Rosalie Lamorlière

ou le quotidien des derniers jours de Marie-Antoinette à la Conciergerie
Léa Gabriele était Rosalie Lamolière dans la pièce de Robert Hossein, Je m'appelais Marie-Antoinette (1993)

Le 19 mars 1768

Naissance de Rosalie, dont le vrai nom est Marie-Rosalie  Delamorlière. Elle n’est issue d’aucune noblesse. Son père, François Delamorlière (1738-1812) est cordonnier en Picardie. Sa mère s’appelle Marguerite Charlotte Vaconsin.

Rosalie a six frères et sœurs.

Le 16 mai 1770

Le mariage de Marie-Antoinette et du Dauphin est célébré dans la chapelle royale de Versailles.

Louis-Auguste, Dauphin de France par Louis-Michel Van Loo
Marie-Antoinette peinte vers 1770 par Joseph Ducreux

Le 10 mai 1774

Mort de Louis XV.

Le Dauphin devient Roi sous le nom de Louis XVI.

Louis XV par Armand-Vincent de Montpetit
Louis XVI d'après Duplessis

Le 7 février 1780

Décès de sa mère Marguerite Charlotte Vaconsin à Laucourt, dans la Somme.

A la révolution

Marie Rosalie Delamorlière laissera place à  Rosalie Lamorlière, effaçant ainsi toute connotation religieuse à son prénom et empêchant toute méprise quant à une appartenance quelconque à la noblesse que pouvait laisser sous-entendre la prononciation de son patronyme.

Du 16 au 18 janvier 1793

La Convention vote la mort du Roi.

Le 21 janvier 1793

Exécution de Louis XVI.

La jeune Rosalie sert  en qualité de femme de chambre madame Beaulieu, mère du célèbre comédien, lorsque Louis XVI fut condamné à périr sur l’échafaud. Madame de Beaulieu déjà infirme et souffrante manque mourir de douleur et à tous les moments , elle s’écrie :

«Peuple injuste et barbare, un jour tu verseras des larmes de désespoir sur la tombe d’un si bon Roi.»

Madame de Beaulieu meurt peu de temps après …Son fils alors donne de confiance la jeune Rosalie à Marie-Anne Richard ( née Barrassin), concierge de la Conciergerie.

La Conciergerie

Elle éprouve beaucoup de répugnance à prendre du service auprès d’un concierge de prison ; mais monsieur Beaulieu qui était bon royaliste, et qui défend, en qualité d’avocat, et toujours gratuitement, les malheureux du tribunal révolutionnaire, la prie d’accepter cette place où elle trouvera «l’occasion d’être utile à une foule d’honnêtes gens que la Conciergerie renfermait.»

« Madame Richard, (sa) nouvelle maîtresse, n’est pas aussi bien élevée que madame de Beaulieu, mais elle a assez de douceur dans le caractère; et comme elle a été marchande à la toilette, elle conserve dans tout son ménage et sur sa personne un grand goût de propreté».

Maddy Dubois dans le rôle de Rosalie Lamorlière dans La Dernière Étreinte (2018) d'Isabelle Toris

 

A l’époque, il faut beaucoup de présence d’esprit pour régir une vaste prison comme la Conciergerie; Rosalie ne voit jamais sa maîtresse embarrassée. Elle répond à tout le monde en peu de paroles; elle donne ses ordres sans aucune confusion; elle ne dort que des instants et rien ne se passe au dedans ou au dehors qu’elle n’en soit promptement informée. Son mari, Toussaint Richard, sans être aussi propre aux affaires, est pénible et laborieux. Peu à peu, Rosalie s’attache à cette famille , parce qu’elle voit qu’ils ne désapprouveraient pas la compassion que lui inspirent les pauvres prisonniers. Il faut cependant noter que madame Richard arrondit ses fins de mois en vendant les cheveux des condamnés à mort  …

Madame Richard dans Ils ont jugé la Reine d'Alain Brunard

Voilà donc comment Rosalie se retrouve en place pour pouvoir accueillir Marie-Antoinette en août 1793…

Le 1er août 1793

Dans l’après-dîner, madame Richard dit à Rosalie, à voix basse :

« Rosalie, cette nuit, nous ne nous coucherons pas; vous dormirez sur une chaise; la Reine va être transférée du Temple dans cette prison-ci.»

Aussitôt, madame Richard donne les ordres pour qu’on ôte monsieur le général Custine (1742-1793) de la chambre du conseil, afin d’y placer la princesse. Cette cellule est une petite pièce voûtée du rez-de-chaussée, basse et froide, toute suintante d’humidité. Elle prend jour par une fenêtre armée de lourds barreaux, située presque au niveau du sol de la cour des femmes. Le sol de sa chambre est carrelé de rouge en briques sur champ. Sur les murs, on aperçoit encore les lambeaux d’un vieux papier bleu à fleurs de lys jaunes, rongé par le salpêtre.

Un porte-clefs, Larivière, est dépêché vers le tapissier de la prison, Bertaud, et lui demande un lit de sangle, deux matelas, l’un de crin et l’autre de laine, un traversin, une couverture légère, un fauteuil en canne servant de garde-robe et un « bidet de basane rouge garni de sa seringle » ; le tout est neuf.

Léa Gabrielle dans Je m'appelais Marie-Antoinette (1993)
Albert Pilette fut Louis Larivière pour Robert Hossein dans Je m'appelais Marie-Antoinette (1993)

Madame Richard ajoute une table et deux chaises de paille. Elle permet à Rosalie d’apporter un tabouret d’étoffe venant de sa propre chambre.

On apporte ce petit mobilier dans la chambre humide que délaisse monsieur de Custine.

Le 2 août 1793, à deux heures quarante du matin

Marie-Antoinette est transférée de nuit à la Conciergerie.

« Il est trois heures du matin, quand Elle arrive dans sa nouvelle prison. Il fait très chaud cette nuit ; de son mouchoir, Elle essuie, à trois reprises, la sueur qui glisse sur son front.»

Rosalie Lamorlière

Arrivée de Marie-Antoinette dans Sa cellule dans la série de Guy-André Lefranc (1975)

Le guichetier Lui demande de décliner Son identité, Elle répond froidement :

« Regardez-moi.»

Elle devient la prisonnière n°280.  Elle est traitée avec une certaine bienveillance par une partie du personnel de la prison dirigée par la couple Richard, dont surtout Rosalie Lamorlière (1768-1848), leur servante.

On La conduit directement dans la chambre qui Lui est destinée, sans passer par le greffe. On L’écrouera dans sa cellule. Elle parcoure un long corridor noir qui donne sur une porte de chêne massive garnie de deux énormes verrous. Une grosse clé tourne bruyamment dans une vieille serrure et l’on entre. Marie-Antoinette découvre une jeune fille «extrêmement douce», c’est Rosalie Lamorlière, chargée du «manger particulier de la Reine.»

Marie-Antoinette commence à se déshabiller pour se mettre au lit, quand la servante s’avance timidement et offre de L’aider.

