1574-1589) et le Pont-Neuf
- Henri IV (1589-1610) : le Pont-Neuf ; la Samaritaine et la statue équestre du Roi
- Louis XIII (1610-1643) : l’incendie de 1618 ; les grands travaux
- Louis XIV (1643-1715) : la Fronde ; le Parlement muselé
- Louis XV (1715-1774) : la Régence et le retour du droit de remontrance ; la longue lutte entre le pouvoir monarchique et le Parlement ; Damiens ; le discours de la Flagellation ; la réforme Maupeou
- Louis XVI (1774-1789) : le retour du Parlement ; l’incendie de 1776 et les grands travaux ; nouvelles prétentions du Parlement ; la nouvelle cour du May ; l’Affaire du Collier ; la révolution royale ; la lutte entre le pouvoir royal et le Parlement ou le déclenchement de la Révolution
- 1789 : les vacances prolongées du Parlement ; les cours de vacation ; la résidence du premier président à destination du maire de Paris et du comité de recherche contre d’éventuels complots ou la création de la police judiciaire
- 1790 : abolition définitive du Parlement ; création des cours de cassation pour chaque département et du tribunal de cassation à Paris
- 1791 : création d’un tribunal criminel à Paris
- 1792 : création d’un tribunal criminel exceptionnel à Paris visant à juger les «criminels» du 10 août ; les massacres de septembre
- 1793 : le tribunal criminel extraordinaire transformé en tribunal révolutionnaire ; incarcération, procès et exécution de milliers de prisonniers, des plus célèbres aux plus méconnus ; nombreux détails et inédits sur les soixante-seize jours de Marie-Antoinette à la Conciergerie
- 1794-1795 : suite et fin de la Terreur
- le XIXe siècle
Epoque gallo-romaine (50 av J-C – Vème siècle)
Dès la conquête romaine au Ier siècle avant notre ère, les vainqueurs s’installent dans la cité des Parisii, à Lutèce. Ils bâtissent un palais fortifié, à la fois praetorium (centre administratif) et palatium (palais du chef) sur l’île dite aux Corbeaux, l’île la plus importante parmi les neuf en ces lieux précis.
Des traces de ce palais primitif ont été retrouvées en 1845 près de la Sainte-Chapelle.
Si la Lutèce d’origine semble avoir été assez étendue, entre au moins l’actuelle Nanterre et Bercy selon les découvertes archéologiques, les invasions des peuples germaniques obligent la population à se réfugier auprès du Palais. L’île alors de neuf hectares est fortifiée en 280.

Le préfet romain des Gaules Julien, futur empereur, qu’on surnommera l’Apostat (331-363) en fait sa résidence préférée lorsqu’il n’est plus en campagne l’hiver. C’est là qu’il délaisse son activité militaire, pour prendre celle de juge. Sa justice est louée de tous et il combat vigoureusement les détournements du fisc.
Ainsi, d’après l’historien romain Ammien Marcellin, durant un jugement portant sur une accusation de dilapidation des fonds publics formulée contre l’ancien gouverneur de la Gaule narbonnaise, l’accusateur à court de preuves, finit par s’écrier « s’il suffit de nier, où seront désormais les coupables ? ». A quoi Julien rétorque « S’il suffit d’accuser, où seront les innocents ? ».

Julien préfigure les rois de France apportant la justice à leur royaume…
Sa valeur militaire est toute aussi prestigieuse, les contemporains le disant surpasser César lui-même.
En 361, il est nommé empereur. Il ne reviendra jamais dans son palais parisien.
C’est aussi durant le mandat de Julien en Gaule que Lutèce change définitivement de nom au profit de Paris.
Sous le règne de l’empereur Valentinien Ier (364-375) entre 365 et 366, Paris devient capitale de l’Empire. Une première pour la cité, qui ne l’oubliera pas.

Les empereurs romains échouent à contenir les peuples germaniques. Les Francs s’emparent de la partie nord-est de la Gaule au Vème siècle.
Epoque mérovingienne (Ve-VIIIe siècles)
A partir de 508, Clovis, souverain du royaume des Francs, fait de Paris sa capitale. Ayant reçu suite à son baptême de l’empereur romain d’Orient le titre de consul et patrice, c’est tout naturellement qu’il s’installe dans l’ancien palais des représentants de l’Empire en Gaule.
Il y meurt en 511.
Le quatrième fils de Clovis, Childebert Ier (511-558) y réside à son tour durant plusieurs décennies. il transforme les anciens forum et temple de l’île en ensemble épiscopal d’importance.
Les traces des autres rois mérovingiens à Paris et donc au Palais se font plus rares, par manque de sources écrites mais aussi parce que leur cour est essentiellement itinérante et le royaume très souvent divisé.
Il faut attendre un dernier grand souverain mérovingien, Dagobert Ier (629-638), pour que Paris redevienne capitale du royaume et donc son Palais, le centre du pouvoir. Grâce aux découvertes archéologiques, les sous d’or, marquées Palatio fit, datant du règne du Roi Dagobert montrent que le palais de l’île de la Cité a servi d’atelier monétaire, sous l’égide de son grand argentier saint Eloi.

En 717, le Roi Chilpéric II (715-717) signe du Palais le plus ancien acte royal retrouvé.
Epoque carolingienne (VIIIe-Xe siècles)
Charlemagne (742-814) délaisse Paris comme capitale, au profit d’Aix-le-Chapelle. Il n’y séjourne qu’en 779 et 800.
Son représentant y est le comte de Paris.
En 861
Le Palais est alors aux mains du puissant Robert le Fort (entre 815 et 830-866), comte de Paris. C’est lui qui défend la Cité contre les invasions des Normands. En récompense, le Roi Charles le Chauve (823-877) lui donne sa sœur en mariage et l’investiture du duché de France.
En 885
Son fils Eude libère la Cité d’un siège de dix-huit mois de la part des Vikings.
Mais la Cité est ravagée.
La valeur de cette famille au combat leur permet de présenter des candidats à la Couronne, quand les Carolingiens se font de plus en plus absents.
Les Capétiens (987-1328)
Hugues Capet 987-996

Hugues Capet (939-996), descendant de Robert le Fort, comte de Paris et duc de France, est élu par ses pairs Roi de la partie occidentale de l’ancien empire de Charlemagne, au détriment des Carolingiens. Il fonde dès lors la dynastie des Capétiens et s’installe au Palais, occupé depuis longtemps par ses ancêtres. Hugues Capet pense avant tout à remonter ses remparts.
Il y fonde la Curia Regis (Conseil royal).

Robert II le Pieux 996-1031
Son fils Robert II, dit le Pieux (972-1031), entame une grande série de travaux visant à transformer l’ancien Palais datant du Bas-Empire et donner à sa capitale un palais digne de la nouvelle dynastie . Il veut aussi plaire à son épouse Constance d’Arles, fille du comte de Provence, habituée à des résidences plus agréables.
Au nord-ouest, le Roi fait construire le Logis du Roi qui donne sur un jardin à l’extrémité de l’Île. Il est composé de divers appartements et d’un oratoire, destinés au Roi et ses proches.
L’étage noble est réservé aux grands, le rez-de-chaussée à la domesticité.
Au nord-est, le reste du Palais est dévolu à l’administration et la justice royales, sur les fondations de l’ancien tribunal du prétoire gallo-romain. Ce nouveau corps de bâtiment est appelé Aula Regis ou Salle du Roi où se réunit la Curia Regis, formée des seigneurs conseillant le Roi.
Une Chambre du Roi relie les deux parties du Palais.
Au sud, Robert II fait construire une chapelle Saint-Nicolas.
Le Roi ne sort pas du quadrilatère formé par les fortifications et tours des empereurs romains.
Henri Ier (1031-1060)

Le troisième Roi de la dynastie, Henri Ier (1008-1060) décide de scinder le pouvoir en deux. La Prévôté de Paris sera désormais installée au Grand Châtelet : elle aura en charge la magistrature fiscale, judiciaire et militaire de la ville. La Curia Regis, aura en charge le royaume.
Louis VI le Gros (1108-1137)

Suite à une avanie en 1111 _un seigneur un peu trop ambitieux, Robert de Meulan, s’étant emparé du Palais en l’absence du Roi _ Louis VI le Gros entame à son tour des travaux d’importance dans le Palais de sa capitale. Il fait tout d’abord construire une énorme tour, appelée Grosse Tour ou Donjon, au centre et dominant l’ensemble des bâtiments. De forme cylindrique, crénelée, haute de 25 mètres, de 11,70 mètres de diamètre à la base et de murs avoisinant les trois mètres d’épaisseur, elle ne sera abattue qu’en 1778. Dès sa construction, elle abrite le trésor royal et les joyaux de la Couronne.
Elle servira de modèle au donjon du Louvre qui en opposition sera appelée la Tour Neuve.
Il fait ensuite rénover le Logis du Roi, avec deux tours de forme quadrangulaire l’encadrant, au nord la Tour Carrée et au sud la Tour dite plus tard de la Librairie et sa façade avec fortes moulures et arcades, sans oublier le chemin de ronde qui servait aussi au décor.
Louis VI meurt dans son Palais en 1137 à cinquante-six ans.
Louis VII le Jeune 1137-1180

Louis VII (1120-1180) continue les travaux entrepris par son père.
L’entrée principale donne sur la cour de May. Tous les ans, le dernier samedi du mois de mai, les clercs de la basoche viennent y planter un arbre, décoré de fleurs et d’écussons multicolores, appelé le Mai. C’est l’occasion de fêtes échevelées. La coutume perdure jusqu’à la Révolution dont l’arbre de la Liberté est le souvenir.
Un escalier d’honneur y est construit, Il permet de relier la Grande Cour à la galerie du premier étage entre la Salle du Roi et la chapelle Saint-Nicolas.
Il fait également construire dans son Logis côté nord, une Chambre verte ainsi nommée pour ses tentures de couleur verte. Une partie de cette chambre sert d’oratoire dédié à Notre-Dame, noyau de ce qui deviendra plus tard la chapelle de la Conciergerie puis la chapelle des Girondins sous la Révolution.
Au sud-est du palais, hors ses murs, ce roi très pieux édifie une chapelle dédiée à Saint-Michel.
Cette chapelle disparaîtra en 1781.
A la pointe occidentale de l’île, Louis VII restructure le jardin du Logis. Il aménage des vergers et des vignes sur les marécages des îlots avoisinants, seul espace vert des environs. Il s’agit d’une partie de l’emplacement de la future place Dauphine.
Ce jardin est considéré comme l’ancêtre du Jardin des Plantes appelé Jardin du Roi jusqu’à la Révolution. Il ne sera transféré dans le lieu que nous connaissons seulement au XVIIème siècle.
En 1146
Une cérémonie d’importance est célébrée sur les degrés du Palais, où Louis VII accueille en grande pompe les moines de l’abbaye de Vézelay en l’honneur de la deuxième croisade.
En 1158
Louis VII accueille dans son Palais Henri II Plantagenêt, roi d’Angleterre et second époux d’Aliénor d’Aquitaine que Louis VII avait précédemment répudiée.

En 1163
Le pape Alexandre III réside au Palais afin de poser la première pierre de la prochaine cathédrale de la capitale du royaume de France : Notre-Dame de Paris.
En 1165
Le baptême du fils tant attendu, Philippe-Dieudonné, le futur Philippe-Auguste est célébré dans la chapelle Saint-Michel.

En 1180
Louis VII meurt dans son Palais.
Philippe II Auguste 1180-1223

En 1185
Philippe-Auguste (1165-1223) fait paver les rues des alentours du Palais.
En 1187
Le Roi y reçoit Richard Coeur de Lion, à la fois son adversaire et ami.
La même année, on y célèbre la naissance de son fils, le futur Louis VIII.
En 1190
Devenu veuf, Philippe-Auguste se décide à partir pour la croisade. Il laisse la régence du royaume à sa mère et son oncle Adèle et Thibaut de Champagne. Il oblige ses conseillers à se réunir dans son Palais durant son absence. Le nom Parlement restera pour désigner le conseil privé du Roi.
La même année, pour la première fois, le terme de Rex Franciae (Roi de France) remplace celui jusqu’alors usité de Rex Francorum (Roi des Francs).
En 1193
Le Palais abrite les festivités des deuxièmes noces du Roi avec la princesse Ingeburge de Danemark.
En 1195
Lors de la bataille de Fréteval près de Vendôme contre les Anglais, Philippe-Auguste perd toutes ses archives qui suivaient toujours le Roi dans ses itinérances. Fort de cette malheureuse expérience, il décide que désormais les archives royales seront conservées en son Palais.
La même année le mot concierge apparaît pour la première fois dans les textes anciens.
Deux étymologies se disputent :
- pour les uns, ce mot viendrait de conservare : garder avec soin, conserver, préserver, garantir ;
- pour d’autres, ce serait cum servire : être esclave, vivre dans la servitude…
En 1201
Philippe-Auguste reçoit le frère de Richard Coeur de Lion, Jean sans Terre. Il cède son Palais trop exigüe à son invité et préfère loger au Temple.
En 1202
Par lettres patentes, Philippe-Auguste nomme un concierge pour son Palais .
Le concierge du Palais est à la fois surintendant et prévôt de la demeure royale et ses alentours, exerçant moyenne et basse justices, nécessitant un tribunal, une prison, des fers…
Le Roi ferme d’une muraille le jardin de la pointe de l’île, jusque-là hors des anciennes fortifications antiques. Il repousse ainsi les enceintes nord et sud fixées sous l’empire romain.
Sa muraille qui englobe toute sa capitale est défendue du côté occidental par la forteresse du Louvre nouvellement achevée.

Le jardin du Palais est facilement identifiable.
En 1203
Des comptes de cette année font état d’une construction d’ateliers dans la cour du Palais, de la remise en état de chambres d’officiers, l’installation de l’échansonnerie, d’une nouvelle geôle et de nouvelles étables en maçonnerie.
Saint Louis 1226-1270

Le Roi Louis IX (1214-1270) commence sous son règne une série de grands travaux concernant le Palais qui dureront plus d’un siècle.
En 1234
Saint Louis consomme son mariage avec Marguerite de Provence dans la Chambre verte. En temps ordinaire, le souverain dort dans la Chambre du Roi.
En 1239
Le Roi et sa Cour reçoivent en grandes pompes la Couronne d’Epines envoyée par l’Empereur romain d’Orient. Elle est exposée durant un mois dans la chapelle Saint-Nicolas avant d’être reçue par l’abbaye Saint-Denis. Saint Louis a de grands projets pour cette relique particulièrement précieuse.

En 1240
Baudoin II envoie au Roi de France d’autres reliques de la Passion : deux morceaux de la Croix, un clou de la Crucifixion, un morceau de la Lance, un morceau de l’Eponge, une partie du roseau servant de sceptre dérisoire au Christ, un morceau de sa robe de pourpre, de son linge, une pierre du Saint-Sépulcre, l’occiput de saint Jean-Baptiste…
Le tout étant déposé de nouveau à la chapelle Saint-Nicolas.
En 1241
A l’emplacement de la chapelle Saint-Nicolas, Saint Louis décide de bâtir une chapelle d’une beauté surpassant tout ce qui a été fait jusque-là. Elle servira de reliquaire, faisant du royaume de France la Fille Aînée de l’Eglise et de son Roi, le Très-Chrétien.
Il en confie la construction à Pierre de Montreuil.
Le 12 avril 1248
En un temps record, la Sainte-Chapelle est consacrée. C’est elle qui désormais accueillera toutes les reliques de la Passion. Haute de 42 mètres, longue de 36 mètres sur 17 de large, elle est particulièrement remarquable pour ses vitraux.

Au sud de la Sainte-Chapelle, Saint Louis installe des chanoines chargés des lieux. Un enclos leur est réservé.
Sur son flanc nord, comme une miniature de celle-ci, Pierre de Montreuil sur ordre du Roi construit le Trésor des Chartes, destiné à recevoir toutes les archives du royaume. De 10,70 mètres sur 7,20 mètres, ce bâtiment comporte trois étages. Le rez-de-chaussée et le premier servent de sacristies aux deux niveaux de la Sainte-Chapelle. Le second étage relié par un escalier à vis indépendant, réunit les livres pieux et de grande valeur, ainsi que les archives royales.
Le Roi établit un archiviste : le trésorier des Chartes, officier de la Couronne. Le premier se nomme Gauthier Le Jeune dont la première mission a été de rétablir de mémoire les archives perdues lors de la bataille de Fréteval. Cinquante-sept titulaires se succèderont jusqu’à la Révolution.
Saint Louis décide de relier son Logis au second niveau de sa Chapelle par une galerie qui sera connue plus tard sous le nom de Galerie Mercière.
Au nord-est du Palais, hors des enceintes de Philippe-Auguste, il fait édifier la salle sur l’Eau, destinée aux cérémonies. De forme rectangulaire, elle ne compte que deux étages, celui de l’étage noble étant la salle d’apparat proprement dite, le rez-de-chaussée comportant des cuisines. Cette salle ne connaîtra que peu de modifications avant le XVIIIe siècle et subsistera jusqu’en 1865.
Ce bâtiment est flanqué d’une grosse tour ronde crénelée qui prendra le nom de Tour Bonbec quand ce lieu ne servira plus aux fêtes de la Cour mais sera utilisée comme salle de tortures.
En 1267
Cérémonie d’accession à la chevalerie du fils aîné du Roi dans le petit jardin aménagé au sud de la Salle sur l’Eau.

Philippe III le Hardi (1270-1285)

Le fils de Saint Louis, Philippe III (1245-1285) continue les travaux initiés par son père.
En 1276
Couronnement de la Reine de France Marie de Brabant à la Sainte-Chapelle.
En 1278
Désormais la Salle du Roi n’abrite plus la Curia Regis mais sert d’antichambre pour les plaideurs attendant leur entrée dans la Chambre des Plaids servant aussi de salle où se restaure le Roi. La Salle du Roi permet au reste des habitués du Palais à prendre leurs repas.
Par une ordonnance, la Chambre des Plaids est divisée en plusieurs structures :
- La Grande Chambre : cour d’appel des instances inférieures, elle est chargée des crimes de lèse-majesté, les procès concernant les pairs du royaume, les parlementaires et tout ce qui concerne directement le pouvoir royal (apanages, les rapports entre l’Etat et Rome…). Y siègent cent magistrats, son premier président nommé par le Roi, les présidents à mortier, les conseillers, les princes du sang, les ducs et pairs ;
- Les Chambre des Enquêtes : jusqu’à cinq, elles sont chargées des enquêtes pour les procès criminels, elle est composée de soixante-quinze magistrats ;
- La Chambre des Requêtes : chargée des affaires concernant ceux détenant les privilèges de commitimus et les établissements ecclésiastiques, une quinzaine de magistrats dont un président.
D’autres chambres seront créées par la suite.
Encore à cette époque, la Grande Chambre réunit aussi les barons et prélats du royaume, les baillis et sénéchaux. Les légistes du Conseil du Roi les remplacent peu à peu.

En 1292
Mariage de la nièce du Roi, Marguerite de Brabant, à la Sainte-Chapelle.
Le Roi aménage une garde-robe jouxtant sa Chambre qui permet à ses chambellans d’y prendre leurs repas.
Il aménage également une Salle d’audience voisine du Trésor des Chartes.
Philippe III abat définitivement les murailles datant du IIIème siècle. Le Palais déborde des enceintes primitives. Les berges autour du Palais sont étendues.
A sa mort, la superficie du Palais est de 1,35 hectare.
Philippe IV le Bel (1285-1314)

Après avoir obtenu la canonisation de son grand-père, Philippe IV (1268-1314) transfère une partie de son chef dans la Sainte-Chapelle où le saint de la dynastie pourra être vénéré.
Le nouveau Roi estime son Palais trop étroit, trop vieux, trop disparate.
Son principal conseiller Enguerrand de Marigny recrute deux architectes Jean de Cérens et Nicolas de Chaume.

Le Roi n’hésite pas à faire détruire la majeure partie des bâtiments pour tout reconstruire afin que son nouveau Palais reflète au mieux la pouvoir royal. De nombreuses expropriations ont lieu.
Philippe le Bel souhaite une restructuration des bâtiments afin que leur destination soit plus cohérente.
C’est sous ce règne qu’est connu le plus ancien nom de concierge : Galeran, échanson du Roi.
Le concierge peut se faire remplacer par un bailli qu’il choisit lui-même.
En 1298
La nouvelle muraille est achevée, élargissant de beaucoup la superficie initiale du Palais. La cour d’honneur est fermée et seulement percée par deux portes à échauguettes.
Entre mai 1299 et mars 1300
L’orfèvre Pierre Pipelart reçoit commande d’une horloge pour la cour du Roi.
D’énormes sommes sont allouées aux travaux projetés.
En 1301
Cette année débutent les travaux qui donneront jour à la Salle des Gens d’Armes. Plus vaste ensemble gothique connu à ce jour, sa surface est de 1 734 m². Les piliers ouest sont les premiers établis, avec des chapiteaux sculptés. A l’origine son niveau est bien celui de l’île. Ce sont les rehaussements des quais et rues successifs qui donnent l’illusion d’une salle en sous-sol.
Entre 1302 et 1307
A l’étage supérieur, à l’emplacement de la Salle du Roi et donc de l’ancien prétoire romain, et y rajoutant l’espace au nord au-delà de la muraille de Philippe-Auguste et la Chambre du Roi, commencent les travaux qui donneront la Grande Salle ou Salle Haute.
Au même moment débute la construction de deux tours qui encadrent l’entrée principale des magistrats au Palais : les tours dites d’Argent et de César (en souvenir du trésor royal et des fondations romaines) mais à l’origine appelées les Tours Jumelles. Elles ont toujours été confondues indifféremment par les cadastres.
Contrairement aux tours antérieures du Palais, elles ne sont pas crénelées et sont recouvertes d’un toit en poivrière. Toutes deux ont une hauteur de cinq étages, avec une seule pièce voûtée pour chacun. Leur fonction est dévolue au domaine judiciaire.
Une porte entre les deux tours permettent d’accéder à la salle des gardes.

Contrairement à aujourd’hui, il faut les imaginer quasiment les pieds dans l’eau.
Philippe le Bel fait aussi transformer la façade principale à l’est, réaménageant les galeries de Saint Louis (Galerie des Merciers au rez-de-chaussée, Galerie Mercière au premier étage) et réalise un nouvel escalier d’honneur, appelé Grands Degrés ou Perron du Beau Roi Philippe.

Philippe le Bel fait construire toute une série de bâtiments à destination de ses divers services administratifs et judiciaires de plus en plus spécialisés. On les appellera les Chambres sur l’Eau :
- La Chambre des Enquêtes, à l’emplacement de l’ancien hôtel de Bretagne
- La Chambre des Requêtes
- La Chambre des Monnaies
- La Chambre des Comptes, en face de la Sainte Chapelle
- La Grande-Chambre ou Chambre des Plaids
Cette dernière est la plus importante. Elle est réalisée avec splendeur et c’est là que désormais se réunira le Parlement, héritier de la Curia Regis.

Elle est située au-dessus de la salle des gardes.
Les parlementaires ont désormais comme fonction l’enregistrement des ordonnances et édits royaux. En souvenir du lit du Roi qui y dormait réellement précédemment, ces cérémonies d’enregistrement, en présence du Roi, s’appellent Lit de Justice.
Cet ancien parlement est alors divisé en trois :
- le grand conseil ou conseil étroit pour les affaires politiques, ses effectifs dépendant des décisions du Roi ;
- le Parlement qui n’aura désormais plus que la charge de la justice du royaume, et donc définitivement coupé du Conseil du Roi ;
- la chambre des comptes en charge des finances du royaume et de la rentrée des impôts.
Philippe le Bel n’oublie pas ses espaces privés qui seront dorénavant clairement séparés des lieux ouverts au public.
A l’ouest, les jardin et verger sont réaménagés. La Salle sur l’Eau, restaurée, et la Grand-Chambre sont désormais reliés par un Grand Préau (50m sur 23m), cloître richement décoré de sculptures végétales.
Philippe le Bel fait aussi agrandir son Logis d’une nouvelle aile.
En 1308
Philippe le Bel paie son horloge. Elle n’est certainement pas à destination publique mais à l’usage du Roi et de ses proches.

Elle est édifiée vers 1310.
En 1313
La Salle des Gens d’Armes est achevée. Sa partie initiale, à l’ouest, a été doublée par une nouvelle série de colonnades à l’est. Faute d’argent, les chapiteaux orientaux ne sont pas sculptés. Elle sert de réfectoire, comme son nom l’indique aux gens d’armes, mais aussi à tous les fonctionnaires, clercs, religieux, domestiques, militaires et civils travaillant au Palais. Jusqu’à deux mille personnes !

Quatre énormes cheminées la chauffent et des énormes baies (aujourd’hui condamnées) ouvrant sur la cour de May ou sur la cour au nord dite de la Conciergerie permettent son éclairage.

Sa hauteur est de huit mètres. Destinée essentiellement aux militaires et aux domestiques, elle est recouverte de paille et jonchée d’armes (et d’immondices !).

Le Roi n’a pas à s’y rendre.
Une Salle des Gardes, de taille relativement plus modeste, est aménagée au nord de celle-ci, sous la Grande Chambre. Son décor de sculpture gothique est composé de trois piliers médians. L’un des chapiteaux représente un couple enlacé, certainement Abélard (1079-1142) et Héloïse (1092-1164) remis à la mode à cette époque.

La Salle des Gardes communique directement avec les Tours Jumelles par un étroit escalier aboutissant directement au premier étage. Au-dessus se situe la Grande-Chambre, lieu de réunion du Parlement.
Pentecôte 1313
La même année est inaugurée la Grande Salle. Elle est la plus grande salle d’Europe de l’époque. De même dimension que l’étage inférieur, elle est formée de deux nefs en charpente à poutres et montants dorés sur fond d’azur. Sa hauteur fait trois fois celle des Gens d’Armes, soit vingt-quatre mètres, ce qui est exceptionnel pour l’époque. Les murs sont recouverts de tapisseries précieuses, le sol fait de parquet et lors de grandes occasions des tapis sont jetés sur le sol. Son plafond de caissons de bois est peint d’azur semé de fleurs de lys d’or.
Chaque Roi de France, sur un piédestal de plus de cinq mètres y a sa statue polychrome, de Pharamond à Henri III.

Tout est fait pour provoquer l’admiration des visiteurs, la certitude de la puissance sans équivalent du Roi de France.
A l’occasion de l’inauguration, Philippe le Bel adoube son fils aîné Louis et deux-cents autres chevaliers dont son neveu le futur Philippe VI de Valois et son cousin Robert d’Artois. C’est l’apogée du règne.
C’est dans cette Grande Salle que se tiennent désormais les états-généraux et les lits de justice particulièrement importants. Les parlementaires ont désormais comme fonction l’enregistrement des ordonnances et édits royaux qui se déroule par la cérémonie du lit de justice, donc en présence du Roi.
Les membres du Parlement, s’ils jugent les textes irrecevables selon les coutumes du royaume dont ils conservent les archives, peuvent émettre au Roi des humbles remontrances. Le Roi peut alors les amender en fonction. Le lit de justice les enregistre sans possibilité de les modifier.
C’est aussi le lieu où le Roi prend ses repas.
La Grande Salle est reliée directement à la Sainte Chapelle par la Galerie Mercière. Mais elle n’est pas encore entièrement achevée.
Le 19 mars 1314
Des fenêtres du Logis royal, Philippe et sa famille peuvent voir brûler sur un îlot tout proche de leur Palais (aujourd’hui place Dauphine) Jacques Molay, grand maître des Templiers et deux de ses proches. Ont-ils entendu sa fameuse malédiction ?

Commence la fin des Capétiens…
Louis X le Hutin (1289-1316)

Le fils aîné de Philippe le Bel fait enfermer dans la Grosse Tour le chambellan et ministre Enguerrand de Marigny (1260-1315), accusé à tort de malversations. Il inaugure ainsi la tradition carcérale de ces lieux qui ne cessera qu’au XXème siècle.
Philippe V le Long (1316-1322)

Le deuxième fils de Philippe IV (1293-1322) décide de rapatrier le trésor royal du Temple au Palais.
Les Valois (1328-1589)
Jean II le Bon (1350-1364)

premier portrait peint d’un Roi de France
Il faut attendre le deuxième roi de la dynastie des Valois, pour que les travaux reprennent au Palais. Plus de trente-cinq ans se sont écoulés.
En 1350
Dès le début de son règne, Jean II (1319-1364) fait surélever la Galerie Mercière afin d’y aménager un nouvel appartement pour son fils aîné, le Dauphin Charles duc de Normandie.
L’année précédente, alors qu’il n’était encore qu’héritier du trône, il avait déjà fait faire des travaux d’aménagements au second étage du Logis du Roi, l’année même où son fils avait été désigné Dauphin par Humbert II du Dauphiné. Peut-être, dans les deux cas, est-ce un moyen d’écarter ce fils trop différent de lui.
La Chambre des Galetas sera désormais le logement du Dauphin.
En 1353
Sur un terrain marécageux, Jean II fait construire une tour de forme rectangulaire à l’angle nord-est de l’enceinte. Haute de plus de 47 mètres, sans ornement particulier, elle est la deuxième Tour Carrée du Palais, la première appartenant au Logis du Roi. Elle sert au système de défense du Palais. Au quatrième étage un guetteur doit surveiller les incendies qui se déclarent dans Paris.
Du fait des rehaussements successifs de la chaussée, le rez-de-chaussée actuel est en fait le premier étage d’origine.

Un autre bâtiment carré attenant plus modeste, donne directement sur la Seine pour l’arrivage des denrées. Il a été aménagé pour y installer deux immenses cuisines sur deux étages afin d’aider au service de la Grande Salle et de la Salle des Gens d’Armes. Quatre immenses cheminées permettent de cuire sans interruption, les viandes, les poissons, les légumes et la boulangerie. La chaleur est telle qu’il y fait plus de cinquante degrés.

Un escalier à vis est monté afin de relier la Salle des Gens d’Armes et la Grande Salle, donnant accès aux cuisines.

Décoration dans le cadre de l’expo sur le cinéma de château
Le pavillon des cuisines construit sous le règne de Jean le Bon (1350-1364) est utilisé pour les personnels du Roi.
Les denrées y parviennent directement par voie fluviale.
La travée ouest de la Salle des Gens d’Armes est cloisonnée à cette occasion afin d’établir un passage.

En 1356
Un embarcadère à la pointe de l’île est aménagé, dit la Salle de la Pointe, qui sert également de logis au jardinier du Roi. On l’appelle également Maison des Etuves du Palais.
Jean II tient plusieurs états-généraux dans la Grande Salle : en 1355, en 1356 et 1357 afin de lutter contre les Anglais, et en particulier le Prince Noir qui dévaste le royaume. On ne connaît pas l’origine de la grande table de marbre noir dont il ne reste aujourd’hui qu’un fragment sur laquelle le Roi, certainement avant Jean II, prend ses repas. Mais c’est Jean II qui institue les trois premières instances juridiques du royaume qui se réunissent autour de cette table auprès de trois grands officiers de la Couronne :
- le connétable entouré des maréchaux en charge des affaires militaires, des duels… C’est le tribunal du point d’honneur ;
- l’Amirauté de France qui gère la marine du royaume, les cas de piraterie… ;
- le Grand Forestier, plus tard Grand Maître des Eaux et Forêts.
Ces trois institutions fonctionneront jusqu’à la veille de la Révolution.
Jean II réaménage aussi son Logis, qui avec en plus de la Chambre verte, connaît désormais une chambre en bois fossile d’Irlande, une chambre de parement et une des deux tours anciennes transformée en librairie. Il devra bientôt quitter tout ce luxe pour des prisons de moins en moins dorées outre-Manche après sa défaite à la bataille de Poitiers le 19 septembre 1356.

C : la Tour de l’Horloge, les cuisines, la salle des Gens d’Armes et la Grande Salle, avec la travée cloisonnée au rez-de-chaussée, les Tours Jumelles, la salle des gardes et la Grande Chambre, le Préau, la Tour Bonbec, la Salle sur l’Eau.
Au deuxième plan : l’entrée de la cour de May, le Grand Perron, les galeries des Merciers et Mercière, la Grosse Tour, le Logis du Roi et son oratoire, le jardin du Roi.
Et enfin, la Sainte Chapelle et le Trésor des Chartes, l’espace dévolu aux chanoines.
Plan d’après Eugène Viollet-le-Duc
Le Dauphin Charles (1338-1380), doit gérer le royaume durant la captivité de son père. Il tient tête au porte-parole des états-généraux, Etienne Marcel prévôt des marchands de la capitale, réuni afin de traiter de la rançon du Roi.
Le 22 février 1358
Non content d’avoir fait assassiner le trésorier du royaume Jean Bayet le mois précédent, Etienne Marcel (1302?-1310? – 1358) force les portes du Palais accompagné de plus de 3000 émeutiers. Là, ils entrent directement dans l’appartement du Dauphin au-dessus de la Galerie Mercière et font assassiner sous ses yeux plusieurs de ses proches. Afin de lui marquer sa protection, le prévôt des marchands couvre le jeune prince de son bonnet. Charles n’oubliera jamais cette humiliation.

Les cadavres restent plusieurs jours exposés sur le grand escalier d’honneur de la cour de May. Etienne Marcel pense alors avoir suffisamment effrayé le Dauphin pour pouvoir le gouverner à sa guise.
Le 25 mars 1358
Charles fuit le Palais par la Salle de la Pointe. Il reviendra à Paris quelques mois plus tard à la tête d’une armée, victorieux.
En 1359
Par lettres patentes, les prérogatives du concierge sont étendues à toute la partie ouest de l’Île du Pont-aux-Changes au pont Saint-Michel, aux rues de la Barillerie, de la Calandre et de l’Orberie, ainsi que hors de l’enceinte de Philippe-Auguste, treize hôtels de Notre-Dame-des Champs, la chaussée de la rue Saint-Jacques, jusqu’à une léproserie d’Arcueil.
Près du Jardin du Roi, le concierge reçoit son propre jardin et son hôtel où le Roi dispose d’une chambre.
Il reçoit de la Couronne 150 livres par an, somme considérable, et bien d’autres revenus :
- le droit d’épaves, c’est-à-dire qu’il récupère tous les objets perdus dans l’enclos ;
- un pourcentage sur les marchés passés dans sa censive ;
- un pourcentage sur la location des boutiquiers de la Galerie Mercière ;
- un pourcentage sur les denrées apportées au Palais ;
- un pourcentage sur les constructions élevées en bordure du Palais ;
- etc.
Charles V le Sage (1364-1380)

Le nouveau Roi délaisse son Palais où il a connu de terribles souvenirs. Il lui préfère le Louvre pour le prestige et l’hôtel Saint-Pol pour le confort lors de ses séjours parisiens. Il achève néanmoins les travaux entrepris par son père. Désormais le Palais ne recevra la visite des Rois que de plus en plus occasionnellement, lors de cérémonies d’importance.
En 1370
Charles V commande une horloge qui sera à destination publique au Wurtembergeois Henry de Vick.
Le 5 janvier 1378
Charles V accueille son oncle l’empereur Charles IV de Luxembourg (1316-1378) . Seul le Palais permet l’espace nécessaire avec sa Grande Salle pour un banquet de huit cents invités.

En 1371
La Tour Carrée reçoit un lanternon avec une cloche en argent. Celle-ci sonnera les heures importantes de la monarchie, comme la naissance et la mort des Rois et de leurs fils aînés pendant trois jours et trois nuits.

Ces deux tours sont toujours visibles extérieurement. La «tour d’Argent» tient son nom en allusion au trésor royal qui y était gardé, et la «tour César» est nommée ainsi en souvenir de la présence des Romains et au fait que la tour est bâtie sur des fondations romaines.

Cabinet du directeur à l’étage, et greffe au rez-de-chaussée

Reconstitution de la salle du greffier
A la révolution, le greffier sera chargé de tenir le registre d’écrou de la prison dans lequel seront consignés les mouvements de prisonniers, avec généralement, leur qualité et les motifs de leur condamnation.
En 1378
L’horloge est achevée. Elle est fixée sur la Tour Carrée extérieure qui devient dès lors la Tour de l’Horloge. Devenu Henri de Vic, l’horloger est nommé horloger du Palais, loge dans la tour et est payé par la Ville car l’horloge est destinée aux Parisiens.

Fin XIVe siècle
Entre deux contreforts sud de la Sainte-Chapelle, Charles V fait construire un petit oratoire qui lui permet d’assister aux offices. Elle devient ensuite une petite chapelle pour le cimetière proche, réservé aux officiers du Palais. Si le Roi déserte son Palais, celui-ci n’en continue pas moins à fonctionner dans son rôle de lieu consacré à la justice du royaume.
La cour principale voit se multiplier les échoppes d’écrivains publics pour aider les plaideurs généralement illettrés. Les galeries se remplissent quant à elles de boutiques, marchands… Afin de le distinguer du nouveau palais royal, celui du Louvre, les gens prennent l’habitude de le nommer Palais de l’Isle.

Le concierge et son suppléant le bailli, appartiennent au corps de robe courte (magistrats des chambres criminelles, du Châtelet, etc), distinct de la robe longue (membres des cours souveraines : Parlement, chambre des comptes, chambres des aides…). L’espace sous sa juridiction prend peu à peu le nom de conciergerie, qui par l’absence du Roi est utilisé comme espace carcéral pour le Parlement.
Charles VI le Bien-Aimé ou le Fol (1380-1422)

Comme son père, Charles VI (1368-1422) ne réside plus au Palais mais n’en continue pas moins à l’embellir afin de le rendre digne du pouvoir royal et à y célébrer de grands événements.
Le 11 novembre 1380
Afin de célébrer le début du règne, le jeune Charles VI festoit pendant trois jours et trois nuits au Palais.
En 1381
La Salle des Gardes est intégrée à la Conciergerie. L’entrée entre les Tours Jumelles est remplacée par une grande verrière surmontée d’une rosace en forme de trèfle.

Le rez-de-chaussée du Logis royal qui n’est dorénavant plus utilisé sert d’espace carcéral. La Salle des Gardes est à son tour aménagée en prison pour hommes et compartimentée en cellules.
La Grosse Tour est elle aussi incorporée à l’espace carcéral, permettant d’y placer des prisonniers du Châtelet trop étroit.
Le Grand Préau devient la Cour des Hommes car c’est le lieu de promenade des hommes prisonniers.
L’espace de la Salle des Gens d’Armes séparé du reste par un mur, appelé Rue de Paris, est aussi incorporé à la Conciergerie.
L’entrée de la Conciergerie se fait par dans l’angle nord-ouest de la Cour de May.
En 1383
La flèche de bois de la Sainte-Chapelle est remplacée.
En 1384
Visite du roi d’Arménie, Léon VI de Lusignan (1342-1393).

mort à Paris et inhumé à Saint-Denis
Août 1389
Couronnement de la Reine Isabeau de Bavière (1371-1435) à la Sainte-Chapelle.
En 1399
Visite de l’Empereur de Constantinople Manuel II Paléologue (1350-1425).

Vers 1400
La prison dispose du rez-de-chaussée des Tours Jumelles et Bonbec.
En 1404
Louis, duc d’Orléans (1372-1407) et frère du Roi fait fracturer une nuit la tour nord de la Grand’Porte Saint-Michel. Il y «emprunte» les 400 000 livres du trésor royal. Devant la déchéance de son frère, le duc d’Orléans tient à assumer le pouvoir au détriment de leurs oncles et cousins, les ducs de Berry, d’Anjou mais surtout de Bourgogne.

Noël 1409
Le Roi, fou depuis 1392, et prisonnier de sa capitale en émeute, reçoit son cousin le duc de Bourgogne Jean sans Peur, adoré des Parisiens.
En 1413
Malgré l’opposition du Parlement, la Reine Isabeau de Bavière se fait nommer concierge du Palais et en reçoit toutes les attributions.

En 1416
Visite de l’empereur Sigismond de Hongrie. Le royaume n’est plus en état de recevoir à grands frais un souverain étranger suite à la catastrophe d’Azincourt l’année précédente et la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons. L’empereur doit se contenter d’une messe à la Sainte-Chapelle et d’une audience de la Grande-Chambre.
En 1417
Le concierge voit ses revenus réduits à trois sous parisis par jour et un muid de blé par an.
Juvénal des Ursins, historiographe du Roi est détenteur de la charge.
En 1418
Les Parisiens offrent un cadre à l’horloge, entouré des quatre évangélistes.
Le 12 juin 1418
La lutte entre Bourguignons et Armagnacs (partisans des fils du duc d’Orléans assassiné par Jean sans Peur) est à son paroxysme. Les Parisiens, pro-Bourguignons, font emprisonner les Armagnacs de la capitale. Ils seront ensuite massacrés durant cinq jours dans les prisons du Châtelet et de la Conciergerie. Parmi les victimes, on retrouve les corps du comte d’Armagnac et de son fils.

De gauche à droite : la Pointe de l’Île, la Salle sur l’Eau, la tour Bonbec, les Tours Jumelles à la toiture rouge, le Préau, la Tour Carrée du Logis, le logis royal, la tour de la Librairie; le lanternon de la Tour de l’Horloge, la double toiture de la Grande Salle, la Grosse Tour, la Sainte-Chapelle.
Occupation anglaise (1422-1436)
Le duc de Bedford (1389-1435) , frère du Roi anglais Henry V (1386-1422) vainqueur d’Azincourt, assure du Palais la régence de son neveu Henry VI (1421-1471) désigné comme Roi de France par ses grands-parents Charles VI et Isabeau de Bavière.
En octobre 1424
Assemblée dans la Grande Salle.
En juin 1428
Festin dans la Grande Salle.
Le 27 décembre 1431
Banquet dans la Grande Salle en l’honneur du sacre du jeune Henry VI à Notre-Dame. Parmi les invités se trouve l’évêque de Beauvais plus connu sous le nom de Pierre Cauchon qui quelques mois auparavant avait envoyé au bûcher Jeanne la Pucelle.
Charles VII le Victorieux (1422-1461)

Comme son grand-père avant lui, Charles VII (1403-1461) fuit dans sa jeunesse un Paris aux mains des émeutiers et n’y reviendra bien plus tard qu’une seule fois.
Le 12 novembre 1437
Libérée de l’occupation anglaise en 1436, Paris accueille son Roi et le Dauphin l’année suivante. Après un Te Deum entendu à Notre-Dame, le souverain et son fils couchent à titre symbolique au Palais, encore considéré comme résidence principale du pouvoir royal.
Charles VII ne reviendra plus à Paris.

On voit nettement Charles VII en-dessous du dais royal
En 1455
Le Roi a la prétention de choisir un bailli pour son Palais, ce que n’accepte par le concierge. Un procès s’ensuit.
Un mois plus tard, le concierge démissionne et le bailli choisi par Charles VII devient bailli-concierge du Palais.
La place est prestigieuse et source de jalousies entre les favoris du Roi. Mais jusqu’au dix-huitième siècle, elle verra perdre de plus en plus ses avantages. Lors des audiences de la Grande-Chambre, le concierge et le bailli ont la prééminence sur tous les baillis du royaume, y compris le prévôt de Paris. Ils doivent prêter serment suite à leur nomination auprès du Parlement.
Louis XI (1461-1483)

Comme son père, Louis XI (1423-1483) préfère ses châteaux du Val de Loire à sa capitale. Il y réside peu mais en comprend néanmoins sa portée symbolique.
Le 31 août 1461
Lors de son entrée solennelle dans Paris, le Roi donne un grand festin au Palais.
Les 15 et 16 juin 1464
Durant un procès tenu dans la Grande Chambre, le bâtiment se met à trembler et une grosse pierre s’écroule. Les gens ont le temps de quitter la salle mais le lendemain, à la reprise de la séance, le plancher s’enfonce de plusieurs mètres. Des morts sont à déplorer.
1472
Le cadran de l’horloge est restauré et redoré.
Contrairement à la tradition qui voulait que ce soit le nouveau Roi qui commande la statue de son prédécesseur à installer dans la Grande Salle, Louis XI met en place la sienne de son vivant.

Charles VIII (1483-1498)

Charles VIII (1470-1498) bien que vivant essentiellement en Val de Loire et très occupé par ses guerres d’Italie s’intéresse plus que ses père et grand-père à son Palais de l’Île de la Cité.
Les premiers travaux sont sous l’égide de sa soeur aînée, Anne de Beaujeu, régente du royaume.
La même année, Olivier Le Daim (1428-1484), ancien valet et conseiller favori de Louis XI est incarcéré à la Conciergerie pour vols, meurtres, emprisonnements arbitraires…
Juillet 1484
Le Roi tient un lit de justice affirmant ses droits à régner ayant atteint sa majorité.
1485
Charles VIII remanie la façade ouest de la Sainte Chapelle, celle qui donne sur la cour de May. Il restaure l’hôtel de son concierge. Les fonctions de ce dernier sont très nombreuses : il reçoit un pourcentage des marchands du Palais, contrôle les ventes, surveille l’entretien des bâtiments, comme des voiries, vérifie les risques d’incendie, interdit de faire la cuisine dans les cours du Palais, les galeries et hors de l’enclos…
Il interdit aussi la vente de la poudre à canon.
En 1487
Transfert de la prison de Loches à la Conciergerie de Philippe de Commynes qui après avoir servi Louis XI tente de s’opposer à la régente Anne de Beaujeu en enlevant le jeune Charles VIII.

Entre 1490 et 1495
La rosace de la Sainte-Chapelle de style gothique rayonnant est remplacée par une rosace beaucoup plus grande de style gothique flamboyante.

Une nouvelle balustrade est réalisée, ornée de fleurs de lys, avec en son milieu un K couronné (Karolus, le nom du Roi en latin), lettre qu’on retrouve sur le vitrail.
Charles VIII refait également le Grand Degré, escalier principal de son Palais. Son marbre noir est le même que celui de la table de la Grande Salle.
A l’occasion de son mariage avec Anne de Bretagne en 1491, le Roi modifie les caissons du plafond de la Grande-Chambre ornés des chiffres du couple royal.
La Conciergerie sera désormais la prison réservée aux affaires du Parlement, tandis que le Châtelet se chargera de la police de la capitale.
1497
La Grande Salle a elle aussi besoin d’une remise à neuf.

Au premier plan le jardin et le verger du Roi
La Salle sur l’Eau et la Tour Bonbec à gauche, les galeries dites de Saint Louis, le Logis du Roi avec sa Tour Carrée et sa Tour de la Librairie. Derrière le Logis, on devinr un petit bâtiment : la Chambre Verteet l’oratoire. Ensuite la Grosse Tour ou Donjon.
A gauche au deuxième plan : les Tours Jumelles, la Salle des Gardes au rez-de-chausée, la Grande-Chambre au premier étage.
Derrière : la Tour de l’Horloge, les cuisines puis la Grande Salle et la Salle des gens d’Armes, à double nef.
Enfin la cour de May et son arbre, la galerie Mercière qui chache le Grand Degré, le Trésor des Chartes, la Sainte Chapelle, la chapelle Saint-Michel.
L’enceinte et sa porte à double échauguettes.
Désormais les parlementaires sont inamovibles. Ils sont confirmés en ces lieux, tandis que le Conseil du Roi, le grand comme l’étroit, suivent le souverain dans ses différentes résidences.
Fin XVème siècle
Le faubourg Saint-Jacques relève du bailli et concierge du Palais.
Louis XII (1498-1515)

Louis duc d’Orléans (1462-1515) succède à son cousin Charles VIII mort sans enfant.
Le 2 juillet 1498
Audience et festin dans la Grande Salle suite à son avènement.
Le 20 novembre 1504
Après la joyeuse entrée de la Reine Anne de Bretagne (qui a épousé successivement Charles VIII et Louis XII), un nouveau festin se tient dans la Grande Salle.
1506
Entre la Sainte-Chapelle et le Logis du Roi, Louis XII remodèle la Chambre des Comptes, par trois corps richement décorés de sculptures. C’est l’œuvre de l’Italien Fra Giovanni Giocondo, un moine dominicain, ramené en France par le Roi en 1500, annonçant le début de la Renaissance en France. Du même architecte et dans le même style, Louis XII commande un escalier monumental permettant de rejoindre le niveau supérieur de la Sainte Chapelle.
Toujours la même année et toujours des mains de Giocondo, la Grande-Chambre est transformée, devenant dès lors la Chambre Dorée.

En plus de son plafond lambrissé en culs-de-lampe où on voit encore des porcs-épics et la devise de Louis XII «qui s’y frotte, s’y pique», il faut imaginer des vitraux historiés et les murs tapissés de velours azuré semé de fleurs de lys d’or.
Louis XII fait également restaurer la Salle sur l’Eau et les galeries y menant. Ce Roi fait quelques séjours dans son Palais. Afin de ne pas déranger le Parlement, qui devient par l’abandon des rois précédents, le véritable maître des lieux, Louis XII réside dans le logis du concierge. Celui-ci migre alors dans la Tour de Nesle voisine de l’autre côté de la Seine.
Atteint de goutte, lors des lits de justice, le Roi est obligé de monter le Grand Degré à mulet. A cet effet, une rampe est construite. Il est ensuite mené par la bête jusqu’à la Grande-Chambre où ses serviteurs le portent jusque sous son dais.
François Ier (1515-1547)

Comme Louis XII avant lui, François Ier (1494-1515) hérite du trône de France par défaut d’héritier direct.
1520
François Ier décide de généraliser la vénalité des charges, jusque-là pratique privée officiellement interdite par l’Etat qui consiste à revendre les offices royaux. Le Parlement en est un des premiers bénéficiaires. François Ier y voit un bon moyen pour renflouer le trésor royal .
Les parlementaires ne sont donc plus désignés par le Roi.
Jusqu’à sa captivité en Espagne, le nouveau Roi préfère ses résidences en Val de Loire. Après 1526, il privilégie désormais sa capitale.
La modernisation du Louvre reste la priorité du monarque. Celle du Palais paraissant impossible.
La nouvelle résidence principale du Roi étant en travaux, c’est au Palais qu’ont lieu les grandes cérémonies.
Le 23 décembre 1523
Transfert de Jean de Poitiers, seigneur de Saint-Vallier (?-1539) de Loches à la Conciergerie. Il est accusé de complicité avec le connétable de Bourbon qui a trahi François Ier.
La légende raconte que la beauté de sa fille, Diane dame de Brézé, a sauvé le condamné de l’échafaud.
En 1527
Incarcération de Jacques de Beaune, seigneur de Semblançay (1465-1527), surintendant des finances accusé de malversations par Louise de Savoie (1476-1531), régente du royaume durant les guerres d’Italie de François Ier.
En 1529
Incarcération de Louis de Berquin (1490-1529), conseiller du Roi et un des hommes les plus savants du royaume.

Partisan de la Réforme, il accuse d’hérésie les professeurs de théologie de la Sorbonne.
Réclamant du papier et de l’encre, ses anciens collègues du Parlement lui envoient par dérision les Epîtres de saint Jérôme.
De retour de Madrid, François Ier souhaite le recevoir au Louvre afin de débattre avec lui. Les parlementaires refusent. L’Inquisition est invitée à tout faire pour obtenir son abjuration. En vain.
Profitant d’un séjour du Roi à Blois, le Parlement s’empresse de le faire brûler place de Grève avec ses écrits.
Le 7 juillet 1530
Festin autour de la table de marbre noire afin de célébrer le second mariage du Roi avec Éléonore de Habsbourg (1498-1558).

Le 1er janvier 1537
Le banquet, pour le mariage à Notre-Dame de Madeleine (1520-1537), fille du Roi avec Jacques V d’Ecosse (1512-1542), a lieu au palais.

La même année
Lit de justice du Roi afin de condamner Charles Quint pour félonie. Et donc de justifier la reprise de la guerre.
Le 1er janvier 1540
Réception au Palais pour la visite de l’Empereur Charles Quint (1500-1558) .

Ironie de la politique…
Malgré ces festivités fastueuses, François Ier est conscient du désordre régnant dans son Palais : les échoppes, boutiques envahissent toutes les cours, galeries et rues à proximité. Il souhaite les supprimer mais son concierge qui en reçoit une redevance importante laisse faire.
En 1546
Après avoir été emprisonné à Lyon, c’est à Paris qu’est envoyé Etienne Dolet (1509-1546) afin d’être jugé pour athéisme et libre pensée.

Imprimeur et partisan de la tolérance religieuse, ses crimes sont trop odieux aux yeux de ces messieurs du Parlement. Il est condamné à être étranglé puis brûlé place Maubert.
Henri II (1547-1559)

Concernant le Palais, Henri II (1519-1559) donne sa priorité à la Sainte Chapelle et à l’urbanisme attenant.

Le 16 juin 1549
Entrée solennelle du Roi et de la Reine dans Paris, banquet dans la Grande Salle.
En 1550
Henri II offre deux nouveaux autels à la Sainte Chapelle, des grandes orgues remontées en 1790 à l’église de Saint-Germain-l’Auxerrois, un jubé et un double retable présentant François Ier et Eléonore d’Habsbourg d’un côté, Henri II et Catherine de Médicis de l’autre.

De 1552 à 1556
Une maison improprement nommée «aile Louis XII» est construite sous ce règne.
De même, afin de loger le sonneur de la Sainte Chapelle, une maison est construite ; c’est, aujourd’hui, le bureau de poste du Palais.
Afin de relier la Chambre des Comptes à ses archives de plus en plus importantes, un arc est construit dans la petite rue de Nazareth, aujourd’hui visible dans le jardin du musée Carnavalet.

Henri II pense à relier l’île avec un grand pont de pierre
Le 24 avril 1558
Mariage du Dauphin François (1544-1560) et de la Reine d’Ecosse Marie Stuart (1542-1587) à Notre-Dame, banquet au Palais où sont invités les membres du Parlement.

Le 30 juin 1559
Double mariage de la soeur du Roi Marguerite de Valois avec Philibert, duc de Savoie et de la fille aînée du Roi, Elisabeth avec Philippe II d’Espagne. Ces fêtes de mariage se terminant tragiquement par la mort de Henri II, elles seront les dernières grandes festivités royales se déroulant au Palais.
Charles IX (1550-1574)

Le 24 août 1572
Le Tocsin de la Tour de l’Horloge annonce le massacre de la Saint-Barthélémy…

Le 27 mai 1574
Le Roi est à l’agonie mais il a la joie d’apprendre l’arrestation de Gabriel de Lorges, comte de Montgomery. Il est celui dont la lance tua accidentellement son père Henri II lors d’un tournoi. Il devint par la suite un des généraux les plus dangereux de l’armée protestante.

Il est condamné à la décapitation peu de temps après, à la satisfaction de la régente Catherine de Médicis.
En souvenir de son incarcération, la Grosse Tour s’appelle désormais la Tour Montgomery.
Henri III (1574-1589)

1577
Henri III (1551-1589) reprend le projet de son père qui souhaitait relier les deux rives à l’île de la Cité par un grand pont de pierres, le premier de Paris.

Le 31 mai 1578
Henri III, en présence de la Reine Louise de Vaudémont et de la Reine Mère Catherine de Médicis, pose la première pierre de l’édifice. A l’occasion de cette construction, les anciens îlots sont reliés par un apport considérable de remblais.
La rive sud est aussi remblayée pour y établir un quai. C’est la fin du Jardin du Roi et de l’hôtel du Bailliage construit au sud de ce jardin occupé par le concierge aussi appelé bailli.
Un nouveau quai prend le nom de quai des Orfèvres du nom des nombreux orfèvres et joailliers installés depuis longtemps près du Palais des Rois de France.

1585
Henri III offre un nouveau cadran à l’horloge de la Ville. C’est celui que l’on voit encore aujourd’hui, après avoir subi quelques avanies sous la Révolution.

L’inscription en haut dit : « QUI DEDIT ANTE DUAS TRIPLICEM DABIT ILLE CORONAM (Celui qui lui a déjà donné deux couronnes lui en donnera une troisième) ». Elle rappelle que le Roi a été Roi de Pologne puis Roi de France. Et Dieu lui en donnera une nouvelle au Paradis.
Celle du bas : « MACHINA QUÆ BIS SEX TAM JUSTE DIVIDIT HORAS JUSTITIAM SERVARE MONET LEGES QUE TUERI (Cette machine qui fait aux heures douze parts si justes enseigne à protéger la Justice et à défendre les lois) » indique que désormais le Palais est avant tout réservé à la Justice.
Cela n’empêche pas le Roi d’être très impopulaire des Parisiens et quand des morceaux de la Vraie Croix de la Sainte-Chapelle disparaissent mystérieusement, le nombre de ceux y ayant un accès direct étant restreint, c’est tout naturellement qu’on en accuse le Roi et sa mère.
1588
Les guerres de religion empêchent la poursuite des travaux du pont. Le Roi, détesté des Parisiens ligueurs doit fuir sa capitale. Les Parisiens montent des barricades et pourchassent toute personne suspectée d’hérésie.
Le céramiste Bernard Palissy (1510-1589 ou 1590) est sommé d’abjurer. Refusant, il est condamné à vie à la Conciergerie, puis à la Bastille.
Les Bourbons (1589-1792)
Henri IV (1589-1610)

1598
Henri IV (1553-1610) fait reprendre les travaux du pont de pierre arrêtés presque dix ans plus tôt.
Contrairement au souhait de la Ville, le Roi refuse d’y voir des bâtiments sur ce nouveau pont. Il y préfère des trottoirs afin de faciliter la circulation. Les ponts médiévaux de Paris étaient alors tous en bois et risquaient de s’écrouler à chaque crue de la Seine, entraînant les centaines de maisons hétéroclites qui y étaient bâties.
Henri IV consent à des alcôves de pierres, permettant aux marchands de s’y installer.
En 1602
Trois arches sont encore à construire.
Le 20 juin 1603
Du quai des Augustins au Louvre, Henri IV est obligé de terminer sa traversée du pont sur des planches en bois.
En 1604
Henri IV décide, encore contre l’avis de la Ville qui craint un encombrement de la circulation, de construire une grande pompe à eau, sur la deuxième arche du pont. Elle permet de fournir en eau les quartiers avoisinants. Ornée d’une sculpture reprenant un épisode des Evangiles où le Christ à un puits demande à boire à une Samaritaine, cette pompe sera appelée la Samaritaine.

Le 12 décembre 1604, Henri IV instaure la paulette. Avec cet impôt les officiers, donc les parlementaires, peuvent transmettre leur charge directement à qui ils le souhaitent.
Etant également inamovibles depuis Charles VIII, les rois ne peuvent plus ni destituer les parlementaires, ni en choisir de nouveaux.
De grandes dynasties de robe vont alors voir le jour : les Lamoignon, les Harlay, les Ormesson…
En décembre 1607
Henri IV inaugure enfin le Pont-Neuf, cette fois-ci à cheval.
La même année, le Roi concède au premier président du Parlement qui lui a été resté fidèle malgré la Ligue, Achille de Harlay (1536-1616), les terrains situés à la pointe de l’île. A charge d’y bâtir des maisons de même modèle : deux étages, toits d’ardoise, façades de pierres et briques.

et propriétaire de la place Dauphine
Entre 1607 et 1620
Ceci aboutit à la création de la place Dauphine, en l’honneur du Dauphin, futur Louis XIII, né en 1601. La rue de Harlay, percée entre l’aile orientale de la place et le jardin du bailliage, est aménagée dans la foulée, à la suite d’expropriations faites en 1608.

A l’occasion, le Jardin du Roi, qui compte alors plus de 1 300 espèces différentes et dirigé par Jean Robin (à qui on doit le plus vieil arbre de Paris, un faux acacia ou robinier venu des Appalaches) est transféré dans le faubourg Saint-Victor, à l’endroit actuel du Jardin des Plantes.
Cette nouvelle place a vocation à devenir le quartier d’affaires dont a besoin une grande capitale comme Paris.
En 1608
Barthélémy Dumont devient concierge. Cette charge n’est plus depuis longtemps offerte aux favoris des souverains mais est un office comme les autres qui s’achète et se transmet ensuite par survivance. Son rôle est beaucoup moins prestigieux qu’il ne le fut au Moyen-Âge. Le concierge est en réalité dorénavant plus un geôlier qu’un proche du Roi. Sous ses ordres se trouvent les guichetiers, gardiens de la prison.
La Conciergerie n’est pas une prison ordinaire : elle est celle du Parlement qui s’occupe des grands procès du royaume mais aussi servant de cour d’appel pour tous les tribunaux de France. Tous les délits et crimes s’y retrouvent, ainsi que les deux sexes.
Les prisonniers doivent payer leur droit de geôlage, c’est-à-dire leur hébergement et nourriture. Ceux qui ne peuvent pas sont appelés pailleux, devant se contenter de paille sur le sol et recevoir le pain du Roi.
Les pistoliers ont droit à plus de confort : une paillasse.
Les plus aisés ont droit à une table, une chaise, de quoi écrire, ainsi que d’une chandelle.
Les prisonniers pour dettes sont entretenus par leurs créanciers qui pour éviter de trop dépenser pour leurs débiteurs doivent trouver rapidement une solution. Ils ont droit aux meilleures chambres ou cellules. Ils ne sont pas enfermés dans des cachots car ils n’ont pas commis de crimes.
Il n’y aucune cellule en sous-sol, afin d’éviter les crues de la Seine. Celles laissant passer un maigre jour se trouvent dans la Grosse Tour ou les Tours Jumelles, réservées aux grands criminels contre le pouvoir royal.
La plupart des fenêtres ont des barreaux mais pas celles hors d’atteinte car trop hautes.

