
Le 3 octobre 1793
Décret de la Convention Nationale du trois octobre mil sept cent quatre-vingt-treize, l’An Second de la république française une et indivisible, qui ordonne le prompt jugement de la veuve Capet au tribunal révolutionnaire.
La Convention nationale, sur la proposition d’un membre, décrète que le Tribunal révolutionnaire s’occupera sans délai et sans interruption du jugement de la veuve Capet.
Visé par l’inspecteur,
Signé : Joseph Becker
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p.61.

Le 6 octobre 1793
Interrogatoire au Temple du jeune Louis-Charles.
« Le quinzième jour du premier mois de l’an second de la République française une et indivisible, Nous, maire, procureur syndic et membres de la commune de Paris nommés par le conseil général de ladite commune pour prendre des renseignements sur différents faits qui se sont passés au Temple, et recevoir les déclarations à cet égard, nous sommes rendus au Temple et arrivés dans ladite Tour, et nous étant présentés au Conseil du Temple, sommes montés à l’appartement du premier occupé par Louis Charles Capet pour entendre ses déclarations au sujet des propos et des événements dont il peut avoir connaissance. Il nous a déclaré que l’hiver dernier pendant qu’il habitait l’appartement de ses mère, tante et sœur, un particulier, nommé Dangé, était de garde auprès d’eux en qualité de commissaire du conseil ; un jour qu’il l’accompagnait à la promenade sur la plate-forme de la Tour, il le prit dans ses bras, l’embrassa et lui dit : « Je voudrais bien vous voir à la place de votre père. »
Nous a déclaré pareillement qu’un autre particulier nommé Toulan, étant aussi de garde à la Tour à la même époque, lesdites femmes l’enfermèrent, lui déclarant, avec sa sœur dans une des tourelles pendant une heure et demie, un peu avant qu’on allumât la chandelle, et que pendant ce temps il s’est entretenu avec lesdites femmes, et qu’il n’entendit pas le sujet de leur conversation.Que dans une autre circonstance il entendit dire par ledit Toulan à sa mère et à sa tante que tous les soirs il enverrait aux environs du Temple un colporteur à dix heures et demie du soir pour lui faire crier toutes les nouvelles qui pourraient les intéresser; que par suite de cette promesse il s’aperçut que lesdites femmes un soir, ne se couchèrent qu’à onze heures passées et montrèrent de l’humeur de n’avoir point entendu les cris accoutumés dudit colporteur.
Il a déclaré encore que quatre particuliers nommés Lepitre, Bruneau, Toulan et Vincent, pendant la durée de leur service dans les appartements avaient coutume d’approcher desdites femmes et de tenir des conversations avec elles à voix basse.
Déclare en outre qu’ayant été surpris plusieurs fois dans son lit par Simon et sa femme, chargés de veiller sur lui par la Commune, à commettre sur lui des indécences nuisibles à sa santé, il leur avoua qu’il avait été instruit dans ces habitudes pernicieuses par sa mère et sa tante, et que différentes fois elles s’étaient amusées à lui voir répéter ces pratiques devant elles, et que bien souvent cela avait lieu lorsqu’elles le faisaient coucher entre elles.
Que de la manière que l’enfant s’en explique, il nous a fait entendre qu’une fois sa mère le fit approcher d’elle, qu’il en résultat une copulation et que il en résulta un gonflement à un de ses testicules, connu de la citoyenne Simon, pour lequel il porte encore un bandage et que sa mère lui a recommandé de n’en jamais en parler, que cet acte a été répété plusieurs fois depuis.
Il a ajouté que cinq autres particuliers nommés Moelle, Lebœuf, Beugnot, Michonis et Jobert, conversaient avec plus de familiarité que les autres commissaires du Conseil avec sa mère et sa tante ; que Pétion, Manuel, Bailly et Lafayette s’étant comportés très mystérieusement aux Tuileries avec les femmes, il estimait qu’il existait une correspondance directe avec les quatre hommes et les commissaires du Temple depuis la détention de ces femmes au Temple, que dans l’intervalle de ces conférences on
l’éloignait.Il nous a déclaré qu’il n’avait rien de plus à nous faire connaître.
Le citoyen et la citoyenne Simon nous déclare avoir appris ces faits de la bouche de l’enfant qui les leur a répété plusieurs fois et qu’il les pressait souvent de le mettre à portée de nous en faire la déclaration.
Après avoir reçu la présente déclaration, y avons posé notre signature conjointement avec le citoyen Hébert, substitut du procureur-syndic de la Commune qui est survenu.
A Paris, dans la Tour du Temple les jour et an que dessus.
Louis-Charles Capet.
Pache, maire; Chaumette, procureur-syndic ; Hébert, substitut; Friry, commissaire du conseil général; Seguy, commissaire de service au Temple ; Heussée, administrateur de police ; Simon ; D. E. Laurent, commissaire du conseil général.»
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) :pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la Reine, Paris, 1863, p.66-71.

Sur ce Charles lui a observé qu’il y avait des flambeaux et qu’il a eu peur.
Le 6 ou 7 octobre 1793
Le colonel général de gendarmerie du Ménis choisit le lieutenant de Busne, âgé entre cinquante et cinquante-deux ans, comme surveillant de la cellule de la Reine.

Le 7 octobre 1793
Madame Royale est à son tour confrontée aux hommes qui ont interrogé son frère. Louis-Charles est dans un grand fauteuil et ne cache pas sa joie de revoir sa sœur qui se jette dans ses bras. Madame Simon sépare aussitôt les enfants et on passe à l’interrogatoire de la jeune fille, terrorisée.
«Interrogatoire de Marie-Thérèse, fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette :
Et le seizième jour du premier mois, l’an second de la République française une et indivisible, une heure de relevée, nous sommes transportés
comme dessus avec le citoyen David, député à la Convention nationale et membre du Comité de sûreté générale, avons appelé Thérèse Capet, laquelle avons interpellé de dire vérité, ce qu’elle a promis.D. Si elle connait le citoyen Dangé, officier municipal ?
R. Qu’elle a entendu prononcer son nom par ses collègues, mais qu’elle ne le connait pas.
D. Si elle ne l’a pas vu embrasser son frère vers la fin de l’année dernière?
R. Qu’elle ne l’a pas vu.
D. Si elle a vu pareillement le citoyen Toulan, membre du conseil?
R. Qu’elle ne l’a pas vu et ne le connait pas.
D. Si elle a vu et connait Jobert, membre du conseil, et si elle se rappelle lui avoir vu tenir une boite remplie de petites figures de cire ?
R. Que oui, et que Simon même était présent.
D. Si Jobert lui parlait souvent en particulier ?
R. Que non.
D. Si elle se rappelle d’une soirée ou il faisait fort froid, ou on les enferma elle et son frère dans une tourelle tandis que les membres du conseil ci-dessus désignés s’entretenaient avec la femme Capet et sa belle-sœur?
R. Que c’était pour les accoutumer au froid et qu’ils s’occupaient à y jouer.
D. Si elle se rappelle avoir entendu un colporteur qui criait les nouvelles à dix heures et demie du soir, aux environs du Temple?
R. Qu’elle a bien entendu le colporteur, mais qu’à dix heures environ elle était toujours couchée.
D. Si elle se rappelle avoir entendu Toulan promettre à sa mère et à sa tante de leur envoyer un colporteur tous les soirs à dix heures et demie pour crier les nouvelles qui pourraient les intéresser?
R. Qu’elle ne s’en est pas aperçue.
D. Si lorsqu’elle jouait avec son frère il ne la touchait pas où il ne fallait pas qu’elle fut touchée ; si on ne faisait pas sauter son frère sur une couverture, et si ses mère et tante ne le faisaient pas coucher entre elles ?
R. Que non.
Et de suite avons fait venir Charles Capet, et l’avons invité à nous déclarer si ce qu’il a dit hier relativement aux attouchements sur sa personne était vrai ?
R. A persisté dans ses dire, les a répété et soutenu devant sa sœur et a persisté à dire que c’était la vérité.
D. Interpellé une seconde fois de déclarer si cela était bien vrai, a répondu : Oui, cela est vrai ; sa sœur a dit ne l’avoir pas vu.
A elle observé que son frère nous a paru avoir déclaré la vérité; qu’étant presque toujours ensemble, il était impossible qu’elle ne se fut pas aperçue de tout ce qu’avait déclaré son frère.
R. Qu’il peut se faire que son frère, ait vu des choses qu’elle n’a pas vu, attendu qu’elle était occupée pour son instruction.D. Si elle était constamment avec sa mère et sa tante ?
R. Presque toujours.
D. Si souvent les deux femmes ci dessus ne s’enfermaient pas très souvent avec des officiers municipaux?
R. Qu’elle ne se souvient que de la fois qu’on les enferma dans la tourelle pour jouer.
D. Combien elle a resté dans cette tourelle?
R. Qu’elle ne s’en souvient plus.
Et Charles interpellé, répond : A peu près une heure.
D. A quel jeu elle jouait dans cette tourelle ?
R. Qu’ils causaient des effets du froid dans les pays du Nord et de la mort qui pourrait s’en suivre si l’on s’endormait au froid.
D. Si elle se rappelle comment elle est sortie du château le jour qu’ils sont partis pour aller à Varennes, et si elle a vu Lafayette?
(Cette question a trait à une déclaration verbale faite hier par Charles en notre présence et qui se trouve ici développée.)
R. Qu’elle a vu la voiture de Lafayette ou du moins qu’elle a cru que c’était lui parce qu’il y avait deux gendarmes devant.Sur ce Charles lui a observé qu’il y avait des flambeaux et qu’il a eu peur.
D. A quelle heure ils sont sortis du château?
R. Répondent l’un et l’autre : vers dix et onze heures du soir, que lui était couché et qu’on l’avait habillé en fille, presqu’endormi ; observent tous les deux que tout cela s’est passé dans le silence, qu’ils sont descendus par un escalier dérobé d’une femme de garde-robe de leur mère nommée Rochereuil, et elle, Thérèse, reprend la parole pour dire que la femme Rochereuil ne l’a pas su.D. Comment étaient habillés ses père, mère et tante?
R. Tout simplement; qu’elle ne se souvient plus des noms qu’ils portaient l’un et l’autre, mais que sa mère avait pris le titre de femme de chambre de madame de Tourzel, et qu’eux enfants passaient pour les enfants de ladite dame de Tourzel, laquelle se faisait appeler baronne de Corf ou à peu près.
A eux observé que l’un des deux veut cacher la vérité, vu qu’ils ne s’accordent pas.
Répondent tous les deux ensemble : Ce n’est pas moi !Charles observe à sa sœur qu’elle a vu les officiers municipaux causer avec sa tante et sa mère et qu’il peut se faire qu’elle l’ait oublié.
Thérèse répond qu’elle peut l’avoir oublié, car elle ne s’en souvient pas.
Charles reprend; lui rappelle l’anecdote des tourelles où on les avait enfermés.
Ce dont elle se souvient très bien, mais elle observe que son frère ayant plus d’esprit qu’elle et observant mieux elle peut avoir échappé ce qu’il a saisi.
Charles observe que même lorsqu’ils furent sortis de la tourelle, Toulan et Lepitre, désigné par Charles comme boiteux, causaient encore avec leur mère et leur tante.
Sur ce Thérèse répond qu’elle prit un livre, mais elle se rappelle avoir entendu Toulan causer de son pays un jour avec ses collègues durant le souper.
A elle observé qu’elle nous a dit ne pas connaitre Toulan, et que cependant elle prouve actuellement le connaitre.
Répond qu’elle se le rappelle en ce moment.Interpellés l’un et l’autre de dire s’ils connaissent Renard, architecte?
Thérèse répond qu’elle ne le connait pas.
Charles répond en la regardant qu’il le connaît.
Et Thérèse reprend qu’elle se souvient de lui.
A eux demandé, si Renard allait souvent au château ?
Répondent qu’il y allait quand on avait quelque chose à faire faire dans les appartements.
Lecture à eux faite du présent interrogatoire, ont déclarés, qu’il contenait vérité, y persistent et ont signé et paraphé avec nous.
Le présent clos à deux heures le jour que dessus.
Thérèse Capet, Louis-Charles Capet.
David, Pache, Daujon (1), officier municipal; Chaumette, Heussée , administrateur de police; D. E. Laurent.»
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, pp.71-78.
Sur ce Charles lui a observé qu’il y avait des flambeaux et qu’il a eu peur.

Interrogatoire de Madame Elisabeth :
« Et de suite avons fait descendre Elisabeth Capet, et lui avons demandé si elle connait les citoyens Dangé, Toulan, Lepitre, Brunot, Vincent, Moelle, Lebœuf, Beugnot, Michonis et Jobert ?
R. Qu’elle les connait de vue et de nom comme Laurent, Seguy, Simon, Heussée, ci-présent.
D. Si elle se rappelle avoir vu Dangé prendre Charles dans ses bras, l’embrasser en lui disant : « Je voudrais vous voir à la place de votre père » ?
R. Qu’elle ne s’en est pas aperçue.
D. Si elle se rappelle une soirée où il faisait froid et que l’on avait enfermé les deux enfants dans une des tourelles, tandis qu’elle s’entretenait avec Toulan et Lepitre ?
R. Qu’elle ne s’en rappelle pas.
D. A quelle époque à peu près Toulan avait promis de faire venir un colporteur aux environs de la Tour, à l’effet d’y crier les nouvelles qui pourraient les intéresser?
R. Que jamais Toulan ni aucun autre ne leur a fait une pareille promesse.
Sur ce Charles Capet, amené et interpellé de déclarer les faits, a dit persister dans ses dires, alors il s’élève une discussion entre les deux, et l’enfant soutient qu’il a dit la vérité.
A elle lue la déclaration de Charles au sujet des indécences mentionnées en la pièce en date du quinze présent mois.
R. Qu’une pareille infamie est trop au dessous et trop loin d’elle pour pouvoir y répondre ; que d’ailleurs l’enfant avait cette habitude longtemps auparavant, et qu’il doit se rappeler qu’elle et sa mère l’en ont grondé plusieurs fois.
Charles interpellé de s’expliquer à ce sujet, atteste qu’il a dit la vérité.
A elle lu le reste de la déclaration de Charles sur le même sujet et dans laquelle il persiste, ajoutant qu’il ne se rappelle pas les époques, mais que cela arrivait fréquemment.
R. Que comme cela ne regarde qu’elle, elle n’y répondra pas plus qu’au reste, et qu’elle croit devoir être par sa conduite à l’abri du soupçon.
Charles interpellé de déclarer qui l’avait instruit le premier dans cette pratique ?
R. Les deux ensemble.
Et sur l’observation à lui faite par sa tante qu’il avait commencé une autre phrase, répond : toutes deux ensemble.
D. De déclarer si cela arrivait le jour ou la nuit?
R. Qu’il ne s’en souvient pas, mais qu’il croit que c’était le matin.
A elle demandé si c’était Renard architecte qui conduisait la marche à travers les corridors lors de la fuite pour Varennes ?
Répond qu’elle est descendue par l’escalier de son appartement ; qu’elle n’a point traversé de corridor, et que Renard n’était pas avec elle.A elle demandé si elle a vu la voiture de Lafayette ?
Charles dit qu’elle ne peut l’avoir vu, parce qu’elle n’était pas encore dans la voiture.
Elle répond qu’elle l’a vu en passant à pied au moment où elle sortait de la petite cour appelée des Princes, pour gagner sa voiture.
A elle demandé si elle se rappelle avoir vu entre les mains de Jobert, officier municipal, une petite boîte remplie de figures de cire, qu’il disait être l’ouvrage de sa fille ?
Répond qu’elle s’en souvient.
Lecture a elle faite du présent interrogatoire, a déclaré contenir vérité, y a persisté et signé et paraphé avec nous.
Le présent clos le jour et an que dessus, trois heures et demie de relevée.
Elisabeth Capet, Louis-Charles Capet, Seguy, David, Pache, Chaumette, Heussée, administrateur de police; Daujon, D. E. Laurent.»
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) :pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, pp.78-81.

Le 8 octobre 1793
Les membres du salut public répondent à Fouquier-Tinville :
Paris, le septième jour de la deuxième décade du premier
mois de la République française une et indivisible.
« Sur la demande que nous avons faite, citoyen, à notre collègue Garan-Coulon, en qualité de membre de la Commission des vingt et un, de nous donner des renseignements relatifs à la veuve Capet et de nous indiquer le lieu du dépôt des pièces qui ont servi de base à cette commission pour son travail sur le procès de Capet ; Il nous a répondu qu’il n’était que l’un des neuf adjoints à une précédente commission des douze ; qu’il est rentré au Comité de législation après le jugement de Capet ; que les pièces et papiers sont restés entre les mains de cette commission des douze dont le citoyen Rabaud Pommier était le secrétaire, ainsi que de celle des vingt et un.
Nous vous invitons à voir le citoyen Rabaud Pommier, afin qu’il vous donne des renseignements sur les pièces qui vous sont nécessaires.
De notre côté nous lui écrivons pour qu’il nous fasse part de ce qu’il sait à ce sujet.
Salut et fraternité.
Hérault, Billaud-Varenne, B. Barère, Robespiette, Saint-Just.»
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p.64.

Difficile de retrouver les pièces relatives au procès du Roi qui en plus concernent celui-ci et non directement son épouse.

Le samedi 11 octobre 1793
Les pièces sont enfin retrouvées !
Le comité de salut public à l’accusateur public près le tribunal révolutionnaire
« Paris, le vingtième jour du premier mois, l’an II de la République française.
Au désir de votre lettre du jour d’hier, nous vous prévenons, citoyen, que le Comité de salut public par la sienne de ce jour, vient d’autoriser notre collègue, garde des Archives nationales, à vous communiquer toutes les pièces relatives au procès de Capet, et celles devant servir à l’instruction de
celui de sa veuve qui peuvent être dans ce dépôt ; s’il s’élevait quelque nouvel obstacle pour la suite de cette affaire, vous voudrez bien nous en rendre compte, afin que nous prenions toutes les mesures capables de seconder votre zèle.Salut et fraternité.
Hérautl, Billaud-Varenne, Collot d’Herbois, Robespierre.»
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p.65-66.
Fouquier se met directement à l’ouvrage et contrairement à son habitude où il se contente de faire pré-imprimé ses actes d’accusation en rajoutant seulement à l’encre le nom du prévenu, il rédige en plusieurs étapes ce qu’il pense être son chef d’œuvre, le summum de sa carrière.
Le 12 octobre 1793 au soir
Deux heures après le coucher de Marie-Antoinette, les juges du tribunal révolutionnaire viennent Lui faire subir le grand interrogatoire secret destiné à préparer l’audience devant débuter le surlendemain.


Entourée de deux gendarmes et d’un huissier, Elle traverse la cour des hommes puis, par l’escalier Bonbec, pénètre dans la salle d’audience du Tribunal révolutionnaire. Cette «salle de la Liberté» (Grand’chambre) est la salle dans laquelle les Rois tenaient jadis leurs lits de justice.

La Reine est invitée à s’asseoir sur une banquette, devant le bureau du jeune président du tribunal, Martial Joseph Armand Herman (1759-1795) qui fait office de juge d’instruction, et en présence de l’accusateur public Fouquier-Tinville (1746-1795).



d’après le livret de Marcelle Maurette
Herman par ses questions ne fait que reprendre ce que lui dicte Fouquier-Tinville :
« Ce jourd’huy vingt-unième jour du premier mois de l’an second de la République française, six heures de relevée, nous Amant-Martial-Joseph Herman, président du tribunal criminel révolutionnaire établi à Paris par la loi du 10 mars 1793, sans recours au tribunal de cassation, et encore en vertu des pouvoirs délégués au tribunal par la loi du 5 avril de la même année, assisté de Nicolas-Joseph Fabricius, greffier du
tribunal, en l’une des salles de l’auditoire au Palais, et en présence d’Antoine-Quentin Fouquier, accusateur public, avons fait amener de la maison de la Conciergerie Marie-Antoinette, veuve Capet, à laquelle avons demandé ses noms, âge, profession, pays et demeure.»

« A répondu se nommer Marie-Antoinette Lorraine d’Autriche, âgée de trente-huit ans, veuve du Roi de France.
D. Quelle était sa demeure au moment de son arrestation ?
A répondu qu’elle n’a point été arrêtée; qu’on est venu la prendre à l’Assemblée nationale pour la conduire au Temple.
D. Vous avez eu avant la Révolution des rapports politiques avec le Roi de Bohême et de Hongrie, et ces rapports étaient contraires aux intérêts de la France qui vous comblait de biens?
R. A répondu que le roi de Bohême et de Hongrie était son frère ; qu’elle n’a eu avec lui que des rapports d’amitié et point de politique, que si elle avait eu de la politique, ses rapports n’eussent été qu’à l’avantage de la France, à laquelle elle tenait par la famille qu’elle a épousée.
D. Non contente de dilapider d’une manière effroyable les finances de la France, fruit des sueurs du peuple, pour vos plaisirs et vos intrigues, de concert avec d’infâmes ministres, vous avez fait passer à l’Empereur des millions pour servir contre le peuple qui vous nourrissait?
R. A répondu : Jamais. Elle sait que souvent on s’est servi de ce moyen contre elle ; qu’elle aimait trop son époux pour dilapider l’argent de son pays ; que son frère n’avait pas besoin de l’argent de la France; et par les mêmes principes qui l’attachaient à la France, elle ne lui en aurait point donné.
D. Depuis la Révolution vous n’avez cessé un instant de manœuvrer chez les puissances étrangères et dans l’intérieur contre la
liberté, lors même que nous n’avions encore que le simulacre de cette liberté
que veut absolument le peuple français?
R. A répondu que depuis la Révolution elle s’est interdite personnellement toute correspondance au dehors, et qu’elle ne s’est jamais mêlée de l’intérieur.
D. A elle représenté si elle n’a pas employé aucun agent secret pour correspondre avec les puissances étrangères, notamment avec son frère, et si Delessart n’était pas ce principal agent?
R. Jamais de la vie.
D. A elle observé que sa réponse ne nous paraît pas exacte; car il est constant qu’il existait au ci-devant château des Tuileries des conciliabules secrets et nocturnes qu’elle présidait elle-même, et dans lesquels on discutait, délibérait et arrêtait les réponses à faire aux puissances étrangères et aux assemblées constituante et législative, successivement?
R. A répondu que la réponse précédente est parfaitement exacte ; car il est constant que le bruit de ces comités a existé toutes les fois qu’on a voulu tromper le peuple et l’amuser; jamais elle n’a connu de comité, il n’en a point existé.
D. A elle observé qu’il paraît cependant que lorsqu’il a été question de savoir si Louis Capet sanctionnerait ou apposerait son veto aux décrets rendus dans le courant de novembre 1791, concernant ses frères, les émigrés et les prêtres réfractaires et fanatiques, ce n’est pas elle qui, nonobstant les vives représentations de Duranton, lors ministre de la justice, a déterminé Louis Capet à apposer son veto à ces décrets dont la sanction aurait empêché les maux qu’a éprouvés depuis la France, ce qui prouve évidemment qu’elle assistait à ces conseils et conciliabules?
R. A répondu qu’au mois de novembre Duranton n’était pas ministre; qu’au surplus son époux n’avait pas besoin qu’on le pressât pour faire ce qu’il croyait son devoir ; qu’elle n’était point du conseil, et que ce n’est que là que ces sortes d’affaires se traitaient et se décidaient.
D. C’est vous qui avez appris à Louis Capet cet art d’une profonde dissimulation avec laquelle il a trompé trop longtemps le bon peuple français, qui ne se doutait pas qu’on pût porter à un tel degré la scélératesse et la perfidie ?
R. A répondu : Oui, le peuple a été trompé, il l’a été cruellement, mais ce n’est ni par son mari ni par elle.
D. Par qui donc le peuple a-t-il été trompé?
R. Par ceux qui y avaient intérêt ; et que ce n’était pas le leur de le tromper.
D. Qui sont donc ceux qui dans leur opinion avaient intérêt de tromper le peuple ?
R. Qu’elle ne connaissait que leurs intérêts ; et que le leur était de l’éclairer et non de le tromper.
D. A elle observé qu’elle ne répond pas directement à la question ?
R. Qu’elle y répondrait directement si elle connaissait les noms des personnes.
D. Vous avez été l’instigatrice principale de la trahison de Louis Capet ; c’est par vos conseils et peut-être vos persécutions qu’il a voulu fuir la France, pour se mettre à la tête des furieux qui voulaient déchirer leur patrie?
R. Que son époux n’avait jamais voulu fuir la France ; qu’elle l’a suivi partout ; mais s’il avait voulu sortir de son pays, elle aurait employé tous les moyens possibles pour l’en dissuader; mais ce n’était pas son intention.
D. Quel était donc le but du voyage connu sous le nom de Varennes ?
R. De se donner la liberté qu’il ne pouvait avoir ici aux yeux de personne, et concilier de là tous les partis pour le bonheur et la tranquillité de la France.
D. Pourquoi voyagiez-vous alors sous le nom emprunté d’une baronne russe ?
R. Parce que nous ne pouvions pas sortir de Paris sans changer de nom.
D. Si entre autres personnes qui ont favorisé son évasion, Lafayette, Bailly, et Renard, architecte, n’étaient pas du nombre ?
R. Que les deux premières personnes eussent été les derniers qu’ils auraient employés ; la troisième était dans le temps sous leurs ordres, mais ils ne l’ont jamais employé à cet effet.
D. A elle représenté que la réponse est contradictoire avec des déclarations faites par des personnes qui ont fui avec elle, et desquelles il résulte que la voiture de Lafayette, au moment où tous les fugitifs sont descendus par l’appartement d’une femme au service de l’accusée, était dans l’une des cours, et que Lafayette et Bailly observaient, tandis que Renard dirigeait sa marche?
R. Qu’elle ne sait pas quelles dispositions ont pu faire les personnes qui étaient avec elle ; ce qu’elle sait, c’est que c’est elle qui a rencontré dans la place du Carrousel la voiture de Lafayette, mais elle passait son chemin et elle était loin de s’arrêter. Quant à Renard, elle peut assurer qu’il ne dirigeait pas la marche ; c’est elle seule qui a ouvert la porte et fait sortir tout le monde.»