«Je vous remercie, ma fille, lui dit-elle avec douceur, mais depuis que je n’ai plus personne, je me sers moi-même.»

Il fait jour, quand madame Richard et Rosalie emportent les flambeaux.

Isabelle Toris est Marie-Antoinette dans La Dernière Etreinte

 

« Le 2 août, pendant la nuit, quand la reine arriva du Temple, je remarquai qu’on n’avait amené avec elle aucune espèce de hardes, ni de vêtements. Le lendemain, et tous les jours suivants, cette malheureuse princesse demandait du linge, et Madame Richard, craignant de se compromettre, n’osait lui en prêter, ni lui en fournir. Enfin, le municipal Michonis, qui, dans le cœur, était honnête homme, se transporta au Temple, et le dixième jour, on apporta du donjon, un paquet, que la reine ouvrit promptement. C’étaient de belles chemises de batiste, des mouchoirs de poche, des fichus, des bas de soie ou de filoselle noirs, un déshabillé blanc pour le matin, quelques bonnets de nuit, et plusieurs bouts de ruban blanc, de largeurs inégales.»

Rosalie Lamorlière, propos recueillis par Lafont d’Aussonne

Rosalie Lui prête un tabouret d’étoffe sur lequel Elle monte pour accrocher Sa montre à un clou rouillé planté dans la muraille.

Ute Lemper est Marie-Antoinette dans L'Autrichienne (1990) de Pierre Granier-Deferre
Géraldine Danon est Rosalie dans L’Autrichienne de Pierre Granier-Deferre (1992)

 

Le 2 août 1793 au matin

Marie-Antoinette se lève à sept heures, ce matin-là. Elle fait Sa toilette devant le petit miroir que Lui a prêté Rosalie.

Monsieur Richard Lui envoie, dès ce matin, la femme Larivière, ancienne concierge de l’Amirauté. Elle a près de quatre-vingt ans et Lui fait bonne impression. Pendant trente années, elle a été attachée à la Maison du duc de Penthièvre (1725-1793) pour lequel Sa Majesté avait une haute estime.

Pendant les quarante premiers jours, Rosalie n’a aucune fonction chez la Reine. Elle vient à Elle seulement avec  monsieur ou madame Richard pour apporter le déjeuner qu’on sert à neuf heures.

Géraldine Danon est Rosalie dans L’Autrichienne (1990) de Pierre Granier-Deferre
Léa Gabriele dans Je m'appelais Marie-Antoinette (1993)

Le dîner est généralement servi à deux heures, deux heures et demie après midi. Madame Richard met le couvert ( à cause d’une loi récente, elle avait caché son argenterie ; la Reine est donc servie avec des couverts d’étain… ), par respect, Rosalie se tient auprès de la porte… Mais Marie-Antoinette daigne y faire attention et lui dit « Approchez-vous, Rosalie; ne craignez pas.»

Madame Larivière, après avoir rapiéceté et recousu fort proprement la robe noire de la Reine (qui en a une autre blanche), est jugée peu propre à son emploi, on la remplacera donc par une jeune femme nommée Harel, dont le mari est employé aux bureaux de police. Marie-Antoinette qui a témoigné de la confiance et de la considération à la vieille madame Larivière ne juge pas la nouvelle personne aussi favorablement : Elle ne lui adressera presque jamais la parole.

Léa Gabriele et Caroline Sihol dans Je m'appelais Marie-Antoinette (1993)
Ute Lemper L'Autrichienne (1990) de Pierre Granier-Deferre

En août 1793

Grâce à Michonis Marie-Antoinette obtient qu’on Lui envoie du Temple un colis de la part de Madame Élisabeth contenant des chemises, deux paires de bas de soie noire, une cape et une paire de chaussures à la «Saint-Huberty», dont Elle avait besoin d’urgence, car les Siennes étaient pourries par l’humidité…

« Le matin, en se levant, elle chaussait de petites pantoufles rabattues, et tous les deux jours, je brossais ses jolis souliers noirs de prunelle, dont le talon, d’environ deux pouces, était à la Saint-Huberty.»

Rosalie Lamorlière

Ute Lemper L'Autrichienne (1990) de Pierre Granier-Deferre
Image de Marie-Antoinette (1975) de Guy-André Lefranc

Grâce à Lafont d’Aussonne, qui a recueilli le témoignage de Rosalie qui ne sait ni lire ni écrire, nous connaissons des traits du quotidien de Marie-Antoinette à la Conciergerie :

«Sa coiffure, depuis sont entrée à la Conciergerie, était des plus simples. Elle partageait ses cheveux sur le front, après y avoir mis un eu de poudre embaumée. Madame Harel, avec un bout de ruban blanc, les nouait avec force, et puis donnait les deux barbes de ce ruban à Madame, qui, les croisant elle-même, et les fixait sur le haut de sa tête, donnait à sa chevelure blonde la forme d’un chignon mouvant.»

Rosalie Lamorlière

Maddy Dubois et Isabelle Toris dans La Dernière Étreinte (2018)

« Madame Richard me permit de prêter ma petite glace à la reine. Je ne l’offris qu’en rougissant. Ce miroir, acheté sur les quais, ne m’avait coûté que 25 sous d’assignats ! Je crois le voir encore : sa bordure était rouge, et des manières de Chinois étaient peints sur les deux côtés. La reine agréa ce miroir comme une chose d’importance, et Sa Majesté s’en est servie jusqu’au dernier jour.»

Rosalie Lamorlière

Tant que madame Richard est en place, la Reine est nourrie avec soin et même distinction. On achète ce qu’il y a de mieux pour Elle ; et au marché trois ou quatre marchandes qui reconnaissent bien le geôlier, lui remettent en pleurant les volailles les plus délicates ou les plus beaux fruits…« pour notre Reine»

Anne Doat est Rosalie dans Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy

Marie-Antoinette mange avec assez d’appétit, Elle coupe Sa volaille en deux : pour Lui servir deux jours. Elle découvre les os avec soin. Elle ne laisse pas de légumes, qui Lui font un second plat. Son mets préféré est le canard. Lorsqu’Elle a terminé Son repas, Elle récite tout bas Sa prière d’action de grâces, se lève et marche, c’est pour les servants le signal du départ.

Géraldine Danon dans L'Autrichienne (1990)

Le 8 août 1793

Les administrateurs prennent la montre qu’Elle avait apportée d’Autriche à la Reine. Rosalie n’est alors pas auprès d’Elle mais madame Richard lui en parle car la Reine a beaucoup pleuré en livrant cette montre d’or.

Isabelle Toris dans La Dernière Etreinte (2018)

En arrivant du Temple, la Reine dispose encore de deux jolies bagues de diamant et Son anneau de mariage. Ces deux brillants sont , sans qu’Elle y pense, une sorte d’amusette pour Elle. Assise et rêveuse, Elle les ôte, les remet, Elle les passe d’une main à l’autre plusieurs fois dans un même moment.

