Le 21 janvier 1756
Claude-François Chauveau-Lagarde naît à Chartres, paroisse Saint-André, de Pierre Chauveau, maître perruquier, et de Marie Magdeleine Lagarde, après des études au collège de Chartres, il poursuit des études de droit à Paris. Les noms que porte l’avocat sont donc celui de son père et celui de sa mère….
D’un caractère aimable et enjoué, connu pour ses saillies, il fait des vers. Quand il raconte quelque anecdote, sa parole est vive, animée, ses yeux brillent avec éclat. Il est d’une grande modestie et plein de dévouement pour ses amis.
Le 8 août 1788
Louis XVI convoque les États-Généraux pour le 1er mai 1789.
En 1789
Déjà l’un des avocats les plus connus de Paris, Claude-François Chauveau-Lagarde se fait connaître du public :
1789 le remplit d’abord d’espoir et, quand les états généraux sont convoqués, il publie une Théorie des États généraux ou la France régénérée.
Le 5 mai 1789
Ouverture des États-Généraux.
Y sont réunis tous les protagonistes de la Révolution future…
Le 20 juin 1789
Serment du Jeu de paume
Le 14 juillet 1789
Prise de la Bastille.
La nuit du 4 août 1789
Abolition des privilèges.
Le 26 août 1789
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.
Sous la Révolution
Il continue à exercer sa profession sous le nouveau nom de défenseur officieux qu’on avait donné à l’avocat.
Son nom apparaît dans les listes des jugements civils dans la collection d’Aristide Douarche, Les Tribunaux civils pendant la Révolution.
Madame Roland, une des figures de la révolution française qui joue un rôle majeur au sein du parti girondin, pousse son mari, Jean-Marie Roland de la Platière (1734-1793), au premier plan de la vie politique de 1791 à 1793.
Le 21 janvier 1793
Exécution de Louis XVI.
Le 16 mai 1793
Il est l’avocat du général Francisco de Miranda 1750-1816)devant le Tribunal révolutionnaire, alors que ce dernier avait encore une certaine bonne volonté envers les accusés ; l’efficacité de son plaidoyer fait acquitter son client, un triomphe pour l’accusé et son avocat.
Pourtant, Marat dénonce Chauveau-Lagarde pour avoir fait libérer un coupable.
Le
Manon Roland (1754-1793) se laisse à son domicile; elle est incarcérée dans la prison de l’Abbaye. Détachée de la vie, libérée de la présence de son mari, elle ressent son arrestation comme un soulagement qu’elle décrit à Buzot dans une de ces pages de la correspondance passionnée et déchirante qu’ils échangent alors :
« Je chéris ces fers où il m’est libre de t’aimer sans partage».
En prison, elle est respectée par tous les gardiens et certains privilèges lui sont accordés. Elle peut ainsi avoir de quoi écrire et recevoir des visites occasionnelles de ses amis dévoués.
Le 3 juillet 1793
Louis-Charles, Louis XVII, est enlevé à sa mère et confié au cordonnier Antoine Simon (1736-1794).
Pendant une heure, la Reine lutte pour convaincre les cinq municipaux de Lui laisser Son fils… en vain…
Le 14 juillet 1793
On lui confia la défense de Charlotte Corday (1768-1793), qui avait assassiné Marat, la veille.
Dans son cas, l’issue du jugement ne fait aucun doute, il en est bien conscient. Il se limite à rappeler pour la défendre « l’exaltation du fanatisme politique » qui avait mis le couteau dans sa main.
Dans la nuit du 2 au 3 août 1793
Marie-Antoinette est transférée de nuit à la Conciergerie.
Le 5 septembre 1793
La Terreur est mise à l’ordre du jour.
Sous la Terreur
Chauveau-Lagarde se distingue par son courage moral: il doit défendre les Girondins modérés, en particulier Brissot (1754-1793), son compatriote de Chartres.
Le 12 octobre 1793 au soir
Deux heures après le coucher de Marie-Antoinette, les juges du tribunal révolutionnaire viennent Lui faire subir le grand interrogatoire secret destiné à préparer l’audience devant débuter le surlendemain.
Entourée de deux gendarmes et d’un huissier, Elle traverse la cour des hommes puis, par l’escalier Bonbec, pénètre dans la salle d’audience du Tribunal révolutionnaire. Cette «salle de la Liberté» (Grand’chambre) est la salle dans laquelle les Rois tenaient jadis leurs lits de justice. La Reine est invitée à s’asseoir sur une banquette, devant le bureau du jeune président du tribunal, Martial Joseph Armand Herman (1759-1795) qui fait office de juge d’instruction, et en présence de l’accusateur public Fouquier-Tinville (1746-1795).
Le 12 octobre 1793
Chauveau-Lagade est nommé, avec Tronson-du Coudray (1750-1798), défenseur pour la défense de la Reine dont le procès va commencer deux jours plus tard.
Le dimanche 13 octobre 1793
Au soir
Chauveau-Lagarde se rend à la Conciergerie, s’entretient brièvement avec Marie-Antoinette et prend connaissance de Ses interrogatoires et de l’acte d’accusation dressé par Fouquier-Tinville.
« En me présentant à la reine avec respectueuse dévotion, j’ai senti mes genoux trembler sous moi et mes yeux se remplir de larmes. Je ne pouvais pas cacher mon émotion, mon embarras était beaucoup plus grand que ce que je pourrais ressentir en étant présenté à Sa Majesté au milieu de sa cour, assise sur un trône et entourée des ornements précieuses de la royauté. Son accueil, majestueux et gentil à la fois, m’a mis à l’aise et m’a fait sentir, pendant que je parlais et qu’elle écoutait, qu’elle m’honorait de sa confiance.»
Il relève que ce dernier retient trois principaux chefs d’accusation :
la dilapidation des deniers publics avant la Révolution, intelligences et correspondances avec les ennemis de la République et conspirations et complots contre la sûreté intérieure et extérieure de la France. Après avoir visité le greffe du tribunal pour examiner les preuves présentées contre la Reine, Chauveau-Lagarde a réalisé que le mélange de documents nécessiterait des semaines pour être lu complètement.
« Lorsque j’ai informé la Reine qu’il n’y aurait pas eu de connaissance de tous ces documents en si peu de temps et qu’il était indispensable de demander une mise à jour pour nous donner le temps de les examiner, la Reine a demandé : « À qui devons-nous postuler pour cela ? »
Je craignais l’effet de ma réponse, et alors que je répondais à voix basse :
« À la Convention Nationale »,
la Reine, tournant la tête sur le côté, a dit : « Non, jamais !»