Les portes des chambres sont ouvertes à sept heures l’hiver, six heures l’été et les prisonniers peuvent aller et venir à leur guise toute la journée dans les cours et couloirs.
On regarde les boutiques au loin, on se réunit pour jouer aux dés ou aux cartes….
Des boutiquières viennent même vendre aux prisonniers du beurre ou autres denrées, une autre vient y débiter des boissons….
Les prisonniers ont droit de conserver leur couteau, indispensable à la vie de tous les jours, notamment pour couper leur pain, le plus souvent dur. Ce qui provoque parfois des incidents qui peuvent mal tourner entre deux joueurs un peu violents…
Le 14 mai 1610
François Ravaillac (1577-1610) assassine Henri IV.

Il est fait prisonnier à la Conciergerie dans la Grosse Tour, jugé par le Parlement qui considère son geste comme un acte isolé d’un fanatique catholique.

Il entend son verdict dans la chapelle de la prison comme le veut l’usage. Son supplice sera terrible. Mais l’acte de Ravaillac a d’autres conséquences pour la Conciergerie. Suite au couronnement de la Reine la veille, Henri IV avait promis de grâcier de nombreux prisonniers. Sa mort le lendemain ajourne le projet.
Par conséquent de nombreux prisonniers en veulent au régicide. Barthélémy Dumont craint que son prisonnier le plus important ne reste pas vivant avant la fin de son procès. Une émeute éclate même dans la cour de May au moment où Ravaillac est mené place de Grève. Des archers et gardes se retrouvent à le protéger !
Louis XIII (1610-1643)

S’il ne réside plus au Palais comme les Capétiens et n’y célèbre pas de grandes festivités comme les Valois, Louis XIII (1601-1643), comme son père, continue à réaménager l’espace urbain autour de ce haut-lieu du pouvoir royal.
Le 15 mai 1610

En 1611
Les grands travaux de remblaiements, commencés sous Henri III, se poursuivent. Désormais, le rez-de-chaussée de la Conciergerie, se retrouve enclavé de plusieurs mètres sous le niveau de la Seine.
Les quais sont maintenant en pierre.

Mi-carême 1614
Evasion d’un certain Baptiste de Poly. Comme il s’agit d’un jour de fête, la foule est nombreuse. Le valet du prisonnier lui fournit un déguisement et le prisonnier peut sortir sans être inquiété.
Le 23 août 1614
Inauguration de la statue équestre de Henri IV sur le terre-plein du Pont-Neuf commandée par la Reine à Jean de Bologne quelques années auparavant.

En 1616
La charge de bailli-concierge du Palais rapporte 100 000 livres.
En 1617
Le premier président du Parlement, Nicolas de Verdun (?-1627) demande au Roi la permission d’acheter l’hôtel du bailli-concierge pour la somme de 50 000 livres. La demande est acceptée.
Le bailli-concierge loge désormais dans l’ancien Logis du Roi.

Le 11 mai 1617
Transfert de la Bastille à la Conciergerie de Léonora Dori, épouse Concini, maréchale d’Ancre (1568-1617), accusée d’une trop grande influence sur la Reine Mère, Marie de Médicis (1575-1642).

Sa chambre donne sur la cour des femmes. Elle réclame à Barthélémy Dumont ses chambrières, du linge et de préparer elle-même ses repas de crainte d’être empoisonnée. Le premier président accorde au bout de deux semaines le linge demandé mais certainement pas ses chambrières !
Elle est condamnée à la décapitation le 8 juillet suivant.

Dans la nuit du 6 au 7 mars 1618
vers deux heures du matin
Une sentinelle du Louvre croit voir «comme une grande étoile, qui avait une grande queue toute rouge et enflammée» tomber sur le Palais de Justice. Le temps de donner l’alarme, le feu, attisé par un fort vent du sud, a déjà attaqué la toiture. Le comble en bois sec et vernissé flambe comme une allumette, les ardoises volent, les flammes «de la grosseur d’un tonneau» jaillissent des fenêtres. Entre la tour de l’Horloge, dont le revêtement de plomb a fondu, et les deux tours qui encadrent l’entrée de la Conciergerie, l’aile nord du Palais n’est plus qu’une gigantesque torche.
Réveillés par le grondement de l’incendie, le fracas des charpentes qui s’effondrent, les appels au secours des prisonniers de la Conciergerie – qui crient «que la prison [est] pour les garder, non pour les brûler» , les plus proches voisins accourent. La cloche de la Tour de l’Horloge, prévue pour ces catastrophes n’a pas sonné : un oiseau y a installé son nid.
Louis XIII au Louvre est réveillé en sursaut, il court en robe de chambre jusqu’à la grande galerie afin d’assister au drame. Son valet de chambre à qui le Roi confie les clés de la châsse, est chargé de sauver les reliques de la Sainte Chapelle.
Le prévôt des marchands, Antoine Bouchet de Bouville prend en charge les secours. Un canal de foin et de fian est mis en place rue de La Barillerie afin de mener l’eau de la Seine jusqu’à la cour de May.
Mais le Palais est sérieusement abîmé. La Grande Salle, ses statues des Rois, sa Table de Marbre sont détruites. La Grande-Chambre est miraculeusement épargnée. Les Chambres des Requêtes et des Enquêtes sont également consumées. La Tour de l’Horloge est sauvée.
Le procureur général ordonne que les prisonniers soient transférés soit au Châtelet, soit à For-l’Evêque, entre Saint-Germain-l’Auxerrois et le quai de la Mégisserie. Si des prisonniers tentent de s’échapper en chemin, le guet les rattrape rapidement.
Les chansons relatant le drame ne manquent pas, même celles mêlant l’humour. La basoche est critiquée notamment pour se faire trop souvent rémunérer en épices, denrées onéreuses à l’époque :
Certes, ce fut un triste jeu,
Quand à Paris, dame Justice,
Pour avoir mangé trop d’épice,
Se mit le Palais en feu.
Rapidement, certains y voient aussi un bon moyen pour faire disparaître des pièces compromettantes du procès de Ravaillac.
De 1622 à 1638
Les architectes Salomon et Paul de Brosse refont la Grande Salle non plus en bois mais en style classique.

Désormais, il s’agit plus d’un large vestibule qu’une salle à destination des grandes cérémonies de la monarchie.

En 1623
Incarcération de Théophile de Viau (1590-1626), poète libertin et athée.

En 1625
Barthélémy Dumont achève sa carrière de concierge. Hormis les incendies et évasions, sa plus grande terreur aura été les quatre épidémies de peste à Paris durant son mandat. Par chance, elles n’ont jamais touché la prison.
1630
La Sainte-Chapelle connaît à son tour un incendie qui lui détruit sa flèche.

Le bâtiment du Trésor des Chartes est lui aussi partiellement anéanti. L’archiviste du moment Théodore Godefroy (1580-1649) a le temps de protéger les archives datant d’au moins Saint Louis, dont il achevait le classement.

De 1634 à 1671
Travaux afin de remettre en état la Sainte-Chapelle.
Fin du règne de Louis XIII
La Galerie Mercière est réaménagée.

Louis XIV (1643-1715)

Le 18 mai 1643
Quatre jours après le décès de Louis XIII, la régente Anne d’Autriche (1601-1666) au nom de son fils Louis XIV (1638-1715), tient un lit de justice qui lui permet de casser le testament du feu Roi.
Si par cette procédure, la Reine pense obtenir tous les pouvoirs nécessaires à sa régence, elle enclenche un engrenage qui se révèlera fatal à la monarchie…

1644
Les membres du Parlement se voient accorder le droit d’entrer dans la noblesse. On parle alors de noblesse de robe. Ou péjorativement, de robins.
1645
Débute la reconstruction des différentes chambres détruites lors de l’incendie de 1618.
Les relations entre le pouvoir royal et le Parlement semblent au beau fixe…
Début janvier 1648
Le Premier Ministre, le cardinal Mazarin (1602-1661) est détesté pour sa politique fiscale qui prolonge la guerre contre l’Espagne.
Les membres du Parlement se voient obliger d’enregistrer de nouveaux édits dont certains les rendent imposables, eux qui viennent d’entrer dans la noblesse. Les Parisiens les suivent car les grandes villes sont exemptées de taille mais de nouveaux impôts sont mis en place pour y pallier.
Toujours soucieux de trouver les fonds nécessaires à la guerre, le pouvoir royal décide dans le même temps de créer de nouveaux offices mettant en concurrence ceux qui en sont déjà pourvus mais qui en réduisent du coup leurs gages. Il est insupportable aux parlementaires de voir arriver de nouveaux anoblis. Les différents corps intermédiaires (cours souveraines, noblesse, grandes villes…) sont aussi soucieux du tour de plus en plus absolutiste du pouvoir royal. S’il était difficile de s’opposer à Louis XIII et son Premier Ministre le cardinal de Richelieu (1585-1642), cela paraît plus aisé durant une période de minorité.


Tous les officiers de robe, de l’ensemble des cours souveraines (Parlements, Chambre des Comptes, Cour des Aides…) se solidarisent.
Les parlementaires usent et abusent de leur droit de remontrance, leur permettant de bloquer l’enregistrement des édits.
Le 15 janvier 1648
Lit de justice en présence du jeune Louis XIV obligeant à l’enregistrement des édits fiscaux. Les tensions ne cessent de s’aviver.
Le 13 mai 1648
Le Parlement, la Cour des Aides, la Chambre des Comptes et le Grand Conseil décident de se réunir en une seule chambre. C’est l’Arrêt d’Union.
Le 7 juin 1648
Devant ce défi institutionnel, Anne d’Autriche casse l’arrêt.
Le 16 juin 1648
Les cours passent outre la décision de la Régente et se réunissent en une chambre Saint-Louis. Elle se veut l’équivalent du parlement anglais.

Eté 1648
La chambre Saint-Louis rédige vingt-sept articles mettant à bas la monarchie absolue.
Le 26 août 1648
Suite à une victoire du prince de Condé contre les Espagnols, profitant de la liesse générale, Mazarin et Anne d’Autriche font arrêter trois parlementaires considérés comme les meneurs de la révolte.

En réaction, les Parisiens montent des barricades.
De 1648 à 1652
Révolte contre le pouvoir royal, appelée la Fronde.
Le Parlement, allié aux grands seigneurs et princes du sang, fait tout pour réduire le pouvoir de la Régente et de son Premier Ministre, et à travers eux, réduire l’absolutisme.
A la même période, le parlement anglais fait décapiter le Roi Charles Ier (1600-1649). L’exemple frappe tous les esprits : le pouvoir royal français qui s’en inquiète vivement, les parlementaires modérés qui ne veulent pas s’associer à un tel crime et les plus extrêmistes qui ne cachent pas leur désir de faire subir le même sort au moins à Mazarin.

En 1652
Des parlementaires soucieux de se rapprocher du Roi en passe d’obtenir la victoire contre les frondeurs, se réunissent à Pontoise où ils tiennent une cour de justice similaire à celle de Paris.
Elle est concurrente à celle de Paris, considérée comme rebelle aux yeux du pouvoir royal tandis que celle de Pontoise est vue comme illégitime aux yeux des frondeurs.
Le 22 octobre 1652
Louis XIV tient un lit de justice triomphal mettant fin aux troubles concernant la Robe. Désormais il est interdit aux magistrats de « prendre aucune connaissance des affaires de l’État ».
Symboliquement ce lit de justice se tient au Louvre et non au Palais.

Le 13 avril 1655
Arrivant de Vincennes où il chassait, et n’ayant pas eu le temps de se changer, le jeune Louis XIV de dix-sept ans entre dans son Palais afin de faire enregistrer par un lit de justice improvisé de nouveaux édits fiscaux.
Louis XIV ne tolèrera plus la moindre remontrance…

L’image marquera tant qu’on lui attribue généralement pour cette scène un fouet de chasse et ces paroles restées fameuses «L’Etat c’est moi».
Le 16 août 1655
Louis XIV revient devant son Parlement. Interdiction lui est faite de toute union avec les autres chambres souveraines. Il ne reviendra plus jamais au Palais. Le Parlement n’osera jamais plus s’opposer à Louis XIV.

On y reconnaît de gauche à droite : la Sainte-Chapelle, le Trésor des Chartes, l’Arbre de May, les galeries des Merciers et Mercière, le Grand Perron, derrière la Grosse Tour, l’entrée de la Conciergerie, la Salle des Gens d’Armes et la Grande Salle
Si Louis XIV à partir de son règne personnel (1661) abandonne sa capitale qu’il n’aime pas suite aux événements difficiles de son enfance, il n’en continue pas moins de grands travaux d’embellissements, notamment autour du Palais.

En 1666
De nouvelles Cours de Justice sont construites, ainsi que le Parquet, le Greffe et la Chambre des Requêtes.
Une galerie prolonge celle des Prisonniers.
De nouvelles issues sont ouvertes dans les anciens bâtiments, des rues et artères sont aménagées afin de faciliter la circulation d’une population basochienne de plus en plus importante.
Les cours du Harlay et de Lamoignon permettent dorénavant d’entrer au Palais par l’ouest, directement du Pont-Neuf.

Avril 1667
Le droit de remontrance est aboli par ordonnance royale. Le Parlement ne peut faire autrement que de l’enregistrer.
En 1670
Sur le pont Notre-Dame une nouvelle pompe est mise en place. Elle permet d’alimenter en eau la Cité.

Elle s’avèrera malheureusement peu efficace.
En 1671
L’ancien hôtel du bailliage, désormais réservé au premier président est agrandi vers l’ouest. Il se situe entre la rue de Jérusalem, la cour de la chambre des comptes, la cour Lamoignon, la rue de Harlay et le quai des Orfèvres.
Par lettres patentes, le premier président Lamoignon s’engage à embellir les escaliers, galeries et la rue qui porte son nom.
Entre juin et novembre 1672
La Reine Marie-Thérèse (1638-1683) prélève des morceaux de la Vraie Croix conservés à la Sainte-Chapelle afin de sauver son troisième et dernier fils titré duc d’Anjou, qui ne vivra que quelques mois.

En 1674
La juridiction très large du bailli-concierge est dorénavant réduite aux cours, enclos et galeries du Palais.
La charge n’a plus le prestige qu’elle avait connu à la fin du Moyen-Âge.
Le 29 avril 1676
Incarcération de Marie-Madeleine Dreux d’Aubray, marquise de Brinvilliers (1630-1676) accusée d’avoir empoisonnée son père et son frère (tour à tour lieutenants civils du Châtelet) et de nombreuses autres victimes.

Après avoir fait amende honorable sur le parvis de Notre-Dame, elle est décapitée puis son corps brûlé place de Grève le 17 juillet 1676.
En 1686
La rue de La Barillerie située devant la Sainte-Chapelle, à l’est du Palais, est élargie. Cela permet de dégager la Tour de l’Horloge de ses nombreuses échoppes.
Hiver 1689-1690
Une crue de la Seine détruit les vitraux de la chapelle basse de la Sainte-Chapelle.
Le 21 novembre 1694
Naissance de François-Marie Arouet (1694-1778), dit Voltaire, rue de Nazareth, dans l’enceinte du Palais. Son père est notaire au Châtelet et a donc droit à un logement près du Palais. Il sera ensuite receveur des épices et le frère aîné de Voltaire avocat au Parlement. Sa sœur épouse un membre de la Chambre des Comptes.

Voltaire n’aura de cesse de rejeter sa famille issue de la basoche, se prétendant fils illégitime d’un seigneur de la noblesse d’épée.
En 1707
Lors d’un dîner chez le premier président Achille III du Harlay (1639-1712), l’hôtel s’écroule. Il y a heureusement plus de peur que de mal avec un seul blessé.
Louis XIV fait reconstruire et agrandir l’hôtel, ancien logement du bailli-concierge.

Louis XV (1715-1774)

Le 2 septembre 1715
Comme au début du règne précédent, au lendemain de la mort du Louis XIV, Philippe d’Orléans (1674-1723), Régent du royaume, fait casser le testament du vieux Roi au nom de son successeur Louis XV (1710-1774), cinq ans.
Louis XIV avait voulu limiter l’action gouvernementale de son neveu et favoriser davantage son fils illégitime le duc du Maine.
Le Parlement, trop heureux de retrouver un pouvoir politique qui lui avait été confisqué à la majorité de Louis XIV s’empresse de donner gain de cause au Régent.

Il s’agit d’un véritable coup d’Etat. Les ducs, princes du sang et surtout les princes légitimés tentés de s’y opposer sont neutralisés militairement.
Le 12 septembre 1715
Afin d’entériner les décisions prises dix jours plus tôt, le jeune Louis XV se rend au Palais afin de tenir un lit de justice dans la Grande Chambre.


Le petit Louis XV de cinq ans dira seulement :
«Je suis venu ici, Messieurs, pour vous assurer de mon affection. Monsieur le Chancelier vous dira ma volonté.»

Le 15 septembre 1715
Le Régent rend officiellement le droit de remontrance au Parlement.
Les règnes de Louis XV et de Louis XVI en seront gâchés.
Juin 1717
Visite de Pierre Ier de Russie (1672-1725) venu assister à une séance du Parlement.

Tout le long du XVIIIème siècle, d’autres souverains étrangers viendront assister aux séances du Parlement, toujours étonnés de voir les parlementaires en manteau doublé d’hermine malgré la chaleur.
Du 24 juillet au 17 décembre 1720
Le Parlement s’oppose aux décisions du Régent.
Le Régent ne peut que se mordre les doigts de lui avoir rendu un droit qui bloque toute action politique.
Il est dès lors obliger d’exiler ses membres à Pontoise.
Le 21 octobre 1721
Transfert du Châtelet à la Conciergerie de Louis Dominique Garthauszien, plus connu sous le nom de Cartouche (1693-1721). Bandit de génie, il réussit à réunir sous son égide les divers groupes de voleurs de la capitale, recréant l’ancienne cour des Miracles, détruite sous le règne de Louis XIV.
Provoquant régulièrement le pouvoir, notamment le Régent, son arrestation mit du temps et fut difficile.
Il est condamné à la roue le 28 novembre suivant.

En 1722
La Grande Chambre est restaurée. Une tribune richement décorée et portée par des colonnes est installée pour les visiteurs de marque.
La même année, dans la rue Mazarine rive gauche toute proche du Palais, est mis en place le premier corps de pompiers, organisé par Du Mourier du Peirier, grand-père du futur général Dumouriez.
Le 22 février 1723
Lit de justice affirmant la majorité de Louis XV.


En 1732
Une brochure émise du Parlement précise que le Roi :
« ne peut contracter avec ses peuples que dans le sein du Parlement, lequel, aussi ancien que la Couronne et né avec l’État, est la représentation de la monarchie tout entière »
Le Parlement cherche de plus en plus à ressembler à celui d’Angleterre.
Louis XV exile son Parlement.
Dans la nuit du 26 au 27 octobre 1737
Un nouvel incendie au Palais détruit la Chambre des Comptes.

Malgré la proximité des pompiers, les incendies sont très nombreux au Palais.
Le bâtiment datant de Louis XII est entièrement refait par l’architecte Jacques V Gabriel. En attendant la fin des travaux, les membres de la Chambre des Comptes migrent dans la Chambre des Monnaie. Celle-ci est alors déplacée place Dauphine et y est toujours.

L’hôtel de la Monnaie, huile sur toile, début des années 1770
Le concierge reçoit sous sa juridiction le faubourg Saint-Michel.
Le 3 mai 1740
Inauguration de la nouvelle Chambre des Comptes qui disparaitra à son tour lors de la Commune de Paris de 1871.
1749
Louis XV et son contrôleur des finances Machault d’Arnouville souhaitent mettre en place le vingtième, impôt qui touchera sans distinction toutes les classes du royaume, clergé et noblesse compris, en fonction de ses revenus.
L’hostilité est vive dans tout le royaume et les parlementaires bien entendu refusent d’enregistrer un impôt qui les concerne directement.
1751
Louis XV cède et finalement le vingtième ne touchera que les membres du Tiers-Etat.
1753
Cette fois-ci le Parlement fait valoir son droit de remontrance du fait de ses tendances jansénistes, un courant spirituel né au XVIIème siècle transformé au XVIIIème en opposition politique contre les jésuites et le pouvoir royal. Sous prétexte de s’opposer à l’archevêque de Paris, c’est le Roi qui en réalité est critiqué.
A tel point que les mots tyran et despote commencent à être employé contre le Roi.

Louis XV n’a d’autre choix que d’exiler une nouvelle fois les parlementaires à Pontoise.

Septembre 1754
Le Parlement revient à Paris et c’est au tour de monseigneur de Beaumont d’être exilé en décembre de la même année.
En 1755
Une galerie menant à la salle de réception du premier président dans son hôtel présente les portraits de tous les premiers présidents depuis la création de cette charge.
D’autres personnages historiques y sont représentés également. Si on comprend la présence de Du Guesclin, on comprend moins ceux à la moralité douteuse comme Blaise de Monluc, grand militaire certes mais surtout soudard et pire le connétable de Bourbon, connu de tous pour sa traîtrise envers François Ier.
Le 5 janvier 1757
Ce nouvel épisode d’opposition entre le Roi et son Parlement ne se terminera qu’avec l’attentat de Robert-François Damiens (1715-1757) contre Louis XV. Domestique de parlementaires et probablement déséquilibré, il a fait siennes les critiques virulentes entendues contre le souverain.

Soucieux de prouver au Roi qu’ils n’ont en rien guidé la main de Damiens, rapidement transféré à la Conciergerie, les parlementaires jugent le régicide à l’identique de ce que connut Ravaillac. Ainsi que sa mise à mort le 28 janvier suivant, particulièrement épouvantable et considérée comme indigne du siècle des Lumières.

1758
Nomination au gouvernement d’Etienne-François comte de Stainville, bientôt fait duc de Choiseul (1719-1785).

Ce ministre saura s’accorder les bonnes grâces du Parlement.
Les tensions s’apaisent.
Le 6 août 1762
Par une curieuse alliance quasi contre-nature, les parlementaires jansénistes, les gallicans et les philosophes se retrouvent dans leur opposition contre les jésuites.
A cette date, le Parlement signe un arrêt ordonnant la dissolution de l’ordre.
En 1765
Début du procès Le Chalotais en Bretagne qui oppose le parlement de Rennes au gouverneur de Bretagne, le duc d’Aiguillon (1720-1788). Le procès fait rapidement scandale dans tout le royaume. Louis XV convoque les magistrats bretons récalcitrants à Versailles.
Le 3 mars 1766
Les parlements du royaume affirmant leur solidarité envers celui de Rennes, Louis XV à dix heures trente du matin, arrive sans prévenir au Palais, afin de mater les parlementaires alors en séance ordinaire.
Ce lit de justice est appelé le discours de la Flagellation.
Le Roi dit seulement : « Messieurs, je suis venu pour répondre moi-même à toutes vos remontrances. »
Puis son discours est remis par le ministre de la Maison du Roi, le duc de Saint-Florentin à un conseiller qui n’a pas d’autre choix que de le lire :
Ce qui s’est passé dans nos parlements de Pau et de Rennes, ne regarde pas mes autres parlements.
J’en ai usé, à l’égard de ces deux cours, comme il importait à mon autorité, et je n’en dois compte à personne.
Je n’aurais pas d’autre réponse à faire à tant de remontrances qui m’ont été faites à ce sujet, si leur réunion, l’indécence du style, la témérité des principes les plus erronés, et l’affectation d’expressions nouvelles pour les caractériser ne manifestaient les conséquences pernicieuses de ce système d’unité que j’ai déjà proscrit, et qu’on voudrait établir en principe, en même temps qu’on ose le mettre en pratique.
Je ne souffrirai pas qu’il se forme, dans mon royaume une association qui ferait dégénérer en une association de résistance le lien naturel des mêmes devoirs et des obligations communes, ni qu’il s’introduise dans la monarchie un corps imaginaire qui ne pourrait qu’en troubler l’harmonie.
La magistrature ne forme point un corps ni un ordre séparé des trois ordres du royaume ; les magistrats sont mes officiers, chargés de m’acquitter du devoir vraiment royal de rendre la justice à mes sujets ; fonction qui les attache à ma personne, et qui les rendra toujours recommandables à mes yeux ; je connais l’importance de leurs services ; c’est donc une illusion qui ne tend qu’à ébranler la confiance que d’imaginer un projet formé d’anéantir la magistrature et de lui supposer des ennemis auprès du trône.
Ses seuls, ses vrais ennemis sont ceux qui, dans son propre sein, lui font tenir un langage opposé à ses principes, qui lui font dire :
- que tous les parlements ne forment qu’un seul et même corps, distribué en plusieurs classes ;
- que ce corps nécessairement indivisible est de l’essence de la monarchie et qu’il lui sert de base,
- qu’il est le siège, le tribunal, l’organe de la nation ;
- qu’il est le protecteur et le dépositaire essentiel de sa liberté, de ses intérêts, de ses droits ;
- qu’il lui répond de ce dépôt et serait criminel envers elle s’il l’abandonnait ;
- qu’il est comptable de toutes les parties du bien public, non-seulement au roi, mais aussi à la nation ;
- qu’il est juge entre le roi et son peuple ;
- que, gardien du lien respectif, il maintient l’équilibre du gouvernement, en réprimant également l’excès de la liberté et l’abus du pouvoir ;
- que les parlements coopèrent avec la puissance souveraine dans l’établissement des lois ;
- qu’ils peuvent quelquefois par leur seul effort s’affranchir d’une loi enregistrée, et la regarder à juste titre comme non existante ;
- qu’ils doivent opposer une barrière insurmontable, aux décisions qu’ils attribuent à l’autorité arbitraire et qu’ils appellent des actes illégaux, ainsi qu’aux ordres qu’ils prétendent surpris,
- et que s’il en résulte un combat d’autorité, il est de leur devoir d’abandonner leurs fonctions et de se démettre de leurs offices, sans que leurs démissions puissent être reçues.
Entreprendre d’ériger en principes des nouveautés si pernicieuses, c’est faire injure à la magistrature, démentir son institution, trahir ses intérêts, et méconnaître les véritables lois fondamentales de l’État, comme s’il était permis d’oublier
- que c’est en ma personne seule que réside la puissance souveraine, dont le caractère propre est l’esprit de conseil, de justice et de raison ;
- que c’est de moi seul que mes cours tiennent leur existence et leur autorité ;
- que la plénitude de cette autorité qu’elles n’exercent qu’en mon nom demeure toujours en moi, et que l’usage n’en peut jamais être tourné contre moi ;
- que c’est à moi seul qu’appartient le pouvoir législatif, sans dépendance et sans partage ;
- que c’est par ma seule autorité que les officiers de mes cours procèdent, non à la formation, mais à l’enregistrement, à la publication et à l’exécution de la loi, et qu’il leur est permis de me remontrer ce qui est du devoir de bons et fidèles conseillers ;
- que l’ordre public tout entier émane de moi : que j’en suis le gardien suprême ;
- que mon peuple n’est qu’un avec moi,
- et que les droits et les intérêts de la nation, dont on ose faire un corps séparé du monarque, sont nécessairement unis avec les miens, et ne reposent qu’en « mes mains. »
[…] Enfin, ce spectacle scandaleux d’une contradiction rivale de ma puissance souveraine me réduirait à la triste nécessité d’employer tout le pouvoir que j’ai reçu de Dieu, pour préserver mes peuples des suites funestes de telles entreprises.
Printemps 1766
Le chevalier de La Barre (1745-1766) est condamné par le présidial (tribunal d’Ancien Régime) d’Abbeville à avoir la langue tranchée, à être décapité et brûlé pour impiété et blasphème.
Le jeune homme fait appel au Parlement de Paris. Il est transféré à la Conciergerie.
Depuis 1666, le blasphème n’est plus condamnable en France. Néanmoins le Parlement confirme les juges d’Abbeville.
Les partisans du chevalier et de la tolérance font alors appel au droit de grâce de Louis XV. Eprouvé par ses démêlés avec le Parlement, le Roi ne préfère pas s’occuper de l’affaire.

Le 7 décembre 1770
Louis XV intervient une fois de plus au Palais par un lit de justice afin d’enregistrer un édit dit de discipline. Les Parlements doivent se soumettre aux décisions royales.
L’héritier du trône, le Dauphin Louis-Auguste, seize ans, applaudit à cette mesure :
C’est très beau. Voilà le vrai droit public. Je suis enchanté de Monsieur le Chancelier.
Louis-Auguste

En retour, les parlementaires se mettent en grève.
Le 24 décembre 1770
Louis XV lassé de son ministre pour son attitude odieuse envers la nouvelle favorite madame du Barry mais aussi pour sa politique étrangère, réalise qu’il n’a fait qu’attiser la situation tendue avec les parlements du royaume. Le duc de Choiseul rêve d’un régime à l’anglaise où il se verrait en Premier Ministre avec un Roi sans presque aucun pouvoir.
C’en est trop pour Louis XV.
Il est remplacé aux ministères des Affaires étrangères et de la Guerre par le duc d’Aiguillon.
La jeune Dauphine Marie-Antoinette soutient le ministre exilé à qui Elle doit Son mariage, et ne cherche que la compagnie de ses partisans.

A contrario, Elle ne cache pas son mépris envers le duc d’Aiguillon et sa clique.
Le 18 janvier 1771
Le Parlement de Paris refuse de se réunir pour ne pas entériner les décisions prises par Louis XV et son chancelier René-Nicolas Maupeou (1714-1792) bien décidés à mater la révolte bretonne.
Le système judiciaire du royaume doit être entièrement réformé.
Nuit du 19 au 20 janvier 1771
Par arrêt du Conseil, les parlementaires sont arrêtés et exilés dans la nuit, leurs charges confisquées.
Le 18 février 1771
Le président de la Cour des Aides, Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes ose émettre des remontrances au Roi face à son coup de force :
« Sire, nous devons vous exposer le malheur de l’Etat avant les malheurs particuliers. On veut enlever à la nation les droits les plus essentiels d’un peuple libre… ».
Malesherbes en appelle aux « lois anciennes et respectées », celle qu’il faut défendre « si le peuple les regarde comme le rempart de ses droits et de sa liberté ».
Puis il ose écrire que le droit divin ne suffit plus et s’adressant au monarque, il écrit :
« Dieu ne place la couronne sur la tête des rois que pour procurer aux sujets la sûreté de leur vie, la liberté de leur personne et la tranquille propriété de leurs biens. »
Les états-généraux n’étant plus convoqués depuis le début du règne de Louis XIII, seul le Parlement fait office de pouvoir législatif.
Il est exilé.

Le 23 février 1771
Le Parlement de Paris est remplacé par six grands conseils supérieurs ayant pour juridiction Arras, Blois, Clermont, Lyon, Paris et Poitiers. Les charges restent inamovibles mais non vénales. La réforme vise aussi à rendre gratuite la justice alors que des sommes exorbitantes étaient exigées par les magistrats pour chaque procédure. Le droit de remontrance n’est pas aboli mais cantonné à des bornes acceptables pour le pouvoir royal.
La réforme Maupeou est très impopulaire. Louis XV et son triumvirat ministériel (le chancelier Maupeou, le duc d’Aiguillon et l’abbé Terray aux finances) est considéré par l’opinion publique comme destructeurs des libertés du royaume.

Il est difficile de trouver des candidats à ces nouveaux conseils, tant la solidarité est grande au sein de la noblesse de robe.
La noblesse d’épée dan son ensemble, notamment la majorité des princes du sang, se mettent du côté des magistrats renvoyés. Leurs intérêts sont communs.
Le peuple soutient les magistrats et les princes sans comprendre que cette réforme est dans son intérêt et brise au contraire les privilèges de la noblesse.
Le 16 avril 1771
Marie-Antoinette écrit à Sa mère :
Il y a, à cette heure, beaucoup de train ici. Il y a eu samedi (le 12 avril 1771) un lit de justice pour affirmer la cassation de l’ancien Parlement et en mettre un autre. Les princes du sang ont refusé d’y venir et ont protesté contre les volontés du Roi. Ils lui ont écrit une lettre très impertinente signée d’eux tous, hors du comte de La Marche, qui se conduit très bien dans cette occasion-ci. Ce qui est le plus étonnant à la conduite des princes, c’est que M. le prince de Condé a fait signer son fils, qui n’a pas encore quinze ans et qui a toujours été élevé ici. Le Roi lui a fait dire de s’en aller, de même qu’aux autres princes, à qui il a donné défense de paraître devant lui et devant nous. Les ducs, quoiqu’ils y ont été, ils ont protesté, et il y en a douze d’exilés à ce que l’on dit.
A l’issue de ce lit de justice, Louis XV se contente d’un «Je ne changerai jamais.»
Si ces paroles sont brèves, elles apparaissent pour l’opinion publique comme l’expression de la tyrannie.

Le même mois
Par édit royal, les charges des anciens parlementaires sont rachetées par l’Etat.
1773-début 1774
L’homme de lettres et politique, Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais (1732-1799) ridiculise le nouveau Parlement avec l’affaire Goëzman.

Les nouvelles cours mises en place par Maupeou sont totalement discréditées dans l’opinion publique à la fin du règne de Louis XV. Néanmoins, plus de quatre-vingt anciens magistrats sont prêts à négocier, menés par le premier président Lamoignon.

Louis XVI (1774-1792)

Le 10 mai 1774
Décès de Louis XV et avènement de son petit-fils Louis-Auguste, sous le nom de Louis XVI (1754-1793).
La jeunesse du Roi, sa réputation d’honnêteté et de moralité font espérer un meilleur règne que le précédent. L’opinion publique souhaite ardemment le retour des anciens Parlements.
Les ministres ayant approché Louis XV lors de sa maladie, ils sont écartés du jeune Roi par crainte de la contagion. Cela n’empêche pas le Roi d’écrire au chancelier Maupeou une lettre encourageante :
J’ai toujours vu avec le plus grand plaisir le zèle et l’attachement que vous avez marqués pour les intérêts du Roi et de la monarchie. Je ne doute pas que vous me soyez aussi attaché. En attendant que je puisse vous voir, s’il arrivait quelque affaire, écrivez-la moi et je vous ferai réponse tout de suite.
Le 12 mai 1774
Louis XVI, isolé plusieurs jours dans son cabinet au château de Choisy-le-Roi, se décide à prendre un conseiller expérimenté près de lui. Après quelques atermoiements, il se décide pour Jean-Frédéric Phélypeaux, comte de Maurepas (1701-1781).

Le nouveau ministre d’Etat veut se débarrasser du triumvirat qui pourrait lui faire de l’ombre auprès du jeune Roi. Mais pour l’instant tout laisse à penser que Louis XVI tient à l’ancienne équipe de son grand-père, expérimentée.
Le 30 mai 1774
La quarantaine passée, Louis XVI réunit son premier Conseil. Tous les ministres en sont ravis.
Le 2 juin 1774
Contre toute attente, le duc d’Aiguillon est renvoyé. Son statut de cousin de Maurepas ne l’a en rien protégé. En réalité, il est des trois membres du triumvirat le plus facile à renvoyer.
Louis XVI lui reproche ses relations équivoques avec l’ancienne favorite madame du Barry, tandis que Marie-Antoinette le déteste franchement. Maupeou garde lui la confiance du Roi, ce que Maurepas ne peut accepter.

Juin-Juillet 1774
Maurepas manoeuvre en souterrain pour le rappel des anciens parlementaires.
Pour lui : «sans parlement, pas de monarchie».
Il ne souhaite même pas un compromis, rendu possible par le remboursement des offices, non il veut le retour pur et simple de l’ancienne magistrature, vénalité des charges comprises.
Le comte de Maurepas est le descendant d’une dynastie de conseillers au Parlement et ne peut donc penser autrement. Mais Louis XVI tient ferme. Il a toujours détesté l’esprit des anciens parlementaires. Maurepas joue sa place…
Le 24 juillet 1774
A la veille des obsèques solennelles de Louis XV (sans son corps), le duc d’Orléans fait savoir au Roi que ni lui, ni son fils le duc de Chartres ne salueront les magistrats du nouveau Parlement.
Louis XVI exile ses cousins et réaffirme son soutien au chancelier.
Le 25 juillet 1774
Au retour de la basilique Saint-Denis, le jeune souverain ne reçoit qu’un silence glacial. Il tient à sa popularité et comprend que le retour des parlements en est la condition.

Août 1774
Séjour de la Cour au château de Compiègne.
Louis XVI consulte deux dossiers où sont classés des mémoires, des notes et des lettres. L’un intitulé Opinions favorables au retour des anciens parlements, l’autre Opinions favorables aux parlements actuels.
Pendant ce temps, au Palais, les magistrats des nouvelles cours ne peuvent sortir du Palais sans des huées et insultes.
Un mannequin à l’effigie du chancelier Maupeou est brûlé place Dauphine.
Maurepas est désormais soutenu dans ses vues par le nouveau ministre de la Marine Anne Robert Jacques Turgot (1727-1781) ; tandis que les comtes de Vergennes et de Muy aux Affaires étrangères et à la Guerre encouragent le Roi dans son refus de rappeler les anciens parlements.
Maurepas demande alors à Turgot de prendre contact avec son ami Malesherbes rendu célèbre pour ses remontrances à Louis XV afin de lui proposer la place de chancelier.
Mais Malesherbes est plutôt favorable à un compromis. Il décline la chancellerie et propose ses réflexions sur les réformes à mettre en place.
L’opinion aussi est partagée : du côté des anciens parlements, les princes du sang, les ducs et pairs, Choiseul et ses partisans, une bonne partie des «philosophes» ; de l’autre, le parti dévot et quelques philosophes et physiocrates.
Même la famille royale est divisée sur la question.
Marie-Antoinette soutient les vues des choiseulistes mais son opinion est nuancée puisque trois ans auparavant, elle avait été choquée par l’attitude de rébellion des princes du sang envers Louis XV.

Comme elle l’écrit à sa mère, elle ne souhaite qu’une chose : la réconciliation entre la famille royale et les princes du sang. Les Orléans sont ses cousins français les plus proches par sa grand-mère Charlotte d’Orléans, fille de Monsieur, frère de Louis XIV qui a épousé le duc de Lorraine.
Louis XVI ne supporte plus la situation. Ses Conseils se transforment en véritables règlements de compte et Maupeou exaspéré déclare aux présidents du Parlement insultés à chacune de leurs sorties : «Mettez un domino !»
Le 24 août 1774
Maupeou se résigne à écrire une lettre à Louis XVI :
« Il s’agit de votre honneur, de celui de votre ministère et de l’intérêt de l’Etat. L’opinion générale, dans laquelle votre indécision laisse flotter les esprits, avilit vos ministres actuels qui sont dans la boue et laisse les affaires en suspens. Ce n’est pas ainsi que vous pourrez remplir vos devoirs. Voilà un mois de perdu et le temps n’est pas une chose que vous puissiez perdre sans vous faire tort à vous et à vos sujets. Si vous voulez conserver vos ministres, publiez-le ; et ne les laissez pas regarder par toute la populace comme voisins de leur chute. Si vous ne voulez pas les garder, dites-le pareillement et nommez les successeurs.»
Poussé dans ses retranchements, Louis XVI renvoie l’abbé Terray qui sera remplacé par Turgot et demande les sceaux à Maupeou qui seront donnés à Hue de Mirosmenil. Son statut de chancelier étant un office de la Couronne et donc inamovible, il le restera jusqu’à sa mort en pleine Révolution.
C’est la Saint-Barthélémy des ministres… Mais le retour des anciens parlements n’est pas encore déterminé.
Début septembre 1774
Le parti dévot avec à sa tête Monsieur, comte de Provence, lance une campagne de libelles prenant défense du chancelier et des parlements qu’il a mis en place.
Maurepas contre-attaque avec l’aide du duc d’Orléans et du prince de Conti. Des pamphlétaires à leur solde osent remettre en cause le droit divin tandis que la duchesse de Gramont, soeur du duc de Choiseul déclare qu’il est temps que les Bourbons rendent aux grands ce qu’ils leur avaient volé !

Octobre 1774
Louis XVI semble ne pas avoir encore pris sa décision car il déclare aux parlementaires de Rennes en délégation à Fontainebleau, inquiets à juste titre, qu’il ne s’agit que de rumeurs.
Le 23 octobre 1774
Louis XVI a la même réaction cette fois-ci devant une délégation du Parlement de Paris :
«Je suis très surpris que la chambre des vacations de mon Parlement ait fait un arrêté sur des bruits publics, d’autant qu’il n’y a rien de nouveau.»
Or les dés en sont déjà jetés, puisque le surlendemain, 25 octobre 1774, Louis XVI convoque pour une réunion prochaine tous les magistrats exilés dans la chambre Saint-Louis au Palais, avec ordre de l’y attendre en silence.
Soit Louis XVI hésitait encore deux jours avant, soit il agit déjà en politique…
Le 12 novembre 1774, à sept heures
Vêtu de violet et coiffé d’un chapeau de plumes blanches, Louis XVI quitte le château de La Muette entouré de ses frères et des grands officiers de la Couronne (sans le chancelier, évidemment).
Il se rend au Palais, sous les acclamations de la foule. Il tient une première assemblée réunissant les princes du sang et pairs de France auxquels il annonce brièvement le rétablissement du Parlement dans ses anciennes formes. Puis, les présidents en robe rouge et hermine, mortier sur la tête, les conseillers en simarre noire sont invités à gagner leur place.

Louis XVI leur adresse ces mots :
« Messieurs, le Roi, mon très honoré seigneur et aïeul forcé par votre résistance à ses ordres réitérés, a fait ce que le maintien de son autorité et l’obligation de rendre la justice à ses sujets exigeaient de sa sagesse.
Je vous rappelle aujourd’hui à des fonctions que vous n’auriez jamais dû quitter. Sentez le prix de mes bontés et ne les oubliez jamais ! […] Je veux ensevelir dans l’oubli tout ce qui s’est passé, et je verrais avec le plus grand mécontentement des divisions intestines troubler le bon ordre et la tranquillité de mon Parlement. Ne vous occupez que du soin de remplir vos fonctions et de répondre à mes vues pour le bonheur de mes sujets qui sera toujours mon unique objet.»
Selon un témoin du temps, le ton en est presque menaçant.
Louis XVI a cédé sous la pression de ses conseillers et parce qu’il tient à sa popularité. Mais il sait que la décision de son grand-père était la meilleure.
Combien de temps durera la soumission des parlementaires ?

Dans tout le royaume, c’est la liesse et Louis XVI est acclamé comme le restaurateur des libertés publiques.

Le 16 novembre 1774
Lettre de Marie-Antoinette à sa mère :
«La grande affaire des parlements est enfin terminée. Tout le monde dit que le roi y était à merveille. Mercy y a assisté et vous en rendra compte. Quoique je n’aie pas voulu me mêler ni même questionner sur ces affaires, j’ai été sensible à la confiance du Roi. Ma chère Maman en jugera par le papier que je lui envoie. Il est de l’écriture du Roi, qui me l’a donné la veille du lit de justice. Tout s’est passé comme il le désirait, et les princes du sang nous sont venus voir dès le lendemain. J’ai bien de la joie de ce qu’il n’y a plus personne dans l’exil et le malheur. Lorsqu’on avait cassé les parlements, la moitié des princes et des pairs s’étaient opposée. Aujourd’hui, tout est réussi, et cependant il me paraît que si le Roi soutient son ouvrage, son autorité sera plus grande et plus solide que par le passé. J’aurais regretté ce chancelier comme défenseur des droits du Roi, mais outre qu’il était souvent de mauvaise foi, on prétend qu’il a brouillé toutes les affaires pour s’en emparer et les arranger à son goût et intérêt.»
Dans cette lettre, Marie-Antoinette ne montre rien de sa légendaire frivolité… Et Elle vient tout juste de fêter Ses dix-neuf ans !
Le 3 décembre 1774
Le Parlement se réunit afin de débattre sur la légalité du lit de justice et des limites que cette procédure leur impose.
Le 19 décembre 1774
Malgré ses réticences, le Parlement enregistre les lettres patentes du contrôleur des Finances Turgot, accordant la liberté du commerce aux grains.
Dans l’année, suite à un différend entre les membres de la Cour des Comptes et les chanoines afin de déterminer qui sera l’orateur et les invités pour le service funéraire du feu Roi, Louis XVI décide qu’il n’y aura plus de services funéraires à la Sainte-Chapelle.
Le 8 janvier 1775
Sous la houlette du prince de Conti (1717-1776), le Parlement remet au Roi ses prétentions sur la gestion du royaume, en tant qu’ancienne Curia Regis.

Le 4 mai 1775
Suite aux émeutes appelées «Guerre des Farines», le procureur général ordonne l’ouverture des procédures contre les coupables.
Mais les membres du Parlement font aussi sentir à Louis XVI qu’il est de son devoir de faire baisser le prix des grains et du pain. C’est donc donner raison à la révolte et une critique de la politique libérale du Roi et de son contrôleur.

Plus que tout, le Parlement n’admet pas que le Roi ait osé constituer une chambre spéciale, du ressort de la prévôté, la Tournelle, en charge de la révolte. Ce rôle, estime-t-il, lui revient de droit.
La nuit même
Louis XVI réagit avec vigueur : il confirme la commission de la Tournelle et fait briser chez l’imprimeur les planches de l’arrêt du Parlement. Cela faisait seulement six mois que le Parlement était revenu…
Le 5 mai 1775
Louis XVI tient un lit de justice à Versailles.
Nuit du 10 au 11 janvier 1776
Incendie au Palais qui détruit la galerie des Prisonniers, la galerie des Merciers, la Cour des Aides, le Grand Perron, l’ex-Logis du Roi, l’oratoire et la Grosse Tour. Le concierge buvetier, Jean-Louis Decaudin, aidé des pompiers, sauve ce qu’il peut des archives de la Cour des Aides. La galerie des Prisonniers s’écroulant sur la Conciergerie, une partie des prisonniers en profitent pour s’échapper.
Une vingtaine de victimes sont à déplorer.
La Sainte-Chapelle ne subit aucun dommage.

Le dimanche 14 janvier 1776
Le président de la Cour des Aides, Charles Paule de Barentin (1738-1819) se rend à Versailles rendre compte au Roi des pertes. Le plupart des registres de sa juridiction ont disparu, notamment les droits des maintenues, c’est-à-dire les preuves fiscales qui permettent aux nobles de ne pas payer d’impôts.
Le 22 janvier 1776
Toutes les chambres réunies entendent le premier président Étienne François d’Aligre (1727-1798) exposer les dégâts.

Une enquête est ordonnée et un inventaire précis de ce qu’il reste est mis en place.
Le 9 février 1776
Le Parlement refuse d’enregistrer les édits de Turgot visant à détruire le système des corporations et la corvée, remplacée par un impôt payé par tous les propriétaires, quelque soit son ordre.

Le prince de Conti, malgré sa maladie qui l’emportera quelques mois plus tard, mène la fronde car l’enclos du Temple où il réside est le seul endroit de Paris où les travailleurs bénéficient de la liberté du travail. Ce serait donc la fin d’un privilège qui rapporte énormément au prince !
L’Eglise, la noblesse et évidemment le Parlement refusent un impôt qui autoriserait l’égalité fiscale.
Le 7 mars 1776
Louis XVI tente de rassurer les privilégiés en signifiant que lui aussi paierait cette nouvelle taxe pour les domaines de la Couronne.
Le 8 mars 1776
Par de nouvelles remontrances, le Parlement défend la répartition de la société en trois ordres et la remettre en cause serait s’attaquer aux fondements de la société.
Louis XVI le prend très mal.

Le 11 mars 1776
Louis XVI par déclaration royale ordonne à toute sa noblesse d’envoyer ses preuves disparues dans l’incendie dans les six mois à venir à la Cour des Aides.
Sans quoi, les récalcitrants se verraient contraints à payer les impôts.
Le 12 mars 1776
Louis XVI impose les nouveaux édits par un lit de justice tenu dans la salle des gardes du château de Versailles.

Son ordonnancement est exactement le même qu’au Palais, sauf par la présence de six gardes de la manche figurés par les empreintes de pieds
Il y fait si chaud que les dames sont autorisées à enlever leur panier. L’avocat général Séguier rappelle au Roi que les corps intermédiaires sont indispensables à la monarchie. La salle voit avec surprise les frères du Roi, les comtes de Provence et d’Artois, se ranger du côté des opposants.


L’enregistrement fait, Louis XVI promet cependant de remédier aux édits selon ce que leur expérience apportera. La réforme ne tiendra guère et Turgot lui-même sera renvoyé deux mois plus tard…
Printemps 1777
Visite de l’Empereur Joseph II (1741-1790) auprès du couple royal.

L’Empereur profite de son séjour en France pour découvrir tous les hauts lieux de la capitale du royaume, dont le Palais de la Cité et son Parlement.
Le 9 février 1778
Projet pour établir des assemblées provinciales consultatives qui permettraient d’éviter de passer par les parlements pour tout ce qui touche à la fiscalité.
Louis XVI établit aussi le mont-de-piété.
Nouvelle levée de boucliers de la part des parlementaires.
Le 12 juillet 1778
Création par arrêt du Conseil de l’assemblée provinciale de Bourges.
Destinées à se généraliser dans tout le royaume, ces nouvelles assemblées sont très mal vues des parlements qui y voient un concurrent à ses prérogatives.
Le directeur général des finances Jacques Necker (1732-1804) rappelle dans son mémoire à destination du Roi que ces assemblées doivent réduire les prétentions des parlements à se croire les représentants du peuple.
La même année est décidée la destruction de la Grosse Tour, fragilisée suite à l’incendie de 1776.
Aquarelle de Decourcelles.
Un impôt payé par les Parisiens (exemptés de taille) est instauré afin de financer les travaux permettant de remettre à neuf le Palais qui a terriblement souffert.
Plusieurs architectes sont désignés afin de remettre le bâtiment en état.
- Pierre Desmaisons (1711-1795) est spécialisé pour l’architecture des prisons. Il sera en charge des extérieurs et des intérieurs nobles du Palais.
- Joseph-Abel Couture (1732-avant 1799), moins célèbre que son confrère, devra s’occuper des intérieurs moins prestigieux. C’est lui qui réaménagera la prison de la Conciergerie.
- Jacques-Denis Antoine (1733-1801) est choisi pour réaménager la cour de May.
- Pierre-Louis Moreau-Desproux (1727-1794) en tant que maître général des bâtiments de la Ville de Paris supervise l’ensemble.

Les architectes doivent se conformer au principe dit de convenance. C’est-à-dire que le visiteur en voyant le Palais en comprend tout de suite sa fonction et doit en être impressionné.
Louis XVI a la volonté de réaménager les prisons du royaume de manière plus hygiénique et humaniste. La Conciergerie doit en être le modèle de référence.
En 1779
L’oratoire du Roi, datant de Louis VII est refait, devenant la chapelle de la prison en cours de réaménagement.
Une fontaine est aménagée dans la cour des femmes.
Le rez-de-chaussée de la cour des hommes et son entresol est réservé aux pistoliers, la Salle des Gardes et la Rue de Paris aux pailleux.
Le couloir central est divisé en petites salles des gardes, infirmerie, salle de la toilette, chapelle.
Le 11 décembre 1779
Necker lance des grands emprunts afin de financer la guerre. Le Parlement qui n’a pas à les enregistrer rappelle des lois carolingiennes interdisant l’usure.

Le 13 février 1780
Afin de complaire aux cours souveraines, Necker annonce que désormais la taille (impôt principal) ne sera augmentée que par arrêt dûment enregistré au Parlement, et non plus au Conseil.
Le 24 août 1780
La question préparatoire est supprimée : les accusés subissaient la torture afin de donner leurs aveux.
En 1781
La chapelle Saint-Michel est détruite ainsi que les remparts orientaux.
Le 21 avril 1781
Suite à la publication du Compte rendu au Roi de Necker faisant étalage au public des dépenses de l’Etat et donc de la Cour, Monsieur fait publier un rapport secret sur les assemblées provinciales que le directeur général veut généraliser en France. C’est une véritable explosion au sein du Parlement.
En conséquence, le Parlement de Paris refuse la création de l’assemblée de la Marche, du Bourbonnais et du Nivernais. Le projet avait pourtant été mis en place depuis près de deux ans.
Necker se fait publiquement insulté par une Lettre d’un bon Français, brochure rédigée et publiée par le Parlement. Les parlementaires, dont le plus virulent le conseiller Jean-Jacques Duval d’Esprémesnil (1745-1794), s’estiment de bons patriotes en sauvegardant les anciennes coutumes de la France, que veut détruire un charlatan genevois.

Entre le 22 avril et le 20 mai 1781 (séjour à Marly)
Louis XVI convoque le premier président d’Aligre pour lui signifier son mécontentement :
« J’ai appris que l’on devait délibérer au Parlement sur le mémoire que M. Necker m’a présenté. Je voudrai qu’il n’en fût pas question et je vous exhorte à l’en empêcher (…). Je vous l’ordonne ; je ne veux pas que mon Parlement se mêle, en aucune manière, des affaires de l’administration; vous pouvez vous retirer.»
Louis XVI tient plus à rappeler au Parlement qui est le maître qu’à défendre un ministre qu’il n’apprécie guère et qui démissionnera le 20 mai 1781.
En 1782
Les projets de reconstruction du Palais se précisent. Plusieurs campagnes de travaux s’échelonneront.

En 1783
Le Trésor des Chartes, en ruines, est détruit.
On décide de refaire entièrement la façade principale de la cour de May ainsi que son Grand Perron dû à l’architecte Jacques-Denis Antoine.

L’architecte Desmaisons propose quatre colonnes doriques supportant un entablement à balustrade. Quatre statues allégoriques le surplombent :
- la Force et l’Abondance par le sculpteur Berruyer ;
- la Justice et la Prudence par le sculpteur Félix Lecomte (1737-1817).

Le fronton est l’oeuvre d’Augustin Pajou (1730-1809).

On y reconnaît les armes de France encadrées de deux anges.
La couronne surmontant l’ensemble a été refaite lors de la Restauration. L’originale, jetée à bas lors de la Révolution est aujourd’hui exposée dans une vitrine du Palais.
En 1785
Une galerie est décidée du côté sud-est, reliée à la façade principale de la cour de May. Désormais, la Sainte-Chapelle est en grande partie cachée.

En parallèle, l’ancienne galerie dite galerie Dauphine est remodelée afin de prolonger jusqu’au bout la Grande Salle et s’harmoniser avec les deux nouvelles façades de la cour.
Les travaux continuent à l’intérieur : les galeries des Merciers et des Prisonniers sont entièrement reconstruits.
Un escalier monumental intérieur mène de la Grande Salle à la sortie nord-est de la cour de May.
Le 22 août 1785
L’Affaire du Collier a éclaté une semaine auparavant.
Le cardinal Louis-René de Rohan (1734-1803) et Jeanne de La Motte-Valois (1756-1791) sont écroués à la Bastille.
Après avoir brièvement résumé l’affaire à son frère, Marie-Antoinette conclue :
«(…) dans tous les cas, je veux que cette horreur et tous ces détails soient bien éclaircis aux yeux de tout le monde.»
Le 25 août 1785
Louis XVI organise un Conseil où la Reine est exceptionnellement conviée. Bafouée par ce qu’elle a compris de la situation, elle réclame une réparation publique :
«Je suis inculpée ; je passe dans le public pour avoir reçu un collier et pour ne l’avoir pas payé ; je veux savoir la vérité d’un fait où l’on a osé employer mon nom. Les parents du cardinal désirent qu’il soit mis en justice réglée ; il paraît le souhaiter aussi ; je veux que l’affaire y soit portée.»

Louis XVI laisse le choix au cardinal de Rohan : être jugé par le Parlement (dite justice réglée) ou subir sa justice directe (dite justice retenue).
Avec le Parlement, le cardinal de Rohan risque le billot. Avec le Roi, la déchéance et l’exil.

Après consultation auprès de sa famille, le cardinal préfère s’expliquer au grand jour et choisit donc le Parlement.
Marie-Antoinette est confiante. Rien ne peut Lui être reproché, contrairement au cardinal qu’Elle déteste, le Grand Aumônier de France connu pour ses débauches.

Le 5 septembre 1785
Louis XVI confie l’affaire à son Parlement :
« Nous n’avons pas pu voir sans une juste indignation que l’on ait osé emprunté un nom auguste et qui nous est cher à tant de titres et violer avec une témérité aussi inouïe le respect dû à la majesté royale.»
Le premier président d’Aligre charge Maximilien Pierre Titon de Villotran et Jean Pierre Dupuy de Marcé, conseillers à la Grande Chambre, des interrogatoires, des confrontations et des aveux des témoins.
Le 19 septembre 1785
Marie-Antoinette se réjouit :
« Le Roi a eu la bonté de lui donner le choix d’être jugé au Parlement, ou de reconnaître le délit et de s’en remettre à sa clémence. Il a pris le premier parti. On dit qu’il s’en repent. Pour moi, je suis charmée que nous n’ayons plus à entendre parler de cette horreur, qui ne peut être jugée avant le mois de décembre.»
Marie-Antoinette à Joseph II.
Automne 1785-Hiver 1785-1786
Le Parlement, docile en apparence, propose d’envoyer une délégation à Versailles afin d’entendre la déposition de la Reine.
Louis XVI refuse, offusqué qu’on puisse considérer la Reine de France comme une justiciable normale.
Il y a longtemps que les parlementaires ont oublié que la justice n’émane que du Roi seul et qu’ils n’en sont que ses humbles représentants… Marie-Antoinette accepte néanmoins d’envoyer un mémoire pouvant éclairer les conseillers. Cette pièce a aujourd’hui disparu.
Après écoutes des deux prévenus, d’autres suspects et témoins sont arrêtés. En Suisse pour le faussaire et amant de la comtesse de La Motte, Louis Marc Antoine Rétaux de Villette et à Bruxelles le 20 octobre 1785 : Nicole Leguay, dit baronne d’Oliva, prostituée ayant joué le rôle de la Reine lors de la scène du bosquet, son amant et le mage et charlatan notoire, Cagliostro qui a promis monts et merveilles au cardinal.
Tout ce petit monde est écroué à la Bastille où les conseillers du Parlement se rendent pour les entendre. Les prisonniers ne sont pas tenus au secret et peuvent donc se retrouver régulièrement.
Seul le mari de la principale coupable, le soi-disant comte de La Motte a pu s’échapper à Londres, dépeçant et vendant sans problèmes les diamants du collier.

L’avocat Jean-Jacques Duval d’Eprémesnil, connu pour son opposition systématique au pouvoir royal, veut défendre son ami Cagliostro qu’il retrouve dans des loges ésotériques. Ses critiques de la Cour sont particulièrement virulentes.
Il est soutenu par un public friand du scandale, ravi de voir la Reine de France traînée dans la boue.
Le 23 décembre 1785
Le Parlement s’oppose aux emprunts exorbitants faits par le nouveau contrôleur général des Finances, Charles Alexandre de Calonne (1734-1802).

Louis XVI fait venir les membres du Parlement dans son Cabinet de Versailles pour les rappeler à l’ordre, et comble de l’humiliation, ne fait ouvrir qu’un seul battant de la porte.
Ce n’était peut-être pas le meilleur moment de se mettre le Parlement à dos…
Le 22 mai 1786
Le Parlement se réunit pour entendre la lecture des pièces de l’affaire.
La Grande Chambre et la Tournelle réunies sous l’égide de son premier président d’Aligre, rassemblent soixante-quatre juges, sans compter les conseillers honoraires et les maîtres des requêtes.
Les princes du sang et les pairs se sont récusés.
Maître Fremyn fait office de greffier.
Le 29 mai 1786
Fin de la lecture des pièces.
Nuit du 29 au 30 mai 1786
Les prisonniers de la Bastille sont enfin écroués à la Conciergerie.
Jeanne de La Motte, l’instigatrice de l’Affaire du Collier, qui avait toujours eu des velléités d’appartenir à la famille royale, est enfin invitée à loger au palais du Roi… Robert II le Pieux… pour y être jugée.
Le 30 mai 1786
L’avocat Joseph Omer Joly de Fleury (1715-1810) désigné comme procureur général donne son réquisitoire.

Il demande :
- que la pièce signée Marie-Antoinette de France soit déclarée frauduleuse ;
- que le comte de La Motte, par coutumace et Rétaux de Villette soient condamnés aux galères à perpetuité ;
- que la comtesse de La Motte soit fouettée, marquée du V de « voleuse » et enfermée à perpétuité dans la prison de La Salpêtrière ;
- que le cardinal, dans un délai de huit jours, admette publiquement son erreur de la scène du bosquet, sa tromperie envers les marchands et qu’il demande pardon au Roi et à la Reine.
- qu’il soit également démis de ses charges, à faire aumône aux pauvres, de s’éloigner des résidences royales et de rester en prison jusqu’à la déclaration de l’arrêt.
Il conclue que le cardinal est doublement coupable par sa haute naissance et par ses charges prestigieuses d’avoir osé croire en la scène du bosquet et de négocier l’achat d’un collier au nom de la Reine.
Son supérieur, l’avocat général Séguier se lève alors. La coutume voulait en effet que le réquisitoire lui soit soumis au préalable, ce que ne fit pas Fleury. Une joute verbale dont le Parlement et le public se délectent commence :
«Prêt à descendre au tombeau, vous voulez couvrir vos cendres d’ignominie et la faire partager aux magistrats !
_Votre colère, monsieur, ne me surprend point, répond le procureur général. Un homme voué au libertinage comme vous, devait nécessairement défendre la cause du cardinal.
_Je vois quelques fois des filles, réplique Séguier. Je laisse même mon carrosse à leurs portes. C’est affaire privée. Mais on ne m’a jamais vu vendre bassement mon opinion à la fortune.»
Séguier accuse ainsi Fleury de s’être vendu à la Cour. Les prévenus sont ensuite entendus.
Rétaux de Villette (1754-1797) écouté le premier, avoue avoir signé les lettres Marie-Antoinette de France mais ne croit pas avoir falsifié la signature de la Reine puisque justement elle ne signe pas Marie-Antoinette de France.