Ute Lemper dans L'Autrichienne (1990)

Pendant le mois d’août 1793

«Lady Charlotte Atkins (1757-1836) parvient à gagner un officier municipal, qui consent à lui ouvrir les portes de la Conciergerie, à la condition qu’aucune parole ne soit échangée entre elle et la royale prisonnière. De plus , l’étrangère prendra le costume d’un garde national. C`est revenir aux temps de Drury Lane ! Elle promet tout et se contente d’offrir un bouquet à la Reine, mais sous l’empire de l`émotion intense qui l’étreint, au contact des regards de celle qu’elle n’a pas revue depuis Versailles, elle laisse tomber un billet qu`elle tenait dans sa main qui devait accompagner le bouquet. Le municipal allait s`en emparer quand, plus prompte que lui Madame Atkins se précipite, le ramasse et l’avale. On la met à la porte brutalement.»

Doit-on croire ce récit qui ressemble un peu trop à l’Affaire de l’Œillet?

Vers la mi-août 1793

Un jour, madame Richard amène dans le cachot de la Reine son plus jeune enfant , qui est blond, qui a des yeux bleus fort agréables, et dont la figure est charmante, qu’on appelle Fanfan. Marie-Antoinette, en voyant ce beau petit garçon, tressaille visiblement; Elle le prend dans Ses bras, le couvre de baisers et de caresses et se met à pleurer en parlant de Son Chou d’amour, qui est à peu près du même âge,  à Marie-Anne Richard et Rosalie. Marie-Antoinette pense nuit et jours à Ses enfants. Cette circonstance Lui fait un mal horrible.
Madame Richard dit à Rosalie qu’elle se gardera bien de ramener son fils dans le cachot…

Ute Lemper dans L'Autrichienne : la Reine reprisait Ses affaires qui pourrissaient dans la cellule humide.

Le 3 septembre 1793

Révélation du complot de l’ Œillet par le gendarme Gilbert :

Un royaliste, le chevalier de Rougeville ( 1761-1814) introduit dans la cellule de la Reine avec Michonis (1735-1794), un membre de la Commune, y avait laissé un message secret dissimulé au cœur d’un œillet. Elle y peut lire ces mots :

« J’ai des hommes et de l’argent »

Elle répond avec la pointe d’une épingle:

« Je suis gardée à vue, je ne parle à personne; je me fie à vous; je viendrai ».

L’affaire est tout près de réussir.

A l’heure fixée, sans doute accompagnée de Michonis et Rougeville, la Reine sort de son cachot, Elle traverse la pièce où sont les gendarmes, pénètre dans la loge du concierge, passe par deux guichets.    Hélas, à ce moment, pris de peur ou voulant faire payer plus cher sa complicité, Gilbert arrête la fugitive.

Malgré ses supplications, les promesses des deux sauveteurs, chuchotées dans la nuit, car le poste de garde est à deux pas, il se refuse obstinément à Lui laisser passer la grille.

 Images de Marie-Antoinette (1975) de Guy-André Lefranc

La malheureuse voit s’effondrer ainsi Sa dernière chance de salut.

Ute Lemper dans L'Autrichienne (1990)

Les concierges Richard, la femme de journée Marie Harel sont dans le secret. Monsieur Richard, son épouse et leur fils aîné sont mis en prison et au cachot, les uns à Sainte-Pélagie, l’autre aux Madelonettes.

Marie Harel ne reparaît plus.

La Reine semble être transférée dans une autre cellule (les avis divergent) et Ses conditions de détention sont durcies, mais on retire les deux gendarmes du cachot de la Reine. Il semble avoir été question de changer la Reine de cellule…  on envisagea de La transférer dans la pharmacie de la Conciergerie…. qui fut débarrassée.

Mais cela n’eut pas lieu…

La Veuve Capet par Jean-Louis Prieur
Marie-Antoinette dans Sa cellule de la Conciergerie par Benjamin Warlop

Voir cet article : 

Le 5 septembre 1793

La Terreur est mise à l’ordre du jour.

Image de Je m'appelais Marie-Antoinette (1993) de Robert Hossein

Le 11 septembre 1793

Le nouveau concierge Bault, qui vient de la prison de la Force, et sa femme traitent la prisonnière avec moins d’égards que leurs prédécesseurs. Rosalie, cependant, reste en place, comme cuisinière au service du concierge parce qu’il n’y a aucun sujet de se méfier d’elle.

Monsieur Bault répondra désormais sur sa tête de la personne de la Reine, lui seul aura à sa disposition la clef du cachot…

Lorsque Bault paraît pour la première fois chez la Reine, Rosalie l’accompagne, et Lui porte le potage ordinaire de Son déjeuner. Elle regarde Bault, vêtu d’un gilet-pantalon appelé Carmagnole, le col de sa chemise ouvert et rabattu et la tête découverte; ses clefs à la main, il se range près de la porte contre le mur.

La Reine ôte Son bonnet de nuit, prend une chaise et dit aimablement à Rosalie : « Rosalie, vous allez faire aujourd’hui mon chignon.»
En entendant ces paroles, le concierge accourt, se saisit du démêloir et dit tout haut , en repoussant Rosalie : « Laissez, laissez, c’est à moi à faire.»
Marie-Antoinette, étonnée, regarde Bault avec majesté : « Je vous remercie.» et se levant aussitôt, Elle ploie Ses cheveux Elle-même et pose Son bonnet.
En voyant servir Son nouveau dîner, la Reine s’aperçoit facilement que toutes choses, depuis l’affaire de l’œillet, sont changées. Mais jamais Elle ne laissera échapper aucune plainte.

Rosalie ne Lui apporte plus que Son potage et deux plats (tous les jours un plat de légumes et puis de la volaille en alternance avec du veau). Mais elle prépare cela de son mieux… La Reine, qui est d’une propreté, d’une délicatesse excessives, regarde le linge de Rosalie, toujours blanc, et par Son regard, semble la remercier de cette attention qu’elle a pour Elle. Quelque fois Elle présente Son verre pour que Rosalie Lui serve à boire. Marie-Antoinette ne boit que de l’eau de Ville-d’Avray, la seule qu’Elle supporte… et dont on a daigné La gratifier encore depuis qu’Elle est enfermée.

Chaque jour, la Reine se coiffe devant Bault et Rosalie, qui fait Son lit et qui ploie Sa robe sur une chaise.
Un jour Rosalie remarque la blancheur des cheveux de Marie-Antoinette, qu’elle ne voit que sur les tempes, ni sur le front, ni dans les autres cheveux… contrairement aux autres témoignages. On sait que cela est dû au retour traumatisant de Varennes… bien que Rosalie affirme que la Reine lui a parlé du trouble du 6 octobre 1789…

Image de L'Autrichienne (1990) de Pierre Granier-Deferre

La communion de la Reine

Le lendemain de cette incarcération, le 3 août 1793, M. Emery est, à son tour, transféré à la Conciergerie, venant des Carmes ; tout de suite, il apprend la présence de Marie-Antoinette et ne tarde pas à pouvoir correspondre avec elle : s’il ne trouve pas le moyen de l’approcher, il parvient du moins à lui faire remettre un billet laconique, ainsi conçu :

« Préparez-vous à recevoir l’absolution ; aujourd’hui, à minuit, je serai devant votre porte et je prononcerai sur vous les paroles sacramentelles..