J’ai ajouté que nous devions défendre en la personne de Sa Majesté non seulement la Reine de France, mais aussi la veuve de Louis XVI, mère de ses enfants et belle-sœur de notre Princesse, cités avec elle dans l’acte d’accusation.
Cette dernière considération a gagné ses scrupules. Aux mots, sœur, épouse et mère, les sentiments naturels s’élevèrent plus que la fierté d’un souverain. Sans dire un mot, bien qu’il ait laissé échapper un soupir, la Reine a pris la plume et a écrit à l’Assemblée en notre nom, quelques lignes pleines de noble dignité dans lesquelles elle se plaignait de ne pas nous avoir donné suffisamment de temps pour examiner les preuves en revendiquant en notre nom la trêve nécessaire.»
« Il présente le document signé à Fouquier-Tinville, mais rien n’en est sorti ; son procès a commencé le lendemain matin.»
Devant l’étendue et la gravité de l’accusation, le défenseur ne recevra pas de réponse.
Le lendemain, les débats commencent.
Le lundi 14 octobre 1793
Marie-Antoinette comparaît devant le président Herman(1759-1795)
Une série de témoins défile sans apporter de preuves convaincantes de Sa culpabilité, et pour cause.
Marie-Antoinette ce jour-là est vêtue de Sa robe noire.
Le défilé de témoins continue toute la journée.
« Dix-neuvième témoin, Antoine Simon, âgé de cinquante-huit ans, demeurant rue des Cordeliers, à Paris et actuellement au Temple, cordonnier et gouverneur du fils Capet, lequel a déclaré connaître l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.»
« A l’instant l’accusateur public a représenté un paquet scellé du cachet de la Commune de Paris et de celui de l’accusée, à qui il a fait reconnaître lesdits scellés, et après qu’elle les a eu reconnu, l’accusateur public a requis et le Tribunal a ordonné que ledit paquet serait à l’instant ouvert par le greffier, ce qui ayant été fait, les objets qu’il renfermait ont été représentés à l’accusée qui les a reconnus pour lui appartenir, comme ayant été trouvés dans sa poche le deux août mil sept cent quatre-vingt-treize, dont suit l’état, savoir :
Un petit livret couvert de moire verte contenant huit feuillets, dont quatre gommés, sur le premier desquels sont écrites au crayon les adresses suivantes :
Bréguet quai de l’Horloge du Palais n° 65.
Divers papiers de peu d’importance, tels que mémoires de blanchisseuse, etc., etc.; un portefeuille en parchemin et en papier sur lequel se trouvent écrits les noms de diverses personnes, sur l’état desquelles le président interpelle l’accusée de s’expliquer ainsi qu’il suit :
— Quelle est la femme Salentin?
— C’est celle qui était depuis longtemps chargée de toutes mes affaires.
LE PRÉSIDENT. — De qui est ce portrait ?
— De madame de Lamballe.
Deux autres portraits de femmes.
LE PRÉSIDENT. — Quelles sont les personnes que ces portraits représentent ?
— Ce sont deux dames avec qui j’ai été élevée à Vienne.
— Quels sont leurs noms ?
— Les dames de Mecklembourg et de Hesse.»
On conçoit l’émotion ressentie par Marie-Antoinette devant tous ces souvenirs, les seuls objets à ses yeux les plus importants à amener lors de son transfert à la Conciergerie. Et devoir s’en justifier devant ces hommes frustres…
Se succèdent deux témoins beaucoup plus délicats pour Marie-Antoinette.
Hébert lance l’accusation d’inceste qui vaut à la Reine une réplique mémorable, le bras tendu vers l’auditoire, Elle dit d’une voix plus haute et qui frappe les murs avant de frapper les cœurs :
« Si je n’ai pas répondu, c’est que la nature se refuse à répondre à une pareille question faite à une mère… J’en appelle à toutes celles qui peuvent se trouver ici.»
« N’ai-je pas mis trop de dignité dans ma réponse ?
« Madame, répondis-je, soyez vous-même et vous serez toujours bien. Mais pourquoi cette question ?
« Parce que, dit la reine, j’ai entendu une femme du peuple dire à sa voisine : « Vois-tu comme elle est fière !»Extrait des Notes de Chauveau-Lagarde sur le procès de Marie-Antoinette
Cette remarque nous montre que la Reine espérait encore …
Le 15 octobre 1793
« Trente-troisième témoin. François Dangé, marchand épicier, âgé de quarante-six ans rue de la Roquette, lequel a déclaré qu’il connait l’accusée que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.
François Dangé, administrateur de police, dépose avoir été un grand nombre de fois de service au Temple, mais que jamais dans aucun temps il n’a eu ni dû avoir de conférences ni d’entretiens particuliers avec les détenues.
Le président. — N’avez-vous jamais tenu le jeune Capet sur vos genoux ; ne lui avez-vous pas dit : « Je voudrais vous voir à la place de votre père ?»
— Non.
— Depuis que l’accusée est détenue à la Conciergerie, n’avez-vous pas procuré à plusieurs de vos amis l’entrée de sa prison ?
— Non.
— Avez-vous ouï parler qu’il y ait eu du monde d’introduit dans la Conciergerie ?
— Non.
— Quelle est votre opinion sur l’accusée?
— Si elle est coupable elle doit être jugée.
— La croyez-vous patriote ?
— Non.
— Croyez-vous qu’elle veuille la République?
— Non.»
On passe à un autre témoin
« Trente-quatrième témoin. Jean Baptiste Michonis, âgé de cinquante-huit ans limonadier et administrateur de police demeurant à Paris rue de la Grande Friperie, lequel a déclaré qu’il connaissait l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.»
« Jean-Baptiste Michonis, limonadier, membre de la Commune du 10 août et administrateur de police, dépose qu’il connaît l’accusée pour l’avoir, avec ses collègues, transférée le 2 août dernier du Temple à la Conciergerie.
Le président, au témoin. — N’avez-vous pas procuré à quelqu’un l’entrée de la chambre de l’accusée depuis qu’elle est à cette prison ?
— Pardonnez-moi, je l’ai procurée à un nommé Giroux, maître de pension, faubourg Saint-Denis, à un autre de mes amis, peintre, au citoyen administrateur du domaine, et à un autre de mes amis.