C’est ensuite le tour de Jeanne de La Motte.
L’un des assistants témoigne :
«La femme La Motte a paru avec un ton d’assurance et d’intrépidité, avec l’oeil et la contenance d’une méchante femme que rien n’étonne ; mais elle s’est fait écouter parce qu’elle parle sans l’air d’embarras. Elle s’attachait plus aux probabilités qu’aux faits et surtout à l’impossibilité qui est au procès de montrer des lettres, des écrits et toutes les preuves qu’on désirerait y voir. Je ne crois pas que cette femme, qui a de la tournure, des grâces et de l’élévation, ait pu intéresser personne, parce que son procès est trop clair.»
Jeanne n’hésite pas à déclarer que le cardinal lui avait montré plus de deux cent lettres écrites de la main de la Reine dont une qui commençait par «Je t’envoie...». Ainsi selon Jeanne de La Motte, Marie-Antoinette tutoie le cardinal mais aussi le rencontre clandestinement très régulièrement !
Les magistrats, même les plus critiques envers le pouvoir royal, s’indignent devant de tels mots, crient au scandale et s’offusquent encore plus quand Jeanne de La Motte sort avec de nombreuses révérences et au sourire provocateur.

En troisième comparaît le cardinal de Rohan dont l’état de souffrance, l’humilité touchent les magistrats qui l’entendent pendant plus de deux heures.
Puis est attendue Nicole Leguay, dite baronne d’Oliva. Un huissier excuse son absence car la prévenue donne le sein à son nouveau-né. Les procès-verbaux notent : «La loi se tut devant la nature.»
A sa comparution, les magistrats sont déjà tous gagnés par sa beauté et son innocence.
Cagliostro apparaît le dernier, fier et triomphant, racontant sa vie abracadabrantesque.

A six heures du soir les prisonniers retournent à la Bastille en voitures séparées. Le cardinal et Cagliostro sont acclamés par la foule.
Le 31 mai, cinq heures du matin
Toutes les salles du Palais, les rues alentours sont bondées de monde. Le guet, à pied ou à cheval circule du Pont-Neuf à la rue de la Barillerie. Les prisonniers sont déjà arrivés.
Dès cette heure matinale, dix-neuf Rohan, en deuil, sont à l’entrée de la Grand’ Chambre. Ils font leur révérence aux magistrats en silence. La comtesse de Brionne (1734-1815) vient de faire une scène au président d’Aligre, l’accusant d’être vendu à la Cour. Née Rohan et tante du cardinal, elle oublie que par son mariage elle est aussi une princesse lorraine et donc cousine de Marie-Antoinette.

Le 31 mai, six heures du matin
Ces messieurs du Parlement entrent dans la Grande Chambre. Comme le veut la tradition leurs conclusions sont installées sur le bureau. Mais avant de les ouvrir, le conseiller Robert de Saint-Vincent se lève pour protester énergiquement contre la garde militaire qui entoure continuellement le cardinal et empêche son avocat de l’approcher.
Le premier président rappelle qu’il y a des ordres. Mots qui provoquent aussitôt des murmures. Enfin l’avocat est autorisé à s’approcher de son client.
Le Parlement déclare les «approuvé» en bas du contrat de vente du collier et les «Marie-Antoinette de France» comme faussement attribués à la Reine.
Puis, à l’unanimité des soixante-quatre magistrats, la comtesse de La Motte est déclarée coupable. Deux magistrats, Saint-Vincent et Dyonis du Séjour, d’autres disent Delpech et Amelot, réclament contre elle la peine de mort. Il s’agit en réalité d’une manœuvre des amis du cardinal. En effet, quand la peine de mort est proposée, les conseillers appartenant au clergé ne peuvent plus siéger. Or sur les treize clercs, seuls deux sont favorables à Rohan.
Sa famille fera tout pour le libérer.
On préfère donc la peine la plus forte après la mort à l’unanimité : fouettée nue par le bourreau, marquée du V sur ses deux épaules, enfermée à vie à la Salpêtrière, tous ses biens confisqués.
Le comte de La Motte est condamné par coutumace aux galères, Rétaux de Villette banni, Nicole Leguay mise hors de cours, c’est-à-dire acquittement avec notion de blâme pour avoir osé se substituer à la Reine dans une scène d’escroquerie, Cagliostro déchargé de toute accusation.
Mais c’est au sujet du cardinal que les parlementaires s’opposent en deux camps.
Les rapporteurs de l’enquête Titon de Villotran et Dupuy de Marcé se rangent du côté du procureur Fleury. Boula de Montgodefroy, en tant que doyen de l’assemblée se prononce pour l’acquittement pur et simple. Il faut dire que son neveu, trésorier de la Grande Ecurie, travaille directement sous les ordres de la comtesse de Brionne… Le conseiller de Saint-Vincent s’oppose encore au réquisitoire du procureur, estimant que ses mots proviennent directement du ministère. Aucune peine ne peut être prononcée contre celui qui n’a été que la dupe d’une escroquerie. Aligre s’il se porte à l’avis du procureur, tient à faire sentir son mécontentement contre la Cour. Il atténue donc la peine réclamée.
Voilà son avis :
« Par le résumé de tout ce qui existe et est prouvé sur le faux et l’escroquerie, il est impossible de l’impliquer (le cardinal) comme complice et comme ayant eu connaissance que les choses auxquelles il s’est prêté mèneraient à cette infamie.
On ne peut rien faire valoir pour établir cette complicité et cette connaissance.
On serait réduit à convenir, dans la discussion et le débat du pour et du contre, qu’il ne peut être question, vis-à-vis de lui, de l’un ou de ces deux délits.
S’il y avait même des commencements de preuves, des juges ne pourraient se porter qu’à un plus amplement informé de six mois ou un an, à l’expiration duquel, ne survenant point de preuves, on déchargerait de l’accusation suivant les principes actuels.
Il est plus dans l’ordre raisonnable de se porter, dès à présent, à la décharge des accusations à cet égard, que de perpétuer, par une disposition indéfinie, un procès de cette nature.
Cette idée adoptée, il ne reste plus que l’offense.
La «déclaration» (pardon public du cardinal envers le Roi et la Reine) est la vraie réparation.
Ce que l’on proposerait d’y ajouter est très importante à peser parce qu’il faut :
1°Ne rien faire ajouter qui puisse faire rejeter la déclaration, soit abstention de la Cour, ou toute autre disposition équivalente ;
2°Ne pas ordonner sèchement une démission ;
3°Peut-être supprimer l’aumône.On irait plus sûrement au but de faire passer la « déclaration » si, après la disposition qui l’ordonnerait, on se contente d’ordonner qu’il serait tenu de s’abstenir des fonctions attachées à la place de grand aumônier, jusqu’à ce qu’il en eût par le Roi autrement ordonné.
Cette manière de prononcer cadre avec la «déclaration».Le Roi reste le maître, comme dans tous les cas possibles, de ne pas pardonner, ou d’apposer à son pardon de telles conditions qu’il plaît à Sa Majesté de les imposer.
On se persuade qu’on ne peut et qu’on ne pourra se refuser à cette déclaration.
Surtout si, en la proposant, on propose d’ajouter la disposition qui le déchargerait de toutes les autres accusations énoncées dans la plainte du procureur général du Roi.
Les abstentions que l’on ordonne de certains lieux ne sont d’usage qu’à l’égard de ceux qui seraient coupables du crime de lèse-majesté au 2ème chef, ou de cas d’offense de particulier à particulier.
De plus on observe :
1°qu’il ne faut rien dans l’arrêt qui suppose que l’accusé puisse se refuser à l’exécuter ;
2° que le refus d’exécuter serait un nouveau délit ;
3°on ne sort pas de la Bastille sans être exilé.»
Le 31 mai, dix heures du soir
Après plus de dix-sept heures de délibération, à vingt-six voix contre vingt-trois, le cardinal est mis hors de cours, blâmé seulement pour la scène du bosquet. Le verdict est acclamé par la foule. Les membres du Parlement sont couronnés de fleurs par les dames de la Halle dans la cour de May.
Cagliostro et le cardinal de Rohan retournent à la Bastille tels des héros. Ils en sortent le lendemain.
Pour Louis XVI et surtout Marie-Antoinette, ce verdict est une véritable humiliation. Si le cardinal est innocent, c’est donc la Reine la coupable.
L’opinion se déchaîne contre la souveraine.

Ce portrait est destiné à redorer l’image de la Reine suite à l’Affaire du Collier
Si mademoiselle d’Oliva, Cagliostro et le cardinal de Rohan sont rapidement libérés, Jeanne de La Motte et Rétaux de Villette restent à la Conciergerie, ignorant leur sort.
Les jours suivants
D’après Bachaumont, la prisonnière mange à la table du concierge Hubert, chez qui elle reste pendant la journée, passant par des alternatives d’espérance et de désespoir, tandis que son amant joue du violon pour les prisonniers.
Apprenant l’acquittement du cardinal de Rohan, Jeanne entre dans une fureur terrible : elle saisit son pot de chambre et se le brise sur la tête. Elle tremble de toutes parts et le sang coule sur son visage. Deux femmes doivent désormais coucher auprès d’elle.
Le 13 juin 1786
L’exécution prévue est ajournée. Certains disent que la comtesse de La Motte sera finalement grâciée par le Roi, que Marie-Antoinette l’a prise en pitié. Après le cardinal acclamé par l’opinion, c’est au tour de Jeanne de La Motte d’être considérée comme la victime innocente de la Reine.
Quoique fasse cette dernière, l’opinion la veut coupable.
Le 19 juin 1786
Le procureur annonce l’exécution pour ce jour. Les badauds se massent dans les cours du Palais et alentours, les fenêtres des maisons voisines se louent à prix d’or. Mais tout le monde est déçu, Jeanne de La Motte ne franchit pas les portes du Palais. Le lieutenant général de la Police Louis Thiroux de Crosne craint de ne plus pouvoir assurer la sécurité dans le quartier du Palais.
Le 21 juin 1786, à cinq heures du matin
Jeanne de La Motte est réveillée par le concierge. Elle pense devoir repasser devant ses juges. Elle refuse de se lever. Elle consent finalement à s’habiller.
Arrivée au seuil de la cour de May, en travaux, quatre bourreaux assistés de deux valets la saisissent, lui lient les mains et la portent jusqu’au pied du nouveau Grand Perron. Le greffier maître Breton, qui a remplacé maître Freymin lui ordonne de se mettre à genoux et d’entendre l’arrêt du Parlement.
Jeanne change de couleur et un flot d’injures coule de ses lèvres. Elle mord ceux qui l’approchent, déchire ses vêtements, s’arrache le cheveux.
Les bourreaux réussissent tant bien que mal à la maintenir agenouillée pendant la lecture du greffier.
A l’annonce du fouet et des V qui lui seront marqués au fer, Jeanne fulmine : «C’est le sang des Valois que vous traitez ainsi !»
Et s’adressant au public : «Souffrirez-vous que l’on traite ainsi le sang de vos Rois ? Arrachez-moi à mes bourreaux !»

Ses cris sont si terribles qu’on les entend dans tout le Palais. Elle insulte le Parlement, le cardinal et évidemment la Reine. Elle réclame d’avoir la tête tranchée. Elle tombe ensuite dans une sorte de prostration dont elle ne sort qu’à l’annonce de ses biens confisqués.
En temps normal, les exécutions se déroulent à midi. Cette heure matinale permet d’éviter la foule de curieux des derniers jours. Cela n’empêche pas deux cents à trois cents personnes attirées par les cris de venir voir ce qui se passe.
Le libraire Ruault témoigne :
« Elle se défendait comme un lion, des pieds, des mains, des dents, et de telle façon qu’ils ont été obligés de couper ses vêtements et jusqu’à sa chemise, ce qui a été de la plus grande indécence pour tous les spectateurs.»
Pour échapper au fouet du bourreau, elle se roule par terre.
« Le bourreau devait la suivre par terre en proportion de ce qu’elle roulait.»
Couchée sur la dalle, elle s’apprête à recevoir la marque de fer, à plat ventre, son jupon retroussé.
« Elle découvrait tout son corps qui était superbe et avait les plus belles formes.»
Après la première application du fer rouge, agitée de convulsion, le bourreau brûle le sein au lieu de l’épaule pour la seconde.
Elle réussit à mordre le bourreau et s’évanouit.
Une voiture l’emmène ensuite à la Salpêtrière, elle tente de s’évader en route. Elle s’évadera de sa prison le 5 juin 1787.
Le 21 juin 1786, dans la journée
Le frère de Marc Rétaux de Villette, magistrat à Bar-sur-Aube vient le chercher à la Conciergerie. Craignant les galères, ce dernier y échappe pour un simple exil en Italie.
Fin 1786
Calonne prépare de vastes réformes qu’on a appelé par la suite la Révolution royale. Outre un refonte totale de l’administration du royaume, un impôt permanent fondé sur les revenus fonciers est prévu, payé par tous, le Roi compris.Afin de s’attacher les élites à cette révolution, une assemblée des notables sera réunie, moyen intermédiaire plutôt que de convoquer les états-généraux, plus risqués politiquement.
Mais en tout état de cause, le Parlement doit enregistrer les ordonnances royales.
Le garde des sceaux, Hue de Miromesnil, porte-voix de ses collègues du Parlement au Conseil, assure le Roi et son ministre du ralliement des magistrats.
En 1787
Les travaux de la cour de May, commencés en 1781 sont terminés avec la mise en place de la grille d’entrée monumentale, oeuvre du serrurier Bigonnet.
Elle mesure quarante mètres de long, Trois grandes portes à double battant la percent.

Sa porte principale est très classique : deux pilastres soutiennent l’entablement, qui est surmonté du fronton rappelant encore les armes de France.
La cour de May est achevée.

L’entrée de la Conciergerie et son greffe, toujours dans l’angle nord-ouest, se fait par une arcade et huit marches qui descendent à une courette donnant sur deux fenêtres en contrebas.
Du 22 février au 25 mai 1787
Les premiers présidents de Paris et de province participent à l’assemblée des notables réunies à Versailles, accompagnés de nombreux autres magistrats.
Parmi les multiples coteries s’opposant à la réforme du Roi, celle de la noblesse de robe se réunit tous les soirs chez le garde des sceaux, Armand Thomas Hue, comte de Miromesnil (1723-1796).

Les dernières décisions de l’assemblée y sont discutées puis envoyées aux parlements locaux. Ainsi une opposition uniforme se met en place au sein du Parlement.
Les parlementaires n’oublient pas que Calonne a été un de ceux enclenchant l’affaire La Chalotais des années 1760, petit robin qui est monté par les intrigues de cour. Comment pourraient-ils accepter des assemblées locales consultatives, si ce n’est représentatives, eux qui s’auto-proclament représentants du peuple ?
Mais surtout, comme le haut-clergé et une grande partie de la noblesse, l’idée d’une égalité fiscale leur est insupportable. Pendant ce temps, le 11 mars 1787, le Conseil du Roi décide de fermer le service des chanoines de la Sainte-Chapelle, de mettre leurs biens sous séquestre. Il n’y a plus de service religieux.

Le 5 avril 1787
Calonne est renvoyé. Les parlementaires croient s’être débarrassés définitivement d’une réforme qui leur déplaît.
Le 13 avril 1787
Miromesnil dont l’opposition latente à Calonne est devenue évidente, est lui aussi renvoyé. Il est remplacé par Chrétien-François de Lamoignon de Bâville (1735-1789).
Le 1er mai 1787
L’archevêque de Toulouse, Etienne-Charles Loménie de Brienne (1727-1794), adversaire de Calonne durant l’assemblée des notables et protégé de la Reine, entre au Conseil.
Il est finalement bien obligé de reprendre grosso modo les réformes de son prédécesseur.
Le 17 juin 1787
Enregistrement de la libre circulation des grains. C’est retourner au projet de Turgot.
Le 26 juin 1787
Le Parlement enregistre la généralisation dans tout le royaume des assemblées provinciales qu’il a combattu du temps de Turgot puis de Necker.
Si Calonne souhaitait que le doyen en soit le président, issu de n’importe quel ordre, la noblesse obtient avec Loménie de Brienne la prééminence. Néanmoins, le tiers-état reste doublé dans chacune des assemblées afin de faire poids face au clergé et la noblesse. Le Parlement sourcille devant ces nouvelles institutions qui peu à peu devront lui enlever ses velléités représentatives.
Le 27 juin 1787
La corvée est remplacée par un impôt en espèces.
Les privilégiés en sont exemptés.
Le 2 juillet 1787
Le Parlement rejette le timbre fiscal qui frappe les transactions entre sujets, les livres de commerce, affiches, annonces, almanachs, journaux, mémoires judiciaires, faire-part de mariage ou de décès.
Les magistrats sont directement lésés par ce nouvel impôt, ainsi que les imprimeurs, libraires, marchands…
Entre la noblesse de robe et les grands corps de marchands de la capitale, les liens sont importants.
Le conseiller Le Coigneux de Bélâbre exige qu’avant l’enregistrement leur soit communiqué l’état des finances établi par l’assemblée des notables et les mesures d’économie prises pour les dépenses de la Cour.
Louis XVI fait répondre que cette requête outrepasse les droits de ses conseillers.
Le comte d’Artois, présent à la séance se fait répondre par le conseiller Robert de Saint-Vincent : «Rappelez-vous que les Anglais ont détrôné sept rois et coupé le cou au huitième...»
Le comte d’Artois menace d’envoyer «faire f… les magistrats.»
Le même conseiller réplique : «Si Monsieur n’était pas frère du Roi, la Cour (celle du Parlement) devrait décréter sur-le-champ et le faire descendre à la Conciergerie, pour avoir manqué de respect à cette assemblée.»
C’est une nouvelle Fronde !!!

Le 15 juillet 1787
Louis XVI oppose aux réclamations des parlementaires une fin de non-recevoir.
Le 16 juillet 1787
Le conseiller-clerc Sabatier de Cabre déclare que seuls les états-généraux sont en droit d’accorder de nouveaux impôts perpétuels.
Le 26 juillet 1787
Ces dernières remontrances sont présentées au Roi et diffusées dans le public.
Il s’agit d’un coup de bluff de la part des parlementaires : en effet cette convocation serait pour le Parlement un véritable suicide politique puisque les magistrats perdraient du coup leurs prétentions à se vouloir les représentants du peuple. Mais en menacer le Roi est leur dernière chance pour que celui-ci cède à leurs revendications.
Ils pensent que le Roi préfère encore négocier avec le Parlement, plutôt que de convoquer une nouvelle assemblée aux risques politiques inconnus.
Mais Louis XVI ne se laisse pas faire…
Le 30 juillet 1787
C’est au tour de la subvention territoriale d’être présentée au Parlement.
Loménie de Brienne a transformé le projet initial de Calonne en impôt provisoire, plus facile à faire passer.
Le ministre pense pouvoir compter sur un petit groupe de partisans au sein du Parlement, notamment le conseiller Lefèvre d’Amécourt.
Mais ce n’est pas suffisant. A 72 voix contre 48, une motion est votée, rappelant une fois de plus que seuls les états-généraux sont habilités pour une telle réforme fiscale.
Parmi les meneurs de la fronde, on retrouve, sans surprise, Jean-Jacques Duval d’Eprémesnil, ovationné par le foule.
Tout juste anobli, comment accepter de perdre un privilège auquel il a accédé tout récemment ?
Le 2 août 1787
Louis XVI convoque à Versailles le premier président d’Aligre. Debout devant une cheminée, il lui dit, en lui tournant le dos et en lui claquant la porte au nez : «Je vous ferai savoir mes volontés.»

Dans les jours suivants
Malesherbes, de nouveau ministre, envoie au Roi un mémoire lui conseillant de ménager les magistrats :
«C’est le Parlement de Paris qui parle, parce que c’est le seul corps qui ait le droit de parler (…). C’est donc à la Nation entière que l’on a affaire ; c’est à la Nation que le Roi répond quand il répondra au Parlement.»
Malesherbes, issu des cours souveraines, reprend les arguments du Parlement qui se veut, depuis au moins la minorité de Louis XIV, le seul organe représentatif du peuple.
Seulement, c’est juridiquement faux. Le Roi fait corps avec ses sujets et il en est l’unique représentant.
Et comment croire que le peuple dans son ensemble puisse souhaiter le maintien de l’inégalité fiscale ?
Le 6 août 1787
Lit de justice à Versailles.

La porte au fond donne sur la salle des gardes de la Reine par laquelle peuvent entrer et sortir les dames installées dans la tribune à gauche.
En préambule de la séance, Louis XVI déclare :
«C’est toujours avec peine que je me décide à faire usage de la plénitude de mon autorité et à m’écarter des formes ordinaires ; mais mon Parlement m’y contraint aujourd’hui et le salut de l’Etat m’en fait un devoir.»
Suit le discours du nouveau garde des sceaux, Lamoignon.
Des témoins racontent avoir vu le Roi s’endormir. Diffamation de la part de ses opposants ? Repas trop arrosé ? Trop de parties de chasse ? Ou calcul politique signifiant lui aussi à ses parlementaires d’aller «se faire f… »?

Aligre rappelle que les impôts n’ont cessé d’augmenter ces dernières années. Il réitère le refus de son corps d’enregistrer le timbre et la subvention territoriale et réclame à son tour la convocation des états-généraux. L’assemblée semble perdre de vue que toute loi est enregistrée automatiquement lors d’un lit de justice et que les opinions des uns et des autres n’ont plus lieu d’être en présence du Roi.
Ce qui n’empêche pas la foule d’applaudir les magistrats lorsqu’ils remontent en voiture.
Le 7 août 1787
Au matin, les ducs et pairs rejoignent le Parlement au Palais, mais sans les princes du sang.
Après huit heures de délibération, ils rendent un arrêt à la majorité des voix rendant «nul et illégal» le lit de justice de la veille. C’est un véritable coup d’état !
La foule nombreuse répandue dans le Palais applaudit les «pères du peuple».
Le 8 août 1787
Le parlement de Bordeaux refuse d’enregistrer la création des assemblées provinciales. C’est en effet les parlements de province qui en pâtiront les premiers.
Le 10 août 1787
Le jeune conseiller de la troisième chambre des enquêtes, Adrien Jean François du Port (1759-1798) prononce un discours contre l’arbitraire, le ministère, les lettres de cachet et surtout contre Calonne. Le Parlement convoque l’accusé à la barre.

Evidemment Louis XVI refuse une telle humiliation faite à son ancien ministre exilé dans ses terres. Par mesure de sécurité, l’ancien contrôleur des finances émigre rapidement en Angleterre.
C’est le premier d’une longue liste…
Du Port fonde peu de temps après le parti des nationaux, bientôt appelé le parti des patriotes où le rejoignent de nombreuses personnalités hors Parlement tel La Fayette, Condorcet, Sieyès, Hérault de Séchelles…
Le 13 août 1787
Duval d’Esprémesnil fait voter à une large majorité les édits imposés le 6 août «contraires à tous les principes, maximes et usages du royaume».
Il appelle à une grève des impôts ! La foule l’acclame et le porte en triomphe.
Nuit du 14 au 15 août 1787
Les gardes françaises se rendent chez les magistrats et leur donnent un ordre d’exil pour Troyes. Cent soixante-dix lettres de cachet sont signées par le garde des sceaux. Ils ont quatre jours pour exécuter les ordres.
Le 17 août 1787
Les comtes de Provence et d’Artois se rendent, le premier à la chambre des Comptes, le second à la cour des Aides, afin d’enregistrer les édits. Monsieur s’en sort très bien, acclamé comme l’espoir de la Nation.

Le comte d’Artois se voit pour sa part insulté, au point que ses gardes doivent le protéger et menacer la foule qui s’enfuit en panique dans les escaliers. Des morts et des blessés sont à regretter.
Le prince rentre à Versailles, malade.
Le 18 août 1787
Le parlement de Bordeaux est exilé à Libourne.
Les parlements du Dauphiné et de Bretagne se révoltent à leur tour.
Le 19 août 1787
Le baron de Breteuil, ministre de la Maison du Roi et garant de la sécurité de la généralité de Paris, fait fermer tous les clubs de la capitale.
Le 22 août 1787
Deux cent trente-cinq membres du Parlement se réunissent dans le palais des comtes de Champagne à Troyes, accueillis dans la ville comme des héros.
Pendant ce temps à Paris, une foule incontrôlable réclame ses magistrats.
Des milliers de personnes dépendent du Parlement : avocats, procureurs, huissiers, clercs, commis, écrivains publics, étudiants, formant une basoche qui a toujours été particulièrement indisciplinée.
C’est l’émeute dans la capitale.
Le lieutenant de police est obligé de prendre des mesures drastiques pour le retour au calme. Le guet patrouille jour et nuit aux alentours du Palais, aidé des gardes françaises, des suisses, des dragons et des carabiniers.
Le 21 septembre 1787
Louis XVI lève son ordre d’exil contre les parlementaires.
Comme tous les ans, les parlementaires sont en vacances de la fête de la naissance de la Vierge (8 septembre) jusqu’à la saint Martin (11 novembre ).
Le 26 septembre 1787 et jours suivants
Loménie de Brienne est nommé principal ministre.

Il s’agit du seul moyen pour que les autres ministres et secrétaire d’état lui soient subordonnés et donc donner une action cohérente au gouvernement.
Il devient de fait premier ministre mais ce titre devant être dûment enregistré au Parlement, on préfère l’éviter. Des ministres préfèrent démissionner. Louis XVI cède sur le timbre et la subvention territoriale et accepte la tenue d’états-généraux pour l’année 1792.
Pendant ce temps, les Parisiens accueillent les exilés de retour avec des feux d’artifice et des feux de joie.
Des mannequins représentant Calonne, Breteuil et la duchesse de Polignac sont brûlés place Dauphine.
Il s’en faut de peu que ce soit aussi le cas pour Marie-Antoinette, des gardes arrivant à temps.

Pour l’opinion publique, Marie-Antoinette n’est plus désormais que Madame Déficit et cause de tous les maux de la France…
Octobre 1787
Mise en place du second vingtième. Les exemptions doivent être rares afin de récupérer au plus vite de l’argent.
Le 11 novembre 1787
Fin des vacances du Parlement. Les magistrats peuvent de nouveau se réunir au Palais.
Le 19 novembre 1787, huit heures du matin
Séance royale de Louis XVI au Palais.

Ce n’est pas à proprement parlé un lit de justice, afin d’éviter de froisser à nouveau les susceptibilités des messieurs du Parlement. Ils auront le droit, en présence du souverain, de donner leur avis.
L’urgence est de trouver de l’argent et donc à défaut d’impôts, d’effectuer un nouvel emprunt, 430 millions levés en cinq ans, et d’appliquer de nouvelles taxes aux douanes.
Mais le Roi tient tout de même à rappeler les principes essentiels de la monarchie :
« Je veux tenir cette séance pour rappeler à mon Parlement des principes dont il ne doit point s’écarter. Ils tiennent à l’essence de la monarchie et je ne permettrai pas qu’ils soient menacés ou altérés. Je ne souffrirai jamais qu’on me demande avec indiscrétion ce qu’on doit attendre de ma sagesse et de mon amour pour mes peuples (…). Mes parlements doivent compter sur ma confiance et mon affection, mais ils doivent les mériter en se renfermant dans les fonctions qui leur ont été confiées par les Rois, mes prédécesseurs, en ayant attention à ne pas s’en écarter, de ne s’y refuser jamais, et surtout en donnant à mes sujets l’exemple de la fidélité et de la soumission.»
Lamoignon prend ensuite la parole et son discours rappelle dans ses grandes lignes celui de la Flagellation de 1766. Il conclue en disant que la convocation des états-généraux sera faite seulement si les édits sont enregistrés. On écoute ensuite les opinions, durant plus de sept heures !

La grande majorité des magistrats acceptent les nouveaux édits. De part et d’autre, chacun accepte des compromis. Trois d’entre eux s’y opposent : l’abbé Sabatier de Cabre, Fréteau de Saint-Just et Robert de Saint-Vincent.
Contre toute attente Duval d’Esprémesnil n’est pas dans l’opposition. Loménie de Brienne a jugé bon de l’inclure lors des négociations préalables. Ce n’est malheureusement pas suffisant pour le circonvenir.
Il se trouve d’ailleurs de mauvaise humeur car il a dû céder la place de sa voiture pour celle du comte d’Artois. Il accepte donc l’enregistrement des deux édits permettant de nouveaux emprunts à la condition de réunir les états-généraux non plus en 1792 mais en 1789 !
« Sire…, d’un mot vous allez combler tous les vœux. Un enthousiasme universel va passer, en un clin d’œil, de cette enceinte dans la capitale, de la capitale dans tout le royaume. Un pressentiment qui ne me trompera pas m’en donne déjà l’assurance ; je le lis dans le regard de Votre Majesté ; cette intention est dans son cœur, cette parole est sur ses lèvre, prononcez-la. Sire, accordez-la à l’amour de tous les Français.»
Un pressentiment qui se révèlera lourd de conséquences !
Louis XVI n’apprécie pas qu’on lui force la main.
Il clôture la séance par ces mots :
« Après avoir entendu vos avis, je trouve qu’il est nécessaire d’établir les emprunts portés dans mon édit. J’ai promis les états-généraux avant 1792 : ma parole doit vous suffire. J’ordonne que mon édit soit enregistré.»
Comme le Roi s’apprête à quitter la salle, le duc d’Orléans (1747-1793), premier prince du sang, réagit. Il lui demande s’il s’agit d’un lit de justice (auquel cas l’enregistrement se fait d’office) ou d’une séance royale qui doit prendre en compte les avis. Louis XVI répond qu’il s’agit bien en effet d’une séance royale.
Alors le duc d’Orléans rétorque : «Elle est illégale. Je demande qu’il soit mentionné que l’enregistrement est fait du très exprès commandement de Sa Majesté. »
Louis XVI a cette phrase restée fameuse : «C’est légal parce que je le veux !»

Louis XVI repart furieux, en laissant en consultation un troisième édit, l’édit de tolérance, tout aussi brûlant. Une fois le Roi parti, les conseillers estiment la séance et l’enregistrement illégaux. Le duc d’Orléans est porté en triomphe jusqu’à sa voiture.
Au matin, tout le monde souhaitait apaiser la situation extrêmement tendue depuis des mois. En fin de journée, la situation a dégénéré.
Le 20 novembre 1787, au soir
Le baron de Breteuil remet une lettre de cachet au duc d’Orléans, le sommant de se rendre à son château de Villers-Cotterêts. Le premier prince du sang, et accessoirement l’homme le plus riche de France, est devenu le chef de l’opposition.
Dans la nuit, les conseillers Sabatier de Cabre et Fréteau de Saint-Just sont arrêtés et envoyés l’un à la prison du Mont-Saint-Michel, l’autre à la citadelle de Doullens.


Le 21 novembre 1787
Une députation du Parlement vient rendre compte au Roi de sa décision de rendre nulle et illégale la séance royale et l’enregistrement des édits.
Louis XVI raye rageur le registre officiel.
Fin de l’année 1787
La révolte du Parlement de Paris fait tache d’huile en province. Des députations viennent de tous les parlements de province à Versailles, s’opposant aux assemblées provinciales et aux nouveaux édits.
Comme pour celui de Paris, le Roi biffe leurs arrêts. De retour en province, les parlementaires maintiennent leur fronde.
Le 4 janvier 1788
Le conseiller du Port réussit à rendre illégales les lettres de cachet, «contraires au droit public et au droit naturel».
Une fois de plus Louis XVI convoque les magistrats à Versailles, raye l’arrêt, les magistrats de retour au Palais cassent la décision royale et la rébellion continue de plus belle…

A cette date, que ce soit pour le gouvernement ou le Parlement, tous pensent revivre les années 1648-1652. Pour eux rien n’a changé, ce qui n’est pas le cas dans l’opinion publique.
Les parlementaires continuent à s’agenouiller devant le Roi et ne se relèvent que sur son autorisation. Ils continuent à respecter dans leurs formes l’ordre royal dont ils font corps.
Leurs attaques sont toujours intitulées Très Humbles et Très Respectueuses Remontrances que présentent au Roi, notre souverain seigneur et maître, les gens tenant sa cour de Parlement.
Ils ne conçoivent pas encore que leurs attaques réitérées détruisent la monarchie.
Le 29 janvier 1788
Lors de l’enregistrement de l’édit de tolérance accordant les droits civiques aux protestants et aux juifs, Duval d’Eprémesnil (encore lui !) s’exclame en montrant le Christ en croix sur le mur :
« Voulez-vous le crucifier une seconde fois ?»
Lui qui n’hésite pas à fréquenter les loges maçonniques, à être ami avec Cagliostro…
Le 1er mars 1788
Le parlement de Toulouse refuse d’enregistrer le nouveau vingtième.
Le 17 avril 1788
Louis XVI met en garde ses cours souveraines contre leurs prétentions représentatives :
« Si la pluralité de mes cours forçait ma volonté, la monarchie ne serait plus qu’une aristocratie de magistrats, aussi contraire aux droits et aux intérêts de la Nation qu’à ceux de la souveraineté.»
Louis XVI ne tient pas à en rester là et va tenter un coup de force contre son Parlement. Avec son garde des sceaux Lamoignon (1735-1789) et Loménie de Brienne (1727-1794), le Roi prépare une véritable refondation de la Justice et de l’administration de son royaume.
Quarante-sept tribunaux de grand bailliage géreraient la justice ordinaire. Les seigneuries verraient leurs fonctions réduites à la simple police locale. Des institutions antédiluviennes, comme celles de la Table de Marbre devront être supprimées.
Les parlements n’auraient plus en charge que les affaires civiles impliquant les nobles ou des litiges impliquant plus de 200 000 livres. Et surtout ils perdraient leur contrôle sur les lois du royaume qui désormais pourront être unifiées quelque soit la province.
Les deuxième et troisième chambre des enquêtes seront supprimées. Le nombre de conseillers à Paris réduit à soixante-sept. Pour l’enregistrement des lois et la conservation des actes royaux, édits et ordonnances, une cour plénière sera créée, dont les membres, issus de l’ancien Parlement, évêques, princes du sang, ducs et pairs compris seraient nommés par le Roi.
C’est revenir à l’ancienne Curia Regis.
Nombreux sont les détracteurs du pouvoir absolutiste qui rêvent de revenir à une monarchie où les deux premiers ordres étaient réellement aux commandes, les parlementaires les premiers. Mais ils ont oublié au passage qu’aux temps médiévaux, les conseillers du Roi étaient totalement et sans restriction ses représentants, choisis par lui et entièrement dépendants de sa personne. Pas un corps indépendant formant une opposition systématique.
Cette séparation nette du pouvoir judiciaire avec le législatif et la politique fiscale va donc beaucoup plus loin que la réforme Maupeou (1771) abandonnée au début du règne. Elle en diffère aussi car ne sont pas supprimés la vénalité des charges et le système des épices.

Le 19 avril 1788
Pendant ce temps, ignorant ce qui se trame à Versailles, un conseiller de la chambre des enquêtes, Anne de Goislard, comte de Montsabert (1760-1814) décrète que la perception du vingtième doit rester dans ses anciennes formes, sans prendre en compte les fluctuations de revenus.
Seuls les états-généraux seraient en droit d’y apporter une quelconque modification.
Le 24 avril 1788
Marie-Antoinette fait part à Son frère Joseph II des décisions de Son mari :
« Nous sommes au moment de faire de grands changements dans les parlements ; on pense à les borner aux fonctions de juges et à former une autre assemblée qui aura le droit d’enregistrer les impôts et les lois générales au royaume. Il me semble qu’on a pris toutes les mesures et précautions compatibles avec le plus grand secret qui était nécessaire, mais ce secret même entraîne incertitude sur les dispositions du grand nombre de gens qui peuvent nuire ou contribuer au succès. Il est très fâcheux d’être obligé à des changements de cette espèce, mais par l’état des affaires, il est clair que si on différait, on aurait moins de moyens pour conserver et maintenir l’autorité du Roi.»

Afin d’être certain du secret de l’opération, des sentinelles sont posées aux portes des imprimeries, les ouvriers devant rester manger et coucher dans les ateliers. Mais Duval d’Esprémesnil (1745-1794) arrive à se procurer le texte en séduisant la femme d’un typographe.
D’autres historiens pensent que le conseiller Charles-Louis Huguet de Sémonville (1759-1839), très opposé au pouvoir royal après son ouvrage rendu public durant l’été 1787 sur la nécessité de convoquer les états-généraux et contre le timbre, a su abuser de la confiance de Loménie de Brienne. Il compte aussi dans ses nombreuses relations le comte de Provence.

Le 1er mai 1788
La question préalable est abolie. Louis XVI n’oublie pas dans sa réforme d’établir une justice plus humaine.
Le 3 mai 1788
Duval d’Esprémesnil dénonce au Parlement le projet du gouvernement. Il pousse ses collègues à inscrire dans le marbre les lois fondamentales du royaume, seule constitution reconnue à cette date. Jusque-là non écrites, leur obscurité pouvait laisser libre cours à toutes les interprétations, sauf en matière de succession royale.
Tout en insistant d’en refuser la moindre modification, il y fait élargir les pouvoirs du Parlement, au détriment de ceux du Roi :
- inamovibilité des magistrats ;
- le caractère « sacré » des traités d’incorporation des différentes provinces au domaine royal ;
- l’obligation de consulter les états-généraux régulièrement pour la création de nouvelles taxes.
Le 5 mai 1788 au matin
Louis XVI donne l’ordre d’arrêter les deux agitateurs Duval d’Esprémesnil et le comte de Montsabert.
Prévenus d’avance (par qui ? on l’ignore encore), les deux magistrats quittent leur domicile et viennent se réfugier au Palais auprès de leurs collègues. On n’osera pas les frapper dans cette enceinte sacrée.
Dans l’après-midi
Le premier président Aligre (1727-1798) se rend à Versailles. Il doit faire antichambre, le Roi refusant de le recevoir sans avoir sollicité d’audience à l’avance dans les formes.
A onze du soir
Le Palais est investi par trois cents gardes françaises et suisses, armes en mains, accompagnés de sapeurs équipés de haches. Le capitaine des gardes françaises, le marquis d’Agoult (1753-1826) réclame les deux conseillers. L’assemblée proteste et conteste la forme : le texte de l’ordre royal n’est pas réglementaire, le capitaine des gardes françaises ne porte pas son hausse-col de service…

Puis les magistrats se mettent à crier :
« Nous sommes tous d’Esprémesnil et Goislard ! Si vous prétendez les enlever, enlevez-nous tous !»
Agoult se retire avec ses troupes. Il en réfère à son supérieur hiérarchique le vieux maréchal de Biron (1701-1788) qui préfère directement prendre les ordres du Roi plutôt que de passer par ses ministres. Il faut tout faire pour éviter un drame : les opposants au pouvoir royal n’attendent que d’avoir des martyrs dans leurs rangs.
Le Parlement sait qu’Agoult ne va pas en rester là et préfère siéger toute la nuit.
Le même jour
Le clergé se réunit pour son assemblée générale. Il soutient le Parlement dans son refus des nouveaux impôts, de la grande réforme judiciaire et évidemment refuse d’entériner l’édit de tolérance. Louis XVI doit cependant ménager son clergé s’il veut obtenir de sa part un don gratuit permettant d’échapper à la banqueroute.
Le 6 mai 1788
Agoult et ses troupes reviennent accompagner de l’exempt de robe courte, c’est-à-dire le lieutenant criminel du Châtelet chargé de prêter main forte au Parlement lors des questions criminelles. C’est donc leur propre collègue qui vient les arrêter. De guerre lasse, les deux magistrats se livrent aux autorités, déclarant préférer cela plutôt que d’exposer plus longuement la cour à la violence.

Duval d’Esprémesnil est envoyé sur l’île Sainte-Marguerite en Méditerranée.

Anne de Goislard de Montsabert est enfermé à la forteresse de Pierre-Encise.

Le jeudi 8 mai 1788
Louis XVI convoque les magistrats à Versailles pour un nouveau lit de justice enregistrant la réforme Lamoignon.
Le Roi rappelle qu’il n’innove pas mais au contraire restaure les formes anciennes :
« L’ordre que je veux établir n’est pas nouveau : le Parlement était unique quand Philippe le Bel le rendit sédentaire à Paris. Il faut à un grand Etat un seul Roi, une seule loi, un seul enregistrement.«
Lamoignon rajoute :
« Pour simplifier l’administration de la justice dans son royaume, le Roi veut, Messieurs, que l’unité des tribunaux répondent désormais à l’unité des lois.»
Au lieu de rejoindre Paris une fois la séance terminée, les magistrats se réunissent à l’auberge versaillaise La Bonne Auberge où ils rédigent et signent une protestation contre cette attaque à l’esprit décentralisé de la monarchie qu’ils envoient à tous leurs collègues de province.
Le vendredi 9 mai 1788
Louis XVI veut réunir dans l’instant la première séance de la nouvelle cour plénière à Versailles. Six ducs et pairs refusent d’y siéger (les ducs de Fitz-James, Uzès, Montmorency-Luxembourg, Aumont, Praslin et La Rochefoucauld) tandis que les magistrats volontaires errent comme des âmes en peine dans le château tant la situation est instable.
La cour plénière est morte avant d’avoir existé…
Les gouverneurs de province ont ordre d’enregistrer la réforme dans les parlements locaux et de les mettre en vacances. Ils viennent accompagnés d’une grande force militaire. C’est une protestation générale.
Le 30 mai 1788
Par ordre du Conseil du Roi, les récalcitrants de la capitale ou des provinces sont envoyés en exil dans leurs terres. Le parlement du Dauphiné est le plus remonté, mené par un jeune avocat, Antoine Barnave (1761-1793).

Le samedi 7 juin 1788
Journée des Tuiles à Grenoble. Trois morts et une vingtaine de blessés sont à déplorer.
Le 15 juin 1788
Le clergé apporte au Roi ses remontrances, guère différentes de celles du Parlement. Et au lieu des huit millions escomptés, il ne lui sera versé que 1 800 000 livres en deux ans.
C’est un véritable camouflet pour le Roi qui pensait pouvoir compter sur son clergé dans ce contexte particulièrement difficile. C’est aussi un camouflet pour Loménie de Brienne qui avait cru que son statut d’archevêque solidariserait le clergé autour de sa personne.
C’est surtout l’union entre les privilégiés, haut-clergé et Parlement.
Le 19 juin 1788
A Paris, des émeutes éclatent aussi en soutien au Parlement en vacances, réprimées par les gardes françaises qui ont ordre de ne pas tirer.
En province, la répression est plus difficile, à Rennes comme à Toulouse. Les populations soutiennent leurs parlements locaux qui ressortent des archives leurs privilèges féodaux lors des annexions respectives au royaume. Les intendants et gouverneurs, représentants du pouvoir centralisateur, sont molestés.
Le Parlement de Pau rappelle son appartenance à un royaume indépendant (la Navarre) qui a le même Roi que la France mais qui n’y est pas rattaché.
Il faut à tout prix éviter les débordements du Dauphiné.
Le 1er juillet 1788
Marie-Antoinette découvre dans sa loge du Théâtre des Italiens un placard :
« Tremblez, tyrans, votre règne va finir !»
Le 5 juillet 1788
Loménie de Brienne rappelle la promesse du Roi décidé à convoquer les états-généraux rapidement.
Le Conseil du Roi lève la censure et autorise la liberté d’expression.
Le Conseil pense ainsi donner la parole à ceux qui ne l’ont jamais eue jusque-là, de façon à amoindrir la voix des privilégiés révoltés contre le Roi.
Le 21 juillet 1788
Le Parlement du Dauphiné réclame des états-généraux pour 1789. Il demande aussi un vote par tête et non par ordre.
Le 8 août 1788
Louis XVI accepte de convoquer les états-généraux le 1er mai 1789.
Si les privilégiés réclament les états-généraux avec autant d’ardeur, c’est qu’ils sont persuadés que leurs privilèges y seront confirmés. Louis XVI s’y résout mais dans un tout autre état d’esprit.
Il sait que pour contrecarrer les privilégies, il doit doubler les représentants du tiers-état et donc accepter le vote par tête.
Le 25 août 1788
Pour rassurer les milieux financiers suite à la banqueroute, Jacques Necker est rappelé au Conseil. Il accepte la demande du couple royal mais à la condition de ne pas se retrouver sous les ordres de Loménie de Brienne. Louis XVI et Marie-Antoinette doivent se résigner à la démission de l’archevêque.
La basoche ne cache pas sa joie. Comme pour le départ de Calonne, le quartier du Palais, Pont-Neuf et place Dauphine compris, est la proie de débordements, le mannequin de l’archevêque de Sens brûlé en effigie, des feux de joie partout, des pétards…
Le 28 août 1788
Le lieutenant de police Louis Thiroux de Crosne (1736-1794) est obligé de réagir face à la populace autour du Palais qui ne cesse ses démonstrations de joie débordantes.

Le guet fait quelques blessés.
Le 29 août 1788
La pression monte. On met le feu aux guérites des sentinelles du Pont-Neuf, c’est au tour du garde des sceaux Lamoignon d’être brûlé en effigie. Les plus excités s’en prennent aux gardes, leur jettent des pierres et les déshabillent.

Le samedi 30 août 1788
Le vieux maréchal de Biron commandant les gardes françaises doit ramener le calme dans la capitale.
Début septembre 1788
Necker souhaite rappeler les parlements et abandonner le projet de cour plénière. Reste à savoir si toute la réforme judiciaire doit être aussi rejetée, notamment les mesures humanitaires comme l’abolition de la question préalable ou l’édit de tolérance.
Le conseiller d’état Joseph Foulon (1715-1789) accepte d’être l’intermédiaire du Parlement pour négocier avec Lamoignon.

Le 14 septembre 1788
Le garde des sceaux Lamoignon, honni de tous, donne sa démission. Louis XVI le remplace par un protégé de Miromesnil, Charles de Paule de Barentin (1738-1819), opposé à la réforme de Lamoignon.
Une fois de plus, ce départ ministériel provoque la folie dans la capitale, avec mannequin brûlé, pétards, feux de joie mais aussi jeune fille violée place Dauphine, les passants du Pont-Neuf rançonnés… La répression militaire est elle aussi violente, avec plusieurs morts.
Le 15 septembre 1788
Un lit de justice est prévu afin de sortir de la crise et revenir aux parlements sous leur ancienne forme.
Mais finalement, Louis XVI y renonce. Les magistrats ont prévu de lire durant la séance un réquisitoire contre Lamoignon et sa réforme. La moindre étincelle pourrait embraser le pays.
Le 16 septembre 1788
La foule en émeute se lance contre les hôtels particuliers des ministres renvoyés. Les gardes françaises rétablissent l’ordre à l’arme blanche.


Le 23 septembre 1788
Déclaration royale rappelant les parlements, ajournement de la réforme judiciaire à l’exception de l’abolition de la question préalable et convocation des états-généraux pour le courant de janvier 1789.
Les assemblées provinciales ne sont plus évoquées.
Le 24 septembre 1788
Rentrée du Parlement au milieu de la foule en liesse, mais aussi en colère contre le pouvoir jugé répressif.
La première séance a pour objet de mener une enquête contre les excès des forces de l’ordre.
Le 25 septembre 1788
Enregistrement de la déclaration royale du 23 septembre.
Duval d’Esprémesnil de retour de sa forteresse de Sainte-Marguerite, Huguet de Sémonville, Robert de Saint-Vincent, l’abbé Le Coigneux, considérés comme « les pères du peuple » de par leur opposition systématique, demandent que les états-généraux soient convoqués selon sa forme de 1614.
Pire que tout, ils exigent aussi que le tiers-état ne soit représenté que par des gens de robe !

Avec cette réclamation, le Parlement se perd définitivement aux yeux de l’opinion publique. Celle-ci souhaite une véritable régénération de l’Etat quand le Parlement, la noblesse et le clergé veulent un retour en grande partie fictif de partage du pouvoir avec le Roi.
La fracture au sein de l’opposition qui faisait bloc depuis l’assemblée des notables est consommée.
Duval d’Esprémesnil est désormais hué par la foule. Le jeune avocat d’Arras Maximilien de Robespierre (1758-1794) qui l’acclamait il y a peu encore change entièrement d’avis sur sa personne.
Se montrant ainsi sous son vrai jour de force réactionnaire, Louis XVI pourrait profiter de cette situation pour réduire enfin à néant le Parlement qui l’aura tant attaqué ces dernières années. Mais Necker préfère jouer les négociateurs et apaiser les relations entre les deux parties.
Le 27 septembre 1788
Le Parlement fait brûler en place publique le numéro 116 des Annales politiques, civiles et littéraires de Simon de Linguet qui tournent en ridicule la politique financière du gouvernement. Un bon moyen de se mettre bien avec le directeur des finances…
Le 5 octobre 1788
Si Necker accepte les vues du Parlement sur la forme à donner aux états-généraux, le royaume a bien changé depuis 1614. En effet, les députés précédents ayant été élus par bailliages, comment faire pour 1789 puisque ces unités administratives ont disparu depuis ?
Pour régler la tenue des élections, une nouvelle assemblée des notables est réunie à Versailles.
Le 28 novembre 1788
Sur les six bureaux de l’assemblée des notables, seul celui dirigé par Monsieur opte pour le doublement du tiers-état.
Le 5 décembre 1788
Le Parlement, toujours mené par Duval d’Esprémesnil dont l’impopularité est désormais aussi vive que le fut précédemment son immense popularité, voyant le vent tourné accepte de donner une interprétation plus souple de son arrêt du 25 septembre.
D’accord pour un doublement du tiers-état, à la condition que les trois ordres délibèrent séparément, sans vote par tête.
Quelques jours plus tard
Introduite par Necker auprès de Louis XVI, une délégation du Parlement reçoit ces mots du Roi :
« Je n’ai rien à répondre à mon Parlement sur ses supplications. C’est avec l’assemblée de la Nation que je concerterai les dispositions propres à consolider, pour toujours, l’ordre public et la prospérité de l’Etat.»
Le Parlement peut dire adieu à ses prétentions politiques.
Autant dire que le Parlement va rapidement tomber dans les oubliettes de l’Histoire…
Le 19 décembre 1788
Le Parlement fait interdire la pétition du docteur Guillotin réclamant le doublement du tiers-état.
Le 27 décembre 1788
Le Conseil du Roi accepte le doublement du tiers-état.

Louis XVI est conscient du risque politique. Mais il a eu trop à subir depuis le mois de mai pour ne pas désirer damer le pion aux parlementaires.
Solidaire de son mari, Marie-Antoinette confie à son secrétaire des commandements Augeard :
« La noblesse et le clergé ont bien des torts vis-à-vis de nous ; ils nous ont abandonnés ainsi que les parlements.»
Et de s’exclamer : «Je suis la reine du tiers, moi !»

C’est le premier conseil auquel la Reine assiste officiellement.
Le garde des sceaux dit de Marie-Antoinette qu’elle garde «le plus profond silence ; il était cependant aisé de démêler qu’elle ne désapprouvait pas le doublement du tiers.»
Le 14 janvier 1789
Le Parlement interdit les jeux d’argent (le biribi et le trente et quarante) pratiqués au Palais-Royal.
Le 10 février 1789
Le Parlement condamne L’Histoire secrète de la cour de Berlin ou Correspondance d’un voyageur français du comte de Mirabeau à être lacéré et brûlé.

Le 7 février 1789
Le Parlement entend les frères Leleu, minotiers à Corbeil, accusés par les syndics des maîtres boulangers de la capitale de favoriser la hausse des prix du pain par leurs exigences financières.
Le 21 février 1789
Le Parlement, à la requête de l’archevêque de Paris, autorise la consommation d’oeufs durant le carême.
Le 6 mars 1789
Le Parlement interdit la vente et fait saisir toutes les brochures sur les événements de Bretagne.
Dans cette province, la noblesse refuse les modalités d’élection voulue par le Roi. Des affrontements à Rennes sur la place du parlement entre nobles et étudiants font trois morts.
Le 13 mars 1789
Le Parlement condamne La passion, la mort et la résurrection du peuple, brochure annonçant sur un ton apocalyptique la fin de la noblesse.
Le 24 mars 1789
Le Parlement condamne le mémoire du chevalier James de Rutledge (1742-1794) adressé au Roi qui dénonce les manoeuvres d’accaparement des farines de la capitale par la société des frères Leleu.
Le 5 mai 1789
Ouverture des États-Généraux à l’hôtel des Menus-Plaisirs à Versailles.

Le 20 juin 1789
Serment du Jeu de Paume.
Le 27 juin 1789
Louis XVI accepte de voir l’assemblée devenir une assemblée constituante.
Le Parlement perd définitivement ses prétentions législatives.
Le 11 août 1789
Suppression par l’assemblée constituante du paiement des magistrats par le système des épices.
Si la Justice doit être indépendante, de par le concept nouveau de la séparation des pouvoirs, elle ne peut par contre être autonome de l’appareil d’état en se finançant par les justiciables.
Le 8 septembre 1789
Comme à son habitude, le Parlement entre en vacances malgré un été particulièrement agité…
Les gens de robe pensent pouvoir revenir au Palais le 11 novembre (la saint Martin).

Le 6 octobre 1789
Le Roi et sa Cour sont obligés de résider désormais à Paris. Louis XVI ne loge évidemment pas au Palais, abandonné comme résidence royale depuis le XVe siècle, mais aux Tuileries.
Le 10 octobre 1789
Durant les vacances parlementaires, afin d’assurer l’intérim, l’assemblée constituante met en place des chambres de vacation afin de faire publier et afficher ses décisions dans leurs ressorts.
Le 3 novembre 1789
L’assemblée constituante met le Parlement en vacances jusqu’à une date indéterminée.
Les chambres de vacation suffisent désormais.
Remplies de parlementaires, évidemment ceux-ci protestent contre le décret abolissant leur corps.
Jérôme Marie Champion de Cicé (1735-1810), nouveau garde des sceaux de Louis XVI depuis le 4 août dernier et rédacteur principal de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, menace les magistrats qu’une opposition de leur part pourrait provoquer une nouvelle journée comme celles vécues les 5 et 6 octobre.

Les remontrances sont maintenant interdites.
L’hôtel du premier président, ancien hôtel du concierge, devient résidence du maire de Paris.
Son premier locataire, élu le 15 juillet 1789 est Jean Sylvain Bailly (1736-1793).

Le 21 octobre 1789
La mairie de Paris doit partager l’hôtel du premier président avec un comité de recherche de la commune, chargé d’enquêter sur d’éventuels complots.

La partie réservée au comité de recherche se situe du côté sud des bâtiments, qui deviendra plus tard le bien connu 36 quai des Orfèvres…
Le 5 novembre 1789
Les membres de la chambre de vacation de Paris rédigent une protestation secrète, déclarant qu’ils ont accepté le décret contraints et forcés par les circonstances terribles du moment.
Les chambres de vacation de province protestent davantage encore, voire refusent l’enregistrement.
Jouant sur le fait d’être intérimaires, les magistrats des chambres déclarent attendre le retour des parlements, seuls habilités.
S’en remettant au Roi par une lettre secrète, celui-ci n’hésite pas à dénoncer les récalcitrants à l’assemblée. On peut comprendre le geste de Louis XVI après tant d’avanies de leur part…
Le 9 novembre 1789
Un autre décret stipule que les textes de l’assemblée constituante ne doivent pas être modifiés, sans rajouts, suppressions ou observations.
La justice sera dorénavant la même dans tout le royaume.
Le 17 novembre 1789
Sous influence de deux anciens conseillers de parlements, l’un de Grenoble, l’autre de Metz, Antoine Barnave et Pierre-Louis Roederer (1754-1835), l’assemblée décrète que les récalcitrants des chambres de vacation et appartenant aux anciens parlements se retrouveront à la barre de l’assemblée et remplacés par le Roi.

Le 21 novembre 1789
Les parlements de province acceptent leur défaite et déclarent leur soumission à l’assemblée et au Roi.
Le premier président de la chambre de vacation, monsieur Le Peletier de Rosanbo, cache ses lettres de protestation et celles de ses collègues dans les boiseries de son cabinet à l’anglaise, dans son hôtel de la rue de Bondy, en espérant des jours meilleurs pour sa corporation.
Le 15 janvier 1790
La France est divisée en 83 départements. Paris appartient au département de la Seine (supprimé en 1968).
Le 8 février 1790
Condamnation des frères Agasse par pendaison pour faux-monnayage.

Vue du Palais avec la Tour de l’Horloge, les deux Tours jumelles et plus lojn la Tour Bonbec et la Salle sur l’Eau
Le 30 avril 1790
La constituante décrète l’institution des jurys en matière criminelle.
Le 5 mai 1790
L’assemblée décrète l’élection des juges par les citoyens actifs (ceux qui paient le cens).
Le 21 mai 1790
Paris est divisé en 48 sections.
L’Île de la Cité est divisée en deux :
- la section Notre-Dame (trente-sixième section) ;
- la section Henri IV (trente-septième section) dont dépend le Palais.
Le 24 mai 1790
Un tribunal de cassation est créé pour chaque département.
Les 16 et 24 août 1790
Un tribunal est créé pour chaque district de départements. Paris en compte six. Un seul d’entre eux (le n°4) pourra demeurer au Palais.
Les tribunaux de district ont trois compétences :
- ils jugent les litiges civils les plus importants, notamment en matière immobilière.
- ils examinent en appel les jugements des juges de paix.
- les tribunaux de district sont juridictions d’appel les uns à l’égard des autres selon un système dit d’« appel circulaire », c’est-à-dire que si un jugement rendu par un tribunal de district était frappé d’appel, la connaissance de l’appel était attribuée à un autre tribunal de district.
Le port de la robe est abandonné au profit d’un habit noir et d’un chapeau à plumes comme tous les autres fonctionnaires.

Le 6 septembre 1790
Suppression définitive du Parlement.
Les récalcitrants des derniers mois ne pourront retrouver de poste au sein de la magistrature.
Louis XVI formule le vœu d’une espérance «qui jamais n’abandonnera le cœur de ses fidèles magistrats de recommencer une nouvelle carrière ».
Il est difficile de ne pas y voir une certaine ironie de sa part…
Les 27 novembre et 1er décembre 1790
Décrets créant le tribunal de cassation.

Ce nouveau tribunal installé dans l’ancienne Grande Chambre doit être le dernier ressort de tous les tribunaux de France. Il s’agit d’un mixte entre le Parlement qui cassait les décisions des bailliages et prévôtés et le conseil des parties, section du Conseil du Roi réunissant conseillers d’Etat et maîtres des requêtes, devant examiner les décisions des parlements et régler des contentieux administratifs.
En souvenir de leurs origines, les magistrats de la chambre de cassation portent encore la robe rouge doublée d’hermine (fausse aujourd’hui) des parlementaires…
Le tribunal de cassation dépend du corps législatif, au détriment de la séparation des pouvoirs. Toute question juridique faisant litige doit être renvoyée au corps législatif, seul expert de la Loi. Les magistrats doivent en référer aux députés. Et tous les ans les magistrats doivent expliquer leurs décisions à l’assemblée. Ces mesures ont pour but de totalement annihiler l’esprit des parlementaires qui peuplent toujours les tribunaux et qui pour beaucoup ne peuvent concevoir encore que leur pouvoir politique est définitivement perdu.
Le député Maximilien de Robespierre (1758-1794) veut effacer de la langue française le mot jurisprudence, décision juridique caractéristique de l’Ancien Régime. Aujourd’hui seule la loi, et uniquement la loi, doit compter.

La même année
La chapelle basse de la Sainte-Chapelle est réservée aux paroissiens du quartier du Palais. Son curé l’abbé Jean-François Roussineau prête le serment constitutionnel.
Le 20 janvier 1791
Un tribunal criminel est créé pour chaque département.
Celui de Paris s’installe au Palais.
Février 1791
La paroisse de la Sainte-Chapelle est supprimée au détriment de Notre-Dame.
Le mobilier, objets liturgiques, jubé, statues, sont sauvegardés par Alexandre Lenoir qui les met à l’abri dans son dépôt des Petits-Augustins, un ancien couvent désaffecté.
L’orgue est transféré à l’église de Saint-Germain l’Auxerrois, paroisse de la famille royale.
Les murs de la Sainte-Chapelle vont servir de club à l’assemblée électorale de Paris, aux idées plutôt modérées.
Le 5 mars 1791
Un tribunal exceptionnel est créé à Orléans afin de juger des crimes de lèse-nation.
Le 30 mai 1791
Lors de la discussion sur le code pénal, le député et rapporteur de la commission, Louis-Michel Le Peletier de Saint-Fargeau (1760-1793), soutenu par Maximilien de Robespierre, réclame l’abolition de la peine de mort.