À l’heure dite, en effet, le prêtre peut descendre de sa chambre, située à l’étage supérieur, s’approcher du cachot de la Reine et, à travers la porte, l’entendre soupirer, s’entretenir quelques instants avec elle, lui donner enfin l’absolution, — après quoi il s’éloigne, sans être inquiété.

La scène fut idéalisée par Michel-Martin Drolling :

La dernière communion de la Reine idéalisée par Michel-Martin Drolling

Comme on sait que les gendarmes Lamarche et Prudhomme reçurent tous deux la communion de l’abbé Magnin lorsqu’il l’administra à la Reine, cela s’est passé après le 5 septembre 1793, puisque c’est la date à laquelle ces deux gendarmes succédèrent à Gilbert et Dufresne.

Un jour, remerciant Bault, la Reine se détermine à se coiffer dorénavant Elle-même; Elle prend sur Sa table le rouleau de ruban blanc qui Lui reste et dit à Rosalie avec un air de tristesse qui émeut la jeune fille : lorsque le concierge et Rosalie sont dans le corridor, il se saisit du ruban et dit :

« Rosalie, prenez ce ruban et gardez-le toujours en souvenir de moi.»

« Je suis bien fâché d’avoir contrarié cette pauvre femme, mais ma position est si difficile qu’un rien doit me faire trembler. Je ne saurais oublier que Richard, mon camarade, est, ainsi que sa femme, dans un fond de cachot. Au nom de Dieu, Rosalie, ne commettez aucune imprudence, je serais un homme perdu.»

Le concierge Bault

Il ne sera désormais même plus possible à Rosalie de laisser à la Reine même un verre à Sa disposition après avoir desservi le couvert des repas.

Le goût de Marie-Antoinette pour les fleurs est une véritable passion. Dans le commencement, Rosalie en mettait de temps en temps sur la table de chêne…  Bault n’ose plus permettre cette douceur. Un forçat, nommé Barassin, est chargé d’enlever la garde-robe (la chaise percée), et, dans ces circonstances, la Reine demande à Rosalie de brûler du genièvre pour Lui changer l’air.

Léa Gabriele était Rosalie Lamorlière dans la pièce de théâtre de Robert Hossein Je m’appelais Marie-Antoinette (1993)

Début septembre 1793

On fait plusieurs visites de la chambre de la Reine: on ouvre Son tiroir, on fouille sur Elle-même, on culbute Ses chaises et Son lit. Les commissaires voient briller les diamants des deux bagues de la Reine, les Lui enlèvent. On Lui dit qu’elles Lui seront restituées quand tout sera fini…

Ute Lemper dans L'Autrichienne (1989) de Pierre Granier-Deferre

Ces visites générales ont lieu, désormais, dans Son cachot, à toutes les heures du jour ou de la nuit ; les architectes et administrateurs visitent à chaque instant la solidité des barreaux de fer et des murailles…

Le 17 septembre 1793

Loi des suspects

Le chagrin le mauvais air, le défaut d’exercice altèrent la santé de la Reine. Son sang s’échauffe, Elle éprouve de grandes hémorragies dont Rosalie s’aperçoit. Comme Marie-Antoinette lui demande secrètement des linges, la jeune fille coupe immédiatement dans ses chemises pour répondre aux besoins de la Reine, elle range alors ces linges dans Son traversin.
Robespierre envoie alors son propre médecin , le Docteur Joseph Souberbielle (1754-1846), à la Reine, pour éviter qu’Elle meurt calmement dans Sa prison … Il La soigne avec de «l’eau de poulet», un remède à la mode, «pour combattre Ses pertes de connaissance».

Début octobre 1793

Autant Marie-Antoinette a éprouvé de malaise pendant les chaleurs du mois d’août, autant Elle a désormais à souffrir du froid (notamment «un froid mortel aux pieds», le matin du 16 octobre…) et de l’humidité. Elle s’en plaint avec douceur, et Rosalie ne peut adoucir Sa souffrance. Le soir, elle ne manque pas prendre Sa camisole de nuit sous Son traversin, montant chez les concierges Bault chez lesquels elle vit, pour bien la réchauffer. Et puis, toute brûlante, elle la replace sous le traversin de la Reine, ainsi que son grand fichu de nuit. Marie-Antoinette remarque ces attentions de la fidélité respectueuse de Rosalie. Elle la remercie de Son regard plein d’affabilité. On ne Lui accorde ni lampe, ni flambeau, aussi, le soir, Rosalie prolonge-t-elle autant que possible le petit ménage du soir afin de La laisser un peu plus tard dans la solitude et l’obscurité.

Le 3 octobre 1793

La Reine est déférée au Tribunal révolutionnaire.

Maddy Dubois dans La Dernière Étreinte (2018)
Patrick Dogan est le lieutenant de Busne dans La Dernière Étreinte d'Isabelle Duthillier (2018)

Le samedi 12 octobre 1793

Deux heures après le coucher de Marie-Antoinette, les juges du tribunal révolutionnaire viennent Lui faire subir le grand interrogatoire.

Ute Lemper est Marie-Antoinette dans L’Autrichienne (1990)

Le président du Tribunal, Herman, proche de Robespierre, interroge Marie-Antoinette en présence de l’accusateur public Fouquier-Tinville, serviteur dévoué des autorités révolutionnaires. Les questions posées sont autant d’accusations implicites auxquelles la Reine répond par des dénégations.

Le dimanche 13 octobre 1793

Rosalie se désole de constater les inquiétudes de la Reine qui se promène rapidement dans Sa pauvre cellule.

Caroline Sihol incarnait la Reine dans Je m'appelais Marie-Antoinette de Robert Hossein

Au soir

Maître Chauveau-Lagarde se rend à la Conciergerie, s’entretient brièvement avec l’Accusée et prend connaissance de Ses interrogatoires et de l’acte d’accusation dressé par Fouquier-Tinville. Il relève que ce dernier retient trois principaux chefs d’accusation : la dilapidation des deniers publics avant la Révolution, intelligences et correspondances avec les ennemis de la République  et  conspirations et complots contre la sûreté intérieure et extérieure de la France.

Ute Lemper dans L'Autrichienne
Patrice Faucheux et Isabelle Toris dans La Dernière Étreinte d'Isabelle Duthillier (2018)

Le lendemain, les débats commencent.