« D. A elle observé que de cet aveu, qu’elle a ouvert les portes et fait sortir tout le monde, il ne reste aucun doute que c’est elle qui dirigeait Capet dans ses actions et qui l’a déterminé à fuir?
« D. A elle observé que de cet aveu, qu’elle a ouvert les portes et fait sortir tout le monde, il ne reste aucun doute que c’est elle qui dirigeait Capet dans ses actions et qui l’a déterminé à fuir?
R. A répondu qu’elle ne croyait pas qu’une porte ouverte prouvât qu’on dirige les actions, en général, de quelqu’un ; que son époux désirait et croyait devoir sortir d’ici avec ses enfants, qu’elle devait le suivre, c’était son devoir, son sentiment; elle devait tout employer pour rendre sa sortie sûre.
D. Vous n’avez jamais cessé un moment de vouloir détruire la liberté ; vous vouliez régner à quelque prix que ce fût et remonter au trône sur le cadavre des patriotes?
R. Qu’ils n’avaient pas besoin de remonter sur le trône, qu’ils y étaient ; qu’ils n’ont jamais désiré que le bonheur de la France, qu’elle fût heureuse ; mais qu’elle le soit ils seront toujours contents.
D. A elle représenté que si tels avaient été ses sentiments, elle aurait usé de l’influence connue qu’elle avait sur l’esprit de son frère pour l’engager à rompre le traité de Pilnitz fait entre lui et Guillaume ; traité dont le but unique a été et est de s’associer toutes les puissances étrangères pour anéantir la liberté, que les Français veulent et auront nonobstant cette coalition et la trahison?
R. A répondu qu’elle n’a connu ce traité qu’après qu’il a été fait et qu’il a été longtemps à avoir effet. On doit remarquer que ce ne sont pas les puissances étrangères qui ont attaqué la France.
D. A elle représenté qu’il est vrai que les puissances étrangères n’ont point déclaré la guerre; mais l’accusée ne doit pas ignorer que cette déclaration de guerre n’a eu lieu que par les intrigues d’une faction liberticide, dont les auteurs recevront bientôt la juste peine qu’ils méritent ?
R. A répondu qu’elle ne sait pas de qui l’on veut parler, mais qu’elle sait que l’assemblée législative a réitéré la demande de la déclaration de guerre ; et que son mari n’y a accédé que de l’aveu unanime de son conseil.
D. Vous avez eu avec des ci-devant princes français, depuis qu’ils sont sortis de France, et avec des émigrés des intelligences ; vous avez conspiré avec eux contre la sûreté de l’Etat ?
R. A répondu qu’elle n’a jamais eu aucune intelligence avec aucun Français au dehors ; quant à ses frères, il serait possible qu’elle eût écrit une ou deux lettres très insignifiantes ; mais elle ne le croit pas, car elle se rappelle en avoir refusé souvent.
D. Vous avez dit, le 4 octobre 1789, que vous étiez enchantée de la journée du premier octobre, journée remarquable par une orgie des gardes du corps et du régiment de Flandre qui, dans l’épanchement de l’ivresse, avaient exprimé leur dévouement pour le trône et leur aversion pour le peuple et avaient foulé aux pieds la cocarde nationale pour arborer la cocarde blanche ?
R. A répondu qu’elle ne se rappelle pas avoir dit pareille chose ; mais il est possible qu’elle ait dit avoir été touchée du premier sentiment qui animait cette fête ; quant au reste de la question, il ne fallait pas de l’ivresse pour que les gardes du corps témoignassent du dévouement et de l’attachement pour les personnes au service desquelles ils étaient ; qu’à l’égard de la cocarde, si elle a existé, ce ne pouvait être que l’erreur de quelques-uns ; qu’ils ne l’ont pas su et qu’ils l’auraient désapprouvé dans le moment ; mais il n’est pas à croire que des êtres ainsi dévoués foulassent aux pieds et voulussent changer la marque que leur roi portait lui-même.
D. Quel intérêt mettez-vous aux armes de la République?
R. A répondu le bonheur de la France est celui qu’elle désire par-dessus tout.
D. Pensez-vous que les rois soient nécessaires au bonheur du peuple ?
R. A répondu qu’un individu ne peut pas décider de cette chose.
D. Vous regrettez sans doute que votre fils ait perdu un trône sur lequel il eût pu monter, si le peuple enfin éclairé sur ses droits n’eût pas brisé ce trône?
R. A répondu qu’elle ne regrettera jamais rien pour son fils quand son pays sera heureux.
D. Quelle est votre opinion sur la journée du 10 août, où les Suisses, par l’ordre du maître du château, ont tiré sur le peuple ?
R. A répondu qu’elle était hors du château quand on a commencé à tirer ; qu’elle ne sait pas comment cela s’est passé ; qu’elle sait seulement que jamais l’ordre n’a été donné de tirer.
D. Pendant votre séjour au Temple, n’avez-vous pas été informée exactement des affaires politiques, et n’avez-vous pas entretenu des correspondances avec les ennemis de la République, par l’entremise ou la facilité de quelques officiers municipaux qui étaient de service auprès de vous, ou par quelques personnes par eux introduites dans votre habitation ?
R. A répondu que depuis quatorze mois qu’elle est renfermée, elle n’a eu aucune nouvelle ni connaissance des affaires politiques ; qu’elle n’a eu aucune correspondance et qu’elle ne l’aurait même pas pu ; que depuis le commencement d’octobre on avait ôté de chez eux plumes, encre, papier et crayons; qu’elle ne s’est jamais adressée à aucun officier municipal, étant à croire que cela eût été inutile, et qu’elle n’y a vu qui que ce soit au monde autre qu’eux.
D. A elle représenté que sa réponse est contradictoire avec les déclarations faites par les personnes qui habitaient et habitent le même lieu?
R. A répondu qu’il n’y a pas beaucoup de personnes qui habitaient le Temple, qu’il n’y avait qu’eux ; et que celles qui le déclarent osent le prouver ; que cela n’est pas vrai.
D. Si depuis qu’elle est à la Conciergerie, il n’y a pas été introduit dans le lieu qu’elle habite différentes personnes ; si l’une d’elles ne lui a pas remis un œillet dans lequel était un écrit, et si ce n’est pas elle qui a ramassé cet œillet d’après les signes réitérés qui lui ont été faits par la même personne?
R. A répondu qu’il est entré différentes personnes dans la chambre qu’elle habite, mais avec les administrateurs de police ; qu’elle ne les connaît point, qu’il y en a eu qu’elle a cru reconnaître; qu’il est vrai qu’il a laissé tomber un œillet comme elle l’a déjà déclaré une fois, mais qu’elle y prêtait si peu d’attention, que sans les signes elle ne l’aurait pas ramassé, et qu’elle l’a relevé dans la crainte qu’il ne se trouvât compromis si on le trouvait.
D. N’avez-vous pas reconnu cette personne comme étant au château des Tuileries le 20 juin et pour être une des personnes restées auprès de vous ledit jour 20 juin?
R. A répondu : Oui.
D. N’avez-vous pas reconnu cette même personne pour s’être trouvée au château des Tuileries le 10 août?
B. A répondu : Non.
D. Savez-vous son nom?
R. A répondu : Non, qu’elle ne s’en rappelle pas si elle l’a su.
D. Il est difficile de croire que vous ne sachiez pas son nom ; car cette personne s’est flattée que vous lui aviez rendu de grands services, et on ne rend pas ordinairement d’aussi grands services que ceux annoncés, sans connaître la personne qui en est l’objet d’une manière plus ou moins particulière ?
R. A répondu qu’il serait possible que ceux qui ont rendu service l’oublient, ou que ceux qui l’ont reçu s’en ressouviennent ; mais qu’elle ne lui a jamais rendu de service, et qu’elle ne le connaissait pas assez.
D. Si elle a répondu au billet trouvé dans l’œillet?
R. Qu’elle l’a essayé avec une épingle, non pas de lui répondre, mais de l’engager à n’y pas revenir, au cas qu’il s’y présentât encore.
D. Si elle reconnaîtrait sa réponse?
R. Que oui.
A elle montré et représenté le billet servant de réponse et piqué d’épingles, l’a reconnu.
D. Si elle n’a pas fait un mouvement au moment où cette personne s’est présentée à elle ?
R. N’ayant vu aucun visage depuis treize mois, il est assez simple qu’elle ait été saisie dans le premier moment, ne fût-ce que par l’idée du danger qu’on pourrait courir en venant dans la chambre qu’elle habitait ; qu’après, elle a cru qu’il était employé quelque part, et qu’elle s’est rassurée.
D. Ce qu’elle entend par ces mots : J’ai cru qu’il était employé quelque part, et je me suis rassurée?
R. Comme il était arrivé plusieurs personnes chez elle avec les administrateurs, qu’elle ne les connaissait pas, elle a cru qu’il pouvait être employé dans quelque place, aux sections ou ailleurs, et qu’alors il ne courait plus de dangers.
D. Si les administrateurs de police lui ont souvent amené du monde?
R. Qu’ils étaient presque toujours accompagnés d’une, deux ou trois personnes à elle inconnues.
D. Les noms des administrateurs qui venaient le plus souvent la voir ?
R. Que c’étaient Micbonis, Michel, Jobert et Marino qui venaient le plus souvent.
D. Si ces quatre administrateurs ont toujours également amené des personnes à elle inconnues ?
R. Qu’elle le croit, mais qu’elle ne s’en rappelle pas.
D. Si elle a quelque chose à ajouter à ses différentes réponses, et si elle a un conseil ?
R. Que non, attendu qu’elle ne connaît personne.
D. Si elle veut que le tribunal lui en nomme un ou deux d’office?
R. Qu’elle le veut bien.
D’après quoi, lui avons nommé d’office pour conseils et défenseurs officieux les citoyens Tronson-Ducoudray et Chauveau de la Garde.
Lecture faite de l’interrogatoire ci-dessus et des réponses qu’elle a faites, a déclaré persister dans lesdites réponses, et n’avoir rien à y ajouter ni diminuer, et a signé le présent interrogatoire avec nous, ledit accusateur public, et le greffier.
Signé: Marie-Antoinette ; Herman, président ; Fouquier, accusateur public ; Fabricius, greffier.»
Campardon, Émile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) :pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, pp. 210-221
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62159775/f247.it
A elle montré et représenté le billet servant de réponse et piqué d’épingles, l’a reconnu.
- Si elle n’a pas fait un mouvement au moment où cette personne s’est présentée à elle ?
- N’ayant vu aucun visage depuis treize mois, il est assez simple qu’elle ait été saisie dans le premier moment, ne fût-ce que par l’idée du danger qu’on pourrait courir en venant dans la chambre qu’elle habitait ; qu’après, elle a cru qu’il était employé quelque part, et qu’elle s’est rassurée.
- Ce qu’elle entend par ces mots : J’ai cru qu’il était employé quelque part, et je me suis rassurée?
- Comme il était arrivé plusieurs personnes chez elle avec les administrateurs, qu’elle ne les connaissait pas, elle a cru qu’il pouvait être employé dans quelque place, aux sections ou ailleurs, et qu’alors il ne courait plus de dangers.
- Si les administrateurs de police lui ont souvent amené du monde?
- Qu’ils étaient presque toujours accompagnés d’une, deux ou trois personnes à elle inconnues.
- Les noms des administrateurs qui venaient le plus souvent la voir ?
- Que c’étaient Micbonis, Michel, Jobert et Marino qui venaient le plus souvent.
- Si ces quatre administrateurs ont toujours également amené des personnes à elle inconnues ?
- Qu’elle le croit, mais qu’elle ne s’en rappelle pas.
- Si elle a quelque chose à ajouter à ses différentes réponses, et si elle a un conseil ?
- Que non, attendu qu’elle ne connaît personne.
- Si elle veut que le tribunal lui en nomme un ou deux d’office?
- Qu’elle le veut bien.
D’après quoi, lui avons nommé d’office pour conseils et défenseurs officieux les citoyens Tronson-Ducoudray et Chauveau de la Garde.
Lecture faite de l’interrogatoire ci-dessus et des réponses qu’elle a faites, a déclaré persister dans lesdites réponses, et n’avoir rien à y ajouter ni diminuer, et a signé le présent interrogatoire avec nous, ledit accusateur public, et le greffier.
Signé: Marie-Antoinette ; Herman, président ; Fouquier, accusateur public ; Fabricius, greffier.»
Campardon, Émile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) :pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, pp. 210-221
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62159775/f247.it
Image de L’Autrichienne de Pierre Granier-Deferre

Le 13 octobre 1793
Fouquier-Tinville achève son acte d’accusation, reprenant les points et quasiment les mots de l’interrogatoire préparé en fonction :
« Antoine Quentin Fouquier-Tinville, accusateur public près le tribunal criminel révolutionnaire, établi à Paris, par décret de la Convention nationale du 10 mars 1793, l’an deuxième de la République, sans aucun recours au tribunal de cassation, en vertu du pouvoir à lui donné par l’article II d’un autre décret de la Convention du 5 avril suivant, portant que l’accusateur public dudit tribunal est autorisé à faire arrêter, poursuivre et juger sur la dénonciation des autorités constituées ou des citoyens.
Expose que suivant un décret du premier août dernier, Marie Antoinette, veuve de Louis Capet, a été traduite au tribunal révolutionnaire comme prévenue d’avoir conspiré contre la France ; que par un autre décret de la Convention, du 3 octobre, il a été décrété que le tribunal révolutionnaire s’occuperait sans délai et sans interruption du jugement ; que l’accusateur public a reçu les pièces concernant la veuve Capet, les 19 et 20 du présent mois de la deuxième décade, vulgairement dits 11 et 12 octobre présent mois : qu’il a été aussitôt procédé par l’un des juges du tribunal à l’interrogatoire de la veuve Capet; qu’examen fait de toutes les pièces transmises à l’accusateur public, il en résulte qu’à l’instar des Messalines, Brunehaut, Frédégonde et Médicis, que l’on qualifiait autrefois de reines de France, et dont les noms à jamais odieux ne s’effaceront pas des fastes de l’histoire, Marie Antoinette, veuve de Louis Capet, a été depuis son séjour en France le fléau et la sangsue des Français ; qu’avant même l’heureuse révolution qui a rendu au peuple Français sa souveraineté, elle avait des rapports politiques avec l’homme qualifié roi de Bohême et de Hongrie ; que ses rapports étaient contraires aux intérêts de la France ; que non contente, de concert avec les frères de Louis Capet, et l’infâme et exécrable Calonne, lors ministre des finances, d’avoir dilapidé d’une manière effroyable les finances de la France (fruit des sueurs du peuple), pour satisfaire à des plaisirs désordonnés et payer les agents de ses intrigues criminelles, il est notoire qu’elle a fait passer à différentes époques à l’Empereur, des millions qui lui ont servi et lui servent encore à soutenir la guerre contre la République; et que c’est par ces dilapidations excessives, qu’elle est parvenue à épuiser le trésor national.
Que depuis la révolution, la veuve Capet, n’a cessé un seul instant d’entretenir des intelligences et des correspondances criminelles et nuisibles à la France, avec les puissances étrangères et dans l’intérieur de la République, par des agents à elle affidés, qu’elle soudoyait et faisait soudoyer par le Trésorier de la liste civile; qu’à différentes époques elle a usé de toutes les manœuvres qu’elle croyait propres à ses vues perfides, pour opérer une contre-révolution ; d’abord, ayant, sous prétexte d’une réunion nécessaire entre les ci devant gardes du corps et les officiers et soldats du
régiment de Flandre, ménagé un repas entre ces deux corps, le premier octobre 1789, lequel est dégénéré en une véritable orgie, ainsi qu’elle le désirait ; et pendant le cours de laquelle les agents de la veuve Capet, secondant parfaitement ses projets contre-révolutionnaires, ont amené la plupart des convives à chanter, dans l’épanchement de l’ivresse, des chansons exprimant le plus entier dévouement pour le trône et l’aversion la plus caractérisée pour le peuple, et de les avoir insensiblement amenés à arborer la cocarde blanche et à fouler aux pieds la cocarde nationale, et d’avoir par sa présence autorisé tous ces excès contre-révolutionnaires, surtout en encourageant les femmes qui l’accompagnaient, à distribuer ces cocardes blanches aux convives ; d’avoir, le 4 du même mois, témoigné la joie la plus immodérée, de ce qui s’était passé à cette orgie.En second lieu, en ayant, conjointement avec Louis Capet, fait imprimer et distribuer avec profusion, dans toute l’étendue de la République, des ouvrages contre-révolutionnaires, de ceux même adressés aux conspirateurs, ou publiés en leur nom, tels que les Pétitions aux émigrants ; la Réponse des émigrants ; les Émigrants au peuple ; les Plus courtes folies sont les meilleures ; le Journal à deux liards ; l’Ordre, la marche et l’entrée des émigrants ; d’avoir même poussé la perfidie et la dissimulation au point d’avoir fait imprimer et distribuer avec la même profusion des ouvrages dans lesquels elle était dépeinte sous des couleurs peu avantageuses, qu’elle ne méritait déjà que trop en ce temps ; et ce, pour donner le change et persuader aux puissances étrangères qu’elle était maltraitée des Français, et les animer de plus en plus contre la France ; que pour réussir plus promptement dans ses projets contre-révolutionnaires, elle avait, par ses agents, occasionné dans Paris et aux environs, les premiers jours d’octobre 1789, une disette qui a donné lieu à une nouvelle insurrection, à la suite de laquelle une foule innombrable de citoyens et citoyennes se sont portés à Versailles le 5 du même mois ; que ce fait est prouvé, d’une manière sans réplique, par l’abondance qui a régné le lendemain même de l’arrivée de la veuve Capet à Paris et de sa famille.
Qu’à peine arrivée à Paris, la veuve Capet, féconde en intrigues de tous genres, a formé des conciliabules dans son habitation ; que ces conciliabules composés de tous les contre-révolutionnaires et intrigants des assemblées Constituante et Législative, se tenaient dans les ténèbres de la nuit ; que l’on y avisait aux moyens d’anéantir les droits de l’homme et les décrets déjà rendus qui devaient faire la base de la Constitution ; que c’est dans ces conciliabules qu’il a été délibéré sur les mesures à prendre pour faire décréter la révision des décrets qui étaient favorables au peuple ; qu’on a arrêté la fuite de Louis Capet, de sa femme, et de toute sa famille, sous des noms supposés, au mois de juin 1791, tentée tant de fois et sans succès à différentes époques; que la veuve Capet, convient dans son interrogatoire que c’est elle qui a tout ménagé et tout préparé pour effectuer cette évasion , et que c’est elle qui a ouvert et fermé la porte de l’appartement par ou tous les fugitifs sont passés ; qu’indépendamment de la veuve Capet à cet égard, il est constant, d’après les déclarations de Louis Charles Capet, et de la fille Capet, que Lafayette, favori sous tous les rapports de la veuve Capet, et Bailly, lors maire de Paris, étaient présents au moment de cette évasion et qu’ils l’ont favorisée de tout leur pouvoir ; que la veuve Capet, après son retour de Varennes a recommencé ces conciliabules ;
qu’elle les présidait elle-même, et que d’intelligence avec son favori Lafayette l’on a fermé les Tuileries, et privé par ce moyen les citoyens d’aller et venir librement dans les cours et ci-devant château des Tuileries ; qu’il n’y avait que les personnes munies de cartes qui avaient leur entrée ; que cette clôture, présentée avec emphase par le traitre Lafayette comme ayant pour objet de punir les fugitifs de Varennes, était une ruse imaginée et concertée dans ces conciliabules ténébreux, pour priver les citoyens des moyens de découvrir ce qui se tramait contre la liberté dans ce lieu infâme ; que
c’est dans ces mêmes conciliabules qu’a été déterminé l’horrible massacre qui a eu lieu le 17 juillet 1791, des plus zélés patriotes qui se sont trouvés au Champ de Mars ; que le massacre qui avait eu lieu précédemment à Nancy, et ceux qui ont eu lieu depuis dans les divers autres points de la République, ont été arrêtés et déterminés dans ces mêmes conciliabules ; que ces mouvements qui ont fait couler le sang d’une foule immense de patriotes, ont été imaginés pour arriver plutôt et plus sûrement à la révision des décrets rendus et fondés sur les droits de l’homme, et qui par là étaient nuisibles aux vues ambitieuses et contre-révolutionnaires de Louis Capet et de Marie-Antoinette ; que la constitution de 1791 une fois acceptée, la veuve Capet s’est occupée de la détruire insensiblement par toutes les manœuvres qu’elle et ses agents ont employées dans les divers points de la république ; que toutes ses démarchés ont toujours eu pour but d’anéantir la liberté, et de faire rentrer les Français sous le joug tyrannique pour lequel ils n’ont langui que trop de siècles ; qu’à cet effet la veuve Capet, a imaginé de faire discuter dans ces conciliabules ténébreux, et qualifiés depuis longtemps, avec raison, de cabinet autrichien, contre les lois qui étaient portées par l’assemblée Législative ; que c’est elle et par suite de la détermination prise dans ces conciliabules, qui a décidé Louis Capet à apposer son veto aux fameux et salutaires décrets rendus par l’assemblée Législative contre les ci-devant princes frères de Louis Capet, et les émigrés et contre cette horde de prêtres réfractaires et fanatiques répandus dans toute la France ; veto qui a été l’une des principales causes des maux qu’a éprouvés depuis la France.Que c’est la veuve Capet qui faisait nommer les ministres pervers, aux places dans les armées et dans les bureaux, des hommes connus de la nation entière pour des conspirateurs contre la liberté ; que c’est par ses manœuvres et celles de ses agents, aussi adroits que perfides, qu’elle est parvenue à composer la nouvelle garde de Louis Capet d’anciens officiers qui avaient quitté leur corps lors du serment exigé, de prêtres réfractaires et d’étrangers, et enfin de tous les hommes réprouvés pour la plupart de la nation, et dignes de servir dans l’armée de Coblentz, ou un très grand nombre est en effet passé depuis leur licenciement.
Que c’est la veuve Capet, d’intelligence avec la faction liberticide qui dominait alors l’assemblée Législative et pendant un temps la Convention, qui a fait déclarer la guerre au roi de Bohême et de Hongrie, son frère ; que c’est par ses manœuvres et ses intrigues, toujours funestes à la France, que s’est opérée la première retraite des Français du territoire de la Belgique.
Que c’est la veuve Capet, qui a fait parvenir aux puissances étrangères les plans de campagne et d’attaque qui étaient convenus dans le conseil ; de manière que par cette toujours instruits à l’avance des mouvements que devaient faire les armées de la République : d’où suit la conséquence que la veuve Capet est l’auteur des revers qu’ont éprouvés en différents temps les armées françaises.
Que la veuve Capet a médité et combiné avec ses perfides agents l’horrible conspiration qui a éclaté dans la journée du 10 août, laquelle n’a échoué que par les efforts courageux et incroyables des patriotes ; qu’à cette fin, elle a réuni dans son habitation aux Tuileries, jusque dans les souterrains, les Suisses qui aux termes des décrets, ne devaient plus composer la garde de Louis Capet, qu’elle les a entretenus dans un état d’ivresse depuis le 9 jusqu’au 10 au matin, jour convenu pour l’exécution de cette horrible conspiration ; qu’elle a réuni également et dans le même dessein, dès le 9 une foule de ces êtres qualifiés de chevaliers du poignard, qui avaient figuré déjà dans le même lieu le 28 février 1791, et depuis à l’époque du 20 juin 1792.»
Campardon, Émile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) :pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, pp. 210-221
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62159775/f247.it

« Que la veuve Capet, craignant sans doute que cette conspiration n’eut pas tout l’effet qu’elle s’en était promise, a été dans la soirée du 9 août vers les neuf heures et demie du soir, dans la salle où les Suisses et autres à elle dévoués travaillaient à des cartouches ; qu’en même temps qu’elle les encourageait à hâter la confection de ces cartouches, pour les exciter de plus en plus, elle a pris des cartouches et a mordu des balles (les expressions manquent pour rendre un trait aussi atroce) ; que le lendemain 10, il est notoire qu’elle a pressé et sollicité Louis Capet à aller dans les Tuileries,
vers cinq heures et demie du matin, passer la revue des véritables Suisses, et
d’autres scélérats qui en avaient pris l’habit, et qu’à son retour elle lui a présenté un pistolet, en disant : Voilà le moment de vous montrer, et que sur son refus elle l’a traité de lâche ; que quoique dans son interrogatoire la veuve Capet, ait persévéré à dénier qu’il ait été donné aucun ordre de tirer sur le peuple, la conduite qu’elle a tenue le 9, sa démarche dans la salle des Suisses, les conciliabules qui ont eu lieu toute la nuit et auxquels elle a assisté, l’article du pistolet et son propos à Louis Capet, leur retraite
subite des Tuileries, et les coups de fusil tirés au moment même de leur entrée dans la salle de l’assemblée Législative ; toutes ces circonstances réunies ne permettent pas de douter qu’il n’ait été convenu dans le conciliabule qui a eu lieu pendant toute la nuit, qu’il fallait tirer sur le peuple et que Louis Capet et Marie-Antoinette qui était la grande directrice de cette conspiration, n’ait elle même donné l’ordre de tirer.Que c’est aux intrigues et aux manœuvres perfides de la veuve Capet d’intelligence avec cette faction liberticide dont il a déjà été parlé, et à tous les ennemis de la République, que la France est redevable de cette guerre intestine qui la dévore depuis si longtemps et dont heureusement la fin n’est pas plus éloignée que celle de ses auteurs.
Que dans tous les temps, c’est la veuve Capet, qui par cette influence qu’elle avait acquise sur l’esprit de Louis Capet, lui avait insinué cet art profond et dangereux de dissimuler et d’agir, et promettre par des actes publics le contraire de ce qu’il pensait et tramait conjointement avec elle dans les ténèbres, pour détruire cette liberté si chère aux Français et qu’ils sauront conserver, et recouvrer ce qu’ils appelaient la plénitude des prérogatives royales.
Qu’enfin, la veuve Capet immorale sous tous les rapports et nouvelle Agrippine est si perverse et si familière avec tous les crimes, qu’oubliant sa qualité de mère et la démarcation prescrite par les lois de la nature, elle n’a pas craint de se livrer avec Louis Charles Capet, son fils, et de l’aveu de ce dernier, à des indécences dont l’idée et le nom seuls font frémir d’horreur.
D’après l’exposé ci-dessus, l’accusateur public a dressé la présente accusation contre Marie Antoinette se qualifiant dans son interrogatoire de Lorraine d’Autriche, veuve de Louis Capet, pour avoir méchamment et à dessein
1° de concert avec les frères de Louis Capet et l’infâme ex ministre Calonne, dilapidé d’une manière effroyable les finances de la France, et d’avoir fait passer des sommes incalculables à l’Empereur, et d’avoir épuisé ainsi le Trésor national ;
2° d’avoir tant par elle que par ses agents contre-révolutionnaires, entretenu des intelligences et des correspondances avec les ennemis de la République et d’avoir informé et fait informer ces mêmes ennemis des plans d’attaque et de campagne convenus et arrêtés dans le Conseil ;
3° d’avoir par ses intrigues et manœuvres et celles de ses agents tramé des conspirations et des complots contre la sûreté intérieure et extérieure de la France, et d’avoir à cet effet allumé la guerre civile dans divers points de la République et armé les citoyens les uns contre les autres, et d’avoir par ce moyen fait couler le sang d’un nombre incalculable de citoyens, ce qui est contraire à l’article iv de la section première du titre premier de la deuxième partie du code pénal, et à l’article n de la deuxième section du titre 1 du même code.En conséquence l’accusateur public requiert qu’il lui soit donné acte par le Tribunal assemblé de la présente accusation qu’il soit ordonné qu’à sa diligence, et par un huissier du Tribunal porteur de l’ordonnance à intervenir, Marie Antoinette se qualifiant de Lorraine d’Autriche, veuve de Louis Capet, actuellement détenue dans la maison d’arrêt, dite de la Conciergerie du Palais, sera écrouée sur les registres de ladite maison, pour y rester comme en maison de justice, comme aussi que l’ordonnance à intervenir sera notifiée à la municipalité de Paris et à l’accusée.
Fait au cabinet de l’accusateur public, le premier jour de la troisième décade du premier mois de l’an second de la République française une et indivisible.
Antoine Quentin Fouquier
Le Tribunal, faisant droit sur le réquisitoire de l’accusateur public, lui donne acte de l’accusation par lui portée contre Marie-Antoinette dite Lorraine d’Autriche, veuve de Louis Capet ; En conséquence ordonne qu’à sa diligence et par un huissier du Tribunal porteur de ladite ordonnance, ladite Marie-Antoinette veuve de Louis Capet, sera prise au corps, arrêtée et écrouée sur les registres de la maison d’arrêt, dite la Conciergerie, à Paris, ou elle est actuellement détenue pour y rester comme en maison de justice, comme aussi que la présente ordonnance sera notifiée tant à la municipalité de Paris qu’à l’accusée.
Campardon,Émile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, pp. 82-96.
Fait et jugé au Tribunal, le second jour de la troisième décade du premier mois de l’an second de la république par les citoyens Amant-Martial-Joseph Herman, président; Étienne Foucault ; Gabriel Toussaint Scellier ; Pierre André Coffinhal ; Gabriel Deliège ; Pierre Louis Ragmey ; Antoine Marie Maire ; François Joseph Denizot et Étienne Masson, N. J. Fabricius, greffier.»
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62159775/f108.item


Le même jour
Les avocats commis d’office, Guillaume-Alexandre Tronson du Coudray (1750-1798) et Claude François Chauveau-Lagarde (1756-1841), entrent dans la cellule dans l’après-midi.


Témoignage de Chauveau-Lagarde :
« Je me trouvais à la campagne, le 14 octobre 1793, lorsqu’on vint m’avertir que j’étais nommé avec M. Tronson-Ducoudray pour défendre la reine devant le tribunal révolutionnaire, et que les débats devaient commencer dès le lendemain huit heures du matin.
Je partis à l’instant pour sa prison plein du sentiment d’un devoir aussi sacré, mêlé de la plus profonde amertume. La prison de la Conciergerie est, comme on le sait, la prison des accusés qui sont sur le point de passer en jugement, ou qui doivent après leur condamnation aller à la mort. Après avoir passé deux guichets, on trouve un corridor obscur, à l’entrée duquel on ne peut se conduire qu’à la lueur d’une lampe qui y reste constamment allumée. A droite sont des cachots ; à gauche est une chambre où la lumière pénètre par deux petites croisées garnies de barreaux de fer, et donnant au niveau de la petite cour des femmes.
Cette chambre, où fut enfermée la Reine, était alors divisée en deux parties par un paravent. A gauche en entrant, était un gendarme avec ses armes ; à droite était, dans la partie occupée par la Reine, un lit, une table, deux chaises : Sa Majesté était vêtue de blanc avec la plus extrême simplicité. Il n’est personne qui, se transportant en idée dans un tel lieu, se mettant à ma place, ne sente ce que je dus éprouver en y voyant l’épouse d’un des plus dignes héritiers de saint Louis, l’auguste fille des empereurs d’Allemagne, une Reine qui par sa grâce et sa bonté avait fait les délices de la plus brillante cour de l’Europe, et qui fut l’idole de la nation française.
En abordant la Reine avec un saint respect, mes genoux tremblaient sous moi, j’avais les yeux humides de pleurs; je ne pus cacher le trouble dont mon âme était agitée ; et mon embarras fut tel que je ne l’eusse éprouvé jamais à ce point, si j’avais eu l’honneur d’être présenté à la Reine et de la voir au milieu de sa cour, assise sur un trône, environnée de tout l’éclat de la royauté.
Elle me reçut avec une majesté si pleine de douceur, qu’elle ne tarda pas à me rassurer, par la confiance dont je m’aperçus bientôt qu’elle m’honorait, à mesure que je lui parlais et qu’elle m’observait.
Je lus avec elle son acte d’accusation, qui fut connu dans le temps de toute l’Europe, et dont je ne rappellerai point ici les horribles détails.
A la lecture de cette œuvre de l’enfer, moi seul fus anéanti; !a Reine, sans s’émouvoir, me fit ses observations. Elle s’aperçut, et je le remarquai, que le gendarme pouvait entendre une partie de ce qu’elle disait. Mais, en témoignant n’en avoir aucune inquiétude, elle continua de s’expliquer avec la même sécurité.
Je pris mes premières notes pour sa défense, je montai au greffe pour y examiner ce qu’on appelait les pièces du procès ; j’en trouvai un amas si confus et si volumineux, qu’il nous eût fallu des semaines entières pour les examiner. Je redescendis à la prison pour en faire part à la Reine, et je crois encore être présent à l’entretien que j’eus, à cette occasion, l’honneur d’avoir avec Sa Majesté. Sur l’observation que je lui fis qu’il nous serait impossible de connaître ces pièces en aussi peu de temps et qu’il était indispensable d’avoir un délai pour les examiner. A qui, me dit la Reine, faut-il s’adresser pour cela ?Je craignais de m’expliquer; et comme je prononçais à voix basse le nom de la Convention nationale : «Non, répondit la Reine, en détournant la tête, non jamais ! » J’insistai, en représentant à la Reine qu’étant chargés de la défendre, notre devoir était de ne rien négliger pour confondre la calomnie ; que nous étions déterminés à le remplir du mieux qu’il nous serait possible ; que sans l’examen des prétendus papiers du procès, notre volonté serait, du moins en partie, impuissante ; que d’ailleurs je ne proposais pas à Sa Majesté de former en son nom une demande à cette assemblée, mais de lui adresser, au nom de ses défenseurs, une plainte contre une précipitation qui était aux termes de la loi un véritable déni de justice.
En parlant ainsi, je vis la Reine ébranlée ; mais elle ne pouvait se résoudre encore à une démarche qui lui répugnait. Je continuai en la suppliant de m’excuser si je revenais sur un sujet que je sentais bien lui être pénible. J’ajoutai que nous avions à défendre dans la personne de Sa Majesté, non pas seulement la Reine de France, mais encore la veuve de Louis XVI, la mère des enfants de ce roi et la belle-sœur de nos princes, qui se trouvaient, comme on le sait, nommément désignés avec elle dans l’accusation. Cette dernière idée réussit ; et à ces mots de sœur, d’épouse et de mère, la nature l’emporta sur la souveraineté ; la Reine, sans proférer une seule parole, mais laissant échapper un soupir, prit la plume, et écrivit à l’Assemblée, en notre nom, deux mots pleins de noblesse et de dignité, par lesquels, en effet, elle se plaignait de ce qu’on ne nous avait pas laissé le temps d’examiner les pièces du procès et réclamait pour nous le délai nécessaire.
La réclamation de la reine fut transmise à Fouquier-Tinville. Il promit de la communiquer à l’Assemblée ; mais il n’en fit aucun usage, ou, du moins, il en fit un usage inutile, car le lendemain, 15 octobre, les débats commencèrent à 8 heures du matin.»
Campardon,Émile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, pp.221-225.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62159775/f247.item


Le ton plein de déférence envers la Reine présentée comme la victime de monstres sanguinaires est caractéristique des productions littéraires et artistiques de la période de la Restauration.

De son côté, Tronson du Coudray n’a pas eu le temps de témoigner ultérieurement sur ce procès à un moment où il était de bon ton de se montrer comme défenseur de la cause monarchique. En effet, il a été déporté en Guyane durant le Directoire, soupçonné de royalisme, où il meurt un an plus tard.

On lui doit cependant un mémoire pour les veuves et enfants des citoyens condamnés par le tribunal révolutionnaire antérieurement à la loi du 22 prairial, ici un extrait concernant le procès de Marie-Antoinette, page 26 :
« Nous abandonnâmes quelque temps après (le procès de Custines, dont Tronson avait été le défenseur) cette douloureuse carrière, et nous n’y rentrâmes que lorsque le Tribunal nous rappela pour y défendre la ci-devant Reine de France.
Nous ne parlerons pas de ce procès. Il est assez connu ; nous nous contenterons de rappeler les fables dégoûtantes d’horreur et d’infamie qui furent un des chefs principaux d’accusation, et dont l’énergique réfutation nous valut l’instant d’après l’honneur d’être détenu avec notre collègue Chauveau-Lagarde. »
Campardon, Émile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) :
pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p. 225
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62159775/f247.item

Quelle que soit l’époque où ils rédigent leur témoignage, les deux avocats dénoncent la parodie de justice qu’est ce procès, comme tous les autres du tribunal révolutionnaire.

Ce qu’elle entend de l’acte d’accusation ne peut l’étonner puisqu’il reprend quasiment l’essentiel de son interrogatoire de l’avant-veille.
Seul un détail diffère et de poids : elle est également accusée de crime contre-nature envers son fils. En comprend-elle l’ampleur ? Réagit-elle devant ses avocats ? Se prépare-t-elle déjà à y répondre ?
Notons que Marie-Antoinette a toute confiance envers le lieutenant de Busne.