— Vous l’avez sans doute procurée à d’autres personnes ?
— Voici le fait, car je dois et veux dire ici toute la vérité : le jour de la Saint-Pierre, m’étant trouvé chez un sieur Fontaine, où il y avait bonne compagnie, notamment trois ou quatre députés à la Convention, parmi les
autres convives se trouvait la citoyenne Tilleul, laquelle invita le citoyen Fontaine à venir faire la Madeleine chez elle, à Vaugirard; elle ajouta : « Le citoyen Michonis ne sera pas de trop. »
Lui ayant demandé d’où elle pouvait me connaître, elle répondit qu’elle m’avait vu à la mairie où des affaires l’appelaient. Le jour indiqué était arrivé, je me rendis à Vaugirard ; je trouvai une compagnie nombreuse. Après le repas, la conversation étant tombée sur le chapitre des prisons, on parla de la Conciergerie, en disant : La veuve Capet est là, on dit qu’elle est bien changée; que ses cheveux sont tout blancs. Je répondis qu’à la vérité ses cheveux commençaient à grisonner, niais qu’elle se portait bien. Un citoyen qui se trouvait là manifesta le désir de la voir ; je lui promis de le contenter, ce que je fis. Le lendemain, la Richard me dit : « Connaissez-vous la personne que vous avez amenée hier ? » Lui ayant répondu que je ne la connaissais que pour l’avoir vue chez un de mes amis : « Eh bien, me dit-elle, c’est un ci-devant chevalier de Saint-Louis ; » en même temps elle me remit un petit morceau de papier écrit ou plutôt piqué avec la pointe d’une épingle.
Alors je lui répondis : «Je vous jure que jamais je n’y mènerai personne. »
Le président, au témoin. — N’avez-vous point fait part à l’accusée que vos fonctions venaient de finir à la la Commune?
— Oui, je lui ai tenu ce discours-là.
— Que vous a répondu l’accusée?
— Elle m’a dit : « On ne vous verra donc plus; » je répondis : « Madame, je reste municipal, et pourrai vous voir de temps en temps. »
— Comment avez-vous pu, vous, administrateur de police, au mépris des règlements, introduire un inconnu auprès de l’accusée; vous ignoriez donc qu’un grand nombre d’intrigants mettent tout en usage pour séduire
les administrateurs ?
— Ce n’est pas lui qui m’a demandé à voir la veuve Capet, c’est moi qui le lui ai offert.— Combien de fois avez-vous dîné avec lui?
— Deux fois.
— Quel est le nom de ce particulier ?
— Je l’ignore.
— Combien vous a-t-il promis ou donné pour avoir la satisfaction de voir Antoinette ?
— Je n’ai jamais reçu aucune rétribution.
— Pendant qu’il était dans la chambre de l’accusée, ne lui avez-vous vu faire aucun geste?
— Non.
— Ne l’avez-vous pas revu depuis?
— Je ne l’ai revu qu’une seule fois.
— Pourquoi ne l’avez-vous pas fait arrêter ?
— J’avoue que c’est une double faute que j’ai faite à cet endroit.
Un juré. — Citoyen président, je dois vous observer que la femme Tilleul vient d’être arrêtée comme suspecte et contre-révolutionnaire.»
On est confondu devant tant de naïveté de la part de Michonis.
Un peu avant minuit
Hermann avertit Chauveau-Lagarde et Tronson-Ducoudray :
«Sous un quart d’heure les débats finiront; préparez votre défense.»
Pour répondre à tant de chefs d’accusation, les avocats n’ont qu’un quart d’heure !
« Citoyens jurés. Marie-Antoinette, ancienne reine de France, est devant vous accusée d’avoir conspiré chez elle et à l’étranger pour la chute des Français – avant et après la Révolution qui leur a donné la liberté. On pourrait supposer qu’une accusation aussi extraordinaire doit répondre par une défense tout aussi extraordinaire. Pourtant, ses avocats, dont je fais partie, n’étaient inculpés par le Tribunal qu’au moment où elle a comparu devant vous ; nous avons à peine eu le temps de parcourir les actes d’accusation qui constituent la base des accusations.
Quelle tâche épouvantable ! Quelle mission terrifiante ce serait pour un homme de conscience, si je n’étais pas rassuré par votre justice et votre intelligence. Heureusement, les débats de ce grand procès ont démontré que plus les accusations sont effrayantes, moins les preuves sont substantielles – du moins dans les domaines que j’ai été appelé à défendre.
En somme, citoyens jurés, vous a-t-on présenté la preuve que les accusés, avant la Révolution, ont dilapidé les finances publiques et épuisé le trésor en envoyant des sommes incalculables à l’Empereur ? Ou qu’elle est entrée en intelligence contre-révolutionnaire avec les ennemis de la République et les a informés des plans militaires discutés en Conseil ?
Je ne doute pas, citoyens jurés, que vous ne fassiez tous vos efforts pour vous prémunir contre un préjugé aussi dangereux pour la justice des innocents qu’honorable pour les républicains. L’accusée a eu la malchance d’être reine et cela seul rend les républicains méfiants. Vous pourriez être tentés, malgré vous, de laisser derrière vous cette impartialité qui convient à votre caractère sacré….
Je vous demande donc, citoyens, de mettre de côté ces préjugés et de vous limiter aux actes d’accusation qui vous sont présentés…»
Tandis qu’ils se concertent à voix basse, le président demande à Marie-Antoinette :
« Ne vous reste-t-il plus rien à ajouter pour votre défense? »
La Reine répond :
« Hier, je ne connaissais pas les témoins; j’ignorais ce qu’ils allaient déposer : eh bien personne n’a articulé contre moi aucun fait positif. Je finis en observant que je n’étais que la femme de Louis XVI et qu’il fallait bien que je me conformasse à ses volontés.»
« Le président annonce que les débats sont terminés.
Le Président à la fin de chaque déposition des témoins susdits a demandé à l’accusée si elle avait à y répondre.