Le lundi 14 octobre 1793

Marie-Antoinette comparaît devant le président Herman (1759-1795)

Herman dans L'Interrogatoire de Marie-Antoinette par Pierre Bouillon (détail)

Sachant qu’Elle va paraître devant Ses juges et le public, Marie-Antoinette donne un peu d’élévation à Ses cheveux. Elle ajoute aussi à Son bonnet de linon , bordé d’une petite garniture plissée, les deux barbes volantes qu’Elle conserve dans le carton que Lui a apporté Rosalie à Son arrivée à la Conciergerie; et sous ces barbes de deuil Elle ajuste proprement un crêpe noir, qui Lui fait une jolie coiffure de veuve. Elle porte Sa robe noire toute usée.

Marie-Antoinette par Kucharski telle qu'Elle est apparue devant Ses juges

La Reine, escortée par le lieutenant de Busne,  monte dès huit heures du matin à la salle des audiences pour y subir Son jugement… comme Rosalie ne L’a pas vue ce matin, il est à croire qu’ils La font monter à jeun.

Voici une vue de la grand chambre - elle est plus claire qu'à l'époque car lors de l'incendie un bâtiment situé derrière les fenêtre a brûlé

Une série de témoins défile sans apporter de preuves convaincantes de Sa culpabilité, et pour cause.

Le témoignage de Reine Millot dépasse toute commune mesure : que des ragots de Cour sans fondement.  elle aurait eu, dans les buanderies de Versailles, des confidences du duc de Coigny qui lui aurait affirmé que la Reine aurait fait passer deux-cents millions à Son frère l’Empereur d’Autriche et avait l’intention d’assassiner le duc d’Orléans grâce à deux pistolets chargés qu’Elle porte constamment sur Elle…comme n’en témoigne personne !

Reine Millot est interprétée par Isabelle Nanty dans L'Autrichienne (1990)

Durant les débats, la Reine a soif… c’est le lieutenant de Busne qui Lui apporte un verre d’eau.

Hébert accuse Marie-Antoinette d’avoir conspiré jusque dans sa prison. Il insiste sur la dépravation du petit Capet.

Calme, elle écoute les mots de mensonge et d’ordure qui veulent La souiller. Dégoûté sans doute, le président Herman n’ose relever l’imputation d’immoralité. Un juré ( Pierre-Antoine Antonelle?)  La rappelle :

« Citoyen président, je vous invite à vouloir bien observer à l’accusée qu’elle n’a pas répondu sur le fait dont a parlé le citoyen Hébert, à l’égard de ce qui s’est passé entre elle et son fils.»

La Reine alors se lève et, le bras tendu vers l’auditoire, Elle dit d’une voix plus haute et qui frappe les murs avant de frapper les cœurs :

« Si je n’ai pas répondu, c’est que la nature se refuse à répondre à une pareille question faite à une mère… J’en appelle à toutes celles qui peuvent se trouver ici.»

La Reine réprouve les ignobles accusations d'Hébert avec grandeur par Benjamin Warlop

Sans l’avoir cherché, Elle a atteint le sublime.

Dessin de Pierre Bouillon (1776-1831)

Vers les quatre heures après midi

Le concierge prévient Rosalie :

«La séance est suspendue pour trois quarts d’heure, l’accusée ne descend pas; montez vite , on demande un bouillon.»

Le bouillon de la Reine dans L'Autrichienne de Pierre Granier-Deferre

En réalité, Rosalie n’accède alors pas à la Reine car lorsqu’elle allait accéder à la salle où Elle se trouve, un des commissaires de police, Labuzière, lui arrache la soupière des mains et la donne à sa maîtresse, jeune, extrêmement parée et lui dit :

«Cette jeune femme a grande envie de voir la Veuve Capet; c’est une charmante occasion pour elle.»

Et cette femme de s’éloigner en portant le potage à moitié répandu…

Caroline Sihol dans Je m'appelais Marie-Antoinette (1993)

Un peu avant minuit

Hermann avertit Chauveau-Lagarde et Tronson-Ducoudray :

«Sous un quart d’heure les débats finiront; préparez votre défense.»

Pour répondre à tant de chefs d’accusation, les avocats n’ont qu’un quart d’heure !

Maître Tronson-Ducoudray est interprété par Christian Charmetant dans L'Autrichienne (1990) de Pierre Granier-Deferre

Tandis qu’ils se concertent à voix basse, le président demande à Marie-Antoinette :

«Ne vous reste-t-il plus rien à ajouter pour votre défense ? »

La Reine répond :

«Hier, je ne connaissais pas les témoins; j’ignorais ce qu’ils allaient déposer : eh bien personne n’a articulé contre moi aucun fait positif. Je finis en observant que je n’étais que la femme de Louis XVI et qu’il fallait bien que je me conformasse à ses volontés.»

Chauveau-Lagarde plaide pendant deux heures…

«Combien vous devez être fatigué,  monsieur Chauveau-Lagarde. Je suis bien sensible à toutes vos peines.»

 Son confrère et lui seront arrêtés au sortir de l’audience.

Images de Je m’appelais Marie-Antoinette (1993) de Robert Hossein 

Marie-Antoinette semble avoir encore confiance dans l’issue…

A quatre heures et quelques minutes

L’audience enfin est reprise.

«Antoinette, dit Hermann, voilà la déclaration du jury.»

Elle est unanime et affirmative sur toutes les questions. Fouquier-Tinville requiert alors la peine capitale.

Marie-Antoinette devant le tribunal (1851) par Paul Delaroche
Le procès de Marie-Antoinette par André Castaigne, 1901

A quatre heures et demie du matin

Ramenée à la Conciergerie, par le lieutenant de Busne, le chapeau à la main, cette marque de respect lui sera reprochée, il dira que c’était par commodité parce qu’il faisait chaud…

«Je vois à peine à me conduire.»

Il Lui offre l’avant-bras droit pour descendre l’obscur escalier de la prison. Elle reprend son bras pour descendre les trois marches glissantes du préau (le soir-même il est dénoncé alors que ce n’est que pour Lui éviter une chute ! ) .

Isabelle Duthillier était Marie-Antoinette (2018) dans La Dernière Etreinte

Elle mange un peu et demande de quoi écrire. Elle rédige cette lettre devenue célèbre qui ne parviendra jamais à Madame Elisabeth à qui Elle l’adresse…