Issu d’une grande famille de la noblesse de robe, il est l’époux d’Adélaïde Marie Louise Joly de Fleury (1762-1783), fille d’Omer Joly de Fleury, l’ancien avocat général du procès du collier.
Le 1er juin 1791
Toujours dans la même commission, il est décrété l’abolition de toute forme de torture.
Le 3 juin 1791
L’assemblée décrète que «tout condamné à mort aura la tête tranchée».
Ainsi chaque citoyen subira la peine de mort dans l’égalité.
Précédemment, seuls les nobles avaient la tête tranchée, quand les autres subissaient la pendaison ou la roue.
L’assemblée charge le médecin Antoine Louis (1723-1792), directeur de l’académie de chirurgie de mettre au point une machine «égalitaire».

Le 5 juin 1791
Le droit de grâce est retiré au Roi.
Nuit du 20 juin 1791
Départ de la famille royale pour Montmédy.
Le 25 juin 1791
Retour de la famille royale à Paris.
Le 3 septembre 1791
La constitution est enfin achevée.
Le 11 septembre 1791
L’ordre des avocats, en tant que corporation, est supprimé. Chacun peut choisir qui il veut pour sa défense.
Les anciens membres du barreau n’en continuent pas moins à peupler les tribunaux.
Le 14 septembre 1791
Louis XVI accepte solennellement la constitution.
Le 14 novembre 1791
Jérôme Pétion de Villeneuve (1756-1794) est élu maire de Paris. Il s’installe dans les bâtiments du Palais qui lui sont dévolus.

Le 20 mars 1792
Arrêté de l’assemblée législative :
« Le mode de décollation sera uniforme dans tout l’empire. Le corps du criminel sera couché sur le ventre entre deux poteaux barrés par le haut d’une traverse, d’où l’on fera tomber sur le col une hache convexe, au moyen d’une déclique le dos de l’instrument sera assez fort et assez lourd pour agir efficacement, comme le mouton qui sert à enfoncer les pilotis et dont la force augmente en raison de la hauteur d’où il tombe.»
L’assemblée législative adopte le principe de la «décollation mécanique» pour rendre la peine de mort la moins douloureuse possible à l’aide d’une machine venue de Suisse, proposée par le docteur Louis.
Louis XVI y apporte des conseils techniques.

La machine sera surnommée «la louison » du nom de son concepteur.
La machine est conçue par le savant Tobias Schmidt, d’origine allemande, ami du bourreau Charles-Henri Sanson (1739-1806) qui vérifie chaque étape de la construction.
Mais peu à peu les journalistes l’appelleront «guillotine» du nom du docteur Guillotin qui se bat depuis longtemps contre la peine de mort et qui critique très souvent la presse.
Malgré les protestations de l’intéressé, le nom restera.
Le 25 mars 1792
Nomination comme concierge de Toussaint Richard, quarante-huit ans, né à Voisines en Champagne. Il a été précédemment en poste à For-l’Evêque puis à La Force. Il est secondé par son épouse, née Marie-Anne Barassin et de son fils Nicolas, vingt ans, chargé de traquer les prisonniers en fuite et de fermer les portes des cellules.
Ils seront ensuite rejoints par le frère de la concierge, prisonnier à la Salpêtrière, qui commuera sa peine en aidant sa soeur à faire la mouche et rammasser les pots de chambre.
Le couple Richard a aussi un petit garçon, Fanfan.
Le 25 avril 1792
La guillotine est inaugurée sur la personne de Nicolas-Jacques Pelletier, bandit de grand chemin, place de Grève. Il avait attaqué au couteau un passant pour lui voler 800 livres en assignat. Un jugement et deux appels n’ont pu le sauver. Des mesures ont été prises pour protéger la machine de la foule nombreuse, du fait de son prix élevé. Les gens sont déçus de la rapidité du spectacle.
Le printemps et l’été connaissent d’autres exécutions, à caractère criminel, essentiellement à Paris mais quelques-unes aussi en province.
Le 7 mai 1792
Jérôme Pétion de Villeneuve (1756-1794) est élu maire de Paris. Il s’installe dans l’ancien hôtel du premier président. Et encore plus anciennement, logis du Roi.
Le 21 juin 1792
Louis XVI accuse dans une lettre à l’assemblée la complicité passive du maire Pétion durant les événements de la veille.

Le 6 juillet 1792
Jérôme Pétion est suspendu de ses fonctions de maire. Il est remplacé par Philibert Borie (1759-1832).
Le 13 juillet 1792
Par décision de l’assemblée, Pétion est réintégré dans ses fonctions.
Le 22 juillet 1792
La Patrie est déclarée en danger. Les volontaires s’enrôlent par milliers au pied de la statue d’Henri IV sur le Pont-Neuf.

Le 10 août 1792
Prise des Tuileries.
La Première République
La Convention nationale (1792-1795)
Le 13 août 1792
Les statues des rois de France sont abattues dans la capitale.
Malgré un court moment d’hésitation du fait de la popularité de ce Roi, la statue de Henri IV sur le Pont-Neuf n’échappe pas à la destruction.
Le 15 août 1792
En tant que fonctionnaire au service du «tyran », le bourreau Charles-Henri Sanson (1739-1806) est enfermé en prison.
Le 17 août 1792
La Commune insurrectionnelle, menée par Robespierre exige la création d’un tribunal criminel extraordinaire visant à punir les complices du Roi lors de la journée du 10 août. L’assemblée obtempère.
Discours de Robespierre réclamant la création de cet tribunal :
« Si la tranquillité publique et surtout la liberté tiennent à la punition des coupables, vous devez en désirer la promptitude, vous devez en assurer les moyens. Depuis le 10, la juste vengeance du peuple n’a pas encore été satisfaite. Je ne sais quels obstacles invincibles semblent s’y opposer.
Le décret que vous avez rendu nous semble insuffisant ; et m’arrêtant au préambule, je trouve qu’il ne contient point, qu’il n’explique point la nature, l’étendue des crimes que le peuple doit punir. Il n’y est parlé encore que des crimes commis dans la journée du 10 août, et c’est trop restreindre la vengeance du peuple ; car ces crimes remontent bien au-delà. Les plus coupables des conspirateurs n’ont point paru dans la journée du 10, et d’après la loi, il serait impossible de les punir. Ces hommes qui se sont couverts du masque du patriotisme pour tuer le patriotisme ; ces hommes qui affectaient le langage des lois pour renverser toutes les lois ; ce Lafayette, qui n’était peut-être pas à Paris, mais qui pouvait y être ; ils échapperaient donc à la vengeance nationale ! Ne confondons plus les temps. Voyons les principes, voyons la nécessité publique ; voyons les efforts que le peuple a faits pour être libre. Il faut au peuple un gouvernement digne de lui ; il lui faut de nouveaux juges, créés pour les circonstances ; car si vous redonniez les juges anciens, vous rétabliriez des juges prévaricateurs, et nous rentrerions dans ce chaos qui a failli perdre la nation. Le peuple vous environne de sa confiance. Conservez-la cette confiance, et ne repoussez point la gloire de sauver la liberté pour prolonger, sans fruit pour vous-mêmes, aux dépens de l’égalité, au mépris de la justice, un état d’orgueil et d’iniquité. Le peuple se repose, mais il ne dort pas. Il veut la punition des coupables, il a raison. Vous ne devez pas lui donner des lois contraires à son vœu unanime. Nous vous prions de nous débarrasser des autorités constituées en qui nous n’avons point de confiance, d’effacer ce double degré de juridiction, qui, en établissant des lenteurs, assure l’impunité ; nous demandons que les coupables soient jugés par des commissaires pris dans chaque section, souverainement et en dernier ressort.»
La présidence du nouveau tribunal est offerte à Robespierre.
Juges : Robespierre, Osselin, Mathieu Pépin-Dégrouhette, Laveaux, d’Aubigni, Coffinhal-Dubail. (Il manque un juge.)
Accusateurs publics : Luilier, Réal.
Membres du jury d’accusation : Leroi, Blandin, Bottot, Loluer, Loyseau, Caillère de l’Etang, Perdrix.
Suppléants : Desvieux, Boucher-René, Jaillant, Maire, Dumouchel, Jurie, Mulot, Andrieux.
Greffiers : Brusié, Hardy, Bourdon, Mollard.
Une garde composée de gendarmes et de citoyens est spécialement affectée au nouveau tribunal.
Le 18 août 1792
Ce nouveau tribunal s’installe dans la chambre de Saint-Louis qui devient pour l’occasion la salle Egalité, laissant la Grande Chambre à la cour de cassation.
Robespierre refuse la présidence, refus qu’il justifie par cette lettre publique :
« Certaines personnes ont voulu jeter des nuages sur le refus que j’ai fait de la place de président du tribunal destiné à juger les conspirateurs. Je dois compte au public de mes motifs.
J’ai combattu, depuis l’origine de la Révolution, la plus grande partie de ces criminels de lèse-nation j’ai dénoncé la plupart d’entre eux ; j’ai prédit tous leurs attentats, lorsqu’on croyait encore à leur civisme; je ne pouvais être le juge de ceux dont j’ai été l’adversaire, et j’ai dû me souvenir que s’ils étaient les ennemis de la patrie, ils s’étaient aussi déclarés les miens. Cette maxime, bonne dans toutes les circonstances, est surtout applicable à celle-ci. La justice du peuple doit porter un caractère digne de lui il faut qu’elle soit imposante autant que PROMPTE et TERRIBLE.
L’exercice de ces nouvelles fonctions était incompatible avec celui de représentant de la Commune, qui m’avait été confié ; il fallait opter : je suis resté au poste où j’étais, convaincu que c’était là où je devais actuellement servir ma patrie.
Signé Robespierre»
Robespierre préfère sa place au sein de la Commune, vrai pouvoir du moment. Mathieu reçoit alors la présidence.
Le 20 août 1792
Le commis de police Antoine Quentin Fouquier de Tinville (1746-1795) sollicite son cousin Camille Desmoulins (1760-1794), secrétaire général au ministère de la Justice afin de lui obtenir une place.

Il est né à Herouël dans le Vermandois d’une riche famille de cultivateurs. Il a trois frères et une soeur. Il épouse en 1775 sa cousine germaine Dorothée Sangnier, grâce à une dispense du pape. Elle lui donne quatre enfants en quatre ans, un fils et trois filles. Il achète l’étude de son patron maître Cornilier, procureur au Châtelet. Il est riche et est même propriétaire d’une maison à Eouen puis à Charonne où il passe les beaux jours en famille.
Mais à la mort de son épouse en 1782, il perd beaucoup, malgré son remariage quatre mois plus tard avec une jeune fille de petite noblesse Henriette Gérard d’Ancourt. Il est obligé de vendre sa charge du Châtelet un an plus tard et les rapports de police le disent associé aux filles de mauvaise vie.
Son épouse lui donne en 1791 des jumeaux, un garçon et une fille.
Le nouveau contexte politique lui permet d’obtenir une charge de commissaire à la section Saint-Merry.
Il sollicite ensuite en vain une place de secrétaire-greffier au tribunal de cassation.
C’est donc un homme aux abois, plein de rancunes qui réclame une place de choix auprès de son parent dans le système judiciaire qui se met en place à la chute de la monarchie…
Le 21 août 1792, à dix heures du soir
Exécution place de la Réunion (place du Carrousel) de Louis-David Collenot d’Angremont (1748-1792), avocat, homme de lettres, professeur d’anglais de Marie-Antoinette et responsable du bureau des gardes nationaux, accusé d’avoir sous ordre du Roi, empêché la prise des Tuileries.
Il est considéré comme le premier exécuté politique de la Révolution.
Pour l’occasion, Sanson sort de prison puis y retourne.

Le 24 août 1792
Exécution d’Arnaud de La Porte (1737-1792), intendant de la liste civile de Louis XVI.

Une fois de plus Sanson sort de sa prison pour y retourner l’opération achevée. Le même jour, dans la salle Egalité, comparaît Barnabé du Rosoy, fondateur de la Gazette de Paris et défenseur de la liberté de la presse. Il avait osé prendre la défense de Louis XVI lors de l’attaque des Tuileries.
Il est guillotiné le lendemain, toujours avec un bourreau prisonnier.
Le 27 août 1792
Exécution de trois faux monnayeurs place de la Réunion.
Gabriel Sanson (1769-1792), le fils cadet de Charles-Henri qui aide son père dans le métier, glisse de l’échafaud et se tue. Le fils aîné Henri (1767-1840), militaire, doit changer de carrière pour suivre celle de son père qui est définitivement libéré.
Le 29 août 1792
Fouquier-Tinville est nommé directeur du jury du nouveau tribunal criminel. Il s’installe avec sa famille dans la tour Bonbec où se déroulaient auparavant les séances de torture. Ses bureaux sont entre les tours d’Argent et César.

Son premier interrogatoire est pour Jacques Cazotte (1719-1792), écrivain contre-révolutionnaire et sa fille Elisabeth. Il les fait enfermer à la prison de l’Abbaye.

Le 2 septembre 1792
Le club de la Sainte-Chapelle, jugé trop modéré, est supprimé.
Le tribunal criminel statue sur le sort à réserver à Karl Josef Anton Léodegard von Bachmann (1734-1792), commandant la garde suisse des Tuileries au 10 août.

Il est condamné à mort.
Au soir
Appel aux citoyens, par le canon du Pont-Neuf, relayé par les cloches des églises, à juger soi-même les détenus des prisons de la capitale.
Le tribunal criminel instauré ne suffit pas.
Les massacreurs réclament Bachman. Le tribunal «légal» le leur refuse.
Le 3 septembre 1792
La prison de la Conciergerie n’échappe pas au massacre.
Armand Marc, comte de Montmorin Saint-Hérem (1746-1792) ministre des Affaires étrangères de Louis XVI, acquitté par le tribunal le 17 août mais réincarcéré sous prétexte de sécurité est massacré.

Sept Suisses sont aussi immolés, sans oublier le terrible sort subi par Marie Gredeler, tenant un commerce au Palais-Royal de cannes et de parapluies. Attachée à un poteau, ses bourreaux la torturent des manières les plus sadiques possibles. Le même jour, Bachmann passe à la guillotine.
Le 5 septembre 1792
Tandis que les massacres continuent dans les prisons parisiennes et en province, les élections pour la nouvelle Convention se déroulent dans ce terrible contexte.
A Paris sont élus Robespierre, Collot d’Herbois et Danton, ce dernier promoteur proclamé des massacres, quand les deux autres les soutiennent implicitement.

Le 7 septembre 1792
Sur les environ 500 détenus que comptaient la Conciergerie le 2 septembre, 400 sont officiellement notés comme morts.
La centaine de survivants a soit réussi à s’échapper, soit s’est volontairement portée complices des massacreurs. Au total, en comptant le reste des prisons parisiennes et de province, plus de 3000 victimes sont à déplorer.
Le 17 septembre 1792
Un officier de la garde nationale, place de la Révolution, ancienne place Louis XV, avertit les autorités que des voleurs sont entrés dans le Garde-Meuble de la Couronne où ils dérobaient depuis plusieurs nuits les bijoux de la Couronne, sans être inquiétés le moins du monde.
Une enquête est diligentée, bien que les voleurs aient pu s’enfuir. Sur dénonciation, on arrête dix-sept suspects, alors qu’on sait qu’ils ont été une cinquantaine.
Le tribunal du 17 août n’en condamne que cinq sur la place même de leur délit.
Danton, ministre de la Justice, a une attitude très louche lors de cette affaire.

Ce qui est considéré comme le plus grand cambriolage de l’Histoire de France n’a toujours pas été résolu à ce jour et beaucoup d’historiens soupçonnent que les bijoux se soient retrouvés inopinément dans les mains du maréchal de Brunswick, qui fit partir son armée du champ de bataille de Valmy, première victoire de la France républicaine.
Le 21 septembre 1792
La nouvelle Convention nationale se réunit. La monarchie est abolie.
Le 22 septembre 1792
La république est proclamée.
Le 25 septembre 1792
Jacques Cazotte est finalement envoyé à la guillotine, malgré les supplications de sa fille. Fouquier-Tinville maintient celle-ci dans la prison de la Conciergerie.
Le 29 septembre 1792
Le tribunal du 17 août est supprimé, les événements du début du mois ayant prouvé sont inutilité, les citoyens préférant se faire justice eux-mêmes.
Fouquier-Tinville voit une fois de plus tous ses espoirs tombés à l’eau. Il doit se contenter d’être substitut de l’accusateur du tribunal de la Seine.
Le 23 octobre 1792
Le tribunal envoie place de la Révolution neuf émigrés pris dans les rangs de l’armée de Brunswick.
Le 7 novembre 1792
Le député de la Haute-Garonne, Jean-Baptiste Mailhe (1750-1834) déclare que c’est à la Convention, en tant que dépositaire de l’autorité nationale, de juger Louis XVI. Ceci au détriment de la séparation des pouvoirs.
Le 13 novembre 1792
Le député Louis-Antoine de Saint-Just (1767-1794), député de l’Aisne, exige l’exécution de Louis XVI sans jugement, rejetant à la fois les propositions de ceux qui comme Pétion sont partisans de prendre en compte l’inviolabilité du Roi comme le prescrivait la constitution de 1791 et celles de ceux qui souhaitent juger «le ci-devant Roi » comme un citoyen normal.

Le 1er décembre 1792
Le tribunal du 17 août est définitivement supprimé car jugé comme peu efficace.
Le 3 décembre 1792
Robespierre, qui s’est toujours opposé à la peine de mort, rejoint les idées de Saint-Just en déclarant :
« Vous n’avez point une sentence à rendre pour ou contre un homme, mais une mesure de salut public à prendre, un acte de providence nationale à exercer.»
Ces mêmes mots pourront par la suite être appliqués contre tous ceux soupçonnés de ne pas partager pleinement ses idées.
Le 6 décembre 1792
Jean-Paul Marat (1743-1793), député de la Seine, obtient que le scrutin pour le futur procès du Roi se fasse par appel nominal et les votes à voix haute. Ces décisions ont été prises par des hommes qui se sont battus contre les abus du Parlement et qui s’auto-proclament défenseurs de l’humanité.
Le 11 décembre 1792
Première comparution de Louis XVI devant ses juges qui ont oublié les principes essentiels de 1789 comme la séparation des pouvoirs.

Le 12 décembre 1792
Louis XVI, dont les rapports avec la magistrature ont été difficiles tout le long de son règne, choisit plusieurs avocats. L’un d’eux Target se récuse. Il était anciennement opposant à la réforme Maupeou et avocat du cardinal de Rohan lors de l’affaire du collier. Tronchet et de Sèze, ce dernier ancien avocat de Marie-Antoinette lors de l’affaire du collier, acceptent. Contre toute attente, Malesherbes se porte lui volontaire afin de sauver le Roi.

Le 4 janvier 1793
Alors que des députés girondins réclament un appel au peuple pour juger Louis XVI, d’autres comme Barère, s’appuyant sur une pétition du Mâconnais, demande à traduire Marie-Antoinette devant la justice.
Le 21 janvier 1793, à 10h22 du matin
Louis XVI est exécuté.
Mars 1793
Rapport du citoyen Grandpré, inspecteur des prisons sur la prison de la Conciergerie :
« Je les ai visités (les prisonniers) à l’ouverture et je ne connais pas d’expression assez forte pour peindre le sentiment d’horreur que j’ai éprouvé en voyant dans une seule pièce vingt-six hommes rassemblés, couchés sur vingt-et-unes paillasses, respirant l’air le plus infect, et couvert de lambeaux à moitié pourris, dans une autre quarante-cinq hommes entassés sur dix grabats ; dans une troisième, trente-huit moribonds pressés sur neuf couchettes ; dans une quatrième, très petite, quatorze hommes ne pouvant trouver de place dans quatre cases ; enfin dans une cinquième, sixième et septième pièces, quatre-vingt-cinq malheureux se froissant les uns les autres pour pouvoir s’étendre sur seize paillasses remplies de vermine, et ne pouvant tous trouver le moyen de poser leur tête. Un pareil spectacle m’a fait reculer d’épouvante, et je frissonne encore en voulant en donner une idée. Les femmes sont traitées de la même manière, cinquante-quatre d’entre elles sont forcées de se coucher sur dix-neuf paillasses ou de se relayer pour rester debout et ne pas étouffer en se mettant les unes sur les autres.»
Archives nationales M 669

Le 9 mars 1793
Suite à la trahison du général Dumouriez, le député du Cantal Jean-Baptiste Carrier (1756-1794) propose sans attendre «l’établissement d’un tribunal révolutionnaire [et que] le Comité de législation présente [son] mode d’organisation.»

Le député du Lot André Jean-Bon Saint-André (1749-1813), se rallie à l’idée et demande à son tour la création d’un tribunal criminel extraordinaire.

Il est soutenu par les députés Lindet et Danton.
Celui-ci donne à cette occasion l’un de ses discours les plus célèbres :
« Rien n’est plus difficile que de définir un crime politique. Le salut du peuple demande de grands moyens et exige des mesures terribles. Je ne vois pas de milieu entre les formes ordinaires et un Tribunal révolutionnaire. Soyons terribles pour dispenser le peuple de l’être.»

La situation a paru urgente car depuis plusieurs jours les sans-culottes sont en colère contre les Girondins et n’hésitent pas à casser leurs presses de journaux. Le spectre des massacres de septembre est encore proche.
Si l’objectif affiché de ce tribunal est de réagir contre les violences des rues, lutter contre l’anarchie et de punir «les traîtres », les Girondins s’y opposent, pressentant qu’ils en seront les premières victimes…
Le Girondin Pierre Victurnien Vergniaud (1753-1793), député de la Haute-Vienne, dénonce ce tribunal comme :
«une inquisition mille fois plus redoutable que celle de Venise».

Un autre député girondin, Jean Birroteau (1758-1793), des Pyrénées-Orientales, s’exclame :
« Et moi je demande qu’on me démontre la nécessité de ce tribunal, car je ne vois pas où sont les conspirateurs, les intrigants.»
Ce député est d’ores et déjà suspect car quelques temps auparavant il avait proposé d’éloigner la Convention de Paris, trop soumise aux sans-culottes et à la Commune.
Auquel répond le montagnard René Levasseur (1747-1834), de la Sarthe :
« Je propose la rédaction suivante qui, je l’espère, conciliera tous les partis : « La Convention décrète l’établissement d’un tribunal criminel extraordinaire, sans appel et sans recours au tribunal de cassation, pour le jugement de tous les traîtres, conspirateurs et contre-révolutionnaires. »
Le 10 mars 1793
Malgré l’opposition des girondins, la loi est votée.
Article 1 :
Il sera établi à Paris un tribunal criminel extraordinaire qui connaîtra de toute entreprise contre-révolutionnaire, de tout attentat contre la liberté, l’égalité, l’unité, l’indivisibilité de la République, la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat, et de tous les complots tendant à rétablir la royauté ou à établir toute autre autorité attentatoire à la liberté, à l’égalité et à la souveraineté du peuple.
Article 2 :
Le tribunal sera composé d’un jury et de cinq juges qui dirigeront l’instruction et appliqueront la loi, après la déclaration des jurés sur le fait.
Article 3 :
Les juges ne pourront rendre aucun jugement s’ils ne sont au moins au nombre de trois.
Article 4 :
Celui des juges qui aura été le premier élu présidera ; et, en cas d’absence, il sera remplacé par le plus ancien d’âge.
Article 5 :
Les juges seront nommés par la Convention nationale, à la pluralité relative des suffrages, qui ne pourra néanmoins être inférieure au quart des voix.
Article 6 :
Il y aura auprès du tribunal un accusateur public et deux adjoints ou substituts, qui seront nommés par la Convention nationale, comme les juges et suivant le même mode.
Article 7 :
Il sera nommé par la Convention nationale douze citoyens du département de Paris et des quatre départements qui l’environnent, qui rempliront les fonctions de jurés, et quatre suppléants du même département, qui remplaceront les jurés en cas d’absence, de récusation ou de maladie.
Article 9 :
Tous les procès-verbaux de dénonciation, d’information, d’arrestation seront adressés en expédition par les corps administratifs à la Convention nationale, qui les renverra à une commission de ses membres chargée d’en faire l’examen et de lui en faire le rapport.
Article 10 :
Il sera formé une commission de six membres de la Convention nationale, qui sera chargée de l’examen de toutes les pièces, d’en faire le rapport et de rédiger et de présenter les actes d’accusation, de surveiller l’instruction qui se fera dans le tribunal extraordinaire, d’entretenir une correspondance suivie avec l’accusateur public et les juges sur toutes les affaires qui seront envoyées au tribunal et d’en rendre compte à la Convention nationale.
Article 11 :
Les accusés qui voudront récuser un ou plusieurs jurés, seront tenus de proposer les causes de récusation par un seul et même acte; et le tribunal en jugera la validité dans les vingt-quatre heures.
Article 12 :
Les jurés voteront et formeront leur déclaration publiquement, à haute voix, à la pluralité absolue des suffrages.
Article 13 :
Les jugements seront exécutés sans recours au tribunal de cassation.
Article 14 :
Les accusés en fuite qui ne se représenteront pas dans les trois mois du jugement, seront traités comme émigrés, et sujet aux mêmes peines, soit par rapport à leur personne soit par rapport à leurs biens.
Article 15 :
Les juges du tribunal éliront, à la pluralité absolue des suffrages, un greffier et deux huissiers ; le greffier aura deux commis qui seront reçus par les juges.
Le décret qui institue le nouveau tribunal précise que :
« la loi accorde un défenseur au patriote calomnié ; elle en refuse aux conspirateurs. »
La plupart des prévenus passant par ce tribunal étant accusés de conspiration contre la République, très peu auront droit à un avocat…
Ainsi tous les acquis d’une justice plus humaine depuis le début de la Révolution sont bafoués.
Un mandat d’arrêt est produit systématiquement contre le suspect qui est interrogé directement par l’accusateur public ou son substitut. Deux cas de figure s’offrent à lui :
- soit les réponses de l’individu n’ont pas la teneur suffisante pour être portées devant la juridiction : ce dernier sera immédiatement remis en liberté,
- soit elles sont susceptibles de confirmer les soupçons : la personne sera alors incarcérée à la Conciergerie et un acte d’accusation rédigé contre elle.
A l’audience, le président demande à l’accusé de répondre à la question suivante : « Vos nom, prénom, âge, qualité, lieu de naissance ? » puis le greffier fait la lecture à l’assistance des charges retenues contre ce dernier dans l’acte d’accusation. On enjoint alors les témoins choisis par l’accusation et la défense de venir s’exprimer, et c’est seulement après que le suspect peut faire valoir son innocence, avec ou sans l’aide d’un avocat. Enfin le président du Tribunal récapitule les arguments des deux partis et pose les questions auxquelles les jurés devront répondre ; ceux-ci se retirent alors dans une pièce annexe pour délibérer, tandis que l’on fait également sortir l’accusé de la pièce.
A leur retour, et conformément à l’article 12 de la loi du 10 mars 1793, chaque membre du jury prononce à voix haute sa décision et le président rappelle l’individu pour lui en signifier la teneur. L’accusateur public présente alors ses conclusions pour que le président prononce la sentence, soit d’acquittement, soit de condamnation. Le tribunal pouvait prononcer l’acquittement de la personne, son emprisonnement, sa déportation ou son exécution.
Cinq juges et douze jurés nommés à haute voix par les conventionnels devront examiner les entreprises contre-révolutionnaires et les attentats contre la République. Les réquisitoires seront rédigés par un accusateur public et deux substituts.
Les Girondins, afin de pallier à cette création qu’ils jugent dictatoriale réussissent à faire voter une commission, dite des six, qui aura pour fonction d’être seule habilitée à envoyer les personnes accusées de trahison devant le tribunal. N’y sont élus que des sympathisants girondins ou du moins modérés : Dominique Joseph Garat (1749-1833), député des Pyrénées-Atlantique et ministre de la Justice,
Louis-Marie de La Révellière-Lépeaux (1753-1824), député du Maine-et-Loire,

Jean-Paul Rabaut Saint-Étienne (1743-1793), député de l’Aube,

Joseph Delaunay (1752-1794), également député du Maine-et-Loire,

Jean-René Gomaire (1745-1805), député du Finistère et Jean-Jacques Bréard (1751-1840), député de la Charente-Inférieure. Ce dernier se désistant, il sera remplacé par le seul montagnard de la commission, Pierre-Louis Prieur (1756-1827), député de la Marne, réputé pour son intégrité .

Le 13 mars 1793
La Convention procède à l’élection des membres du tribunal. Jacques-Bernard-Marie Montané (1751-après 1805) est nommé troisième juge puis président. Louis-Joseph Faure (1760-1837) est désigné comme accusateur public, chargé jusque-là du tribunal du département de Paris. Fouquier-Tinville, accusateur de l’ancien tribunal du 17 août et Jean-Baptiste Fleuriot-Lescot (1761-1794), architecte de nationalité belge sont nommés comme ses substituts.

Faure se récuse, préférant continuer discrètement sa carrière de magistrat pour devenir par la suite un personnage d’importance durant le Directoire, le Consulat et l’Empire. C’est donc sans surprise que Fouquier-Tinville obtient la place d’accusateur public, assuré d’être bien secondé par Fleuriot-Lescot et Joseph Donzé-Verteuil (1736-1818), ancien jésuite puis abbé de cour et homme de lettres.


Le 21 mars 1793
Officialisation des comités de surveillance dans chaque commune et section qui se sont créés spontanément tout le long de la Révolution. Celui de Paris, dit comité de recherche depuis 1791, est installé dans la partie sud de l’ancien logis du premier président du Parlement qu’on appelle alors la Mairie, à ne pas confondre avec l’Hôtel de Ville, siège de la Commune. C’est l’ancêtre de ce qui sera plus tard le siège de la police judiciaire.

Le 27 mars 1793
Un décret additionnel à celui du 10 relate des diverses indemnisations du personnel du nouveau tribunal qui seront les mêmes que celles du tribunal criminel de Paris.
Le 28 mars 1793
Le maire de Paris Jean-Nicolas Pache (1746-1823) dont la résidence se trouve au Palais «offre» au nouveau tribunal l’ancienne Grand’Chambre du Parlement, qui devient pour l’occasion la salle de la Liberté.

A cette occasion le tribunal de cassation doit quitter les lieux, tribunal qui n’a plus d’utilité compte tenu du contexte. Belle revanche pour Fouquier-Tinville !
Celui-ci n’hésite pas à réclamer également la salle Saint-Louis qui devient dès lors la salle Egalité.
Tous les symboles de la monarchie (nombreux !) sont détruits au sein du Palais (les figures de la Loi et de la Justice de l’horloge de Henri III sont également bûchées).
Le 2 avril 1793
Les membres du tribunal criminel extraordinaire se rendent à la Convention afin de prêter serment. Ils en profitent pour se plaindre de leur inaction, causée par la commission des six.
Marat profite de l’occasion pour abolir cette commission sur laquelle les montagnards n’ont aucune prise. Sa proposition est acceptée.
Fouquier-Tinville obtient à lui seul les prérogatives de la commission des six.
Le 3 avril 1793
La Convention déclare l’arrestation de toute personne se promenant sans cocarde.

Le 5 avril 1793
Marat et le député Louis-Joseph Charlier (1754-1797) donnent encore plus de pouvoir à Fouquier-Tinville, tout en veillant à se protéger :
« (La Convention nationale) décrète que l’accusateur public près du tribunal est autorisé à faire arrêter, poursuivre et juger tous prévenus, sur la dénonciation des autorités constituées ou des citoyens. (art. 2).
Ne pourra cependant ledit accusateur décerner aucun mandat d’arrêt ni d’amener contre les membres de la Convention nationale sans un décret d’accusation, ni contre les ministres et généraux des armées de la République, sans en avoir obtenu l’autorisation de la Convention. (art. 3). »
Le 6 avril 1793
Première audience du tribunal criminel extraordinaire.
Le 7 avril 1793
Le tribunal criminel extraordinaire est officiellement subordonné au Comité de Salut public créé la veille.
Les Girondins hurlent à la dictature.

Le 11 avril 1793
L’ancien gouverneur de Saint-Domingue, Blanchelande paraît devant le tribunal.
Le 12 avril 1793
Lassés par les appels aux meurtres de Marat, les Girondins, pour l’instant majoritaires à la Convention, l’envoient devant le tribunal criminel extraordinaire. Marat est sauvé par ses partisans de l’assemblée et s’enfuit.

Le 13 avril 1793
L’acte d’accusation contre Marat est rédigé.
Le 15 avril 1793
Blanchelande est guillotiné place de la Révolution.
Le 23 avril 1793
Sûr de sa victoire, Marat se présente au Palais où doit se dérouler son procès le lendemain. Refusant de placer le prévenu surnommé «l’Ami du peuple» dans une geôle de la prison, le concierge le loge dans une chambre tout près du tribunal, beaucoup plus confortable.
Le 24 avril 1793
Marat est acquitté sans surprise par le tribunal criminel extraordinaire, tout à sa cause. La foule, déchaînée, vient acclamer son héros à la sortie du tribunal.

Le journaliste peut réclamer maintenant, en toute impunité, 200 000 têtes dans son prochain numéro. Evidemment les Girondins et «la Veuve Capet» sont les premiers sur sa liste.
Le 24 avril 1793
Incarcération à la Conciergerie du général républicain Francisco Miranda (1750-1816), vénézuélien au service de la France, suspecté pour son amitié avec le général Dumouriez.

Le 7 mai 1793
La loi du 10 mars relative au tribunal criminel extraordinaire est complétée.
Le 16 mai 1793
Acquittement du général Miranda dont l’accusation de collusion avec Dumouriez est abandonnée, Dumouriez reprochant à son ami de ne pas l’avoir suivi lors de son passage chez les Autrichiens.
Il est défendu par Claude-François Chauveau-Lagarde (1756-1841).
Mais Marat refuse de lâcher l’affaire.
Eté 1793
La Commune nomme officiellement policiers une quinzaine d’hommes de mains. A eux de fournir le tribunal criminel extraordinaire. Petits artisans, commerçants, ils avaient pour certains participé à la prise de la Bastille et pour la plupart aux massacres de septembre.
Ce sont donc des hommes « sûrs ».
On compte : Nicolas André Marie Froidure (1765-1794), Michel-François-Marie Caillieux (1763- ), François Dangé (1747-1794), Jean-François Godard (1758- ), Jean-Nicolas-Victor Gagnant (1770- ), Jean-François Massé (1747- ), Jacques Cordas (1749- ), Claude Mennessier (1755- ), Charles-Florent-Jean Heussée (1758- ), Étienne Michel (1761- ), Jean-Baptiste Marino (1767-1794), Claude Figuet (1760- ), Prosper Soulès (1763-1794), Jean Baudrais (1749-1832).
Ces nouveaux policiers s’installent avec leurs familles dans les locaux de la Mairie dévolus au comité de recherche, quai des Orfèvres.
Ils travaillent main dans la main avec Fouquier-Tinville à qui ils apportent les éléments lui permettant d’établir ses dossiers d’accusation. Logés dans la résidence du maire, une prison y est aménagée, fournissant les prochains prisonniers de la Conciergerie voisine.
Le 2 juin 1793
Sous pression des sans-culottes, encouragés par Marat et Hébert, l’arrestation des Girondins est décidée.
Beaucoup d’entre eux prennent la fuite, déclenchant des émeutes un peu partout en France. D’autres, comme Vergniaud, sont assignés à résidence, surveillés par des gendarmes.
Le 3 juin 1793
Arrestation d’Alexandre Gonsse (dit aussi Gonzze et même Gouzze ou encore Gouse), (1761-1814) qui en s’octroyant le nom de la terre de son père Rougeville, se faisait appeler le chevalier de Rougeville .

Aventurier dont la vie est un véritable roman, il avait réussi à entrer aux Tuileries comme chevalier du poignard et fut un de ceux protégeant Marie-Antoinette lors de la journée du 20 juin 1792.
Se cachant après le 10 août, tout en fuyant son ancienne maîtresse Louise Lacouture, celle-ci le retrouve dans les bras d’une autre femme Marie Dutilleul dans le village de Vaugirard et le dénonce. Il est retrouvé caché dans une armoire.
Les municipaux l’escortent jusqu’à la Mairie, transformé en hôtel de la police. Les policiers Froidure et Soulès l’interrogent, le confrontant avec la citoyenne Lacouture, sa maîtresse bafouée.
Mais Rougeville nie tout en bloc, prouvant son civisme à chaque question et son inaction le jour du 10 août. S’il s’est caché dans l’armoire, c’est tout bonnement pour fuir les persécutions de la citoyenne Lacouture !
La prison de l’hôtel de police étant pleine, celle de la Conciergerie voisine sans objet car pas en situation de passer devant le tribunal révolutionnaire, Rougeville est incarcéré à la prison des Madelonnettes.
Le 4 juin 1793
Début du procès dit de l’Association bretonne. Vingt-sept Bretons sont accusés d’avoir été les complices d’Armand Tuffin, marquis de La Rouërie (1751-1793), un des fondateurs de la chouannerie, mort des suites de l’annonce de l’exécution de Louis XVI. Trahi au même moment, ses proches sont rapidement appréhendés par l’armée républicaine.

Le 11 juin 1793
Libération du chevalier de Rougeville. Comment, par quelles protections ? Le mystère reste entier.
Le 18 juin 1793
Douze membres de l’association bretonne sont exécutés place de la Révolution : Monsieur et Madame de La Guyomarais qui logeaient clandestinement La Rouërie dans leur château, Louis du Pontavice, la Chauvinais, Madame de la Fonchais, Morin de Launay, Locquet de Granville, Jean Vincent, Groult de La Motte, Picot de Limoëlan, Georges de Fontevieux et Thérèse de Moëlien (1759-1793), sa cousine.
Juin 1793
Comme à son habitude, chaque soir, l’accusateur public fait une inspection dans la prison. Il croise un jeune gardien et lui demande de remettre un message à sa femme afin qu’elle ne s’inquiète pas de son retard. Le gardien lui répond qu’il n’a pas le droit de sortir et l’accusateur public donne ordre de le faire sortir hors du guichet.
Retournant un peu plus tard chez lui (tour Bonbec), Fouquier-Tinville voit son épouse en larmes, inquiète de n’avoir reçu aucun message pour l’avertir du retard de son mari.
Furieux, il fait rechercher le lendemain le gardien indélicat. En vain. Il s’agissait en fait d’une prisonnière qui avait réussi à emprunter l’uniforme d’un porte-clé.
Fouquier-Tinville a libéré sans le vouloir une prisonnière de la Conciergerie !
Le 22 juin 1793
Le baron de Batz échoue à faire évader Marie-Antoinette, ses enfants et madame Elisabeth du Temple.
La Commune, dominée par le substitut du procureur syndic de la Commune, Jacques-René Hébert (1757-1794), par la voix de son journal le père Duchesne, rappelle à la Convention qu’il faut envoyer d’urgence «la veuve Capet » à l’échafaud. Pour ne citer que l’expression la plus polie parmi tous les termes abominables d’Hébert quand il désigne Marie-Antoinette.

Le 24 juin 1793
Transfert de Manon Roland (1754-1793), de la prison Sainte-Pélagie. Elle y attendra son procès cinq mois.

Le 29 juin 1793
La Convention décrète la peine de mort pour tous ceux faisant circuler une constitution autre que celle votée le 24 juin.
Le 3 juillet 1793
Afin d’éviter tout risque d’évasion commune au Temple, le Comité de Salut public, sous pression de la Commune, fait séparer le jeune Louis-Charles de sa mère.
Le 8 juillet 1793
La Convention fait déclarer traîtres à la patrie les députés qui se sont enfuis après le mandat d’arrêt lancé contre eux le 2 juin dernier.
Le 12 juillet 1793
La Convention déclare traître à la patrie le député Birotteau, celui-là même qui s’était opposé à la création du tribunal criminel extraordinaire.
Le 13 juillet 1793
Charlotte Corday (1768-1793), arrivant de Caen, est reçue dans la petite pièce où se tient Jean-Paul Marat (1743-1793) ; pour soigner une maladie de la peau, commencée à l’aine qui s’est ensuite répandue sur tout son corps, causant de terribles démangeaisons et des ulcères douloureux, le médecin rédige son Ami du Peuple dans son bain…
Une planche mal rabotée, posée sur la baignoire, est couverte de papiers, de lettres ouvertes et de feuilles commencées.

Debout, les yeux baissés, les mains pendantes auprès de la baignoire, Charlotte attend que Marat l’interroge sur la situation de la Normandie. Elle répond brièvement, en donnant à ses réponses le sens et la couleur propres à flatter les dispositions présumées du démagogue. Il lui demande ensuite les noms des députés réfugiés à Caen. Elle les lui dicte. Il les note, puis, quand il a fini d’écrire ces noms :
« C’est bien ! dit-il de l’accent d’un homme sûr de sa vengeance, avant huit jours ils iront tous à la guillotine ! »
À ces mots, comme si l’âme de Charlotte avait attendu un dernier forfait pour se résoudre à frapper le coup, elle tire de son sein le couteau et le plonge, avec une force surnaturelle , jusqu’au manche dans le cœur de Marat. Charlotte retire du même mouvement le couteau ensanglanté du corps de la victime et le laisse glisser à ses pieds.

« À moi ! ma chère amie ! à moi ! », s’écrie Marat, et il expire sous le coup.»

Charlotte Corday est arrêtée par Simone Évrard, la conjointe de Marat, et ses gens de maison. Charlotte, protégée contre la foule, est transportée à l’Abbaye, prison la plus voisine de la maison de Marat, pour fouille et interrogatoire.
Le 16 juillet 1793, à huit heures du matin

Transfert de la prison de l’Abbaye à celle de la Conciergerie de la jeune Charlotte Corday (1768-1793) qui a assassiné Jean-Paul Marat (1743-1793) le 13 juillet 1793.
Lors de son interrogatoire, Montané ne peut que constater que l’accusée, non seulement reconnaît les faits, mais surtout les revendique.
Il cherche avant tout à savoir si elle a des complices, notamment les girondins réfugiés à Caen. Le président est persuadé qu’une jeune fille est incapable de préméditer un tel crime sans y avoir été poussée par d’autres.
A quoi elle répond :
« C’est bien mal connaître le cœur humain. Il est plus facile d’exécuter un tel projet d’après sa propre haine que d’après celle des autres.»
Le 17 juillet 1793
Montané, le président du tribunal est secondé par les juges Ardouin, Foucault et Roussillon.
Les membres du jury, tous choisis par la Convention et parmi les Jacobins les plus dévoués, ont pour noms : Brochet, Chrétien, Dix-Août, Duplain, Falot, Fualdès, Godin, Jourdeuil, Rhoumin et Sion.
Elle réclame pour avocat Louis-Gustave Doulcet de Pontécoulant (1764-1853), député girondin réfugié à Caen. Il ne viendra pas, le temps étant trop court pour rejoindre la capitale avant le procès.

Une tradition persistante explique que c’est Fouquier-Tinville qui aurait retardé volontairement l’envoi du courrier. Peut-être que la simple mention du nom de l’accusateur public ou l’idée de se retrouver devant le tribunal ait suffisamment effrayé Pontécoulant, les girondins étant désormais considérés comme «traîtres à la patrie».
Charlotte Corday écrit à celui qu’elle considérait comme un ami une dernière lettre sur le trajet de sa charrette la menant à l’échafaud… On lui donne alors d’office un simple homme de loi le citoyen Guyot quand le président Montané se ravise pour un véritable avocat, Claude-François Chauveau-Lagarde (1756-1841).

Celui-ci ne peut malheureusement pas grand chose pour la jeune fille qui revendique son crime, à moins de trouver légitime l’assassinat de Marat, sacré pour les jacobins à plusieurs titres, en tant que député de la Convention et donc représentant de la nation souveraine mais aussi par son journal L’Ami du Peuple qui lui apporte une popularité considérable auprès des sans-culottes et des montagnards les plus acharnés.
L’avocat peut donc difficilement défendre sa cliente sans partager ses vues d’avoir agi par sacrifice en éliminant un monstre qui appelait régulièrement aux meurtres de masse !
A moins de risquer sa vie à son tour…
Une lettre de l’accusée à son père du 16 juillet, interceptée, ne fait que renforcer l’idée des jurés d’avoir affaire à une criminelle qui a agi avec préméditation :
« Pardonnez-moi, mon cher papa, d’avoir disposé de mon existence sans votre permission. J’ai vengé bien d’innocentes victimes, j’ai prévenu bien d’autres désastres. Le peuple, un jour désabusé, se réjouira d’être délivré d’un tyran. Si j’ai cherché à vous persuader que je passais en Angleterre, c’est que j’espérais garder l’incognito, mais j’en ai reconnu l’impossibilité. J’espère que vous ne serez point tourmenté. En tout cas, je crois que vous auriez des défenseurs à Caen. J’ai pris pour défenseur Gustave Doulcet : un tel attentat ne permet nulle défense, c’est pour la forme. Adieu, mon cher papa, je vous prie de m’oublier, ou plutôt de vous réjouir de mon sort, la cause en est belle. J’embrasse ma sœur que j’aime de tout mon cœur, ainsi que tous mes parents. N’oubliez pas ce vers de Corneille :
Le Crime fait la honte, et non pas l’échafaud !
C’est demain à huit heures, qu’on me juge. Ce 16 juillet. »
Sans surprise, Charlotte Corday est condamnée à mort le jour même, vêtue d’une chemise rouge réservée aux parricides.
Le président Montané aurait voulu la faire passer pour folle et l’enfermer à la Salpêtrière. Mais il a dû se soumettre à Fouquier-Tinville.

Montané est considéré par ce dernier comme peu sûr. Il est alors destitué et remplacé par Martial Amant Joseph Herman (1759-1795) né dans le Pas-de-Calais et depuis septembre 1792 président du tribunal d’Arras. Ville d’origine de Robespierre, celui-ci voit le juge comme un homme probe, en qui il peut avoir confiance.


Le 18 juillet 1793
Le docteur Guillotin s’enfuit de Paris pour Arras, se sachant en état d’arrestation, trop proche des idées girondines. Dans cette ville de province, il pense être utile comme médecin des armées.
Le 27 juillet 1793
La Convention décrète la peine de mort contre les accapareurs, c’est-à-dire tous les commerçants, grossistes et détaillants qui ne déclareraient pas leurs stocks de première nécessité.


Le 28 juillet 1793
Le général Adam-Philippe de Custine (1742-1793), surnommé le général «Moustache», arrêté le 22 juillet et incarcéré à la prison du Luxembourg est transféré à la Conciergerie. Ancien commandant en chef des armées réunies du Nord et des Ardennes, on ne lui a pas pardonné, malgré plusieurs victoires, les pertes de Valenciennes et Mayence alors qu’il menait une vie mondaine à Paris dans son hôtel luxueux.

On lui donne pour cellule l’ancienne salle du conseil proche de la salle des gens d’armes. N°7 sur ce plan :

Cette chambre, plutôt qu’un cachot est une petite pièce voûtée du rez-de-chaussée, basse et froide, toute suintante d’humidité. Elle prend jour par une fenêtre armée de lourds barreaux, située presque au niveau du sol de la cour des femmes.
Le sol de sa chambre est carrelé de rouge en briques sur champ. Sur les murs, on aperçoit encore les lambeaux d’un vieux papier bleu à fleurs de lys jaunes, rongé par le salpêtre.
C’est ici qu’une fois par an les messieurs du Parlement venaient écouter les plaintes des prisonniers. D’où le nom et le décor de cette pièce.

Le 1er août 1793, au matin
Suite aux revers militaires, le député Bertrand Barère (1755-1841) au nom du Comité de Salut Public prononce un discours à la Convention sur les mesures radicales à prendre contre les ennemis de la république, ceux de l’extérieur, comme ceux de l’intérieur :
« Envisageons nos malheurs avec sang-froid, et défendons-nous avec courage. Au dehors, Mayence, Condé et Valenciennes sont livrés à nos insolents ennemis.
Au dedans, la Vendée, le royalisme, les Capet et les étrangers leur préparent de nouveaux triomphes.
Au dehors, il faut de nouvelles dispositions relativement aux armées de la Moselle et du Rhin ; elles sont délibérées par le comité dans un arrêté secret pris hier au soir.
(…)
Après avoir disposé la défense extérieure, rentrons dans ces malheureux départements dont la gangrène politique menace de dévorer et d’anéantir la liberté. Nous aurons la paix le jour que l’intérieur sera paisible, que les rebelles seront soumis, que les brigands seront exterminés. Les conquêtes et les perfidies des puissances étrangères seront nulles le jour que le département de la Vendée aura perdu son infâme dénomination et sa population parricide et coupable. Plus de Vendée, plus de royauté ; plus de Vendée, plus d’aristocratie ; plus de Vendée, et les ennemis de la république ont disparu.Les événements de Mayence nous renvoient des garnisons longtemps exercées dans l’art des combats ; c’est une réserve de troupes exercées que les tyrans ne croyaient pas disposer pour la Vendée. Eh bien! c’est nous qui en disposerons sur-le-champ. Les ordres sont déjà donnes, en pressentant vos intentions d’après nos besoins ; mais, pour les accélérer, il faut un acte de votre volonté ; pour les exécuter il faut 3 millions. Que sont les dépenses faites pour la liberté ? Ce sont des trésors placés à une usure énorme. La liberté rendit toujours plus qu’on ne lui donna ; c’est un débiteur prodigue pour les créanciers audacieux, énergiques, qui lui confient leurs capitaux et leurs espérances.
Ordonnez que cette garnison se rendra en poste dans les forêts de la Vendée : l’honneur français les appelle ; le salut de la république leur commande ; et le retour de Mayence ne sera pas sans gloire, alors que la Vendée aura été détruite. (Cette proposition a été décrétée.)
(…)
Nous vous proposons de décréter les mesures que le comité a prises contre les rebelles de la Vendée ; et c’est ainsi que l’autorité nationale, sanctionnant de violentes mesures militaires, portera l’effroi dans ces repaires de brigands et dans les demeures des royalistes.
(…)
On cherche à détruire la république en assassinant, en décourageant, en diffamant, en calomniant les patriotes républicains ; ce sont ces hommes courageux qu’on veut abattre, comme si les principes républicains n’avaient pas déjà germé dans le cœur de tous les hommes honnêtes et qui ne sont pas insensibles au courage et à la vertu ; car la liberté ne peut convenir aux âmes lâches et corrompues.Français, prenez-garde : vos législateurs font de grands efforts ; leur courage a besoin de renaître tous les jours pour achever l’édifice de la république ; et dans dix jours il est consolidé, il est l’ouvrage de la nation ; il a une existence politique, une durée certaine, et la voix tonnante du peuple renversera tous les ennemis de cette constitution. Nous sommes donc au moment de voir l’ordre renaître, le règne des lois va commencer; la politique jouira de la stabilité nécessaire, et vous pourrez enfin respirer.
Si, au contraire, on pouvait parvenir à détruire les fondations de la république, ou à décourager les républicains, que vous reste-t-il ? Trois ou quatre factions royales divisant les citoyens, déchirant les familles, dévorant les départements, fédéralisant les divisions territoriales, et les puissances étrangères triomphantes au milieu de tant de crimes et de factions diverses, pour vous déshonorer, vous égorger ou vous asservir, comme les Polonais, dignes d’un meilleur sort.
L’une de ces factions, avec l’Espagne et quelques nobles, voudra de la régence d’un frère de notre ancien tyran.
Une autre, avec de misérables intrigues, excitera l’ambition d’une autre branche de Capet.
Une troisième reportera, avec l’Autriche, ses espérances vers un enfant.
Une dernière, atroce, avare, corruptrice et aussi politique qu’immorale, se liguera dans le Nord, pour rappeler à la France qu’un Anglais déshonora jadis le sol français en usurpant son trône.C’est ainsi qu’en s’éloignant de la république, ce qui restera de bien vil, de bien lâche, de bien égoïste parmi les Français, ne se battra plus que pour le choix d’un maître, d’un tyran, et demandera à genoux aux puissances étrangères de quelle famille, ou plutôt de quel métal elles veulent leur faire un roi.
Loin de nous, citoyens, un aussi profond avilissement ! Dans dix jours la république est établie par le peuple, et tous les Tarquin doivent disparaître.
Nous vous proposons de déporter loin des terres de la république tous les Capet, en exceptant ceux que le glaive de la loi peut atteindre et les deux rejetons de Louis le conspirateur : ce sont là des otages pour la république.Ici s’applique la loi de l’égalité. Ce n’est pas à des républicains à maintenir ou à tolérer les différences que la superstition du trône avait établies. Les deux enfants seront réduits à ce qui est nécessaire pour leur nourriture et l’entretien de deux individus. Le trésor public ne se dissipera plus pour des êtres qu’on crut trop longtemps privilégiés.
Mais derrière eux se cache une femme qui a été la cause de tous les maux de la France, et dont la participation à tous les projets conspirateurs et contre-révolutionnaires est connue depuis longtemps. C’est elle qui a aggravé par ses déprédations le dévorant traité de 1756 ; c’est elle qui a pompé la substance du peuple dans le trésor public, ouvert à l’Autriche ; c’est elle qui, depuis le 4 mai 1789 jusqu’au 10 août 1792, ne respira que pour l’anéantissement des droits de la nation ; c’est elle qui prépara la fuite de Varennes, et qui alimenta les cours de toute sa haine contre la France. C’est à l’accusateur public à rechercher toutes les preuves de ses crimes. La justice nationale réclame ses droits sur elle, et c’est au tribunal des conspirateurs qu’elle doit être renvoyée. Ce n’est qu’en extirpant toutes les racines de la royauté, que nous verrons la liberté prospérer sur le sol de la république. Ce n’est qu’en frappant l’Autrichienne que vous ferez sentir à François, à Georges, à Charles et à Guillaume les crimes de leurs ministres et de leurs armées.
Une dernière mesure, qui tient à la révolution, tend à augmenter le patrimoine public des biens de ceux que vous avez mis hors de la loi. En les déclarant traîtres à la patrie, vous avez rendu un jugement ; la confiscation est une suite de ce jugement, et le comité a pensé que vous deviez la prononcer. Le temps de la révolution est celui de la justice sévère : le fondement des républiques commence par la vertu inflexible de Brutus.
Enfin, il a pensé que, pour célébrer la journée du 10 août qui a abattu le trône, il fallait, dans le jour anniversaire, détruire les mausolées fastueux qui sont à Saint-Denis. Dans la monarchie, les tombeaux même avaient appris à flatter les rois. L’orgueil et le faste royal ne pouvaient s’adoucir sur ce théâtre de la mort ; et les porte-sceptre, qui ont fait tant de maux à la France et à l’humanité, semblent encore dans la tombe s’enorgueillir d’une grandeur évanouie. La main puissante de la république doit effacer impitoyablement ces épitaphes superbes, et démolir ces mausolées qui rappelleraient encore des rois l’effrayant souvenir. (Toutes ces propositions ont été décrétées.) Citoyens, voilà les mesures que les circonstances commandent. »
(…)
Ces solutions extrêmes pour assurer la sécurité nationale étant bien plus faciles à mettre en place à Paris plutôt qu’en Vendée et surtout contre l’Angleterre, la Convention décide la destruction officielle de la nécropole des Rois de France à Saint-Denis, ainsi que de réduire au strict minimum l’entretien des princesses enfermées au Temple. Cette dernière décision ne concerne pas encore le jeune Louis XVII, aux mains du cordonnier Simon, protégé de Robespierre et de la Commune.
Après ces résolutions qui paraissent bien dérisoires face au danger de l’invasion, la Convention joue une dernière carte, espérant effrayer suffisamment les puissances ennemies, notamment l’Autriche :
« Marie-Antoinette est renvoyée au tribunal extraordinaire ; elle sera transférée sur le champ à la Conciergerie.»
A midi
Le commandant de la force armée de Paris, François Hanriot (1759-1794) se rend au Temple pour en vérifier le degré de sécurité.
Ses manières brusques heurtent les princesses à qui il rend visite, passant son temps à jurer.
Il prend de nouvelles mesures et met pour ainsi dire en état de siège l’enclos entier.

A huit heures du soir
L’artillerie est mise en place dans la cour du palais du Temple, les troupes sont debout toute la nuit. Pendant ce temps à la Conciergerie, Madame Richard, épouse du concierge dit après dîner à sa servante Rosalie Lamorlière (1768-1848) :
« Rosalie, cette nuit, nous ne nous coucherons pas; vous dormirez sur une chaise; la Reine va être transférée du Temple dans cette prison-ci.»
Un porte-clefs, Louis Larivière, vingt-cinq ans environ, est dépêché vers le tapissier de la prison résidant cour de la Sainte-Chapelle, Bertaud, et lui demande un lit de sangle, deux matelas, l’un de crin et l’autre de laine, un traversin, une couverture légère, un fauteuil en canne servant de garde-robe et un « bidet de basane rouge garni de sa seringle » ; le tout est neuf.
Madame Richard ajoute une table et deux chaises de paille. Ancienne marchande de toilettes, elle n’est pas très bien élevée selon Rosalie qui avait travaillée jusque-là pour madame Beaulieu, mère d’un comédien célèbre, mais elle a du goût, permettant d’apporter quelques menues douceurs à la Reine déchue. Elle permet à Rosalie d’apporter un tabouret d’étoffe venant de sa chambre afin de compléter le maigre mobilier. Elle met au lit ses propres draps, les plus fins.

Madame Richard et Rosalie n’ont plus qu’à attendre.
Le 2 août 1793, à une heure et quart du matin
L’administrateur des prisons, Jean-Baptise Michonis (1735-1794), ancien limonadier résidant dans le quartier de la Halle, suivi des policiers Froidure, Marino et Michel se rendent à leur tour au Temple munis de l’arrêté pris la veille par le conseil général pour exécuter le décret de la Convention envoyant Marie-Antoinette devant le tribunal criminel extraordinaire et prescrivant sa translation immédiate à la prison de la Conciergerie.

Ils sont accompagnés de vingt gendarmes.
Le chevalier de Rougeville témoignera plus tard que :
« Michonis était porté de cœur pour la Reine.»
Madame Royale raconte cette nouvelle nuit d’horreur pour elle et sa famille :
« Le 2 d’août, à deux heures du matin (sic), on vint nous éveiller pour lire à ma mère un décret de la convention qui ordonnoit que sur réquisition du procureur de la commune, ma mère seroit conduite à la conciergerie pour qu’on lui fasse son procès.
Ma mère entendit ce décret sans s’émouvoir ; ma tante et moi nous demandâmes tout de suite de suivre ma mère, mais comme le décret ne le disoit pas, on nous le refusa.
Ma Mère fit le paquet de ses hardes ; les municipaux ne la quittèrent pas, elle fut obligée de s’habiller devant eux. On lui demanda ses poches, qu’elle donna ; ils les fouillèrent, ôtèrent tout ce qui étoit dedans, quoique cela ne fût point du tout important, en firent un paquet qu’ils dirent qu’on ouvriroit au tribunal révolutionnaire devant ma mère. Ils ne lui laissèrent qu’un mouchoir et un flacon, de peur qu’elle ne se trouva mal.
Ma mère partit enfin après m’avoir bien embrassée et m’avoir recommandé d’avoir du courage et soin de ma santé. Je ne répondis [rien] à ma mère, bien convaincue que je la voyois pour la dernière fois.Ma Mère s’arrêta encore au bas de la Tour, parce que les municipaux firent un procès-verbal pour se décharger de sa personne.
En sortant, ma Mère s’attrapa la tête au guichet, ne le croyant pas si bas ; elle ne se fit pourtant pas beaucoup de mal ; ensuite elle monta en voiture avec un municipal et deux gendarmes.(Une autre édition des mémoires de la princesse écrit : «En sortant, elle se frappa la tête au guichet, ne pensant pas à se baisser. On lui demanda si elle s’était fait mal. _Oh non, répondit-elle, rien à présent ne peut me faire du mal.»)»
Journal de ce qui s’est passé à la tour du Temple

Un fiacre où Elle prend place L’attend au perron du palais du Temple. Deux policiers et deux municipaux restent près d’elle.
Une deuxième voiture transporte Michonis et les autres policiers. Les gendarmes escortent les voiture qui traversent les rues du Temple, de la Tixanderie, de la Coutellerie, Planche-Mibray, le pont Notre-Dame, les rues de la Lanterne et de la Vieille Draperie pour rejoindre l’île de la Cité et son Palais.
On conçoit l’angoisse de Marie-Antoinette, seule en pleine nuit au milieu de ces hommes qui pour la plupart la haïssent.
La voiture pénètre enfin la cour de May, celle que Son propre époux avait entièrement remise à neuf.

A deux heures quarante du matin
Marie-Antoinette descend les marches du petit escalier à droite du grand perron, pénétrant dans la petite cour précédant le guichet.

La Reine ne remontera ces marches que lorsqu’elle partira pour l’échafaud. Le porte-clefs Larivière ouvre.

Pâtissier de métier, il a été apprenti au château de Versailles, placé par le duc de Penthièvre pour qui travaille son père pour l’Amirauté (dont le siège se situe au Palais). Il est ensuite recruté par le concierge Richard.
Les Larivière ont un logement à la Conciergerie.