Transcription complète de l’acte d’accusation :
ANTOINE QUENTIN, FOUQUIER-TINVILLE, Accusateur Public du Tribunal Criminel extraordinaire et révolutionnaire, établi à Paris par Décret de la Convention Nationale du 10 mars 1793, l’an deuxième de la République, sans aucun recours au Tribunal de Cassation, en vertu du pouvoir à lui donné par l’Article Deux d’un autre décret de la Convention du 5 avril suivant, portant que l’Accusateur Public dudit Tribunal est autorisé à faire arrêter, poursuivre et juger sur la dénonciation des autorités constituées ou des citoyens.
EXPOSE que suivant un décret de la convention du premier août dernier, Marie-Antoinette, veuve de Louis Capet, a été traduite au tribunal révolutionnaire, comme prévenue d’avoir conspiré contre la France ; que, par autre décret de la convention, du 3 octobre, il a été décrété que le tribunal révolutionnaire s’occuperait sans délay et sans interruption du jugement ; que l’accusateur public a reçu les pièces concernant la veuve Capet, les 19 et 20 du premier mois de la seconde année, vulgairement dits 11 et 12 octobre courant mois ; qu’il a été aussitôt procédé, par l’un des juges du tribunal, à l’interrogatoire de la veuve Capet ;
Qu’examen fait de toutes les pièces transmises par l’accusateur public, il en résulte, qu’à l’instar des messalines Brunehaut, Frédégonde et Médicis, que l’on qualifiait autrefois de reines de France, et dont les noms à jamais odieux ne s’effaceront pas des fastes de l’histoire, Marie-Antoinette, veuve de Louis Capet, a été depuis son séjour en France, le fléau et la sangsue des François ; qu’avant même l’heureuse révolution qui a rendu au peuple François sa souveraineté, elle avait des rapports politiques avec l’homme qualifié de roi de Bohême et de Hongrie ; que ces rapports étaient contraires aux intérêts de la France ; que non contente, de concert avec les frères de Louis Capet, et l’infâme et exécrable Calonne, lors ministre des finances, d’avoir dilapidé d’une manière effroyable, les finances de la France (fruit des sueurs du peuple), pour satisfaire à des plaisirs désordonnés, et payer les agents de ses intrigues criminelles, il est notoire qu’elle a fait passer, à différentes époques, à l’empereur, des millions qui lui ont servi et lui servent encore à soutenir la guerre contre la république, et que c’est par ses dilapidations excessives qu’elle est parvenue à épuiser le trésor national.
Que, depuis la révolution, la veuve Capet n’a cessé un seul instant d’entretenir des intelligences et des correspondances criminelles et nuisibles à la France, avec les puissances étrangères, et dans l’intérieur de la république, par des agents affidés, qu’elle soudoyait et faisait soudoyer par le ci-devant trésorier de la liste ci-devant civile ; qu’à différentes époques, elle a usé de toutes les manoeuvres qu’elle croyait propres à ses vues perfides, pour opérer une contre-révolution ; d’abord ayant, sous prétexte d’une réunion nécessaire entre les ci-devant gardes-du-corps et les officiers et soldats du régiment de Flandres, ménagé un repas entre ces deux corps le premier octobre 1789, lequel est dégénéré en une véritable orgie, ainsi qu’elle le désirait, et pendant le cours de laquelle les agents de la veuve Capet, secondant parfaitement ses projets contre-révolutionnaires, ont amené la plupart des convives à chanter, dans l’épanchement de l’ivresse, des chansons exprimant le plus entier dévouement pour le trône et l’aversion la plus caractérisée pour le peuple, et de les avoir insensiblement amenés à arborer la cocarde blanche et à fouler aux pieds la cocarde nationale ; et d’avoir, par sa présence, autorisé tous ces excès contre-révolutionnaires, surtout en encourageant les femmes qui l’accompagnaient à distribuer les cocardes blanches aux convives ; d’avoir, le 4 du mois d’octobre, témoigné la joie la plus immodérée de ce qui s’était passé à cette orgie.
En second lieu, d’avoir, conjointement avec Louis Capet, fait imprimer et distribuer avec profusion, dans toute l’étendue de la république, des ouvrages contre-révolutionnaires, de ceux mêmes adressés aux conspirateurs d’outre-Rhin, ou publiés en leur nom, tels que les Pétitions aux Emigrants, Réponse des Emigrants, les Emigrants au Peuple, les plus courtes Folies sont les meilleures, le Journal à deux liards, l’ordre, la marche et l’entrée des Emigrants ; d’avoir même poussé la perfidie et la dissimulation au point d’avoir fait imprimer et distribuer avec la même profusion des ouvrages dans lesquels elle était dépeinte sous des couleurs peu avantageuses, qu’elle ne méritait déjà que trop en ce temps, et ce, pour donner le change, et persuader aux puissances étrangères qu’elle était maltraitée des Français ; et les animer de plus en plus contre la France ; que pour réussir plus promptement dans ses projets contre-révolutionnaires, elle avait, par ses agents, occasionné dans Paris et les environs, les premiers jours d’octobre 1789, une disette qui a donné lieu à une nouvelle insurrection, à la suite de laquelle une foule innombrable de citoyens et de citoyennes s’est portée à Versailles le 5 du même moi ; que ce fait est prouvé d’une manière sans réplique par l’abondance qui a régné le lendemain même de l’arrivée de la veuve Capet à Paris et de sa famille.
Qu’à peine arrivée à Paris, la veuve Capet, féconde en intrigues de tout genre, a formé des conciliables dans son habitation ; que ces conciliabules, composés de tous les contre-révolutionnaires et intrigants des assemblées constituante et législative, se tenaient dans les ténèbres de la nuit ; que l’on y avisait aux moyens d’anéantir les droits de l’homme, et les décrets déjà rendus, qui devaient faire la base de la constitution ; que c’est dans ces conciliabules qu’il a été délibéré sur les mesures à prendre pour faire décréter la révision des décrets qui étaient favorables au peuple ; qu’on a arrêté la fuite de Louis Capet, de la veuve Capet et de toute la famille, sous des noms supposés, au mois de juin 1791, tenté tant de fois et sans succès, à différentes époques ; que la veuve Capet convient, dans son interrogatoire, que c’est elle qui a tout ménagé et tout préparé, pour effectuer cette évasion, et que c’est elle qui a ouvert et fermé les portes de l’appartement par où les fugitifs sont passés ; qu’indépendamment de l’aveu de la veuve Capet à cet égard, il est constant, d’après les déclarations de Louis-Charles Capet et de la fille Capet, que Lafayette, favori sous tous les rapports de la veuve Capet, et Bailly, lors maire de Paris, étaient présents au moment de cette évasion, et qu’ils l’ont favorisée de tout leur pouvoir ; que la veuve Capet, après son retour de Varennes, a recommencé ses conciliabules ; qu’elle les présidait elle-même, et que, d’intelligence avec son favori Lafayette, l’on a fermé les Tuileries, et privé, par ce moyen, les citoyens d’aller et venir librement dans les cours et le ci-devant château des Tuileries ; qu’il n’y avait que les personnes munies de cartes qui eussent leur entrée ; que cette clôture présentée avec emphase par le traître Lafayette comme ayant pour objet de punir les fugitifs de Varennes, était une ruse imaginée et concertée dans ces conciliabules ténébreux pour priver les citoyens des moyens de découvrir ce qui se tramait contre la liberté dans ce lieu infâme ; que c’est dans ces mêmes conciliabules qu’a été déterminé l’horrible massacre qui a eu lieu le 16 juillet 1791, des plus zélés patriotes qui se sont trouvés au Champs-de-Mars ; que le massacre qui avait eu lieu précédemment à Nancy, et ceux qui ont eu lieu depuis dans les divers autres points de la république, ont été déterminés dans ces mêmes conciliabules ; que ces mouvements qui ont fait couler le sang d’une foule immense de patriotes, ont été imaginés pour arriver plutôt et plus sûrement à la révision des décrets rendus et fondés sur les droits de l’homme, et qui par là, étaient nuisibles aux vues ambitieuses et contre-révolutionnaires de Louis Capet et de Marie-Antoinette ; que la constitution de 1791 une fois acceptée, la veuve Capet s’est occupée de la détruire insensiblement par toutes les manœuvres qu’elle et ses agents ont employées dans les divers point de la république ; que toutes ses démarches ont eu pour but d’anéantir la liberté, et de faire rentrer les Français sous le joug tyrannique sous lequel ils n’ont langui que trop de siècles ; qu’à cet effet, la veuve Capet a imaginé de faire discuter dans ses conciliabules ténébreux, et qualifié depuis longtemps avec raison de cabinet autrichien, toutes les lois qui étaient portées par l’assemblée législative ; que c’est elle, et par suite de la détermination prise dans ces conciliables, qui a décidé Louis Capet à apposer son veto au fameux et salutaire décret rendu par l’assemblée législative contre les ci-devant princes, frères de Louis Capet, et les émigrés, et contre cette horde de prêtres réfractaires et fanatiques, répandus dans toute la France ; veto qui a été l’une des principale causes des maux qu’a depuis éprouvé la France.
Que c’est la veuve Capet qui faisait nommer les ministres pervers, et aux places dans les armées et dans les bureaux, des hommes connus de la nation entière pour des conspirateurs contre la liberté ; que c’est par ses manœuvres et celles de ses agents, aussi adroits que perfides, qu’elle est parvenue à composer la nouvelle garde de Louis Capet d’ancien officiers qui avaient quitté leurs corps lors du serment exigé, de prêtres réfractaires et d’étrangers, et enfin de tous hommes réprouvés pour la plupart de la nation, et dignes de servir dans l’armée de Coblentz, où un très grand nombre est en effet passé depuis le licenciement.
Que c’est la veuve Capet, d’intelligence avec la faction liberticide qui dominait alors l’assemblée législative, et pendant un temps la convention, qui a fait déclarer la guerre au roi de Bohême et de Hongrie son frère ; que c’est par ses manœuvres et ses intrigues, toujours funestes à la France, que s’est opérée la première retraite des Français du territoire de la Belgique.
Que c’est la veuve Capet qui a fait parvenir aux puissances étrangères les plans de campagne et d’attaque qui étaient convenus dans le conseil, de manière que, par cette double trahison, les ennemis étaient toujours instruits à l’avance des mouvements que devaient faire les ennemis de la république ; d’où suit la conséquence, que la veuve Capet est l’auteur des revers qu’ont éprouvé, en différents temps, les armées françaises.
Que la veuve Capet a médité et combiné avec ses perfides agents l’horrible conspiration qui a éclaté dans la journée du 10 août, laquelle n’a échoué que par les efforts courageux et incroyables des patriotes ; qu’à cette fin elle a réuni dans son habitation aux Tuileries, jusques dans des souterrains, les Suisses, qui, aux termes des décrets, ne devaient plus composer la garde de Louis Capet ; qu’elle les a entretenus dans un état d’ivresse depuis le 9 jusqu’au 10 matin, jour convenu pour l’exécution de cette horrible conspiration ; qu’elle a réuni également, et dans le même dessein, dès le 9, une foule de ces êtres qualifiés de chevaliers du poignard, qui avaient figuré déjà dans ce même lieu, le 23 février 1791, et depuis, à l’époque du 20 juin 1792.
Que la veuve Capet craignant sans doute que cette conspiration n’eût pas tout l’effet qu’elle s’en était promise, a été dans la soirée du 7 août, vers les neuf heures et demie du soir, dans la salle où les Suisses et autres à elle dévoués, travaillaient à des cartouches ; qu’en même temps qu’elle les encourageait à hâter la confection de ces cartouches, pour les exciter de plus en plus, elle a pris des cartouches et a mordu des balles. (Les expressions manquent pour rendre un trait aussi atroce). Que le lendemain 10, il est notoire qu’elle a pressé et sollicité Louis Capet à aller dans les Tuileries, vers cinq heures et demis du matin, passer la revue des véritables Suisses et autres scélérats qui en avaient pris l’habit, et qu’à son retour, elle lui a présenté un pistolet, en disant : » Voilà le moment de vous montrer « , et que sur son refus, elle l’a traité de lâche ; que, quoique dans son interrogatoire la veuve Capet ait persévéré à dénier qu’il ait été donné aucun ordre de tirer sur le peuple, la conduite qu’elle a tenue le dimanche 9, dans la salle des Suisses, les conciliabules qui ont eu lieu toute la nuit, et auxquels elle a assisté, l’article du pistolet et son propos de Louis Capet, leur retraite subite des Tuileries et les coups de fusil tirés au moment même de leur entrée dans la salle de l’assemblée législative ; toutes ces circonstances réunies ne permettent pas de douter qu’il n’ait été convenu dans le conciliabule qui a eu lieu pendant toute la nuit, qu’il fallait tirer sur le peuple, et que Louis Capet et Marie-Antoinette, qui était la grande directrice de cette conspiration, n’ait elle-même donné l’ordre de tirer.
Que c’est aux intrigues et manœuvres perfides de la veuve Capet, d’intelligence avec cette faction liberticide dont il a été déjà parlé, et tous les ennemis de la république, que la France est redevable de cette guerre intestine qui la dévore depuis si longtemps, dont heureusement la fin n’est pas plus éloignée que celle de ses auteurs.
Que dans tous les temps, c’est la veuve Capet, qui, par cette influence qu’elle avait acquise sur l’esprit de Louis Capet, lui avait insinué cet art profond et dangereux de dissimuler et d’agir, et promettre par des actes publics, le contraire de ce qu’il pensait, et tramait conjointement avec elle dans les ténèbres, pour détruire cette liberté si chère aux Français, et qu’ils sauront conserver, et recouvrer ce qu’ils appelaient la plénitude des prérogatives royales.
Qu’enfin la veuve Capet, immorale sous tous les rapports, et nouvelle Agrippine, est si perverse et si familière avec tous les crimes, qu’oubliant sa qualité de mère, et la démarcation prescrite par les lois de la nature, elle n’a pas craint de se livrer avec Louis-Charles Capet son fils, et de l’aveu de ce dernier, à des indécences dont l’idée et le nom seuls font frémir d’horreur.
D’après l’exposé ci-dessus, l’accusateur-public a dressé la présente accusation contre Marie-Antoinette, se qualifiant dans son interrogatoire de Lorraine d’Autriche, veuve de Louis Capet, pour avoir méchamment et à dessein, 1° de concert avec les frères de Louis Capet et l’infâme ex-ministre Calonne, dilapidé d’une manière effroyable les finances de la France, et d’avoir fait passer des sommes incalculables à l’empereur, et d’avoir ainsi épuisé le trésor national.
2° D’avoir, tant par elle que par ses agents contre-révolutionnaires, entretenu des intelligences et des correspondances avec les ennemis de la république, et d’avoir informé et fait informer ces mêmes ennemis des plans de compagne et d’attaque convenus et arrêtés dans le conseil.
3° D’avoir, par ses intrigues et manœuvres, et celle de ses agents, tramé des conspirations et des complots contre la sûreté intérieure et extérieure de la France, et d’avoir à cet effet allumé la guerre civile dans divers points de la république, et armé les citoyens les uns contre les autres, et d’avoir, par ce moyen, fait couler le sang d’un nombre incalculable de citoyens ; ce qui est contraire à l’article IV de la section première du titre premier de la seconde partie du code pénal, et à l’article II de la seconde section du titre premier du même code.
En conséquence, l’accusateur-public requiert qu’il lui soit donné acte, par le tribunal assemblé, de la présente accusation ; qu’il soit ordonné qu’à sa diligence et par un huissier du tribunal, porteur de l’ordonnance à intervenir, Marie-Antoinette, se qualifiant de Lorraine d’Autriche, veuve de Louis Capet, actuellement détenue dans la maison d’arrêt dite la conciergerie du palais, sera écrouée sur les registres de ladite maison, pour y rester comme en maison de justice ; comme aussi que l’ordonnance à intervenir sera notifiée à la municipalité de Paris et à l’accusée. Fait au cabinet de l’accusateur-public, le premier jour de la troisième décade du premier mois de l’an second de la république une et indivisible.
Signé, FOUQUIER.
Il est singulier de faire de Marie-Antoinette une «nouvelle Agrippine» (impératrice qui fut assassinée par son fils, Néron …) : c’est comme si les accusateurs avaient conscience de l’horreur qu’ils allaient proférer par les accusations d’inceste de la part de Louis-Charles … sans en assumer leur responsabilité puisque Fouquier-Tinville en fait un matricide.
Le 14 octobre 1793, à huit heures du matin
« Pour paraître devant le tribunal révolutionnaire Marie-Antoinette arrangea ses cheveux, ajouta à son bonnet de linon bordé d’une garniture plissée, deux barbes volantes qu’elle avait dans un carton, et sous ces barbes de deuil ajusta un crêpe noir, ce qui lui faisait une coiffure de veuve.»
Déclaration de Rosalie Lamorlière, servante des époux Richard, et ensuite du concierge Bault

La ci-devant Reine a l’air épouvantable… Son aspect hagard contraste bizarrement avec l’image mentale que la plupart des spectateurs se faisaient de l’accusé. Marie-Antoinette est, après tout, enfermée depuis plus d’un an et, dans les derniers mois de Don séjour aux Tuileries, Elle s’est peu aventurée en public par crainte de l’hostilité.

dans la pièce italienne de Paolo Giacometti
Pour certains Elle était la louve autrichienne, l’autruche avec le visage de harpie des caricatures, pour d’autres Elle était la reine scintillante avec Ses diamants et Ses plumes hochant la tête, vue pour la dernière fois correctement aux jours de gloire de Versailles plus de quatre ans auparavant.
Comme l’admet Le Moniteur, Antoinette Capet est « prodigieusement changée ».

De nouveau, Marie-Antoinette repasse les cours, tours et escaliers la menant dans l’ancienne Grande-Chambre afin de comparaître devant le président Herman (1759-1795).




Devant qui Marie-Antoinette comparait-Elle ?

dans Je m’appelais Marie-Antoinette (1993)
LES JUGES

–Amant Joseph Herman (1759-1795) né dans le Pas-de-Calais et depuis septembre 1792 président du tribunal d’Arras. Ville d’origine de Robespierre, celui-ci voit le juge comme un homme probe, en qui il peut avoir confiance et le nomme président du tribunal révolutionnaire à la place de Montané jugé trop modéré. Il sera exécuté le 7 mai 1795.

lors du procès de Marie-Antoinette

dans Je m’appelais Marie-Antoinette (1993) de Robert Hossein
–Pierre André Coffinhal (1762-1794), né en Auvergne, il est ami de Fouquier-Tinville et proche politiquement de Robespierre. Tout d’abord médecin, il s’installe à Paris pour entrer dans le droit. Il est considéré comme un juge sans pitié. Il est guillotiné à la chute de Robespierre.
–Antoine Marie Maire, cinquante ans, ancien avocat au Parlement, nommé par la Convention au tribunal révolutionnaire, aquitté après Thermidor.
Signalement : « 5 pieds 4 pouces, cheveux et sourcils bruns, front dégarni et de côté, yeux gris, bouche moyenne, menton rond et double, visage plein. »
–Joseph François Ignace Donzé-Verteuil (1736-1818), originaire de Belfort, il est jésuite puis abbé de cour. Ralliant rapidement la constitution civile du clergé, il est ensuite élu à la Convention pour devenir substitut de l’accusateur public puis juge du tribunal le 26 septembre 1793.
Signalement : « 59 ans, 5 pieds 2 pouces, cheveux et sourcils grisonnés, front haut, yeux gris, nez ordinaire, bouche petite, menton court, visage rond et plein. »
-Gabriel Deliège (1742-1807), officier municipal de Sainte-Menehould, il est élu de la Législative puis juge au tribunal révolutionnaire.
Signalement : « taille de 5 pieds 3 pouces, cheveux et sourcils chatain brun, front élevé, portant perruque, yeux bruns, nez gros et long, bouche moyenne, menton et visage rond et plein. »
Antoine Quentin Fouquier, accusateur public
Nicolas Joseph Fabricius, greffier.
LES JURES
-Pierre Antoine (ci-devant) marquis d’Antonelle (1747-1817), originaire d’Arles, maire de cette ville en 1790 puis député des Bouches-du-Rhône à l’Assemblée législative; nommé plus tard juré au tribunal révolutionnaire. Suspecté de modération, il est emprisonné et sauvé par Thermidor.
–Léopold Renaudin (1747-1795), luthier avant la Révolution, officier municipal le 10 août 1792 ; nommé le 2 septembre 1793 juré au tribunal révolutionnaire qui finira par le condamner.
–Joseph Souberbielle, (1794-1846), interne à l’Hôtel-Dieu, il participe à la prise de la Bastille. Il devient le médecin personnel de Robespierre qui l’envoie dans les prisons parisiennes si besoin. Il prescrit à Marie-Antoinette des bouillons de poulet.

Nommé par le sort juré dans le procès de Marie-Antoinette, il voulut se récuser, mais le président Herman lui adressa ces paroles : « Si quelqu’un avait à te récuser, ce serait l’accusation, car tu as donné des soins à l’accusée, et tu aurais pu être touché par la grandeur de son infortune. »
Souberbielle n’avait plus rien à dire, il siégea
–Fievé
–Claude Besnard, administrateur des établissements publics de Paris, guillotiné à la chute de Robespierre.
–Thoumin
–Pierre Nicolas Chrétien, âgé de trente-quatre ans, limonadier, s’en sort après Thermidor.
– Georges Ganney, âgé de quarante ans, perruquier, s’en sort après Thermidor.
–François Trinchard, âgé de trente-trois ans, dragon sous l’Ancien Régime, puis juré en septembre 1793 avant d’en devenir juge puis président des comités populaires. S’en sort après Thermidor.
Voici une lettre que Trinchard écrivit à son frère à propos du procès de la Reine ; l’orthographe en est scrupuleusement conservée :
« Je taprans mon frerre qiie jé été un des jurés qui ont jugé la bête féroche qui a dévoré une grande partie de la Republique celle que lon califioit si deven de Raine. »
Archives nationales, carton W 500, cote 1558.
–Léopold Nicolas, âgé de trente-cinq ans, imprimeur et juré du tribunal, membre
de la Commune, guillotiné à la chute de Robespierre.
–Jacques-Nicolas Lumière, âgé de quarante-cinq ans, musicien, guillotiné à la chute de Robespierre.
–Charles-Huant Desboisseaux, membre de la Commune, guillotiné à la chute de Robespierre.
–Baron
–Sambat
–Devèze

–Claude-Louis Châtelet né en 1753 à Paris, demeurant, rue des Piques sous la Révolution, est un artiste peintre à Versailles à qui on doit de superbes vues de Trianon et autres du hameau et du parc, dont plusieurs sont conservées à la bibliothèque de Modène. Animé par des intentions crapuleuse et homicides, il devient juré au tribunal révolutionnaire de Paris.


Tous ces hommes s’installent dans l’auditoire, aux places qui leur ont été désignées.

Le public, nombreux attend maintenant avec impatience l’ancienne Reine déchue :
« puis a été introduite Marie Antoinette veuve de Louis Capet, libre et sans fers, laquelle a été placée sur le fauteuil ordinaire où se placent les accusés de manière qu’elle était vue de tous.
Campardon, Émile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p. 100.
Sont aussi entrés les citoyens Tronson-Ducoudray et Chauveau Delagarde, hommes de loi, conseils et défenseurs officieux de l’accusée.»

Le président en présence de tout l’auditoire a fait prêter aux dits jurés, à chacun individuellement le serment suivant « Citoyen, vous jurez et promettez d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges portées contre Marie Antoinette veuve de Louis Capet de ne communiquer avec personne jusqu’après votre déclaration, de n’écouter ni la haine ni la méchanceté, ni la crainte, ni l’affection , de vous décider d’après les charges et moyens de défense, et suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l’impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme libre. »


Le président ayant dit à l’accusée qu’elle pouvait s’asseoir, après quoi, il lui a demandé ses noms, âge, profession et demeure.
A quoi elle a répondu se nommer Marie-Antoinette Lorraine d’Autriche veuve de Louis XVI, Roi des Français.
Le président lui a dit d’être attentif (sic) à ce qu’elle allait entendre et il a ordonné au greffier de faire lecture de l’acte d’accusation. Le greffier a fait ladite lecture à haute et intelligible voix.
« Le président a dit à l’accusée « Voila de quoi vous êtes accusée, vous allez entendre les charges qui vont être produites contre vous. »
Avant de faire lecture dudit acte d’accusation, l’appel nominal des témoins assignés à la requête de l’accusateur public étant fait, il a résulté dudit appel que les citoyens Mouchet et Sillery étaient absents, pour quoi le Tribunal sur le réquisitoire de l’accusateur public a ordonné que lesdits Mouchet et Sillery seraient sur le champ amenés à l’audience du Tribunal par les huissiers du Tribunal et la Gendarmerie.
Les témoins présentés par l’accusateur public, ont été réintroduits pour faire leurs déclarations, l’un après l’autre, après les avoir fait retirer du sein de l’auditoire ou ils étaient pendant la lecture de l’acte d’accusation.

Le président ayant fait appeler l’un après l’autre lesdits témoins a fait à chacun prêter individuellement le serment suivant : « Vous jurez et promettez de parler sans haine et sans crainte et de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. »
Ensuite il leur a demandé leurs noms, demeures et profession, s’ils sont parents, alliés, serviteurs ou domestiques d’aucune des parties ; si c’est de l’accusée qu’ils entendent parler, s’ils la connaissaient avant le fait qui a donné lieu à l’accusation, à quoi ils ont répondu comme il suit ci-après.
« Premier témoin. Est comparu le citoyen Laurent Lecointre (1742-1805), âgé de cinquante-et-un ans, ci devant marchand de toiles, demeurant à Versailles et député de la Convention, à Paris rue du Bacq n° 402, lequel a déclaré connaitre l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi, il a fait sa déclaration, pendant laquelle déclaration, sur le réquisitoire de l’accusateur public, il a été ordonné le dépôt au greffe de différentes pièces dont était porteur ledit citoyen Lecointre pour servir de pièces à conviction, lequel les a déposées sur le bureau, après les avoir paraphées.»
Laurent Lecointre, député à la Convention nationale, déclare connaître l’accusée pour avoir été autrefois la femme du ci-devant Roi de France et encore pour être celle qui, lors de sa translation au Temple, l’avait chargé de faire une réclamation à la Convention à l’effet d’obtenir ce qu’elle appelait son service, treize ou quatorze personnes qu’elle désignait. La Convention passa à l’ordre du jour, motivé sur ce qu’il fallait s’adresser à la municipalité.
Le déposant entre ensuite dans des détails de fêtes et orgies qui eurent lieu dans la ville de Versailles depuis l’année 1779 jusqu’au commencement de celle de 1789, dont le résultat a été une dilapidation effroyable dans les finances de la France.
Le témoin donne les détails de ce qui a précédé et suivi les assemblées des notables jusqu’à l’époque de l’ouverture des États généraux, l’état où se trouvaient les généreux habitants de Versailles, leurs perplexités douloureuses à l’époque du 23 juin 1789, où les artilleurs de Nassau, dont l’artillerie était placée dans les écuries de l’accusée, refusèrent de faire feu sur le peuple. Enfin les Parisiens ayant secoué le joug de la tyrannie, ce mouve- ment révolutionnaire ranima l’énergie des francs Versailliens ; ils formèrent le projet très hardi et courageux sans doute de s’affranchir de l’oppression du despote et de ses agents.
Le 28 juillet, les citoyens de Versailles formèrent le vœu de s’organiser en gardes nationales à l’instar de leurs frères de Paris : on proposa néanmoins de consulter le Roi ; l’intermédiaire était le ci-devant prince de Poix : on chercha à traîner les choses en longueur, mais l’organisation ayant eu lieu, on forma un état-major ; d’Estaing fut nommé commandant général, Gouvernet commandant en second, etc., etc.
Le témoin entre ici dans les détails des faits qui ont précédé et suivi l’arrivée du régiment de Flandre. Le 29 septembre l’accusée fit venir chez elle les officiers de la garde nationale et leur fit don de deux drapeaux ; il en resta un troisième, lequel on leur annonça être destiné pour un bataillon de prétendue garde soldée, à l’effet, disait-on, de soulager les habitants de Versailles, qu’on semblait plaindre en les cajolant, tandis que d’un autre côté ils étaient abhorrés.
Le 29 septembre 1789 la garde nationale donna un repas à ses braves frères les soldats du régiment de Flandre ; les journalistes ont rendu compte dans le temps que dans le repas des citoyens il ne s’était rien passé de contraire aux principes de la liberté, tandis que celui du 1er octobre suivant, donné par les gardes du corps, n’eut pour but que de provoquer la garde nationale contre les soldats ci-devant de Flandre et les chasseurs des Trois- Évêchés.
Le témoin observe que l’accusée s’est présentée dans ce dernier repas avec son mari ; qu’ils y furent vivement applaudis; que l’air : 0 Richard, ô mon roi! y fut joué, que l’on y but à la santé du Roi, de la Reine et de son fils, mais que la santé de la nation, qui avait été proposée, fut rejetée ; après cette orgie on se transporta au château de la ci-devant cour dite de Marbre, et là, pour donner au Roi vraisemblablement une idée de la manière avec laquelle on était disposé à défendre les intérêts de sa famille si l’occasion s’en présentait, le nommé Perceval, aide de camp de d’Estaing, monta le premier sur le balcon ; après lui ce fut un grenadier du régiment de Flandre; un troisième dragon, ayant aussi essayé d’escalader ledit balcon et n’ayant pu y réussir, voulut se détruire. Quant audit Perceval, il ôta la croix dont il était décoré pour en faire don au grenadier qui comme lui avait escaladé le balcon du ci-devant Roi.
Sur le réquisitoire de l’accusateur public, le tribunal ordonne qu’il sera décerné un mandat d’amener contre Perceval et d’Estaing.
Le témoin ajoute que le 3 octobre même mois, les gardes du corps donnèrent un second repas, et ce fut là où les outrages les plus violents furent faits à la cocarde nationale, qui fut foulée aux pieds, etc., etc.
Le déposant entre ici dans les détails de ce qui s’est passé à Versailles les 5 et 6 octobre ; nous nous dispenserons d’en rendre compte, attendu que ces mêmes faits ont déjà été imprimés dans le recueil des dépositions reçues au ci-devant Châlelet de Paris sur les événements des 5 et 6 octobre, et imprimés par les ordres de l’Assemblée constituante.
Le témoin observe que dans la journée du 5 octobre d’Estaing, instruit des mouvements qui se manifestaient dans Paris, se transporta à la municipalité de Versailles, à l’effet d’obtenir la permission d’emmener le ci-devant Roi, qui pour lors était à la chasse (et qui vraisemblablement ignorait ce qui se passait), avec la promesse, de la part de d’Estaing, de le ramener lorsque la tranquillité serait rétablie.
Le témoin dépose sur le bureau les pièces concernant les faits contenus dans sa déclaration; elles demeureront jointes au procès.
Le président, à l’accusée. — Avez-vous quelques observations à faire sur la déposition du témoin?
— Je n’ai aucune connaissance de la majeure partie des faits dont parle le témoin ; il est vrai que j’ai donné deux drapeaux à la garde nationale de Versailles ; il est vrai que nous avons fait le tour de la table le jour du repas des gardes du corps, mais voilà tout.
— Vous convenez avoir été dans la salle des ci-devant gardes du corps ; y étiez-vous lorsque la musique a joué l’air Ô Richard, ô mon roi !
— Je ne m’en rappelle pas.
— Y étiez-vous lorsque la santé de la nation fut proposée et rejetée?
— Je ne le crois pas.
— Il est notoire que le bruit de la France entière à cette époque était que vous aviez visité vous-même les trois corps armés qui se trouvaient à Versailles, pour les engager à défendre ce que vous appeliez les prérogatives du trône.
— Je n’ai rien à répondre.
— Avant le 14 juillet 1789, ne teniez-vous pas des conciliabules nocturnes où assistait la Polignac, et n’était-ce point là que l’on délibérait sur les moyens de faire passer des fonds à l’empereur?
— Je n’ai jamais assisté à aucun conciliabule.
— Avez-vous connaissance du fameux lit de justice tenu par Louis Capet au milieu des représentants du peuple ?
— Oui.
— N’étaient-ce point d’Espréménil et Thouret, assistés de Barentin, qui rédigèrent les articles qui furent proposés?
— J’ignore absolument ce fait.
— Vos réponses ne sont point exactes, car c’est dans vos appartements que les articles ont été rédigés.
— C’est dans le conseil où cette affaire a été arrêtée.
— Votre mari ne vous a-t-il point lu le discours une demi-heure avant que d’entrer dans la salle des représentants du peuple, et ne l’avez-vous point engagé à le prononcer avec fermeté?
— Mon mari avait beaucoup de confiance en moi, et c’est ce qui l’avait engagé à m’en faire lecture ; mais je ne me suis permis aucune observation.
— Quelles furent les délibérations prises pour faire entourer les représentants du peuple de baïonnettes et pour en faire assassiner la moitié s’il avait été possible ?
— Je n’ai jamais entendu parler de pareille chose.
— Vous n’ignoriez pas sans doute qu’il y avait des troupes au Champ de Mars : vous deviez savoir la cause de leur rassemblement?
— Oui, j’ai su dans le temps qu’il y en avait ; mais j’ignore absolument quel en était le motif.
— Mais ayant la confiance de votre époux, vous ne deviez pas ignorer quelle en était la cause ?
— C’était pour rétablir la tranquillité publique.
— Mais à cette époque tout le monde était tranquille, il n’y avait qu’un cri, celui de la liberté ! Avez-vous connaissance du projet du ci-devant comte d’Artois pour faire sauter la salle de l’Assemblée nationale ; ce plan ayant paru trop violent, ne l’a-t-on pas engagé à voyager, dans la crainte que par sa présence et son étourderie il ne nuisît au projet que l’on avait conçu, qui était de dissimuler jusqu’au moment favorable aux vues perfides que l’on se proposait?
— Je n’ai jamais entendu parler que mon frère d’Artois eût le dessein dont vous parlez ; il est parti de son plein gré pour voyager.
— A quelle époque avez-vous employé les sommes immenses qui vous ont été remises par les différents contrôleurs des finances?
— On ne m’a jamais remis de sommes immenses ; celles qui m’ont été remises ont été par moi employées pour payer les gens qui m’étaient attachés.
— Pourquoi la famille Polignac et plusieurs autres ont-elles été par vous gorgées d’or ?
— Elles avaient des places à la cour qui leur procuraient des richesses.
— Le repas des gardes du corps n’ayant pu avoir lieu qu’avec la permission du roi, vous avez dû nécessairement en connaître la cause?
— On a dit que c’était pour opérer leur réunion avec la garde nationale.
— Comment connaissez-vous Perceval?
— Comme un aide de camp de M. d’Estaing.
— Savez-vous de quels ordres il était décoré ?
— Non.»
On entend un autre témoin.