L’accusateur public, les juges, les jurés, l’accusée et ses conseils ont fait telles observations et interpellations qu’ils ont jugé convenables.Fouquier, accusateur public, prend la parole et est entendu. Il retrace la conduite perverse de la ci-devant cour, ses machinations continuelles contre une liberté qui lui déplaisait et dont elle voulait voir la destruction à tel prix que ce fût, ses efforts pour allumer la guerre civile, afin d’en faire tourner le résultat à son profit en s’appropriant cette maxime machiavélique : Diviser pour régner. Ses liaisons criminelles et coupables avec les puissances étrangères, avec lesquelles la République est en guerre ouverte, ses intimités avec une faction scélérate qui lui était dévouée et qui secondait ses vues en entretenant dans le sein de la Convention les haines et les dissensions, en employant tous les moyens possibles pour perdre Paris, en armant les départements contre cette cité et en calomniant sans cesse les généreux habitants de cette ville, mère et conservatrice de la liberté ; les massacres exécutés par les ordres de cette cour corrompue dans les principales villes de- France, notamment à Montauban, Nîmes, Arles, Nancy, au Champ de Mars etc., etc.
Il regarde Antoinette comme l’ennemie déclarée de la nation française, comme l’une des principales instigatrices des troubles qui ont eu lieu en France depuis quatre ans, et dont des milliers de Français ont
été les victimes, etc., etc.
On entend dans le plus grand silence Chauveau et Tronson du Coudray, nommés d’office par le tribunal pour défendre Antoinette ; ils s’acquittent de ce devoir avec autant de zèle que d’éloquence.»
Témoignage de Chauveau-Lagarde :
« Lorsque les débats furent terminés , nous obtînmes un instant pour nous concerter, mon collègue et moi, sur le plan de nos plaidoiries.
M. Tronçon- Ducoudray se chargea de la défense sur l’accusation de la prétendue conspiration avec les ennemis de l’intérieur, et moi sur l’accusation de la prétendue conspiration à l’extérieur avec les puissances étrangères.
A peine étions-nous convenus de cette division, et nous étions-nous communiqué réciproquement les notes qui pouvaient avoir quelque rapport à la partie de la cause dont chacun de nous était chargé, qu’au bout d’un quart d’heure, nous fûmes rappelés à l’audience , et dès lors obligés de parler sans préparation.
Sans doute, quelque talent que développa M. Tronçon-Ducoudray dans sa plaidoirie, et quelque zèle que je pourrais avoir mis dans la mienne, nos défenses furent nécessairement au-dessous d’une telle cause, pour laquelle toute l’éloquence d’un Bossuet ou d’un Fénélon n’aurait pu suffire, ou serait restée, du moins, impuissante. Mais comme ici le Moniteur, et après lui quelques écrivains, soit par erreur , soit par toute autre cause, n’ont pas dit la vérité, il importe de la faire connaître. Il est des personnes qui se sont fait une fausse idée de la nature de nos fonctions de défenseurs, ainsi que de l’espèce de dévouement que nous mettions à bien remplir les devoirs qui nous étaient imposés, à cette époque désastreuse. Chargés de défendre la Reine, n’est-il pas vrai que ses défenseurs durent se bien pénétrer de la nature de leurs fonctions et de l’étendue de leurs devoirs ? C’est ce que nous avions fait, dès le principe, en acceptant notre mission ; c’est encore ce que nous fimes en ce moment difficile, en nous de mandant à nous -mêmes le genre de défense que nous allions employer.
Est-il juste de dire , ainsi que l’ont allégué bien légèrement quelques personnes aveuglées par la prévention, que, dès le principe, nous aurions dû conseiller à la Reine de garder le silence ? ou que du moins nous devions, après les débats, nous borner, pour unique plaidoirie, à récuser le tribunal avec toute l’horreur qu’il nous inspirait ?
Nous pensâmes, au contraire, que, sous les dehors d’une raison apparente et d’un courage affecté, c’eût été, de notre part, un acte de faiblesse et de folie. Avant que nous fussions chargés de la défense de la Reine, déjà la Reine venait de subir des interrogatoires auxquels elle avait cru devoir répondre, parce que, sans doute, elle s’était rappelé l’exemple du Roi lui-même qui n’avait point dédaigné de se défendre devant des hommes qui n’étaient pas plus en droit de juger Sa Majesté, que le tribunal de juger la Reine ; que, dès lors la Reine aura voulu, comme le Roi, confondre la calomnie, en montrant, à l’instar de Sa Majesté, un grand caractère ; et que du moment où le Roi qui, d’ailleurs, avait pour conseils la verité, le savoir, et le talent, réunis, n’avait pas cru que ce beau triomphe. de l’innocence sur le crime fût au -dessous de Sa Majesté, il n’était pas possible que la Reine le regardât comme un triomphe indigne d’elle. Or, était-il, après cela, permis à ses défenseurs d’abandonner une lutte dans laquelle la Reine même s’était engagée ? et s’ils l’eussent fait, sous le prétexte d’une récusation que les lois d’alors ne pouvaient pas admettre, et qui, par conséquent, n’aurait eu d’autre effet que de contrarier, sans nécessité, les vues de la Reine elle-même, et d’irriter contre elle ses bourreaux , quel reproche n’auraient ils pas mérité ? D’un autre côté, devaient-ils, en plaidant, faire éclater devant le tribunal toute l’indignation dont ils étaient pénétrés contre les lois révolutionnaires et leurs féroces exécuteurs ? Ce n’est que dans les chaires chrétiennes ou dans les livres de philosophie et de morale , que le devoir de l’orateur et de l’écrivain , est de faire entendre et de propager, sans aucune réserve et sans aucun ménagement, les vérités les plus terribles. Mais cette inflexibilité serait déplacée dans les tribunaux , ou plutôt elle y serait contraire aux devoirs d’un défenseur ; puisque la loi même qui nous charge des intérêts de l’innocence, nous impose en même temps l’obligation de ne rien dire qui puisse la compromettre. Or, assurément, un homme qui se serait oublié devant les prétendus juges de la Reine, au point d’y faire éclater en leur présence, le mépris et l’indignation qu’ils lui inspiraient, n’aurait fait qu’augmenter les dangers que courait l’innocence.»
Effectivement, impossible pour Marie-Antoinette et ses défenseurs de récuser ce tribunal qui ne présentaient pourtant à ses yeux qu’une bande d’ambitieux prêts à tout pour la détruire afin de mieux se maintenir au pouvoir. Mais comme son mari avant elle, il est de son devoir de prouver publiquement à tous son innocence, surtout face à tant de bêtises qui ne font que souligner sa grandeur.