Larivière est ébloui par l’arrivée de cette belle et grande dame en qui il reconnaît vite l’ancienne Reine de France. Elle franchit le premier guichet. Il s’agit d’une porte percée dans une plus grande et garnie sur le bas d’une pierre, obligeant le prisonnier à la fois de lever la jambe et de baisser sa tête ; système qui oblige les prisonniers tentant de s’enfuir à ralentir leur allure.

Contrairement aux prisonniers ordinaires, Marie-Antoinette ne passe pas par le greffe pour y être enregistrée. Y est assis dans un fauteuil le concierge Richard, dont la charge très prestigieuse au Moyen-Âge et à la Renaissance, a depuis, beaucoup perdu de sa superbe.

En face, Marie-Antoinette aperçoit peut-être, mais compte tenu de l’heure et de sa mauvaise vue, une buvette où se réunissent les avocats.
Au même moment, madame Richard réveille Rosalie qui s’était endormie dans un fauteuil. Il leur faut rejoindre la cellule préparée pour la ci-devant Reine. Elles n’oublient pas d’emporter chacune un flambeau. Marie-Antoinette toujours escortée par les policiers, municipaux et gendarmes, traverse plusieurs corridors.

Un deuxième guichet puis un troisième ferment un corridor qui sert d’antichambre à la prison.
Un quatrième muni d’une forte grille donne sur le corridor central de la prison. De larges baies donnant sur la cour des Femmes éclairent cette espèce de puits de forme irrégulière, dominé par les larges constructions anciennes du Palais.
Entre le troisième et quatrième guichet, un corridor sombre s’enfonce à gauche et conduit à une pièce carrée, éclairée sur la cour des Femmes par deux croisées basses.
C’est là qu’entre Marie-Antoinette, entourée de Sa forte escorte.


Rosalie est surprise en pénétrant dans la cellule de voir autant de monde : gendarmes, officiers, administrateurs … Tous se parlent bas les uns aux autres. Le jour commence à pénétrer doucement à travers les barreaux des fenêtres très hautes.

Contrairement aux usages, c’est dans cette cellule que le guichetier Lui demande de décliner Son identité. Elle répond froidement :
«Regardez-moi.»


Elle devient la prisonnière n°280. Le concierge Richard l’inscrit puis rédige l’inventaire du maigre bagage qu’elle a apporté avant de le mettre sous scellé. Ces formalités remplies, tout le monde se retire, hormis la concierge et sa servante. Le jour commence à pénétrer doucement à travers les barreaux de la fenêtre très haute.



Rosalie se souvient :
« Il faisait chaud. Je remarquai les gouttes de sueur qui découlaient sur le visage de la Princesse. Elle s’essuya deux ou trois fois avec son mouchoir. Ses yeux contemplèrent avec étonnement l’horrible nudité de cette chambre ; ils se portèrent aussi avec un peu d’attention sur la concierge et
sur moi. Après quoi, la Reine, montant sur un tabouret d’étoffe que je lui avais apporté de ma chambre, suspendit sa montre à un clou qu’elle aperçut dans la muraille, et commença de se déshabiller pour se mettre au lit. Je m’approchai respectueusement et j’offris mes soins à la Reine. « Je vous remercie, ma fille, me répondit-elle sans aucune humeur ni fierté, depuis que je n’ai plus personne je me sers moi-même. » Le jour grandissait. Nous emportâmes nos flambeaux, et la Reine se coucha dans un lit bien indigne d’elle, sans doute, mais que nous avions garni, du moins, de linge très fin et d’un oreiller.»

Il est peu probable que Marie-Antoinette ait beaucoup dormi, après une telle nuit de calvaire, se retrouvant dénuée de tout, éloignée de ceux qu’elle aime et sachant très bien qu’elle se retrouve dans «l’antichambre de la mort ».

Malgré le grand ménage fait par madame Richard et Rosalie, Marie-Antoinette ne peut que sentir les odeurs d’urine et de tabac des gardiens et soldats dans les corridors.
Le 2 août au matin
Deux gendarmes s’installent dans la partie gauche de la cellule. Il est difficile de savoir s’ils ont toujours été les mêmes. Les sources nous donnent les noms de Gilbert et François Dufresne, maréchal des logis.
Selon l’historien Lenotre, il est vraisemblable que plusieurs gendarmes se soient relayés, retrouvant notamment les noms de Prud’homme et Lamarche. Cependant, la plupart des historiens ne suit pas cette piste.


Ce ne sont pas des hommes particulièrement désagréables, restant derrière un paravent permettant une relative intimité à la prisonnière. Mais ils fument toute la journée et l’odeur de tabac incommode la Reine, boivent chaque jour deux à trois litres de vin et consomment pour 2 livres 5 sols d’eau-de-vie. Ces hommes sont donc dans un état d’ivresse constant.

Cela ne les empêche pas d’apporter régulièrement des fleurs, des oeillets surtout, mais aussi de la tubéreuse et des juliennes.


Marie-Antoinette peut les observer jouer aux cartes, au piquet ou au jacquet, seuls passe-temps qu’ont ces hommes chargés de la surveiller. Elle s’occupe à les regarder, à se rappeler les folles parties auxquelles elle participait dans sa jeunesse…

On lui ajoute madame Larivière, mère du porte-clefs, comme femme de chambre.
Rosalie nous dit que celle-ci avait quatre-vingt ans mais il est plus vraisemblable qu’elle l’ait vieillie de beaucoup, les jeunes gens voyant les personnes d’un certain âge beaucoup plus vieilles qu’elles ne le sont vraiment.
Michelle Sapori dans son Rougeville de Marie-Antoinette à Alexandre Dumas, Le Vrai Chevalier de Maison-Rouge orthographie son nom Rivierre et la dit âgée d’entre cinquante et soixante ans.
Il ne faut pas oublier non plus que Rosalie était illettrée et que son récit est de seconde main, rédigé des décennies plus tard par le premier biographe de la Reine Lafont d’Aussone, qui a plus cherché à créer une hagiographie que retracer la vraie vie de Marie-Antoinette.

Madame Larivière a été au service du duc de Penthièvre durant une trentaine d’années. Lui-même Grand Amiral de France, il l’a placée comme concierge de l’Amirauté qui siégeait jusqu’en 1789 auprès de la grande table de marbre du Palais. Son fils (ou petit-fils selon les sources) avait été pour sa part apprenti pâtissier à la Bouche du Roi à Versailles.
De quoi soulager Marie-Antoinette qui trouve en ces deux individus des anciens serviteurs de la monarchie, même si très éloignés de sa personne. Madame Larivière s’aperçoit de l’état d’extrême dénuement dans lequel se retrouve la Reine qui a quitté le Temple sans pouvoir apporter de linge. Or Marie-Antoinette subit depuis quelques temps des pertes de sang de plus en plus importantes.
Et elle n’a qu’une seule robe, noire, celle avec laquelle elle est venue la veille.

La domestique réclame un demi-aune d’étamine afin de rapiécer la robe, rongée sous les deux bras et usée dans la partie inférieure. Elle sait que la concierge l’écoutera.
Son fils est également mis à contribution, en allant acheter du fil de soie, du fil ordinaire et des aiguilles. Pénétrant dans la cellule pour amener à sa mère ce qu’elle lui avait commandé, Marie-Antoinette le remercie d’un signe de tête. Néanmoins, elle demande à madame Larivière s’il est possible que son fils n’entre plus dans sa cellule vêtu en garde national, uniforme qui a fait trop de mal à sa famille.
Le porte-clef obtempère.
Madame Richard apporte le déjeuner à neuf heures. Elle entre dans la cellule afin de poser le repas, tandis que Rosalie reste à l’entrée, trop réservée pour oser s’approcher de celle qu’elle appellera toute sa vie «Madame». On ne sait si Marie-Antoinette fait attention à cette jeune fille dès le premier jour. En tout cas, elle la remarquera et l’appréciera rapidement.
Rosalie n’est pas au service de la Reine, mais à celui de la prison, assurant les repas des prisonniers, distribuer ceux-ci, le ménage dans les cellules et les corridors, le service des gendarmes et gardiens exigeants, seconder madame Richard. Ce qui n’est pas une mince affaire !
Michonis, administrateur des prisons, accepte les demandes de mesdames Richard et Larivière afin de fournir à la prisonnière le linge et quelques objets nécessaires. Rappelons qu’elle n’a plus qu’un mouchoir et un flacon de sel, ainsi que sa montre, la robe et son linge sur elle depuis la veille ! Elle conserve également sur elle deux bagues de diamant et son alliance. Le petit sac qu’elle s’était préparé lors de son transfert lui a été confisqué pour être remis au tribunal.

Mais Fouquier-Tinville refuse tout contact entre le Temple et la Conciergerie.
Michonis passe outre et envoie ses ordres au conseil du Temple.
Rougeville encore témoigne :
«Michonis en pleurait de douleur.»
Parallèlement, François Hüe (1757-1819), ancien huissier de la chambre du Dauphin, puis choisit comme valet par Louis XVI pour le servir au Temple, fait baron à la Restauration et premier valet de chambre de Louis XVIII a mis au point depuis presqu’un an une correspondance secrète avec madame Elisabeth afin de lui donner les nouvelles de l’extérieur.
Malgré sa sortie obligée du Temple peu de temps après l’incarcération de la famille royale, le valet affirme avoir continué son service à l’extérieur et fait le lien entre le Temple et la Conciergerie.
Il se met ainsi en relation auprès de madame Richard qu’avec la princesse, ils surnomment «Sensible« . Par cet intermédiaire, Marie-Antoinette reçoit quelques maigres nouvelles de ses enfants.
Madame Richard apporte le dîner à deux heures et demi. Elle s’occupe des repas de l’ensemble de la prison, aidée de sa servante Rosalie Lamorlière. Madame Richard profite sûrement de ce moment pour dire à la Reine, ou au moins à madame Larivière que Michonis fait tout son possible pour que les affaires demandées puissent arriver rapidement.
Le Temple et la Conciergerie ne sont guère éloignés l’un de l’autre, mais la lourdeur administrative ralentit le tout. Et Fouquier-Tinville sait très bien en jouer ! De quoi humilier davantage «la Veuve Capet » obligée de rester deux jours entiers dans son linge souillé.
Madame Richard n’ose pas lui prêter du linge, de peur de se compromettre.
Rosalie attend toujours sur le seuil. Marie-Antoinette aperçoit-elle pour la seconde fois cette attitude si remplie d’humilité ? Se dit-elle que la jeune fille a peur d’elle, le petit peuple ayant été abreuvé de portraits faisant de la ci-devant Reine un monstre ?

Le 3 août 1793
Le tissu reçu, madame Larivière se met au raccommodage de la robe noire.
Marie-Antoinette est la seule prisonnière de l’ensemble de la prison à qui il est interdit de sortir de Sa cellule, tous les autres prisonniers ayant le droit de se promener, soit dans la cour pour prendre l’air, soit à se rendre visite les uns les autres dans les cellules.

Les prisonniers, par la fenêtre qui donne sur la cellule de Marie-Antoinette peuvent ainsi l’observer, Lui parler. Soit à la soutenir car ils sont prisonniers pour leurs idées monarchiques, soit à L’insulter car ils La jugent responsable de leur incarcération.

On imagine mal madame Roland tenter la moindre conversation avec la Reine…
Le même jour, l’abbé Emery est écroué également dans la prison, en tant que prêtre réfractaire. Il reçoit de nombreuses visites de l’extérieur lui apportant ses habits sacerdotaux et autres objets liturgiques, lui permettant ainsi de continuer son ministère, le tout dans la plus grande tolérance de la part des geôliers. Ce prêtre ne sera libéré qu’au 9 Thermidor. Fouquier-Tinville et Robespierre refusent d’y toucher car il leur est en effet bien utile. Pouvant célébrer la messe tous les jours, apportant sa bénédiction ou les sacrements aux prisonniers, il est celui qui permet aux condamnés de partir pour l’échafaud l’âme tranquillisée.
Le 4 août 1793
Quelques affaires réclamées parmi l’ensemble de la garde-robe de la Reine laissée au Temple arrivent enfin : une redingote, une jupe en basin, deux paires de bas de filoselle, une paire de chaussette, le tout renfermé dans une corbeille entourée d’une serviette de coton rouge marquée d’un M.

Des bas à tricoter et les aiguilles ne lui sont pas donnés : on craint que la Reine «se fasse mal » avec les aiguilles. Cela reste largement insuffisant pour les besoins quotidiens de Marie-Antoinette.


Le 5 août 1793
Les administrateurs de police, Michonis en tête, écrivent de nouveau au Conseil du Temple :
« Nous, administrateurs au département de la police, après en avoir conféré avec le citoyen Fouquier-Tinville, accusateur public du tribunal révolutionnaire, invitons nos collègues les membres du conseil général de la Commune formant le conseil du Temple, à faire porter chaque jour deux bouteilles d’eau de Ville d’Avray à la veuve Capet, détenue à la maison de Justice de la Conciergerie, et sur la provision qui vient tous les jours de cette eau au Temple.
Nous les invitons également à envoyer à la veuve Capet trois fichus pris dans la garde-robe qu’elle a au Temple, ainsi que tout ce qu’elle fera demander par la citoyenne Richard, concierge de la Conciergerie, et à faire cacheter chaque bouteille du cachet du conseil du Temple.»
En effet depuis des années, Marie-Antoinette ne boit que de l’eau provenant d’une source coulant dans le village de Ville d’Avray, près de son domaine de Saint-Cloud.
La Fontaine du Roy, reconnaissable par un petit bâtiment à fronton triangulaire et œil-de-bœuf, est divisée en deux accès, l’un réservé au Roi et sa famille depuis 1684, l’autre au public.

L’eau commune, provenant de la Seine, la rendant malade, les membres de la Commune depuis son incarcération au Temple, jugent préférables de continuer de lui fournir cette eau, nécessaire à sa santé.
Fouquier-Tinville tolère aussi l’envoi supplémentaire de quatre chemises et une paire de souliers.
«Sensible» a-t-elle réussi à récupérer grâce à Madame Elisabeth des souvenirs précieux pour Marie-Antoinette comme une mèche de cheveux de son fils dont elle est séparée depuis le 3 juillet, ainsi qu’un petit portrait de celui-ci ?
Ou bien Marie-Antoinette avait-elle réussi à les dissimuler sous sa robe la nuit de son transfert ?

Le 6 août 1793
Sous prétexte de son âge, madame Larivière est renvoyée à son ancien poste de concierge de l’Amirauté. Elle venait tout juste de finir la robe noire.
La vieille femme est remplacée par la citoyenne Marie Devaux, trente-six ans, épouse d’un administratif du service de police François-Marie Harel, soixante-cinq ans . Elle loge donc elle aussi au Palais.
Cependant, la dame Harel ne doit plus quitter la prisonnière. Elle dira plus tard ne la laisser seule que pour se rendre au greffe quand elle a besoin de quelque chose pour la reine déchue. En outre, elle dort à quelques centimètres d’elle sur un lit tout près. Même pour ses besoins intimes, Marie-Antoinette n’est pas seule. Sachant qu’elle a des pertes de sang depuis son séjour au Temple, qui deviennent de plus en plus importantes. Elle dispose d’un bidet en basane rouge à cet effet.
Fouquier-Tinville la juge évidemment plus «sûre » que madame Larivière qui a travaillé toute sa vie pour un membre de la famille royale. C’est encore une épreuve supplémentaire de devoir supporter toute la journée et la nuit une femme qui n’est là que pour la surveiller et relater ses faits et gestes à l’accusateur public.

Marie-Antoinette préfère l’ignorer superbement, ne s’adressant à elle que pour le strict minimum, ainsi qu’elle l’a toujours fait pour les personnes qu’elle méprise.
Pour rajouter à son malheur, les administrateurs décident le même jour de lui confisquer sa montre.
Cette montre commandée à la maison Bréguet lui a été offerte par Louis XVI au Temple, après avoir perdu toutes toutes celles plus ou moins précieuses laissées aux Tuileries, notamment celle que sa mère lui avait offerte à son départ de Vienne en 1770.


La tradition a longtemps confondu ces deux montres, à cause du témoignage de Rosalie. Celui-ci n’est pas entièrement faux et à rejeter dans son intégralité mais il faut savoir l’interpréter.
En effet, la servante relate une anecdote non seulement ancienne quand elle la raconte à Lafont d’Aussone puis à madame Simon-Vouet (en 1836), mais aussi peut-être trop compliquée à comprendre pour elle : cette montre a bien a été offerte à Marie-Antoinette, en souvenir de celle de sa mère.
Les jours suivants
Marie-Antoinette adresse ces mots à Rosalie, toujours en attente sur le seuil lorsque madame Richard apporte les repas :
« Approchez-vous Rosalie ; ne craignez pas.»
Si ses relations avec madame Richard sont bonnes, celles avec Rosalie meilleures, il n’en va pas de même avec la citoyenne Harel, toujours prompte à rappeler à autrui qu’il est interdit de témoigner de la compassion à la prisonnière.
Ainsi, le sieur Orens, vitrier du Palais est appelé par un porte-clés de la prison (Larivière ?) afin de remplacer deux carreaux d’une des fenêtres de la cellule de la Reine. Doit-on imaginer que les autres prisonniers trop curieux ont cassé ces carreaux afin de mieux observer la « ci-devant Reine » ? Est-ce accidentel ? Voulu ?

Le sieur Orens témoigne :
« Arrivé dans le grand vestibule, où j’appris qu’on allait me mener chez la Reine, j’éprouvais un saisissement de compassion, et je laissai là mon chapeau, afin de pouvoir me présenter avec plus de respect.
En entrant dans le cachot qui était une petite chambre basse d’environ 14 pieds en tout sens, je vis la Reine qui, les yeux baissés sur son ouvrage, était assise en avant de son lit. Deux gendarmes avec sabre et mousquet, étaient dans l’angle opposé, la face tournée vers la Princesse, et une femme ordinaire, assise entre la chaise de la Reine et la porte se mit à me regarder attentivement.
Comme je posais mon premier carreau dans l’un des vitrages, une harpe se fit entendre vers les étages élevés de la prison. Sa Majesté suspendant son travail, écouta l’instrument qui me parut lui plaire.« Monsieur le vitrier, me dit alors cette grande Princesse, croyez-vous que les sons de harpe qu’on entend viennent de quelque prisonnière ?
_Madame, répondis-je aussitôt, la personne qui joue de cet instrument ne dépend pas de la prison, c’est la fille de l’un des greffiers… » j’allais ajouter d’un des tribunaux de la Seine, mais la femme Harel, prenant son regard irrité, me fit un signe de commandement qui me contraignit au silence.
La Princesse comprit sur mon visage ce qu’on venait de m’ordonner. Elle n’ajouta aucune parole et baissa les yeux.»
(Déclaration du sieur Orens, Mémoire au Roi…, par Lafont d’Aussonne, 1825)
Il ne faut pas oublier que de nombreux mémoires de ce genre ont été écrits à la Restauration, à un moment où il était de bon ton de marquer son attachement à la cause royaliste.
D’autres actes de compassion de la part du personnel du Palais ne manquent pas et madame Richard n’hésite pas un jour à présenter son fils Fanfan à la Reine. On se demande pour quelle raison !
Faire bénir son enfant par la Reine ? Lui donner une occupation, elle qui a toujours raffolé des enfants depuis sa propre enfance ? Lui combler le manque de son propre fils ? En tout cas le remède est pire que le mal !
Rosalie est bouleversée à l’évocation de cette scène :
« La Reine, en voyant ce beau petit garçon, tressaillit visiblement ; elle le prit dans ses bras, le couvrit de baisers et de caresses et se mit à pleurer en nous parlant de M. le Dauphin, qui était à peu près du même âge : elle y pensait nuit et jour. Cette circonstance lui fit un mal horrible, madame Richard, quand nous fûmes remontées, me dit qu’elle se garderait bien de ramener son fils dans le cachot.»

On peut aussi penser au traumatisme du petit garçon !
Si madame Richard est très diligente et sensible, elle n’est pas non plus très fine pour avoir fait subir une telle scène à son fils et à la Reine.
Elle joue, comme la plupart des Français de cette époque, (comme ils le seront durant l’Occupation !) sur les deux tableaux : on ne peut lui reprocher de mal gérer sa prison (ou plutôt celle de son mari), obéissant scrupuleusement aux ordres de l’accusateur public ou de l’administrateur des prisons, parfois contradictoires entre eux, mais en même temps, si les temps changent, beaucoup de ses prisonniers, la Reine en premier, pourront se rappeler de ses bons soins et l’en récompenser en retour.

Née Marie-Anne Barassin, elle est probablement parente de Jean-Pierre Barassin, condamné pour vol pendant quatorze ans et qui obtient, sûrement grâce à l’entremise de madame Richard, d’effectuer sa peine à la Conciergerie plutôt qu’à Bicêtre où il avait été préalablement emprisonné. Il y joue le rôle de mouche et délateur auprès des prisonniers, tout en étant chargé de vider les eaux usées et d’effectuer les gros ouvrages.
Les pots de chambre vidés, madame Harel fait ensuite brûler du bois de genévrier afin d’éloigner les odeurs. Un poêle a été installé, certainement pour lutter contre l’humidité.
Tous les matins, madame Harel coiffe la Reine en un chignon mouvant auquel Elle ajoute un grand bonnet de deuil.

Marie-Antoinette demande à madame Richard s’il est possible de faire deux bonnets du grand, afin de pouvoir en changer.
Le travail fini, elle offre un linon batiste à Rosalie qui le conservera le reste de sa vie.
Pendant ce temps, à l’annonce de l’incarcération de la reine à la Conciergerie, Rougeville décide d’y monter le complot qui le rendra célèbre à jamais.
« Voyant la Reine parvenue jusque dans le dernier vestibule de la mort, je résolus de l’arracher du fond de son précipice ; et, pour cet effet, je voulus y descendre moi-même et me pénétrer du local par mes yeux.»
Lafont d’Ausonne, Mémoires secrets et universels des malheurs et de la mort de la reine de France
Dès ce moment, Rougeville envoie sa maîtresse Sophie Dutilleul s’approcher du couple Bault, concierges à la prison de la Force. Administrée elle aussi par Michonis, c’est un moyen jugé utile pour s’en approcher.
« ...elle confia à mon mari le dessein où elle était d’engager cet administrateur à introduire auprès de la reine un chevalier de Saint-Louis qui désirait lui offrir ses services. Michonis était remplis d’honneur et de zèle, il reçut favorablement ces propositions.»
Récit exact de ce qui s’est passé lors des derniers moments de captivité de la Reine, depuis le 11 septembre 1793 jusqu’au 16 octobre suivant, par la dame Bault, veuve de son dernier concierge, Paris, C. Ballard, imprimeur du Roi, 1817, p. 2-4.
Le 12 août 1793
Arrive enfin du Temple l’ensemble du linge réclamé par Michonis.
Rosalie n’a certainement jamais rien vu de plus beau :
«(…) on apporta du donjon un paquet que la Reine ouvrit promptement. C’était de belles chemises de batiste, des mouchoirs de poche, des fichus, des bas de soie ou de filoselle noirs, un déshabillé blanc pour le matin, quelques bonnets de nuit et plusieurs rubans de largeur inégale. Madame s’attendrit en parcourant ce linge, et se retournant vers madame Richard et moi elle dit : « A la manière soignée de tout ceci, je reconnais les attentions et la main de ma pauvre soeur Elisabeth. »»
Marie-Antoinette connaît enfin une petite joie, due aux soins donnés par sa belle-soeur.

Seul le linge a été jugé nécessaire, tout le reste des vêtements et accessoires est resté au Temple.
Cette dernière garde-robe de Marie-Antoinette a été établie en deux fois.
Lors de l’incarcération de la famille royale au Temple en août 1792, Louis XVI avait réussi à obtenir des fonds importants pour monter en linge et habits sa famille.
Marie-Antoinette, Sa belle-sœur et Sa fille peuvent encore se fournir chez mademoiselle Bertin. Trente couturières travaillent pour «la ci-devant Reine» : des redingotes de taffetas de Florence, couleur boue de Paris, des centaines de fichus, des bonnets de linon, des chaussures soulières puce, bleues ou grises, des fanchons, des pierrots de toile de Jouy ou de percale rose, des tours de linon pour robe-chemise, des sabots chinois, des chapeaux de castor en jockey...
Sans oublier les pâtes royales «pour l’entretien des tyrans« .
Le lendemain de la mort de Louis XVI, Marie-Antoinette obtient des habits de deuil pour elle, sa belle-soeur et ses enfants en disant :
« Mes pauvres enfants, vous c’est pour longtemps, moi c’est pour toujours.»

Elle obtient des robes «de grand deuille», des chaussures «de ciré», des jupons d’«histaly», un manteau de taffetas noir, un fichu et un jupon noirs, deux paires de gants de peau, deux serre-tête de taffetas noir et jusqu’à un éventail encore de taffetas noir. Là encore, fournis essentiellement par mademoiselle Bertin.
Si cela peut sembler aberrant, il ne faut pas oublier que la première livraison datait du mois d’août. En janvier, les princesses avaient toujours leurs robes estivales bien peu adaptées à la saison.
On comprend donc à quel point Elle s’est sentie «nue» en arrivant à la Conciergerie.
Pensons également qu’en cette période de chaleur _nous sommes en plein moins d’août_ Marie-Antoinette ne dispose pas d’éventail. Avec l’humidité et le renfermement, on imagine à quel point la Reine doit mal respirer !
Ne sachant où ranger ses affaires et madame Richard n’osant lui prêter une commode ou autre petit meuble, Rosalie apporte un carton à la Reine :
« qui le reçut avec autant de satisfaction que si on lui avait cédé le plus beau meuble du monde.»
Marie-Antoinette qui en effet avait eu toute sa vie à sa disposition les plus beaux meubles du monde…
Madame Saulieu, blanchisseuse ordinaire résidant près de l’Archevêché, est chargée de l’entretien du linge. Contrairement à une légende tenace, Rosalie n’a jamais lavé le linge de la Reine, il suffit de la lire !

Il est difficile d’imaginer l’ensemble du travail de la femme de chambre, car si elle ne lave pas son linge ni prépare ses repas, à part coiffer la Reine, l’aider à s’habiller et le raccommodage, il n’y a pas grand chose à faire et les journées sont longues. Marie Harel a avoué plus tard avoir joué avec les gendarmes.

La cour des femmes, entourées par deux étages de cachots de prisonnières, présente encore la fontaine où celles-ci lavent leur linge, une des tables de pierre où elles prennent leurs repas et le « coin des douze » dite des derniers adieux, endroit où les condamnés par groupe de douze attendent la charrette pour l’échafaud.
Août 1793
Les journaux jacobins, soucieux de montrer l’indulgence de la Révolution envers «les tyrans », racontent la vie de Marie-Antoinette dans sa prison, sous un jour très positif :
« Antoinette se lève tous les jours à sept heures et se couche à dix.(…) Elle mange avec beaucoup d’appétit ; le matin du chocolat et un petit pain ; à dîner de la soupe et beaucoup de viande, poulets, côtelettes de veau et de mouton : elle ne boit que de l’eau, ainsi que sa mère, dit-elle, qui ne but jamais de vin. Elle a quitté la lecture des révolutions d’Angleterre et lit actuellement Le voyage du jeune Anacharsis ; elle fait sa toilette elle-même, avec cette coquetterie qui n’abandonne point une femme au dernier soupir.»
Privée d’ouvrage comme elle l’a toujours aimé et qui constituait sa principale occupation au Temple, Marie-Antoinette doit se contenter de faire du lacet avec des gros fils arrachés de la tenture du mur.
Malgré les ordres, la suite des événements peut nous assurer que Marie-Antoinette a pu accéder aux aiguilles de sa femme de chambre. Elle aura, espérons-le pour elle, peut-être participer aux reprises nécessaires de son linge.
Les journées sont donc très longues pour elle. Elle se lève à sept heures et se couche à dix. Des horaires très différentes de Ses habitudes.
Elle «s’amuse» aussi à passer Ses bagues et alliance sur Ses doigts.
Quand Elle ne se sent pas observée, Elle sort discrètement le médaillon contenant le portrait de Son fils et une mèche de Ses cheveux et les embrasse.
On conçoit Son désespoir…
Marie-Antoinette échappe à Sa solitude grâce à la lecture. On ne sait s’il s’agit de madame Richard, son mari ou Michonis qui la fournit en livres. La diversité des titres, et leurs sujets pour certains très complexes, montrent qu’elle a été beaucoup plus lectrice que ne le veut la tradition. En effet, les titres que nous conservons montrent de nouveaux aspects de la personnalité de Marie-Antoinette :
- Les révolutions d’Angleterre: du père jésuite Pierre-Joseph d’Orléans (1641-1698) puis par François-Henri Turpin (1709-1799). Marie-Antoinette s’intéresse donc à l’Histoire européenne et a peut-être cherché à comparer les drames historiques avec sa propre situation.
- Un voyage à Venise : contrairement à ce que ce titre indique, ce n’est pas du tout une visite de la cité lacustre, mais la découverte dans cette ville de textes anciens grecs, dont le plus vieux de l’Illiade, par son auteur Jean-Baptiste-Gaspard d’Ansse de Villoison (1750-1805) entre 1778-1782. Un livre fondamental pour la philologie moderne !
- Voyage du jeune Anacharsis en Grèce par Jean-Jacques Barthélemy, dit l’abbé Barthélemy (1716-1795), oeuvre essentielle sur la connaissance de la Grèce ancienne, publiée en 1788.


Marie-Antoinette n’est donc pas «la tête à vents» comme La traitait son misogyne de frère Joseph II mais une femme érudite qui s’intéresse à l’Histoire, à la politique et aux études pointues sur la Grèce antique.
D’autres livres montrent son goût bien compréhensible pour l’évasion, «les aventures les plus épouvantables » comme elle le dit au concierge Richard :
- L’histoire des naufrages fameux : aucun renseignement à ce sujet.
- Les (trois) voyages du capitaine Cook : il s’agit d’extraits du journal de bord du célèbre explorateur (1728-1779), qui deviendront par la suite la base de l’expédition du capitaine de La Pérouse, commanditée et montée par Louis XVI.
- Robinson Crusoé ou « La Vie et les aventures étranges et surprenantes de Robinson Crusoé de York, marin, qui vécut vingt-huit ans sur une île déserte sur la côte de l’Amérique, près de l’embouchure du grand fleuve Orénoque, à la suite d’un naufrage où tous périrent à l’exception de lui-même, et comment il fut délivré d’une manière tout aussi étrange par des pirates. Écrit par lui-même» par Daniel Defoe en 1719. Contrairement à ce qu’indique ce long titre, l’auteur s’est librement inspiré de la vie du marin écossais Alexandre Selkirk. Il s’agit d’un des livres préférés du Dauphin Louis-Auguste, une des raisons de sa passion pour la marine et les grandes expéditions.


Non seulement tous ces livres montrent l’érudition de Marie-Antoinette, son goût pour l’aventure et les pays lointains mais aussi son désir de rendre hommage à son mari.
Comme le montrent la presse jacobine ou Rosalie, Marie-Antoinette ne manque pas de nourriture dans sa prison et certains n’hésitent pas à lui témoigner leur affection de cette manière :
« Richard s’empressoit néanmoins de courir les marchés pour lui procurer ce qu’il y avoit de meilleur. Un jour il s’adresse à une fruitière du pont Saint-Michel et lui demande le plus beau de ses melons, quoiqu’il coûte. « Quoiqu’il coûte, dit la bonne femme, c’est donc pour quelqu’un de grande importance? » – « Oh oui – de bien grande importance, ou du – moins qui l’a été ». – « Juste ciel c’est pour la Reine ! Elle renverse tous ses melons, choisit le meilleur, et supplie Richard de le porter à la Princesse sans que rien au monde pût l’engager à prendre de l’argent. Qu’avec un cœur comme celui qu’avoit Marie-Antoinette ce melon dut lui paroître délicieux! »
Ou plus loin :
«Sa Majesté mangeait avec assez d’appétit ; elle coupait sa volaille en deux, c’est-à-dire pour lui servir deux jours. Elle découvrait les os avec une facilité et un soin incroyables. Elle ne laissait guère de légumes, qui lui faisaient un second plat. Quand elle avait fini, elle récitait tout bas sa prière d’action de grâces, se levait et marchait. C’était pour nous le signal du départ.»

Si les gendarmes disposent d’un traiteur pour leurs repas, Marie-Antoinette est au régime presque ordinaire : ses repas coûtent quinze livres par jour, tandis que ceux de la dame Harel ne coûtent que trois livres, somme certainement plus proche des autres prisonniers.
Néanmoins, les gendarmes se plaindront plus tard que la viande servie à la ci-devant reine n’était que de la carne.
Faut-il croire que certains (les Richard, la dame Harel, d’autres encore ?) se servent au passage ?
Larivière raconte qu’en tant qu’ancien pâtissier (Lafont d’Aussone le retrouvera d’ailleurs exerçant ce métier à Saint-Mandé), il n’hésite pas à donner un coup de main à Rosalie aux cuisines, surtout lorsqu’il s’agit de préparer des plats pour la Reine.
Devant l’œil suspicieux d’un administrateur de police, il n’hésite pas un jour à renverser les petits pois prévus dans les cendres, de crainte que «ce méchant homme» n’empoisonne ce plat destiné à Marie-Antoinette.
Dès qu’il le peut, il remplace Rosalie souvent occupée ailleurs dans la prison afin d’apporter les repas à l’illustre prisonnière. Marie-Antoinette se contente d’un signe de tête, mais ne lui adresse pas la parole.
Encore une fois, il faut faire la part entre les témoignages larmoyants de l’époque de la Restauration où tous se déclarent fidèles serviteurs de la monarchie et la réalité plus prosaïque livrée par les traces administratives.
Régulièrement, différents administrateurs de la police visitent la prisonnière afin de constater son isolement. Mais le plus assidu reste Michonis qui vient la voir presque tous les jours.
On se rappelle son zèle pour récupérer le linge de la prisonnière, mais en plus de nouvelles du Temple, il lui amène aussi livres, menus objets de nécessité et même nourriture. Car d’après le témoignage d’un gendarme elle préfère encore jeûner plutôt que de s’abaisser à faire la moindre demande aux autres administrateurs.
Avec la complicité de Richard à qui ils doivent demander autorisation, Michonis, comme ses collègues n’hésitent pas à venir accompagner. Ainsi que le montre cet échange entre Marie-Antoinette et les enquêteurs de l’affaire de l’Œillet :
D. Ne voyez-vous personne dans la maison où vous êtes détenue?
R. Personne que ceux qu’on a placé auprès de moi, et des administrateurs qui sont venus avec des personnes que je ne connais pas.
D. N’avez-vous pas vu il y a quelques jours un ci-devant chevalier de Saint-Louis?
R. Il est possible que j’aie vu quelque visage connu, il en vient tant.
Marie-Antoinette, Amar, J. Sëvestre, Cailleux, Bax, secrétaire commis.
Premier interrogatoire du 3 septembre 1793
On ne peut que constater au mieux une terrible négligence de la part de ces hauts fonctionnaires, au pire de la corruption pure et simple.
Quand Marie-Antoinette affirme qu’elle n’a vu «personne» puis ensuite dit «il en vient tant», cela signifie des personnes qu’elle connaît. Mais il y a fort à parier que jamais elle n’aurait cité les noms des rares personnes de sa connaissance qui auraient réussi à l’approcher.
Les visiteurs donc défilent, de l’ennemi le plus farouche au fidèle le plus courageux, en passant par le simple curieux venu observé la reine déchue. Et forcément les témoignages pleuvent au début du siècle suivant.

Une demoiselle Fouché et l’abbé Magnin affirment à la Restauration avoir eu contact avec la Reine, à plusieurs reprises, lui permettant d’être entendue en confession. À l’heure dite, en effet, le prêtre peut descendre de sa chambre, située à l’étage supérieur, s’approcher du cachot de la Reine et, à travers la porte, l’entendre soupirer, s’entretenir quelques instants avec elle, lui donner enfin l’absolution, — après quoi il s’éloigne, sans être inquiété.
La scène est relatée par les gendarmes Lamarche et Prudhomme qui reçurent tous deux la communion de l’abbé Magnin lorsqu’il l’administra à la Reine. Il y a donc eu d’autres gendarmes que Gilbert et Dufresne.

Il est difficile de trancher, ce récit correspondant à l’idéal des moeurs de la Restauration et est avant tout une consolation pour la duchesse d’Angoulême.
S’il faut estimer indispensables les secours religieux apportés à la Reine de France, n’oublions pas qu’un prêtre incarcéré dans la prison, l’abbé Emery, a eu ce rôle auprès de tous les prisonniers le désirant, largement toléré par Fouquier-Tinville rassuré de voir ainsi ses victimes partir à l’échafaud doux comme des agneaux prêts au sacrifice.
Ce prêtre a pu très bien bénir Marie-Antoinette de sa fenêtre.

Une autre anecdote religieuse est évoquée par Lafont d’Aussonne : Marie-Antoinette, de la fenêtre de sa cellule voit dans la cour une religieuse en oraison. Elle dit à Rosalie faisant son lit : «Rosalie, considérez cette pauvre religieuse. Avec quelle ferveur elle prie le bon Dieu !»
Seulement, on se demande pourquoi Rosalie occupée au service de l’ensemble de la prison aurait fait le lit de Marie-Antoinette, celle-ci disposant d’une femme de chambre attitrée !
Michonis, responsable des prisons, n’a pas hésité depuis l’exécution de Louis XVI a emmené avec lui lors de ses inspections au Temple, de nombreux visiteurs dévoués à la Couronne : le médecin Brunier, pédiatre des Enfants de France, venu soigner Madame Royale puis le jeune Roi ; les fournisseurs des trousseaux de deuil dont Jeanne Bertin ; le peintre Kurcharsky qui fait le portrait de la Reine en veuve ; le chevalier de Jarjayes (1745-1822) envoyé par la Reine auprès des comtes de Provence et d’Artois puis qui a tenté une évasion en avril toute prête à réussir ; lady Atkyns (1757-1836) prête à échanger ses habits avec ceux de la Reine lui permettant ainsi de quitter la tour…
Marie-Antoinette n’envisage pas un instant de s’échapper de Sa prison sans Ses enfants, ni d’abandonner Sa belle-sœur qui a sacrifié sa liberté pour rester auprès de sa famille.
L’administrateur des prisons continue son manège à la Conciergerie. Comme madame Richard, il effectue avec zèle sa tâche que lui a accordé la Révolution, mais si par hasard, les choses changeaient, Marie-Antoinette saura lui témoigner sa reconnaissance…
Michonis lors des divers interrogatoires subis cite quelques noms de visiteurs mais il y a fort à parier qu’il cache d’autres noms plus compromettants :
« 1°Le citoyen Giroud maître de pension faubourg St-Denis :
Interrogatoire de Michonis du 3 septembre 1793
2° Le limonadier attenant la porte cochère faubourg St-Denis n° 10.
3° Un des commis qui demeure rue de la Juiverie et qui travaille à la comptabilité, dont j’ignore le nom.
4° Un autre; peintre dont je ne me rappelle pas le nom, et différentes autres personnes non connues qui me témoignant le désir de m’accompagner à la Conciergerie y sont venues avec moi parce qu’ils savaient que j’étais chargé de la partie des prisons et à plusieurs reprises différentes je les ai amenées.
D. En quel nombre les avez vous introduites?
R. Je n’en ai jamais amené qu’un seul à la fois, et toujours en la présence du concierge et de son épouse.»
Il est aberrant d’imaginer un administrateur de prisons amener des visiteurs auprès d’une prisonnière au caractère hautement politique et ignorer leur nom !
Cette fois-ci, Marie-Antoinette peut/doit s’enfuir sans ses enfants. Séparés, il est impossible d’organiser une évasion commune.
Lady Atkyns, vêtue d’un costume de garde national, réitère son offre d’échange. Elle aurait aussi laisser un billet dans un bouquet de fleurs, mais un municipal (Michonis lui-même ? un gendarme ?) tentant de s’en emparer, la courageuse actrice avale promptement le billet.
Cela ressemble trop à l’affaire de l’Œillet pour paraître tout à fait crédible.
Le même plan est prévu par Henriette Cannet qui tente de faire libérer ainsi son amie Manon Roland, à quelques mètres de la Reine. Par la suite, lady Atkyns fera son possible pour sortir Louis XVII du Temple, mais, semble-t-il, encore en vain.

D’autres femmes courageuses tentent également de se mettre en contact avec la Reine. Ces récits semblent encore moins réalistes et datent eux aussi de la Restauration, mais si une once de vérité s’y cachent, autant rendre hommage à ces personnes.
La femme du coiffeur Laboullée, résidant 83 rue de Richelieu que Marie-Antoinette aurait surnommée depuis toujours la petite Laboullée réussit à Lui rendre visite.
On ne sait comment Marie-Antoinette la connaît, Laboullée n’appartenant pas à la liste de Ses coiffeurs.
Madame Guyot, cheffe infirmière de l’hospice de l’Archevêché, tente avec le chirurgien de l’Hôtel-Dieu, monsieur Giraud de transférer la Reine dans leur hôpital, sous prétexte de son état de santé de plus en plus délabré.
Il n’empêche.
D’après la dame Harel :
«(…)tous ceux qui entrent lui font de l’effroi. »
Interrogatoire de la femme Harel du 3 septembre 1793
Rajoutant aussi que Marie-Antoinette lui a dit avoir été «mortifiée » au Temple.
Marie-Antoinette, depuis le 10 août 1792 ne peut craindre qu’une chose à chaque entrée de nombreuses personnes dans sa prison : être assassinée. Et cette crainte peut dater même depuis le matin du 6 octobre 1789.
Or Son transfert à la Conciergerie ne peut que Lui donner l’impression que l’étau se resserre sur Elle.
Le 15 ou le 20 août 1793
Dîner chez Pierre Fontaine, quarante-huit ans, à l’occasion de sa fête, rue de l’Oseille, quartier du Marais.
Sophie Dutilleul l’avait rencontré dès septembre 1792 lors d’une promenade sur le boulevard. Ils ont ensuite bu un café. Deux ans plus tard, le 13 mai 1795, le comité de sûreté général assurera qu’il fait commerce de faux assignats, passés par le jeu et dans les commerces.
Mieux : Pierre Fontaine est ami de Michonis depuis quatorze ans. Il est donc utile pour le plan de Rougeville, en plus des Bault approchés plus tôt.
Dix à douze personnes sont conviées, dont un député (deux diront les interrogatoires ultérieurs), Jean Sautereau (1741-1809), député de la Nièvre ayant voté la mort de Louis XVI.
Michonis déclarera plus tard :
« jamais ne soupçonne au cours de la conversation que Rougeville puisse être ni un contre-révolutionnaire ni même une homme incivique.
Michonis
Je ne l’ai jamais entendu rien dire, et il n’a parlé que des choses générales, et s’il avait dit quelque chose de contraire à la Révolution, je ne l’aurais pas souffert.»
Sophie Dutilleul, vraisemblement seul élément féminin de la compagnie, invite Pierre Fontaine pour la sainte Anne chez elle et joue de son charme pour inviter également Michonis qu’elle vient de rencontrer.
Le 25 août 1793
Lettre de Fouquier-Tinville au président de la Convention nationale :
Citoyen-Président
«Malgré les longueurs qu’entraîne l’affaire de Custine, le tribunal se trouve inculpé dans les journaux, et tous les lieux publics, sur ce qu’il ne s’est pas encore occupé de l’affaire de la ci-devant reine, de Brissot, de Vergniaud, etc. Il ne m’est parvenu aucune pièce de cette affaire, et je réitère qu’il n’est pas en mon pouvoir de donner suite à cette affaire, tant que je n’aurai pas reçu les pièces.»
Signé : Fouquier-Tinville
Le député de l’Isère Jean-Pierre André Amar (1755-1816), membre du comité de sûreté générale et de surveillance lui répond que la complexité de l’affaire, notamment par ses conséquences diplomatiques majeures, qu’il leur faut un plus grand recueil de pièces que la convention et le comité se feront un zèle de lui fournir.

A peu près dans la même semaine
Le porte-clefs Larivière témoigne qu’un prisonnier de la Conciergerie, l’ancien président du Parlement Gilbert-des-Voisins lui propose par l’entremise de son valet, dix-huit mille francs or s’il consent à le faire évader par le passage obscur de la chapelle qui tombe sous le petit escalier tournant donnant sur la cour extérieure de la Sainte Chapelle.
Certes, les conditions carcérales à la Conciergerie sont assez légères, mais Larivière n’est pas fou. Toutes les portes sont anciennes et leurs verrous énormes. Ouvrir l’une signifie un bruit considérable.
D’ailleurs, les événements prochains vont rendre ces conditions nettement plus sévères.
Le mardi 27 août 1793 , jour de la sainte Anne
Michonis retrouve Rougeville et Pierre Fontaine chez Sophie Dutilleul dans sa maison de Vaugirard mais aussi le couple Bault qui selon les propos de la dame durant la Restauration, est dans la confidence.
Suivant les divers interrogatoires subis par Sophie Dutilleul, nous pouvons plus ou moins reconstituer les moyens mis en place pour s’assurer de la complicité de Michonis :
«D. N’avez vous pas eu connaissance du complot formé entre Michonis et Rougeville d’aller chez la veuve Capet ?
R. Je n’en ai jamais entendu parler.
D. N’étiez-vous pas cependant à diner chez Fontaine ci-devant marchand de bois, où dînaient aussi Michonis et Rougeville?
D. Oui, j’y étais, ce fut moi qui y introduisis Rougeville que je ne connaissais pas, et qui demeurait chez moi comme locataire.
D. Ne fut-ce pas à ce diner et en votre présence que Michonis promit à Rougeville de l’introduire chez la veuve Capet?
R. Non, je me rappelle bien qu’à ce diner quelqu’un dont j’ai dit le nom au comité de surveillance, à ce que je crois, a dit à Michonis : Marie-Antoinette doit être bien changée et doit bien FUMER?»
A quoi Michonis a répondu: Mais elle est assez sans soucis, elle n’est guère changée, mais a les cheveux presque blancs. »
Et a signé avec nous
FEMME DUTILLEUL. –Arch. de l’emp., carton W 297, dossier 261, cote 2e.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine
Ce qui contredit le témoignage de Michonis :
«D. Vous rappelez vous l’époque ou il vous fit la demande chez le citoyen Fontaine de venir avec vous ?
R. Il y a environ quinze jours.
D. Vous fit-il cette demande tout haut ?
R. En présence de tout le monde, il y avait même trois députés à la Convention dont j’ignore le nom.»(Arch. de l’emp., carton W 297, dossier 261.)
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine
Il est impossible de trouver la vérité parmi tous ces témoignages car par définition, les interrogés avaient intérêt à mentir.
Ainsi, Michonis dans tous ses interrogatoires nie connaître le nom du chevalier de Rougeville, alors qu’il avoue avoir au moins dîner trois fois avec lui, notamment le trois septembre jour de l’enquête !
Le futur baron Hüe dit avoir reçu témoignage de François Paulmier, neveu de Pierre Fontaine, incarcérés l’un et l’autre à La Force quelques temps plus tard (Paulmier pour faux monnayage comme son oncle). Celui-ci se trouvait invité aux deux dîners :
«Ce doit être, dit monsieur de Rougeville, un étrange spectacle qu’une Reine et surtout une Reine de France, enfermée dans un cachot de la Conciergerie !
_Ne la connaissez-vous pas ? demanda le municipal.
_Non, répondit avec indifférence cet officier.
_Voulez-vous la voir ?, reprit le municipal, je peux vous faire entrer dans sa prison.M. de Rougeville ne montra aucun empressement. Les convives, qui étaient dans le secret, l’invitèrent à accepter cette proposition ; il y consentit.
L’heure fut prise pour le jour même. Dans l’intervalle, sous le prétexte que ce jour était la fête de la dame du logis, M. de Rougeville fit acheter un bouquet et le donna à cet officier, qui s’absenta pendant quelques instants ; il plaça avec adresse dans le calice de la fleur un papier roulé sur lequel était écrit : « J’ai à votre disposition des hommes et de l’argent.»
Souvenirs du Baron Hüe ([Reprod.]) / publiés par le baron de Maricourt, édition de 1903 en ligne, pp.150-151https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k46777r/f190.item
Il est difficile de savoir jusqu’où peut-on prêter foi au texte de Hüe qui n’est qu’un témoin de deuxième main. En effet, la suite diffère du reste de l’enquête ou des propos de Sophie Dutilleul. Qu’il dit maîtresse de Michonis et non de Rougeville qu’elle ne ferait que loger.
Le mercredi 28 août 1793
Michonis et Rougeville se donnent rendez-vous à la Mairie (ancien hôtel du premier président du Parlement transformé en hôtel de police). Ils se rendent de là à la Conciergerie.

On conçoit l’horreur de Rougeville qui tout en traversant les sombres corridors menant à sa cellule réalise ce que doit endurer la Reine. Enfin quand Michonis pousse la porte, Rougeville peut voir les gendarmes à leur table, jouant, la dame Harel occupée à son ouvrage et enfin la Reine, toujours aussi haute, toujours aussi majestueuse, mais tellement vieillie, tellement amaigrie, les cheveux blanchis, les yeux délavés et les joues creusées par les larmes ! Il ne L’avait pas revue depuis le 10 août 1792.

Marie-Antoinette reste impassible à la vue de Michonis. Elle l’a tellement vu lui ramener des voyeurs ou des exaltés dont les projets d’évasion ne sont que chimères… Et là Elle voit le nouveau visiteur. Elle sursaute, un cri manque de Lui échapper. Elle le reconnaît ! Profitant que Michonis élève la voix pour donner des nouvelles du Temple, Rougeville montre d’un signe l’œillet à sa boutonnière, détache cette fleur et la jette derrière le poêle. Ni Michonis, ni les gendarmes, ni la dame Harel ne s’en aperçoivent.
Rougeville reprend son air indifférent, faisant mine d’écouter les paroles de Michonis. Il sait que Marie-Antoinette n’a pas compris le message et tente de Lui parler discrètement. Il Lui dit de ramasser l’œillet tombé et Marie-Antoinette s’exécute aussitôt.

Personne dans la pièce n’a entendu l’échange. Les gendarmes ont seulement remarqué chez la Reine une vive émotion, des larmes Lui couler, Son visage changeant de couleur et Ses membres tremblants.
Ils pensent alors que cela est dû aux nouvelles données de Ses enfants. La dame Harel affirme que c’est l’attitude habituelle de Marie-Antoinette lors de chaque visite, tant elle a peur.
Lorsque les deux hommes sortent, d’une voix émue, Marie-Antoinette fait mine de s’adresser à Michonis :
«Je vous fais donc un adieu éternel.»
Michonis supris tente de la rassurer :
« Point du tout, si je ne suis plus administrateur de la police, étant officier municipal, j’aurai le droit de venir et de vous faire visite tant qu’elle vous sera agréable.»
Mais Marie-Antoinette s’adresse en réalité à Rougeville, n’ayant pas encore pu regarder ce que contient l’œillet. Michonis part donc tout content et flatté.
Une fois sortis de la cellule, Rougeville ne doutant plus de la réussite de ses projets, doit continuer à suivre Michonis lui faire les honneurs de la prison. Dans la cour des Femmes, les deux hommes regardant les sombres bâtiments et les prisonniers inquiets, Gilbert appelle de la fenêtre l’administrateur des prisons. Il lui donne quelques réclamations faites par la prisonnière au sujet de la nourriture. Michonis donne ses ordres, puis dit au revoir à madame Richard et sort enfin.

Pendant ce temps, Marie-Antoinette se sachant observée par les gendarmes, doit trouver un moyen pour relever l’œillet. En entendant les voix de Michonis et Rougeville dans la cour des Femmes, elle profite de l’occasion et parle à Gilbert de ses réclamations concernant la nourriture. Le gendarme à la fenêtre, Elle se baisse, ramasse la fleur et voit qu’elle contient un billet.
Profitant ensuite que Marie Harel et les gendarmes jouent aux cartes, elle se cache derrière son paravent, déplie le papier et lit :
« Ma protectrice, je ne vous oublierai jamais, je chercherai toujours le moyen de vous marquer mon zèle ; si vous avez besoin de trois à quatre cents louis pour ce qui vous entoure, je vous les porterai vendredi prochain.»
Vite, elle déchire en cent morceaux le billet de Rougeville et sur sa toilette prend un bout de chiffon et une épingle et trace quelques mots qui pourraient être :
« Je suis gardée à vue, je ne parle à personne; je me fie à vous; je viendrai »
André Castelot rapporte que le billet piqué d’épingles aurait été « traduit » bien plus tard mais il est tellement perforé que la phrase transcrite en clair doit être prise avec la plus extrême circonspection …

La prisonnière demande ensuite à Sa femme de chambre de Lui apporter un verre d’eau. Aussitôt Marie Harel part aux cuisines.
Marie-Antoinette, gagnée par l’émotion, s’approche du gendarme Gilbert et lui dit :
« Voyez comme je suis tremblante ; ce particulier que vous venez de voir est un ci-devant chevalier de Saint-Louis, employée aux armées auquel je suis redevable de ne pas m’avoir abandonnée dans une affaire très périlleuse. Vous ne vous douteriez pas de la manière dont il s’y est pris pour me faire passer un billet ; il m’a fait signe de l’œil et, ne comprenant pas ce qu’il voulait exprimer, il s’est approché de moi et m’a dit à voix très basse : «Ramassez donc l’œillet qui est à terre et qui renferme mes vœux les plus ardents ; je viendrai vendredi. » Et vous savez le reste. Après m’avoir ainsi parlé, je me suis baissée et j’ai relevé l’œillet qui m’était indiqué, dans lequel j’ai trouvé le billet qui renfermait le désir sincère du particulier.»
Extrait de l’interrogatoire du gendarme Gilbert du 3 septembre 1793
Et Elle lui montre son chiffon piqué par l’épingle :
« Voyez, je n’ai pas besoin de plume pour écrire.»
Elle lui dit alors qu’il s’agit d’une réponse qu’Elle remettra au visiteur le 1er septembre et le supplie de ne rien dire ou faire afin de ne pas compromettre le visiteur.

Le second gendarme n’est au courant de rien. Inquiet, Gilbert réussit à s’emparer du message écrit par Marie-Antoinette. Interloquée, Elle le laisse faire. C’est ce qu’il dira lors de son interrogatoire.
Dans son premier rapport, le gendarme dit que c’est Marie-Antoinette qui le lui remet, afin de l’apporter au visiteur encore présent dans la prison.
Marie-Antoinette lui précise-t-Elle que ce visiteur a de l’argent, beaucoup d’argent, et que L’aider pourrait lui être utile ? Gilbert se garde bien de l’avouer plus tard.
Il court jusqu’à madame Richard et lui raconte toute l’histoire. Elle prend à son tour le chiffon et l’enferme dans son portefeuille. Il lui demande si elle va prévenir Michonis. La concierge le rassure en disant qu’à l’avenir l’administrateur des prisons ne ramènera plus personne.
Quand Gilbert revient dans la cellule, Marie-Antoinette lui réclame son message. Il refuse de répondre. Alors Marie-Antoinette insiste, montre de l’humeur. Elle a subi trop d’émotions aujourd’hui.
Cette version fonctionne si c’est Gilbert qui lui a arraché le chiffon. Par contre si elle le lui a remis volontairement, elle doit forcément lui demander s’il a accompli sa mission.
De guerre lasse, quelle que soit la version, il lui explique que, par jeu, madame Richard lui a pris tout ce qu’il avait dans les poches et qu’il n’y a rien à craindre.
Gilbert raconte toute l’histoire à son collègue Dufresne.
Marie-Antoinette plongée dans l’incertitude mais aussi l’espoir, ne peut passer qu’une nuit encore plus difficile que les autres.

Le 29 août 1793
L’attente est longue pour Marie-Antoinette. Elle ne sait plus à qui se confier, certainement pas aux gendarmes, ne parle pas à madame Richard quand celle-ci lui apporte ses repas. La concierge de son côté, qui sait à peu près tout de l’affaire, ne dit rien pouvant la rassurer.

On peut imaginer une ambiance particulièrement pesante…
Le vendredi 30 août 1793
Michonis se présente à la Conciergerie. Seul, alors que Rougeville avait dit à Marie-Antoinette qu’il reviendrait ce vendredi.
Madame Richard, discrètement, lui explique la situation. La concierge est persuadée que l’administrateur a mis en contact un chevalier de Saint-Louis avec la Reine à son insu. Elle le rassure en lui disant que c’est elle qui conserve le billet écrit par Marie-Antoinette.
Michonis ne s’alarme pas en regardant le chiffon piqué de trous : il est illisible. Il promet à madame Richard de ne plus ramener personne.
Il fait ensuite comme à son ordinaire sa tournée d’inspection, rasséréné.

Parle-t-il à Marie-Antoinette ? On l’ignore…
Est-elle déçue de ne pas voir Rougeville ? Ceci si l’on se fie uniquement aux interrogatoires faits aux uns et aux autres protagonistes de l’affaire, Rougeville exclu.
Or celui-ci affirme qu’il est bien retourné à la Conciergerie, cette fois-ci avec un autre administrateur gagné à sa cause, le nommé Jobert ou Jaubert.
Là il lui offre 400 louis en or et 10 000 livres en assignats. De quoi largement corrompre Marie Harel, les gendarmes et les Richard. Michonis ne recevra jamais rien et s’y refuse. Ses collègues de la police ne sont pas aussi scrupuleux.
Il Lui demande surtout si Elle est en capacité physique de sortir de sa prison. Malgré son état physique délabré, elle se sent assez de force pour se libérer.
Cette deuxième visite n’existe que dans la version des faits donnée par Rougeville des années plus tard. Rien ne l’indique une seule fois dans les interrogatoires suivants. Sauf que les mesures prises par la suite montrent bien que les autorités ont réellement pris peur d’une possible évasion de « la veuve Capet » et pas d’une simple visite d’un ancien garde du corps venu lui apporter des fleurs, même avec un tendre billet.
C’est donc que Rougeville a fait bien plus.
Le 31 août 1793
Marie-Antoinette se trouve mal par deux fois.
La crainte d’un échec ?
La crainte de compromettre ceux auprès d’elle ?
La crainte que l’évasion réussisse et donc de laisser ses enfants et sa belle-sœur en otages ?
A dix heures du soir, Defresnes prévient son supérieur Louis-François de Busne, lieutenant de garde de la prison, précisant que la prisonnière a de la fièvre.
Celui-ci avertit Fouquier-Tinville seul habilité à faire envoyer un médecin.
Le dimanche 1er septembre 1793
Nouveau dîner entre Rougeville et Pierre Fontaine à Vaugirard. Ils se retrouvent en charmante compagnie avec Henriette Garnotel, épouse Desguillot, lingère de vingt-six ans et Françoise-Adélaïde Provot, ouvrière de dix-sept ans, toutes deux logées près de la porte Saint-Denis.
Les deux jeunes filles ont-elles été conscientes qu’elles ont eu un rôle à jouer dans le sauvetage de la Reine ? Difficile de le savoir.
Passer du bon temps est peut-être le meilleur moyen pour ces hommes de se donner du courage pour ce qui les attend le lendemain.
A la Conciergerie, le médecin Thiery examine Marie-Antoinette et Lui prescrit une :
« potion calmante, composée d’eau de tilleul, de fleurs d’oranger, de sirop de capillaire et de liqueur d’Hoffmann»
Archive nationale, W/151 dans SAPORI, Michelle, Rougeville de Marie-Antoinette à Alexandre Dumas, le vrai chevalier de Maison-Rouge, édition de la Bisquine,Paris, 2016, p. 134.
A quoi on Lui rajoute :
« un bouillon rafraîchissant avec maigre de veau, chair de poulet et plantes diverses.»
Archive nationale, F4/1319 dans SAPORI, Michelle, Rougeville de Marie-Antoinette à Alexandre Dumas, le vrai chevalier de Maison-Rouge, édition de la Bisquine,Paris, 2016, p. 134.
La nuit du 2 au 3 septembre 1793
Selon Rougeville, c’est à ce moment que tout se joue.
Marie-Antoinette, accompagnée du chevalier, de Michonis et des gendarmes de garde dans Sa chambre, sort de Sa cellule.
« Nous avions déjà passé tous les guichets et n’avions plus que la porte de la rue, lorsqu’un des deux gardes, à qui j’avais donné 50 louis en or, s’opposa avec menace à la sortie de la reine.»
Souvenirs du chevalier de Rougeville dans SAPORI, Michelle, Rougeville de Marie-Antoinette à Alexandre Dumas, le vrai chevalier de Maison-Rouge, édition de la Bisquine,Paris, 2016, p. 135.
Madame Royale relatera aussi cette histoire quelques années plus tard dans ses souvenirs. Par contre au moment des faits, elle et sa tante n’ont appris que la visite d’un chevalier de Saint Louis déposant un œillet contenant un billet près de sa mère.
En conséquence, les deux prisonnières du Temple sont encore plus mises au secret.
Alors que s’est-il passé ?
Lequel des deux gendarmes s’est finalement ravisé ?
Dans quel état peut se trouver Marie-Antoinette après un tel espoir déçu ?
Et pourquoi ne pas le faire taire ? Sans aller au crime non plus, ce que n’aurait jamais pu accepter Marie-Antoinette, l’assommer, le ligoter aurait pu largement être possible !
Et pourquoi ne pas en alerter ses supérieurs aussitôt ?
Le mardi 3 septembre 1793
Le gendarme Gilbert constate que ni Michonis, ni les Richard ne préviennent les autorités, et en particulier Fouquier-Tinville qui en temps normal n’ignore rien de ce qui se passe dans «sa» prison.