« Deuxième témoin, Jean-Baptiste Lapierre, âgé de trente-trois ans, adjudant général de la 4e légion, demeurant à Paris, lequel a déclaré connaitre l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique de l’accusée, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.»
Jean-Baptiste Lapierre, adjudant général par intérim de la 4e division, dépose des faits relatifs à ce qui s’est passé au ci-devant château des Tuileries dans la nuit du 20 au 21 juin 1791, où lui, déposant, se trouvait de service ; il a vu dans le courant de la nuit un grand nombre de particuliers à lui inconnus qui allaient et venaient du château dans les cours et des cours au château ; parmi ceux qui ont fixé son attention, il a reconnu Barré, homme de lettres.
— N’est-il pas à votre connaissance qu’après le retour de Varennes, le Barré dont vous parlez se rendait tous les jours au château, où il paraît qu’il était bienvenu, et n’est-ce pas lui qui provoqua du trouble au théâtre du Vaudeville ?
— Je ne peux affirmer ce fait.
Le président, à l’accusée. — Lorsque vous êtes sortie, était-ce à pied ou en voiture ?
— C’était à pied.
— Par quel endroit ?
— Par le Carrousel.
— Lafayette et Bailly étaient-ils au château au moment de votre départ ?
— Je ne le crois pas.
— N’êtes-vous pas descendue par l’appartement d’une de vos femmes ?
— J’avais à la vérité sous mes appartements une femme de garde-robe.
— Comment nommez-vous cette femme?
— Je ne m’en rappelle pas.
— N’est-ce point vous qui avez ouvert les portes ?
— Oui.
— Lafayette n’est-il pas venu dans l’appartement de Louis Capet?
— Non.
— A quelle heure êtes-vous partie ?
— A onze heures trois quarts.
— Avez -vous vu Bailly au château ce jour-là ?
— Non.»


On entend un autre témoin.
« Troisième témoin, Antoine Roussillon, âgé de quarante-quatre ans, médecin, demeurant à Paris, rue des Cordeliers, lequel a déclaré connaitre l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public.»
Antoine Roussillon, chirurgien et canonnier, dépose que le 10 août 1792, étant entré au château des Tuileries dans l’appartement de l’accusée, qu’elle avait quitté peu d’heures avant, il trouva sous son lit des bouteilles, les unes pleines, les autres vides, ce qui lui donna lieu de croire qu’elle avait donné à boire soit aux officiers des Suisses, soit aux chevaliers du poignard qui remplissaient le château.
Le témoin termine en reprochant à l’accusée d’avoir été l’instigatrice des massacres qui ont eu lieu dans divers endroits de la France, notamment à Nancy et au Champ de Mars, comme aussi d’avoir contribué à mettre la France à deux doigts de sa perte en faisant passer des sommes immenses à son frère, le ci-devant roi de Bohême et de Hongrie, pour soutenir la guerre contre les Turcs et lui faciliter ensuite les moyens de faire un jour la guerre à
la France, c’est-à-dire à une nation généreuse qui la nourrissait ainsi que son mari et sa famille.Le déposant observe qu’il tient ce fait d’une bonne citoyenne, excellente patriote, qui a servi à Versailles sous l’ancien régime, et à qui un favori de la ci-devant cour en a fait confidence.
Sur l’indication faite par le témoin de la demeure de cette citoyenne, le tribunal, d’après le réquisitoire de l’accusateur public, ordonne qu’il sera à l’instant décerné contre elle un mandat d’amener, à l’effet de venir donner au tribunal les renseignements qui peuvent être à sa connaissance.
Le président, à l’accusée.— Avez-vous quelques observations à faire contre la déposition du témoin ?
— J’étais sortie du château et ignore ce qui s’y est passé.
— N’avez-vous point donné de l’argent pour faire boire les Suisses ?
— Non.
— N’avez-vous point dit en sortant à un officier suisse :
« Buvez, mon ami, je me recommande à vous » ?
— Non.
— Où avez-vous passé la nuit du 9 au 10 août dont on vous parle ?
— Je l’ai passée avec ma sœur (Élisabeth) dans mon appartement et ne me suis point couchée.
— Pourquoi ne vous êtes-vous point couchée ?
— Parce qu’à minuit nous avons entendu le tocsin sonner de toutes parts et que l’on nous annonça que nous allions être attaqués.
— N’est-ce point chez vous que se sont assemblés les ci-devant nobles et les officiers suisses qui étaient au château, et n’est-ce point là qu’on a arrêté de faire feu sur le peuple ?
— Personne n’est entré dans mon appartement.
— N’avez-vous pas dans la nuit été trouver le ci-devant Roi?
— Je suis restée dans son appartement jusqu’à une heure du matin.
— Vous y avez vu sans doute tous les chevaliers du poignard et l’état-major des Suisses qui y étaient ?
— j’y ai vu beaucoup de monde.
— N‘avez-vous rien vu écrire sur la table du ci-devant Roi ?
— Non.
— Étiez-vous avec le Roi lors de la revue qu’il a faite dans le jardin ?
— Non.
— N’étiez-vous point pendant ce temps à votre fenêtre?
— Non.
— Pétion était-il avec Rœderer dans le château?
— Je l’ignore.
— N’avez-vous point eu un entretien avec d’Affry dans lequel vous l’avez interpellé de s’expliquer si l’on pouvait compter sur les Suisses pour faire feu sur le peuple, et sur la réponse négative qu’il vous fit, n’avez-vous pas employé tour à tour les cajolements et les menaces ?
— Je ne crois pas avoir vu d’Affry ce jour-là.
— Depuis quel temps n’aviez-vous pas vu d’Affry ?
— Il m’est impossible de m’en rappeler en ce moment.
— Mais lui avez-vous demandé si l’on pouvait compter sur les Suisses ?
— Je ne lui ai jamais parlé de cela.
— Vous niez donc que vous lui ayez fait des menaces ?
— Jamais je ne lui en ai fait aucune.L’accusateur public observe que d’Affry, après l’affaire du 10 août, fut arrêté et traduit par-devant le tribunal du 17, et que là il ne fut mis en liberté que parce qu’il prouva que n’ayant point voulu participer à ce qui se se tramait au château, vous l’aviez menacé, ce qui l’avait forcé de s’en éloigner.»

Un autre témoin est entendu.
Pour l’instant les témoins sont tous plus ridicules les uns que les autres, aucun ne pouvant se targuer de connaître réellement l’accusée qui ne les a pour sa part certainement jamais rencontrés de sa vie ou à peine fait un salut poli s’ils ont été de garde dans l’une ou l’autre de ses résidences ou prisons. Les trois ne font que reprendre les rumeurs populaires et la presse à scandales du temps.

dans Je m’appelais Marie-Antoinette (1993) de Robert Hossein
Avec son esprit moqueur et malgré les enjeux, Marie-Antoinette ne peut que rire intérieurement de tant de bêtises. Et peut-être garder l’espoir…

Le prochain témoin est quant à lui beaucoup plus néfaste dans la vie de Marie-Antoinette.
Elle le connaît pour l’avoir vu jouer au maître des lieux au Temple. Elle a sûrement une idée de sa prose infâme dans son journal du Père Duchêne et surtout de sa haine à son égard. Et plus que tout, elle sait qu’il voit régulièrement ses enfants et sa belle-sœur. Il est une des rares personnes qui peut encore lui apporter de leurs nouvelles.
« Quatrième témoin, Jacques René Hébert, âgé de trente-cinq ans, substitut du procureur de la Commune, demeurant à Paris, rue Neuve de l’Égalité, lequel a déclaré connaître l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.»

« Jacques-René Hébert, substitut du procureur de la Commune, dépose qu’en sa qualité de membre de la Commune du 10 août, il fut chargé de différentes missions importantes, qui lui ont prouvé la conspiration d’Antoinette ; notamment un jour au Temple il a trouvé un livre d’église à elle appartenant, dans lequel était un de ces signes contre-révolutionnaires, consistant en un cœur enflammé traversé par une flèche, sur lequel était écrit : Jesu miserere nobis ; une autre fois il trouva dans la chambre d’Élisabeth un chapeau qui fut reconnu pour avoir appartenu à Louis Capet ; cette découverte ne lui permit plus de douter qu’il existât parmi ses collègues quelques hommes dans le cas de se dégrader au point de servir la tyrannie.
Il se rappela que Toulan était entré un jour avec son chapeau dans la tour, et qu’il en était sorti nu-tête en disant qu’il l’avait perdu. Il ajoute que Simon lui ayant fait savoir qu’il avait quelque chose d’important à lui communiquer, il se rendit au Temple accompagné du maire et du procureur de la Commune ; ils y reçurent une déclaration de la part du jeune Capet, de laquelle il résulte qu’à l’époque de la fuite de Louis Capet à Varennes, Lafayette était un de ceux qui avaient le plus contribué à la faciliter, qu’il avait pour cet effet passé la nuit au château ; que pendant leur séjour au Temple, les détenues n’avaient cessé pendant longtemps d’être instruites de ce qui se passait à l’extérieur. On leur faisait passer des correspondances dans des hardes et souliers ; le petit Capet nomma treize personnes comme étant celles qui avaient en partie coopéré à entretenir ces intelligences ; que l’un d’eux l’ayant enfermé avec sa sœur dans une tourelle, il entendit qu’il disait à sa mère : « Je vous procurerai les moyens de savoir des nouvelles en envoyant tous les jours un colporteur crier près de la tour le journal du soir. »
«Enfin le jeune Capet, dont la constitution physique dépérissait chaque jour, fut surpris par Simon dans des pollutions indécentes et funestes pour son tempérament; que celui-ci lui ayant demandé qui lui avait appris ce manège criminel, il répondit que c’était à sa mère et à sa tante qu’il était redevable de la connaissance de cette habitude funeste.»

« De la déclaration, observe le déposant, que le jeune Capet a faite en présence du maire de Paris et du procureur de la Commune, il résulte que ces deux femmes le faisaient souvent coucher entre elles deux, que là il se commettait des traits de la débauche la plus effrénée, qu’il n’y avait pas même à douter, parce qu’a dit le fils Capet, qu’il n’y ait eu un acte incestueux entre la mère et le fils.»

« Il y a lieu de croire que cette criminelle jouissance n’était point dictée par le plaisir, mais bien par l’espoir politique d’énerver le physique de cet enfant, que l’on se plaisait encore à croire destiné à occuper un trône, et sur lequel on voulait par cette manœuvre s’assurer de régner alors sur son moral. Que par les efforts qu’on lui fit faire, il est demeuré attaqué d’une descente pour laquelle il a fallu mettre un bandage à cet enfant, et depuis qu’il n’est plus avec sa mère il reprend un tempérament robuste et vigoureux.»

« Le président, à l’accusée. — Qu’avez-vous à répondre à la déposition du témoin ?
— Je n’ai aucune connaissance des faits dont parle Hébert ; je sais seulement que le cœur dont il parle a été donné à mon fils par sa sœur ; à l’égard du chapeau dont il a également parlé, c’est un présent fait à la sœur du vivant du frère (Louis XVI).
— Les administrateurs Michonis, Jobert, Marino et Michel, lorsqu’ils se rendaient près de vous, n’amenaient-ils pas des personnes avec eux ?
— Oui, ils ne venaient jamais seuls.
— Combien amenaient-ils de personnes chaque fois ?
— Souvent trois ou quatre.
— Ces personnes n’étaient-elles point elles-mêmes des administrateurs ?
— Je l’ignore.
— Michonis et les autres administrateurs, lorsqu’ils se rendaient près de vous, étaient-ils revêtus de leurs écharpes ?
— Je ne m’en rappelle pas.»
Sur l’interpellation faite au témoin Hébert s’il a connaissance de la manière dont les administrateurs font leur service, il répond n’en pas avoir une connaissance exacte ; mais il remarque, à l’occasion de la déclaration que vient de faire l’accusée, que la famille Capet, pendant son séjour au Temple, était instruite de tout ce qui se passait dans ladite ville ; ils connaissaient tous les officiers municipaux qui venaient tous les jours y faire leur service, ainsi que les aventures de chacun d’eux, de même que la nature de leurs différentes fonctions.

Le citoyen Hébert observe qu’il avait échappé à sa mémoire un fait important qui mérite d’être mis sous les yeux des citoyens jurés ; il fera connaître la morale de l’accusée et de sa belle-sœur. Après la mort de Capet, ces deux femmes traitaient le petit Capet avec la même déférence que s’il avait été roi ; il avait, lorsqu’il était à table, la préséance sur sa mère et sur sa tante; il était toujours servi le premier et occupait le haut bout.

dans Je m’appelais Marie-Antoinette (1993)
« L’accusée. — L’avez-vous vu ?
Hébert. — Je ne l’ai pas vu, mais toute la municipalité le certifiera.
Le président, à l’accusée. — N’avez-vous pas éprouvé un tressaillement de joie en voyant entrer avec Michonis, dans votre chambre à la Conciergerie, le particulier porteur d’œillet ?
— Étant depuis treize mois renfermée sans voir personne de connaissance, j’ai tressailli dans la crainte qu’il ne fût compromis rapport à moi.
— Ce particulier n’a-t-il pas été un de vos agents ?
— Non.
— N’était-il pas au ci-devant château des Tuileries le 20 juin ?
—oui.
— Et sans doute aussi dans la nuit du 9 au 10 août?
— Je ne me rappelle pas l’y avoir vu.
— N’avez-vous pas eu un entretien avec Michonis sur le compte du particulier porteur de l’œillet ?
— Non.
— Comment nommez-vous ce particulier ?
— J’ignore son nom.
— N’avez-vous pas dit à Michonis que vous craigniez qu’il ne fût pas réélu à la nouvelle municipalité ?
— Oui.
— Quel était le motif de vos craintes à cet égard ?
— C’est qu’il était humain envers tous les prisonniers.
— Ne lui avez-vous pas dit le même jour : C’est peut-être la dernière fois que je vous vois ?
—Oui.
— Pourquoi lui avez-vous dit cela ?
— C’était pour l’intérêt général des prisonniers.Un juré. — Citoyen président, je vous invite à vouloir bien observer à l’accusée qu’elle n’a pas répondu sur le fait dont a parlé le citoyen Hébert à l’égard de ce qui s’est passé entre elle et son fils.»
Le président fait l’interpellation.
La Reine alors se lève et, le bras tendu vers l’auditoire, Elle dit d’une voix plus haute et qui frappe les murs avant de frapper les cœurs :
L’accusée. — « Si je n’ai pas répondu, c’est que la nature se refuse à répondre à une pareille inculpation faite à une mère.(ici l’accusée paraît vivement émue). J’en appelle à toutes celles qui peuvent se trouver ici !»


dans Je m’appelais Marie-Antoinette (1993) de Robert Hossein



Michèle Morgan (1956)

Jane Seymour
Sans l’avoir cherché, Elle a atteint le sublime.






D’après Chauveau-Lagarde :
« Elle s’aperçut de l’impression qu’elle venait de produire, et m’ayant fait signe de monter aux gradins pour m’approcher d’elle , Sa Majesté me dit , à voix basse : N’ai- je pas mis trop de dignité dans ma réponse ? « Madame, lui répondis-je , soyez vous » même, et vous serez toujours bien ; mais pourquoi me faites- vous cette question ? » C’est, reprit la Reine , que j’ai entendu » une femme du peuple dire à sa voisine : « Vois -tu, comme elle est fière ! » Cette observation de la Reine fait voir encore qu’elle espérait ; et prouve aussi dans la pureté de sa conscience, il fallait qu’elle fût bien maitresse d’elle -même, que , puisqu’au milieu des plus grandes agitations de l’âme, elle entendait tout ce qu’on disait autour d’elle , et qu’elle cherchait , dans l’intérêt de son innocence , à régler sur sa situation , et son silence et ses paroles.»
Chauveau-Lagarde, Note historique sur les procès de Marie-Antoinette d’Autriche, reine de France et de madame Elisabeth de France, Paris, 1816
On continue l’audition des témoins.
Contrairement aux autres témoignages qui frôlent le ridicule et n’ont pu que l’ennuyer, on ressent ici la très grande force émotionnelle de Marie-Antoinette qui passe de son mépris affiché envers Hébert avec Son «L’avez-vous vu ?» à Sa volonté de protéger Michonis qu’Elle respecte pour l’humanité qu’il a marqué envers les prisonniers, Elle, Sa famille mais aussi toutes les victimes de la révolution.

Mais plus que tout, Hébert et ensuite ce juré resté anonyme, lui apportent sur un plateau d’argent le moyen d’émouvoir le public, bouleversé de voir non plus cette reine honnie mais cette mère attaquée dans ce qu’elle a de plus sacré.
L’accusation est si horrible que certains n’ont pas hésité à imaginer Hébert comme agent royaliste qui aurait trouvé ce moyen pour tenter de sauver Marie-Antoinette.
« Cinquième témoin, Abraham Justin Silly, notaire à Paris, y demeurant, rue du Bouloy, âgé de quarante-trois ans, lequel a déclaré connaître l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique de l’accusée, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.
Abraham Silly, notaire, dépose qu’étant de service au ci-devant château des Tuileries dans la nuit du 20 au 21 juin 1791, il vit venir près de lui l’accusée vers les six heures du soir, laquelle lui dit qu’elle voulait se promener avec son fils, qu’il chargea le sieur Laroche de l’accompagner, que quelque temps après il vit venir Lafayette cinq ou six fois dans la soirée chez Gouvion, que celui-ci vers dix heures donna l’ordre de fermer les portes, excepté celle donnant sur la cour des ci-devant princes ; que le matin ledit Gouvion entra dans l’appartement où se trouvait lui déposant, et lui dit en se frottant les mains avec un air de satisfaction : « Ils sont partis! » qu’il lui fut remis un paquet qu’il porta à l’Assemblée constituante, dont le citoyen Beauharnais, président, lui donna décharge.
Le président. — A quelle heure Lafayette est-il sorti du château dans la nuit ?
Le témoin. — A minuit moins quelques minutes.
Le président, à l’accusée. — A quelle heure êtes-vous sortie ?
— Je l’ai déjà dit : A onze heures trois quarts.
— Êtes-vous sortie avec Louis Capet ?
— Non, il est sorti avant moi.
— Comment est-il sorti ?
— A pied, par la grande porte.
— Et vos enfants ?
— Ils sont sortis une heure avant avec leur gouvernante ; ils nous ont attendu sur la place du petit Carrousel.
— Comment nommez-vous cette gouvernante ?
— De Tourzel.
— Quelles étaient les personnes qui étaient avec vous ?
— Les trois gardes du corps qui nous ont accompagné, et qui sont revenus avec nous à Paris.
— Comment étaient-ils habillés ?
— De la même manière qu’ils l’étaient lors de leur retour.
— Et vous, comment étiez-vous vêtue ?
— J’avais la même robe qu’à mon retour.
— Combien y avait-il de personnes instruites de votre départ ?
— Il n’y avait que les trois gardes du corps à Paris qui en étaient instruits ; mais sur la route, Bouillé avait placé des troupes pour protéger notre départ.
— Vous dites que vos enfants sont sortis une heure avant vous, que le ci-devant roi est sorti seul ; qui vous a donc accompagnée ?
— Un des gardes du corps.
— N’avez-vous pas, en sortant, rencontré Lafayette ?
— J’ai vu, en sortant, sa voiture passer au Carrousel ; mais je me suis bien gardée de lui parler.
— Qui vous a fourni ou fait fournir la fameuse voiture dans laquelle vous êtes partie avec votre famille ?
— C’est un étranger.
— De quelle nation ?
— Suédoise.
— N’est-ce point Fersen (colonel au régiment du ci-devant Royal-Suédois), qui demeurait à Paris, rue du Bac ?
— Oui.
— Pourquoi avez-vous voyagé sous le nom d’une baronne russe ?
— Parce qu’il était impossible de sortir de Paris autrement.
— Qui vous a procuré le passeport ?
— C’est un ministre étranger qui l’avait demandé.
— Pourquoi avez-vous quitté Paris ?
— Parce que le roi voulait s’en aller.»
A trois heures l’accusateur public a requis, et le Tribunal a ordonné que la séance serait suspendue jusqu’à cinq heures de relevée, et a fait retirer l’accusée.
Marie-Antoinette n’hésite pas ici à donner quelques détails sur sa tentative d’évasion, quitte à livrer ou confirmer des noms (Tourzel et Fersen) mais tout est déjà connu depuis longtemps et il n’y a donc rien à craindre. Elle sait que Fersen est à l’étranger et ne risque donc plus rien et elle a sûrement appris que madame de Tourzel vivait cachée elle aussi.
Par contre, elle n’hésite pas une fois de plus à marquer son agacement devant des questions qu’elle doit trouver absurdes : sa tenue lors de son évasion est connue de tous puisqu’elle n’a pas eu malheureusement l’occasion de se changer entre sa sortie des Tuileries et son retour cinq jours plus tard devant la foule des Parisiens.

On lui permet de se reposer quelques heures.
Et le même jour, cinq heures de relevée, le Tribunal composé comme ci-dessus, l’accusée et ses conseils réintroduits, elle libre et sans fers, les débats ont continué, et est comparu :
« Sixième témoin, Joseph Terrasson, âgé de quarante-quatre ans, secrétaire de correspondance, demeurant à Paris, rue de la Saussaie, lequel a déclaré qu’il connait l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, ami, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.
« Pierre-Joseph Terrasson, employé dans les bureaux du ministère de la justice, dépose que lors du retour du voyage connu sous le nom de Varennes, se trouvant sur le perron du ci-devant château des Tuileries, il vit l’accusée descendre de voiture et jeter sur les gardes nationaux qui l’avaient escortée ainsi que sur tous les autres citoyens qui se trouvaient sur son passage, le coup d’œil le plus vindicatif, ce qui fit penser sur-le-champ à lui, déposant, qu’elle se vengerait ; effectivement quelque temps après arriva la scène du Champ de Mars ; il ajoute que Duranthon, étant ministre de la justice, avec qui il était très lié à Bordeaux, à raison de la même profession qu’ils y avaient exercée ensemble, lui dit que l’accusée s’opposait à ce que le ci-devant roi donnât sa sanction à différents décrets ; mais qu’il lui avait représenté que cette affaire était plus importante qu’elle ne pensait, et qu’il était même urgent qu’ils le fussent promptement ; que cette observation fit impression sur l’accusée, et alors le roi sanctionna.»
«Le président, à l’accusée.—Avez-vous quelques observations à faire sur la déposition du témoin ?
— Je n’ai jamais assisté au conseil.»
Un autre témoin est entendu.
Et de répéter pour la énième fois qu’elle n’a jamais assisté au conseil des ministres…
Marie-Antoinette confiera à ses avocats qu’elle ne craint que le prochain témoin. Farouche républicain, elle ignore que celui-ci a été depuis impressionné par Louis XVI lors de l’annonce de sa destitution. Il a tout tenté lors du procès du Roi, pour le sauver.
C’est dire que son attitude paraît désormais suspecte.
« Septième témoin, Pierre Manuel, âgé de quarante ans, homme de loi, demeurant à Melun, lequel a déclaré qu’il connaît l’accusée, et que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.
« Pierre Manuel, homme de lettres, dépose connaître l’accusée, mais qu’il n’a jamais eu avec elle ni avec la famille Capet aucun rapport, sinon pendant qu’il était procureur de la Commune, qu’il s’est transporté au Temple plusieurs fois pour faire exécuter les décrets; que du reste il n’a jamais eu d’entretien particulier avec la femme du ci-devant roi.»

« Le président, au témoin. — Vous avez été administrateur de police ?
— Oui.
— Eh bien, en cette qualité, vous devez avoir eu des rapports avec la cour ?
— C’était le maire qui avait les relations avec la cour ; quant à moi, j’étais pour ainsi dire tous les jours à la Force, où, par humanité, je faisais autant de bien que je pouvais aux prisonniers.
— Louis Capet fit dans le temps des éloges de l’administration de la police ?
— L’administration de la police était divisée en cinq branches, dont l’une était les subsistances ; c’est à celle-là que Louis fit une distribution de louanges.
— Sur la journée du 20 juin, avez-vous quelques détails à donner ?
— Ce jour-là je n’ai quitté mon poste que pendant peu de temps, attendu que le peuple aurait été fâché de ne point y trouver un de ses premiers commettants : je me rendis dans le jardin du château ; là, je parlai avec divers citoyens et ne fis aucune fonction de municipal.
— Dites ce qui est à votre connaissance sur ce qui s’est passé au château la nuit du 9 au 10 août.
— Je n’ai point voulu quitter le poste où le peuple m’avait placé ; je suis demeuré toute la nuit au parquet de la Commune.
— Vous étiez très lié avec Pétion ; il a dû vous dire ce qui s’y passait ?
— J’étais son ami par fonction et par estime, et si je l’avais vu dans le cas de tromper le peuple et d’être initié dans la coalition du château, je l’aurais privé de mon estime. Il m’avait, à la vérité, dit que le château désirait la journée du 10 août pour le rétablissement de l’autorité royale.
— Avez-vous eu connaissance que les maîtres du château aient donné l’ordre de faire feu sur le peuple ?
— J’en ai eu connaissance par le commandant du poste, bon républicain, qui est venu m’en instruire ; alors j’ai sur-le-champ mandé le commandant général de la force armée et lui ai, en ma qualité de procureur de la Commune, défendu expressément de tirer sur le peuple.
— Comment se fait-il que vous, qui venez de dire que dans la nuit du 9 au 10 vous n’avez point quitté le poste où le peuple vous avait placé, vous ayez depuis abandonné l’honorable fonction de législateur où sa confiance
vous avait appelé ?
— Lorsque j’ai vu les orages s’élever dans le sein de la Convention, je me suis retiré ; j’ai cru mieux faire. Je me suis livré à la morale de Thomas Payne, mon maître en républicanisme ; j’ai désiré comme lui de voir établir le règne de la liberté et de l’égalité sur des bases fixes et durables ; j’ai pu varier dans les moyens que j’ai proposés, mais mes intentions ont été pures.
— Comment, vous vous dites bon républicain, vous dites que vous aimez l’égalité, et vous avez proposé de faire rendre à Pétion des honneurs équivalents à l’étiquette de la royauté ?
— Ce n’était point à Pétion, qui n’était président que pour quinze jours, mais c’était au président de la Convention nationale à qui je voulais faire rendre des honneurs, et voici comment : Je désirais qu’un huissier et un gendarme le précédassent et que les citoyens des tribunes se levassent à son entrée. Il fut prononcé dans le temps des discours meilleurs que le mien et je m’y rendis.
— Connaissez-vous les noms de ceux qui ont averti que Pétion courrait des risques au château ?
— Non, je crois seulement que ce sont quelques députés qui en ont averti l’Assemblée législative.
— Pourquoi avez-vous pris sur vous d’entrer seul dans le Temple, et surtout dans les appartements dits royaux ?
— Je ne me suis jamais permis d’entrer seul dans les appartements des prisonniers ; je me suis au contraire toujours fait accompagner par plusieurs des commissaires qui y étaient de service.
— Pourquoi avez-vous marqué de la sollicitude pour les valets de l’accusée de préférence aux autres prisonniers ?
— Il est vrai qu’à la Force la fille Tourzel croyait sa mère morte ; la mère en pensait autant de sa fille ; guidé par un acte d’humanité, je les ai réunies.
— N’avez-vous jamais entretenu de correspondance avec Élisabeth Capet ?
— Non.Le président, à l’accusée. — N’avez-vous jamais eu au Temple d’entretiens particuliers avec le témoin ?
—Non.»
Les juges ne sont guère convaincus par les propos du témoin et n’en demande pas plus, conscients que Manuel n’en dira pas davantage sur l’accusée. Et Marie-Antoinette de découvrir surprise non seulement qu’il ne l’a enfoncée en rien, bien au contraire, mais qu’en plus il a pris le risque de réunir la comtesse de Tourzel et sa fille Pauline.
« Manuel, malgré son inimitié contre la Cour du temps de l’Assemblée législative, déclara qu’il ne pouvait rien dire contre l’accusée.»
Mémoires de Madame Campan
Dans moins d’un mois, Manuel passera à son tour à la guillotine.
On entend un autre témoin.
Si Marie-Antoinette doit considérer ce dernier comme l’un des meneurs des débuts de la révolution et de ce fait peu l’estimer, lui non plus n’est pas là pour l’enfoncer et risque à son tour sa vie.
En effet, c’est ici plus le procès des révolutionnaires de 1789, qu’on appellera par la suite les Feuillants, considérés par les nouveaux détenteurs du pouvoir après le 10 août 1792 comme aussi coupables que les royalistes.
« Huitième témoin, Jean Sylvain Bailly, âgé de cinquante-huit ans, ex-député, demeurant à Melun, lequel a déclaré qu’il connaissait l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.»

« Jean-Sylvain Bailly, homme de lettres, dépose n’avoir jamais eu de relations avec la famille ci-devant royale. Il proteste que les faits contenus dans l’acte d’accusation, touchant la déclaration de Charles Capet, sont absolument faux. Il observe à cet égard que lors des jours qui ont précédé la fuite de Louis, le bruit courait depuis quelques jours qu’il devait partir, qu’il en fit part à Lafayette en lui recommandant de prendre à cet égard les mesures nécessaires.
Le président, au témoin. — N’étiez-vous pas en liaison avec Pastoret et Rœderer (ex-procureurs généraux, syndics du département de Paris) ?
— Je n’ai eu avec eux d’autre liaison que celles d’une relation entre magistrats.
—N’est-ce pas vous qui, de concert avec Lafayette, avez fondé le club connu sous le nom de 1789?
— Je n’en ai pas été le fondateur, et je n’y fus que parce que des Bretons mes amis en étaient ; ils m’invitèrent à en être en me disant qu’il n’en coûtait que
cinq louis ; je les donnai et fus reçus. Eh bien, depuis, je n’ai assisté qu’à deux dîners.
— N’avez-vous pas assisté aux conciliabules tenus chez le ci-devant La Rochefoucault ?
— Je n’ai jamais entendu parler de conciliabule ; il se peut faire qu’il en existât, mais je n’ai jamais assisté à aucun.
— Si vous n’aviez pas de conciliabules, pourquoi, lors du décret du 19 juin 1790, par lequel l’Assemblée constituante voulant donner aux vainqueurs de la Bastille le témoignage éclatant de la reconnaissance d’une grande nation, les récompensait de leur courage en les plaçant d’une manière distinguée au milieu de leurs frères dans le Champ de Mars le jour de la Fédération, pourquoi, dis-je, avez-vous excité des troubles entre eux – et leurs frères d’armes les ci-devant gardes françaises, puis ensuite été faire le pleureur à leur assemblée et les avez forcé de reporter la gratifIcation dont ils avaient été honorés ?
— Je ne me suis rendu auprès d’eux qu’à la demande de leurs chefs, à l’effet d’opérer la réconciliation des deux partis; c’est d’ailleurs l’un d’eux qui a fait la motion de remettre les décorations dont l’Assemblée constituante
les avait honorés, et non pas moi.
— Ceux qui ont fait cette motion ayant été reconnus pour vous être attachés en qualité d’espions, les braves vainqueurs en ont fait justice en les chassant de leur sein.
— On s’est étrangement trompé à cet égard.
— N’avez-vous pas prêté les mains au voyage de Saint -Cloud au mois d’avril, et de concert avec Lafayette, n’avez-vous pas sollicité auprès du département l’ordre de déployer le drapeau rouge?
— Non.
— Étiez-vous-instruit que le ci-devant Roi recélait dans le château un nombre considérable de prêtres réfractaires ?
— Oui ; je me suis même rendu chez le Roi à la tête de la municipalité pour l’inviter de renvoyer les prêtres insermentés qu’il avait chez lui.
— Pourriez-vous indiquer les noms des habitués du château connus sous le nom de Chevaliers du poignard ?
— Je n’en connais aucun.
— A l’époque de la révision de la Constitution de 1791 ne vous êtes-vous pas réuni avec les Lameth, Barnave, Desmeunier, Chapellier et autres fameux reviseurs coalisés pour dépouiller le peuple de ses droits légitimes et ne lui laisser qu’un simulacre de liberté ?
— Lafayette s’est réconcilié avec les Lameth ; mais moi, je n’ai pu me raccommoder, n’ayant pas été lié avec eux.
— Il paraît que vous étiez très lié avec Lafayette et que vos opinions s’accordaient assez bien ?
—Je n’avais avec lui d’autre intimité que relativement à sa place ; du reste, dans le temps, je partageais sur son compte l’opinion de tout Paris.
—Vous dites n’avoir jamais assisté à aucun conciliabule ; mais comment se fait-il qu’au moment où vous vous êtes rendu à l’Assemblée constituante, Charles Lameth tira la réponse qu’il vous fit de dessous son bureau ; cela
prouve qu’il existait une criminelle coalition ?
— L’Assemblée nationale avait par un décret mandé les autorités constituées ; je m’y suis rendu avec les membres du département et les accusateurs publics. Je ne fis que recevoir les ordres de l’Assemblée et ne portai point la parole : ce fut le président du département qui prononça le discours sur l’événement.
— N’avez-vous point aussi reçu l’ordre d’Antoinette pour l’exécution du massacre des meilleurs patriotes?
— Non ; je n’ai été au Champ de Mars que d’après un arrêté du Conseil général de la commune.
— C’était avec la permission de la municipalité que les patriotes s’étaient rassemblés au Champ de Mars ; ils avaient fait leur déclaration au greffe, on leur en avait délivré un reçu. Comment avez-vous pu déployer contre
eux l’infernal drapeau rouge ?
— Le Conseil ne s’est décidé que parce que depuis le matin que l’on avait été instruit que deux hommes avaient été massacrés au Champ de Mars, les rapports qui se succédaient devenaient de plus en plus alarmants d’heure en heure ; le Conseil fut trompé, et se décida à employer la force armée.