« Quelles étaient donc alors nos véritables obligations, et quel fut le genre de défense que les circonstances et la raison nous permirent d’employer dans la cause de la Reine ?
Nous ne pouvions pas nous abandonner à ces élans de l’âme , auxquels nous avons coutume de nous livrer devant les tribunaux ordinaires , par notre confiance dans la justice, et par notre horreur pour la mauvaise foi, le mensonge et la calomnie.
Au contraire , nous étions obligés de comprimer en nous tous ces sentiments ; et, par cela même, notre mission n’en devenait que plus difficile. Le moyen principal et, pour ainsi dire, le seul que nous pussions employer était le raisonnement et nous épuisâmes en effet tous nos efforts pour détruire les prétendues preuves que nous avions à combattre .
Notre tâche était encore de confondre les témoins qui , dans ce tribunal horrible, étaient presque toujours vendus au parti révolutionnaire ; et c’est ce que nous fîmes avec soin mais non sans un grand danger, parce que nous ne pouvions faire usage de ces armes sans blesser l’orgueil des accusateurs, et exciter, par la force de la vérité, toutes les révoltes de leur conscience.»
En effet, comment défendre la Reine , sans pour autant provoquer ces hommes qui n’hésitent pas à se ridiculiser eux-mêmes ?
« Au reste , et dans toutes les occasions, nous cherchions à faire passer dans l’âme de ceux qui nous écoutaient la profonde conviction dont nous étions pénétrés nous-mêmes.
Nous avions l’expérience qu’il n’était pas impossible d’arracher à la mort des accusés dont la condamnation paraissait arrêtée d’avance : lors même que tout était perdu ou désespéré, notre horreur pour l’injustice, la force de l’évidence, l’intérêt que nous portions à la vertu et à l’innocence opprimée, tout cela suppléait en nous, autant qu’il est possible, à l’espérance elle même ; ou plutôt, comme nous étions alors identifiés avec l’accusé, nous partagions toutes ses émotions, et vous livrant, comme lui, par sentiment, à un espoir que la raison pouvait désavouer, nous parlions le même langage que si nous eussions eu la certitude de réussir ; et jamais nous n’avions eu cette douce illusion à un plus haut degré que dans la défense de la Reine et de madame Elisabeth de France, parce qu’aucune autre condamnation ne nous ayant jamais semblé plus injuste, plus barbare et même plus impolitique, il nous paraissait impossible que, malgré la perversité des temps, on se portât à un tel excès de barbarie.»
N’oublions pas que Chauveau-Lagarde écrit durant la Restauration !
« Tels étaient nos devoirs ; et telle fut notre conduite.»
(…)
« Ah ! je le demande : est-il aisé de se faire une idée de la situation où se trouva nécessairement l’âme des défenseurs prêts à plaider pour la Reine dans de telles circonstances, et devant de tels hommes ; surtout, lorsqu’ils n’avaient été chargés de cette mission que la veille des débats ; qu’ils n’avaient eu l’honneur de conférer avec la Reine qu’un instant ; qu’ils n’avaient pas même obtenu la permission d’examiner les pièces du procès qu’ils avaient été obligés de passer la nuit à se préparer, comme ils le purent, sur les seuls interrogatoires et l’acte d’accusation ; qu’ils venaient d’éprouver les angoisses et les fatigues d’un débat. de vingt heures consécutives ; et que , pour tant , je le répète , ils se trouvaient obligés de parler sans préparation ?
Le Moniteur du temps , et après lui, quelques écrivains, ont dit , sans parler de nos plaidoiries, que les défenseurs de la Reine avaient sollicité la clémence du tribunal. Ces expressions semblent annoncer, non seulement que nous n’aurions pas défendu la Reine, mais qu’au contraire nous l’aurions, en quelque sorte, reconnue coupable , puis qu’on n’a pas besoin d’implorer la clémence de la justice en faveur de l’innocence . Cela est faux : et comme une telle supposition outrage à la fois, et la Reine et ses défenseurs, il est juste de faire connaître , à cet égard, toute la vérité ; ou plutôt, je dirai que cela importe en quelque sorte, à l’honneur de la France elle -même; en ce qu’il ne faut pas que les étrangers et la postérité puissent croire , que dans les temps horribles où la Reine et madame Elisabeth ont été assassinées, elles aient péri sans défense ; ce qui serait la même chose , pour ne pas dire plus affreux encore, que les Français, qui furent chargés de les défendre , n’aient pas senti toute l’importance et toute la grandeur de la mission qui leur était confiée : elles auraient eu des milliers de défenseurs non moins dévoués , si on eût voulu les entendre. La vérité est donc, que ni la présence des bourreaux devant lesquels un mot, un geste, une réticence, pouvaient être un crime , ni l’appareil épouvantable de la mort, dont nous étions environnés ne nous ont fait oublier nos obligations ; mais qu’au contraire , nous combattîmes avec chaleur, avec énergie, et de toutes nos forces , tous les chefs de l’accusation , et que nous plaidâmes pendant plus de trois heures.
Je voudrais pouvoir me rappeler et reproduire ici, la belle défense de M. Tronçon de son plaidoyer improvisé, que l’impression, que je ressentis alors en l’entendant, je ne puis aujourd’hui rien en dire , si ce n’est que M. Tronçon y fut digne de lui-même ; et pour tous ceux qui auront connu son grand talent, je ne puis en faire un plus bel éloge. Hélas ! on sait qu’il a péri depuis à Sinnainarie , victime de la déportation qui avait eu lieu en fructidor. Pour moi , qui ai conservé toutes les notes fugitives sur lesquelles je plaidai, j’y vois que j’eus principalement à’ m’occuper. De ce qu’ils appelaient la dilapidation des finances qu’on reprochait à la Reine, en l’accusant d’avoir envoyé, de concert avec les frères du Roi , des sommes considérables à l’empereur Joseph. De ce qu’ils appelaient ses intelligences et correspondances, politiques avec les princes, ses frères, ainsi que de la communication, soi disant faite par elle, aux ennemis, de nos plans de campagne.
De ce qu’ils appelaient sa coopération à la déclaration de guerre faite au Roi de Bohême et Hongrie. De l’évacuation de la Belgique, dont on prétendait rendre la Reine responsable. Après m’être plaint , dans mon exorde, de ce que, sans nous accorder, le temps nécessaire pour l’examen des pièces, on nous forçait d’en reprendre, à l’improviste, une défense aussi importante ; et après l’exposition des griefs de l’accusation que j’avais à combattre , je dis : « Qu’au reste , dans ce procès tout extraordinaire, la postérité verrait avec étonnement, que, s’il y avait pour le défenseur quelque chose de difficile , ce n’était pas de trouver des réponses décisives , mais de rencontrer une seule objection sérieuse .