Le gendarme n’est pas à l’aise. Il souhaite se couvrir.
Il doit un rapport hebdomadaire à son supérieur. Il avoue. Du moins que la partie de la visite du chevalier et son oeillet. Certainement pas la presque évasion de la prisonnière.
« Mon colonel, dans un poste aussi délicat, je manquerais absolument à mon devoir de ne pas vous instruire sur des risques qu’il pourrait survenir par des entrevues de gens suspects qui s’introduisent chez la veuve Capet ; enfin pour vous mettre au fait et ne point me compromettre, ni mon camarade, ni le corps en entier, voici dans mon âme et conscience l’exacte vérité :
L’avant-dernière fois que le citoyen Michonis est venu, il y est venu avec un particulier dont l’aspect a fait tressaillir la femme Capet, qui m’a déclaré être un ci-devant chevalier de Saint-Louis ; mais qu’elle tremblait qu’il ne fût découvert et qu’elle était bien surprise de la manière qu’il avait pu parvenir jusqu’à elle.
Elle m’a de même déclaré qu’il lui avait fait tenir dans ce même jour un œillet dans lequel il y avait un billet, et qu’il devait revenir le vendredi suivant.De plus, sa femme de chambre, étant à jouer une partie de cartes avec moi, la femme Capet a profité de cette occasion pour écrire, avec une épingle, un papier qu’elle m’a remis à dessein de le remettre au certain quidam ; mais, ne voulant pas avoir rien à me reprocher sur la place et les devoirs que j’avais à remplir, je me suis transporté aussitôt chez le concierge à la femme duquel je lui ai remis le billet et fait absolument le rapport aussi exact que j’ai l’honneur de vous le présenter.
Le citoyen Dufresne est absolument ignorant de la chose (sinon moi qui le lui ai déclaré en présence d’un de mes camarades nommé Lamblot.
Signé : Gilbert»
Rapport du citoyen Gilbert, gendarme, de garde auprès de la veuve Capet, au citoyen Du Mesnil, lieutenant-colonel de la Gendarmerie, près les tribunaux du 3 septembre 1793
Pour copie conforme
Botot du Mesnil
Lieutenant-colonel de gendarmerie.
Déposé sur la table du greffe, à l’audience du tribunal, le 28 brumaire l’an second de la République.
Filleul, commis-greffier
Le colonel Du Mesnil envoie le rapport au greffe du tribunal. Aussitôt le complot sort de la prison.
A quatre heures de l’après-midi, un représentant du comité de sûreté générale Jean-Pierre André Amar (1755-1816), accompagné du policier Cailleux et Sevestre viennent à la Conciergerie mener l’enquête.


A la Conciergerie, six gendarmes entrent avec les enquêteurs dans la cellule de Marie-Antoinette. On imagine Son angoisse. Ni les deux gendarmes en poste habituellement, ni Marie Harel ne peuvent communiquer. Marie-Antoinette est tout de suite amenée au tribunal criminel lui-même si l’on se fie à la suite des interrogatoires :

Comité de sûreté générale et de surveillance de la Convention nationale.
Du trois septembre 1793, l’an second de la République française une et indivisible, quatre heures après-midi. Nous, Représentants du peuple, députés à la Convention nationale, chargés par le Comité de sûreté générale de nous transporter à la Conciergerie pour y prendre des renseignements relatifs à la dénonciation faite ce jour d’hui par le citoyen Dumessin (Dusmesnil), lieutenant-colonel de la gendarmerie près les tribunaux, nous sommes arrivés dans ladite maison accompagnés du citoyen Aigron, aide de camp de la force armée deParis, que nous avons requis de nous accompagner et du citoyen François Bax, secrétaire commis du Comité de sûreté générale.
En entrant nous avons appelé l’officier de poste, et l’avons requis de nous donner six gendarmes, l’un desquels nous avons fait placer dans la pièce
où se trouve en arrestation la veuve de Louis Capet, avec ordre donné audit gendarme de ne laisser entrer ni sortir personne, et nous étant retirés dans
une pièce particulière de ladite maison, nous avons envoyé appeler auprès de nous le citoyen Michonis, ensuite d’un arrêté que nous avons pris en conséquence et que nous lui avons fait porter par un gendarme; ensuite nous avons donné ordre que l’on conduisit près de nous la veuve de Louis Capet.Entrée, nous lui avons fait les interrogations suivantes :
D. Est-ce vous qui vous nommez la veuve Capet?
R. Oui.
D. Ne voyez-vous personne dans la maison où vous êtes détenue?
R. Personne que ceux qu’on a placé auprès de moi, et des administrateurs qui sont venus avec des personnes que je ne connais pas.
D. N’avez-vous pas vu il y a quelques jours un ci-devant chevalier de Saint-Louis?
R. Il est possible que j’aie vu quelque visage connu, il en vient tant.
D. Ne sauriez-vous le nom d’aucun de ceux qui sont venus avec les administrateurs?
R. Je ne me rappelle pas le nom d’aucun d’eux.
D. Parmi ceux qui sont entrés dans votre appartement, n’en avez-vous pas reconnu aucun particulièrement?
R. Non.
D. N’y a-t-il pas quelque jour que vous en avez vu un que vous avez reconnu ?
R. Je ne m’en rappelle pas.
D. Ce même homme ne vous aurait-il pas fait tenir un œillet ?
R. Il y en a dans ma chambre.
D. Ne vous aurait-on point remis un billet?
R. Comment pourrais-je en recevoir, avec les personnes qui sont dans ma chambre, et la femme qui est avec moi ne quitte pas la fenêtre.
D. N’est-il pas possible qu’en vous présentant un œillet, il y eut quelque chose dedans et qu’en l’acceptant un billet soit tombé, ou qu’on ait pu le
ramasser ?
R. Personne ne m’a présenté d’œillet, aucun billet n’est tombé par terre que j’aie vu ; il a pu tomber quelque chose mais je n’ai rien vu; mais j’en doute, parce que la femme qui est avec moi aurait pu le voir, et elle ne m’en a rien dit.
D. N’avez vous rien écrit depuis quelque jour?
R. Je n’ai pas même de quoi écrire.
D. Ne vous seriez-vous servie d’aucun instrument ou d’aucun moyen pour transmettre vos idées ?
R. N’étant pas seule, même un moment, je ne le pourrais pas.
D. Il y a quelque jour qu’un chevalier de Saint-Louis est entré dans votre logement, vous avez tressailli en le voyant ; nous vous demandons de répondre si vous le connaissez ?
R. Il est possible que j’aie vu des visages connus, comme je l’ai dit plus haut, et que dans l’état de crispation de nerfs où je me trouve j’ai tressailli sans savoir ni quel jour, ni pour qui, ni pour quoi.
D. Nous vous observons cependant qu’il a été déclaré que vous connaissiez le ci-devant chevalier de Saint-Louis, et que vous trembliez qu’il ne fut reconnu, ce sont les expressions dont on dépose que vous vous êtes servie ?
R. Il est à croire que si j’avais tremblé qu’il ne fut reconnu je n’en aurais pas parlé, ou j’aurais eu un intérêt à le cacher.
D. N’avez-vous pas déclaré que ce même chevalier de Saint-Louis qui vous avait présenté un œillet devait revenir un vendredi?
R. J’ai déclaré au commencement que personne ne m’avait rien présenté, si je devais croire que quelqu’un dut revenir je ne l’aurais pas dit.
D. N’avez-vous pas profité du moment que votre femme de chambre était à jouer une partie de cartes pour écrire avec une épingle à ce même particulier qui avait présenté l’œillet dans lequel devait être le billet, afin qu’il fut remis à ce particulier ?
R. J’ai commencé à dire et je répète que je n’ai écrit d’aucune manière. Si je voulais faire quelque chose et m’en cacher je ne le pourrai pas, parce
que je suis toujours vue par les personnes qui sont avec moi, même pendant la partie de cartes; pour avoir à faire une réponse à ce particulier il faudrait le connaître, avoir reçu quelque chose de lui, et les personnes qui sont avec moi, je ne les chargerais pas de la commission, parce que je crois qu’elles remplissent assez leur devoir pour ne pas s’en charger.
D. Dans la position où vous êtes, il serait naturel de profiter de tous les moyens qui vous seraient offerts pour vous échapper et pour transmettre vos idées à ceux dans lesquels vous croiriez avoir confiance. Il ne serait donc pas étonnant que ce chevalier de Saint-Louis fut une personne qui pourrait vous être affidée et dont par là même, vous auriez
intérêt de ne pas parler?
R. Il serait bien malheureux que les gens qui m’intéressent m’eussent frappée aussi peu ; si j’étais seule je ne balancerai pas à tenter tous les moyens pour me réunir à ma famille, mais ayant trois personnes dans ma chambre, quoique je ne les connusse pas avant de venir ici, je ne les compromettrai jamais sur rien.
D. N’avez-vous aucune connaissance des événements actuels et de la situation des affaires politiques ?
R. Vous devez savoir qu’au Temple nous ne savions rien, et que je n’en sais pas d’avantage ici (1).
D. Vous avez eu connaissance sans doute de l’affaire de Custine. Ne connaissiez-vous rien de relatif à ses projets?
R. J’ai su qu’il était dans la même prison que moi, et je n’en connais les raisons ni les causes.
D. Ne vous est-il venu aucune relation par voie indirecte, de ce qui se passe dans votre famille ?
R. Aucunement, je sais que mes enfants se portent bien, voilà tout ce que j’en ai su.
D. Par qui avez-vous eu des nouvelles de vos enfants ?
R. Par les administrateurs qui me l’ont dit.
D. N’avez-vous rien appris particulièrement des avantages que nous avions remportés sur les Autrichiens ?
R. J’ai entendu souvent au Temple les colporteurs crier « Grande victoire ! » tantôt d’un côté, tantôt d’un autre ; je n’en ai pas su d’avantage.
D. Ne s’est-il présenté aucune occasion de faire connaître à votre famille, votre position et de profiter des dispositions de vos amis ?
R. Jamais, depuis un an la position dont nous étions au Temple rendait la chose impossible.
D. Est-il bien vrai que vous n’ayez conservé aucune relation en dehors, par des moyens cachés ?
R. Aucune, il aurait fallu le pouvoir.
D. Vous intéressez vous au succès des armes des ennemis ?
R. Je m’intéresse au succès de celles de la nation de mon fils ; quand on est mère c’est la première parenté.
D. Quel est la nation de votre fils ?
R. Pouvez-vous en douter, n’est-il pas Français?
D. Votre fils n’étant qu’un simple particulier, vous déclarez donc avoir renoncé à tous les privilèges que lui donna jadis les vains titres de Roi ?
R. Il n’en a pas de plus beau et nous non plus que le bonheur de la France.
D. Vous êtes donc bien aise qu’il n’y ait plus ni Roi, ni royauté?
R. Que la France soit grande et heureuse, c’est tout ce qu’il nous faut.
D. Vous devez donc désirer que les peuples n’aient plus d’oppresseurs, et que tous ceux de votre famille qui jouissent d’une autorité arbitraire subissent le sort qu’ont subi les oppresseurs de la France ?
R. Je réponds de mon fils, de moi ; je ne suis point chargée des autres.
D. Vous n’avez donc jamais partagé les opinions de votre mari ?
R. J’ai rempli toujours mes devoirs.
D. Vous ne pouvez pas cependant vous dissimuler qu’à la cour il n’existât des hommes dont les interêts étaient en sens inverse de ceux du peuple ?
R. J’ai rempli mes devoirs en tout ce que j’ai fait, dans ces temps-là comme à présent.
D. Comment vos devoirs s’arrangeaient-ils donc avec la fuite que vous avez préméditée et qui s’exécutait du côté de Varennes ?
R. Si on nous eut laissé achever notre course, et que nous eussions pu faire ce que nous méditions, on nous aurait rendu justice.
D. Quel était donc votre objet en quittant le centre de la France ?
R. De nous donner une espèce de liberté que nous n’avions pas depuis le mois d’octobre 1789, mais jamais de quitter la France.
D. Pourquoi promettiez-vous donc au peuple à votre retour de Versailles de lui rester attaché et de vous plaire à vivre au milieu du peuple de Paris?
R. C’était pour revenir plus librement au milieu de lui que nous faisions notre course.
D. Comment cette fuite s’accordait-elle avec la question que vous faisiez à la municipalité la veille de votre fuite : « Eh bien, dit-on toujours que nous
voulons quitter Paris ? »
R. Ce n’est pas à la municipalité de Paris que j’ai fait cette question, c’est à un aide de camp de Lafayette, et devant suivre les personnes qui partaient ; jamais je n’ai dû en avoir l’air.
D. Comment, ayant tout préparé pour votre fuite du vingt et un, avez-vous pu répondre à ceux qui vous invitaient d’assister à la cérémonie de la Fête-
Dieu, que vous y auriez assisté et que vous y assisteriez?
R. Je ne me rappelle pas moi personnellement avoir fait cette réponse, je devais suivre mon époux et mes enfants, je n’avais rien à dire. J’observe que je tiens beaucoup à ce qu’on ne croit pas à ce que c’est à un corps que j’ai fait l’interpellation relative à notre fuite. Ca toujours été nous qui avons donné dans tous les temps l’exemple du respect dû aux autorités.
D. Comment, ayant avoué que vous ne désirez que la prospérité et la grandeur de la nation française, avez-vous pu manifester un désir aussi vif
d’employer tous les moyens pour vous réunir à votre famille en guerre avec la nation française ?
R. Ma famille, c’est mes enfants, je ne peux qu’être bien qu’avec eux, et sans eux, nulle part.
D. Vous regardez donc comme vos ennemis ceux qui font la guerre à la France?
R. Je regarde comme mes ennemis tous ceux qui peuvent faire du tort à mes enfants.
D. De quelle nature sont les torts que l’on peut faire à vos enfants?
R. Toute espèce de torts quelconque.
D. Il est impossible que vous ne regardiez pas plus particulièrement comme tort, ceux qui auraient pu être faits d’après vos idées à votre fils relativement à l’abolition de la royauté; que répondez-vous ?
R. Si la France doit être heureuse avec un roi, je désire que ce soit mon fils, si elle doit l’être sans roi, j’en partagerai avec lui le bonheur.
D. La France étant constituée en république par le voeu prononcé par vingt-cinq millions d’hommes et par toutes les sections du peuple, vous déclarez donc désirer que vous et votre fils vous existiez comme de simples particuliers dans la république, et qu’elle repousse loin de son territoire tous les ennemis qui l’ont attaquée ?
R. Je n’ai d’autre réponse à faire que celle que j’ai faite à la question précédente.Lecture faite de l’interrogatoire et des réponses actuelles, la veuve de Louis Capet y a persisté, elle a approuvé la radiation et l’apostille faite à la fin
de la seconde page, celles faites à la seconde ligne de la troisième page, deux interlignes à la troisième page, plusieurs mots rayés à la quatrième
page, plusieurs mots à la septième et à la huitième, et elle a signé avec nous et avec le citoyen Cailleux, membre du corps municipal et administrateur de police présent à l’interrogatoire.
Marie-Antoinette, Amar, J. Sëvestre, Cailleux, Bax, secrétaire commis.(1) On lit en marge, de la main de Fouquier-Tinville : « Le contraire est prouvé par la déclaration de Capet fils. »
Premier interrogatoire de Marie-Antoinette, le 3 septembre 1793
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p. 4-13.

Les enquêteurs semblent tout ignorer de ce qui s’est passé la veille, pourtant bien plus grave que tout le reste. Ne les intéresse que cette histoire d’œillet. Marie-Antoinette nie tout. Sa seule préoccupation est le sort de Ses enfants et de ne compromettre ni Rougeville, ni Michonis, ni les gendarmes ni Marie Harel, ces derniers étant surveillés et tenus au silence dans Sa cellule.
Suit l’interrogatoire de la femme de chambre à son tour amenée :
Interrogatoire de la citoyenne qui est auprès de la femme veuve Louis Capet, ensuite des ordres de l’administration de police.
Interrogatoire de Marie Harel, le 3 septembre 1793
D. Comment vous appelez-vous?
R. Marie, femme Harel.
D. N’avez vous point vu venir un ci-devant chevalier de Saint Louis, accompagné d’un officier municipal ?
R. Je n’ai vu personne.
D. Ne connaissez-vous pas le citoyen Michonis?
R. Oui, je le connais.
D. Vous rappelez-vous le jour où il est venu ici ?
R. Non.
D. N’était-il pas accompagné de quelqu’un?
R. Il était seul.
D. Le citoyen Michonis n’est-il point venu, il y a quelques jours, accompagné de quelqu’un?
R. Oui, il y est venu accompagné d’un jeune homme que je ne connais pas.
D. Cet homme a-t-il parlé à la veuve Capet?
R. Il a resté à côté du gendarme et il n’a pas soufflé.
D. Le particulier qui était avec Michaudis (sic) a-t-il parlé à la femme Capet ?
R. Non.
D. Ne vous êtes-vous point aperçu que la présence de ce particulier avait causé de l’émotion à la veuve Capet?
R. Non : tous ceux qui entrent lui font de l’effroi : mais je ne m’en suis pas aperçue pour la personne dont il est question.
D. Comment était vêtu ce jeune homme?
R. Je ne peux pas bien dire comment.
D. Ne vous êtes-vous point aperçu que le même jour que ce jeune homme a été introduit avec Michonis, on ait fait parvenir un œillet à la femme Capet ?
R. Je n’ai pas vu ça.
D. Ne reçoit-elle pas des fleurs?
R. Oui.
D. Qui est ce qui les lui apporte?
R. Ce sont les gendarmes qui sont commis à sa garde.
D. Est-ce elle qui a demandé des fleurs?
R. Non.
D. Parmi les fleurs qui lui ont été présenté, y avait-il des œillets?
R. La plupart sont des œillets ; il y a de la tubéreuse et des juliennes.
D. Après que le jeune homme est sorti avec Michonis, la veuve de Louis Capet n’a-t-elle rien dit ?
R. Non, et les gendarmes m’ont demandé si ce n’était pas le fils de Michonis, et j’ai répondu que je n’en savais rien.
D. Pendant que Michaunis (sic) et ce particulier étaient dans l’appartement, n’étiez-vous pas occupée à faire une partie de cartes ?
R. Non.
D. N’avez vous jamais joué aux cartes avec aucun gendarme?
R. Oui, deux fois aux cartes avec des gendarmes dans l’appartement de la veuve Capet ?
D. Quels sont les gendarmes avec qui vous avez joué?
R. Avec le citoyen Gilbert.
D. Tandis que vous faisiez ces parties, ne vous êtes-vous point aperçue de quelque signe ou de quelque rapport entre Michonis et le particulier qui
l’accompagnait et la veuve Capet ?
R. Ce n’était pas ce jour là; car le jour où Michonis et le particulier dont vous me parlez sont venus, je ne jouais pas, j’étais à travailler.
D. Tandis que vous étiez à jouer aux cartes, n’est-il entré personne?
R. Les citoyens Jaubert et Michonis sont entrés.
D. Depuis que vous êtes avec la veuve Capet, n’êtes-vous point sortie de la maison ?
R. Non.
D. Ne vous êtes vous jamais apperçue qu’il y eut quelque intelligence entre quelque particulier que ce fut et la veuve Capet ?
R. Non.
D. Depuis que vous êtes avec la veuve Capet, ne vous a-t-elle pas parlé de sa position ?
R. Elle m’a parlé de ses enfants, et qu’on l’avait mortifiée au Temple.
D. N’avez vous jamais aperçu, se servir d’une épingle ou de quelque autre chose pour écrire?
R. Non, jamais.
D. Connaissez-vous tous ceux qui se sont présentés devant la veuve Capet ?
R. Non.
D. En connaissez-vous quelques-uns?
R. Je ne connais que les administrateurs et les secrétaires.
D. Est-il venu quelquefois avec les administrateurs et les secrétaires d’autres personnes qu’eux ?
R. Oui, une fois ou deux ; mais je ne connais pas les personnes et je ne peux pas dire quelles sont ces personnes.
Lecture faite de l’interrogatoire, a déclaré contenir vérité et a signé avec nous.
Harel, Amar, Cailleux, J. Sévestre, Bax, secrétaire commis.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p. 13-17.
Le moins que l’on puisse dire c’est que «la mouche» envoyée par Fouquier-Tinville n’est pas prête à enfoncer «l’Autrichienne». Passer ses jours et ses nuits près d’Elle ont eu un sacré impact sur ses opinions…

Ou bien faut-il croire que Rosalie Lamorlière et à travers elle Lafont d’Aussonne ont menti sur le personnage ?
Arrive enfin le tour de Michonis, appréhendé lors d’un dîner en compagnie de Rougeville !
Interrogatoire du citoyen Jean-Baptiste Michonis.
Interrogatoire de Jean-Baptiste Michonis le 3 septembre 1793
D. Comment vous appelez-vous?
R. Jean-Baptiste Michonis.
D. Quel est votre état?
R. Limonadier, rue Dupuis, à la Halle.
D. Etes-vous venu quelquefois dans cette maison, auprès de la femme Capet ?
R. Tous les jours, ou presque tous les jours.
D. Quelles sont les fonctions qui vous ont amené dans cette maison ?
R. Administrateur de police, chargé de la partie des prisons.
D. N’y a t-il pas quelque jour que vous y êtes venu avec un chevalier de Saint Louis ?
R. Je n’en connais pas ; mais j’observe que différentes fois je suis venu avec plusieurs personnes que la curiosité avait amenées, et auxquelles je
n’aurais pas refusé de venir avec moi.
D. Parmi ces particuliers que vous y avez introduits, ne vous êtes vous point aperçu qu’il y en avait qu’un autre intérêt que la curiosité amenait?
R. Je vous assure que je n’en connais pas d’autres que ceux que la curiosité amenait.
D. Ces particuliers n’ont-ils jamais parlé à la veuve Capet ?
R. Non, jamais, à ma connaissance.
D. Quelques uns de ces particuliers n’ont-ils pas occasionné de l’émotion à la femme Capet?
R. Je ne m’en suis pas apperçu.
D. La femme Capet faisait-elle beaucoup d’attention aux personnes qui sont venues?
R. Je ne m’en suis pas aperçu.
D. Connaissez-vous tous ceux qui vous ont témoigné le désir d’être admis avec vous à visiter la femme Capet?
R. Oui je les connais et je vais tâcher de dire leurs noms, autant que je pourrai m’en souvenir.
1°Le citoyen Giroud maître de pension faubourg St-Denis ;
2° Le limonadier attenant la porte cochère faubourg St-Denis n° 10 ;
3° Un des commis qui demeure rue de la Juiverie et qui travaille à la comptabilité, dont j’ignore le nom ;
4° Un autre; peintre dont je ne me rappelle pas le nom, et différentes autres personnes non connues qui me témoignant le désir de m’accompagner à la Conciergerie y sont venues avec moi parce qu’ils savaient que j’étais chargé de la partie des prisons et à plusieurs reprises différentes je les ai
amenées.
D. En quel nombre les avez-vous introduites?
R. Je n’en ai jamais amené qu’un seul à la fois, et toujours en la présence du concierge et de son épouse.
D. Combien y a-t-il de temps que vous venez dans cette maison voir la veuve Capet ?
R. Depuis sa sortie du Temple.
D. L’avant-dernière fois que vous êtes venu n’étiez-vous pas accompagné d’un particulier à vous inconnu?
R. Oui, il m’était inconnu.
D. Pouvez-vous dépeindre la tournure, l’habit, la taille et la figure de ce particulier ?
R. Il avait un habit gris, un visage grêlé, âgé de 30 à 40 ans, de la taille de 5 pieds un ou deux pouces.
D. Où avez vous trouvé ce particulier?
R. Chez le citoyen Fontaine ci-devant marchand de bois, rue de l’Oseille au Marais.
D. Ce particulier vous fit-il beaucoup d’instances pour venir avec vous ?
R. Il me dit qu’il aurait un plaisir infini de la voir.
D. Quel est l’état de ce particulier?
R. Il vit de son bien.
D. Savez-vous son nom ?
R. Non, mais je me charge de vous le dire.
D. Quel jour ce particulier s’est-il rendu à la Mairie pour venir avec vous voir la veuve Capet ?
R. Jeudi ou vendredi dernier.
D. Vous rappelez-vous l’époque ou il vous fit la demande chez le citoyen Fontaine de venir avec vous ?
R. Il y a environ quinze jours.
D. Vous fit-il cette demande tout haut ?
R. En présence de tout le monde, il y avait même trois députés à la Convention dont j’ignore le nom.
Fait et après lui avoir fait lecture de l’interrogatoire et des réponses, a déclaré contenir vérité, et a signé avec nous.
Michonis, Amar, Cailleux, J. Sévestre, Bax, secrétaire commis.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p. 17-21
Jusqu’où est allée la complicité de Michonis ? Est-ce lui qui a signalé à Rougeville que les gendarmes de garde auprès de Marie-Antoinette ont l’habitude de lui offrir de nombreuses fleurs, dont des œillets ?
Il est impossible de penser qu’il ne connaissait pas son nom après trois dîners en sa compagnie !
Les enquêteurs continuent leur mission :
Et de suite avons donné, l’ordre signé de nous avec l’empreinte du sceau du comité, à un des gendarmes de service d’amener le citoyen Fontaine, rue de l’Oseille au Marais, pour répondre sur les interrogatoires qui lui seront faits, et en attendant qu’il paraisse , nous avons continué nos interrogatoires ainsi qu’il suit.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p. 22.

Le gendarme Gilbert est à son tour interrogé.
Interrogatoire du citoyen Gilbert gendarme national.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p. 22-26.
D. Comment vous appelez-vous, et quelle est votre profession ?
R. Gilbert, gendarme national auprès des tribunaux.
D. Est-ce vous qui avez écrit au citoyen Dumesnil votre lieutenant colonel pour lui dénoncer l’entrevue d’un particulier avec la veuve Louis Capet à
laquelle il a du remettre un œillet dans lequel était un billet?
R. Oui.
D. Récitez-nous les circonstances particulières de ce fait, telles que vous les avez vues ?
R. Le citoyen Michonis est venu avec un particulier il y a quelque jour et c’est son avant-dernière visite auprès de la veuve Capet ; le citoyen Michonis lui a donné des nouvelles de sa famille, et pendant ce temps le particulier s’est approché de la femme de chambre qui était en face de la veuve Capet, à laquelle il a fait signe qu’il laissait tomber un œillet, laquelle veuve Capet n’ayant pas paru comprendre le signe, il s’approcha d’elle, et lui dit à voix basse de ramasser l’œillet qu’il avait laissé tomber à côté du poële derrière la femme de chambre, et elle l’a ramassé aussitôt.
Je déclare que la veuve Capet m’a elle même avoué ce que je viens de dénoncer, ne m’étant aperçu ni du signe, ni entendu les propos du particulier.
Michonis et ce particulier étant sortis, la veuve Capet me dit à moi : « Voyez comme je suis tremblante; ce particulier que vous venez de voir est un ci-devant chevalier de St-Louis, employé aux armées, auquel je suis redevable de ne m’avoir pas abandonné dans une affaire : Vous ne vous douteriez pas de la manière dont il s’y est pris pour me faire passer un billet ; il m’a fait signe de l’œil et ne comprenant pas ce qu’il voulait exprimer, il s’est approché de moi, et m’a dit à voix très basse : « Ramassez donc l’œillet qui est à terre et qui renferme mes vœux les plus ardents, je reviendrai vendredi. » Après m’avoir ainsi parlé, je me suis baissée et j’ai relevé l’œillet qui m’était indiqué, dans lequel, j’ai trouvé le billet qui renfermait le désir sincère du particulier. »
Le déposant ajoute qu’il a vu en effet la veuve Capet se baisser, mais que ne prévoyant pas quelle en était la cause ni le motif, il ne vit rien en elle qu’une très vive émotion, son visage changé de couleur et ses membres tremblants ; un instant après Michonis et le particulier qui était venu avec lui se disposant à sortir, la veuve Capet lui dit : « Je vous fais donc un adieu éternel, » à cela Michaunis (sic) répondit : _Point du tout, si je ne suis plus administrateur de la police, étant officier municipal, j’aurai le droit de venir et de vous faire visite tant qu’elle vous sera agréable. »
Michaunis (sic) sortit avec le particulier et ce fut alors qu’elle me montra un billet qu’elle avait piqué et dont les pointes formaient deux ou trois lignes d’écriture ; elle me dit : « Voyez je n’ai pas besoin de plume pour écrire. »
Elle ajouta que c’était une réponse pour remettre le vendredi suivant à celui qui avait donné le billet inséré dans l’œillet. La femme de chambre qui était sortie quelque temps auparavant pour aller chercher de l’eau, étant rentrée pendant que la veuve Capet achevait sa phrase. Je pris le billet qu’elle avait pointé et je le mis dans ma veste, et je sortis sur le champ pour aller trouver la femme du concierge à qui je dis que j’avais quelque chose à lui confier, et la tirant à l’écart je lui remis le billet piqué en lui racontant ce qui venait de se passer comme je viens de le déclarer ci dessus, en lui recommandant de ne pas égarer ce billet et elle le ferma sur le champ dans son portefeuille.
Je lui recommandai encore d’en instruire le citoyen Michonis et elle m’a dit l’avoir fait et que Michonis lui avait répondu de laisser cela, que désormais il n’amènerait plus personne avec lui.
Le déposant ajoute que le lendemain du jour où il fit la remise du billet à la femme du concierge, la veuve Capet continua comme elle l’avait fait la
veille de lui redemander son billet et qu’il lui répondit, qu’il était tombé entre les mains de la femme du concierge qui le lui avait pris dans sa
poche avec plusieurs autres papiers, afin de me débarrasser de ses persécutions.
D. Les officiers municipaux ou administrateurs de police ont-ils amené beaucoup de monde avec eux dans la chambre de la veuve Capet toutes les
fois qu’ils sont venus ?
R. Plusieurs sont venus à différentes reprises avec une quelquefois et même trois personnes que je présume être des fonctionnaires publics.
Lecture faite du présent interrogatoire a déclaré contenir vérité et a signé avec nous.
Et avant de signer, ayant demandé au déposant si la veuve Capet ne lui avait point fait part du con- tenu du billet qui lui avait été remis par le citoyen qui était venu avec le citoyen Michaunis (sic)?
Le déposant a répondu que la veuve Capet lui avait déclaré à lui et à son maréchal des logis que le billet était conçu à peu près en ces termes :
« Ma protectrice, je ne vous oublierai jamais, je chercherai toujours les moyens de pouvoir vous marquer mon zèle, si vous aviez besoin de trois cents louis, je suis prêt à vous les offrir.»
Telles sont les dépositions du citoyen Gilbert qui a signé avec nous.
Gilbert, Amar, Caillieux, J. Sévestre , Bax, secrétaire commis.
S’il s’agit de ce gendarme, pourquoi ne pas se donner le beau rôle en disant qu’il a évité un drame la veille ? Il se contente juste de relater les faits du 28 août.
L’enquête se poursuit.
Nous, commissaires, après avoir pris les réponses de la veuve Louis Capet, de sa femme de chambre, du citoyen Michaunis [sic] nous les avons fait passer chacun séparément dans un appartement voisin, sans aucune communication entre eux.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p. 22-26.
Interrogatoire du citoyen Fontaine.
D. Comment vous appelez-vous?
R. Pierre Fontaine, demeurant rue de l’Oseille au Marais comparaissant ensuite de la réquisition que vous m’avez faite de me rendre auprès de vous.
D. N’avez-vous pas eu à diner chez vous, il y a environ quinze jours, dix à douze citoyens, au nombre desquels était le citoyen Michonis ?
R. Oui.
D. Connaissez-vous le nom de tous les particuliers qui étaient à diner chez vous et surtout d’un ci-devant chevalier de Saint Louis?
R. J’ai connu un particulier qui m’a été amené par une femme nommée Dutilleul qui a dîné chez moi deux ou trois fois avec ce particulier lequel elle m’a dit se nommer de Rougeville demeurant avec elle à Vaugirard presque vis-à-vis l’église à droite en y allant par les boulevards.
D. Avez-vous quelque relation avec ce particulier?
R. Aucune.
D. Combien avez-vous diné de fois chez lui?
R. J’y ai diné trois fois, et la dernière dimanche dernier avec deux femmes, l’une marchande, près la Porte Saint Denis, et l’autre dont je ne sais pas également le nom, et qui demeure rue Philipaux.
D. Avez-vous parlé de nouvelles et d’affaires relatives à la Révolution ?
R. Nous en avons parlé indifféremment.
D. Savez-vous dans quel corps a servi le nommé Rougeville et en quelle qualité?
R. Je n’en sais rien du tout.
D. Comment aves vous su qu’il était chevalier de Saint Louis?
R. Par la citoyenne Dutilleul.
D. La maison où demeure le nommé Rougeville avec la citoyenne Dutilleul est-elle toute entière occupée par eux?
R. Oui, ils occupent toute la maison et un jardin.
D. Y a-t-il plusieurs domestiques dans cette maison?
R. Je ni ai vu la dernière fois qu’une femme pour servir et une autre vieille employée au jardin.
D. Y a-t-il longtemps que le citoyen Michaunis et le particulier nommé Rougeville se sont trouvés ensemble chez vous ?
R. Ils y ont diné aujourd’hui.
D. Savez vous si ce particulier est actuellement à Paris?
R. Je le présume sans l’assurer qu’il doit coucher cette nuit à Paris, ayant déclaré en ma présence ainsi que la femme Dutilleul qu’ils avaient
des affaires à Paris et qu’ils feraient aussi bien d’y rester.
Telles sont les réponses qu’il nous a déclaré contenir vérité et a signé avec nous après lui avoir lu son interrogatoire.
Fontaine, Amar, Caillieux, J. Sévestre , Bax, secrétaire commis.
Les enquêteurs ont donc appréhendé deux hommes, à plusieurs minutes d’intervalle, qui tous deux dînaient avec l’âme du complot, Rougevile !
Celui-ci a sûrement dû bien s’amuser en voyant par deux fois défiler les gendarmes et ne jamais s’en inquiéter.
Constatons aussi que les enquêteurs n’ont pas l’air de s’émouvoir le moins du monde en s’apercevant que Rougeville leur a échappé de bien peu !

Ils préfèrent s’occuper des gendarmes en poste dans la prison prêts à déposer ce qu’ils ont vu ou entendu.
Le premier d’entre eux est le gendarme Lebrasse, trente-et-un ans, en poste à la Conciergerie et qui fut de ceux accompagnant Louis XVI à l’échafaud.
Interrogatoire du citoyen Jean Alaurice François Lebrasse, officier de la gendarmerie nationale et commandant de poste à la Conciergerie.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p.28-30.
D. Comment vous nommez-vous ?
R. Jean Maurice François Lebrasse.
D. N’avez-vous aucune connaissance de faits relatifs à l’entrevue d’un particulier qui a été introduit par le citoyen Michonis dans l’appartement de la veuve Capet?
R. Qu’il a eu connaissance de l’affaire dont il est question que par un officier de son corps nommé Adené, que le citoyen Gilbert avait chargé d’aller chez le colonel pour l’engager à se rendre à la Conciergerie, et qu’il ne s’y était pas rendu ; que l’importance de l’affaire ayant paru mériter le plus grand intérêt, et craignant que si le peuple en avait connaissance, il pourrait avec raison être alarmé qu’on n’y donnat pas plus de suite, il s’était déterminé à se présenter chez le citoyen Chabot accompagné de deux de ses camarades pour lui découvrir ce qu’il savait d’une conspiration qui pouvait avoir les suites les plus sérieuses, puisque ce particulier avait trouvé le moyen de parler à la veuve Capet et de lui remettre un billet ; que la négligence de ceux qui avaient connaissance de cette affaire lui a paru
inexcusable.
Tel (sic) est sa déposition et a signé
Lebrasse, Amar, Caillieux, J. Sévestre , Bax, secrétaire commis.
Là encore, rien de rien sur la veille.
Il est temps de se préoccuper des gendarmes ayant eu ordre de récupérer Fontaine et Michonis :
Déposition du citoyen Perrey, gendarme national, qui déclare qu’étant allé conformément à nos ordres chercher le citoyen Fontaine, ce particulier
étant dans la voiture avec lui, lui a dit qu’il se doutait bien pourquoi il était mandé, que c’était relativement à la veuve Capet, mais qu’il n’avait rien à dire et a signé.Perrey, Amar, Caillieux, J. Sévestre , Bax, secrétaire commis.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p.30-31.
Du coup, Fontaine est de nouveau entendu, les enquêteurs pouvant à juste titre estimer qu’il ne leur a pas tout dit.
Second interrogatoire du citoyen Fontaine.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p.31-32.
D. Ayant été appelé auprès de nous, comment avez-vous pu soupçonner de quelle affaire il était question en disant : « Ah ! je sais bien ce que c’est. » ?
R. Parce que vous m’avez parlé de chevalier de Saint Louis et que cela m’a mis sur la voie.
D. Avez-vous quelque connaissance que le nommé Rougeville ait eu des relations avec la veuve Capet ?
R. Aucune du tout.
D. Pourquoi donc venant ici accompagné d’un gendarme, avez-vous dit : « Je sais bien de quoi il est question; c’est relativement à la veuve Capet; mais je n’ai rien à dire. » ?
R. Qu’il n’a entendu parler que de la citation de la veuve Capet au tribunal criminel.
D. Quel est le signalement du nommé de Rougeville ?
R. C’est un petit homme de cinq pieds un pouce, marqué de petite vérole, ayant peu de cheveux sur le haut de la tète, portant des boucles pendantes, un habit rayé boue de Paris, cheveux châtains, pale, teint clair, visage un peu rond.
Et a signé avec nous.
Fontaine, Amar, Caillieux, J. Sévestre , Bax, secrétaire commis.

Enfin les enquêteurs prennent la décision qu’il aurait été logique de prendre depuis le départ : réclamer l’arrestation de Rougeville.
Un Rougeville que les gendarmes ont croisé deux fois dans la journée !
C’est désormais le tour du deuxième gendarme de garde chez Marie-Antoinette.
Déclaration du citoyen François Defraisne maréchal des logis de la gendarmerie nationale près les tribunaux, de garde dans l’appartement de la veuve Capet.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p. 33-35.
D. Avez-vous connaissance d’une visite rendue il y a quelque jour par le citoyen Michonis accompagné d’un autre à la veuve de Louis Capet ?
R. Oui.
D. Pourriez-vous nous raconter les circonstances particulières de cette entrevue et ce qui vous a été dit à ce sujet par la veuve de Louis Capet?
R. Le citoyen Michonis est venu avec un particulier à moi inconnu ils se sont approchés tous les deux de la table qui était devant elle, elle a demandé à Michaunis des nouvelles de ses enfants, il lui a répondu qu’ils se portaient bien ; alors j’ai remarqué une grande agitation sur le visage et dans les membres de la veuve Capet, les larmes lui ont tombé des yeux, un grand feu lui était monté au visage, dans cet état, elle s’est retirée un peu en dedans du paravent; elle a parlé à Michonis, et l’autre particulier était derrière Michaunis. Je n’ai pu entendre bien distinctement ce qu’ils disaient. Après cette conversation, Michaunis s’est retiré avec le particulier.
Mon camarade m’ayant déclaré que la veuve Capet lui avait fait un aveu relatif à l’entrevue du particulier introduit dans son appartement par Michaunis, j’en ai eu moi-même la preuve, parce que je lui ai entendu faire le même aveu qu’elle avait fait à mon camarade, savoir que ce particulier était un chevalier de Saint Louis qui lors de l’affaire du vingt juin, ne l’avait pas quittée, qu’il avait laissé tomber un œillet dans lequel était renfermé un billet et qu’elle ne s’en serait pas aperçue sans le signe qu’il lui fit de le relever; que ce billet contenait une offre en louis qu’il avait à son service, et qu’elle avait répondu en piquant un papier avec une épingle ce qui formait des lettres.
Mon camarade m’a dit devant la veuve Capet qu’il avait mis ce billet dans sa poche au moment où la femme de chambre rentrait, et qu’étant sorti, la femme du concierge lui avait mis la main dans ses poches et lui avait pris ses papiers parmi lesquels se trouvait ce billet ; moyen dont il m’a avoué s’être servi pour empêcher la veuve Capet de continuer ses instances pour le réavoir, et qu’il l’avait remis à la femme du concierge.
J’ajoute que ce soir où la veuve Capet s’est retirée après avoir été interrogée, elle a dit devant mon camarade et devant moi qu’elle avait craint que le particulier ne fut aperçu par nous. Versant des larmes elle nous a engagé de ne pas répéter ce qu’elle nous avait confié à cet égard.
Tels sont les dépositions qu’il a déclaré contenir vérité, et a signé avec nous.
Desfresnes, Caillieux, J. Sévestre , Bax, secrétaire commis.
Déclaration du citoyen François Defraisne maréchal des logis de la gendarmerie nationale près les tribunaux, de garde dans l’appartement de la veuve Capet.
D. Avez-vous connaissance d’une visite rendue il y a quelque jour par le citoyen Michonis accompagné d’un autre à la veuve de Louis Capet ?
R. Oui.D. Pourriez-vous nous raconter les circonstances particulières de cette entrevue et ce qui vous a été dit à ce sujet par la veuve de Louis Capet?
R. Le citoyen Michonis est venu avec un particulier à moi inconnu ils se sont approchés tous les deux de la table qui était devant elle, elle a demandé à Michaunis des nouvelles de ses enfants, il lui a répondu qu’ils se portaient bien ; alors j’ai remarqué une grande agitation sur le visage et dans les membres de la veuve Capet, les larmes lui ont tombé des yeux, un grand feu lui était monté au visage, dans cet état, elle s’est retirée un peu en dedans du paravent; elle a parlé à Michonis, et l’autre particulier était derrière Michaunis.
Je n’ai pu entendre bien distinctement ce qu’ils disaient. Après cette conversation, Michaunis s’est retiré avec le particulier.
Mon camarade m’ayant déclaré que la veuve Capet lui avait fait un aveu relatif à l’entrevue du particulier introduit dans son appartement par Michaunis, j’en ai eu moi-même la preuve, parce que je lui ai entendu faire le même aveu qu’elle avait fait à mon camarade, savoir que ce particulier était un chevalier de Saint Louis qui lors de l’affaire du vingt
juin, ne l’avait pas quittée, qu’il avait laissé tomber un œillet dans lequel était renfermé un billet et qu’elle ne s’en serait pas aperçue sans le signe
qu’il lui fit de le relever; que ce billet contenait une offre en louis qu’il avait à son service, et qu’elle avait répondu en piquant un papier avec une épingle ce qui formait des lettres.Mon camarade m’a dit devant la veuve Capet qu’il avait mis ce billet dans sa poche au moment où la femme de chambre rentrait, et qu’étant sorti, la
femme du concierge lui avait mis la main dans ses poches et lui avait pris ses papiers parmi lesquels se trouvait ce billet ; moyen dont il m’a avoué s’être servi pour empêcher la veuve Capet de continuer ses instances pour le réavoir, et qu’il l’avait remis à la femme du concierge.J’ajoute que ce soir où la veuve Capet s’est retirée après avoir été interrogée, elle a dit devant mon camarade et devant moi qu’elle avait craint
que le particulier ne fut aperçu par nous. Versant des larmes elle nous a engagé de ne pas répéter ce qu’elle nous avait confié à cet égard.Tels sont les dépositions qu’il a déclaré contenir vérité, et a signé avec nous.
Desfresnes, Amar, Caillieux, J. Sévestre , Bax, secrétaire commis.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p. 33-35.
Lui non plus ne dit rien de ce qui s’est passé la veille. Il pourrait très bien être ce gendarme qui a empêché de mener à bien l’action envisagée.
Pourquoi se taire ? Crainte d’avouer avoir été corrompu par Rougeville ?
Cependant sa récompense d’avoir probablement sauver la république mérite tous les sacrifices !
Les supposés complices continuent à être interrogés.
Interrogatoire de la citoyenne Richard, femme du concierge de la maison où nous sommes.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p. 35-37.
D. Comment vous nommez-vous?
R. Marie Richard, femme du concierge.
D. Avez vous quelque rapport avec la veuve de Louis Capet?
R. Non.
D. Savez vous des moyens qu’on employé pour
lui parler ?
R. Je n’en connais aucun.
D. N’avez vous pas connaissance qu’un particulier l’aie vue avec le citoyen Michaunis?
R. Je ne m’en suis pas aperçue.
D. N’êtes vous pas dépositaire d’un papier qui vous a été remis par un gendarme, lequel était piqué et venait de la veuve Capet?
R. Que Gilbert, l’un des gendarmes commis à la garde de la veuve Capet, m’a remis ce papier et qu’il m’a recommandé de le remettre au citoyen Michaunis, en m’avertissant que les personnes qu’il amenait ici, pouvaient me compromettre, et de suite j’ai remis le papier au citoyen Michaunys qui est venu ici le même jour et presque dans le même moment.
Lecture faite de l’interrogatoire et des réponses, a signé :
Femme Richard, Amar, Caillieux, J. Sévestre , Bax, secrétaire commis.
Il est temps de réécouter Michonis qui continue à endosser son rôle d’idiot de service mais pour qui Marie-Antoinette semble porter une grande estime.

Second interrogatoire du citoyen Michaunis.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p.37-43
D. Avez vous connaissance du billet qui a été remis par Gilbert gendarme à la concierge?
R. Oui.
R. Où est ce billet?
R. Le voici tel que la citoyenne Richard me l’a remis.
D. Savez-vous d’où venait ce billet?
R. J’ai l’honneur de vous observer que c’est madame Richard qui me l’a remis, je n’en sais pas d’avantage.
D. Quel jour vous a-t-on remis ce billet?
R. Le lendemain ou le surlendemain du jour où je suis entré avec un particulier dont il a été déjà parlé dans mon précédent interrogatoire.
D. Vous avez déclaré que vous n’étiez jamais venu ici qu’avec une seule personne à la fois, et cependant il est établi que vous avez introduit deux ou trois personnes à la fois?
R. Cela peut être.
D. Vous avez déclarez que vous ne connaissiez pas particulièrement celui que vous avez introduit dans l’appartement de la veuve Capet, et il est appris que vous vous trouvez assez fréquemment avec lui,
et qu’aujourd’hui encore vous avez diné ensemble chez le citoyen Fontaine?
R. J’ai été à trois heures chez le citoyen Fontaine, et j’ai trouvé le particulier dont il est question à table.
D. Comment est-il possible que vous ignoriez le nom, tandis que vous l’avez vu plusieurs fois?
R. Je vous jure que je ne le sais pas.
D. N’avez vous point eu de relation particulière avec lui ou des conversations particulières pendant le temps où vous l’avez vu chez le citoyen Fontaine?
R. Je n’ai jamais eu de conversation particulière et secrète avec lui, car je ne le connais pas et nous nous sommes vus que publiquement que devant tout le monde qui était là.
D. Dans les discours qu’a pu tenir ce particulier n’avez vous pas soupçonné que c’était un contre révolutionnaire ou un homme incivique?
R. Je ne l’ai jamais entendu rien dire, et il n’a parlé que des choses générales, et s’il avait dit quelque chose de contraire à la révolution, je ne l’aurais pas souffert.
D. Comment donc, ne connaissant pas le caractère de cet homme, avez-vous commis l’imprudence de le mener aussi légèrement dans un lieu où il ne doit entrer que les fonctionnaires publics à qui la surveillance de la veuve Louis Capet spéciale est confiée ?
R. J’ai fait la même chose pour lui, comme j’ai fait pour les autres, et je ni ai pas mis de difficulté attendu que la surveillance est fort bien établie auprès de la veuve Capet.
D. Vous venez de dire que vous avez reproché à ce citoyen de vous avoir compromis, comment et de quelle manière avez vous su qu’il vous avait compromis?
R. Parce que madame Richard m’a dit que c’était un chevalier, qu’il y avait eu un billet qu’elle avait déposé entre mes mains.
D. Comment, sachant que ce particulier vous avait compromis et vous étant trouvé avec lui, vous fonctionnaire public, ne vous êtes vous pas informé du nom et de la demeure de celui qu’on vous avait dit être un chevalier?
R. Comme je ‘n’ai pas mis d’importance à la chose, et que j’ai cru que c’était une affaire finie, je n’ai mis aucune suite à cet objet parce qu’il ne m’a pas paru en mériter.
D. Nous vous observons que lorsque la citoyenne Richard vous remit le billet qui venait de la veuve Louis Capet, vous lui répondîtes qu’il fallait laisser cela, et n’en point parler ; désavouez-vous ce fait ?
R. Je conviens lui avoir dit ce que vous répétez, parce que en effet je n’y attachais aucune importance.
D. La citoyenne Richard, en vous déposant ce billet qu’elle était chargée de vous remettre, ne vous a-t-elle point dit que ce billet venait de la femme Capet et qu’il était destiné à ce chevalier dont il est question?
R. Elle ne m’a pas dit qu’il était destiné à ce chevalier.
D. N’était-il pas de votre devoir, sachant que ce billet venait de la femme Capet et qu’il était écrit avec une épingle, de vous informer à qui il était destiné et de ce qu’il contenait, et n’était-il pas bien probable qu’en se plaignant de l’entrée ici de ce particulier, à l’instant même où on vous remettait ce billet vous deviez soupçonner que c’était à lui qu’il pouvait être adressé et qu’il y avait là nécessairement une intrigue et qu’il importait à l’intérêt public de la dévoiler. Comment donc, vous trouvant avec ce particulier n’avez-vous pas fait toutes les poursuites qu’une affaire aussi sérieuse exigeait d’un fonctionnaire public ?
R. Je vous réitère que j’ai mis si peu d’importance à la chose, et que j’ai cru qu’elle était finie.
D. Vous convenez que madame Richard vous a prévenu que l’homme que vous aviez amené avec vous auprès de la veuve Capet était une chevalier, vous avez senti l’inconvénient et le danger de l’avoir admis, vous lui en avez fait des reproches aujourd’hui, donc vous avez senti qu’un homme pareil était suspect, il faut donc être ou bien aveuglé ou bien indifférent sur ses devoirs pour n’avoir pas fait arrêter cet homme immédiatement après la rémission du billet que vous a fait madame Richard?
R. Je vous observe que j’ai regardé la chose comme non avenue et comme finie et ne devant pas avoir de suites, et la chose en est si vraie que je me suis trouvé aujourd’hui sans le savoir puisqu’il est vrai que je ne lui ai pas remis le billet.
D. Sur notre interpellation qui vous a d’abord été faite de déclarer si vous n’avez pas demandé à ce particulier si c’était à lui qu’était destiné le billet, vous avez répondu négativement, et cependant vous venez de nous dire que parmi les reproches que vous lui avez adressés vous n’avez pas oublié celui que ce billet pouvait être pour lui ?
R. J’ai reproché à ce particulier qu’il avait manqué de me mettre dans le plus grand embarras et qu’il était assez à présumer que le billet qu’on m’avait remis pouvait être destiné pour lui.
D. Quelles ont été les réponses de ce particulier à vos reproches ?
R. Il m’a dit qu’il en était bien fâché et qu’il ne l’avait pas fait dans cette vue là.
D. Connaissez-vous le domicile de cet homme ?
R. Oui, citoyen, il demeure à Vaugirard, chez la citoyenne Dutilleul.
D. Savez-vous son nom ?
R. Je ne le sais pas et je ne l’ai jamais su.
D. Nous vous observons qu’ayant mangé plusieurs fois avec lui chez le citoyen Fontaine que vous connaissez; que sachant le nom et la demeure de la femme chez laquelle il est logé il est bien étonnant que vous ne sachiez pas son nom que toutes les probabilités annoncent devoir vous être connu.
R. Je réponds que je ne le sais pas.
D. Vous n’avez donc pas entendu prononcer son nom chez le citoyen Fontaine, et malgré l’intérêt que vous deviez avoir à le connaitre, puisque cet homme vous avait compromis, comment n’avez-vous pas cherché à le savoir ?
R. Je fais la même réponse que j’ai faite auparavant, et je ne croyais pas qu’il fut important pour moi de l’apprendre, puisque je n’attachais aucune importance à cette affaire.
Lecture faite du présent interrogatoire et des réponses, a déclaré contenir vérité et y persister, et nous commissaires avons annexé le billet piqué avec une épingle au présent interrogatoire, observant qu’il ne nous parait présenter aucune lettre, ni liaison d’aucun mot, et que nous nous réservons de vérifier par preuve et autres témoignages, si c’est le même billet qui a été remis successivement par la veuve de Louis Capet au gendarme Gilbert, par celui-ci à la femme du concierge, et enfin par cette dernière au déposant qui a signé avec nous.
Michonis, Amar, Caillieux, J. Sévestre , Bax, secrétaire commis.
Nous avons fait appeler la citoyenne Richard, lui avons présenté le billet, et elle a reconnu que c’était le même qu’elle a remis au citoyen Michonis et a signé avec nous.
Femme Richard
Le citoyen Gilbert appelé pour reconnaitre le billet, l’a également reconnu et a signé, il a déclaré que la veuve Capet vient de lui demander si le chevalier de Saint Louis dont il a été question dans toutes les dépositions ci- dessus a été arrêté, il lui a répondu qu’il n’en savait rien et a signé.
Gilbert
Le citoyen Jean Maurice Francois Brasse (sic) lieutenant de gendarmerie près les tribunaux, étant descendu ce matin dans la chambre de la veuve
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p.37-43.
Capet, il a entendu cette dernière demander aux gendarmes commis à sa garde, si le chevalier de Saint Louis dont il est question dans la déposition
ci-dessus était arrêtée, sur quoi les gendarmes ont répondu qu’ils ne le savaient pas et a signé.
Marie-Antoinette n’a qu’un seul souci lors de cette journée terriblement éprouvante pour elle : espérer que le chevalier de Rougeville n’a pas été arrêter à cause d’elle.
Marie-Antoinette est prête à se sacrifier pour les personnes qui lui sont dévouées. Même pour celui qui ne fut finalement pour elle qu’un simple garde du corps particulièrement zélé.

A une heure certainement avancée de la nuit (les enquêteurs sont arrivés à quatre heures de l’après-midi à la Conciergerie), Marie-Antoinette est de nouveau écoutée.
Second interrogatoire de Marie Antoinette veuve Capet.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p.43-49.
Nous avons acquis par les dépositions et par les pièces de conviction qui sont entre nos mains, que dans les faits sur lesquels nous vous avons interrogée et que vous avez niés, vous avez dit faux?
R. Donnez-moi la preuve.
D. On vous a demandé s’il n’y avait pas quelque jour que vous aviez vu un ci-devant chevalier de Saint Louis que vous aviez reconnu, vous avez dit
non ?
R. Me rappelant le jour qu’il est venu, je l’ai connu.
D. Nous vous avons demandé si le même homme ne vous avait pas fait tenir un œillet, vous avez répondu non, le contraire a déposé que oui ?
R. Je réponds que la seconde fois qu’il est rentré dans ma chambre, j’ai appris qu’il y avait un œillet, je ni avais pas fait assez d’attention pour m’en être aperçue.
D. Vous convenez donc qu’il y en avait un?
R. Oui.
D. Vous avez nié d’avoir pris et ramassé un billet qui était dans l’œillet?
R. Je l’ai pris et ramassé.
D. Que contenait ce billet?
R. Des phrases vagues : « Que prétendez-vous faire, que comptez-vous faire, j’ai été en prison, je m’en suis tiré par un miracle; je viendrai vendredi. »
D. Etait-ce la première ou la seconde fois que vous l’avez vu?
R. Je ne l’ai reconnu que cette seule fois, et s’il y était venu auparavant, je ne l’aurais pas reconnu.
D. Ce billet ne contenait-il pas autre chose et ni avait-il point d’offre ?
R. Il y avait un offre d’argent ; mais je n’en ai pas besoin et je n’en accepterai de personne.
D. Il paraît que vous avez reconnu cet homme ; savez-vous son nom?
R. Je me rappelle dé l’avoir vu souvent, mais je ne sais pas son nom ?
D. Dans quelle occasion l’avez-vous connu?
R. Je l’ai vu aux Tuileries.
D. N’y a-t-il pas une époque remarquable où vous avez fait plus d’attention de lui ?
R. Oui, à l’époque du 20 juin 1792, il était dans la même chambre où j’étais.
D. Y resta-t-il longtemps ?
R. Tout le temps que j’y ai été.
D. D’où venaient les craintes que vous avez eues qu’il ne fut reconnu ?
R. Que tout homme qui vient ici peut se compromettre.
D. Ce même homme vous parla-t-il à l’époque du 20 juin?
R. Il me parla comme tout le monde ; il y avait huit à dix personnes : c’était dans le moment où j’étais encore renfermée.
D. Que vous dit-il alors ? Ne vous parla-t-il point des événements?
R. Je ne m’en rappelle pas du tout; je n’étais occupée que de mes enfants et de ce qui m’était cher dans le château.
D. Cet homme vous a-t-il demandé quelque faveur, quelque grâce?
R. Du tout.
D. Pourquoi vous appelle-t-il sa protectrice dans le billet qu’il vous a écrit?
R. Cela n’y était pas.
D. Qu’est devenu ce billet ?
R. Je l’ai déchiré en mille petits morceaux.
D. Avez-vous répondu à ce billet?
R. Répondu, non.
D. Si vous n’avez pas répondu, vous avez écrit, du moins. Que contenait cet écrit ?
R. Avec une épingle, j’ai essayé de marquer :
« Je suis gardée à vue, je ne parle ni n’écris. »
D. Reconnaitriez-vous le papier s’il vous était présenté ?
R. Oui.
D. Est-ce ce billet là ?
R. (Après l’avoir considéré.) Oui, c’est le même.
D. Cet homme vous adressa-t-il quelque parole?
R. Des mots vagues.
D. Vous rappelez-vous de ces mots?
R. Dans le moment ou je parlais de sensibilité, il me dit : « Le cœur vous manqua-t-il » ? et je répondis : «Il ne me manque jamais, mais il est profondément affligé. »
D. Cet homme ne versa-t-il pas des larmes?
R. Il pouvait être touché, il pouvait en faire semblant.
D. L’administrateur Michaunis vous a-t-il fait quelque proposition?
R. Jamais.
D. Pourquoi témoignez-vous tant d’intérêt de le revoir ?
R. Parce que son honnêteté et son humanité vis-à-vis de ceux même qui sont malheureux m’avait touchée.
D. Cet intérêt semblerait cependant avoir un autre motif et provenir de ce qu’il avait introduit dans votre appartement un homme qui vous offrait
des services ?
R. Il est à croire que Michaunis ne le connaissait pas lui-même ; quant au même l’intérêt, je le lui avais témoigné à l’époque de sa nomination à la municipalité.
D. Ce même homme n’était-il point un de ceux qui a servi dans la journée du dix août?
R. Non, je ne l’y ai pas vu.
D. Ne l’aviez-vous point vu du temps que vous étiez au Temple ?
R Du tout, il n’y venait que des membres de la commune.
D. N’y avez-vous pas vu Manuel?
R. Il y est venu trois fois à ce que je crois.
D. N’avez vous eu aucune relation à l’époque du dix août avec des députés de l’Assemblée législative ?
R. Non.
D. Etiez-vous instruite à l’époque d’avant le dix août des affaires politiques ?
R. Je n’en savais que ce que m’en disait la personne à laquelle j’étais uniquement attachée ?
D. Vous faisait-elle part de ses projets?
R. Elle me disait ce que sa confiance lui faisait dire.
D. Approuviez-vous ces projets?
R. Tout ce qui pouvait tendre à la tranquillité de tous était son vœu et le mien.
D. Si tels étaient vos sentiments, pourquoi n’avez-vous pas puni de la manière la plus exemplaire ceux qui en votre nom et pour vous, ont insulté
dans le château des Tuileries des soldats fédérés qui chantaient Veillons au salut de l’Empire?
R. Je ne connais pas ce détail là : je jouissais de sa confiance, je partageais vivement ses peines et je ne pressais ni ne demandais de punition.
D. Comment se peut-il que si tout le bonheur du peuple était l’unique objet de vos vœux, le peuple était si malheureux, si constamment vexé et tyrannisé par les perfidies de la cour et les trahisons du ministère ?
R. Il y a eu beaucoup de trahison ; je ne suis pas à même de les connaître ni de les dire ; ce que je sais, c’est que son cœur ne voulait que le bonheur.
Avant de terminer nos interrogatoires, la déposante déclare que si d’abord elle n’a pas dit la vérité, c’est qu’elle n’a pas voulu compromettre ce particulier, et qu’elle préférait de se nuire à elle- même; mais que voyant la chose découverte, elle n’a pas alors balancé à déclarer ce qu’elle savait.
Telles sont les dépositions et déclarations, et a signé avec nous.
Marie-Antoinette, Amar, Caillieux, J. Sévestre , Bax, secrétaire commis.
Le 4 septembre 1793 à sept heures trente du matin
Les interrogatoires ont duré si longtemps que nous sommes déjà le lendemain lorsque les enquêteurs écrivent :
Et attendu les faits résultant et réponses dont aux interrogatoires ci-dessus, avons arrêté provisoirement, sauf l’approbation, pour la réformation, du Comité de Sûreté Générale : Le citoyen Michaunis sera conduit à la Conciergerie pour y demeurer jusqu’à ce qu’autrement soit ordonné.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p. 49-50.
Fait et arrêté à la Conciergerie, ce 4 septembre, à sept heures et demi du matin, l’an deux de la République une et indivisible.
Et nous avons fait expédier un double du présent arrêté.
Amar, Caillieux, J. Sévestre , Bax, secrétaire commis.
Et de dépêcher un fin limier à la poursuite de Rougeville, le policier Baudrais, jacobin enragé proche d’Hébert, et ancien commandant des douze municipaux de garde auprès de Louis XVI lors de la nuit du 20 au 21 janvier. Autant dire un acharné.
Rougeville se cachera des semaines dans un puits de Montmartre, introuvable.
Le 5 septembre 1793
Sous pression de la Commune, les sans-culottes envahissent la Convention. Le tribunal révolutionnaire est divisé en quatre sections qui siègeront en permanence pour juger plus vite les accusés.
La Terreur est mise à l’ordre du jour.