«— N’est-ce point le peuple au contraire qui a été trompé par la municipalité ? Ne serait-ce point elle qui avait provoqué les rassemblements à l’effet d’y attirer les meilleurs patriotes et les y égorger ?
— Non, certainement.
— Qu’avez-vous fait des morts, c’est-à-dire des patriotes qui y ont été assassinés?
— La municipalité ayant dressé procès-verbal, les fit transporter dans la cour de l’hôpital militaire, au Gros-Caillou, où le plus grand nombre fut reconnu.
— A combien d’individus se montaient-ils ?
— Le nombre en fut déterminé et rendu public par le procès-verbal que la municipalité fit afficher dans le temps ; il y en avait douze ou treize.Un juré (Chrétien, limonadier, rue Neuve-Saint-Marc).
— J’observe au tribunal que me trouvant ce jour-là au Champ de Mars avec mon père, au moment où le massacre commença, je vis tuer près de la rivière, où je me trouvais, dix-sept à dix-huit personnes des deux sexes ; nous-mêmes n’évitâmes la mort qu’en entrant dans la rivière jusqu’au cou.
Le témoin garde le silence.
Le président, à l’accusée. — A combien pouvait se monter le nombre de prêtres que vous aviez au château ?
— Nous n’avions auprès de nous que les prêtres qui disaient la messe.
— Ils étaient insermentés?
— La loi permettait au Roi à cet égard de prendre qui il voulait.
— Quel a été le sujet de vos entretiens, sur la route de Varennes, en revenant avec Barnave et Pétion à Paris ?
— On a parlé de choses et d’autres fort indifférentes.
« Lorsqu’on fit comparaître le vénérable Bailly, qui jadis prédisait si souvent à la cour les calamités que devaient produire ses imprudences, il parut douloureusement affecté ; et quand on lui demanda s’il connaissait la femme de Capet, « oui, dit-il en s’inclinant respectueusement, j’ai connu madame. Il a déclaré qu’il ne savait rien, et soutenait que les déclarations extorquées au jeune prince relatives au voyage de Varennes étaient fausses. En récompense de sa déposition, il fut assailli d’outrageux reproches, d’après lesquels il pouvait juger du sort qui lui serait bientôt réservé.
Mémoires de Madame Campan

Les juges cherchent à tout prix à rendre responsable l’accusée du massacre du Champs de Mars et de montrer ainsi la complicité de Bailly et surtout celle de La Fayette avec le pouvoir monarchique comme de leur complicité pour l’évasion de la famille royale.
Malheureusement pour eux, rien ne l’atteste et ce n’est pas Marie-Antoinette qui va les y aider, n’ayant jamais caché son mépris envers le «blondinet» ainsi qu’Elle appelle La Fayette.
On continue l’audition des témoins.
On revient sur les journées d’octobre et notamment sur le banquet du régiment flamand, véritable provocation contre le peuple d’après la révolutionnaires.
« Neuvième témoin, Jean-Baptiste Béguin dit Perceval, ancien aide de camp, demeurant- à Paris, rue de Seine, 1403, lequel a déclaré qu’il connait
l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.»
« Jean-Baptiste Beguin, dit Perceval, ci-devant employé aux chasses et actuellement enregistré pour travailler à la fabrication des armes, dépose que le 1er octobre 1789, se trouvant à Versailles, il a eu connaissance du premier repas des gardes du corps, mais qu’il n’y a point assisté ; que le 5 du même mois, il a, en sa qualité d’aide de camp du ci-devant comte d’Estaing, prévenu ce dernier qu’il y avait des mouvements dans Paris, que d’Estaing n’en tint pas compte ; que vers l’après-midi la foule augmenta considérablement; qu’il a averti d’Estaing pour la seconde fois, mais qu’il ne daigna pas même l’écouter (le témoin entre dans le détail de l’arrivée des Parisiens à Versailles entre onze heures et minuit).
« Le président. — Ne portiez-vous pas à cette époque une décoration?
— Je portais le ruban de l’ordre de Limbourg ; j’en avais comme tout le monde acheté le brevet moyennant 1,500 livres.
—N’avez-vous point, après l’orgie des gardes du corps, été dans la cour de Marbre, et là n’avez-vous pas un des premiers escaladé le balcon du ci-devant Roi?
— Je me suis trouvé à l’issue du repas des gardes du corps; et comme ils dirigeaient leurs pas vers le château, je les y ai accompagnés.Le président, au témoin Lecointre. – Rendez compte au tribunal de ce qui est à votre connaissance touchant e témoin présent?
— Je sais que Perceval a escaladé le balcon de l’appartement du ci-devant Roi, qu’il fut suivi par un grenadier du régiment de Flandre, et qu’arrivé dans l’appartement de Louis Capet, Perceval embrassa, en présence du tyran qui s’y trouvait, ledit grenadier, et lui dit : « Il n’y a plus de régiment de Flandre, nous sommes tous gardes royales. » Un dragon des Trois-Évêchés, ayant essayé d’y monter après eux, et ne pouvant y réussir, voulut se détruire. Le déposant observe que ce n’est point comme témoin oculaire qu’il dépose de ce fait, mais d’après le témoin Perceval, qui le même jour lui en fit confidence, et qui par la suite a été reconnu exact. Il invite en conséquence le citoyen président de vouloir bien interpeller Perceval de déclarer si, oui ou non, il se rappelle lui avoir tenu les propos du détail dont est question.
Perceval. — Je me rappelle avoir vu le citoyen Lecointre, je crois même lui avoir fait l’histoire du balcon ; je sais qu’il était le 5 octobre et le lendemain à la tête de la garde nationale en l’absence de d’Estaing, qui était disparu.
Lecointre soutient sa déposition sincère et véritable.»
On peut imaginer que ce pauvre Perceval passera par la suite un mauvais moment.
En tout cas, une fois de plus, rien n’est à charge contre Marie-Antoinette qui ne peut aucunement être considérée comme responsable des débordements des gardes du château, que ce soit pour les journées d’octobre comme au matin du 10 août.

Les juges en ayant conscience, on n’hésite pas à passer ensuite au témoin le plus bête de ce procès qui tentera très maladroitement à prouver la culpabilité de la Reine à propos des journées d’octobre comme à cette idée très répandue d’avoir fait verser des millions à son frère l’Empereur.
« Dixième témoin, Reine Millot, âgée de quarante-quatre ans, au service du citoyen Fourcroy, rue des Bourdonnais, à Paris, laquelle a déclaré connaitre l’accusée, que c’est d’elle qu’elle entend parler, qu’elle n’est sa parente, alliée, servante ou domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi elle a fait sa déclaration.»

« Reine Millot, fille domestique, dépose qu’en 1788, se trouvant de service au grand commun à Versailles, elle avait pris sur elle de demander au ci-devant comte de Coigny, qu’elle voyait un jour de bonne humeur : « Est-ce que l’Empereur continuera toujours à faire la guerre aux Turcs? mais, mon Dieu, cela ruinera la France par le grand nombre de fonds que la Reine fait passer pour cet effet à son frère, et qui en ce moment doivent au moins
se monter à vingt millions. — Tu ne te trompes pas, répondit-il; oui, il en coûte déjà plus de deux cents millions, et nous ne sommes pas au bout. »

dans la pièce Je m’appelais Marie-Antoinette (1993) de Robert Hossein
« Il est à ma connaissance, ajoute le témoin, qu’après le 23 juin 1789, me trouvant dans un endroit où étaient des gardes d’Artois et des officiers de hussards, j’entendis les premiers dire à l’occasion d’un massacre projeté contre les gardes françaises : « Que chacun soit à son poste et fasse son devoir» mais que les gardes françaises ayant été instruits à temps de ce qui se tramait contre eux, crièrent aux armes; alors le projet se trouvant découvert, il ne put avoir lieu.
J’observe aussi, continue le témoin, avoir été instruite par différentes personnes que l’accusée ayant conçu le dessein d’assassiner le duc d’Orléans, le Roi, qui en fut instruit, ordonna qu’elle fût incontinent fouillée ; que, par suite de cette opération, on trouva sur elle deux pistolets ; alors il la fit consigner dans son appartement pendant quinze jours.»

Marie-Antoinette, devant tant de stupidités, se sent dans l’obligation de répondre.
« L’accusée. — Il se peut que j’aie reçu de mon époux l’ordre de rester quinze jours dans mon appartement, mais ce n’est pas pour une cause pareille.»
Malheureusement nous ne saurons jamais pour quelles raisons Louis XVI a fait enfermer sa femme pendant quinze jours. Evidemment pas pour l’avoir retrouvée avec deux pistolets sur elle !
« Le témoin. — Il est à ma connaissance que dès les premiers jours d’octobre 1789, des femmes de la cour ont distribué à différents particuliers de Versailles des cocardes blanches.
L’accusée. — Je me rappelle avoir entendu dire que le lendemain ou surlendemain du repas des gardes du corps, des femmes ont distribué des cocardes ; mais ni moi ni mon époux n’avons été les moteurs de pareils désordres.
Le président. — Quelles sont les démarches que vous avez faites pour les faire punir lorsque vous en avez été instruite ?
— Aucune.»
On renvoie bien vite Reine Millot qui finalement n’apporte rien si ce n’est le ridicule sur le tribunal.
Le prochain témoin n’est guère plus crédible.
« Onzième témoin, Jean Baptiste Labenette, âgé de quarante-deux ans, chef de bureau des côtes, 3e division, à la maison de la Guerre demeurant à Paris, rue des Poulies, lequel a déclaré qu’il connait l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus
que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.»
« Jean-Baptiste Labenette dépose qu’il est parfaitement d’accord avec un grand nombre de faits contenus dans l’acte d’accusation ; il ajoute que trois particuliers sont venus pour l’assassiner au nom de l’accusée.
Le président, à l’accusée. — Lisiez-vous l’Orateur du peuple ?
— Jamais.»
Voilà maintenant Marie-Antoinette qui non contente de vouloir supprimer le premier prince du sang s’attaquer désormais à un médiocre journaliste dont elle n’a sûrement jamais entendu parler.

On peut imaginer l’embarras d’Herman face à un tel défilé de guignols et passe donc rapidement au prochain témoin, espérant certainement un peu plus de sérieux.
« Douzième témoin, Honoré Nicolas Tarre, âgé de quarante-sept ans, coupeur de poils, demeurant à Paris, rue Beaubourg, lequel a déclaré qu’il connait l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.»
Celui-ci ne doit sûrement avoir rien dit de bien intéressant puisque ses propos n’ont pas été retenus dans le procès-verbal.
Les choses deviennent plus sérieuses car défilent maintenant ceux qui ont partagé sa vie à la Conciergerie et se sont retrouvés mêlés à l’affaire de l’œillet, seul dossier à charges tangible contre Marie-Antoinette.
Et encore…
« Treizième témoin, François Dufresne, maréchal des logis, demeurant à Paris, rue de l’Egout, lequel a déclaré qu’il connait l’accusé, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.»
« François Dufresne, gendarme, dépose s’être trouvé dans la chambre de l’accusée au moment où l’œillet lui fut remis ; il a connaissance que sur ce billet il y avait écrit : « Que faites-vous ici ? nous avons des bras et de l’argent à votre service. »
« Quatorzième témoin, Marie Anne Barassin femme du citoyen Richard, concierge de la prison de la Conciergerie, y demeurant, âgée de quarante-six ans, laquelle a déclaré connaitre l’accusée, que c’est d’elle qu’elle entend parler, qu’elle n’est sa parente, alliée, servante ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi elle a fait sa déclaration.»
« Magdeleine Rosay, femme Richard, ci-devant concierge de la maison d’arrêt, dite la Conciergerie du Palais, dépose que le gendarme Gilbert lui ayant dit que l’accusée avait reçu la visite d’un particulier amené par Michonis, administrateur de police, lequel lui avait remis un œillet
dans lequel était un billet ; qu’ayant pensé qu’il pouvait compromettre, elle déposante, elle en fit part à Michonis, qui lui répondit que jamais il n’amènerait personne auprès de la veuve Capet.»

On peut s’étonner du changement de nom de madame Richard entre les deux procès-verbaux. Aucun historien à notre connaissance ne s’en est préoccupé, pas même Emile Campardon, l’archiviste qui publie dans un même ouvrage ces deux procès-verbaux !
En tout cas, que ce soit la concierge ou le gendarme, aucun des deux n’apportent rien de nouveau à l’affaire alors qu’ils se retrouvent depuis le 3 septembre dernier dans une situation particulièrement délicate.
« Quinzième témoin, Toussaint Richard, concierge de la Conciergerie, y demeurant, âgé de quarante-huit ans, lequel a déclaré qu’il connaît l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.»
Toussaint Richard déclare connaître l’accusée pour avoir été mise sous sa garde depuis le 2 août dernier.
On peut difficilement faire plus succinct.
Seizième témoin, Marie Devaux femme Harel, âgée de trente-deux ans, son mari garçon de bureau, demeurant à la Mairie, laquelle a déclaré connaitre l’accusée, que c’est d’elle qu’elle entend parler, qu’elle n’est sa parente, alliée, servante ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi elle a fait sa déclaration.»
« Marie Devaux, femme Arel, dépose avoir resté près de l’accusée à la Conciergerie pendant quarante et un jours, n’a rien vu ni entendu, sinon qu’un particulier était venu avec Michonis, et lui avait remis un billet plié dans un œillet; qu’elle, déposante, était à travailler et qu’elle a vu revenir ledit particulier une seconde fois dans la journée.
L’accusée. — il est venu deux fois dans l’espace d’un quart d’heure.
Le président, au témoin. — Qui vous a placée près de la veuve Capet ?
— C’est Michonis et Jobert.»
Deux choses peuvent nous interpeller.
Ici c’est Marie-Antoinette elle-même qui donne des détails sur l’affaire de l’œillet. Un moyen de souligner ironiquement le défaut de surveillance dont elle a été l’objet ? Marie Harel, elle ,n’apporte rien de nouveau. Mais plus encore, la domestique considérée comme la mouche de Fouquier-Tinville, placée auprès de la Reine déchue uniquement pour pouvoir dénoncer ses paroles et gestes, et qui finalement ne dit rien, ni durant ce procès ni durant son interrogatoire du 3 septembre, s’annonce publiquement comme la créature des deux administrateurs de police qui ont montré à plusieurs reprises leur fidélité envers Marie-Antoinette.

Il est donc définitivement impossible de se fier aux propos de Rosalie Lamorlière, ou plutôt de ceux de Lafont d’Aussonne, sur sa personne, présentée comme une horrible mégère. Marie-Antoinette ne lui a peut-être jamais fait confiance mais celle-ci a largement prouvé qu’elle aurait pu la mériter.
Dix-septième témoin, Jean Guillaume Gilbert âgé de trente ans, gendarme près les Tribunaux, demeurant à Paris, rue des Prestres Saint Paul, lequel a déclaré qu’il connait l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.»
« Jean Gilbert, gendarme, dépose du fait de l’œillet ; il ajoute que l’accusée se plaignait à eux, gendarmes, de la nourriture qu’on lui donnait ; mais qu’elle ne voulait pas s’en plaindre aux administrateurs; qu’à cet égard il appela Michonis, qui se trouvait dans la cour des femmes avec le particulier porteur de l’œillet; que Michonis étant remonté, il a entendu l’accusée lui dire : « Je ne vous reverrai donc plus? — Oh ! pardonnez-moi, répondit-il, je serai toujours au moins municipal, et, en cette qualité, j’aurai droit de vous revoir. » Le déposant observe que l’accusée lui a dit avoir des obligations à ce particulier (porteur de l’œillet).»
Une fois de plus, ce dernier témoin n’apporte rien de nouveau si ce n’est de compromettre davantage Michonis.
A onze heures de relevée le Tribunal, sur le réquisitoire de l’accusateur public, a suspendu la séance jusqu’à demain neuf heures du matin, et a fait retirer l’accusée.»

Marie-Antoinette, de retour dans sa cellule peut encore se concerter avec ses avocats.

Chauveau-Lagarde racontera :
« Cependant la Reine me demanda ce que je pensais des dépositions qu’on venait d’entendre , en me les résumant avec une parfaite exactitude , et en se plaignant avec amertume des impostures dont la plupart de ces dépositions étaient remplies. Je lui ré pondis , comme cela était vrai , que non seulementil n’y avait aucune preuve ( ce qui était impossible) de toutes les ridicules calomnies de ces témoins, mais qu’il n’y en avait pas le plus léger indice ; et qu’elles se détruisaient au contraire par leur grossièreté même, ainsi que par la bassesse et l’abjection de leurs auteurs.»
CHAUVEAU-LAGARDE,
Note historique sur les procès de Marie-Antoinette d’Autriche et de Madame Elisabeth de France au tribunal révolutionnaire,
Paris, 1816

Le 15 octobre 1793, à neuf heures du matin
« Et le vingt-quatre dudit mois audit an, neuf heures du matin, l’audience composée comme hier l’accusée introduite libre et sans fers avec ses conseils, les débats ont continué.»
Marie-Antoinette ce jour-là est vêtue de sa robe noire.
Dix-huitième témoin. Est comparu Charles Henry Destain (1729-1794), âgé de soixante ans, soldat et matelot, amiral et lieutenant général, lequel a déclaré connaître l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique de l’accusée, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.»

« Charles-Henri d’Estaing, ancien matelot et soldat au service de France, déclare qu’il connaît l’accusée depuis qu’elle est en France, qu’il a même à se plaindre d’elle ; mais qu’il n’en dira pas moins la vérité, qui est qu’il n’a rien à dire de relatif à l’acte d’accusation.
Sur la demande du président pourquoi il ne prenait que ces qualifications militaires, et s’il n’en avait pas d’autres ?
—A répondu que c’étaient les premières de toutes ; qu’il avait d’ailleurs le titre d’amiral, qu’il était aussi lieutenant général de terre, d’après un décret de l’Assemblée législative, qui voulait qu’il fût susceptible de servir sa
patrie sous ces deux différents rapports. Estaing a spécifié le sujet qu’il avait de se plaindre de l’accusée : il a dit qu’il avait cru et qu’il croyait qu’elle l’avait empêché de recevoir la récompense de ses services, du sang qu’il avait répandu en Amérique, sur la terre de la liberté, et d’être fait maréchal de France.Le président, au témoin. — Est-il à votre connaissance que Louis Capet et sa famille devaient quitter Versailles le 5 octobre ?
—Non.
— Avez-vous connaissance que les chevaux aient été mis et ôté plusieurs fois ?
— Oui, suivant les conseils que recevait la cour ; mais j’observe que la garde nationale n’aurait pas souffert ce départ.
— N’avez-vous pas vous-même fait sortir les chevaux ce jour-là pour faire fuir la famille royale ?
— Non.
— Avez-vous connaissance que des voitures ont été arrêtées à la porte de l’Orangerie ?
—Oui.
— Avez-vous été au château ce jour-là ?
—Oui.
— Y avez-vous vu l’accusée ?
— Oui.
— Qu’avez-vous entendu au château ?
— J’ai entendu des conseillers de cour dire à l’accusée que le peuple de Paris allait arriver pour la massacrer, et qu’il fallait qu’elle partît ; à quoi elle avait répondu avec un grand caractère : « Si les Parisiens viennent ici pour m’assassiner, c’est aux pieds de mon mari que je le serai; mais je ne fuirai pas!»
L’accusée. — Cela est exact ; on voulait m’engager à partir seule, parce que, disait-on, il n’y avait que moi qui courait des dangers ; je fis la réponse dont parle le témoin.Le témoin loin d’être à charge lui aussi permet à Marie-Antoinette de se montrer sous son jour le plus courageux : jusqu’au bout, elle n’a jamais voulu se séparer de son mari, au risque d’en mourrir.
Le président, au témoin. — Avez-vous connaissance des repas donnés par les ci-devant gardes du corps ?
— Oui.
— Avez-vous su que l’on y a crié : « Vive le roi ! et Vive la famille royale ! »
— Oui, je sais même que l’accusée a fait le tour de la table en tenant son fils par la main.
— N’avez-vous point aussi donné un repas à la garde nationale de Versailles à son retour de Villeparisis, où elle avait été cherché des fusils ?
— Oui.
— Étiez-vous, le 5 octobre, en votre qualité de commandant général, à la tête de la garde nationale ?
— Est-ce sur le matin ou sur l’après-midi que vous voulez que je réponde ?
— Depuis midi jusqu’à deux heures.
— J’étais alors à la municipalité.
— N’était-ce pas pour obtenir l’ordre d’accompagner Louis Capet dans sa retraite, et le ramener ensuite, disiez-vous, à Versailles ?
— Lorsque j’ai vu le roi décidé à souscrire aux vœux de la garde nationale parisienne et que l’accusée s’était présentée sur le balcon de l’appartement du roi avec son fils, pour annoncer au peuple qu’elle allait partir avec
le roi et sa famille pour venir à Paris, j’ai demandé à la municipalité la permission de l’y accompagner.L’accusée convient avoir paru sur le balcon pour y annoncer au peuple qu’elle allait partir pour Paris.
— Vous avez soutenu n’avoir point mené votre fils par la main dans le repas des gardes du corps ?
— Je n’ai pas dit cela, mais seulement que je ne croyais pas avoir entendu l’air Ô Richard, ô mon roi !Le président, au citoyen Lecointre. — Citoyen, n’avez- vous pas dit dans la déposition que vous avez faite hier que le déposant ne s’était point trouvé le 5 octobre à la tête de la garde nationale, où son devoir l’appelait ?
Lecointre. — J’affirme que non-seulement Estaing ne s’est point trouvé depuis midi jusqu’à deux heures à l’assemblée de la garde nationale qui eut lieu ce jour-là 5 octobre, mais qu’il n’a point paru de la journée; que pendant ce temps il était à la vérité à la municipalité, c’est-à-dire avec la portion des officiers municipaux vendus à la cour ; que là il obtint d’eux un ordre ou pouvoir d’accompagner le Roi dans sa retraite, sous la promesse de le ramener à Versailles le plus tôt possible.
J’observe, continue Lecointre, que les municipaux d’alors trahirent doublement leur devoir, 1° parce qu’ils ne devaient pas se prêter à une manœuvre criminelle en favorisant la fuite du ci-devant roi ; 2°c’est que pour prévenir le résultat des événements ils eurent grand soin de ne laisser subsister aucun indice sur les registres qui pussent attester formellement que cette permission ou pouvoir eût été délivrée à d’Estaing.
Le témoin. — J’observe au citoyen Lecointre qu’il se trompe ou que du moins il est dans l’erreur, attendu que la permission dont est question est datée du 6, et que ce n’est qu’en vertu d’elle que j’ai parti le même jour à onze heures du matin pour accompagner le ci- devant roi à Paris.
Lecointre. — Je persiste à soutenir que je ne suis pas dans l’erreur à cet égard ; je me rappelle très bien que la pièce originale que j’ai déposée hier entre les mains du greffier contient en substance que d’Estaing est autorisé à employer les voies de conciliation avec les Parisiens, et qu’en cas de non-réussite à cet égard, de repousser la force par la force. Les citoyens jurés comprendront aisément que cette dernière disposition ne peut être
applicable à la journée du 6, puisqu’alors la cour était à la disposition de l’armée parisienne. J’invite à cet égard l’accusateur public et le tribunal à vouloir bien ordonner que la lettre de d’Estaing que j’ai déposée hier soit
lue, attendu qu’elle porte avec elle la preuve des faits dont je viens de parler.Lecture est faite de ladite pièce, dans laquelle se trouve ce qui suit :
« Le dernier article de l’instruction que notre municipalité m’a donnée le 5 de ce mois, à quatre heures de l’après-midi, me prescrit de ne rien négliger pour ramener le roi à Versailles le plus tôt possible. »Le président. — Persistez-vous à dire que cette permission ne vous a pas été délivrée le 5 octobre ?
Le témoin. — Je me suis trompé dans la date ; j’avais pensé qu’elle était du 6.
— Vous rappelez-vous que la permission que vous aviez obtenue vous autorisait à repousser la force par la force, après avoir épuisé les moyens de conciliation ?
— Oui, je m’en rappelle.»
On se doute que ce témoin finira mal lui aussi.
« Le brave d’Estaing, dont elle avait été l’ennemie, ne dit rien pour l’inculper, et ne parla que du courage dont elle avait fait preuve les 5 et 6 octobre, et de la noble résolution qu’elle avait exprimée de mourir. aux côtés de son mari plutôt que de fuir.»
Mémoires de Madame Campan
On entend un autre témoin.
Le prochain ne peut que lui aussi vivement retenir l’attention de Marie-Antoinette de par son statut de «gouverneur» de son fils.
« Dix-neuvième témoin, Antoine Simon, âgé de cinquante-huit ans, demeurant rue des Cordeliers, à Paris et actuellement au Temple, cordonnier et gouverneur du fils Capet, lequel a déclaré connaître l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.»

« Antoine Simon, ci-devant cordonnier, employé en ce moment en qualité d’instituteur auprès de Charles-Louis Capet, fils de l’accusée, déclare connaître Antoinette depuis le 30 août dernier (1792), qu’il monta pour la première fois la garde au Temple. Le déposant observe que pendant le temps que Louis Capet et sa famille avaient la liberté de se promener dans le jardin du Temple, ils étaient instruits de tout ce qui se passait, tant à Paris que dans l’intérieur de la République.»
Le président, au témoin. — Avez-vous eu connaissance des intrigues qui ont eu lieu au Temple pendant que l’accusée y était ?
— Oui.
— Quels sont les administrateurs qui étaient dans l’intelligence ?
— Le petit Capet m’a déclaré que Toulan, Pétion, Lafayette, Lepitre, Bougnot, Michonis, Vincent, Manuel, Lebœuf, Jobert et Dangé étaient ceux pour qui sa mère avait le plus de prédilection ; que ce dernier l’avait pris dans ses bras et lui avait dit, en présence de sa mère : « Je voudrais bien que tu fusses à la place de ton père. »
Comme d’habitude, dès qu’il s’agit de ses enfants, Marie-Antoinette réagit au quart de tour.
L’accusée. — J’ai vu mon fils jouer aux petits palets dans les jardins avec Dangé ; mais je n’ai jamais vu celui-ci le prendre entre ses bras.
Le président, au témoin. — Avez-vous connaissance que pendant que les administrateurs étaient avec l’accusée et sa belle-sœur, on ait enfermé le petit Capet et sa sœur dans une tourelle ?
— Oui.
— Est-il à votre connaissance que le petit Capet ait été traité en roi, principalement lorsqu’il était à table ?
— Je sais que sa mère et sa tante lui donnaient le pas.»
Herman passe ensuite du coq à l’âne. Il craint sans doute un nouvel esclandre probable dès qu’on évoque le jeune Roi.
« Le président, à l’accusée. — Depuis votre détention, avez-vous écrit à la Polignac ?
—Non.
— N’avez-vous pas signé des bons pour toucher des fonds chez le trésorier de la liste civile ?
— Non.
L’accusateur public. — Je vous observe que votre dénégation deviendra inutile dans un moment, attendu qu’il a été trouvé dans les papiers de Septeuil deux bons signés de vous ; à la vérité, ces deux pièces, qui ont étédéposées dans le Comité des Vingt-Quatre, se trouvent en ce moment égarées, cette commission ayant été dissoute ; mais vous allez entendre les témoins qui les ont vues.»
Quel procès digne de ce nom dans un pays qui se déclare libre accepterait la validité de pièces supposées disparues ?
Un autre témoin est entendu.
«Vingtième témoin, François Barnabé Tisset, âgé de trente-six ans, marchand et employé au Comité de surveillance du département de Paris, demeurant à Paris, rue de la Barillerie, lequel a déclaré connaitre l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.»
« François Tisset, marchand, rue de la Barillerie, employé sans salaire, à l’époque du 10 août 1792, au comité de surveillance de la municipalité, dépose qu’ayant été chargé d’une mission à remplir chez Septeuil, trésorier de la ci-devant liste civile, il s’était fait accompagner par la force armée de la section de la place Vendôme, aujourd’hui des Piques ; qu’il ne put se saisir de sa personne attendu qu’il était absent ; mais qu’il trouva dans la maison Boucher, trésorier de la liste civile, ainsi que Morillon et sa femme, lesquels il conduisit à la mairie ; que parmi les papiers de Septeuil on trouva deux bons formant la somme de 80,000 livres, signés Marie-Antoinette, ainsi qu’une caution de deux millions signée Louis, payables, à raison de 110,000 livres par mois, sur la maison Laporte, à Hambourg ; qu’il fut trouvé également un grand nombre de notes de plusieurs payements faits à Favras et autres ; un reçu signé Bouillé, pour une somme de 900,000 livres ; un autre de 200,000 livres, etc. ; lesquelles pièces ont été déposées à la Commission des Vingt-Quatre, qui est en ce moment dissoute.»
Marie-Antoinette ne se laisse pas démonter.
« L’accusée — Je désirerais que le témoin déclarât de quelle date étaient les bons dont il parle.
Le témoin — L’un était daté du 10 août 1792 ; quant à l’autre, je ne m’en rappelle pas.
L’accusée — Je n’ai jamais fait aucun bon ; et surtout, comment en aurais-je pu faire le 10 août, que nous nous sommes rendus, vers les huit heures du matin, à l’Assemblée nationale ?»
On se le demande en effet ! Le témoin aurait pu avoir la présence d’esprit de trouver une date plus plausible qui remet fortement en cause son témoignage.
« Le président. — N’avez-vous pas, ce jour-là, étant à l’Assemblée législative, dans la loge du Moniteur, reçu de l’argent de ceux qui vous entouraient ?
— Ce ne fut pas dans la loge du Moniteur, mais bien pendant les trois jours que nous avons demeuré aux Feuillants, que, nous trouvant sans argent, attendu que nous n’en avions pas emporté, nous avons accepté celui qui nous a été offert.
— Combien avez-vous reçu ?
— Vingt-cinq louis d’or simples ; ce sont les mêmes qui ont été trouvés dans mes poches, lorsque j’ai été conduite du Temple à la Conciergerie ; regardant cette dette comme sacrée, je les avais conservés intacts afin de les redonner à la personne qui me les avait donnés.
— Comment nommez-vous cette personne ?
— C’est la femme Auguel.»
Qu’il faut lire (Adélaïde) Auguié, sa femme de chambre depuis décédée, qui était la sœur de madame Campan.