Ainsi, je n’eus pas de peine à prouver : Que l’évacuation de la Belgique était l’ouvrage du général qui commandait l’armée, et non de la Reine ; Qu’on ne pouvait pas imputer å la Reine la déclaration de guerre faite au Roi de Bohême et de Hongrie, lorsqu’il était de notoriété dans toute l’Europe, que cette déclaration avait en lieu contre l’opposition de la Cour elle même, et par suite d’une délibération prise dans le conseil et d’un décret exprés de l’assemblée législative ; Qu’il n’y avait aucune trace de la prétendue correspondance politique de la Reine, et beaucoup moins encore de la prétendue communication par elle faite de nos plans de campagne à ce qu’on appelait nos ennemis ; puisqu’à cet égard , on ne représentait aucune lettre, aucun écrit, aucun témoignage.»Maître Chauveau-Lagarde
C’est effectivement le seul point de l’acte d’accusation qui pourrait avoir un semblant de vérité. Oui, Marie-Antoinette a communiqué avec les puissances étrangères, afin de les appeler au secours. Certainement pas pour mettre l’Europe à feu et à sang.
Seulement, aucune lettre de cette correspondance politique de la Reine n’est montrée lors de ce procès, étant par définition à l’étranger. Donc une fois de plus, les juges de ce procès s’appuient sur des rumeurs et non sur des faits précis.
Chauveau-Lagarde plaide pendant deux heures …
Assurément, les défenseurs qui ont parlé de l’innocence et de la pureté de la Reine avec . cette profonde conviction , n’ont pas sollicité la clémence de ses prétendus juges.
« J’avais ainsi plaidé pendant près de deux heures , j’étais accablé de fatigue ; la Reine eut la bonté de le remarquer, et de me dire avec l’accent le plus touchant : « Combien vous devez être fatigué , M. Chauveau-Lagarde ! je suis bien sensible v à toutes vos peines ! » Ces mots , qu’on entendit autour d’elle, ne furent point perdus pour ses bourreaux. La séance fut un instant suspendue, avant que M. Tronçon-Ducoudray prît la parole. Je voulus en vain me rendre auprès de la Reine : un gendarme m’arrêta sous ses propres yeux. M. Tronçon-Ducoudray ayant ensuite plaidé , fut arrêté de même en sa présence ; et, dès ce moment, il ne nous fut plus permis de lui parler : Nous fûmes d’abord gardés et retenus dans le greffe en charte privée , pendant la délibération des jurés. Nous ne pûmes dès lors nous rendre auprès de la Reine durant cet intervalle de temps, ainsi que nous le lui avions promis : ce qui dut, sans doute , lui donner de vives inquiétudes sur l’issue de son procès, et ce qui fut pour nous un grand sujet d’amertume et de douleur.»
CHAUVEAU-LAGARDE, Note historique sur les procès de Marie-Antoinette d’Autriche, Reine de France et de Madame Elisabeth de France, Paris, 1816
« Citoyens jurés. Marie-Antoinette, ancienne reine de France, est devant vous accusée d’avoir conspiré chez elle et à l’étranger pour la chute des Français – avant et après la Révolution qui leur a donné la liberté. On pourrait supposer qu’une accusation aussi extraordinaire doit répondre par une défense tout aussi extraordinaire. Pourtant, ses avocats, dont je fais partie, n’étaient inculpés par le Tribunal qu’au moment où elle a comparu devant vous ; nous avons à peine eu le temps de parcourir les actes d’accusation qui constituent la base des accusations.
Quelle tâche épouvantable ! Quelle mission terrifiante ce serait pour un homme de conscience, si je n’étais pas rassuré par votre justice et votre intelligence. Heureusement, les débats de ce grand procès ont démontré que plus les accusations sont effrayantes, moins les preuves sont substantielles – du moins dans les domaines que j’ai été appelé à défendre.
En somme, citoyens jurés, vous a-t-on présenté la preuve que les accusés, avant la Révolution, ont dilapidé les finances publiques et épuisé le trésor en envoyant des sommes incalculables à l’Empereur ? Ou qu’elle est entrée en intelligence contre-révolutionnaire avec les ennemis de la République et les a informés des plans militaires discutés en Conseil ?
Je ne doute pas, citoyens jurés, que vous ne fassiez tous vos efforts pour vous prémunir contre un préjugé aussi dangereux pour la justice des innocents qu’honorable pour les républicains. L’accusée a eu la malchance d’être reine et cela seul rend les républicains méfiants. Vous pourriez être tentés, malgré vous, de laisser derrière vous cette impartialité qui convient à votre caractère sacré….
Je vous demande donc, citoyens, de mettre de côté ces préjugés et de vous limiter aux actes d’accusation qui vous sont présentés…»Maître Chauveau-Lagarde
« Combien vous devez être fatigué, monsieur Chauveau-Lagarde. Je suis bien sensible à toutes vos peines.»
Marie-Antoinette
Marie-Antoinette semble avoir encore confiance dans l’issue…
Son confrère et lui sont arrêtés au sortir de l’audience.
A quatre heures et quelques minutes
L’audience enfin est reprise.
Elle est unanime et affirmative sur toutes les questions.
« Antoinette, dit Hermann, voilà la déclaration du jury.»
Fouquier-Tinville requiert alors la peine capitale.
Et tant pis si l’autorité légitime à ce moment c’était celle de Son mari dont Elle se réclame.
« Ce fait, l’accusateur public ayant été entendu sur l’application de la loi, ledit Président a demandé à l’accusée si par elle ou par ses conseils, elle n’avait rien à dire sur ladite application et sur son refus de prendre la parole, le Tribunal a opiné à haute voix son jugement de condamnation, le greffier a écrit le jugement et y a inséré le texte de la loi, lu par le Président qui a signé la présente minute avec le greffier.»
Herman, N. J. Fabricius.
« Le président interpelle l’accusée de déclarer si elle a quelque réclamation à faire sur l’application des lois invoquées par l’accusateur public. Antoinette secoue la tête en signe de négative; sur la même interpellation faite aux défenseurs, Tronson prend la parole et dit : « Citoyen président, la déclaration du jury étant précise et la loi formelle à cet égard, j’annonce que mon ministère à l’égard de la veuve Capet est terminé. ».