Le même jour Sophie Dutilleul est à son tour arrêtée. Elle passe par le comité de sûreté général de la Convention avant de se retrouver devant le tribunal révolutionnaire.
Du 5 septembre 1793, l’an second de la République française, une et indivisible.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p.50-53.
D. Comment vous nommez-vous?
R. Sophie Le Bon, veuve Dutilleul.
D. Quel âge avez-vous ?
R. Vingt-trois ans, je suis née à Paris, paroisse Saint-Eustache.
D. Quel est votre état?
R. Je n’en ai pas.
D. Y a-t-il longtemps que vous connaissez le nommé Rougeville ?
R. Environ huit mois.
D. Quel âge a Rougeville, d’où est-il, quel est son état, et que faisait-il dans l’ancien régime ?
R. Il a trente-trois ans, il est d’Arras, il était dans la maison militaire du ci-devant Monsieur, aujourd’hui il n’a plus d’état.
D. Connaissez-vous le nommé Fontaine, y a-t-il longtemps que vous le connaissez et Rougeville est-il très lié avec lui?
R. Je connais Fontaine depuis un an à peu près, et Rougeville ne le connait que depuis qu’il a été mis aux Madelonnettes. J’ai connu Fontaine chez la citoyenne Étienne qui tient l’hôtel, ci-devant Dauphin, des Quatre-Fils, rue des Quatre-Fils, près l’hôtel Soubise.
D. Y a-t-il longtemps que vous n’avez vu le nommé Paumier neveu de Fontaine?
R. Je ne le connais pas.
D. Connaissez vous la citoyenne Bridau maitresse de Paumier?
R. Non.
D. Rougeville vous a-t-il parlé quelquefois de la ci-devant reine?
R. Indifféremment.
D. Vous a-t-il témoigné le désir de voir la ci-devant reine dans sa prison ?
R. Jamais.
D. Rougeville avait-il de grandes liaisons avec Michonis ?
R. Je ne lui en connais pas, il n’a vu Michonis que chez moi le jour de la Sainte-Anne, chez Fontaine le jour de la Saint-Pierre et mardi dernier quand nous y avons diné ensemble.
D. Quels étaient les convives qui étaient au diner de mardi dernier chez Fontaine?
R. Moi, Rougeville, Fontaine, Michonis, et un citoyen dont je ne connais pas le nom.
D. Avez-vous connu le citoyen Auger?
R. Non.
D. De quoi parla-t-on pendant le diner, parla-t-on d’affaires?
R. Non, Michonis se plaignit seulement de n’avoir pas été renommé du comité.
D. Savez-vous si Michonis a accompagné Rougeville à la Conciergerie pour voir la ci-devant reine?
R. Je n’en sais rien.
D. Rougeville est-il riche?
R. Rougeville est fils d’un négociant d’Arras qui dit on est fort riche ; son père s’appelle Gouse de Rougeville, il porte aussi le nom de Visamarle.
D. Je vous observe qu’il est invraisemblable que Rougeville ne vous ait pas parlé soit du projet de voir la ci-devant reine, soit de l’entrevue qu’il a eue
avec elle par l’entremise de Michonis ?
R. Je vous réponds qu’il ne m’en a jamais parlé, il était trop dissimulé pour cela et je lui ai fait souvent des reproches de sa dissimulation.
D. Lui avez-vous vu préparer quelque fleur, et y placer un billet ?
R. Non, il a pu prendre des fleurs dans le jardin parce qu’il y a des œillets.
D. Avec qui Rougeville est-il en correspondance chez l’étranger ?
R. Je ne lui connais pas de correspondance chez l’étranger.
D. Avez-vous quelquefois des rassemblements chez vous à Vaugirard ?
R. Jamais.
D. Reconnaissez-vous ce paquet et le cachet qui y est apposé?
R. Oui je le reconnais, c’est mon cachet.
D. Rougeville avait-il beaucoup d’or et beaucoup d’assignats ?
R. Je ne lui en ai pas vu.
D. Rougeville allait-il quelquefois à la campagne et où va-t-il?
R. Je n’en sais rien.
D. Savez-vous où est actuellement Rougeville?
R. Non, lorsque nous sommes partis ensemble mardi matin, il a pris deux chemises et quelques paires de bas : nous avons diné ensemble chez Fontaine et nous nous sommes séparés. Je ne l’ai pas vu depuis..
Fait et clos ledit jour, et a signé
DUTILLEUL.
(En marge : à remettre au tribunal révolutionnaire).
Sophie Dutilleul est à sa grande surprise remise en liberté. Les policiers pensent peut-être en faire un leurre : et si Rougeville voulait rejoindre sa maîtresse ?
Pendant ce temps les journaux sans-culottes se déchaînent contre la ci-devant Reine toujours et encore à la tête de complots contre la patrie… Néanmoins, rien de l’enquête ne fait ressortir un instant que Marie-Antoinette ait entraperçu un tant soit peu la liberté…
Le 8 septembre 1793
Transfert de Michonis à la prison de l’Abbaye.
Le 9 septembre 1793
Les gendarmes Gilbert et Dufresnes doivent quitter la chambre de Marie-Antoinette. Ils ne sont apparemment pas remplacés.

Le porte-clefs Larivière nous apprend que sa propre soeur Julie finira par épouser le gendarme Gilbert malgré l’opposition de leurs parents.
Larivière conclue :
«Il la rendit la plus malheureuse femme du monde étant le plus corrompu gendarme qui ait existé. Un jour, il alla jouer tout l’argent de sa compagnie, et puis se brûla la cervelle de désespoir.»
LENOTRE, G, Marie-Antoinette, La Captivité et la Mort, Perrin, Paris, 1930, p. 364.
Le 11 septembre 1793
C’est au tour de Marie Harel de quitter les lieux après quarante et un jours et nuits passés en tête-à-tête avec la Reine.
Marie-Antoinette n’a plus personne près d’Elle, Elle est totalement isolée. S’en sent-Elle mieux ?
Rosalie n’a plus le droit de poser ne serait-ce qu’un seul verre d’eau et madame Saulieu la blanchisseuse ne peut faire passer ses chemises qu’une par une et certainement auscultée par les autorités.
Marie-Antoinette couche désormais toute habillée, prête à attendre la mort, ostensiblement en noir. Elle craint plus que jamais d’être assassinée dans la nuit.
Une nouvelle frayeur lui est octroyée : Barassin, le frère de madame Richard, préposé aux pots de chambre de la prison et chargé du nettoyage de la cellule de la Reine depuis le départ de Marie Harel, entre quand il veut. Un bandit de grand chemin, un assassin, un galérien qui a échappé à sa peine… Voilà le dernier serviteur de la Reine de France.
Pour ne rien arrangé, des inspections par les administrateurs de police (dont l’un des leurs est sérieusement compromis) ou des architectes ont lieu à toutes heures du jour ou de la nuit, vérifiant les barreaux de fer aux fenêtres, si la veuve Capet ne communique pas en secret avec l’extérieur, fouillant son lit et bouleversant tous ses effets…

Des journaux s’alarment de la presque évasion de la veuve Capet, dont celui d’Hébert qui réclame son retour au Temple où elle était semble-t-il mieux gardée avec moins de moyens. On s’y oppose : Marie-Antoinette est inculpée, elle doit donc rester incarcérée dans la prison du tribunal révolutionnaire.
Le même jour
DÉPARTEMENT DE POLICE. — COMMUNE DE PARIS.
Du 11 septembre 1793, l’an deuxième de la République
une et indivisible.Ce jourd’hui onze septembre mille-sept-cent-quatre-vingt-treize, l’an second de la République une et indivisible, Nous administrateurs de police en vertu de notre arrêté de ce jour, nous sommes transportés ès prisons de la Conciergerie à l’effet d’y choisir un local pour la détention de la veuve Capet autre que celui ou elle est maintenant détenue ; y étant arrivés et après avoir vu toutes les chambres qui en dépendent, nous nous sommes arrêtés à la chambre où est déposée la pharmacie du citoyen Guillaume Jacques Antoine Lacour, pharmacien de ladite prison, en conséquence avons choisi ce local pour servir à la détention de ladite veuve Capet ; au moyen de quoi arrêtons que ledit Lacour débarrassera dans le jour, ledit local de tout ce qui peut lui appartenir et faire partie de sa pharmacie, même de la boiserie et vitres qui en dépendent ; arrêtons en outre que la grande croisée qui donne sur la cour des femmes sera bouchée au moyen d’une taule d’une ligne d’épaisseur, jusqu’au cinquième barreau de traverse ; que le surplus de ladite croisée sera grillé de fil de fer en mailles très serrées ; que quant à la seconde croisée ayant vue sur l’infirmerie, elle sera condamnée en totalité par le moyen d’une taule de la même épaisseur que celle ci-dessus ; que quant à la petite croisée ayant vue sur le corridor, elle sera bouchée entièrement en maçonnerie ; qu’un seuil de trois pouces d’épaisseur et en bois sera mis entre les deux poteaux d’appui et de leur épaisseur; qu’il sera en outre posé une seconde porte de forte épaisseur laquelle ouvrira en dedans de la chambre et sera fermée avec une forte serrure de sûreté ; qu’il sera mis à la porte qui existe deux verrous à l’extérieur ; que la gargouille qui existe pour l’écoulement des eaux sera bouchée en maçonnerie.
De l’exécution de tous lesquels ouvrages ci-dessus, chargeons le citoyen Godard notre collègue, qui s’oblige à les faire terminer dans le plus bref délai possible.
Et aussitôt ladite confection, ladite veuve Capet sera extraite de la chambre où elle est maintenant détenue et sera transférée dans le local ci-dessus désigné pour y rester jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné.Fait à la Conciergerie en ladite chambre de pharmacie les jour et an susdits, et avons signé : N. Froidure, Soulès, Gagnant, Figuet, Caillieux, Godard.
Pour copie certifiée conforme par nous administrateurs de police soussignés.
Soulès, Godard, N. Froidure
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p.55-57.

Marie-Antoinette ne connaîtra pas cette nouvelle cellule. Les travaux seront trop lents, des factures apparaissant encore au mois de novembre ! Elle restera donc au secret dans la chambre qu’elle connaît depuis le 2 août, plus isolée que jamais.
Des travaux urgents y sont aussi menés pour 983 livres, en attendant ceux plus importants de l’ancienne pharmacie, par le maçon Lemoine, le menuisier Leroy et le serrurier Gonvin.
Plus personne ne peut communiquer depuis la cour des femmes, les fenêtres étant barrées de fer.
D’autres mesures sont prises.
Le concierge Richard et son fils sont envoyés aux Madelonnettes, tandis que madame Richard part pour Sainte-Pélagie.
Ils sont remplacés par le concierge Bault et sa fille. Madame Bault écrira en 1816 des souvenirs mais ne sera pas présente à la Conciergerie durant l’intérim de son mari car elle restera à la prison de La Force où il était en poste jusque-là.
Seules les heures de repas apportent un peu de réconfort à Marie-Antoinette avec l’arrivée du nouveau concierge, de sa fille ou de Rosalie toujours préposée aux cuisines de la prison. Celle-ci dans ses souvenirs affirme que c’est elle qui coiffera désormais la Reine.
Mademoiselle Bault est quant à elle chargée d’apporter les médicaments dont Marie-Antoinette a de plus en plus besoin.

Des témoignages d’époque parlent indifféremment du concierge Bault ou Beau ou Lebeau.
Le 17 septembre 1793
Loi des suspects.
Le 22 septembre 1793
Marie-Antoinette signe un registre d’écrou. Elle est officiellement mise en jugement.
Septembre-octobre 1793
Marie-Antoinette entend tous les soirs de la cour donnant sur sa cellule, le greffier du tribunal révolutionnaire lire la liste des prisonniers réunis et inquiets qui passeront le lendemain dès 9 heures du matin devant le tribunal révolutionnaire.

Certains des noms entendus ne lui sont pas inconnus et on imagine la détresse qu’elle peut ressentir de savoir ces gens victimes de leur fidélité à la monarchie.
Parfois des femmes se mettent à insulter Marie-Antoinette, la rendant responsable de la situation. Pour Lafont d’Aussonne, il s’agit de femmes introduites et payées par la police afin de semer le trouble parmi les prisonnières et renforcer l’état de détresse de la Reine.
Le 3 octobre 1793
DÉCRET DE LA CONVENTION NATIONALE DU TROIS OCTOBRE MIL SEPT CENT QUATRE-VINGT-TREIZE, L’AN SECOND DE LA REPUBLIQUE FRANÇAISE UNE ET INDIVISIBLE,
Qui ordonne le prompt jugement de la veuve Capet au tribunal révolutionnaire.La Convention nationale, sur la proposition d’un membre, décrète que le Tribunal révolutionnaire s’occupera sans délai et sans interruption du jugement de la veuve Capet.
Visé par l’inspecteur,Signé : Joseph BECKER.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p.61.
Le même jour
Amar est cette fois-ci chargé de rédiger un acte d’accusation à l’encontre des girondins.
Le 5 octobre 1793
Mettre en jugement la ci-devant reine de France, d’accord.
Faut-il encore avoir des pièces contre elle. Ce dont se plaint Fouquier-Tinville :
Paris, le 5 octobre 1793, l’an II de la République une et indivisible.
Citoyen président,
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p.63-64.
J’ai l’honneur d’informer la Convention que le décret par elle rendu le trois de ce mois, portant que le tribunal révolutionnaire s’occupera sans délai et sans interruption du jugement de la veuve Capet m’a été transmis hier soir. Mais jusqu’à ce jour il ne m’a été transmis aucunes pièces relatives
à Marie Antoinette ; de sorte que quelque désir que le Tribunal ait d’exécuter les décrets de la Convention ; il se trouve dans l’impossibilité d’exécuter ce décret tant qu’il n’aura pas les pièces.
Le 6 ou 7 octobre 1793
Le colonel général de gendarmerie du Ménis choisit le lieutenant de Busne, âgé entre cinquante et cinquante-deux ans, comme surveillant de la cellule de la Reine.
Cet officier est entré au régiment du Dauphin en 1757.
Si l’on se fie au témoignage de Lafont d’Aussonne, à défaut de pouvoir sauver Marie-Antoinette, les deux hommes espèrent ainsi lui témoigner un peu d »humanité.

Pour le lieutenant, il s’agit d’un sacrifice : il ne sait quand il pourra revoir son enfant, devant rester au secret jusqu’à la résolution du sort de la prisonnière, quelle qu’en soit l’issue.
Marie-Antoinette découvre que ce dernier gardien est digne de confiance. Il n’hésite pas à lui exposer la situation politique internationale et lui donner des nouvelles des derniers fidèles de la monarchie, de ses serviteurs, certains morts depuis le 10 août 1792, sans qu’elle ait pu l’apprendre, prisonnière depuis cette date.
Evidemment, en tout premier lieu, elle a besoin de savoir ce que deviennent ses enfants et madame Elisabeth, toujours enfermés au Temple, son fils séparé et éduqué en petit sans-culotte.
Le 8 octobre 1793
Les membres du salut public répondent à l’accusateur :
Paris, le septième jour de la deuxième décade du premier mois de la République française une et indivisible.
Sur la demande que nous avons faite, citoyen, à notre collègue Garan-Coulon, en qualité de membre de la Commission des vingt et un, de nous donner des renseignements relatifs à la veuve Capet et de nous indiquer le lieu du dépôt des pièces qui ont servi de base à cette commission pour son travail sur le procès de Capet ; Il nous a répondu qu’il n’était que l’un des neuf adjoints à une précédente commission des douze ; qu’il est rentré au Comité de législation après le jugement de Capet ; que les pièces et papiers sont restés entre les mains de cette commission des douze dont le citoyen Rabaud Pommier était le secrétaire, ainsi que de celle des vingt et un.
Nous vous invitons à voir le citoyen Rabaud Pommier, afin qu’il vous donne des renseignements sur les pièces qui vous sont nécessaires.De notre côté nous lui écrivons pour qu’il nous fasse part de ce qu’il sait à ce sujet.
Salut et fraternité.
HÉRAULT, BILLAUD-VARENNE, B. BARÈRE, ROBESPIERRE, SAINT-JUST.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p.64.
Difficile de retrouver les pièces relatives au procès du Roi qui en plus concernent celui-ci et non directement son épouse.

Le samedi 11 octobre 1793
Les pièces sont enfin retrouvées !
LE COMITÉ DE SALUT PUBLIC A L’ACCUSATEUR PUBLIC PRÈS LE
TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIREParis, le vingtième jour du premier mois, l’an II de la République française.
Au désir de votre lettre du jour d’hier, nous vous prévenons, citoyen, que le Comité de salut public par la sienne de ce jour, vient d’autoriser notre collègue, garde des Archives nationales, à vous communiquer toutes les pièces relatives au procès de Capet, et celles devant servir à l’instruction de
celui de sa veuve qui peuvent être dans ce dépôt ; s’il s’élevait quelque nouvel obstacle pour la suite de cette affaire, vous voudrez bien nous en rendre compte, afin que nous prenions toutes les mesures capables de seconder votre zèle.Salut et fraternité.
HÉRAULT, BILLAUD-VARENNE, COLLOT-D’HERBOIS, ROBESPIERRE.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p.65-66.
Fouquier se met directement à l’ouvrage et contrairement à son habitude où il se contente de faire pré-imprimé ses actes d’accusation en rajoutant seulement à l’encre le nom du prévenu, il rédige en plusieurs étapes ce qu’il pense être son chef d’oeuvre, le summum de sa carrière.
Le 12 octobre 1793, vers six heures du soir
Traversant la cour et la tour Bonbec, la Reine est menée par le lieutenant de Busne et un autre gendarme jusqu’à la Grand-Chambre, devenue Salle de la Liberté, afin de subir son interrogatoire secret préparant son prochain procès.
Cette salle si importante dans l’histoire du pays, qui a connu les lits de justice des Rois de France depuis Saint Louis, est plongée dans le noir, à peine éclairée de deux bougies.
Le président du tribunal Herman, Fouquier-Tinville, un inspecteur de police et le greffier Fabricius l’attendent afin de lui exposer ce dont elle est accusée. D’autres personnes sont dissimulées par l’obscurité.
On Lui permet de s’asseoir sur une banquette.

Herman par ses questions ne fait que reprendre ce que lui dicte Fouquier-Tinville :
Ce jourd’huy vingt-unième jour du premier mois de l’an second de la République française, six heures de relevée, nous Amant-Martial-Joseph Herman, président du tribunal criminel révolutionnaire établi à Paris par la loi du 10 mars 1793, sans recours au tribunal de cassation, et encore en vertu des pouvoirs délégués au tribunal par la loi du 5 avril de la même année, assisté de Nicolas-Joseph Fabricius, greffier du tribunal, en l’une des salles de l’auditoire au Palais, et en présence d’Antoine-Quentin Fouquier, accusateur public, avons fait amener de la maison de la Conciergerie Marie-Antoinette, veuve Capet, à laquelle avons demandé ses noms, âge, profession, pays et demeure.
A répondu se nommer Marie-Antoinette Lorraine d’Autriche, âgée de 38 ans, veuve du Roi de France.
D. Quelle était sa demeure au moment de son arrestation ?
A répondu qu’elle n’a point été arrêtée; qu’on est venu la prendre à l’Assemblée nationale pour la conduire au Temple.
D. Vous avez eu avant la Révolution des rapports politiques avec le Roi de Bohême et de Hongrie, et ces rapports étaient contraires aux intérêts de la France qui vous comblait de biens?
R. A répondu que le roi de Bohême et de Hongrie était son frère ; qu’elle n’a eu avec lui que des rapports d’amitié et point de politique, que si elle avait eu de la politique, ses rapports n’eussent été qu’à l’avantage de la France, à laquelle elle tenait par la famille qu’elle a épousée.
D. Non contente de dilapider d’une manière effroyable les finances de la France, fruit des sueurs du peuple, pour vos plaisirs et vos intrigues, de concert avec d’infâmes ministres, vous avez fait passer à l’Empereur des millions pour servir contre le peuple qui vous nourrissait?
R. A répondu : Jamais. Elle sait que souvent on s’est servi de ce moyen contre elle ; qu’elle aimait trop son époux pour dilapider l’argent de son pays ; que son frère n’avait pas besoin de l’argent de la France; et par les
mêmes principes qui l’attachaient à la France, elle ne lui en aurait point donné.D. Depuis la Révolution vous n’avez cessé un instant de manœuvrer chez les puissances étrangères et dans l’intérieur contre la liberté, lors même que nous n’avions encore que le simulacre de cette liberté que veut absolument le peuple français?
R. A répondu que depuis la Révolution elle s’est interdite personnellement toute correspondance au dehors, et qu’elle ne s’est jamais mêlée de l’intérieur.
D. A elle représenté si elle n’a pas employé aucun agent secret pour correspondre avec les puissances étrangères, notamment avec son frère, et si Delessart n’était pas ce principal agent?
R. Jamais de la vie.
D. A elle observé que sa réponse ne nous paraît pas exacte; car il est constant qu’il existait au ci-devant château des Tuileries des conciliabules secrets et nocturnes qu’elle présidait elle-même, et dans lesquels on discutait, délibérait et arrêtait les réponses à faire aux puissances
étrangères et aux assemblées constituante et législative, successivement?R. A répondu que la réponse précédente est parfaitement exacte ; car il est constant que le bruit de ces comités a existé toutes les fois qu’on a voulu tromper le peuple et l’amuser; jamais elle n’a connu de comité, il n’en a point existé.
D. A elle observé qu’il paraît cependant que lorsqu’il a été question de savoir si Louis Capet sanctionnerait ou apposerait son veto aux décrets rendus dans le courant de novembre 1791, concernant ses frères, les émigrés et les prêtres réfractaires et fanatiques, ce n’est pas elle qui,
nonobstant les vives représentations de Duranton, lors ministre de la justice, a déterminé Louis Capet à apposer son veto à ces décrets dont la sanction aurait empêché les maux qu’a éprouvés depuis la France, ce qui prouve évidemment qu’elle assistait à ces conseils et conciliabules?R. A répondu qu’au mois de novembre Duranton n’était pas ministre; qu’au surplus son époux n’avait pas besoin qu’on le pressât pour faire ce qu’il croyait son devoir ; qu’elle n’était point du conseil, et que ce n’est que là que
ces sortes d’affaires se traitaient et se décidaient.D. C’est vous qui avez appris à Louis Capet cet art d’une profonde dissimulation avec laquelle il a trompé trop longtemps le bon peuple français, qui ne se doutait pas qu’on pût porter à un tel degré la scélératesse et la perfidie ?
R. A répondu : Oui, le peuple a été trompé, il l’a été cruellement, mais ce n’est ni par son mari ni par elle.
D. Par qui donc le peuple a-t-il été trompé?
R. Par ceux qui y avaient intérêt ; et que ce n’était pas le leur de le tromper.
D. Qui sont donc ceux qui dans leur opinion avaient intérêt de tromper le peuple ?
R. Qu’elle ne connaissait que leurs intérêts ; et que le leur était de l’éclairer et non de le tromper.
D. A elle observé qu’elle ne répond pas directement à la question ?
R. Qu’elle y répondrait directement si elle connaissait les noms des personnes.
D. Vous avez été l’instigatrice principale de la trahison de Louis Capet ; c’est par vos conseils et peut-être vos persécutions qu’il a voulu fuir la France, pour se mettre à la tête des furieux qui voulaient déchirer leur patrie?
R. Que son époux n’avait jamais voulu fuir la France ; qu’elle l’a suivi partout ; mais s’il avait voulu sortir de son pays, elle aurait employé tous les moyens possibles pour l’en dissuader; mais ce n’était pas son intention.
D. Quel était donc le but du voyage connu sous le nom de Varennes ?
R. De se donner la liberté qu’il ne pouvait avoir ici aux yeux de personne, et concilier de là tous les partis pour le bonheur et la tranquillité de la France.
D. Pourquoi voyagiez-vous alors sous le nom emprunté d’une baronne russe ?
R. Parce que nous ne pouvions pas sortir de Paris sans changer de nom.
D. Si entre autres personnes qui ont favorisé son évasion, Lafayette, Bailly, et Renard, architecte, n’étaient pas du nombre ?
R. Que les deux premières personnes eussent été les derniers qu’ils auraient employés ; la troisième était dans le temps sous leurs ordres, mais ils ne l’ont jamais employé à cet effet.
D. A elle représenté que la réponse est contradictoire avec des déclarations faites par des personnes qui ont fui avec elle, et desquelles il résulte que la voiture de Lafayette, au moment où tous les fugitifs sont descendus
par l’appartement d’une femme au service de l’accusée, était dans l’une des cours, et que Lafayette et Bailly observaient, tandis que Renard dirigeait sa marche?R. Qu’elle ne sait pas quelles dispositions ont pu faire les personnes qui étaient avec elle ; ce qu’elle sait, c’est que c’est elle qui a rencontré dans la place du Carrousel la voiture de Lafayette, mais elle passait son chemin et
elle était loin de s’arrêter. Quant à Renard, elle peut assurer qu’il ne dirigeait pas la marche ; c’est elle seule qui a ouvert la porte et fait sortir tout le monde.D. A elle observé que de cet aveu, qu’elle a ouvert les portes et fait sortir tout le monde, il ne reste aucun doute que c’est elle qui dirigeait Capet dans ses actions et qui l’a déterminé à fuir?
R. A répondu qu’elle ne croyait pas qu’une porte ouverte prouvât qu’on dirige les actions, en général, de quelqu’un ; que son époux désirait et croyait devoir sortir d’ici avec ses enfants, qu’elle devait le suivre, c’était son devoir, son sentiment; elle devait tout employer pour rendre sa sortie sûre.
D. Vous n’avez jamais cessé un moment de vouloir détruire la liberté ; vous vouliez régner à quelque prix que ce fût et remonter au trône sur le cadavre des patriotes?
R. Qu’ils n’avaient pas besoin de remonter sur le trône, qu’ils y étaient ; qu’ils n’ont jamais désiré que le bonheur de la France, qu’elle fût heureuse ; mais qu’elle le soit ils seront toujours contents.
D. A elle représenté que si tels avaient été ses sentiments, elle aurait usé de l’influence connue qu’elle avait sur l’esprit de son frère pour l’engager à rompre le traité de Pilnitz fait entre lui et Guillaume ; traité dont le but
unique a été et est de s’associer toutes les puissances étrangères pour anéantir la liberté, que les Français veulent et auront nonobstant cette coalition et la trahison?R. A répondu qu’elle n’a connu ce traité qu’après qu’il a été fait et qu’il a été longtemps à avoir effet. On doit remarquer que ce ne sont pas les puissances étrangères qui ont attaqué la France.
D. A elle représenté qu’il est vrai que les puissances étrangères n’ont point déclaré la guerre; mais l’accusée ne doit pas ignorer que cette déclaration de guerre n’a eu lieu que par les intrigues d’une faction liberticide, dont les auteurs recevront bientôt la juste peine qu’ils méritent ?
R. A répondu qu’elle ne sait pas de qui l’on veut parler, mais qu’elle sait que l’assemblée législative a réitéré la demande de la déclaration de guerre ; et que son mari n’y a accédé que de l’aveu unanime de son conseil.
D. Vous avez eu avec des ci-devant princes français, depuis qu’ils sont sortis de France, et avec des émigrés des intelligences ; vous avez conspiré avec eux contre la sûreté de l’Etat ?
R. A répondu qu’elle n’a jamais eu aucune intelligence avec aucun Français au dehors ; quant à ses frères, il serait possible qu’elle eût écrit une ou deux lettres très insignifiantes ; mais elle ne le croit pas, car elle se rappelle en avoir refusé souvent.
D. Vous avez dit, le 4 octobre 1789, que vous étiez enchantée de la journée du premier octobre, journée remarquable par une orgie des gardes du corps et du régiment de Flandre qui, dans l’épanchement de l’ivresse,
avaient exprimé leur dévouement pour le trône et leur aversion pour le peuple et avaient foulé aux pieds la cocarde nationale pour arborer la cocarde blanche ?R. A répondu qu’elle ne se rappelle pas avoir dit pareille chose ; mais il est possible qu’elle ait dit avoir été touchée du premier sentiment qui animait cette fête ; quant au reste de la question, il ne fallait pas de l’ivresse pour que les gardes du corps témoignassent du dévouement et de l’attachement pour les personnes au service desquelles ils étaient ; qu’à l’égard de la cocarde, si elle a existé, ce ne pouvait être que l’erreur de quelques-uns ;
qu’ils ne l’ont pas su et qu’ils l’auraient désapprouvé dans le moment ; mais il n’est pas à croire que des êtres ainsi dévoués foulassent aux pieds et voulussent changer la marque que leur roi portait lui-même.D. Quel intérêt mettez-vous aux armes de la République?
R. A répondu le bonheur de la France est celui qu’elle désire par-dessus tout.
D. Pensez-vous que les rois soient nécessaires au bonheur du peuple ?
R. A répondu qu’un individu ne peut pas décider de cette chose.
D. Vous regrettez sans doute que votre fils ait perdu un trône sur lequel il eût pu monter, si le peuple enfin éclairé sur ses droits n’eût pas brisé ce trône?
R. A répondu qu’elle ne regrettera jamais rien pour son fils quand son pays sera heureux.
D. Quelle est votre opinion sur la journée du 10 août, où les Suisses, par l’ordre du maître du château, ont tiré sur le peuple ?
R. A répondu qu’elle était hors du château quand on a commencé à tirer ; qu’elle ne sait pas comment cela s’est passé ; qu’elle sait seulement que jamais l’ordre n’a été donné de tirer.
D. Pendant votre séjour au Temple, n’avez-vous pas été informée exactement des affaires politiques, et n’avez-vous pas entretenu des correspondances avec les ennemis de la République, par l’entremise ou la facilité de quelques officiers municipaux qui étaient de service auprès
de vous, ou par quelques personnes par eux introduites dans votre habitation ?R. A répondu que depuis quatorze mois qu’elle est renfermée, elle n’a eu aucune nouvelle ni connaissance des affaires politiques ; qu’elle n’a eu aucune correspondance et qu’elle ne l’aurait même pas pu ; que depuis
le commencement d’octobre on avait ôté de chez eux plumes, encre, papier et crayons; qu’elle ne s’est jamais adressée à aucun officier municipal, étant à croire que cela eût été inutile, et qu’elle n’y a vu qui que ce soit au monde autre qu’eux.D. A elle représenté que sa réponse est contradictoire avec les déclarations faites par les personnes qui habitaient et habitent le même lieu?
R. A répondu qu’il n’y a pas beaucoup de personnes qui habitaient le Temple, qu’il n’y avait qu’eux ; et que celles qui le déclarent osent le prouver ; que cela n’est pas vrai.
D. Si depuis qu’elle est à la Conciergerie, il n’y a pas été introduit dans le lieu qu’elle habite différentes personnes ; si l’une d’elles ne lui a pas remis un œillet dans lequel était un écrit, et si ce n’est pas elle qui a ramassé cet œillet d’après les signes réitérés qui lui ont été faits par la même personne?
R. A répondu qu’il est entré différentes personnes dans la chambre qu’elle habite, mais avec les administrateurs de police ; qu’elle ne les connaît point, qu’il y en a eu qu’elle a cru reconnaître; qu’il est vrai qu’il a laissé tomber un œillet comme elle l’a déjà déclaré une fois, mais qu’elle y prêtait si peu d’attention, que sans les signes elle ne l’aurait pas ramassé, et qu’elle l’a relevé dans la crainte qu’il ne se trouvât compromis si on le trouvait.
D. N’avez-vous pas reconnu cette personne comme étant au château des Tuileries le 20 juin et pour être une des personnes restées auprès de vous ledit jour 20 juin?
R. A répondu : Oui.
D. N’avez-vous pas reconnu cette même personne pour s’être trouvée au château des Tuileries le 10 août?
B. A répondu : Non.
D. Savez-vous son nom?
R. A répondu : Non, qu’elle ne s’en rappelle pas si elle l’a su.
D. Il est difficile de croire que vous ne sachiez pas son nom ; car cette personne s’est flattée que vous lui aviez rendu de grands services, et on ne rend pas ordinairement d’aussi grands services que ceux annoncés, sans connaître la personne qui en est l’objet d’une manière plus ou moins particulière ?
R. A répondu qu’il serait possible que ceux qui ont rendu service l’oublient, ou que ceux qui l’ont reçu s’en ressouviennent ; mais qu’elle ne lui a jamais rendu de service, et qu’elle ne le connaissait pas assez.
D. Si elle a répondu au billet trouvé dans l’œillet?
R. Qu’elle l’a essayé avec une épingle, non pas de lui répondre, mais de l’engager à n’y pas revenir, au cas qu’il s’y présentât encore.
D. Si elle reconnaîtrait sa réponse?
R. Que oui.
A elle montré et représenté le billet servant de réponse et piqué d’épingles, l’a reconnu.
D. Si elle n’a pas fait un mouvement au moment où cette personne s’est présentée à elle ?
R. N’ayant vu aucun visage depuis treize mois, il est assez simple qu’elle ait été saisie dans le premier moment, ne fût-ce que par l’idée du danger qu’on pourrait courir en venant dans la chambre qu’elle habitait ; qu’après, elle
a cru qu’il était employé quelque part, et qu’elle s’est rassurée.D. Ce qu’elle entend par ces mots : J’ai cru qu’il était employé quelque part, et je me suis rassurée?
R. Comme il était arrivé plusieurs personnes chez elle avec les administrateurs, qu’elle ne les connaissait pas, elle a cru qu’il pouvait être employé dans quelque place, aux sections ou ailleurs, et qu’alors il ne courait plus de dangers.
D. Si les administrateurs de police lui ont souvent amené du monde?
R. Qu’ils étaient presque toujours accompagnés d’une, deux ou trois personnes à elle inconnues.
D. Les noms des administrateurs qui venaient le plus souvent la voir ?
R. Que c’étaient Micbonis, Michel, Jobert et Marino qui venaient le plus souvent.
D. Si ces quatre administrateurs ont toujours également amené des personnes à elle inconnues ?
R. Qu’elle le croit, mais qu’elle ne s’en rappelle pas.
D. Si elle a quelque chose à ajouter à ses différentes réponses, et si elle a un conseil ?
R. Que non, attendu qu’elle ne connaît personne.
D. Si elle veut que le tribunal lui en nomme un ou deux d’office?
R. Qu’elle le veut bien.
D’après quoi, lui avons nommé d’office pour conseils et défenseurs officieux les citoyens Tronson-Ducoudray et Chauveau de la Garde.
Lecture faite de l’interrogatoire ci-dessus et des réponses qu’elle a faites, a déclaré persister dans lesdites réponses, et n’avoir rien à y ajouter ni diminuer, et a signé le présent interrogatoire avec nous, ledit accusateur public, et le greffier.
Signé: Marie-Antoinette ; Herman, président ; Fouquier,
Campardon, Émile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, pp. 210-221
accusateur public ; Fabricius, greffier.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62159775/f247.it
D’après Lafont d’Aussonne citant la témoignage du gendarme de Busne, une fois de retour dans sa cellule, Marie-Antoinette est en proie à une violente crise de nerfs. Le gendarme inquiet pour la vie de la prisonnière tente de la réconforter :
« Madame, lui dit l’officier tout éperdu, au nom de Dieu votre créateur, au nom de votre innocence et de votre gloire, ne cherchez pas à mourir, et souffrez que je vous rende à la vie. » En disant ces paroles il dégage de tous ces liens les membres affaiblis de la Reine il la replace sur son oreiller, qui s’était abattu ; il rétablit et dispose de son mieux cette faible et misérable couche et, prenant dans ses mains les pieds glacés de Marie-Antoinette, il les réchauffe par le contact, par le frottement, et par l’utile secours de sa respiration.
LAFONT D’AUSSONNE, Mémoires secrets et universels des malheurs et de la mort de la reine de France , Paris, 1824, p. 293
La Reine, succombant pour la première fois depuis ses malheurs, sous le poids accablant de ses peines, venait d’éprouver une attaque nerveuse des plus violentes. Elle versa des larmes jusqu’au point du jour; et, dès que le grand jour parut, elle reprit ses sens et se promena sans interruption dans sa chambre.»
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k680395/f302.item
Apaisée, Marie-Antoinette demande à son gardien s’il connaît les deux avocats qui lui sont commis d’office. Il la rassure sur leur bonne réputation.
Le 13 octobre 1793
Fouquier-Tinville achève son acte d’accusation, reprenant les points et quasiment les mots de l’interrogatoire préparé en fonction :
Antoine Quentin Fouquier-Tinville, accusateur public près le tribunal criminel révolutionnaire, établi à Paris, par décret de la Convention nationale du 10 mars 1793, l’an deuxième de la République, sans aucun recours au tribunal de cassation, en vertu du pouvoir à lui donné par l’article II d’un autre décret de la Convention du 5 avril suivant, portant que l’accusateur public dudit tribunal est autorisé à faire arrêter, poursuivre et juger sur la dénonciation des autorités constituées ou des citoyens.
Expose que suivant un décret du premier août dernier, Marie Antoinette, veuve de Louis Capet, a été traduite au tribunal révolutionnaire comme prévenue d’avoir conspiré contre la France ; que par un autre décret de la Convention, du 3 octobre, il a été décrété que le tribunal révolutionnaire s’occuperait sans délai et sans interruption du jugement ; que l’accusateur public a reçu les pièces concernant la veuve Capet, les 19 et 20 du présent mois de la deuxième décade, vulgairement dits 11 et 12 octobre présent mois : qu’il a été aussitôt procédé par l’un des juges du tribunal à l’interrogatoire de la veuve Capet; qu’examen fait de toutes les pièces transmises à l’accusateur public, il en résulte qu’à l’instar des Messalines, Brunehaut, Frédégonde et Médicis, que l’on qualifiait autrefois de reines de France, et dont les noms à jamais odieux ne s’effaceront pas des fastes de l’histoire, Marie Antoinette, veuve de Louis Capet, a été depuis son séjour en France le fléau et la sangsue des Français ; qu’avant même l’heureuse révolution qui a rendu au peuple Français sa souveraineté, elle avait des rapports politiques avec l’homme qualifié roi de Bohême et de Hongrie ; que ses rapports étaient contraires aux intérêts de la France ; que non contente, de concert avec les frères de Louis Capet, et l’infâme et exécrable Calonne, lors ministre des finances, d’avoir dilapidé d’une manière effroyable les finances de la France (fruit des sueurs du peuple), pour satisfaire à des plaisirs désordonnés et payer les agents de ses intrigues criminelles, il est notoire qu’elle a fait passer à différentes époques à l’Empereur, des millions qui lui ont servi et lui servent encore à soutenir la guerre contre la République; et que c’est par ces dilapidations excessives, qu’elle est parvenue à épuiser le trésor national.
Que depuis la révolution, la veuve Capet, n’a cessé un seul instant d’entretenir des intelligences et des correspondances criminelles et nuisibles à la France, avec les puissances étrangères et dans l’intérieur de
la République, par des agents à elle affidés, qu’elle soudoyait et faisait soudoyer par le Trésorier de la liste civile; qu’à différentes époques elle a usé de toutes les manœuvres qu’elle croyait propres à ses vues perfides, pour opérer une contre-révolution ; d’abord, ayant, sous prétexte d’une réunion nécessaire entre les ci devant gardes du corps et les officiers et soldats du régiment de Flandre, ménagé un repas entre ces deux corps, le premier octobre 1789, lequel est dégénéré en une véritable orgie, ainsi qu’elle le désirait ; et pendant le cours de laquelle les agents de la veuve Capet, secondant parfaitement ses projets contre-révolutionnaires,
ont amené la plupart des convives à chanter, dans l’épanchement de l’ivresse, des chansons exprimant le plus entier dévouement pour le trône et l’aversion la plus caractérisée pour le peuple, et de les avoir insensiblement amenés à arborer la cocarde blanche et à fouler aux pieds la cocarde nationale, et d’avoir par sa présence autorisé tous ces excès contre-révolutionnaires, surtout en encourageant les femmes qui l’accompagnaient, à distribuer ces cocardes blanches aux convives ; d’avoir, le 4 du même mois, témoigné la joie la plus immodérée, de ce qui s’était passé à cette orgie.En second lieu, en ayant, conjointement avec Louis Capet, fait imprimer et distribuer avec profusion, dans toute l’étendue de la République, des
ouvrages contre-révolutionnaires, de ceux même adressés aux conspirateurs, ou publiés en leur nom, tels que les Pétitions aux émigrants ; la Réponse des émigrants ; les Émigrants au peuple ; les Plus courtes
folies sont les meilleures ; le Journal à deux liards ; l’Ordre, la marche et l’entrée des émigrants ; d’avoir même poussé la perfidie et la dissimulation au point d’avoir fait imprimer et distribuer avec la même profusion des ouvrages dans lesquels elle était dépeinte sous des couleurs peu avantageuses, qu’elle ne méritait déjà que trop en ce temps ; et ce, pour
donner le change et persuader aux puissances étrangères qu’elle était maltraitée des Français, et les animer de plus en plus contre la France ; que pour réussir plus promptement dans ses projets contre-révolutionnaires, elle avait, par ses agents, occasionné dans Paris et aux environs, les premiers jours d’octobre 1789, une disette qui a donné lieu à une nouvelle insurrection, à la suite de laquelle une foule innombrable de citoyens et citoyennes se sont portés à Versailles le 5 du même mois ; que ce fait est prouvé, d’une manière sans réplique, par l’abondance qui a régné le lendemain même de l’arrivée de la veuve Capet à Paris et de sa famille.Qu’à peine arrivée à Paris, la veuve Capet, féconde en intrigues de tous genres, a formé des conciliabules dans son habitation ; que ces conciliabules composés de tous les contre-révolutionnaires et intrigants des assemblées Constituante et Législative, se tenaient dans les ténèbres de la nuit ; que l’on y avisait aux moyens d’anéantir les droits de l’homme et les décrets déjà rendus qui devaient faire la base de la Constitution ; que c’est dans ces conciliabules qu’il a été délibéré sur les mesures à prendre pour faire décréter la révision des décrets qui étaient favorables au peuple ; qu’on a arrêté la fuite de Louis Capet, de sa femme, et de toute sa
famille, sous des noms supposés, au mois de juin 1791, tentée tant de fois et sans succès à différentes époques; que la veuve Capet, convient dans son interrogatoire que c’est elle qui a tout ménagé et tout préparé pour effectuer cette évasion , et que c’est elle qui a ouvert et fermé la porte de l’appartement par ou tous les fugitifs sont passés ; qu’indépendamment de la veuve Capet à cet égard, il est constant, d’après les déclarations de Louis Charles Capet, et de la fille Capet, que Lafayette, favori sous tous les rapports de la veuve Capet, et Bailly, lors maire de Paris, étaient présents au moment de cette évasion et qu’ils l’ont favorisée de tout leur pouvoir ; que la veuve Capet, après son retour de Varennes a recommencé ces conciliabules ; qu’elle les présidait elle-même, et que d’intelligence avec son favori Lafayette l’on a fermé les Tuileries, et privé par ce moyen les citoyens d’aller et venir librement dans les cours et ci-devant château des Tuileries ; qu’il n’y avait que les personnes munies de cartes qui avaient leur entrée ; que cette clôture, présentée avec emphase par le traitre Lafayette comme ayant pour objet de punir les fugitifs de Varennes, était une ruse imaginée et concertée dans ces conciliabules ténébreux, pour priver les citoyens des moyens de découvrir ce qui se tramait contre la liberté dans ce lieu infâme ; que c’est dans ces mêmes conciliabules qu’a été déterminé l’horrible massacre qui a eu lieu le 17 juillet 1791, des plus zélés patriotes qui se sont trouvés au Champ de Mars ; que le massacre qui avait eu lieu précédemment à Nancy, et ceux qui ont eu lieu depuis dans les divers autres points de la République, ont été arrêtés et déterminés dans ces mêmes conciliabules ; que ces mouvements qui ont fait couler le sang d’une foule immense de patriotes, ont été imaginés pour arriver plutôt et plus sûrement à la révision des décrets rendus et fondés sur les droits de l’homme, et qui par là étaient nuisibles aux vues ambitieuses et contre-révolutionnaires de Louis Capet et de Marie-Antoinette ; que la constitution de 1791 une fois acceptée, la veuve Capet s’est occupée de la détruire insensiblement par toutes les manœuvres qu’elle et ses agents ont employées dans les divers points de la république ; que toutes ses démarchés ont toujours eu pour but d’anéantir la liberté, et de faire
rentrer les Français sous le joug tyrannique pour lequel ils n’ont langui que trop de siècles ; qu’à cet effet la veuve Capet, a imaginé de faire discuter
dans ces conciliabules ténébreux, et qualifiés depuis longtemps, avec raison, de cabinet autrichien, contre les lois qui étaient portées par l’assemblée Législative ; que c’est elle et par suite de la détermination prise dans ces conciliabules, qui a décidé Louis Capet à apposer son veto aux fameux et salutaires décrets rendus par l’assemblée Législative
contre les ci-devant princes frères de Louis Capet, et les émigrés et contre cette horde de prêtres réfractaires et fanatiques répandus dans toute la
France ; veto qui a été l’une des principales causes des maux qu’a éprouvés depuis la France.Que c’est la veuve Capet qui faisait nommer les ministres pervers, aux places dans les armées et dans les bureaux, des hommes connus de la nation entière pour des conspirateurs contre la liberté ; que c’est par ses manœuvres et celles de ses agents, aussi adroits que perfides, qu’elle est parvenue à composer la nouvelle garde de Louis Capet d’anciens officiers qui avaient quitté leur corps lors du serment exigé, de prêtres réfractaires et d’étrangers, et enfin de tous les hommes réprouvés pour la plupart de la nation, et dignes de servir dans l’armée de Coblentz, ou un très grand nombre est en effet passé depuis leur licenciement.
Que c’est la veuve Capet, d’intelligence avec la faction liberticide qui dominait alors l’assemblée Législative et pendant un temps la Convention, qui a fait déclarer la guerre au roi de Bohême et de Hongrie, son frère ; que c’est par ses manœuvres et ses intrigues, toujours funestes à la France, que s’est opérée la première retraite des Français du territoire de la Belgique.
Que c’est la veuve Capet, qui a fait parvenir aux puissances étrangères les plans de campagne et d’attaque qui étaient convenus dans le conseil ; de manière que par cette double trahison, les ennemis étaient toujours instruits à l’avance des mouvements que devaient faire les armées de la République : d’où suit la conséquence que la veuve Capet est l’auteur des revers qu’ont éprouvés en différents temps les armées françaises.
Que la veuve Capet a médité et combiné avec ses perfides agents l’horrible conspiration qui a éclaté dans la journée du 10 août, laquelle n’a échoué que par les efforts courageux et incroyables des patriotes ; qu’à cette fin, elle a réuni dans son habitation aux Tuileries, jusque dans les souterrains,
les Suisses qui aux termes des décrets, ne devaient plus composer la garde de Louis Capet, qu’elle les a entretenus dans un état d’ivresse depuis le 9 jusqu’au 10 au matin, jour convenu pour l’exécution de cette horrible conspiration ; qu’elle a réuni également et dans le même dessein, dès le 9 une foule de ces êtres qualifiés de chevaliers du poignard, qui avaient figuré déjà dans le même lieu le 28 février 1791, et depuis à l’époque du 20 juin 1792.Que la veuve Capet, craignant sans doute que cette conspiration n’eut pas tout l’effet qu’elle s’en était promise, a été dans la soirée du 9 août vers les
neuf heures et demie du soir, dans la salle où les Suisses et autres à elle dévoués travaillaient à des cartouches ; qu’en même temps qu’elle les encourageait à hâter la confection de ces cartouches, pour les exciter de plus en plus, elle a pris des cartouches et a mordu des balles (les expressions manquent pour rendre un trait aussi atroce) ; que le lendemain 10, il est notoire qu’elle a pressé et sollicité Louis Capet à aller dans les Tuileries, vers cinq heures et demie du matin, passer la revue des véritables Suisses, et d’autres scélérats qui en avaient pris l’habit, et qu’à son retour elle lui a présenté un pistolet, en disant : Voilà le moment de vous montrer, et que sur son refus elle l’a traité de lâche ; que quoique dans son interrogatoire la veuve Capet, ait persévéré à dénier qu’il ait été donné aucun ordre de tirer sur le peuple, la conduite qu’elle a tenue le 9, sa démarche dans la salle des Suisses, les conciliabules qui ont eu lieu toute la nuit et auxquels elle a assisté, l’article du pistolet et son propos à Louis Capet, leur retraite subite des Tuileries, et les coups de fusil tirés au moment même de leur entrée dans la salle de l’assemblée Législative ; toutes ces circonstances réunies ne permettent pas de douter qu’il n’ait été convenu dans le conciliabule qui a eu lieu pendant toute la nuit, qu’il fallait tirer sur le peuple et que Louis Capet et Marie-Antoinette qui était la grande directrice de cette conspiration, n’ait elle même donné l’ordre de tirer.Que c’est aux intrigues et aux manœuvres perfides de la veuve Capet d’intelligence avec cette faction liberticide dont il a déjà été parlé, et à tous les ennemis de la République, que la France est redevable de cette guerre intestine qui la dévore depuis si longtemps et dont heureusement la fin n’est pas plus éloignée que celle de ses auteurs.
Que dans tous les temps, c’est la veuve Capet, qui par cette influence qu’elle avait acquise sur l’esprit de Louis Capet, lui avait insinué cet art profond et
dangereux de dissimuler et d’agir, et promettre par des actes publics le contraire de ce qu’il pensait et tramait conjointement avec elle dans les ténèbres, pour détruire cette liberté si chère aux Français et qu’ils sauront conserver, et recouvrer ce qu’ils appelaient la plénitude des prérogatives royales.Qu’enfin, la veuve Capet immorale sous tous les rapports et nouvelle Agrippine est si perverse et si familière avec tous les crimes, qu’oubliant sa qualité de mère et la démarcation prescrite par les lois de la nature, elle n’a pas craint de se livrer avec Louis Charles Capet, son fils, et de l’aveu de ce dernier, à des indécences dont l’idée et le nom seuls font frémir d’horreur.
D’après l’exposé ci-dessus, l’accusateur public a dressé la présente accusation contre Marie Antoinette se qualifiant dans son interrogatoire de Lorraine d’Autriche, veuve de Louis Capet, pour avoir méchamment et à dessein 1° de concert avec les frères de Louis Capet et l’infâme ex ministre Calonne, dilapidé d’une manière effroyable les finances de la France, et d’avoir fait passer des sommes incalculables à l’Empereur, et d’avoir épuisé ainsi le Trésor national ; 2° d’avoir tant par elle que par ses agents contre-révolutionnaires, entretenu des intelligences et des correspondances avec les ennemis de la République et d’avoir informé et fait informer ces mêmes ennemis des plans d’attaque et de campagne convenus et arrêtés dans le Conseil ; 3° d’avoir par ses intrigues et manœuvres et celles de ses agents tramé des conspirations et des complots contre la sûreté intérieure et extérieure de la France, et d’avoir à cet effet allumé la guerre civile dans divers points de la République et armé les citoyens les uns contre les autres, et d’avoir par ce moyen fait couler le sang d’un nombre incalculable de citoyens, ce qui est contraire à l’article iv de la section première du titre premier de la deuxième partie du code pénal, et à l’article n de la deuxième
section du titre 1 du même code.En conséquence l’accusateur public requiert qu’il lui soit donné acte par le Tribunal assemblé de la présente accusation qu’il soit ordonné qu’à sa diligence, et par un huissier du Tribunal porteur de l’ordonnance à intervenir, Marie Antoinette se qualifiant de Lorraine d’Autriche, veuve de Louis Capet, actuellement détenue dans la maison d’arrêt, dite de la
Conciergerie du Palais, sera écrouée sur les registres de ladite maison, pour y rester comme en maison de justice, comme aussi que l’ordonnance à intervenir sera notifiée à la municipalité de Paris et à l’accusée.Fait au cabinet de l’accusateur public, le premier jour de la troisième décade du premier mois de l’an second de la République française une et indivisible.
Antoine Quentin Fouquier
Le Tribunal, faisant droit sur le réquisitoire de l’accusateur public, lui donne acte de l’accusation par lui portée contre Marie Antoinette dite Lorraine d’Autriche, veuve de Louis Capet ; En conséquence ordonne qu’à sa diligence et par un huissier du Tribunal porteur de ladite ordonnance, ladite Marie-Antoinette veuve de Louis Capet, sera prise au corps, arrêtée et écrouée sur les registres de la maison d’arrêt, dite la Conciergerie, à Paris, ou elle est actuellement détenue pour y rester comme en maison de justice, comme aussi que la présente ordonnance sera notifiée tant à la municipalité de Paris qu’à l’accusée.
Campardon, Émile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, pp. 82-96.
Fait et jugé au Tribunal, le second jour de la troisième décade du premier mois de l’an second de la république par les citoyens Amant-Martial-Joseph Herman, président; Étienne Foucault ; Gabriel Toussaint Scellier ; Pierre André Coffinhal ; Gabriel Deliège ; Pierre Louis Ragmey ; Antoine Marie Maire ; François Joseph Denizot et Étienne Masson, N. J. Fabricius, greffier.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62159775/f108.item
Le même jour
Les avocats commis d’office, Guillaume-Alexandre Tronson du Coudray (1750-1798) et Claude François Chauveau-Lagarde (1756-1841), entrent dans la cellule dans l’après-midi.

Témoignage de Chauveau-Lagarde, publié en 1816 :
Je me trouvais à la campagne, le 14 octobre 1793, lorsqu’on vint m’avertir que j’étais nommé avec M. Tronson-Ducoudray pour défendre la reine devant le tribunal révolutionnaire, et que les débats devaient commencer
dès le lendemain huit heures du matin.
Je partis à l’instant pour sa prison plein du sentiment d’un devoir aussi sacré, mêlé de la plus profonde amertume.La prison de la Conciergerie est, comme on le sait, la prison des accusés qui sont sur le point de passer en jugement, ou qui doivent après leur condamnation aller à la mort.
Après avoir passé deux guichets, on trouve un corridor obscur, à l’entrée duquel on ne peut se conduire qu’à la lueur d’une lampe qui y reste constamment allumée.A droite sont des cachots ; à gauche est une chambre où la lumière pénètre par deux petites croisées garnies de barreaux de fer, et donnant au niveau de la petite cour des femmes.
Cette chambre, où fut enfermée la Reine, était alors divisée en deux parties par un paravent. A gauche en entrant, était un gendarme avec ses armes ; à droite était, dans la partie occupée par la Reine, un lit, une table, deux chaises : Sa Majesté était vêtue de blanc avec la plus extrême simplicité.Il n’est personne qui, se transportant en idée dans un tel lieu, se mettant à ma place, ne sente ce que je dus éprouver en y voyant l’épouse d’un des plus dignes héritiers de saint Louis, l’auguste fille des empereurs d’Allemagne, une Reine qui par sa grâce et sa bonté avait fait les délices de la plus brillante cour de l’Europe, et qui fut l’idole de la nation française.
En abordant la Reine avec un saint respect, mes genoux tremblaient sous moi, j’avais les yeux humides de pleurs; je ne pus cacher le trouble dont mon âme était agitée ; et mon embarras fut tel que je ne l’eusse éprouvé jamais à ce point, si j’avais eu l’honneur d’être présenté à la Reine et de la voir au milieu de sa cour, assise sur un trône, environnée de tout l’éclat de la royauté.
Elle me reçut avec une majesté si pleine de douceur, qu’elle ne tarda pas à me rassurer, par la confiance dont je m’aperçus bientôt qu’elle m’honorait, à mesure que je lui parlais et qu’elle m’observait.
Je lus avec elle son acte d’accusation, qui fut connu dans le temps de toute l’Europe, et dont je ne rappellerai point ici les horribles détails.A la lecture de cette œuvre de l’enfer, moi seul fus anéanti; !a Reine, sans s’émouvoir, me fit ses observations. Elle s’aperçut, et je le remarquai, que le gendarme pouvait entendre une partie de ce qu’elle disait. Mais, en témoignant n’en avoir aucune inquiétude, elle continua de s’expliquer avec la même sécurité.
Je pris mes premières notes pour sa défense, je montai au greffe pour y examiner ce qu’on appelait les pièces du procès ; j’en trouvai un amas si confus et si volumineux, qu’il nous eût fallu des semaines entières pour les examiner. Je redescendis à la prison pour en faire part à la Reine, et je crois encore être présent à l’entretien que j’eus, à cette occasion, l’honneur d’avoir avec Sa Majesté.Sur l’observation que je lui fis qu’il nous serait impossible de connaître ces pièces en aussi peu de temps et qu’il était indispensable d’avoir un délai pour les examiner. A qui, me dit la Reine, faut-il s’adresser pour cela ?
Je craignais de m’expliquer; et comme je prononçais à voix basse le nom de la Convention nationale : «Non, répondit la Reine, en détournant la tête, non jamais ! »
J’insistai, en représentant à la Reine qu’étant chargés de la défendre, notre devoir était de ne rien négliger pour confondre la calomnie ; que nous étions déterminés à le remplir du mieux qu’il nous serait possible ; que sans l’examen des prétendus papiers du procès, notre volonté serait, du moins en partie, impuissante ; que d’ailleurs je ne proposais pas à Sa Majesté de former en son nom une demande à cette assemblée, mais de lui adresser, au nom de ses défenseurs, une plainte contre une précipitation qui était aux termes de la loi un véritable déni de justice.En parlant ainsi, je vis la Reine ébranlée ; mais elle ne pouvait se résoudre encore à une démarche qui lui répugnait. Je continuai en la suppliant de m’excuser si je revenais sur un sujet que je sentais bien lui être pénible.
J’ajoutai que nous avions à défendre dans la personne de Sa Majesté, non pas seulement la Reine de France, mais encore la veuve de Louis XVI, la mère des enfants de ce roi et la belle-sœur de nos princes, qui se trouvaient,
comme on le sait, nommément désignés avec elle dans l’accusation.Cette dernière idée réussit ; et à ces mots de sœur, d’épouse et de mère, la nature l’emporta sur la souveraineté ; la Reine, sans proférer une seule parole, mais laissant échapper un soupir, prit la plume, et écrivit à l’Assemblée, en notre nom, deux mots pleins de noblesse et de dignité, par lesquels, en effet, elle se plaignait de ce qu’on ne nous avait pas laissé le temps d’examiner les pièces du procès et réclamait pour nous le délai nécessaire.
Campardon, Émile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, pp.221-225.
La réclamation de la reine fut transmise à Fouquier-Tinville. Il promit de la communiquer à l’Assemblée ; mais il n’en fit aucun usage, ou, du moins, il en fit un usage inutile, car le lendemain, 15 octobre, les débats commencèrent à 8 heures du matin.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62159775/f247.item
Le ton plein de déférence envers la Reine présentée comme la victime de monstres sanguinaires est caractéristique des productions littéraires et artistiques de la période de la Restauration.
Notons que l’avocat se trompe de date. Nous ne sommes pas le 14 mais bien le 13 octobre.

Ute Lemper


De son côté, Tronson du Coudray n’a pas eu le temps de témoigner ultérieurement sur ce procès à un moment où il était de bon ton de se montrer comme défenseur de la cause monarchique. En effet, il a été déporté en Guyane durant le Directoire, soupçonné de royalisme, où il meurt un an plus tard.
On lui doit cependant un mémoire pour les veuves et enfants des citoyens condamnés par le tribunal révolutionnaire antérieurement à la loi du 22 prairial, ici un extrait concernant le procès de Marie-Antoinette, page 26 :
Nous abandonnâmes quelque temps après (le procès de Custines, dont Tronson avait été le défenseur) cette douloureuse carrière, et nous n’y rentrâmes que lorsque le Tribunal nous rappela pour y défendre la ci-devant Reine de France.
Nous ne parlerons pas de ce procès. Il est assez connu ; nous nous contenterons de rappeler les fables dégoûtantes d’horreur et d’infamie qui furent un des chefs principaux d’accusation, et dont l’énergique réfutation nous valut l’instant d’après l’honneur d’être détenu avec notre collègue Chauveau-Lagarde.
Campardon, Émile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p. 225
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62159775/f247.item

Quelle que soit l’époque où ils rédigent leur témoignage, les deux avocats dénoncent la parodie de justice qu’est ce procès, comme tous les autres du tribunal révolutionnaire.
Ce qu’elle entend de l’acte d’accusation ne peut l’étonner puisqu’il reprend quasiment l’essentiel de son interrogatoire de l’avant-veille.
Seul un détail diffère et de poids : elle est également accusée de crime contre-nature envers son fils.
En comprend-elle l’ampleur ? Réagit-elle devant ses avocats ? Se prépare-t-elle déjà à y répondre ?
Notons que Marie-Antoinette a toute confiance envers le lieutenant de Busne.
Le 14 octobre 1793, à huit heures du matin
Pour paraître devant le tribunal révolutionnaire Marie-Antoinette arrangea ses cheveux, ajouta à son bonnet de linon bordé d’une garniture plissée, deux barbes volantes qu’elle avait dans un carton, et sous ces barbes de deuil ajusta un crêpe noir, ce qui lui faisait une coiffure de veuve.
Déclaration de Rosalie Lamorlière, servante des époux Richard, et ensuite du concierge Bault
De nouveau, Marie-Antoinette repasse les cours, tours et escaliers la menant dans l’ancienne Grande-Chambre afin de comparaître devant le président Herman (1759-1795).