par Anne Vallayer- Coster (1781)
« Notons que Tisset, agent de police et espion est l’auteur d’un « Compte rendu aux sans-culottes de la République française par très haute, très puissante et très expéditive Dame Guillotine, dame du Carrousel, de la place de la Révolution, de la Grève et autres lieux, contenant le nom et surnom de ceux à qui elle a accordé des passeports pour l’autre monde, le lieu de leur naissance, leur âge et qualités, le jour de leur jugement depuis son établissement au mois de juillet 1792 jusqu’à ce jour, rédigé et présenté aux amis de ses prouesses par le citoyen Tisset n° 13 rue de la Barillerie coopérateur des succès de la République française. De l’imprimerie du Calculateur patriote, au corps sans tête. »
Bref encore un témoin dénué de toute crédibilité.
Un autre témoin est entendu.
« Vingt-et-unième témoin, Jean François LEPITRE, âgé de trente ans, instituteur notable de la municipalité provisoire, demeurant à Paris rue Saint Jacques, lequel a déclaré connaitre l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus que du l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.»
Jean-François Lepitre, instituteur, dépose avoir vu l’accusée au Temple, lorsqu’il y faisait son service en qualité de commissaire notable de la municipalité provisoire ; mais qu’il n’a jamais eu d’entretiens particuliers avec elle, ne lui ayant jamais parlé qu’en présence de ses collègues.
Le président. — Ne lui avez-vous pas quelquefois parlé politique ?
— Jamais.
— Ne lui avez-vous pas procuré les moyens de savoir des nouvelles, en envoyant tous les jours un colporteur crier le journal du soir près la tour du Temple ?
— Non.Le président, à l’accusée. — Avez-vous quelques observations à faire sur la déclaration du témoin ?
— Je n’ai jamais eu de conversation avec le témoin.D’un autre côté, je n’avais pas besoin que l’on engageât les colporteurs à venir près de la tour ; je les entendais assez tous les jours, lorsqu’ils passaient rue de la Corderie.»
Une fois de plus, Marie-Antoinette met les révolutionnaires face à leurs propres travers : elle n’est pas responsable de leur défaut de surveillance.
« A l’instant l’accusateur public a représenté un paquet scellé du cachet de la Commune de Paris et de celui de l’accusée, à qui il a fait reconnaître lesdits scellés, et après qu’elle les a eu reconnu, l’accusateur public a requis et le Tribunal a ordonné que ledit paquet serait à l’instant ouvert par le greffier, ce qui ayant été fait, les objets qu’il renfermait ont été représentés à l’accusée qui les a reconnus pour lui appartenir, comme ayant été trouvés dans sa poche le deux août mil sept cent quatre-vingt-treize, dont suit l’état, savoir :
Un petit livret couvert de moire verte contenant huit feuillets, dont quatre gommés, sur le premier desquels sont écrites au crayon les adresses suivantes :Bréguet quai de l’Horloge du Palais n° 65.
Madame Salantin chez madame Lapassade rue de Grenelle Saint Germain n° 14.
Mademoiselle Vion rue Saint Nicaise chez mademoiselle Augié n° 22.
Madame Chaumette rue de Bourgogne faubourg Saint Germain n° 44.
Brunier rue Sainte Avoye hôtel Caumartin., n, 90.
Plus un petit portefeuille de maroquin rouge.
Une servante de maroquin vert avec un nécessaire à charnière d’acier.
Une petite boîte en façon de chagrin contenant deux portraits de femme sous verre.
Une autre petite boîte pareille dans laquelle est un portrait de femme qu’elle a déclaré être la Lamballe.
Plus un rouleau de vingt-cinq louis simples en or.
Une petite boîte d’ivoire contenant miroir et quelques papiers sur lesquels il n’y avait rien d’écrit.
Ainsi que quelques petits paquets renfermant des cheveux, que l’accusé a déclarés être de son époux et de ses enfants.
Représentation faite d’un petit paquet à l’accusée, elle déclare le reconnaître pour être le même sur lequel elle a apposé son cachet lorsqu’elle a été transférée du Temple à la Conciergerie.Ouverture faite dudit paquet, le greffier en fait l’inventaire ainsi qu’il suit :
Un paquet de cheveux de diverses couleurs.L’accusée. — Ils viennent de mes enfants morts et vivants et de mon époux.
Un autre paquet de cheveux.
L’accusée. — Ils viennent des mêmes individus.
Un papier sur lequel sont des chiffres.
— C’est une table pour apprendre à compter à mon fils.
Divers papiers de peu d’importance, tels que mémoires de blanchisseuse, etc., etc.; un portefeuille en parchemin et en papier sur lequel se trouvent écrits les noms de diverses personnes, sur l’état desquelles le président interpelle l’accusée de s’expliquer ainsi qu’il suit :
— Quelle est la femme Salentin?
— C’est celle qui était depuis longtemps chargée de toutes mes affaires.
— Quelle est la demoiselle Vion ?
— C’est celle qui était chargée du soin des hardes de mes enfants.
— Et la dame Chaumette ?
— C’est celle qui a succédé à la demoiselle Vion.
— Quel est le nom de la femme qui prenait soin de vos dentelles ?
— Je ne sais pas son nom ; c’étaient les femmes Salentin et Chaumette qui l’employaient.
— Quel est le Bernier dont le nom se trouva écrit ici ?
— C’est le médecin qui avait soin de mes enfants.L’accusateur public requiert qu’il soit à l’instant délivré des mandats d’amener contre les femmes Salentin, Vion et Chaumette, et qu’à l’égard du médecin Bernier il soit simplement assigné.»

d’après le film L’Autrichienne
« Le tribunal fait droit sur le réquisitoire.
Le greffier continue l’inventaire des effets.
Une servante ou petit portefeuille garni de ciseaux, aiguilles, soie, fils, etc.
Un petit miroir.
Une bague en or sur laquelle sont des cheveux.
Un papier sur lequel sont deux cœurs en or avec des lettres initiales.
Un autre papier sur lequel est écrit : Prière au sacré cœur de Jésus, prière à l’Immaculée Conception.
Un portrait de femme.LE PRÉSIDENT. — De qui est ce portrait ?
— De madame de Lamballe.Deux autres portraits de femmes.
LE PRÉSIDENT. — Quelles sont les personnes que ces portraits représentent ?
— Ce sont deux dames avec qui j’ai été élevée à Vienne.
— Quels sont leurs noms ?
— Les dames de Mecklembourg et de Hesse.Un rouleau de vingt-cinq louis d’or simples.
L’ACCUSÉE. — Ce sont ceux qui m’ont été prêtés pendant que nous étions aux Feuillants.
Un petit morceau de toile sur lequel se trouve un cœur enflammé traversé d’une flèche.
L’accusateur public invite le citoyen Hébert à examiner ce cœur et à déclarer s’il le reconnaît pour être celui qu’il a déclaré avoir trouvé au Temple.
HÉBERT. — Ce cœur n’est point celui que j’ai trouvé, mais il lui ressemble à peu de chose près.
L’accusateur public observe que parmi les accusés qui ont été traduits devant le tribunal comme conspirateurs et dont la loi a fait justice en les frappant de son glaive, on a remarqué que la plupart, ou pour mieux dire la majeure partie d’entre eux, portait ce signe contre-révolutionnaire.
HÉBERT observe qu’il n’est point à sa connaissance que les femmes Vion, Salentin et Chaumette aient été employées au Temple pour le service des prisonniers.
L’ACCUSÉE. — Elles l’ont été dans les premiers temps.
L’ACCUSATEUR PUBLIC, à l’accusée. — N’avez-vous point fait, quelques jours après votre évasion du 20 juin, une commande d’habits de sœurs grises ?
— Je n’ai jamais fait de pareille commande.»

On se demande ce qui peut bien passer par le tête de Fouquier-Tinville pour sortir une telle ânerie, sans aucun rapport en plus avec ce qui vient d’être évoqué sur la vie du Temple.
On conçoit l’émotion ressentie par Marie-Antoinette devant tous ces souvenirs, les seuls objets à ses yeux les plus importants à amener lors de son transfert à la Conciergerie. Et devoir s’en justifier devant ces hommes frustres…

« Ensuite sur le réquisitoire de l’accusateur public le Tribunal ordonne que les citoyennes Salentin Vion et Chaumette seront amenées à l’audience, les citoyens Bréguet et Brunier seront assignés, tous pour faire leur déclaration.»
On plaint ces personnes qui ont eu pour malheur de figurer sur la liste des adresses jugées indispensables par Marie-Antoinette.
« Vingt-deuxième témoin. Ensuite est comparu Philippe Antoine Gabriel La Tour du Pin Gouvernet, âgé de soixante-dix ans, lieutenant général, demeurant à Paris, et actuellement prisonnier à la Tuilerie près Auteuil, lequel a déclaré connaitre l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il
n’est son parent, allié, serviteur ni domestique de l’accusateur public, non plus que de l’accusée, après quoi il a fait sa déclaration.»
« Philippe Antoine Gabriel La Tour du Pin Gouvernet, ancien militaire au service de la France, dépose connaître l’accusée depuis qu’elle est en France; mais il ne sait aucun des faits contenus en l’acte d’accusation.
Le président, au témoin. — N’avez-vous point assisté aux fêtes du château ?
— Jamais, pour ainsi dire, je n’ai fréquenté la cour.
— Ne vous êtes-vous point trouvé au repas des ci-devant gardes du corps ?
— Je ne pouvais point y assister, puisqu’à cette époque j’étais commandant en Bourgogne.
— Comment ! est-ce que vous n’étiez point alors ministre ?
— Je ne l’ai jamais été et n’aurais point voulu l’être si ceux qui étaient alors en place me l’eussent offert.Le président, au citoyen Lecointre.
— Connaissez-vous le déposant pour avoir été, en 1789, ministre de la guerre ?
— Je ne connais pas le témoin pour avoir été ministre ; celui qui l’était à cette époque est ici et va être entendu à l’instant.»
Ces messieurs du tribunal ont en réalité confondu deux cousins. Ce procès n’est pas seulement inique, il est grotesque.
On fait entrer le témoin.

« Vingt-troisième témoin, Jean Frédéric La Tour du Pin, âgé de soixante-six ans, militaire, ancien lieutenant général et ministre de la guerre, demeurant à la Thuilerie près Auteuil, lequel a déclaré connaitre l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.»

« Jean-Frédéric La Tour du Pin, militaire et ex-ministre de la guerre, dépose connaître l’accusée ; mais il déclare ne connaître aucun des faits portés en l’acte d’accusation.
Le président, au témoin. — Étiez-vous ministre le 1er octobre 1789 ?
— Oui.
— Vous avez sans doute à cette époque entendu parler du repas des ci-devant gardes du corps ?
— Oui.
— N’étiez-vous point ministre à l’époque où les troupes sont arrivées à Versailles dans le mois de juin 1789 ?
— Non , j’étais alors député à l’Assemblée.
— Il paraît que la cour vous avait des obligations, pour vous avoir fait ministre de la guerre ?
— Je ne crois pas qu’elle m’en eût aucune.— Où étiez-vous le 23 juin lorsque le ci-devant Roi est venu tenir le fameux lit de justice au milieu des représentants du peuple ?
— J’étais à ma place de député à l’Assemblée nationale.
— Connaissez-vous les rédacteurs de la déclaration dont le Roi fit lecture à l’Assemblée ?
— Non.
— N’avez-vous point entendu dire que ce fussent Linguet, d’Eprémesnil, Barentin, Lally-Tollendal, Desmeuniers, Bergasse ou Thouret ?
— Non.
— Avez-vous assisté au conseil du ci-devant Roi, le 5 octobre 1789 ?
— Oui.
— D’Estaing y était-il ?
— Je ne l’y ai pas vu.D’ESTAING prend la parole et dit : — Eh bien, j’avais ce jour-là la vue meilleure que vous, car je me rappelle très bien vous y avoir vu.»
On essaye de sauver sa peau comme on peut…
« Le président. — Avez-vous connaissance que ce jour, 5 octobre, la famille royale devait partir par Rambouillet pour se rendre ensuite à Metz ?
Latour Dupin. — Je sais que ce jour-là il a été agité dans le conseil du Roi si le Roi partirait oui ou non.
— Savez-vous les noms de ceux qui provoquaient ce départ ?
— Je ne les connais pas.
— Quel pouvait être le motif sur lequel ils fondaient ce départ ?
— Sur l’affluence de monde qui était venu de Paris à Versailles et sur ceux que l’on y attendait encore, que l’on disait en vouloir à la vie de l’accusée.
— Quel a été le résultat de la délibération ?
— Que l’on resterait.
— Où proposait-on d’aller ?
— A Rambouillet.
— Avez-vous vu l’accusée en ces moments-là au château ?
— Oui.
— N’est-elle pas venue au conseil ?
— Je ne l’ai point vue venir au conseil ; je l’ai seulement vue entrer dans le cabinet de Louis XVI.
— Vous dites que c’était à Rambouillet que la cour devait aller : ne serait-ce pas plutôt à Metz ?
— Non.
— En votre qualité de ministre, n’avez-vous point fait préparer des voitures et commandé des piquets de troupes sur la route pour protéger le départ de Louis Capet ?
— Non.
— Il est cependant constant que tout était préparé à Metz pour recevoir la famille Capet, des appartements y avaient été meublés en conséquence ?
— Je n’ai aucune connaissance de ce fait.
— Est-ce par l’ordre d’Antoinette que vous avez envoyé votre fils à Nancy pour diriger le massacre des braves soldats qui avaient encouru la haine de la cour en se montrant patriotes ?
— Je n’ai envoyé mon fils à Nancy que pour y faire exécuter les décrets de l’Assemblée nationale ; ce n’était donc pas par les ordres de la cour que j’agissais, mais bien parce que c’était alors le vœu du peuple ; les Jacobins même, lorsque M. Camus fut à leur société faire lecture du rapport de cette affaire, l’avaient vivement applaudi.Un juré. — Citoyen président, je vous invite à vouloir bien observer au témoin qu’il y a de sa part erreur ou mauvaise foi, attendu que Camus n’a jamais été membre des Jacobins, et que cette société était loin d’approuver les mesures de rigueur qu’une faction liberticide avait fait décréter contre les meilleurs citoyens de Nancy.
— Je l’ai entendu dire dans le temps.
— Est-ce par les ordres d’Antoinette que vous avez laissé l’armée dans l’état où elle s’est trouvée ?
— Certainement, je ne crois point être dans le cas de reproche à cet égard, attendu qu’à l’époque où j’ai quitté le ministère l’armée française était sur un pied respectable.
— Était-ce pour la mettre sur un pied respectable que vous avez licencié plus de trente mille patriotes qui s’y trouvaient en leur faisant distribuer des cartouches jaunes, à l’effet d’effrayer par cet exemple les défenseurs de
la patrie et les empêcher de se livrer aux élans du patriotisme et à l’amour de la liberté ?
— Ceci est étranger au ministre, pour ainsi dire ; le licenciement des soldats ne le regarde pas ; ce sont les chefs des différents corps qui se mêlent de cette partie-là.
— Mais vous, ministre, vous deviez vous faire rendre compte de pareilles opérations par les chefs de corps, afin de savoir qui avait tort ou raison.
— Je ne crois pas qu’aucun soldat puisse être dans le cas de se plaindre de moi.Le témoin La Benette demande à énoncer un fait : il déclare qu’il est un de ceux qui ont été honorés par La Tour du Pin d’une cartouche jaune signée de sa main, et cela parce qu’au régiment dans lequel il servait il démasquait l’aristocratie de messieurs les muscadins, qui y étaient en grand nombre sous la dénomination d’état-major. Il observe que lui, déposant, était bas-officier et que le témoin se rappellera peut-être de son nom, qui est Clair-Voyant, caporal au régiment de …
La Tour du Pin. — Monsieur, je n’ai jamais entendu parler de vous.
Le président. — L’accusée, à l’époque de votre ministère, ne vous a-t-elle pas engagé à lui remettre l’état exact de l’armée française ?
— Oui.
— Vous a-t-elle dit l’usage qu’elle en voulait faire ?
— Non.
— Où est votre fils ?
— Il est dans une terre près Bordeaux ou dans Bordeaux.»

dans Je m’appelais Marie-Antoinette (1993) de Robert Hossein
La menace de s’attaquer au fils du témoin qui sait de son côté qu’il n’a plus rien à espérer est à peine cachée…
« Le président, à l’accusée. — Lorsque vous avez demandé au témoin l’état des armées, n’était-ce pas pour le faire passer au roi de Bohême et de Hongrie ?
— Comme cela était public, il n’était pas besoin que je lui en fisse passer l’état ; les papiers publics auraient pu assez l’en instruire.
— Quel était donc le motif qui vous faisait demander cet état ?
— Comme le bruit courait que l’Assemblée voulait qu’il y eût des changements dans l’armée, je désirais savoir l’état des régiments qui seraient supprimés.»
Marie-Antoinette en tant que Reine s’est toujours préoccupée de l’armée. Outre aimant s’entourer de vaillants militaires aux beaux uniformes, de tous pays, elle recevait à Versailles une fois par semaine les colonels et a beaucoup usé de son influence pour les promotions de ceux qu’elle considérait devoir les mériter.
Qu’elle ait pu souhaiter connaître l’état de l’armée afin de le faire passer à son neveu n’aurait servi à rien, comme elle le souligne, si ce n’est à se compromettre. Elle était Reine et son rôle était bien de savoir comment fonctionnait une armée désorganisée depuis le début de la révolution, avec l’émigration de nombreux officiers qu’elle a connus.
Les cousins La Tour du Pin seront exécutés tous les deux le 28 avril 1794. On ne ridiculise pas impunément le tribunal révolutionnaire.
Herman reprend ensuite l’accusation sur ses soi-disant folles dépenses :
« — N’avez-vous pas abusé de l’influence que vous aviez sur votre époux pour en tirer des bons sur le trésor public ?
— Jamais.
— Où avez-vous donc pris l’argent avec lequel vous avez fait construire et meubler le Petit Trianon, dans lequel vous donniez des fêtes dont vous étiez toujours la déesse ?
— C’était un fonds que l’on avait destiné à cet effet.»
Surtout que ce n’est pas Marie-Antoinette qui a fait construire le Petit Trianon mais Louis XV.
« — Il fallait que ce fonds fût conséquent, car le Petit Trianon doit avoir coûté des sommes énormes ?
— Il est possible que le Petit Trianon ait coûté des sommes immenses, peut-être plus que je ne l’aurais désiré ; on avait été entraîné dans les dépenses peu à peu ; du reste, je désire plus que personne que l’on soit instruit de ce qui s’y est passé.»

— N’est-ce pas au Petit Trianon que vous avez connu pour la première fois la femme Lamotte ?
— Je ne l’ai jamais vue.
— N’a-t-elle pas été votre victime dans l’affaire du fameux collier ?
— Elle n’a pu l’être, puisque je ne la connaissais pas.
— Vous persistez donc à nier que vous l’ayez connue ?
— Mon plan n’est pas la dénégation ; c’est la vérité que j’ai dite et que je persisterai à dire.»

«— N’était-ce pas vous qui faisiez nommer les ministres et autres places civiles et militaires ?
— Non.
— N’avez-vous pas forcé différents ministres à accepter, pour les places vacantes, les personnes que vous leur désigniez ?
— Non.
— N’avez-vous pas forcé les ministres des finances de vous délivrer des fonds, et, sur ce que quelques-uns d’entre eux s’y sont refusés, ne les avez-vous point menacés de votre indignation ?
— Jamais.
— N’avez-vous point sollicité Vergennes à faire passer six millions au roi de Bohême et de Hongrie ?
— Non.»
Ce passage est un condensé des fantasmes sur la Reine que les Français imaginent comme vrais à l’aide de pamphlets, libelles et caricatures depuis le début du règne.
On entend un autre témoin.
« Vingt-quatrième témoin, Jean François Mathey, âgé de vingt-neuf ans, concierge de la tour du Temple, y demeurant, lequel a déclaré connaître l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, ami, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.
« Jean-François Mathey, concierge de la tour du Temple, dépose qu’à l’occasion d’une chanson dont le refrain est : « Ah! il t’en souviendra, du retour de Varennes ! » il avait dit à Louis-Charles Capet : «T’en souviens-tu, du retour de Varennes ? » Ah! oui, dit-il, je m’en souviens bien ; que lui
ayant demandé ensuite comment on s’y était pris pour l’emmener, il répondit qu’il avait été emporté de son lit où il dormait, et qu’on l’avait habillé en fille en lui disant : « Viens à Montmédy.»
« Le président, au témoin. — N’avez-vous point remarqué pendant votre séjour au Temple la familiarité qui régnait entre quelques membres de la Commune et les détenus ?
— Oui ; j’ai même un jour entendu Toulan dire à l’accusée, à l’occasion des nouvelles élections faites pour l’organisation de la municipalité définitive : « Madame, je ne suis point renommé parce que je suis Gascon. » Il a remarqué que Lepitre et Toulan venaient souvent ensemble ; qu’ils montaient tout de suite en disant : « Montons toujours, nous attendrons nos collègues là-haut. »
Il a vu un autre jour Jobert remettre à l’accusée des médaillons en cire ; la fille Capet en laissa tomber un qui se cassa. Le déposant entre ensuite dans les détails de l’histoire du chapeau trouvé dans la cassette d’Élisabeth, etc.
« L’accusée. — J’observe que les médaillons dont parle le témoin étaient au nombre de trois, que celui qui tomba et fut cassé, était le portrait de Voltaire, que les deux autres représentaient l’un Médée, et l’autre des fleurs.»
Marie-Antoinette souligne ainsi à quel point il est absurde de se focaliser sur des médaillons qui ne prouvent rien du tout.
« Le président, à l’accusée. — N’avez-vous point donné une boîte d’or à Toulan ?
— Non, ni à Toulan ni à d’autres.»
Le témoin Hébert observe qu’un officier de paix est venu apporter au parquet de la Commune une dénonciation signée de deux commis du bureau des impositions dont Toulan était le chef, qui annonçait ce fait de la manière la plus claire, en prouvant qu’il s’en était vanté lui-même dans le bureau ; cela fut renvoyé à l’administration de la police, nonobstant les réclamations de Chaumette, et de lui déposant, qui n’en a plus entendu parler depuis.
On espère pour l’intelligence de Toulan qu’il n’a pas osé se vanter d’un cadeau précieux fait par les prisonnières, ce qui ne pouvait que les compromettre et surtout lui-même !
Il y a donc fort à parier que cette histoire n’a elle aussi rien de tangible. D’autant que Marie-Antoinette et madame Elisabeth pouvaient difficilement à cette époque se fournir en objets luxueux.
On entend un autre témoin.
« Vingt-cinquième témoin. Jean Baptiste Gainerin, âgé de vingt-six ans demeurant à Paris quai Pelletier, ancien secrétaire de la Commission des Vingt-Quatre lequel a déclaré connaitre l’accusée que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.»
« Jean Baptiste Gainerin, ci-devant secrétaire de la Commission des Vingt-Quatre, dépose qu’avant été chargé de faire l’énumération et le dépouillement des papiers trouvés chez Septeuil, il a vu parmi lesdits papiers un bon d’environ 80,000 liv., signé Antoinette, au profit de la ci-devant Polignac, avec un billet relatif au nommé Lazaille ; une autre pièce qui attestait que l’accusée avait vendu ses diamants pour faire passer des fonds aux émigrés français. Le déposant observe qu’il a remis dans le temps toutes lesdites pièces entre les mains de Valazé, membre de la commission, chargé alors de dresser l’acte d’accusation contre Louis Capet, mais que ce ne fut pas sans étonnement que lui déposant apprit que Valazé, dans le rapport qu’il avait fait à la Convention nationale, n’avait pas parlé des pièces signées Antoinette.»
On peut largement douter que Marie-Antoinette ait pu signer un jour Antoinette sur un bon du trésor !
« Le président, à l’accusée. — Avez-vous quelques observations à faire sur la déposition du témoin ?
— Je persiste à dire que je n’ai jamais fait de bons.
— Connaissez-vous le nommé Lazaille ?
— Oui.
— Comment le connaissez-vous ?
— Je le connais pour un officier de marine, et pour l’avoir vu à Versailles se présenter à la cour comme les autres.
Le témoin. — J’observe que les pièces dont j’ai parlé ont été, après la dissolution de la commission des Vingt-Quatre, transportées au comité de sûreté générale, où elles doivent être en ce moment, attendu qu’ayant ces jours derniers rencontré deux de mes collègues, ci-devant employés comme moi à la commission des Vingt-Quatre, nous parlâmes du procès qui allait s’instruire à ce tribunal contre Marie-Antoinette; je leur demandai s’ils savaient ce que pouvaient être devenues les pièces dont est
question ; ils me répondirent qu’elles avaient été déposées au comité de sûreté générale, où ils sont en ce moment l’un et l’autre employés.Le témoin Tisset invite le président à vouloir bien interpeller le citoyen Garnerin de déclarer s’il ne se rappelle pas avoir également trouvé chez Septeuil des titres d’acquisition en sucre, café, blé, etc., montant à la somme
de deux millions, dont quinze cents livres avaient déjà été payés, et s’il ne sait pas aussi que ces titres, quelques jours après, ne se sont plus retrouvés.Le président, au témoin. — Citoyen, vous venez d’entendre l’interpellation, voudriez-vous bien y répondre ?
Garnerin. — Je n’ai aucune connaissance de ce fait. Je sais néanmoins qu’il y avait dans toute la France des préposés chargés de titres pour faire des accaparements immenses, à l’effet de procurer un surhaussement considérable dans le prix des denrées, pour dégoûter par ce moyen le peuple de la révolution et de la liberté, et par suite le forcer à redemander lui-même des fers.»
Ou comment se dédouaner de la disparition des pièces en question.
Le président, à l’accusée. — Avez-vous connaissance des accaparements immenses des denrées de première nécessité qui se faisaient par ordre de la cour pour affamer le peuple et le contraindre à redemander l’ancien ordre de choses si favorable aux tyrans et à leurs infâmes agents, qui l’ont tenu sous le joug pendant quatorze cents ans ?
— Je n’ai aucune connaissance qu’il ait été fait des accaparements.»
Une telle question ne pouvant exiger une réelle réponse.
On entend un autre témoin.
« Vingt-sixième témoin. Charles Éléonor Dufriche-Valazé, propriétaire à Alençon où il demeure ordinairement, et à Paris rue d’Orléans Saint-Honoré, député à la Convention nationale lequel a déclaré connaitre l’accusée que c’est d’elle qu’il entend parler qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.»

« Charles Éléonor Dufriche-Valazé, propriétaire, ci-devant député à la Convention nationale, dépose que parmi les papiers trouvés chez Septeuil, et qui ont servi ainsi que d’autres à dresser l’acte d’accusation contre feu Louis Capet, et à la rédaction duquel il a coopéré comme
membre de la commission des Vingt-Un, il en a remarqué deux qui avaient rapport à l’accusée. Le premier était un bon ou plutôt une quittance signée d’elle pour une somme de 15 ou 20,000 livres, autant qu’il peut
s’en rappeler; l’autre pièce est une lettre dans laquelle le ministre prie le Roi de vouloir bien communiquer à Marie-Antoinette le plan de campagne qu’il avait eu l’honneur de lui présenter.»
On remarquera qu’à chaque fois les descriptions de ces pièces se contredisent.
« Le président, à Valazé. — Pourquoi n’avez-vous point parlé desdites pièces dans le rapport que vous avez fait à la Convention ?
— Je n’en ai point parlé parce que je n’ai pas cru qu’il fût utile de citer dans le procès de Capet une quittance d’Antoinette.
— N’avez-vous point été membre de la commission des Vingt-Quatre ?
— Oui.
— Savez-vous ce que ces deux pièces peuvent être devenues ?
— Les pièces qui ont servi à dresser l’acte d’accusation de Louis Capet ont été réclamées par la Commune de Paris, attendu qu’il composait des charges contre plusieurs individus soupçonnés d’avoir voulu compromettre plusieurs membres de la Convention pour en obtenir des décrets favorables à Louis Capet. Je crois qu’aujourd’hui toutes ces pièces doivent être rétablies au comité de sûreté générale de la Convention.Le président, À l’accusée. — Qu’avez-vous à répondre à la déposition du témoin ?
— Je ne connais ni le bon, ni la lettre dont il parle.
L’accusateur public. — Il paraît prouvé, nonobstant les dénégations que vous faites, que par votre influence vous faisiez faire au ci-devant Roi, votre époux, tout ce que vous désiriez ?
— Il y a loin de conseiller de faire une chose à la faire exécuter.
— Vous voyez qu’il résulte de la déclaration du témoin que les ministres connaissaient si bien l’influence que vous aviez sur Louis Capet, que l’un d’eux l’invite à vous faire part du plan de campagne qu’il lui avait présenté
deux jours avant, d’où il s’ensuit que vous avez disposé de son caractère faible pour lui faire exécuter de bien mauvaises choses. Car en supposant que de vos avis il n’ait suivi que les meilleurs, vous avouerez qu’il n’était pas possible d’user de plus mauvais moyens pour conduire la France au bord de l’abîme qui a manqué de l’engloutir ?
— Jamais je ne lui ai connu le caractère dont vous parlez.Sur le réquisitoire de l’accusateur public, l’audience a été suspendue jusqu’à cinq heures de relevée, il était alors trois heures de relevée.»
Une pause bien méritée après un dernier hommage de Marie-Antoinette à son époux.