Ce qui est très éloigné des propos postérieurs de Chauveau-Lagarde !
« Le président recueille les opinions de ses collègues et prononce le jugement suivant: « Le tribunal, d’après la déclaration unanime du jury, faisant droit sur le réquisitoire de l’accusateur public, d’après les lois par lui citées, condamne ladite Marie-Antoinette dite Lorraine d’Autriche, veuve de Louis Capet, à la peine de mort ; déclare, conformément à la loi du 10 mars dernier, ses biens, si aucuns en a, dans l’étendue du territoire français, acquis et confisqués au profit de la République ; ordonne qu’à la requête et diligence de l’accusateur public, le présent jugement sera exécuté sur la place de la Révolution de cette ville, imprimé et affiché dans toute l’étendue de la République. »
Le visage de la condamnée n’est nullement altéré. On la reconduit en la maison d’arrêt de la Conciergerie.
Il est quatre heures et demie du matin.
Et du point de vue de Chauveau-Lagarde qui conclue ainsi en 1816 :
« Bientôt les jurés rentrèrent à l’audience pour annoncer le résultat unanime de leur délibération . Nous fûmes ramenés par les gendarmes, au milieu desquels la Reine put encore nous apercevoir en arrestation, pour être présents à la lecture qu’on allait lui faire de l’épouvantable arrêt qui la condamnait: Nous ne pûmes l’entendre sans en être consternés : la Reine seule l’écouta d’un air calme, et l’on put seulement s’apercevoir alors qu’il venait de s’opérer dans son âme une sorte de révolution qui me parut bien remarquable. Elle ne donna pas le moindre signe, ni de crainte, ni d’indignation, ni de faiblesse. Elle fut comme anéantie par la surprise. Elle descendit les gradins, sans proférer aucune parole, ni faire aucun geste , traversa la salle, comme sans rien voir ni rien entendre : et lorsqu’elle fut arrivée devant la barrière où était le peuple, elle releva la tête avec majesté. N’est-il pas évident que jusqu’à ce moment terrible , la Reine avait conservé de l’espoir ? et n’y a-t- elle pas fait éclater en même temps le plus admirable de tous les courages , puisqu’il ne saurait y en avoir de plus grand que celui qui survit à l’espérance elle-même ?»
Ramenée à la Conciergerie, par le lieutenant de Busne, le chapeau à la main, cette marque de respect lui sera reprochée, il dira que c’était par commodité parce qu’il faisait chaud…
« Je vois à peine à me conduire.»
Il Lui offre l’avant-bras droit pour descendre l’obscur escalier de la prison. Elle reprend son bras pour descendre les trois marches glissantes du préau (le soir-même il est dénoncé alors que ce n’est que pour Lui éviter une chute ! ) .
Elle mange un peu et demande de quoi écrire. Elle rédige cette lettre devenue célèbre qui ne parviendra jamais à Madame Elisabeth à qui Elle l’adresse…
Le 8 novembre 1793
Madame Roland lui demande de préparer sa défense, qu’elle a l’intention de présenter elle-même devant ses juges. Tout de blanc vêtue, elle se présente devant le Tribunal révolutionnaire. Le procès se déroule entre neuf heures et deux heures et demie après midi, et la sentence est mise à exécution le soir même, en même temps qu’un autre condamné, Simon-François Lamarche (1754-1793), ancien directeur de la fabrication des assignats, accusé de s’être rendu aux Tuileries, auprès du Roi, le 9 août 1792.
La journée finit et déjà la brume légère et la cendre grise du crépuscule enveloppent les rues de Paris. Quand la charrette arrive devant Saint-Roch, des forcenés les accablèrent d’injures, leur montrant le poing et criant : « À la guillotine ! à la guillotine ! » sans paraître la troubler.
« J’y vais, citoyen… j’y vais !»
A 5 heures et quart du soir
Madame Roland aurait crié ces mots sur l’échafaud en se tournant vers la statue de la liberté qui ornait la place de la Révolution
« Liberté! Que de crimes on commet en ton nom! »
Le 11 novembre 1793
Chauveau-Lagarde défend Jean Sylvain Bailly (1736-1793) , ancien maire de Paris… ce procès est expédié par le Tribunal révolutionnaire du 9 au 10 novembre 1793, et la sentence exécutée le lendemain, après que la guillotine a été symboliquement transportée par les révolutionnaires de l’esplanade du Champ-de-Mars (à l’endroit même où les troupes de la Constituante avaient tiré sur les « Sans-Culotte » le 17 juillet 1791… sur son ordre !).
Comme les membres du condamné, glacés par la pluie et le froid, sont agités d’un tremblement involontaire, un spectateur lui dit :
« Tu trembles, Bailly ?
— Oui, répond le vieillard avec calme, mais c’est seulement de froid !»
En décembre 1793
Il a également à défendre Louis-Marie-Florent, duc du Châtelet (1727-1793).
Le 9 mai 1794
Il prend la défense de Madame Élisabeth (1764-1794), sœur de Louis XVI, sans être autorisé à voir sa cliente, qui n’est coupable que de sa naissance…
Robespierre et le comité du salut public n’ont pas eu un rôle simple… D’une part satisfaire les exigences de la nation… et d’autre part trouver les moyens de discréditer la «sainte du Temple» comme dit Monique de Huertas. Rien ne peut être prouvé et articulé contre elle, d’autant que personne n’y croirait… Madame Élisabeth n’est pas Marie-Antoinette aux yeux des français.
Par contre, on lui fait un premier interrogatoire proche de celui de la Reine… elle réfute tout et surtout le vol des diamants de la Couronne intervenu alors qu’elle était en détention … et c’est Chauveau-Lagarde qui est nommé pour conseil pour Madame Élisabeth…
Chauveau-Lagarde ne peut s’entretenir avec elle… on lui avait menti sur les dates… et est surpris de retrouver le jour même Madame Élisabeth dans la salle du tribunal positionnée de façon à ce que l’on ne voit qu’elle… d’ailleurs sur vingt-cinq prévenus, l’attention du procès ne porte que sur elle. Une fille de France c’est rare dans ce temple de justice déraisonnable où les accusés ne peuvent même plus se défendre…
« Avez-vous conspiré avec feu Tyran contre la sécurité et la liberté du peuple français ?