« Ce 16 octobre, à quatre heures et demie du matin.C’est à vous, ma sœur, que j’écris pour la dernière fois. Je viens d’être condamnée, non pas à une mort honteuse, elle ne l’est que pour les criminels, mais à aller rejoindre votre frère. Comme lui innocente, j’espère montrer la même fermeté que lui dans ces derniers moment. Je suis calme comme on l’est quand la conscience ne reproche rien. J’ai un profond regret d’abandonner mes pauvres enfants; vous savez que je n’existais que pour eux et vous, ma bonne et tendre sœur. Vous qui avez, par votre amitié, tout sacrifié pour être avec nous, dans quelle position je vous laisse ! J’ai appris, par le plaidoyer mérite du procès, que ma fille était séparée de vous. Hélas ! la pauvre enfant, je n’ose lui écrire ; elle ne recevrait pas ma lettre; je ne sais même pas si celle-ci vous parviendra : recevez pour eux deux, ici, ma bénédiction.J’espère qu’un jour, lorsqu’ils seront plus grands, ils pourront se réunir avec vous, et jouir en entier de vos tendres soins. Qu’ils pensent tous deux à ce que je n’ai cessé de leur inspirer; que les principes et l’exécution exacte de ses devoirs sont la première base de la vie ; que leur amitié et leur confiance mutuelle en feront le bonheur.Que ma fille sente qu’à l’âge qu’elle a, elle doit toujours aider son frère par les conseils que l’expérience qu’elle aura de plus que lui, et son amitié pourront lui inspirer. Que mon fils, à son tour, rende à sa sœur tous les soins et les services que l’amitié peut inspirer : qu’ils sentent enfin tous deux que, dans quelque position où ils pourront se trouver, ils ne seront vraiment heureux que par leur union. Qu’ils prennent exemple de nous ! Combien, dans nos malheurs, notre amitié nous a donné de consolation ! Et dans le bonheur, on jouit doublement quand on peut le partager avec un ami. Et où en trouver de plus tendre, de plus cher que dans sa propre famille ? Que mon fils n’oublie jamais les derniers mots de son père, que je lui répète expressément : qu’il ne cherche jamais à venger notre mort.J’ai à vous parler d’une chose bien pénible à mon cœur. Je sais combien cet enfant doit vous avoir fait de la peine; pardonnez-lui, ma chère sœur; pensez à l’âge qu’il a, et combien il est facile de faire dire à un enfant ce qu’on veut, et même ce qu’il ne comprend pas. Un jour viendra, j’espère, où il ne sentira que mieux tout le prix de vos bontés et de votre tendresse pour tous deux. Il me reste à vous confier encore mes dernières pensées. J’aurais voulu les écrire dès le commencement du procès; mais outre qu’on ne me laissait pas écrire, la marche en a été si rapide, que je n’en aurais réellement pas eu le temps.Je meurs dans la religion catholique, apostolique et romaine, dans celle de mes pères, dans celle ou j’ai été élevée et que j’ai toujours professée, n’ayant aucune consolation spirituelle et à attendre, ne sachant pas s’il existe encore ici des prêtres de cette religion ; et même le lieu où je suis les exposerait trop, s’ils y entraient une fois.Je demande sincèrement pardon à Dieu de toutes les fautes que j’ai pu commettre depuis que j’existe. J’espère que dans sa bonté, il voudra bien recevoir mes derniers vœux, ainsi que ceux que je fais depuis longtemps pour qu’il veuille bien recevoir mon âme dans sa miséricorde et sa bonté. Je demande pardon à tous ceux que je connais, et à vous, ma sœur, en particulier, de toutes les peines que, sans le vouloir, j’aurais pu vous causer.Je pardonne à tous mes ennemis le mal qu’ils m’ont fait. Je dis ici adieu à mes tantes et à tous mes frères et sœurs. J’avais des amis; l’idée d’en être séparée pour jamais et leurs peines sont un des plus grands regrets que j’emporte en mourant; qu’ils sachent du moins que, jusqu’à mon dernier moment, j’ai pensé à eux ! Adieu, ma bonne et si tendre sœur; puisse cette lettre vous arriver ? Pensez toujours à moi; je vous embrasse de tout mon cœur, ainsi que mes pauvres et chers enfants : mon dieu ! qu’il est déchirant de les quitter pour toujours. Adieu, adieu! je ne vais plus m’occuper que de mes devoirs spirituels. Comme je ne suis pas libre dans mes actions, on ‘amènera peut-être un prêtre; mais je proteste ici que je ne lui dirai pas un mot, et que je le traiterai comme un être absolument étranger. »

Le mercredi 16 octobre 1793
A cinq heures du matin

Le rappel est battu dans toutes les sections: à sept heures toutes la force armée (quarante mille personnes !)  est sur pied et des canons sont placés aux extrémités des ponts, des places et des carrefours qui se trouvent entre le Palais et la place de la révolution.

Vers sept heures du matin

Rosalie descend chez la Reine et Lui demande si Elle a besoin de quelque aliment. En entrant dans le cachot où brûlent deux lumières, la jeune fille aperçoit un officier de gendarmerie assis dans l’angle de gauche. Marie-Antoinette est encore toute habillée de noir, étendue sur Son lit. Le visage tourné vers la fenêtre , Elle appuie la tête sur Sa main :

«Madame, vous n’avez rien pris hier au soir , et presque rien dans la journée. Que désirez-vous prendre ce matin?»

La Reine verse des larmes en abondance et répond :

«Ma fille, je n’ai plus besoin de rien , tout est fini pour moi. »

Rosalie se permet d’insister : les pleurs de la Reine redoublent mais Elle répond :

« Rosalie, apportez-moi un bouillon.»

Elle ne peut en avaler que quelques cuillerées… Rosalie constate alors que la Reine perd tout Son sang… Si on ne L’avait exécutée, Elle n’aurait pas tardé à mourir du cancer de l’utérus qui La terrasse depuis des semaines…

Vers huit heures du matin

Puis vient le moment où Elle désire changer de linge. On Lui a demandé de ne pas aller à la mort en deuil du Roi, ce qui serait provocateur… Alors, Elle sera en blanc, la couleur du deuil des Reines et revêtira le déshabillé qu’Elle porte habituellement le matin, une jupe blanche au dessus d’un jupon noir. Rosalie revient auprès de Marie-Antoinette pour L’aider à l’habiller. La Reine passe dans la ruelle laissée entre le lit et la muraille et abat Sa robe afin de changer de linge pour la dernière fois.

L’officier de gendarmerie s’approche et, se tenant auprès du traversin , regarde la Princesse se changer.

La Reine remet aussitôt Son fichu sur Ses épaules et, avec une grande douceur, Elle dit au jeune homme :

«Au nom de l’honnêteté, Monsieur, permettez que je change de linge sans témoin.
-Je ne saurais y consentir, répond brusquement le gendarme; mes ordres portent que je dois avoir l’œil sur tous vos mouvements.»

Alors Rosalie s’impose en paravent de la Reine pour Sa dernière toilette de représentation ultime.

La Reine soupire, passe Sa dernière chemise avec toutes les précautions et toute la modestie possibles, prend pour vêtement, non pas Sa longue robe de deuil qu’Elle avait encore devant Ses juges ( ce noir aurait été une provocation, qui pourrait soulever l’hostilité contre Elle, selon les instructions du concierge Bault), mais le déshabillé blanc qui Lui sert ordinairement de robe du matin, et déployant Son grand fichu de mousseline unie blanc, Elle le croise sous le menton. Elle porte un jupon blanc dessus, un jupon noir dessous, un ruban de faveur noué au poignet.