Le 15 octobre, à cinq heures du soir
Et le même jour, cinq heures de relevée, l’audience composée comme le matin, l’accusée réintroduite libre et sans fers, ses deux conseils sont entrés.
« Vingt-septième témoin. Est comparue Renée Sabin, femme Chaumet, demeurant à Paris, rue des Provaires (sic) a déclaré qu’elle connaît l’accusée, que c’est d’elle qu’elle entend parler, qu’elle n’est sa parente, alliée, servante ni domestique non plus que de l’accusateur public, après quoi elle a fait sa déclaration.»
« Renée Sabin, femme Chaumet, dépose connaître l’accusée depuis six ans, lui ayant été attachée en qualité de sous-femme de chambre, mais qu’elle ne connaît aucun des faits portés en l’acte d’accusation, si ce n’est que le 10 août elle a vu le Roi faire la revue des gardes suisses : voilà tout ce qu’elle dit savoir.
Le président, au témoin. — Étiez-vous au château à l’époque du départ pour Varennes ?
— Oui, mais je n’en ai rien su.
— Dans quelle partie du château couchiez-vous?
— A l’extrémité du pavillon de Flore.
— Avez-vous, dans la nuit du 9 au 10, entendu sonner le tocsin et battre la générale ?
— Non, je couchais sous les toits.
— Comment! vous couchiez sous les toits et vous n’avez pas entendu le tocsin?
— Non, j’étais malade.
— Et par quel hasard vous êtes-vous trouvée présente à la revue royale ?
— J’étais sur pieds depuis six heures du matin.
— Comment, vous étiez malade et vous vous leviez à six heures ?
— C’est que j’avais entendu du bruit.
— Au moment de la revue, avez-vous entendu crier vive le Roi, vive la Reine ?
— J’ai entendu crier vive le Roi d’un côté, et de l’autre vive la Nation !
— Aviez-vous vu la veille les rassemblements extraordinaires des gardes suisses et des scélérats qui en avaient pris l’habit ?
— Je ne suis pas ce jour-là descendue dans la cour.
— Et pour prendre vos repas ? il fallait bien que vous descendiez ?
— Je ne sortais pas, un domestique m’apportait à manger.
— Mais au moins ce domestique a dû vous faire part de ce qui se passait ?
— Je ne tenais jamais de conversation avec lui.
— Il paraît que vous avez passé votre vie à la cour et que vous y avez appris l’art de dissimuler. Comment nommez-vous la femme qui avait soin des dentelles de l’accusée ?
— Je ne la connais pas ; j’ai seulement entendu parler d’une dame Couet qui raccommodait la dentelle et faisait la toilette des enfants.Sur l’indication faite par le témoin de la demeure de la femme Couet, l’accusateur public requiert et le tribunal ordonne qu’il sera à l’instant décerné contre elle un mandat d’amener.»
On continue l’audition des témoins.
« Vingt-huitième témoin. Nicolas Leboeuf, âgé de cinquante-six ans, instituteur demeurant à Paris, rue des Provaires (sic), a déclaré qu’il connaît l’accusée que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.
« Nicolas Leboeuf , instituteur, ci-devant officier municipal, proteste ne rien connaître des faits relatifs à l’acte d’accusation ; car, ajoute-t-il, si je m’étais aperçu de quelque chose, j’en aurais rendu compte.
Le président, au témoin. — N’avez-vous jamais eu de conversation avec Louis Capet ?
— Non.
— N’avez-vous pas, étant de service au Temple, conversé sur les affaires politiques avec vos collègues et les détenus ?
— J’ai causé avec mes collègues, mais nous ne parlions pas d’affaires politiques.— Avez-vous souvent adressé la parole à Louis-Charles Capet ?
— Jamais.
— N’avez-vous pas proposé de lui donner à lire le Nouveau Télémaque ?
— Non.
— N’avez-vous pas manifesté le désir d’être son instituteur ?
— Jamais.
— N’avez-vous pas témoigné du regret de voir cet enfant prisonnier ?
— Non.»
L’accusée, interpellée de déclarer si elle n’a pas eu de conversation particulière avec le témoin, répond qu’elle ne lui a jamais parlé.
« Vingt-neuvième témoin. Augustin Germain Jobert, âgé de quarante-sept ans administrateur de police demeurant à Paris rue des Prescheurs, lequel a déclaré qu’il connait l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.»
— Ne lui avez-vous pas fait voir un jour quelque chose de curieux ?
— J’ai à la vérité montré à la veuve Capet et à sa fille des médaillons en cire, dits camées; c’étaient des allégories à la Révolution.
— Parmi ces médaillons n’y avait-il pas un portrait d’homme ?
— Je ne le crois pas.
— Par exemple le portrait de Voltaire ?
— Oui ; j’ai d’ailleurs chez moi environ quatre mille de ces sortes d’ouvrages.
— Pourquoi parmi ces ouvrages se trouvait-il le portrait de Médée : vouliez-vous en faire quelque allusion à l’accusée ?
— Le hasard seul l’a voulu : j’en ai tant; ce sont des ouvrages anglais dont je fais commerce ; j’en vends aux négociants.
— Aviez-vous connaissance que de temps en temps on enfermât le petit Capet pendant que vous et d’autres administrateurs aviez des entretiens particuliers avec l’accusée ?
— Je n’ai aucune connaissance de ce fait.
— Vous persistez donc à dire que vous n’avez point eu d’entretien particulier avec l’accusée ?
— Oui.Le président, à l’accusée. — Persistez-vous à dire que vous n’avez pas eu d’entretiens au Temple avec les deux derniers témoins ?
— Oui.
— Soutenez-vous également que Bailly et Lafayette n’étaient point les coopérateurs de votre fuite dans la nuit du 20 au 21 juin 1791 ?
— Oui.
— Je vous observe que sur ces faits vous êtes en contradiction avec la déclaration de votre fils ?
— Il est bien aisé de faire dire à un enfant de huit ans tout ce que l’on veut.
— Mais on ne s’est pas contenté d’une seule déclaration ; on lui a fait répéter plusieurs fois et à diverses reprises, il a toujours dit de même ?
— Eh bien, je nie le fait.
— Depuis votre détention au Temple, ne vous êtes-vous pas fait peindre ?
— Oui, je l’ai été en pastel.
— Ne vous êtes-vous pas enfermée avec le peintre et ne vous êtes-vous pas servie de ce prétexte pour recevoir des nouvelles de ce qui s’était passé dans les assemblées législative et conventionnelle ?
— Non.
— Comment nommez-vous ce peintre ?
— C’est Coëstier, peintre polonais, établi depuis plus de vingt ans à Paris.
— Où demeure-t-il ?
— Rue du Coq Saint-Honoré.»
Pour Coëstier il faut lire Kurcharski.

On entend un autre témoin.
« Trentième témoin. Claude Antoine François Moel, âgé de trente-sept ans, ci-devant suppléant du procureur de la commune auprès des tribunaux municipal et de police correctionnelle demeurant à Paris cloitre Notre-Dame, lequel a déclaré connaitre l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.»
« Antoine François Moel, ci-devant suppléant du procureur de la Commune auprès des tribunaux de police municipale et correctionnelle, dépose que de trois fois qu’il a été de service au Temple, il l’a été une fois près de Louis Capet et les deux autres près des femmes. Il n’a rien remarqué, sinon l’attention ordinaire aux femmes de fixer un homme que l’on voit pour la première fois. Il y retourna de nouveau en mars dernier : on y jouait à différents jeux ; les détenues venaient quelquefois regarder jouer, mais elles ne parlaient pas ; enfin il proteste d’ailleurs n’avoir jamais eu aucune intimité avec l’accusée pendant son service au Temple.
Le président, à l’accusée. — Avez-vous quelques observations à faire sur la déposition du témoin ?
— L’observation que j’ai à faire est que je n’ai jamais eu de conversation avec le déposant.
Sur le réquisitoire de l’accusateur public, le Tribunal ordonne que la femme Couëtte demeurant à Paris rue de Lille sera amenée au Tribunal pour y faire sa déclaration.»
On continue l’audition des témoins.
Témoins qui n’apportent strictement rien au tribunal, si ce n’est de confirmer les dires de l’accusée.
« Trente-et-unième témoin. Est comparu Jean-Baptiste Vincent, âgé de trente-cinq ans, maçon demeurant à Paris rue des Tournelles n° 65, lequel a déclaré connaitre l’accusée, qu’il entend parler d’elle, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.
« Jean-Baptiste Vincent, entrepreneur-maçon, dépose avoir fait son service au Temple en sa qualité de membre du conseil général de la Commune, mais qu’il n’a jamais eu de conférence avec l’accusée.»
«Trente-deuxième témoin. Nicolas Marie Jean Bugnot âgé de trente-neuf ans, architecte ci devant membre du conseil de la commune, demeurant à Paris, rue Mouffetard 412, lequel a déclaré qu’il connait l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public après quoi il a fait sa déclaration.»
« Nicolas-Marie-Jean Beugnot, architecte et membre de la Commune, dépose qu’appelé par ses collègues à la surveillance des prisonniers du Temple, il ne s’est jamais oublié au point d’avoir de conférences avec les détenues, encore moins avec l’accusée.
Le président, au témoin. — N’avez-vous pas fait enfermer dans une tourelle le petit Capet et sa sœur pendant que vous et quelques-uns de vos collègues teniez conversation avec l’accusée ?
— Non.
— N’avez-vous pas procuré les moyens de savoir des nouvelles par le moyen des colporteurs ?
— Non.
— Avez-vous entendu dire que l’accusée avait gratifié Toulan d’une boîte d’or ?
— Non.
L’accusée. — Je n’ai jamais eu aucun entretien avec le déposant.»
On entend un autre témoin.
Se succèdent deux témoins beaucoup plus délicats pour Marie-Antoinette.
« Trente-troisième témoin. François Dangé, marchand épicier, âgé de quarante-six ans rue de la Roquette, lequel a déclaré qu’il connait l’accusée que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.»
« François Dangé, administrateur de police, dépose avoir été un grand nombre de fois de service au Temple, mais que jamais dans aucun temps il n’a eu ni dû avoir de conférences ni d’entretiens particuliers avec les détenues.
Le président. — N’avez-vous jamais tenu le jeune Capet sur vos genoux ; ne lui avez-vous pas dit : « Je voudrais vous voir à la place de votre père ?»
— Non.
— Depuis que l’accusée est détenue à la Conciergerie, n’avez-vous pas procuré à plusieurs de vos amis l’entrée de sa prison ?
— Non.
— Avez-vous ouï parler qu’il y ait eu du monde d’introduit dans la Conciergerie ?
— Non.
— Quelle est votre opinion sur l’accusée?
— Si elle est coupable elle doit être jugée.
— La croyez-vous patriote ?
— Non.
— Croyez-vous qu’elle veuille la République?
— Non.»
On passe à un autre témoin.
« Trente-quatrième témoin. Jean Baptiste Michonis, âgé de cinquante-huit ans limonadier et administrateur de police demeurant à Paris rue de la Grande Friperie, lequel a déclaré qu’il connaissait l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.»

« Jean-Baptiste Michonis, limonadier, membre de la Commune du 10 août et administrateur de police, dépose qu’il connaît l’accusée pour l’avoir, avec ses collègues, transférée le 2 août dernier du Temple à la Conciergerie.
Le président, au témoin. — N’avez-vous pas procuré à quelqu’un l’entrée de la chambre de l’accusée depuis qu’elle est à cette prison ?
— Pardonnez-moi, je l’ai procurée à un nommé Giroux, maître de pension, faubourg Saint-Denis, à un autre de mes amis, peintre, au citoyen administrateur du domaine, et à un autre de mes amis.
— Vous l’avez sans doute procurée à d’autres personnes ?
— Voici le fait, car je dois et veux dire ici toute la vérité : le jour de la Saint-Pierre, m’étant trouvé chez un sieur Fontaine, où il y avait bonne compagnie, notamment trois ou quatre députés à la Convention, parmi les autres convives se trouvait la citoyenne Tilleul, laquelle invita le citoyen Fontaine à venir faire la Madeleine chez elle, à Vaugirard; elle ajouta : « Le citoyen Michonis ne sera pas de trop. » Lui ayant demandé d’où elle pouvait me connaître, elle répondit qu’elle m’avait vu à la mairie où des affaires l’appelaient. Le jour indiqué était arrivé, je me rendis à Vaugirard ; je trouvai une compagnie nombreuse. Après le repas, la conversation étant tombée sur le chapitre des prisons, on parla de la Conciergerie, en disant : La veuve Capet est là, on dit qu’elle est bien changée; que ses cheveux sont tout blancs. Je répondis qu’à la vérité ses cheveux commençaient à grisonner, niais qu’elle se portait bien. Un citoyen qui se trouvait là manifesta le désir de la voir ; je lui promis de le contenter, ce que je fis. Le lendemain, la Richard me dit : « Connaissez-vous la personne que vous avez amenée hier ? » Lui ayant répondu que je ne la connaissais que pour l’avoir vue chez un de mes amis : « Eh bien, me dit-elle, c’est un ci-devant chevalier de Saint-Louis ; » en même temps elle me remit un petit morceau de papier écrit ou plutôt piqué avec la pointe d’une épingle.Alors je lui répondis : «Je vous jure que jamais je n’y mènerai personne. »
Le président, au témoin. — N’avez-vous point fait part à l’accusée que vos fonctions venaient de finir à la la Commune?
— Oui, je lui ai tenu ce discours-là.
— Que vous a répondu l’accusée?
— Elle m’a dit : « On ne vous verra donc plus; » je répondis : « Madame, je reste municipal, et pourrai vous voir de temps en temps. »
— Comment avez-vous pu, vous, administrateur de police, au mépris des règlements, introduire un inconnu auprès de l’accusée; vous ignoriez donc qu’un grand nombre d’intrigants mettent tout en usage pour séduire les administrateurs ?
— Ce n’est pas lui qui m’a demandé à voir la veuve Capet, c’est moi qui le lui ai offert.
— Combien de fois avez-vous dîné avec lui?
— Deux fois.
— Quel est le nom de ce particulier ?
— Je l’ignore.
— Combien vous a-t-il promis ou donné pour avoir la satisfaction de voir Antoinette ?
— Je n’ai jamais reçu aucune rétribution.
— Pendant qu’il était dans la chambre de l’accusée, ne lui avez-vous vu faire aucun geste?
— Non.
— Ne l’avez-vous pas revu depuis?
— Je ne l’ai revu qu’une seule fois.
— Pourquoi ne l’avez-vous pas fait arrêter ?
— J’avoue que c’est une double faute que j’ai faite à cet endroit.
Un juré. — Citoyen président, je dois vous observer que la femme Tilleul vient d’être arrêtée comme suspecte et contre-révolutionnaire.»
On est confondu devant tant de naïveté de la part de Michonis.
Un autre témoin est entendu.
« Trente-cinquième témoin. Pierre Edouard Brenier médecin des enfants de Louis Capet, âgé de soixante-quatre ans demeurant à Paris rue Sainte-Avoye lequel a déclaré qu’il connaît l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi, il a fait sa déclaration.»
Fabricius arrivera peut-être un jour à noter Brunier…

« Pierre-Édouard Bernier (toujours pas !), médecin, déclare connaître l’accusée depuis quatorze ou quinze ans, ayant été depuis ce temps le médecin de ses enfants.
Le président, au témoin. — N’étiez-vous pas, en 1789, le médecin des enfants de Louis Capet, et, en cette qualité, n’avez-vous pas entendu parler à la cour quelle était la cause, à cette époque, du rassemblement extraordinaire de troupes qui eut lieu tant à Versailles qu’à Paris ?
— Non.Le témoin Hébert observe, sur l’interpellation qui lui est faite, que dans les journées qui ont suivi le 10 août, la Commune républicaine fut paralysée par les astuces de Manuel et de Pétion, qui s’opposèrent à ce que la table des détenus fût rendue plus frugale et à ce que la valetaille fût chassée, sous le faux prétexte qu’il était de la dignité du peuple que les prisonniers ne manquassent de rien. Le déposant ajoute que Bernier, témoin présent, était souvent au Temple dans les premiers jours de la détention de la famille Capet ; mais que ses fréquentes visites l’avaient rendu suspect, surtout dès que l’on se fut aperçu qu’il n’approchait des enfants de l’accusée qu’avec toutes les bassesses de l’ancien régime.
Le témoin Bernier assure que de sa part ce n’était que bienséance et non bassesse.»
Marie-Antoinette a toujours eu grande confiance en lui concernant ses enfants mais estimait qu’il était «familier, humoriste et clabaudeur.»
« Trente-sixième témoin. Claude Denis Tavernier, âgé de soixante ans sous lieutenant à la suite de l’état-major, demeurant à Paris rue des Marmousets, lequel a déclaré qu’il connait l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est parent, allié, serviteur ni domestique de l’accusée, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.»
« Claude Denis Tavernier, ci-devant lieutenant à la suite de l’état-major, dépose qu’étant de garde dans la nuit du 20 au 21 juin, il a vu dans la soirée Lafayette, lequel parla plusieurs fois à la Jarre et à la Colombe. Vers deux heures après minuit, il a vu passer sur le pont dit Royal la voiture de Lafayette ; enfin il a vu ce dernier changer de couleur lorsqu’on apprit que la famille Capet avait été arrêtée à Varennes.»
Encore un témoin qui ferait presque rire.
« Trente-septième témoin. Jean Maurice François Lebrasse, âgé de trente-et-un ans, lieutenant de la gendarmerie près les tribunaux, demeurant à Paris rue Saint Jacques n° 27, lequel a déclaré connaître l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est parent, allié, serviteur ni domestique de l’accusée, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.
« Jean Maurice François Lebrasse, lieutenant de gendarmerie à la suite des tribunaux, déclare connaître l’accusée depuis quatre ans ; il n’a aucune connaissance des faits contenus en l’acte d’accusation, sinon que se trouvant de service près de la maison d’arrêt dite la Conciergerie, la veille du jour où les députés Amar et Sevestre vinrent interroger la veuve Capet, un gendarme lui avait fait part de la scène de l’œillet ; il s’était empressé de demander une prompte instruction, ce qui a eu lieu.»
Ce gendarme a fait son devoir de citoyen, on ne peut rien lui reprocher…

« Trente-huitième témoin. Joseph Boze, âgé de quarante-huit ans, peintre demeurant au Louvre, lequel a déclaré qu’il connait l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.»

« Joseph Boze, peintre, déclare connaître l’accusée depuis environ huit ans ; qu’il peignit à cette époque le ci-devant Roi ; mais ne lui a jamais parlé. Le témoin entre ici dans les détails d’un projet de réconciliation entre le peuple et le ci-devant Roi par l’intermédiaire de Thierry, valet de chambre du ci-devant Roi.»

On aimerait en savoir plus sur ce projet mais personne ne semble s’en préoccuper, Marie-Antoinette profitant de ce moment pour ridiculiser Hébert :
« L’accusée tire de sa poche un papier et le remet à un de ses défenseurs.
L’accusateur public interpelle Antoinette de déclarer quel est l’écrit qu’elle vient de remettre ?— Hébert a dit ce matin que dans nos hardes et souliers on nous faisait passer des correspondances ; j’avais écrit, dans la crainte de l’oublier, que toutes nos hardes et effets étaient visités lorsqu’ils parvenaient près de nous, que cette surveillance s’exerçait par les administrateurs de police.
Hébert observe à son tour qu’il n’a été fondé à faire cette déclaration que parce que la fourniture des souliers était considérable, puisqu’elle se montait à quatorze et quinze paires par mois.»
En attendant le pauvre Boze sera incarcéré dès ce moment jusqu’à la chute de Robespierre.
« Trente-neuvième témoin. Didier Jourdeuil, adjoint au ministre de la guerre, âgé de trente-trois ans, demeurant à Paris rue de la Harpe, lequel a déclaré connaitre l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.
« Didier Jourdeuil, huissier, déclare qu’au mois de septembre 1792 il a trouvé une liasse chez d’Affry, dans laquelle était une lettre d’Antoinette qu’elle écrivait à celui-ci ; elle lui marquait ces mots : « Peut-on compter sur vos Suisses? feront-ils bonne contenance lorsqu’il en sera temps ?
L’accusée. — Je n’ai jamais écrit à d’Affry.L’accusateur public observe que l’année dernière, se trouvant directeur du jury d’accusation près le tribunal du 17 août, il fut chargé de l’instruction du procès de d’Affry et de Cazotte ; qu’il se rappelle très-bien avoir vu la lettre dont parle le témoin; mais la faction de Roland étant parvenue à faire supprimer le tribunal, en a fait enlever les pièces au moyen d’un décret qu’ils escamotèrent, nonobstant les réclamations de tous les bons républicains.»
Encore le coup de la pièce qui a malencontreusement disparu !
Le président, à l’accusée. — Quels sont les papiers qui ont été brûlés à la manufacture de Sèvres ?
— Je crois que c’était un libelle ; au reste on ne m’a pas consultée pour cet effet, on me l’a dit après.
— Comment se peut-il faire que vous ignorassiez ce fait. C’était Ristou qui fut chargé de la négociation de cette affaire ?
— Je n’ai jamais entendu parler de Ristou, et persiste à dire que je n’ai pas connu la Lamotte ; si l’on m’avait consultée, je me serais opposée à ce que l’on brûlât un écrit fait contre moi.»

On entend un autre témoin.
« Quarantième témoin. Pierre Fontaine, âgé de quarante-huit ans, marchand de bois demeurant à Paris rue de l’Oseille, déclare qu’il connait l’accusée, qu’il ne lui a jamais été attaché, qu’il n’est point son parent, non plus que de l’accusateur public, ensuite il a fait sa déclaration.
« Pierre Fontaine, marchand de bois, déclare ne connaître aucun des faits contenus en l’acte d’accusation, ne connaissant l’accusée que de réputation, et n’ayant jamais eu aucun rapport avec la ci-devant cour.
Le président, au témoin. — Depuis combien de temps connaissez-vous Michonis ?
— Depuis environ quatorze ans.
— Combien a-t-il été dîner de fois chez vous?
— Trois fois.
— Comment nommez-vous le particulier qui a dîné chez vous avec Michonis ?
— On l’appelle de Rougy, c’est un particulier dont le ton ni les manières ne me revenaient; il avait été amené par la dame Dutilleul.
— D’où connaissez-vous ladite femme Dutilleul ?
— Je l’ai rencontrée un soir avec une autre femme sur le boulevard ; nous tînmes conversation et fûmes prendre une tasse de café ensemble ; depuis ce temps elle est venue chez moi plusieurs fois.
— Ne vous a-t-elle point fait quelque confidence ?
— Jamais.
— Quels sont les noms des députés qui se sont trouvés avec Rougy et Michonis ?
— Il n’y en avait qu’un.
— Comment le nommez-vous ?
— Sautereau, député de la Nièvre à la Convention, et deux autres commissaires envoyés par les assemblées primaires du même département pour apporter leur acte d’acceptation de la Constitution.
— Quels sont leurs noms ?
— C’est Balendrot, curé de Beaumont, et Paulmier, également du même département.
— Savez-vous ce que peut être devenu Rougy ?
— Non.»
Par Rougy il faut bien entendu comprendre Rougeville.

On entend un autre témoin.
« Quarante-et-unième témoin. Michel Coindre employé dans les bureaux de la guerre déclare qu’il connait l’accusée, qu’il ne lui a jamais été attaché, qu’il n’est point son parent, non plus que de l’accusateur public.
« Michel Gointre, employé au bureau de la guerre, dépose avoir lu attentivement l’acte d’accusation et avoir été étrangement surpris de n’y pas voir l’article des faux assignats de Passy. Polverel, accusateur public près le tribunal du Ier arrondissement, qui avait été chargé de la poursuite de cette affaire, étant venu à la barre de l’Assemblée constituante pour rendre compte de l’état où se trouvait la procédure, annonça qu’il lui était impossible d’aller plus loin, à moins que l’Assemblée ne décrétât qu’il n’y avait que le roi d’inviolable. Cette conduite donna lieu, à lui déposant, de soupçonner qu’il n’y avait que l’accusée dont Polverel voulût parler, attendu qu’il ne pouvait y avoir qu’elle dans le cas de fournir les fonds nécessaires à une entreprise aussi considérable.
Le témoin Tisset. — Citoyen président, je voudrais que l’accusée fût interpellée de déclarer si elle n’a pas fait avoir la croix de Saint-Louis et un brevet de capitaine au nommé La Regnie ?
— Je ne connais personne de ce nom.
Le président, à l’accusée. — N’avez-vous pas fait nommer Collot de Verrière capitaine des gardes du ci-devant Roi ?
— Oui.
— N’est-ce pas vous qui avez procuré au nommé Pariseau du service dans la ci-devant garde du ci-devant Roi ?
— Non.
— Vous avez tellement influencé l’organisation de la ci-devant garde royale qu’elle ne fut composée que d’individus contre lesquels s’élevait l’opinion publique ; et en effet, les patriotes pouvaient-ils voir sans inquiétude le chef de la nation entouré d’une garde où figuraient des prêtres insermentés, des chevaliers du poignard, etc.Heureusement votre politique fut en défaut : leur conduite anticivique, leurs sentiments contre-révolutionnaires forcèrent l’Assemblée législative à les licencier, et Louis Capet, après cette opération, les solda pour ainsi dire jusqu’au 10 août, où il fut renversé à son tour !»
Le défilé de témoins est terminé. Herman doit cependant continuer à poser des questions concernant la supposée influence pernicieuse de la Reine sur la France.
« Lors de votre mariage avec Louis Capet, n’avez-vous pas conçu le projet de réunir la Lorraine à l’Autriche ?
— Non.
— Vous en portez le nom ?
— Parce qu’il faut porter le nom de son pays.
— N’avez-vous pas, après l’affaire de Nancy, écrit à Bouillé pour le féliciter de ce qu’il avait fait massacrer dans cette ville sept à huit mille patriotes ?
— Je ne lui ai jamais écrit.
— Ne vous êtes-vous pas occupée à sonder l’esprit des départements, districts et municipalités ?
— Non.L’accusateur public observe à l’accusée que l’on a trouvé dans son secrétaire une pièce qui atteste ce fait de la manière la plus précise, et dans laquelle se trouvent inscrits en tête les noms des Vaublanc, des Jaucourt, etc.
Lecture est faite de ladite pièce; l’accusée persiste à dire qu’elle ne se rappelle avoir rien écrit de ce genre.
Le témoin. — Je désirerais, citoyen président, que l’accusée fût interpellée de déclarer si le même jour que le peuple fit l’honneur à son mari de le décorer du bonnet rouge, il ne fut pas tenu un conciliabule nocturne dans le château où l’on délibéra de perdre la ville de Paris, et s’il ne fut pas aussi décidé que l’on ferait composer des placards dans le sens royaliste par le nommé Esménard, rue Plâtrière?
— Je ne connais point ce nom.
Le président. — N’avez-vous pas, le 9 août 1792, donné votre main à baiser à Tassin de l’Etang, capitaine de la force armée des Filles Saint-Thomas, en disant à son bataillon : a Vous êtes de braves gens qui êtes dans les bons principes; je compte toujours sur vous? »
— Non.
— Pourquoi, vous qui aviez promis d’élever vos enfants dans les principes de la Révolution, ne leur avez-vous inculqué que des erreurs, en traitant par exemple votre fils avec des égards qui semblaient faire croire que vous pensiez encore à le voir un jour le successeur du ci-devant Roi son père?
— Il était trop jeune pour lui parler de cela. Je le faisais mettre au bout de la table et lui donnais moi-même ce dont il avait besoin.
— Ne vous reste-t-il plus rien à ajouter pour votre défense ?
— Hier je ne connaissais pas les témoins, j’ignorais ce qu’ils allaient déposer contre moi ; eh bien, personne n’a articulé contre moi aucun fait positif. Je finis en observant que je n’étais que la femme de Louis XVI et qu’il fallait bien que je me conformasse à ses volontés !»
A la lecture entière du procès, effectivement, rien, aucun témoin, aucune pièce ne permet d’étayer l’acte d’accusation.
Marie-Antoinette achève sa carrière publique en se déclarant innocente et en se revendiquant comme la femme soumise de Louis XVI.

« Le président annonce que les débats sont terminés.
Le Président à la fin de chaque déposition des témoins susdits a demandé à l’accusée si elle avait à y répondre.
L’accusateur public, les juges, les jurés, l’accusée et ses conseils ont fait telles observations et interpellations qu’ils ont jugé convenables.
Fouquier, accusateur public, prend la parole et est entendu. Il retrace la conduite perverse de la ci-devant cour, ses machinations continuelles contre une liberté qui lui déplaisait et dont elle voulait voir la destruction
à tel prix que ce fût, ses efforts pour allumer la guerre civile, afin d’en faire tourner le résultat à son profit en s’appropriant cette maxime machiavélique : Diviser pour régner. Ses liaisons criminelles et coupables avec les puissances étrangères, avec lesquelles la République est en guerre ouverte, ses intimités avec une faction scélérate qui lui était dévouée et qui secondait ses vues en entretenant dans le sein de la Convention les haines et les dissensions, en employant tous les moyens possibles pour perdre Paris, en armant les départements contre cette cité et en calomniant sans cesse les généreux habitants de cette ville, mère et conservatrice de la liberté ; les massacres exécutés par les ordres de cette cour corrompue dans les principales villes de- France, notamment à Montauban, Nîmes, Arles, Nancy, au Champ de Mars etc., etc.Il regarde Antoinette comme l’ennemie déclarée de la nation française, comme l’une des principales instigatrices des troubles qui ont eu lieu en France depuis quatre ans, et dont des milliers de Français ont
été les victimes, etc., etc.On entend dans le plus grand silence Chauveau et Tronson du Coudray, nommés d’office par le tribunal pour défendre Antoinette ; ils s’acquittent de ce devoir avec autant de zèle que d’éloquence.»

Témoignage de Chauveau-Lagarde :
« Lorsque les débats furent terminés , nous obtînmes un instant pour nous concerter, mon collègue et moi, sur le plan de nos plaidoiries. M. Tronçon- Ducoudray se chargea de la défense sur l’accusation de la prétendue conspiration avec les ennemis de l’intérieur, et moi sur l’accusation de la prétendue conspiration à l’extérieur avec les puissances étrangères.
A peine étions-nous convenus de cette division, et nous étions-nous communiqué réciproquement les notes qui pouvaient avoir quelque rapport à la partie de la cause dont chacun de nous était chargé, qu’au bout d’un quart d’heure, nous fûmes rappelés à l’audience , et dès lors obligés de parler sans préparation.Sans doute, quelque talent que développa M. Tronçon-Ducoudray dans sa plaidoirie, et quelque zèle que je pourrais avoir mis dans la mienne, nos défenses furent nécessairement au-dessous d’une telle cause, pour laquelle toute l’éloquence d’un Bossuet ou d’un Fénélon n’aurait pu suffire, ou serait restée, du moins, impuissante.
Mais comme ici le Moniteur, et après lui quelques écrivains, soit par erreur , soit par toute autre cause, n’ont pas dit la vérité, il importe de la faire connaître.
Il est des personnes qui se sont fait une fausse idée de la nature de nos fonctions de défenseurs, ainsi que de l’espèce de dévouement que nous mettions à bien remplir les devoirs qui nous étaient imposés, à cette époque désastreuse. Chargés de défendre la Reine, n’est-il pas vrai que ses défenseurs durent se bien pénétrer de la nature de leurs fonctions et de l’étendue de leurs devoirs ? C’est ce que nous avions fait, dès le principe, en acceptant notre mission ; c’est encore ce que nous fimes en ce moment difficile, en nous de mandant à nous -mêmes le genre de défense que nous allions employer.Est-il juste de dire , ainsi que l’ont allégué bien légèrement quelques personnes aveuglées par la prévention, que, dès le principe, nous aurions dû conseiller à la Reine de garder le silence ? ou que du moins nous devions, après les débats, nous borner, pour unique plaidoirie, à récuser le tribunal avec toute l’horreur qu’il nous inspirait ?
Nous pensâmes, au contraire, que, sous les dehors d’une raison apparente et d’un courage affecté, c’eût été, de notre part, un acte de faiblesse et de folie.
Avant que nous fussions chargés de la défense de la Reine, déjà la Reine venait de subir des interrogatoires auxquels elle avait cru devoir répondre, parce que, sans doute, elle s’était rappelé l’exemple du Roi lui-même qui n’avait point dédaigné de se défendre devant des hommes qui n’étaient pas plus en droit de juger Sa Majesté, que le tribunal de juger la Reine ; que, dès lors la Reine aura voulu, comme le Roi, confondre la calomnie, en montrant, à l’instar de Sa Majesté, un grand caractère ; et que du moment où le Roi qui, d’ailleurs, avait pour conseils la verité, le savoir, et le talent, réunis, n’avait pas cru que ce beau triomphe. de l’innocence sur le crime fût au -dessous de Sa Majesté, il n’était pas possible que la Reine le regardât comme un triomphe indigne d’elle.
Or, était-il, après cela, permis à ses défenseurs d’abandonner une lutte dans laquelle la Reine même s’était engagée ? et s’ils l’eussent fait, sous le prétexte d’une récusation que les lois d’alors ne pouvaient pas admettre, et qui, par conséquent, n’aurait eu d’autre effet que de contrarier, sans nécessité, les vues de la Reine elle-même, et d’irriter contre elle ses bourreaux , quel reproche n’auraient ils pas mérité ?
D’un autre côté, devaient-ils, en plaidant, faire éclater devant le tribunal toute l’indignation dont ils étaient pénétrés contre les lois révolutionnaires et leurs féroces exécuteurs ?
Ce n’est que dans les chaires chrétiennes ou dans les livres de philosophie et de morale , que le devoir de l’orateur et de l’écrivain , est de faire entendre et de propager, sans aucune réserve et sans aucun ménagement, les vérités les plus terribles.
Mais cette inflexibilité serait déplacée dans les tribunaux , ou plutôt elle y serait contraire aux devoirs d’un défenseur ; puisque la loi même qui nous charge des intérêts de l’innocence, nous impose en même temps l’obligation de ne rien dire qui puisse la compromettre. Or, assurément, un homme qui se serait oublié devant les prétendus juges de la Reine, au point d’y faire éclater en leur présence, le mépris et l’indignation qu’ils lui inspiraient, n’aurait fait qu’augmenter les dangers que courait l’innocence.»
Effectivement, impossible pour Marie-Antoinette et ses défenseurs de récuser ce tribunal qui ne présentaient pourtant à ses yeux qu’une bande d’ambitieux prêts à tout pour la détruire afin de mieux se maintenir au pouvoir.

dans L’Autrichienne (1990) de Pierre Granier-Deferre

dans Je m’appelais Marie-Antoinette (1993)

Mais comme son mari avant elle, il est de son devoir de prouver publiquement à tous son innocence, surtout face à tant de bêtises qui ne font que souligner sa grandeur.
« Quelles étaient donc alors nos véritables obligations, et quel fut le genre de défense que les circonstances et la raison nous permirent d’employer dans la cause de la Reine ?
Nous ne pouvions pas nous abandonner à ces élans de l’âme , auxquels nous avons coutume de nous livrer devant les tribunaux ordinaires , par notre confiance dans la justice, et par notre horreur pour la mauvaise foi, le mensonge et la calomnie.
Au contraire , nous étions obligés de comprimer en nous tous ces sentiments ; et, par cela même, notre mission n’en devenait que plus difficile. Le moyen principal et, pour ainsi dire, le seul que nous pussions employer était le raisonnement et nous épuisâmes en effet tous nos efforts pour détruire les prétendues preuves que nous avions à combattre .
Notre tâche était encore de confondre les témoins qui , dans ce tribunal horrible, étaient presque toujours vendus au parti révolutionnaire ; et c’est ce que nous fîmes avec soin mais non sans un grand danger, parce que nous ne pouvions faire usage de ces armes sans blesser l’orgueil des accusateurs, et exciter, par la force de la vérité, toutes les révoltes de leur conscience.»