D’après l’ouvrage de Jean Epois sur Charlotte Corday
Une série de témoins défile sans apporter de preuves convaincantes de Sa culpabilité, et pour cause.

Le procès de Marie-Antoinette : https://www.marie-antoinette-antoinetthologie.com/le-proces-de-marie-antoinette-2/
Le 15 octobre 1793, à neuf heures du matin
Reprise des débats.
Le 16 octobre 1793, à quatre heures du matin
Marie-Antoinette est condamnée à mort.
Ses défenseurs peuvent une fois de plus se rendre compte de ce qu’est la justice du temps de la révolution.
D’après la Gazette des Tribunaux :
« Pendant l’instruction du procès de la veuve Capet, les comités de surveillance et de sûreté générale de la Convention déterminèrent que les défenseurs officieux de cette femme seraient, à l’expiration de leur ministère, arrêtés, conduits au Luxembourg et interrogés séparément.
Cette mesure avait pour objet de savoir si Marie-Antoinette ne leur avait pas confié des papiers ou révélé des faits qu’il importait de connaître. Cet arrêt s’exécuta.
Au surplus on traite les défenseurs avec des égards infinis.
Des commissaires les interrogent : Chauveau-Lagarde déclare que tous les discours de Marie-Antoinette n’ont roulé que sur des objets qui la concernent personnellement ; qu’elle s’est renfermée dans une négative constante, et qu’elle a montré la plus profonde dissimulation ; qu’elle a demandé à ses défenseurs ce qu’ils pensaient des dépositions des témoins ; que sur leur réponse qu’il ne résultait encore rien de positif des débats, elle s’est écriée : « Je ne crains que Manuel » qu’elle leur a en outre demandé si elle n’avait pas mis dans ses réponses trop de dignité, ajoutant qu’au sortir de l’audience elle avait entendu une femme dire : « Vois-tu comme elle est fière ! »
Antoinette m’a confié, porte l’interrogatoire de Tronson-Ducoudray, deux anneaux d’or et des cheveux qui paraissent être les siens pour être remis à Liarry, son amie, qui demeure chez un nommé Laporte.
Un décret de la Convention du 25 du premier mois de la seconde année de la République a remis en liberté lesdéfenseurs de la veuve Gapet.»
Campardon, Émile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p. 228
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62159775/f254.item
On sent toute la différence entre ce témoignage de Chauveau-Lagarde et celui fait durant la Restauration !
Les deux avocats n’hésitent pas à exprimer publiquement ce que la Reine leur a confié. Ils veulent avant tout sauver leur peau !
Il faut lire pour la dame Liarry madame de Jarjayes, femme de chambre de Marie-Antoinette.
D’après le Moniteur, journal officiel du temps :
« Dans les premières heures de son interrogatoire on l’a vue promener ses doigts sur la barre du fauteuil avec l’apparence de la distraction, et comme si elle eût joué du fortèpiano.
Campardon, Émile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p. 229-230.
En entendant prononcer son jugement, elle n’a laissé paraître aucune marque d’altération, et elle est sortie de la salle d’audience sans adresser aucun discours ni aux juges ni au public.
Il était quatre heures et demie du matin, 25 du premier mois (16 octobre, vieux style) ; on l’a reconduite au cabinet des condamnés dans la maison d’arrêt de la Conciergerie.»
Tous les autres témoins s’accordent pour dire que Marie-Antoinette a été reconduite dans son cachot et non dans la cellule destinée aux condamnés du jour. On peut douter que le Moniteur ait envoyé un reporter sur place…
Pendant ce temps…
De Busne ne peut continuer à veiller sur les dernières heures de Marie-Antoinette.
En effet, il est arrêté : il a eu le malheur de faire preuve de trop d’humanité à la condamnée, écrasée par l’émotion, au moment de La ramener chez Elle.
Il se justifie dans une lettre au tribunal qui montre à quel point celui-ci, et en particulier son accusateur, terrorise n’importe qui :
« Quel délit m’impute ce citoyen (le gendarme Jourdeuil qui l’a dénoncé) ou ceux qui partagent ses opinions ? D’avoir donné un verre d’eau à l’accusée, et cela au défaut des citoyens huissiers qui, dans ce moment étaient absents pour le service du tribunal ; d’avoir tenu mon chapeau à la main, faisant chaud et pour ma commodité, et non par respect pour une femme condamnée dans mon opinion.
Le digne citoyen accusateur public s’était expliqué envers nous qu’il y avait un officier à la conduite de l’accusée, ainsi que cela se pratiquait dans le service de la prison. Comme la veuve Capet dérivait le corridor pour descendre l’escalier intérieur de la Conciergerie, elle me dit : je vois à peine à me conduire. Je lui présentai mon avant-bras droit, et elle descendit dans cette attitude l’escalier ; elle se reprit pour descendre les trois marches glissantes du préau. C’est pour lui éviter une chute que je pris cette mesure ; les hommes de bon sens ne pourront y voir d’autre intérêt ; car si elle fût tombée dans l’escalier, on eût crié à la conspiration, à la trahison, que la gendarmerie en était convaincue. Comment ose-t-on dénaturer ces intentions ? Les lois de la nature, ma mission, les lois de l’état le plus redoutable me prescrivaient le devoir de la conserver pour son parfait jugement.
Signé De Busne, lieutenant de gendarmerie près des tribunaux, membre de la Société populaire des Gardes françaises»
LENOTRE, G., Marie-Antoinette, La Captivité et la Mort, Perrin, Paris, 1930, p. 366
Une fois de plus, on est loin entre les écrits de la Restauration où tous se présentent comme de dignes serviteurs de la monarchie, prêts à tout pour sauver la Reine ou du moins lui apporter quelques dernières douceurs et la réalité de 1793 !

Notons qu’en 1816, le lieutenant de Busne écrira une lettre à la duchesse d’Angoulême afin d’obtenir la décoration de Saint-Louis :
«Je suis ce même officier que cite M. de Montjoye dans son immortelle Histoire de Marie-Antoinette, votre auguste mère, dénoncé, arrêté, inculpé pour avoir, suivant son coeur, fait son devoir avec un respectueux dévouement, prêt à terminer ses jours sous le couteau révolutionnaire.»
Ibid, p. 365
Savourons cet autre remarquable exemple d’opportunisme, tellement courant lors de toute époque troublée.
Sous Napoléon, le lieutenant de Busne sera nommé adjudant-major à l’hôtel des Invalides et chevalier de la Légion d’honneur.
Au même moment
Rosalie Lamorlière et le concierge Bault apprennent la condamnation. La servante est effondrée. Son patron est peiné mais plus habitué.
De retour dans sa cellule, Marie-Antoinette demande du papier, de l’encre et une plume. On les lui accorde malgré les ordres interdisant toute communication de la prisonnière depuis le 10 août 1792.
Elle rédige alors sa dernière lettre, à destination de sa belle-soeur madame Elisabeth :
« Ce 16 octobre, à quatre heures et demie du matin.
C’est à vous, ma sœur, que j’écris pour la dernière fois. Je viens d’être condamnée, non pas à une mort honteuse, elle ne l’est que pour les criminels, mais à aller rejoindre votre frère. Comme lui innocente, j’espère montrer la même fermeté que lui dans ces derniers moments. Je suis calme comme on l’est quand la conscience ne reproche rien. J’ai un profond regret d’abandonner mes pauvres enfants; vous savez que je n’existais que pour eux et vous, ma bonne et tendre sœur. Vous qui avez, par votre amitié, tout sacrifié pour être avec nous, dans quelle position je vous laisse ! J’ai appris, par le plaidoyer même du procès, que ma fille était séparée de vous. Hélas ! la pauvre enfant, je n’ose lui écrire ; elle ne recevrait pas ma lettre ; je ne sais même pas si celle-ci vous parviendra : recevez pour eux deux, ici, ma bénédiction.
J’espère qu’un jour, lorsqu’ils seront plus grands, ils pourront se réunir avec vous, et jouir en entier de vos tendres soins. Qu’ils pensent tous deux à ce que je n’ai cessé de leur inspirer ; que les principes et l’exécution exacte de ses devoirs sont la première base de la vie ; que leur amitié et leur confiance mutuelle en feront le bonheur.
Que ma fille sente qu’à l’âge qu’elle a, elle doit toujours aider son frère par les conseils que l’expérience qu’elle aura de plus que lui, et son amitié pourront lui inspirer. Que mon fils, à son tour, rende à sa soeur tous les soins et les services que l’amitié peut inspirer : qu’ils sentent enfin tous deux que, dans quelque position où ils pourront se trouver, ils ne seront vraiment heureux que par leur union. Qu’ils prennent exemple de nous ! Combien, dans nos malheurs, notre amitié nous a donné de consolation ! Et dans le bonheur, on jouit doublement quand on peut le partager avec un ami. Et où en trouver de plus tendre, de plus cher que dans sa propre famille ? Que mon fils n’oublie jamais les derniers mots de son père, que je lui répète expressément : qu’il ne cherche jamais à venger notre mort.»

« J’ai à vous parler d’une chose bien pénible à mon cœur. Je sais combien cet enfant doit vous avoir fait de la peine ; pardonnez-lui, ma chère sœur; pensez à l’âge qu’il a, et combien il est facile de faire dire à un enfant ce qu’on veut, et même ce qu’il ne comprend pas. Un jour viendra, j’espère, où il ne sentira que mieux tout le prix de vos bontés et de votre tendresse pour tous deux. Il me reste à vous confier encore mes dernières pensées. J’aurais voulu les écrire dès le commencement du procès ; mais outre qu’on ne me laissait pas écrire, la marche en a été si rapide, que je n’en aurais réellement pas eu le temps.
Je meurs dans la religion catholique, apostolique et romaine, dans celle de mes pères, dans celle ou j’ai été élevée et que j’ai toujours professée, n’ayant aucune consolation spirituelle et à attendre, ne sachant pas s’il existe encore ici des prêtres de cette religion ; et même le lieu où je suis les exposerait trop, s’ils y entraient une fois.
Je demande sincèrement pardon à Dieu de toutes les fautes que j’ai pu commettre depuis que j’existe. J’espère que dans sa bonté, il voudra bien recevoir mes derniers vœux, ainsi que ceux que je fais depuis longtemps pour qu’il veuille bien recevoir mon âme dans sa miséricorde et sa bonté. Je demande pardon à tous ceux que je connais, et à vous, ma sœur, en particulier, de toutes les peines que, sans le vouloir, j’aurais pu vous causer.
Je pardonne à tous mes ennemis le mal qu’ils m’ont fait. Je dis ici adieu à mes tantes et à tous mes frères et sœurs. J’avais des amis ; l’idée d’en être séparée pour jamais et leurs peines sont un des plus grands regrets que j’emporte en mourant ; qu’ils sachent du moins que, jusqu’à mon dernier moment, j’ai pensé à eux ! Adieu, ma bonne et si tendre sœur ; puisse cette lettre vous arriver. Pensez toujours à moi ; je vous embrasse de tout mon cœur, ainsi que mes pauvres et chers enfants : mon Dieu ! qu’il est déchirant de les quitter pour toujours. Adieu, adieu! je ne vais plus m’occuper que de mes devoirs spirituels. Comme je ne suis pas libre dans mes actions, on m‘amènera peut-être un prêtre; mais je proteste ici que je ne lui dirai pas un mot, et que je le traiterai comme un être absolument étranger. »
https://www.youtube.com/watch?v=talX6ea-UlI
Vers sept heures du matin
Le concierge Bault commande à Rosalie Lamorlière d’apporter quelque nourriture à la condamnée.
« En entrant dans dans le cachot, où brûlaient deux lumières, j’aperçus un officier de gendarmerie assis dans l’angle de gauche, et, m’étant approchée de Madame, je la vis tout habillée de noir, étendue sur son lit.
Le visage tourné vers la fenêtre, elle appuyait sa tête sur sa main. _«Madame, lui dis-je en tremblant, vous n’avez rien pris hier au soir, et presque rien dans la journée. Que désirez-vous prendre ce matin ?»
La reine versait des larmes en abondance ; elle me répondit :«Ma fille, je n’ai plus besoin de rien, tout est fini pour moi.»
Je pris la liberté d’ajouter : « Madame, j’ai conservé sur mes fourneaux un bouillon et un vermicelle ; vous avez besoin de vous soutenir, permettez-moi de vous apporter quelque chose.»
Les pleurs de la Reine redoublèrent, et elle me dit : « Rosalie, apportez-moi un bouillon.»
J’allais le chercher ; elle se mit sur son séant et ne put en avaler que quelques cuillerées ; j’atteste devant Dieu que son corps n’a pas reçu d’autres nourriture, et j’eus lei de me convaincre qu’elle perdait tout son sang.»
LENOTRE, G., Marie-Antoinette, La Captivité et la Mort, Relation de Rosalie Lamorlière, Perrin, Paris, 1930, pp. 252-253.
Dans une autre relation de Rosalie, d’après l’enquête de madame Simon-Vouet, l’autre étant celle de Lafont d’Aussonne, la servante fait dire à Marie-Antoinette à propos du bouillon :
« Je vous remercie, ma fille, je n’ai plus besoin de rien.»
LENOTRE, G., Marie-Antoinette, La Captivité et la Mort, Enquête de madame Simon-Vouet, Perrin, Paris, 1930, pp. 273.
Voyant la servante pleurer, Marie-Antoinette se ravise :
« Eh bien ! Rosalie, apportez-moi votre bouillon.»
Ibid
Ce bouillon, unique nourriture que Marie-Antoinette est capable d’avaler depuis près d’un mois, constituera les seules forces qui permettront à la condamnée de monter sur l’échafaud…
Rosalie doit quitter la cellule, promettant à la Reine de revenir un peu avant huit heures.
Après la nourriture physique, il s’agit de s’occuper de nourriture spirituelle. Or comme l’a écrit Marie-Antoinette quelques heures auparavant, il est hors de question pour elle d’adresser la parole à un prêtre qui a prêté serment. Si Louis XVI eut droit à un réfractaire, il n’est plus concevable en pleine Terreur de marquer encore quelque déférence à la Reine déchue.
La Conciergerie a trois aumôners qui officient en son sein : l’abbé Lothzinger assisté des abbés Lambert et Girard. C’est ce dernier qui est désigné pour assister la condamnée dans ses derniers moments.
Comprenant rapidement qu’elle ne lui dira rien, il lui demande au moins si elle lui permet de l’accompagner jusqu’au bout :
« Comme vous voudrez.»
Marie-Antoinette ne se sent sûrement plus la force d’imposer ses volontés. Ou peut-être, comme pour le bouillon de Rosalie, avalé pour faire plaisir à la servante, ne veut-elle pas contrarier le peu d’âmes compatissantes qui l’approchent dans ces dernières heures.
Vers huit heures du matin
Comme convenu, Rosalie revient aider Marie-Antoinette à s’habiller.
Le gendarme, qui n’est plus de Busne arrêté pour avoir montré un peu trop de compassion, a ordre de ne pas quitter la prisonnière des yeux.
Son nom est Léger et il a laissé un témoignage de deuxième main donné au conventionnel Moelle. Il y est affirmé que non seulement Marie-Antoinette ne rejoint pas sa cellule mais le cabinet des condamnés (contredisant ainsi les autres témoins) mais aussi qu’elle dormit paisiblement toute la nuit et se leva à cinq heures du matin !
Dans tous les cas, ce que l’on sait de ce gendarme par Rosalie Lamorlière ne permet pas de lui accorder une grande confiance ! Les deux femmes doivent faire preuve d’adresse pour cacher la Reine de sa vue alors qu’il faut absolument se changer.
Marie-Antoinette s’installe dans la ruelle entre le lit et la muraille et étend Elle-même la chemise amenée dans la matinée par une autre personne que Rosalie (la fille du concierge ?). Rosalie, sur signe de la Reine, se positionne devant le lit et Marie-Antoinette, pour la dernière fois de Sa vie, change de linge.
Le gendarme, imperturbable, s’approche du lit, se tient près du traversin, pose ses coudes sur l’oreiller et regarde la Reine se changer. Marie-Antoinette, tout en rougissant, ne peut s’empêcher de réagir :
« Au nom de l’honnêteté, Monsieur, permettez que je change de linge sans témoin.»
Et de rapidement se couvrir de Son grand fichu.
Le gendarme très dur, répond :
«Je ne saurais y consentir ; mes ordres portent que je dois avoir l’oeil sur tous vos mouvements.»
De tout temps, nous pouvons être confrontés à ces représentants de l’ordre qui ne font pas la différence entre leur devoir et le zèle, se dégageant sans honte ce qui distingue l’humanité de la monstruosité…
Tant bien que mal, accroupie dans la ruelle, recouverte de son fichu pour ses épaules et bras, Marie-Antoinette se vêt de Sa robe blanche, celle du matin. La noire Lui a été formellement interdite, les autorités refusant de montrer publiquement «la veuve Capet » en deuil.
C’est oublier que le deuil des reines a toujours été en blanc jusqu’à Catherine de Médicis.
Occupée par l’attitude atroce du gendarme, Rosalie ignore ce que fait Marie-Antoinette du médaillon représentant son fils. L’emporte-t-Elle avec Elle ? Le cache-t-Elle quelque part ?
Elle réussit cependant à la voir glisser Sa chemise ensanglantée dans sa manche puis la dissimuler dans un espace entre la toile à papier et la muraille.
Depuis deux jours qu’Elle reparaît en public, Marie-Antoinette a su gonfler ses cheveux et leur apporter quelques fioritures entre les rubans et barbes noires qu’Elle conserve dans Son carton.
Pour partir à l’échafaud, Elle se décide pour Son simple bonnet blanc.
Rosalie rajoute que la Reine se rendit à l’échafaud avec des chaussures couleur prune à la Saint-Huberty (du nom de l’actrice qui avait lancé le modèle). La couleur actuelle n’est pas vraiment «Prune» mais ce doit être à cause du temps…

Il est temps pour Rosalie de quitter Marie-Antoinette. La servante n’ose Lui faire ses adieux, encore moins une révérence. Ce serait trop risqué pour les deux femmes. Et ce n’est pas le moment de rajouter au chagrin de celle qui partira dans peu de temps pour l’échafaud.
Rosalie part se réfugier dans son cabinet afin de pleurer et prier pour la condamnée.
Vers dix heures du matin
Le concierge Bault qui ne peut pénétrer lui-même dans la cellule et qui y a suffisamment envoyé Rosalie (et peut-être sa fille) se porte maintenant sur Larivière qui en sa qualité de porte-clefs peut lui servir d’observateur.
Marie-Antoinette, en le voyant entrer lui dit :
« Larivière, vous savez qu’on va me faire mourir ?… Dites à votre respectable mère que je la remercie de ses soins, et que je la charge de prier Dieu pour moi.»
LENOTRE, G. Marie-Antoinette, La Captivité et la Mort, Perrin, Paris, 1930, p. 362.
Marie-Antoinette continue sa prière à genoux près de son lit. Entrent presque aussitôt les juges de la veille et le greffier Fabricius.

Marie-Antoinette se lève.
« Soyez attentive, on va vous lire votre sentence.»
Or contrairement à leur habitude, ces hommes se découvrent. Marie-Antoinette en impose encore.
Elle leur répond :
« Cette lecture est inutile, je ne connais que trop cette sentence.»
Mais on ne Lui laisse pas le choix.

Michèle Morgan dans Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy
Arrive alors Henri Sanson, le bourreau, fils de celui qui a exécuté Louis XVI.
Sans douceur, il s’approche d’Elle et Lui dit :
«Présentez vos mains.»
Marie-Antoinette a un mouvement de recul, c’en est trop pour Elle !
« Est-ce qu’on va me lier les mains ! on ne les a point liées à Louis XVI.»
Elle l’ignore forcément, mais Louis XVI aussi a dû subir cette dernière humiliation au pied de l’échafaud et comme son épouse, ce fut son ultime mouvement de révolte contre cette mort inique.
On ne le Lui laisse pas le choix :
« Fais ton devoir.
_Oh mon Dieu !! » s’écrie Marie-Antoinette qui est à la limite de perdre tout courage.
Larivière continue son récit :
« A ces paroles, Henri saisit brutalement les pauvres mains de la Reine, et les lui lia trop fort, derrière le dos. Je vis que la Princesse soupirait en levant les yeux vers le ciel ; mais elle retenait ses larmes, prêtes à couler.»
LENOTRE, G. Marie-Antoinette, La Captivité et la Mort, Perrin, Paris, 1930, p. 363.
Le bourreau Lui enlève ensuite son bonnet afin de Lui couper les cheveux.
Marie-Antoinette n’avait plus que sa chevelure _même blanchie_ comme marque de coquetterie. Rosalie souligne à quel point la prisonnière s’en préoccupe, en particulier pour ces trois derniers jours qui La replace sous les yeux du public. Même cela le Lui est enlevé.
Elle dont les coiffures auront été copiées par toutes les femmes, de l’Amérique à la Russie…
Marie-Antoinette marque à ce moment beaucoup d’émotions. Est-ce comme le dit Larivière parce qu’Elle pense être tuée ici, dans ce cachot ? Il est vrai que les gros ciseaux du bourreau ont de quoi effrayer n’importe qui. Où est-ce pour la perte de ses cheveux, avec tout ce que cela implique de symbolique ?
Sanson Lui replace ensuite Son bonnet puis s’empare de la chevelure qu’il fera brûler dans le vestibule.
Marie-Antoinette est prête : Elle est désormais tenue en laisse par le bourreau, la maintenant les coudes en arrière.

Un peu avant onze heures
Il est temps de quitter la prison. Les gendarmes forment une double haie de sa cellule jusqu’au greffe. Elle doit encore monter quelques marches jusqu’à la charrette des condamnés qui l’attend dans la cour de Mai.
Panique-t-Elle à cette vue ? Une douleur d’entrailles La prend soudain.
Elle a encore la force de demander à ce qu’on La détache afin de se soulager.
Son bourreau, les gendarmes et les juges ne peuvent faire autrement que d’accéder à cette ultime requête. Sanson Lui délie les mains et Marie-Antoinette se cache tant bien que mal dans un réduit obscur à gauche du greffe qu’on appelle la Souricière.
Ces quelques instants de répit, dans ces abominables conditions, ne durent guère. Il Lui faut se reprendre. Elle rejoint ceux qui L’attendent, est de nouveau attachée et Elle gravit ces marches descendues soixante-seize jours auparavant.



Entre onze heures douze et quinze minutes
Marie-Antoinette s’apprête à monter dans l’horrible charrette, dans le sens de la marche. On le Lui interdit. Jusqu’au bout, il faudra L’humilier.
La suivent l’abbé Girard, Sanson et son aide, debout et chapeau à la main tous deux. L’exécuteur en chef s’installe derrière Marie-Antoinette, tenant ostensiblement les cordes en main.
Marie-Antoinette passe les admirables grilles forgées commandées par son époux.
Tous les témoins s’accordent à dire que du Palais à la place de la Révolution, Marie-Antoinette conserve un air altier et fier.


Douze heures un quart
Exécution de Marie-Antoinette, place de la Révolution.

Les jours suivants
Les comptes des dépenses de l’incarcération de Marie-Antoinette à la Conciergerie sont faits :





Soixante-quatorze jours de nourriture, café pour déjeuner, pour diner : soupe, bouillie, un plat de légume, poulet et dessert dans d’autres jours, canard et pâté ; pour les dits soixante-quatorze jours, à raison de 15 livres chaque jour fait……………………………………1 110 livres
Plus : quarante-et-un jours de nourriture à la femme qui était auprès de la veuve Capet, à raison de 3 livres chaque jours fait…………………………………………….. 123 livres
Plus : deux matelas, dont un de crin, l’autre de laine, un lit de sangle, un traversin, une couverture, un fauteuil en canne servant de garde-robe, le tout ensemble et en loyer suivant les quittances……………………………………………………………………. 54 livres
A reporter……………………………….. 1 287 livres
Report ……………………………….. 1 287 livres
Pour un bidet en bazanne rouge, garni de sa seringue, le tout neuf, pour servir à ladite veuve Capet………………………………………………………… 60 livres
Pour loyer de livres…………………………………………………………………….. 16 livres
Pour deux bonnets, 7 livres chaque………………………………………….. 14 livres
Ruban et soie pour garniture d’un jupon…………………….. 3 livres 16 sols
Ruban pour ses souliers et ses cheveux……………………… 3 livres 18 sols
Une bouteille d’eau pour les dents……………………………….. 3 livres 12 sols
Pour blanchissage………………………………………………………………….. 22 livresTotal………………………………………………………………………………… 1 4O7 livres 46 sols
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p.58-59.
Le premier huissier du tribunal, accompagné de trois ou quatre personnes de même emploi, ordonne à Rosalie Lamorlière de serrer dans un drap toutes les affaires de la Reine, à l’exception du miroir et du carton que peut récupérer la servante, les ayant prêtés à la prisonnière.
Le moindre brin de paille est ramassé. Plus rien ne doit traîner, ces objets les plus humbles pouvant un jour servir de reliques.
Le 24 octobre 1793
Début du procès des girondins.
Vingt et un d’entre eux sont emprisonnés à la Conciergerie, dans la chapelle qui porte aujourd’hui leur nom.


Le 29 octobre 1793
Le tribunal criminel extraordinaire devient officiellement le tribunal révolutionnaire.
Le 30 octobre 1793
Condamnation à mort des girondins. Valazé préfère se suicider dans la salle du tribunal plutôt que d’affronter l’échafaud le lendemain.
Dans la nuit du 30 au 31 octobre 1793
Dernier banquet des girondins.


Le 31 octobre 1793
Départ des girondins pour l’échafaud.

Le 2 novembre 1793
Le duc d’Orléans (1747-1793), cousin régicide de Louis XVI, est ramené à Paris après plusieurs mois prisonnier dans le Midi où il laisse ses deux plus jeunes fils : on l’enferme à la Conciergerie.
Dans la nuit du 2 au 3 novembre 1793
Olympe de Gouges passe son unique nuit à la Conciergerie, après son procès qui la condamne à mort.
Elle partage sa cellule avec Madeleine Françoise Joséphine de Rabec, épouse Kolly (1758-1793), mère de trois enfants déjà orphelins de père (banquier suisse). Afin d’espérer un sursis, elle se déclare enceinte, ce qui est rapidement démenti.

Le 3 novembre 1793
Exécution d’Olympe de Gouges.

Le 5 novembre 1793
C’est au tour de Joséphine de Kolly de partir place de la Révolution. Elle a laissé une lettre déchirante à destination de ses enfants.
Le 6 novembre 1793
Celui qui s’est fait appeler Philippe Egalité est guillotiné.


Le 8 novembre 1793
Après de nombreux mois d’attente, mis à contribution pour rédiger son Appel à l’impartiale postérité, destinés à sa fille Eudora, Manon Roland affronte enfin le tribunal révolutionnaire.
Le procès est vite expédié : il commence dans la matinée pour s’achever en début d’après-midi.
Elle est menée place de la Révolution vers cinq heures de l’après-midi.
L’accompagne Simon-François Lamarche (1754-1793), ancien directeur de la fabrication des assignats, accusé de prévarications et surtout d’avoir retrouvé Louis XVI aux Tuileries le 9 août 1792.
Les deux, ne se connaissant vraisemblablement pas auparavant, se soutiendront mutuellement sous les huées de la foule. Lamarche passera à la guillotine avant Manon Roland.

Les 9 et 10 novembre 1793
Procès de Jean-Sylvain Bailly (1736-1793).

Premier maire de Paris, il est accusé d’avoir commandé conjointement avec le général Lafayette, la fusillade du Champs-de-Mars du 17 juillet 1791.
Il est également reconnu complice des soi-disants complots fomentés par Louis XVI et Marie-Antoinette. Déjà prisonnier durant le procès de cette dernière, il y est appelé comme témoin. Il ne fait rien pour enfoncer l’accusée, bien au contraire. Son sort est donc scellé.
Il passe ses derniers temps à la Conciergerie, non loin de ce qui fut le Logis du Roi puis celui du concierge, qu’il transformera en Mairie qui deviendra par la suite la préfecture de police.
Le 11 novembre 1793
Bailly est guillotiné, non place de la Révolution, mais au Champs-de-Mars afin de venger ses supposées victimes.

Le 16 novembre 1793
Les autorités n’ont pas fini de s’interroger sur l’affaire de l’oeillet (qui n’a pourtant occasionnée pas le moindre risque d’évasion de Marie-Antoinette !) et souhaitent donc de nouveau écouter Sophie Dutilleul, seule personne en capacité de donner une piste sur le chevalier de Rougeville disparu depuis le 3 septembre dernier.
EXTRAIT D’UN INTERROGATOIRE SUBI PAR DEVANT L’UN DES JUGES DU TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE, LE 26 BRUMAIRE AN Il, PAR LA FEMME DUTILLEUL.
D. N’avez-vous pas eu connaissance du complot formé entre Michonis et Rougeville d’aller chez la veuve Capet ?
R. Je n’en ai jamais entendu parler.
D. N’étiez-vous pas cependant à diner chez Fontaine ci-devant marchand de bois, où dînaient aussi Michonis et Rougeville?
D. Oui, j’y étais, ce fut moi qui y introduisis Rougeville que je ne connaissais pas, et qui demeurait chez moi comme locataire.
D. Ne fut-ce pas à ce diner et en votre présence que Michonis promit à Rougeville de l’introduire chez la veuve Capet ?
R. Non, je me rappelle bien qu’à ce diner quelqu’un dont j’ai dit le nom au comité de surveillance, à ce que je crois, a dit à Michonis : Marie-Antoinette doit être bien changée et doit bien FUMER ? A quoi Michonis a répondu : Mais elle est assez sans soucis, elle n’est guère changée, mais a les cheveux
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p.54-55.
presque blancs. »
Et a signé avec nous
FEMME DUTILLEUL.
Sophie Dutilleul est un peu plus bavarde que lors de son premier interrogatoire même si elle continue à protéger son amant.
Plusieurs semaines d’incarcération ont sûrement fait leur effet…
Le 17 novembre 1793
Arrestation de François de Saint-Prix, invalide et recruteur au Palais-Royal pour propos inciviques.
Le 18 novembre 1793
Ce dernier est évidemment condamné à mort. Mais il a un complice : son chien. Lui aussi est condamné à être assommé jusqu’à la mort.
Le même jour
Le journaliste Joseph Girey-Dupré (1769-1793), proche des girondins, ayant défendu le Roi lors de son procès et s’étant attaqué à Marat est enfin emprisonné à la Conciergerie après une cavalcade de plusieurs mois dans le sud de la France.
Le général-adjudant Gabriel-Nicolas Boisguyon (1763-1793) l’accompagne, accusé quant à lui de la défaite à Machecoul contre les Vendéens.
Tous deux tournent en dérision Sanson croisé dans les murs de la prison.
Antoine Barnave (1761-1793), arrêté depuis le 19 août dernier dans une prison de Grenoble est amené ce jour à la Conciergerie.

Il est accusé de complicité avec Louis XVI et Marie-Antoinette.
Le 21 novembre 1793
« Du 1er frimaire, l’an deux de la République française, une et indivisible
Le Comité de Sûreté Générale, vu la lettre du citoyen accusateur public près le tribunal révolutionnaire arrête que le citoyen Richard, concierge, sa femme et leur fils, seront mis en liberté, ne s’étant trouvé aucune charge contre eux dans l’affaire de Michonis et autres officiers municipaux.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p-35-36.
« Les membres du comité de sûreté générale de la Convention
nationale,
« Signé : M. Bayle, Guiffroy Vadier, David, Louis (du Bas-Rhin), Panis et La Vicomterie »
Ainsi les Richard sont lavés de tout soupçon, grâce à l’entremise de Fouquier-Tinville, retrouvant en outre leur place où la confiance de l’accusateur public est de mise.
Le même jour
Girey-Dupré et Boisguyon sont condamnés à mort, accompagnés d’un supposé faux-monnayeur clamant encore son innocence dans la charrette. Les deux camarades, tout en soutenant leur compagnon, n’hésitent pas à tourner en ridicule Robespierre tout le long du parcours.
Le 28 novembre 1793
Après un procès de deux jours, Barnave et l’ancien garde des sceaux Duport-Dutertre (1754-1793) sont condamnés à mort. Au moment de lui lier les mains, Barnave rappelle à Sanson que celles-ci furent les premières à signer la Déclaration des Droits de l’Homme…
Le 4 décembre 1793
Les administrateurs de police Froidure et Soulès, travaillant à la Mairie, donc au Palais, sont traduits devant le tribunal révolutionnaire, accusés d’avoir tenté de sauver de la guillotine la marquise de Charry (1767-1794), émigrée. Sans preuve contre eux, ils sont finalement acquittés.
Le même jour, Jeanne Bécu, comtesse du Barry (1743-1793) est transférée de la prison de Sainte-Pélagie à la Conciergerie.

Le 6 décembre 1793
Le procès de la dernière favorite s’ouvre devant le Tribunal révolutionnaire présidé par Fouquier-Tinville.
Le 7 décembre 1793
Jeanne du Barry est condamnée à la guillotine.

Le 8 Décembre 1793
Marie-Jeanne Bécu de Vaubernier, comtesse du Barry est guillotinée à Paris, place de la Révolution, anciennement place Louis XV.
« Elle est la seule femme, parmi tant de femmes que ces jours affreux ont vues périr, qui ne put avec fermeté soutenir l’aspect de l’échafaud ; elle cria, elle implora sa grâce de la foule atroce qui l’environnait, et cette foule s’émut au point que le bourreau se hâta de terminer le supplice. Ceci m’a toujours persuadée que, si les victimes de ce temps d’exécrable mémoire n’avaient pas eu le noble orgueil de mourir avec courage, la terreur aurait cessé beaucoup plus tôt.
Les hommes dont l’intelligence n’est pas développée ont trop peu d’imagination pour qu’une souffrance intérieure les touche, et l’on excite bien plus aisément la pitié du peuple que son admiration.»
VIGEE LE BRUN Elisabeth, Souvenirs.
Propos à méditer…
Le même jour
L’ancien ministre d’obédience girondine, Etienne Clavière (1735-1793) est enfin emprisonné après des mois décrété d’accusation et échappant à la fournée du 31 octobre.
Il a aussi été banquier suisse et ministres des finances (imposé) de Louis XVI en 1792.
On le dit protégé.
Spéculateur, à l’initiative de la création des assignats, il a participé à des missions occultes, notamment en Angleterre. On le soupçonne également d’être lié aux barons de Batz et de Breteuil, voire de financer leurs actions.
Il se suicide dans la prison.

Le 16 décembre 1793
Arrestation de Louis Le Peletier, marquis de Rosanbo (1747-1794), ancien premier président de la chambre de vacation, ses lettres de protestations cachées dans son cabinet à l’anglaise ayant été découvertes sur dénonciation. Sa femme Antoinette, elle aussi arrêtée n’est autre que la fille de Malesherbes.
Le 24 décembre 1793
Incarcération de Pierre Lebrun-Tondu (1754-1793), ancien ministre des Affaires étrangères du 10 août 1792 au 5 septembre 1793. Proche des girondins, il est surtout accusé d’intelligence avec le général Dumouriez. Recherché depuis le mois de septembre, il réussit à se cacher dans Paris, jusqu’à la dénonciation d’un membre du comité de sûreté générale, François Héron.

Du 25 au 27 décembre 1793
Début du procès de Lebrun. Sans surprise, il est condamné à mort. Il est clair que la situation diplomatique durant son mandat ne plaide guère en sa faveur…
Le 28 décembre 1793
Exécution du ministre Lebrun, place de la Révolution.
Le 16 janvier 1794
Arrivée à la prison de cent dix Nantais, hommes comme femmes, prisonniers de l’infâme Carrier.
La prison est déjà pleine à craquer et les nouveaux prisonniers sont malades, atteints de vermines, exténués par leur abominable voyage.
On les transfère rapidement à l’hospice de l’archevêché, où ceux qui ne succombent pas de leurs fièvres trouvent du secours auprès de madame Guyot, celle-là même qui aurait donné quelques réconforts à Marie-Antoinette.
Le 7 février 1794
Condamnation à mort de Roland Montjourdain, ancien soldat, devenu poète durant son incarcération.
Il écrit avant de mourir ses Couplets d’un condamné à mort à sa femme, après son jugement.

Dans la nuit du 13 au 14 mars 1794
Hébert et ses principaux partisans sont arrêtés. Il y a longtemps que Robespierre et la majorité des membres du comité de salut public souhaitent s’en débarrasser.
Afin d’apaiser la population sans-culotte dont Hébert avec son Père Duchêne est le maître à penser, on l’accuse en tant que membre de la Commune d’affamer le peuple en organisant une disette factice.

Le 16 mars 1794
Procès de Pierre Quétineau (1756-1794), général républicain envoyé en Vendée. Après une défaite contre les forces royalistes, il est arrêté par la Convention.
Le 17 mars 1794
Pierre Quétineau est condamné à mort.
Au même moment, son épouse Jeanne Robert née Latreille ( -1794) rejoint les hébertistes.
Le 24 mars 1794
Après un procès de trois jours, les hébertistes sont envoyés à la guillotine, Hébert hurlant de terreur.

Le 31 mars 1794
C’est au tour de Georges-Jacques Danton (1759-1794) et ses amis à être en état d’arrestation.

Après une mise au secret au Luxembourg, ils sont tous envoyés à la Conciergerie.

La plupart avocats, ils se sentent capables de se défendre par eux-mêmes. Ils ont oublié que l’adresse de Barnave n’a pas suffi à le sauver…

Le 2 avril 1794
Après une tentative avortée d’évasion pour son mari, Lucile Desmoulins est à son tour incarcérée.


Le 5 avril 1794
Danton et ses amis sont guillotinés après trois jours de procès.


Danton dit au bourreau :
«Tu montreras ma tête au peuple : elle en vaut la peine.»
Klaus-Maria Brandauer est Danton dans Les Années Terribles (1989) de Richard Heffron
Le 13 avril 1794
Lucile Desmoulins, la femme d’Hébert, le procureur de la Commune Chaumette, l’évêque constitutionnel de Paris Gobel et vingt autres personnes de bords divers voire opposés, sont tous envoyés à la guillotine.
Le 14 avril 1794
Vingt-quatre anciens parlementaires de Paris sont envoyés à la guillotine.
Des représentants des anciens parlements de province les suivront dans les jours qui suivent.
Que pensent-ils de ce Palais qui fut le leur devenu l’antichambre de la mort ?
Fouquier-Tinville, le magistrat raté, prend sa revanche…

C’est là celle que aides du bourreau préparent les condamnés à mort. C’est là que les condamnées remettent les derniers objets en leur possession, puis on leur lie les mains derrière le dos, on les tond à ras la nuque et on échancre largement le col de leur chemise. Ensuite on les dirige vers la Cour du Mai où les attendent les charrettes qui les conduiront à la guillotine.
Le 17 avril 1794
Condamnation à mort de Béatrix de Choiseul-Stainville, duchesse de Gramont (1729-1794).
Elle était la sœur du ministre Choiseul, égérie de son parti et salonnière. Mais en en 1794, elle est surtout une vieille dame qui n’a plus rien à voir avec l’actualité.
Le 22 avril 1794
C’est enfin le tour de personnalités des années précédant la Révolution, opposées à Louis XVI et qui obligèrent celui-ci à appeler les états-généraux :
Jean-Jacques Duval d’Eprémesnil dont le souvenir des actions dans les années 1787-1788 nous restent bien présents à l’esprit dans cet article, Isaac Le Chapelier (1754-1794) qui donna son nom à la loi interdisant aux ouvriers de se réunir, mais aussi fondateur du club des jacobins, et Jacques-Guillaume Thouret (1746-1794) à l’initiative de la création des départements et autres réformes judiciaires et administratives qui commença sa carrière politique comme agitateur du parlement de Rennes.
Trois hommes qui avouons-le sont largement responsables de ce qui se passa à partir de 1789 !
Cela n’empêche pas les juges du tribunal révolutionnaire de les amalgamer avec d’autres personnes cette fois totalement innocentes politiquement ou ayant prouvé leur fidélité à Louis XVI.
Incarcéré depuis plusieurs mois avec toute sa famille, Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes (1721-1794) est lui aussi guillotiné ce jour-là. Le suivent sa fille Antoinette, son gendre le marquis de Rosanbo, son petit-gendre Jean-Baptiste de Chateaubriand (frère aîné de l’écrivain) et deux de ses secrétaires.

La comtesse de Grammont, ancienne dame pour accompagner la Dauphine Marie-Antoinette et madame du Châtelet, certainement belle-fille de la célèbre Emilie, accompagnent la famille du magistrat.
Doit les suivre également la comtesse Lubormiska, Polonaise, accusée de correspondance avec madame du Barry. Elle se déclare enceinte et elle est pour l’instant momentanément sauvée mais toujours enfermée à la Conciergerie.
Le pire reste à venir.
Le 24 avril 1794
Aline de Rosanbo (1771-1794), petite-fille de Malesherbes rejoint sa famille dans la mort.
A quoi ou à qui doit-elle ce répit qui est la pire des tortures ? Un soupçon de grossesse ? Des scrupules de la part du tribunal rapidement étouffés ?
Le même jour, Fouquier continue dans l’horreur.
Trente-trois habitants de Verdun partent à la guillotine pour avoir remercié par des dragées, production locale, le général de Brunswick qui a épargné la ville lors de son siège.
Fouquier, par un geste «magnanime» épargne les deux plus jeunes, Claire Trabouillot (17 ans) et Barbe Henry (15 ans) par vingt ans de réclusion après six heures d’exposition place de la Révolution sur un échafaud placé en face de celui où ces jeunes personnes peuvent voir leur famille assassinée.
Elles seront libérées à la chute de Robespierre.
Le 26 avril 1794
Après avoir envoyé à la guillotine son cousin Camille Desmoulins qui l’a tant aidé dans sa carrière, Fouquier-Tinville continue à se débarrasser de ceux qui ont connu son passé misérable.
C’est au tour de Denis-François Angran d’Alleray (1716-1794), comte des Maillis, seigneur d’Alleray, de Groslay et de Bazoche-Condé, lieutenant civil au Châtelet de Paris, dernier seigneur de Vaugirard et accessoirement, protecteur de l’actuel accusateur public !

Le 28 avril 1794
Le dernier lieutenant de police de Paris, Louis Thiroux de Crosne (1736-1794) est lui aussi condamné à mort pour avoir :
« été convaincu de complots et conspirations contre la liberté, la sûreté et la souveraineté du peuple français »
Journal de Paris du 29 avril 1794
Formule d’une extrême banalité…
Il est accompagné de Jean-Frédéric de La Tour du Pin Gouvernet (1727-1794), ancien ministre de la Guerre de Louis XVI qui a surtout eu le malheur d’être témoin à décharge lors du procès de Marie-Antoinette.

Le 5 mai 1794
Après plusieurs mois d’emprisonnement hors de Paris, Antoine Lavoisier (1743-1794) et vingt-sept de ses anciens collègues fermiers généraux sont incarcérés à la Conciergerie.



Le 8 mai 1794
Exécution des fermiers généraux place de la Révolution.
Le 9 mai 1794 au soir

On extirpe Madame Élisabeth du Temple, on la conduit à la Conciergerie où à son arrivée personne ne lui dit ce qu’il est advenu de la Reine.

Madame Elisabeth impressionne par son calme, sa douceur…

On lui refuse le secours d’un prêtre et elle apprend enfin par une accusée le destin de Marie-Antoinette.
Bien qu’elle n’ai jamais pu accéder à la dernière lettre de sa belle-sœur à qui elle était destinée, Madame Elisabeth s’est fait un devoir de prendre en charge sa nièce à qui elle a donné des recommandations de survie durant leur captivité.
Elle ne peut par contre plus rien faire pour le malheureux Louis XVII, l’enfant leur ayant été enlevé dès l’été 1793 et à qui on a fait subir un lavage de cerveau. Isolé depuis le 19 janvier 1794, les deux princesses sont persuadées qu’il n’est plus au Temple et remplacé par un prisonnier qu’elles surnomment Melchisédec.
Hélas, il s’agit toujours bien de l’enfant royal, un enfant de huit ans totalement au secret.
Désormais, il lui est impossible de respecter les ultimes vœux de Louis XVI et Marie-Antoinette.

Le 10 mai 1794
Exécution de Madame Élisabeth

Elle encourage ses compagnons à la mort, à cette dure fatalité, elle rassure, elle écoute, elle conseille … en un mot elle est le pilier psychologique de cette fournée pour l’échafaud.




A l’arrivée place de la révolution, chaque condamné s’incline devant la princesse qui donne le baiser de paix à chacune des dames gravissant l’échafaud… parmi les compagnons d’infortune de la princesse, on compte Louis-Marie de Loménie, comte de Brienne, le frère du ministre de Louis XVI, lui-même secrétaire d’État à la Guerre, ainsi que ses trois fils.

On note le silence de la foule durant sa montée des marches et sa mort… même pas de tambours le temps semble s’être arrêté… Tandis qu’on l’attache sur la planche , son fichu de mousseline glisse, découvrant ses épaules.
« Au nom de la pudeur, couvrez-moi. » demande-t-elle au bourreau.»
Madame de Sillery est épargnée car elle est enceinte. Elle est transférée à l’hospice de l’archevêché qui a pu se rendre utile pour de nombreux prisonniers de la Conciergerie. Plus tard elle témoignera au procès de Fouquier-Tinville…

Le 10 juin 1794
La loi du 22 prairial An II, redéfinit et amplifie considérablement les critères organiques de la loi de 1793 et énonce la présence d’un président, quatre vice-présidents, douze juges et cinquante jurés.
Cette loi modifie aussi les dispositions procédurales de la loi de 1793 en supprimant l’interrogatoire préalable à la rédaction de l’acte d’accusation et les recours aux témoins et avocat pendant l’audience.
Le juge n’a désormais le choix qu’entre l’acquittement ou la peine de mort. Il n’y a plus d’emprisonnement ou de déportation possibles.
Le 17 juin 1794
Michonis, ainsi que ses collègues Froidure et Soulès sont dans la liste des cinquante-quatre condamnés portant la fameuse chemise rouge des «régicides», accusés d’avoir voulu assassiner Collot d’Herbois et Robespierre, mais aussi comme ennemis du peuple en général, conjurés avec l’étranger, trafiquants…
On y retrouve aussi pêle-mêle l’administrateur de police Dangé que le jeune Louis XVII avait compromis, des domestiques, des nobles dont le fils de l’ancien lieutenant de police Sartine, mesdames de Saint-Amaranthe, salonnières, l’actrice Marie de Grandmaison (1761-1794), maîtresse du baron de Batz, des artisans… Et madame d’Esprémesnil (1749-1794).
Certains n’ont qu’entre dix-sept et vingt ans.
Des gens qui ne se connaissent pas du tout pour la plupart et qu’on accuse de complicité.

Le 20 juin 1794
La veuve du général Quétineau envoie à la Conciergerie une lettre destinée à Fouquier-Tinville le suppliant de l’envoyer au supplice :
«(…)Ainsi, songe à faire ton devoir, je ferai le mien et je saurai mourir en te méprisant ainsi que tous ceux qui te ressemblent.»
Quelques jours plus tard
Vingt jeunes filles venues du Poitou, ne parlant que leur patois se retrouvent à dormir dans la cour des Femmes, faute de place dans la prison pleine à craquer.
Elles ne comprennent rien à leur procès le lendemain ni ce qu’elles font dans la charrette des condamnés…
Le 12 juillet 1794
Transfert à la Conciergerie des seize carmélites de Compiègne.
Le 17 juillet 1794
Condamnation à mort des Carmélites.



Huit autres anonymes les suivent.
Le 22 juillet 1794
Alexandre de Beauharnais (1760-1794), ancien président de l’assemblée constituante, est transféré à la Conciergerie.
Enfermé depuis plusieurs mois à la prison des Carmes, il y filait le parfait amour avec Delphine de Custine, née Sabran tandis que son épouse Marie-Josèphe Rose Tacher de la Pagerie (1763-1814) tombait dans les bras du général Hoche.
Leurs enfants Eugène (1781-1824) et Hortense (1783-1837) confiés à la femme de chambre de leur mère, essaient désespérément de revoir leurs parents.

Le 23 juillet 1794
Alexandre de Beauharnais est condamné à mort.
Les 25 et 26 juillet 1794
L’accusateur public considère que les tribunes permettant de contenir seulement (!) soixante-dix huit accusés ne suffisent plus. Il faut envisager de la place pour quatre cents personnes…
Le président du tribunal Dumas pense à construire un amphithéâtre dans la grande galerie. Les menuisiers commencent leurs travaux.

Le 27 juillet 1794 (ou le 9 thermidor)
La dernière charrette, emportant cinquante-trois personnes, dont la princesse de Monaco, née Choiseul-Stainville, est plusieurs fois arrêtée lors de son parcours jusqu’à la place du Trône renversé : en effet, au même moment se déroule le complot mettant fin au pouvoir de Robespierre.
Mais ce n’est pas suffisant. Ces dernières victimes de la Terreur n’échapperont pas à leur sort.

Robespierre, blessé par balle au visage et gisant sur un brancard, rejoint ses compagnons à la Conciergerie emprisonnés dans la nuit ou en début de matinée.

Cinq cent détenus forment une haie, explosant de joie.

Le même jour, à une heure après midi
Les vingt-deux robespierristes comparaissent devant le tribunal révolutionnaire.

Ils sont tous condamnés à mort, des mots mêmes de leurs compagnons, Fouquier-Tinville et Coffinhal, président.
Le même jour
à quatre heures et demie après midi
Les charrettes transportant les condamnés traversent la cour de Mai.
Il faut une heure et demi à celles-ci pour rejoindre la place de la Révolution où la guillotine a été spécialement ramenée tant la foule est dense et soulagée de savoir la fin du cauchemar.
Il a fallu ménager les douleurs de certains condamnés : Robespierre n’en a plus pour longtemps, enveloppé de pansements, Couthon est quant à lui infirme et Robespierre le jeune, estropié après son suicide raté.
On transporte aussi le cadavre de Philippe Le Bas (1764-1794) qui, lui, a réussi son coup de pistolet.

A dix-huit heures

Le chagrin ou les souffrances des condamnés, Robespierre hurlant de douleur lorsque Sanson l’installe sur la planche, n’entame en rien l’allégresse de la foule.

D’autres nombreux robespierristes beaucoup moins célèbres sont arrêtés.
![La mort de Robespierre. Cette gravure anglaise stigmatise Robespierre, représenté sans sa blessure à la mâchoire, comme un lâche hypocrite incapable de se conduire avec dignité lors de son exécution, « bête aux abois qui bloque son pied contre un montant de la machine et s'agrippe à la planche pour tenter avec l'énergie du désespoir de s'accrocher à la vie », note l'historien Michel Biard[1]. Estampe gravée par Giacomo Aliprandi d'après un dessin de Giacomo Beys, Paris, BnF, département des estampes, vers 1799.](https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/0/05/L%27execution_de_Maximilien_de_Robespierre_a_la_guillotine.jpg/660px-L%27execution_de_Maximilien_de_Robespierre_a_la_guillotine.jpg)


Le 29 juillet 1794
Soixante-et-onze membres de la Commune partent à leur tour pour la guillotine.
Le 30 juillet 1794
Suivis de treize autres !
Le 1er août 1794
Fouquier-Tinville erre dans ses locaux, désoeuvré. Que faire ? Il voit ses deux secrétaires bavarder tranquillement.
Il se fâche. L’un d’eux hausse des épaules et se fait traiter d’insolent. A quoi le secrétaire répond :
« Je ne suis pas insolent, seulement je n’ai plus peur de mourir.»
Ce même jour, l’accusateur est arrêté. Il croit à une méprise et attend tranquillement qu’on se rende compte de l’erreur. Il n’a rien à se reprocher…
Les autres prisonniers apprenant la nouvelle lui hurlent dessus, l’insultent, l’invectivent. Il faut l’enfermer seul dans un cachot.
Il ne lui reste plus qu’à écrire pour se justifier :
« Je n’étais pas le complice de Robespierre. Je n’ai fait qu’obéir.»
La même phrase tant entendue lors des procès des exécuteurs des régimes totalitaires…
Le 5 août 1794
Coffinhal, incarcéré dans la cellule voisine de Fouquier, est condamné à mort.
Le 10 août 1794
Le tribunal est réorganisé. Les prisons s’ouvrent peu à peu. Les nouveaux détenteurs du pouvoir craignent toujours autant les complots anti-révolutionnaires.
Néanmoins un bilan, terrible, peut être dressé :
DES | PEINES PRONONCEES | ||||
Acquittement | Emprisonnement | Déportation | Condamnation à mort | TOTAL | |
Avril 1793 | 16 | 0 | 0 | 9 | 25 |
Mai 1793 | 23 | 0 | 2 | 9 | 34 |
Juin 1793 | 33 | 0 | 3 | 15 | 51 |
Juillet 1793 | 47 | 3 | 1 | 14 | 65 |
Août 1793 | 36 | 1 | 1 | 5 | 43 |
Septembre 1793 | 42 | 6 | 6 | 22 | 76 |
Octobre 1793 | 17 | 12 | 1 | 18 | 48 |
Novembre 1793 | 91 | 6 | 2 | 67 | 166 |
Décembre 1793 | 101 | 5 | 0 | 61 | 167 |
Janvier 1794 | 106 | 8 | 12 | 68 | 194 |
Février 1794 | 79 | 1 | 5 | 116 | 201 |
Mars 1794 | 59 | 3 | 0 | 155 | 217 |
Avril 1794 | 45 | 8 | 3 | 65 | 121 |
Mai 1794 | 155 | 12 | 0 | 354 | 521 |
Juin 1794 | 164 | 0 | 0 | 509 | 673 |
Juillet 1794 | 292 | 0 | 0 | 1138 | 1430 |
TOTAL | 1306 | 65 | 36 | 2625 | 4032 |
Sources : «Actes du Tribunal révolutionnaire de Paris » commentés par G. Walter
Le 28 mars 1795
S’ouvre enfin le procès de Fouquier-Tinville. Depuis le mois d’août dernier, il passe de prison en prison tant ses codétenus ne cachent pas leur envie de meurtre à son égard. Il revient enfin à la Conciergerie où il se considère chez lui.


Le procès dure trente-neuf jours !

On est loin des procédures expéditives mises en place par l’accusé lui-même !

Pendant les débats, Fouquier se défend avec une audace imperturbable, soit en niant ses forfaits, soit en alléguant des ordres du Comité.
Le 7 mai 1795
Fouquier-Tinville et quinze de ses acolytes du tribunal révolutionnaire, dont Herman, partent à la guillotine. Conduit à l’échafaud avec plusieurs de ses complices, Fouquier monte le dernier : à ce moment on le voit frissonner, pâlir ; et l’on peut croire qu’une fois dans sa vie il a connu le remords.

Le 31 mai 1795
Suppression du tribunal révolutionnaire.
Le 23 juin 1795
Le tribunal de cassation récupère la salle de la Liberté.
Le 4 septembre 1795
Rougeville est incarcéré à la Conciergerie après des mois d’escapade, un séjour en Autriche et de nombreuses autres prisons. Madame Richard tente tant bien que mal de lui adoucir son séjour, alors qu’elle lui doit certainement la pire angoisse de sa vie.
Au premier étage de la Conciergerie, la première salle à gauche en haut de l’escalier regroupe les noms des 2780 guillotinés de la Révolution de Paris.



Le XIXe siècle
Le 6 juillet 1800
L’ancien corps de pompiers rejoint la préfecture de Paris installée rue de Nazareth. Les pompiers seront dans le prolongement, 20 quai des Orfèvres.
Le 21 mars 1804
Après plusieurs années de rédaction sous l’égide de Jean-Etienne Portalis (1732-1808) et Cambacérès (1753-1824), promulgué par le premier consul, le code civil ou code Napoléon est promulgué.
Le futur empereur a à cœur de renouveler le système judiciaire français et s’attache symboliquement à ordonner de grands travaux dans le Palais mis à mal durant la période révolutionnaire.
Evidemment, il ne s’agit en aucun cas de restaurer les symboles de la monarchie tous détruits.
En 1807
Les quais autour du Palais sont élargis, les maisons détruites, les rues prolongées, l’ensemble ressemblant de plus en plus à ce que nous connaissons aujourd’hui.

En 1809
Napoléon ordonne le déplacement du marché au fleurs jusque-là quai de la Mégisserie à l’Ile de la Cité que nous voyons encore.

En 1810
Napoléon nomme l’architecte Antoine-Marie Peyre (1770-1843) afin de restaurer le bâtiment.
L’ordre des avocats est rétabli.
A la même époque, l’opticien Chevalier qui occupe la tour de l’Horloge, le bas pour sa boutique, l’étage pour son logement personnel, installe un petit canon solaire sous la grande horloge qui permet à tous les Parisiens de régler leur montre à midi.

Du côté des quais, il installe un thermomètre géant qui donne la température dans les trois unités alors en usage (Fahrenheit, Celsius et Réaumur).
Il propose également un petit observatoire dans le clocher permettant aux Parisiens d’observer la ville par une lunette, le tout gratuitement ! Cette installation permet ainsi d’admirer la comète de 1811.

En 1811
Après des années d’évasion, puis «mouche» dans les prisons, le célèbre bagnard Eugène-François Vidocq (1775-1857) occupe des locaux dans le Palais, du côté de la préfecture de police où il constitue sous les ordres du ministre Savary une brigade de sûreté avec vingt-huit anciens forçats repentis.

Il reste en place, malgré les régimes successifs et les polémiques à son encontre jusqu’en 1832.
En 1815

Louis XVIII fait transformer la cellule de Marie-Antoinette en chapelle dédiée à Sa mémoire..




En 1817
Peyre fait rajouter quatre piliers médians dans la salle des Gens d’Armes.
Ceci afin de solidifier son grand projet : enfin remplacer dignement la Salle Haute détruite depuis le début du XVIIème siècle !

En 1821
Peyre achève son chef d’oeuvre : la salle des Pas Perdus qui remplace dignement cette Haute Salle qui a si longtemps servi d’espace de parade pour la monarchie au Moyen-Âge.

Restauration oblige, ce lieu tient à rendre hommage à Malesherbes et aux deux autres avocats de Louis XVI.
Le socle montre les avocats annonçant au Roi le verdict, le valet Cléry pleurant derrière.

Après la Restauration des Bourbons au XIXe siècle, la Conciergerie a continué à être utilisée comme prison pour les prisonniers de grande valeur, notamment le futur Napoléon III.
Le 29 juillet 1830
Paris est en proie à une nouvelle révolution. Charles X n’a pas eu le temps d’entamer les travaux envisagés, pourtant nécessaires.
Les émeutiers saccagent le bâtiment, et notamment le monument dédié à Louis XVI et ses avocats.
En 1837
Louis-Philippe se décide à ne plus mettre en vente la Sainte-Chapelle qui portait l’écriteau depuis des années «Propriété nationale à vendre».
Ce lieu particulièrement précieux est alors dans un état déplorable. Les partisans depuis la Restauration d’un agrandissement du Palais jugent ce monument moyenâgeux comme un obstacle à détruire.
Il ne sert plus à rien, aucune activité liturgique ne s’étant déroulée depuis le règne de Louis XVI. Même les très catholiques ultras de cette période ne voient pas l’intérêt du monument.

Prosper Mérimée qui se battra toute sa vie pour le patrimoine et Victor Hugo qui vient de publier son Notre-Dame de Paris sont les seuls à défendre ces lieux.
En 1840
L’architecte Jean-Nicolas Huyot (1780-1840) est prêt à lancer les travaux d’agrandissement du Palais. Il meurt la même année.
En 1910
Dans la salle des gardes, sur une des colonnes se trouvent l’indication «28 janvier 1910». Cette marque est celle du niveau que l’eau atteint lors de la crue centenale de 1910. Il s’agit alors de 8,62 mètres (le seuil d’alerte est à 3,20 mètres quand les orteils du zouave sur la Seine sont à 10 centimètres de tremper dans l’eau).

Alors que le bâtiment ressemble à une forteresse médiévale maussade, cette apparence ne date en réalité que d’environ 1858.

Sources :
- Emission Visites Privées (France 2) : La révolution, et après … (9 mars 2017), présentée par Stéphane Bern
Hayk
It was very informative to read. Thanks for your work!