Le trouble que cause la brutalité à Rosalie ne lui permet pas de remarquer si la Reine a encore le médaillon du petit Roi. Rosalie remarque cependant que la Reine roule soigneusement Sa pauvre chemise ensanglantée dans une de ses manches comme dans un fourreau et puis sert ce linge dans un espace disposé entre l’ancienne toile à papier et la muraille…

Rosalie raconte que la Reine se rend à l’échafaud avec des chaussures couleur prune à la Saint-Huberty (du nom de l’actrice qui avait lancé le modèle), qu’Elle n’a pas déformés ni gâtés en Ses soixante-seize jours d’incarcération à la Conciergerie….  La couleur actuelle n’est pas vraiment «Prune» mais ce doit être à cause du temps…

Chaussure de Marie-Antoinette conservée à Caen
Chemise de la Reine à la Conciergerie

Rosalie La quitte pour toujours….

Pour aller à la mort, la Reine ne garde que le simple bonnet de linon, sans barbe ni marque de deuil. Marie-Antoinette est prête, Elle attend Ses bourreaux, en priant au pied de Son lit.

 Images de L’Autrichienne (1990) de Pierre Granier-Deferre

A neuf heures

Bault entre :

«Madame, il y a là un curé de Paris qui demande si vous voulez vous confesser.-Un curé de Paris? Il n’y en a guère … »

Le prêtre s’avance , vêtu en laïque, il s’incline et se présente:

«Madame, je suis l’abbé Girard, curé de Saint-Landry, dans la Cité, et je suis venu vous offrir l’aide de mon ministère…»

La Reine secoue la tête :

« Je vous remercie, je n’ai besoin de personne…
Mais que dira-t-on, Madame, lorsqu’on saura que vous avez refusé les secours de la religion dans ces suprêmes moments? 
Vous direz à ceux qui vous en parleront que Dieu y a pourvu dans Sa miséricorde.»

Rufus est l'abbé Girard dans L'Autrichienne (1990) de Pierre Granier-Deferre
La Reine et l'abbé Girard (Rufus) dans L'Autrichienne
L'abbé Girard

L’Abbé insiste encore :

«Ne voulez-vous pas que je vous accompagne? 
-Comme vous voudrez… »

Et sans plus se préoccuper de l’abbé, Elle retourne à Ses pensées et à Ses prières… L’abbé Girard constate que Marie-Antoinette grelotte… Elle a surtout froid aux pieds… Le prêtre assermenté Lui couvre donc les pieds avec  Son traversin.

A dix heures

Ce sont d’abord les juges qui arrivent et lisent à la Reine la sentence, en présence de Louis Larivière, le porte-clefs de la Conciergerie.

Le dernier matin de la Reine par Louis Marie Baader

«Cette lecture est inutile , je ne connais que trop cette sentence.
-Il n’importe, il faut qu’elle vous soit lue une seconde fois
. »

La lecture de la sentence par Edward Ward

Les pesantes formules n’en tombent pas moins de la bouche du greffier. Mais à peine a-t-Elle subi ce premier supplice d’un homme jeune et athlétique fait son entrée. C’est Henri Sanson, le fils de l’exécuteur qui, neuf mois plus tôt, a guillotiné Louis XVI. A lui revient aujourd’hui d’exercer l’office de bourreau. Il voudrait se montrer courtois, mais Hermann le rappelle à l’ordre : « Fais ton devoir !»

Il s’incline, demande à la condamnée de présenter ses mains.

« Oh ! mon Dieu ! Voulez-vous les lier ? On ne les a point liées à mon mari…
J’y suis obligé.»

Alors, comme elle esquisse une résistance, il lui saisit les deux bras qu’il attache fortement derrière le dos, à la hauteur des coudes. Puis, Sanson qui domine Marie-Antoinette de sa haute taille Lui enlève brusquement Son bonnet qu’Elle a mis tant de soin à arranger et armé d’une grosse paire de ciseaux, taille à grands coups les cheveux devenus blancs, mais où se devinent encore des reflets blond cendré.

La Reine croit qu’on va L’exécuter là à la hache… Sanson enfouit Sa chevelure dans sa poche, elle sera brûlé tout à l’heure… pour ne pas créer de reliques royales… De ses grosses mains, le bourreau replace le bonnet très haut sur la tête de la Reine. Des mèches coupées irrégulièrement encadrent la nuque dégagée.

« Je la quittai sans oser lui dire un mot d’adieu, ni lui faire une seule révérence, car je craignais de la compromettre ou de l’affliger. Je m’en allai dans ma chambre pour pleurer et prier pour elle.»

Rosalie Lamorlière

Les ultimes échanges de Rosalie (Véronique Leblanc) et Marie-Antoinette (Jane Seymour)
dans Les Années Terribles (1989) de Richard Heffron
Le départ de la Reine pour mourir dans Les Années Terribles de Richard Heffron

Rosalie quitte Marie-Antoinette sans oser Lui faire des adieux, ni une seule révérence, de peur de La compromettre et de L’affliger. Elle s’en va pleurer dans son cabinet et prier Dieu pour Elle. La Reine passe devant le porte-clefs :

« Larivière, vous savez qu’on va me faire mourir? »

Vers onze heures

La Reine sort de la Conciergerie.

«Ses augustes mains augustes lui avaient déjà été attachées dans le dos, lorsqu’elle se plaignit d’un besoin pressant qui obligea de les lui délier, et qu’elle satisfit dans un réduit obscur nommé «la souricière», dont l’entrée se trouve à l’angle gauche du greffe, après quoi ses mains, qu’elle tendit encore une fois, furent liées à nouveau.»

Le gendarme Léger

Sanson tient un bout de la corde qui lie les poignets de la Reine. Marie-Antoinette semble ainsi tenue en laisse comme une  chienne.

Marie-Antoinette monte les marche de la Conciergerie… Et c’est là qu’Elle ne peut réprimer une nouveau sursaut d’épouvante. Elle s’était imaginée qu’Elle serait transportée dans un carrosse semblable à celui qui avait emmené le Roi le matin du 21 janvier. Or c’est une grossière charrette qu’Elle aperçoit, une charrette destinée à véhiculer des ordures, crottée jusqu’à l’essieu et tirée par un cheval de laboure.

Image de L'Autrichienne de Pierre Granier-Deferre

Elle est saisie d’une faiblesse à la vue de la charrette…

La sortie de la Conciergerie de William Hamilton

Lorsque la Reine est sortie de la Conciergerie, le premier huissier du tribunal, accompagné de trois ou quatre personnes de son même emploi, vient quérir Rosalie chez le concierge et lui ordonne de le suivre dans le cachot. Il la laisse reprendre le miroir et le carton. Quant aux autres objets qui ont appartenu à Marie-Antoinette ils lui commandent de les serrer dans un drap de lit et ils emportent cette misérable dépouille.

Ute Lemper redonne vie au croquis de David dans L'Autrichienne de Pierre Granier-Deferre

A onze heures un quart

Le cortège funèbre se met en route… Assise du côté opposé au sens de la marche, Marie-Antoinette est flanquée à Sa gauche de l’abbé Girard qui ne dit mot, en à Sa droite du bourreau, tenant d’une main son tricorne, de l’autre la corde qui lie les bras de la Reine.