En effet, comment défendre la Reine , sans pour autant provoquer ces hommes qui n’hésitent pas à se ridiculiser eux-mêmes ?

« Au reste , et dans toutes les occasions, nous cherchions à faire passer dans l’âme de ceux qui nous écoutaient la profonde conviction dont nous étions pénétrés nous-mêmes.
Nous avions l’expérience qu’il n’était pas impossible d’arracher à la mort des accusés dont la condamnation paraissait arrêtée d’avance : lors même que tout était perdu ou désespéré, notre horreur pour l’injustice, la force de l’évidence, l’intérêt que nous portions à la vertu et à l’innocence opprimée, tout cela suppléait en nous, autant qu’il est possible, à l’espérance elle même ; ou plutôt, comme nous étions alors identifiés avec l’accusé, nous partagions toutes ses émotions, et vous livrant, comme lui, par sentiment, à un espoir que la raison pouvait désavouer, nous parlions le même langage que si nous eussions eu la certitude de réussir ; et jamais nous n’avions eu cette douce illusion à un plus haut degré que dans la défense de la Reine et de madame Elisabeth de France, parce qu’aucune autre condamnation ne nous ayant jamais semblé plus injuste, plus barbare et même plus impolitique, il nous paraissait impossible que, malgré la perversité des temps, on se portât à un tel excès de barbarie.»
N’oublions pas que Chauveau-Lagarde écrit durant la Restauration !
« Tels étaient nos devoirs ; et telle fut notre conduite.»
(…)
Ah ! je le demande : est-il aisé de se faire une idée de la situation où se trouva nécessairement l’âme des défenseurs prêts à plaider pour la Reine dans de telles circonstances, et devant de tels hommes ; surtout, lorsqu’ils n’avaient été chargés de cette mission que la veille des débats ; qu’ils n’avaient eu l’honneur de conférer avec la Reine qu’un instant ; qu’ils n’avaient pas même obtenu la permission d’examiner les pièces du procès qu’ils avaient été obligés de passer la nuit à se préparer, comme ils le purent, sur les seuls interrogatoires et l’acte d’accusation ; qu’ils venaient d’éprouver les angoisses et les fatigues d’un débat. de vingt heures consécutives ; et que , pour tant , je le répète , ils se trouvaient obligés de parler sans préparation ?
Le Moniteur du temps , et après lui, quelques écrivains, ont dit , sans parler de nos plaidoiries, que les défenseurs de la Reine avaient sollicité la clémence du tribunal. Ces expressions semblent annoncer, non seulement que nous n’aurions pas défendu la Reine, mais qu’au contraire nous l’aurions, en quelque sorte, reconnue coupable , puis qu’on n’a pas besoin d’implorer la clémence de la justice en faveur de l’innocence . Cela est faux : et comme une telle supposition outrage à la fois, et la Reine et ses défenseurs, il est juste de faire connaître , à cet égard, toute la vérité ; ou plutôt, je dirai que cela importe en quelque sorte, à l’honneur de la France elle -même; en ce qu’il ne faut pas que les étrangers et la postérité puissent croire , que dans les temps horribles où la Reine et madame Elisabeth ont été assassinées, elles aient péri sans défense ; ce qui serait la même chose , pour ne pas dire plus affreux encore, que les Français, qui furent chargés de les défendre , n’aient pas senti toute l’importance et toute la grandeur de la mission qui leur était confiée : elles auraient eu des milliers de défenseurs non moins dévoués , si on eût voulu les entendre. La vérité est donc, que ni la présence des bourreaux devant lesquels un mot, un geste, une réticence, pouvaient être un crime , ni l’appareil épouvantable de la mort, dont nous étions environnés ne nous ont fait oublier nos obligations ; mais qu’au contraire , nous combattîmes avec chaleur, avec énergie, et de toutes nos forces , tous les chefs de l’accusation , et que nous plaidâmes pendant plus de trois heures.
Je voudrais pouvoir me rappeler et reproduire ici, la belle défense de M. Tronçon de son plaidoyer improvisé, que l’impression, que je ressentis alors en l’entendant, je ne puis aujourd’hui rien en dire , si ce n’est que M. Tronçon y fut digne de lui-même ; et pour tous ceux qui auront connu son grand talent, je ne puis en faire un plus bel éloge.
Hélas ! on sait qu’il a péri depuis à Sinnainarie , victime de la déportation qui avait eu lieu en fructidor. Pour moi , qui ai conservé toutes les notes fugitives sur lesquelles je plaidai, j’y vois que j’eus principalement à’ m’occuper.
De ce qu’ils appelaient la dilapidation des finances qu’on reprochait à la Reine, en l’accusant d’avoir envoyé, de concert avec les frères du Roi , des sommes considérables à l’empereur Joseph.
De ce qu’ils appelaient ses intelligences et correspondances, politiques avec les princes, ses frères, ainsi que de la communication, soi disant faite par elle, aux ennemis, de nos plans de campagne.
De ce qu’ils appelaient sa coopération à la déclaration de guerre faite au Roi de Bohême et Hongrie.
De l’évacuation de la Belgique, dont on prétendait rendre la Reine responsable. Après m’être plaint , dans mon exorde, de ce que, sans nous accorder, le temps nécessaire pour l’examen des pièces, on nous forçait d’en reprendre, à l’improviste, une défense aussi importante ; et après l’exposition des griefs de l’accusation que j’avais à combattre , je dis : « Qu’au reste , dans ce procès tout extraordinaire, la postérité verrait avec étonnement, que, s’il y avait pour le défenseur quelque chose de difficile , ce n’était pas de trouver des réponses décisives , mais de rencontrer une seule objection sérieuse .
Ainsi, je n’eus pas de peine à prouver : Que l’évacuation de la Belgique était l’ouvrage du général qui commandait l’armée, et non de la Reine ; Qu’on ne pouvait pas imputer å la Reine la déclaration de guerre faite au Roi de Bohême et de Hongrie, lorsqu’il était de notoriété dans toute l’Europe, que cette déclaration avait en lieu contre l’opposition de la Cour elle même, et par suite d’une délibération prise dans le conseil et d’un décret exprés de l’assemblée législative ; Qu’il n’y avait aucune trace de la prétendue correspondance politique de la Reine, et beaucoup moins encore de la prétendue communication par elle faite de nos plans de campagne à ce qu’on appelait nos ennemis ; puisqu’à cet égard , on ne représentait aucune lettre, aucun écrit, aucun témoignage.»
C’est effectivement le seul point de l’acte d’accusation qui pourrait avoir un semblant de vérité. Oui, Marie-Antoinette a communiqué avec les puissances étrangères, afin de les appeler au secours. Certainement pas pour mettre l’Europe à feu et à sang.

dans Je m’appelais Marie-Antoinette (1993) de Robert Hossein
Seulement, aucune lettre de cette correspondance politique de la Reine n’est montrée lors de ce procès, étant par définition à l’étranger. Donc une fois de plus, les juges de ce procès s’appuient sur des rumeurs et non sur des faits précis.
« Mais ce fut principalement sur la dilapidation supposée des finances que je portai toute mon attention ; parce que c’était aussi le chef d’accusation sur lequel on insistait davantage, comme étant le plus propre à faire impression sur la multitude : quoique pourtant il fût peut-être celui de tous qui se trouvât le plus dénué, je ne dis pas, de preuves, ni même de vraisemblance, mais de la plus légère apparence de réalité, du plus faible adminicule, de l’indice même le plus frivole et le plus éloigné ; puisque l’accusateur public Fouquet- Tinville ne l’appuyait que sur sa propre déclaration et sur le plus absurde dire d’une domestique appelée femme Millot.
Cette femme déclarait que M. le duc de. Coigny , qu’elle qualifiait de comte, et dont elle n’avait point l’honneur d’être connue, après lui avoir un jour demandé dans la galerie de Versailles, si elle savait des nouvelles, et sur sa réponse négative, lui avait dit qu’il allait lui en apprendre, et que la nouvelle de la Cour était que la Reine avait, en 1788, fait passer des millions à son frère.
Quant à Fouquet-Tinville, comme il avait annoncé, dans son exposé, qu’il apporterait , dans un bon de soixante ou quatre-vingt mille francs , soi – disant « signė »par la Reine , au profit de madame de Polignac, preuve écrite de la prétendue dilapidation , il fit d’abord ordonner par le tribunal qu’on ferait à l’instant les recherches nécessaires pour le trouver au comité de sûreté générale , où il assurait qu’il était déposé ;’mais ces recherches s’étant trouvées infructueuses , Fouquier-Tinville déclara qu’au reste l’existence de ce bon ne pouvait être révoquée en doute puisqu’il affirmait l’avoir vu lui-même.
En réfutant la déclaration de la femme Millot , je fis d’abord remarquer tout ce qu’il y avait d’absurde à supposer ; que M. le duc de Coigny eût été faire à une telle femme, qu’il ne connaissait pas, une telle confidence, et je fis observer qu’au reste , ou cette déclaration était vraie ou elle était fausse : mais, que, si elle était vraie, M.de Coigny, dans la distance infinie qui le séparait de cette femme, n’aurait évidemment voulu faire qu’une plaisanterie ; et que si elle était fausse, ainsi que cela ne paraissait pas douteux, alors la femme Millot n’était qu’un faux témoin coupable de calomnie.
Utiliser des témoins du niveau d’une Reine Millot ne peut que servir à la cause de Marie-Antoinette !
« En répondant ensuite à l’affirmation de Fouquier-Tinville, je fis observer que cette affirmation , étant au procès la seule preuve de la dilapidation supposée, je n’avais pas besoin de la réfuter, puisque l’accusateur public ne pouvait pas être à la fois l’accusateur et le témoin dans une même affaire, sans devenir , en quelque sorte, l’assassin des accusés.
Enfin, après avoir détruit tous les chefs et tous les détails de l’accusation sans en omettre un seul, je finis, en disant : « Que je croyais avoir tenu l’engagement que j’avais contracté de démontrer jusqu’à l’évidence, que rien ne pouvait égaler l’apparente gravité de l’accusation , si ce n’était peut-être la ridicule nullité des preuves. »
Ridicule est bien le mot !

dans Je m’appelais Marie-Antoinette (1993) de Robert Hossein
Assurément, les défenseurs qui ont parlé de l’innocence et de la pureté de la Reine avec . cette profonde conviction , n’ont pas sollicité la clémence de ses prétendus juges.

« J’avais ainsi plaidé pendant près de deux heures , j’étais accablé de fatigue ; la Reine eut la bonté de le remarquer, et de me dire avec l’accent le plus touchant : « Combien vous devez être fatigué , M. Chauveau-Lagarde ! je suis bien sensible v à toutes vos peines ! » Ces mots , qu’on entendit autour d’elle, ne furent point perdus pour ses bourreaux. La séance fut un instant suspendue, avant que M. Tronçon-Ducoudray prît la parole. Je voulus en vain me rendre auprès de la Reine : un gendarme m’arrêta sous ses propres yeux. M. Tronçon-Ducoudray ayant ensuite plaidé , fut arrêté de même en sa présence ; et, dès ce moment, il ne nous fut plus permis de lui parler : Nous fûmes d’abord gardés et retenus dans le greffe en charte privée , pendant la délibération des jurés. Nous ne pûmes dès lors nous rendre auprès de la Reine durant cet intervalle de temps, ainsi que nous le lui avions promis : ce qui dut, sans doute , lui donner de vives inquiétudes sur l’issue de son procès, et ce qui fut pour nous un grand sujet d’amertume et de douleur.»
CHAUVEAU-LAGARDE, Note historique sur les procès de Marie-Antoinette d’Autriche, Reine de France et de Madame Elisabeth de France, Paris, 1816



dans Je m’appelais Marie-Antoinette (1993)

Il n’y a que dans les pires régimes totalitaires où l’on voit des avocats en état d’arrestation durant des procès !
« Le président fait retirer l’accusée.»

« Tous les témoins présentés par l’accusateur public et les défenseurs ayant été entendus, le Président a fait un résumé de l’affaire, et l’ayant réduite à ses points les plus simples, il a fait remarquer aux jurés tous les faits et preuves propres à fixer leur attention tant pour que contre l’accusée.
Herman, président du tribunal, prend la parole et prononce le résumé suivant :
« Citoyens jurés,
Le peuple français, par l’organe de l’accusateur public, a accusé devant le jury national Marie-Antoinette d’Autriche, veuve de Louis Capet, d’avoir été la complice ou plutôt l’instigatrice de la plupart des crimes dont s’est
rendu coupable ce dernier tyran de la France, d’avoir eu elle-même des intelligences avec les puissances étrangères, notamment avec le roi de Bohême et de Hongrie, son frère, avec les ci-devant princes français émigrés, avec des généraux perfides; d’avoir fourni à ces ennemis de la République des secours en argent et d’avoir conspiré avec eux contre la sûreté intérieure et extérieure de l’État.Un grand exemple est donné en ce jour à l’univers, et sans doute il ne sera pas perdu pour les peuples qui l’habitent ; la nature et la raison, si longtemps outragées, sont enfin satisfaites. L’Égalité triomphe !
Une femme qu’environnaient naguère tous les prestiges les plus brillants que l’orgueil des rois et la bassesse des esclaves avaient pu inventer, occupe aujourd’hui au tribunal de la nation la place qu’occupait il y a deux jours une autre femme, et cette égalité lui assure une justice impartiale. Cette affaire, citoyens jurés, n’est pas de celles où un seul fait, un seul délit est soumis à votre conscience et à vos lumières ! Vous avez à juger toute la vie politique de l’accusée, depuis qu’elle est venue s’asseoir à côté du dernier roi des Français ; mais vous devez surtout fixer votre délibération sur les manœuvres qu’elle n’a cessé un instant d’employer pour détruire la liberté naissante, soit dans l’intérieur par des liaisons intimes avec d’infâmes ministres, de perfides généraux, d’infidèles représentants du peuple ; soit au dehors, en faisant négocier cette coalition monstrueuse des despotes de l’Europe, à laquelle l’histoire réserve le ridicule pour son impuissance ; enfin par ses correspondances avec les ci-devant princes français émigrés et leurs dignes agents.
Si l’on eût voulu de tous ces faits une preuve orale, il eût fallu faire comparaître l’accusée devant tout le peuple français ; la preuve matérielle se trouve dans les papiers qui ont été saisis chez Louis Capet, énumérés dans un rapport fait à la Convention nationale par Gohier, l’un de ses membres, dans le recueil des pièces justificatives de l’acte d’accusation porté contre Louis Capet par la Convention, enfin et principalement, citoyens jurés, dans les événement politiques dont vous avez tous été les témoins et les juges.
Et s’il eût été permis, en remplissant un ministère impassible, de se livrer à des mouvements que la passion de l’humanité commandait, nous eussions évoqué devant le jury national les mânes de nos frères égorgés à Nancy, au Champ de Mars, aux frontières, à la Vendée, à Marseille, à Lyon, à Toulon, par suite des machinations infernales de cette moderne Médicis ; nous eussions fait amener devant vous les pères, les mères, les épouses, les enfants de ces malheureux patriotes : que dis-je, malheureux ? ils sont morts pour la liberté et fidèles à leur patrie ; toutes ces familles éplorées et dans le désespoir de la nature auraient accusé Antoinette de leur avoir enlevé ce qu’ils avaient de plus cher au monde, et dont la privation leur rend la vie insupportable ; et en effet, si les satellites du despote autrichien ont entamé pour un moment nos frontières, et s’ils y commettent des atrocités dont l’histoire des peuples barbares ne fournit point encore d’exemple ; si nos ports, si nos camps, si nos villes sont vendus ou livrés, n’est-ce pas évidemment le dernier résultat des manœuvres combinées au château des Tuileries, et dont Antoinette d’Autriche était l’instigatrice et le centre ? Ce sont, citoyens jurés, tous ces événements politiques qui forment la masse des preuves qui accablent Antoinette.
Quant aux déclarations qui ont été faites dans l’instruction de ce procès et aux débats qui ont eu lieu, il en est résulté quelques faits qui viennent directement à la preuve de l’accusation principale portée contre la veuve Capet. Tous les autres détails, faits pour servir à l’histoire de la révolution ou au procès de quelques personnages fameux et de quelques fonctionnaires publics infidèles, disparaissent devant l’accusation de haute trahison qui pèse essentiellement sur Antoinette d’Autriche, veuve du ci-devant roi.
Il est une observation générale à recueillir, c’est que l’accusée est convenue qu’elle avait la confiance de Louis Capet.
Il résulte encore de la déclaration de Valazé qu’Antoinette était consultée dans les affaires politiques, puisque le ci-devant roi voulait qu’elle fût consultée sur un certain plan dont le témoin n’a pu ou voulu dire l’objet.L’un des témoins, dont la précision et l’ingénuité (!) ont été remarquables, vous a déclaré que le ci-devant duc de Coigny lui avait dit, en 1788, qu’Antoinette avait fait passer à l’empereur, son frère, 200 millions pour lui aider à soutenir la guerre qu’il faisait alors.
Depuis la révolution, un bon de 60 à 80,000 livres, signé Antoinette et tiré sur Septeuil, a été donné à la Polignac, alors émigrée, et une lettre de Laporte recommandait à Septeuil de ne point laisser la moindre trace de ce don.
Lecointre, de Versailles, vous a dit, comme témoin oculaire, que depuis l’année 1779 des sommes énormes avaient été dépensées à la cour pour des fêtes dont Marie-Antoinette était toujours la déesse.
Le 1er octobre, un repas ou plutôt une orgie est ménagée entre les gardes du corps et les officiers du régiment de Flandre, que la cour avait appelé à Versailles pour servir ses projets. Antoinette y paraît avec le ci-devant roi et le dauphin, qu’elle promène sur les tables. Les convives crient : « Vive le roi! Vive la reine! Vive le dauphin ! Au diable la nation ! » Le résultat de cette orgie est qu’on foule aux pieds la cocarde tricolore et que l’on arbore la cocarde blanche.
L’un des premiers jours d’octobre, le même témoin monte au château ; il voit dans la galerie des femmes attachées à l’accusée distribuant des cocardes blanches en disant à chacun de ceux qui avaient la bassesse de les recevoir : « Conservez-la bien ; » et ces esclaves, mettant un genou en terre, baisaient ce signe odieux qui devait faire couler le sang du peuple.
Lors du voyage connu sous le nom de Varennes, c’est l’accusée qui, de son aveu, a ouvert les portes pour la sortie du château ; c’est elle qui a fait sortir la famille royale.
Au retour du voyage et à la descente de la voiture, l’on a observé sur le visage d’Antoinette et dans ses mouvements le désir le plus marqué de la vengeance.
Le 10 août, où les Suisses du château ont osé tirer sur le peuple, l’on a vu sous le lit d’Antoinette des bouteilles vides et pleines. Un autre témoin a dit avoir connaissance que les jours qui ont précédé cette journée, les Suisses ont été régalés, pour me servir de son expression, et ce témoin habitait le château.
Quelques-uns des Suisses expirants dans cette journée ont déclaré avoir reçu de l’argent d’une femme, et plusieurs personnes ont attesté qu’au procès de d’Affry il est établi qu’Antoinette lui a demandé, à l’époque du 10 août, s’il pouvait répondre de ses Suisses : « Pouvons-nous, écrivait Antoinette à d’Affry, compter sur vos Suisses ? feront-ils bonne contenance lorsqu’il en sera temps? »
Les personnes qui, par devoir de surveillance, fréquentaient le Temple, ont toujours remarqué dans Antoinette un ton de révolte contre la souveraineté du peuple. Elles ont saisi une image représentant un cœur, et cette image est un signe de ralliement dont presque tous les contre-révolutionnaires que la vengeance nationale a pu atteindre étaient porteurs.
Après la mort du tyran, Antoinette suivit au Temple, à l’égard de son fils, toute l’étiquette de l’ancienne cour ; le fils de Capet était traité en roi ; il avait dans tous les détails de la vie domestique la préséance sur sa mère ; à table, il tenait le haut bout, il était servi le premier.
Je ne vous parlerai pas, citoyens jurés, de l’incident de la Conciergerie, de l’entrevue du chevalier de Saint-Louis, de l’œillet laissé dans l’appartement de l’accusée, du papier piqué et donné ou plutôt préparé en réponse ; cet incident n’est qu’une intrigue de prison, qui ne peut figurer dans une accusation d’un si grand intérêt.
Je finis par une réflexion générale que j’ai déjà eu occasion de vous présenter : c’est le peuple français qui accuse Antoinette; tous les événements politiques qui ont eu lieu depuis cinq années déposent contre elle.»

Les Années Terribles (1989) de Richard Heffron
Ce «bref» résumé montre suffisamment qu’Herman n’a rien d’un juge impartial et a été parfaitement choisi par Robespierre. La culpabilité de la Veuve Capet ne fait aucun doute à ses yeux, malgré les preuves du contraire depuis près de vingt heures.
« Il a sur l’avis du Tribunal rédigé la série des questions de fait sur lesquelles les jurés ont eu à prononcer et les a remises aux jurés arrangées dans l’ordre qu’ils ont dû en délibérer, ainsi que l’acte d’accusation et autres pièces et procès verbaux, excepté les déclarations écrites des témoins.»
Voici les questions que le tribunal a arrêté de vous soumettre :
1° Est-il constant- qu’il ait existé des manœuvres et intelligences avec les puissances étrangères et autres ennemis extérieurs de la République ; les dites manœuvres et intelligences tendant à leur fournir des secours en argent, à leur donner l’entrée du territoire français et à y faciliter les progrès de leurs armes ?
2° Marie Antoinette d’Autriche veuve de Louis Capet, est-elle convaincue d’avoir coopéré à ces manœuvres et d’avoir entretenu ces intelligences ?
3° Est-il constant qu’il ait existé un complot et conspiration tendant à allumer la guerre civile dans l’intérieur de la République, en armant les citoyens les uns contre les autres ?
4° Marie Antoinette d’Autriche, veuve de Louis Capet est-elle convaincue d’avoir participé à ce complot et conspiration ?»
Herman

La première et troisième questions voient leur réponse positive. Oui, il y a eu des complots étrangers et en son sein afin de renverser la jeune république française.
Pour la deuxième et quatrième questions, sans aucun doute Marie-Antoinette a fortement contribué à alerter les puissances étrangères sur ce qui se passait en France, tout en multipliant ses agents politiques comme autant de chances de retourner la situation.

Seulement, elle a participé à ces tractations politiques du temps de la monarchie. En tant que Reine de France c’est son rôle de remettre son peuple insurgé dans le droit chemin (en tout cas celui qu’elle estime légitime).
Trahir ce principe aurait été se trahir elle-même et nier le sens de son mariage auquel elle se réfère tout le long de ce procès.
Et rappelons que les traces de ces agissements politiques ne sont pas à la disposition du tribunal.
Dans tous les cas, elle n’a jamais pu rien faire contre la république en tant que telle car depuis sa proclamation le 22 septembre 1792, Marie-Antoinette n’est en contact ni avec sa famille autrichienne, ni avec aucun agent politique, prisonnière depuis le 10 août 1792.
Donc d’un point de vue strictement historique la réponse est non.
Evidemment, le jury ne tient ni compte de la réalité chronologique ni de l’absence de preuves.
« Ce fait lesdits jurés se sont retirés dans leur chambre et le président a fait retirer l’accusée.
Le Tribunal composé comme dessus est resté à l’audience pendant la délibération des jurés.
Les jurés, après avoir resté environ une heure aux opinions, rentrent à l’audience et font une déclaration affirmative sur toutes les questions qui leur ont été soumises.Les jurés ayant fait avertir le Président qu’ils étaient prêts à donner leur déclaration, ils sont rentrés, et chacun ayant repris sa place le Président a appelé chacun des jurés ci devant nommés par leur nom, et les a interrogés l’un après l’autre sur les questions qui leur avaient été remises.
Le président prononce au peuple le discours suivant : « Si ce n’étaient pas des hommes libres, et qui par conséquent sentent toute la dignité de leur être, qui remplissent l’auditoire, je devrais peut-être leur rappeler qu’au moment où la justice nationale va prononcer, la loi, la raison, la moralité leur commandent le plus grand calme, que la loi leur défend tout signe d’approbation, et qu’une personne, de quelques crimes qu’elle soit couverte, une fois atteinte par la loi, n’appartient plus qu’au malheur
et à l’humanité ! »La déclaration du juré étant faite, l’accusée a été réintroduite et le Président lui a donné lecture de la déclaration du juré ; après quoi il lui a dit « Vous allez entendre les conclusions de l’accusateur public. »
L’accusée est ramenée à l’audience.
Le président à l’accusée.—Antoinette, voilà quelle est la déclaration du jury à votre égard.
On en donne lecture.
Vous allez entendre les conclusions de l’accusateur public.
Fouquier prend la parole et requiert que l’accusée soit condamnée à la peine de mort, conformément à l’article premier de la première section du titre premier de la deuxième partie du Code pénal, qui est ainsi conçu :
« Toute manœuvre, toute intelligence avec les ennemis de la France, tendant soit à faciliter leur entrée dans les dépendances de l’empire français, soit à leur livrer des villes, forteresses, ports, vaisseaux, magasins ou arsenaux appartenant à la France, soit à leur fournir des secours en soldats, argent, vivres ou munitions, soit à favoriser d’une manière quelconque le progrès de leurs armes sur le territoire français ou contre nos forces de terre et de mer, soit à ébranler la fidélité des officiers, soldats, et des autres citoyens envers la nation française, seront punis de mort. »Et encore l’article deux de la première section du titre premier de la seconde partie du même Code, lequel est ainsi conçu :
« Toutes conspirations et complots tendant à troubler l’Etat par une guerre civile en armant les citoyens les uns contre les autres, ou contre l’exercice de l’autorité légitime, seront punis de mort. »

Le principe de rétroactivité n’est pas envisagé par le tribunal révolutionnaire : Marie-Antoinette n’était pas coupable au moment des faits, ces lois n’existant pas alors. Peu importe, elle doit mourir.
Un peu avant minuit
Hermann avertit Chauveau-Lagarde et Tronson-Ducoudray
« Sous un quart d’heure les débats finiront; préparez votre défense.»
Pour répondre à tant de chefs d’accusation, les avocats n’ont qu’un quart d’heure !

dans Je m’appelais Marie-Antoinette (1993) de Robert Hossein
Tandis qu’ils se concertent à voix basse, le président demande à Marie-Antoinette :
« Ne vous reste-t-il plus rien à ajouter pour votre défense?»

dans Je m’appelais Marie-Antoinette (1993) de Robert Hossein
La Reine répond :
« Hier, je ne connaissais pas les témoins; j’ignorais ce qu’ils allaient déposer : eh bien personne n’a articulé contre moi aucun fait positif. Je finis en observant que je n’étais que la femme de Louis XVI et qu’il fallait bien que je me conformasse à ses volontés.»


Et tant pis si l’autorité légitime à ce moment c’était celle de son mari dont elle se réclame.
« Ce fait, l’accusateur public ayant été entendu sur l’application de la loi, ledit Président a demandé à l’accusée si par elle ou par ses conseils, elle n’avait rien à dire sur ladite application et sur son refus de prendre la parole, le Tribunal a opiné à haute voix son jugement de condamnation, le greffier a écrit le jugement et y a inséré le texte de la loi, lu par le Président qui a signé la présente minute avec le greffier.»
Herman, N. J. Fabricius.
« Le président interpelle l’accusée de déclarer si elle a quelque réclamation à faire sur l’application des lois invoquées par l’accusateur public. Antoinette secoue la tête en signe de négative; sur la même interpellation faite aux défenseurs, Tronson-Ducoudray prend la parole et dit : « Citoyen président, la déclaration du jury étant précise et la loi formelle à cet égard, j’annonce que mon ministère à l’égard de la veuve Capet est terminé. ».
Ce qui est très éloigné des propos postérieurs de Chauveau-Lagarde !
« Le président recueille les opinions de ses collègues et prononce le jugement suivant: « Le tribunal, d’après la déclaration unanime du jury, faisant droit sur le réquisitoire de l’accusateur public, d’après les lois par lui citées, condamne ladite Marie-Antoinette dite Lorraine d’Autriche, veuve de Louis Capet, à la peine de mort ; déclare, conformément à la loi du 10 mars dernier, ses biens, si aucuns en a, dans l’étendue du territoire français, acquis et confisqués au profit de la République ; ordonne qu’à la requête et diligence de l’accusateur public, le présent jugement sera exécuté sur la place de la Révolution de cette ville, imprimé et affiché dans toute l’étendue de la République. »
Le visage de la condamnée n’est nullement altéré.
On la reconduit en la maison d’arrêt de la Conciergerie.
Il est quatre heures et demie du matin.»
Et du point de vue de Chauveau-Lagarde qui conclue ainsi en 1816 :
« Bientôt les jurés rentrèrent à l’audience pour annoncer le résultat unanime de leur délibération . Nous fûmes ramenés par les gendarmes, au milieu desquels la Reine put encore nous apercevoir en arrestation , pour être présents à la lecture qu’on allait lui faire de l’épouvantable arrêt qui la condamnait: Nous ne pûmes l’entendre sans en être consternés : la Reine seule l’écouta d’un air calme, et l’on put seulement s’apercevoir alors qu’il venait de s’opérer dans son âme une sorte de révolution qui me parut bien remarquable. Elle ne donna pas le moindre signe, ni de crainte, ni d’indignation, ni de faiblesse. Elle fut comme anéantie par la surprise. Elle descendit les gradins, sans proférer aucune parole, ni faire aucun geste , traversa la salle, comme sans rien voir ni rien entendre : et lorsqu’elle fut arrivée devant la barrière où était le peuple, elle releva la tête avec majesté. N’est-il pas évident que jusqu’à ce moment terrible , la Reine avait conservé de l’espoir ? et n’y a-t- elle pas fait éclater en même temps le plus admirable de tous les courages , puisqu’il ne saurait y en avoir de plus grand que celui qui survit à l’espérance elle-même ?»

Marie-Antoinette a-t-elle conservé l’espoir malgré tout ? Devant le vide des témoignages et la nullité des preuves, il est évident qu’elle en ressort totalement innocente et s’accroche à ce fait évident, l’exprimant elle-même quelques heures auparavant.
Les rares seules preuves réellement à charge ne sont pas à disposition des juges et en plus anachroniques par rapport aux questions émises. Le reste n’est que bouffonneries.
Mais elle ne peut douter depuis longtemps, après la mort de son mari ou celle de la princesse de Lamballe, qu’on cherche tout simplement à l’assassiner avec un minimum de forme légale…



- Sources :
– CAMPAN Henriette, Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette
– CAMPARDON, Émile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863
– CHAUVEAU-LAGARDE, Note historique sur les procès de Marie-Antoinette d’Autriche, Reine de France et de Madame Elisabeth de France, Paris, 1816
– GIRAULT DE COURSAC, Paul et Pierrette, La Dernière Année de Marie-Antoinette, F-X de Guilbert, Paris, 1993, 140 p.
– GRANIER-DEFERRE Pierre, L’Autrichienne (1990), film avec Ute Lemper
– HOSSEIN Robert, Je m’appelais Marie-Antoinette, pièce de 1993
– WARESQUIEL, Emmanuel de, Juger la Reine, édition Tallandier, Paris, 2016, 364 pages.