«Madame, Lui dit l’abbé Girard, voilà le moment de vous armée de courage.
– Du courage, il y a si longtemps que j’en fais l’apprentissage qu’il n’est pas à craindre que j’en manque aujourd’hui ! »

Le curé n’entendra plus la voix de la Reine…

L’acteur de théâtre, Grammont, mène le cortège, fait tournoyer son sabre en braillant :

«La voilà, l’infâme Antoinette, elle est foutue mes amis !»

«Portrait» de Marie-Antoinette, reine de France, conduite au supplice, dessiné à la plume par David, spectateur du convoi, placé sur la fenêtre de la citoyenne Jullien épouse du représentant Jullien (...) 15X10cm
Jacques-Louis David croquant le passage de la Reine allant à la mort depuis la fenêtre des citoyens Jullien.

Peu après Midi

La charrette arrive au pied de l’échafaud. Marie-Antoinette en monte les marche «à la bravade», avec légèreté et promptitude… dans Sa hâte, Elle marche sur le pied du bourreau …

«Faites excuses, Monsieur le bourreau, je ne l’ai pas fait exprès …»

A douze heures et quart

Exécution de Marie-Antoinette, place de la Révolution .

Les bourreaux chargent le corps dans une brouette et le déposent au cimetière de La Madeleine. On n’a préparé ni fosse, ni tombe. Pressé d’aller dîner, Sanson et ses valets laissent le corps, la tête entre les jambes à même l’herbe… Il sera jeté dans la même fosse commune que celle où est tombé celui de Louis XVI. On Le recouvre de chaux pour accélérer la décomposition.

Touchante évocation de Rosalie sur un vitrail de l'église de La Boissière-de-Montaigu

Après le 16 octobre 1793

« Le premier huissier du tribunal, accompagné de trois ou quatre personnes de son même emploi, vint me demander chez le concierge et m’ordonna de le suivre jusqu’au cachot. Il me laissa reprendre le miroir et le carton. Quant aux autres objets qui avaient appartenu à Sa Majesté, il me commanda de les serrer dans un drap de lit. Ils m’y firent ployer jusqu’à une paille qui se trouva, je ne sais comment, sur le pavé de la chambre, et ils emportèrent cette misérable dépouille de la meilleure et de la plus malheureuse Princesse qui ait jamais existé ! »

Gosselin Lenotre, La Captivité et la Mort de Marie-Antoinette

Le couple Richard est enfermé aux Madelonettes pendant six mois, accusé d’avoir été trop empressé après de la Citoyenne Capet. Madame Richard aurait été assassinée par un prisonnier que ses soins venaient de rappeler à la vie.

Son veuf retrouva sa place de concierge.

Sous Louis XVIII

Le  cachot de Marie-Antoinette est transformé sous la restauration en chapelle expiatoire … mais les lieux historiques sont bien présents, surtout les carreaux du sol.

La reconstitution du cachot avec les personnages a été faite dans l’ancienne pharmacie historique qui n’était pas utilisée à notre époque moderne.

Sosthène de La Rochefoucauld duc de Doudeauville (1785-1864), aide-de-camp du comte d’Artois, futur Charles X, proposa le premier, à la fin de l’année 1815, la création d’un monument expiatoire en mémoire du Roi Louis XVI et de la Reine Marie-Antoinette. Louis XVIII avait alors décidé d’élever à ses frais (3 millions de livres) une chapelle commémorative (l’adjectif « expiatoire » ne fut jamais employé officiellement). Il la commanda à Pierre-François-Léonard Fontaine qui poursuivait une carrière officielle commencée sous le Consulat qui ne devait s’achever que sous le Second Empire.

Le monument ESt élevé de 1815 à 1826. Pierre-François-Léonard Fontaine s’est adjoint les services de son élève Louis-Hippolyte Lebas (1782-1867) comme inspecteur, se séparant pour l’occasion de son acolyte Charles Percier qui n’approuvait pas le projet. Il construit notamment sur un jardin élevé de deux mètres une cour d’honneur bordée de cénotaphes dédiés aux gardes suisses tués en 1792, lors de l’arrestation du roi, cour qui mène au fond à la chapelle.

En 1862, les cyprès qui entouraient la chapelle ont été coupés, et un parc public (le square Louis-XVI) a été créé autour du complexe, remplaçant l’allée centrale qui menait à la chapelle et constituant une oasis de paix dans une ville animée. En mai 1871, la Commune exigea que la chapelle soit démolie, mais cette résolution n’a jamais été mise en vigueur.

Louis XVI soutenu par un ange, par Bosio
Statue de Marie-Antoinette agenouillée devant la Religion

La manifestation traditionnelle du légitimisme est la messe commémorative annuelle donnée le 21 janvier pour le repos de Louis XVI et Marie Antoinette à la chapelle expiatoire, dont les légitimistes ont obtenu la réouverture.

Rosalie ne se mariera pas mais elle aura une fille, Marie-Rosalie.

La signature incertaine de Rosalie. La jeune fille était pratiquement analphabète.

Le 2 février 1848

Décès de Rosalie Lamorlière. Inhumée dans une fosse commune au cimetière du Montparnasse. Le caveau familial de la fille de Rosalie se trouve au Père-Lachaise. Il s’agit de la tombe de sa fille et des membres de la famille de son époux, Antoine Lacroix.

Voici ce qui est gravé :

« A la MÉMOIRE de ma mère Rosalie DELAMOLLIERE dernière personne placée 76 jours auprès de feu la reine MARIE-ANTOINETTE Dans sa captivité Pour le besoin de tout son service Dont elle s’acquitta Avec douceur et respect Décédée le 2 février 1848 A l’âge de 80 ans
PRIEZ POUR ELLE »

Sources :

  • ANTOINETTHOLOGIE
  • CASTELOT, André, Marie-Antoinette, Perrin, Paris, 1953, 588 p.
  • CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793), archives de l’empire, Jules Gay, Paris, 1863, 352 p. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62159775.texteImage
  • LAFONT D’AUSSONNE, Gaspard-Louis, Mémoires secrets et universels des malheurs et de la mort de la reine de France, édition en ligne Gallica, Paris, 1824, 442 p. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k680395/f270.item#
  • LENOTRE GOSSELIN, Louis Léon Théodore, Le Vrai Chevalier de Maison-Rouge, A.D.J. Gonzze de Rougeville (1761-1814), librairie académique Perrin, Paris, 1894, 331 p.
  • https://histoire-image.org/etudes/halles-paris-travers-histoire
  • MISEROLE, Ludovic, Rosalie Lamorlière : Dernière servante de Marie-Antoinette (2010) ; Les éditions du Préau
  • SAPORI, Michelle, Rougeville de Marie-Antoinette à Alexandre Dumas, Le vrai chevalier de Maison-Rouge, éditions de la Bisquine, Paris, 2016, 383 p.

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