-Je ne sais pas à qui vous donnez ce titre, mais je n’ai jamais désiré que le bien des Français.
– Avez-vous entretenu une correspondance avec les ennemis intérieurs et extérieurs de la République, notamment avec les frères de Capet et les vôtres, et ne leur avez-vous pas fourni du secours et des armes ?
– Je n’ai connu que les amis de la France. Je n’ai jamais envoyé de secours à mes frères, et depuis le mois d’août 1792 je n’ai plus de nouvelles d’eux et je ne leur ai pas donné de mes nouvelles.
– Ne leur avez-vous pas envoyé des diamants ?
-Non.
– Je dois vous faire observer que votre réponse n’est pas exacte sur cette question des diamants, car il est notoire que vous avez fait vendre vos diamants en Hollande et dans d’autres pays à l’étranger, et que vous avez envoyé les bénéfices par vos agents à vos Frères pour aider pour qu’ils poursuivent leur rébellion contre le peuple français.
-Je nie le fait parce que c’est faux.»
Comme Fouquier-Tinville la qualifie de «sœur du tyran» , elle a le front de lui rétorquer:
« Si mon frère avait été ce que vous dites, vous ne seriez pas là où vous êtes, ni moi, là où je suis !»
On parle de dépenses, de «mauvaise vie», de ses diamants qu’elle fit passer à l’étranger, des mauvais traitements sur Louis XVII, de son art elle aussi de dissimulation… bref on cherche avant tout à la supprimer.
Le procureur général :
«N’avez-vous pas pansé et pansé vous-même les assassins envoyés sur les Champs Élysées par votre frère contre les braves Marseillais ?»
Madame Elisabeth :
«Je n’ai jamais su que mon frère envoyait des assassins contre qui que ce soit, peu importe qui. Bien que j’aie secouru quelques blessés, l’humanité seule m’a déterminé à panser leurs blessures ; Je n’avais pas besoin de connaître la cause de leurs maux pour m’occuper de leur soulagement. Je n’en fais aucun mérite, et je ne peux pas imaginer qu’on puisse en faire un crime.»
Chauveau-Lagarde , au regard de cette mascarade de procès aura une superbe plaidoirie…
«Au lieu d’une défense je n’ai plus à présenter pour la citoyenne Elisabeth que son apologie»
… ce à quoi Dumas rétorque
«Vous corrompez la morale publique»
… on le voit juger et condamner Madame Élisabeth était très dangereux car il n’y avait rien à articuler contre elle.
Le 10 mai 1794
Madame Elisabeth est exécutée sur la place de la Révolution.
Quand est instaurée la loi draconienne du 22 prairial an II , qui supprime pour les accusés le recours à un avocat, il se retire dans sa ville natale. Là Chauveau-Lagarde est arrêté, accusé de montrer trop d’indulgence envers les contre-révolutionnaires.
Son mandat d’arrestation spécifie qu’il doit comparaître devant le tribunal dans les trois jours, mais sa détention dure en fait six semaines, pendant lesquelles il reste très discret, et cela le sauve de la guillotine.
Après le 9 thermidor de l’an II (27 juillet 1794)
Il est remis en liberté.
Ses cosectionnaires l’élisent président de la section « l’Unité », la plus royaliste de la capitale.
Le 5 octobre 1795
Compromis par l’insurrection royaliste du 13 vendémiaire an IV, il est condamné à mort par contumace. Il se cache, attendant que le calme soit revenu assez longtemps, si bien que, quand il reparaît finalement, la sentence est annulée.
Sous le Directoire (1795-1799)
Après qu’on en soit revenu à un ordre plus normal, il reprend sa profession.
En 1797
Il est chargé de défendre l’abbé Charles Brottier (1751-1798), qu’il fait acquitter, comme ce fut le cas pour plusieurs royalistes accusés de conspiration.
En 1800
Son courage et son éloquence habituels ne lui permettent pas néanmoins d’obtenir l’acquittement pour les « ravisseurs » présumés de Clément de Ris, Auguste de Canchy et Jean de Mauduison.
Le 8 juillet 1806
Il est nommé avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation.
Il devient avocat au Conseil du Roi et président du Conseil de l’ordre des avocats.
Le 23 août 1814
Chauveau-Lagarde est nommé chevalier de la Légion d’honneur.
En 1816
Il assure la défense du général Jean-Gérard Bonnaire et publie une notice historique sur la vie de son client :
« Exposé simple et fidèle de la conduite du général Bonnaire, ex-commandant de la place de Condé, accusé d’avoir ordonné le meurtre du colonel Gordon, envoyé au nom du Roi somme parlementaire à Condé, et d’avoir participé à ce meurtre.»
En 1823
Madame Atkyns expose longuement sa difficile situation, ne réussissant pas à se faire rembourser les sommes qu’elle a avancées «pour sauver les augustes victimes des mains de leurs bourreaux rebelles, pour aider la famille de Bourbon à revenir sur le trône de Saint Louis, pour l’usage personnel des Princes français en exil”; elle donne le détail de ces sommes, et elle rappelle les dangers qu’elle a courus; elle relate dans le détail ses nombreuses démarches, et prie Stuart d’intervenir en sa faveur…
Reliée avec Claude-François Chauveau-Lagarde, avocat, défenseur de Marie-Antoinette, des Girondins, de Charlotte Corday, de Madame Élisabeth.
Le 3 août 1823
Chauveau-Lagarde écrit à Charlotte Atkyns pour lui relater l’entretien que lui a accordée Louis XVIII.
En 1826
Il est l’un des défenseurs de l’avocat François-André Isambert (1792-1857) poursuivi pour provocation à rébellion car dans un article publié le 14 septembre 1826 celui-ci avait écrit que les gendarmes isolés et les agents de la police administrative n’avaient pas le droit d’ordonner de leur propre chef l’arrestation d’un citoyen.
En 1824, 1825 et 1826
Il s’associe à son compatriote François-André Isambert, avocat, dans l’affaire des déportés de la Martinique, où ils ont notamment en charge la défense de Cyrille Bissette, Jean-Baptiste Volny et Louis Fabien.
(…)
Le 19 février 1841
Décès de Claude-François Chauveau-Lagarde.
Ses obsèques ont lieu le 22 février 1841(…). Il est enterré dans la première division du cimetière de Montparnasse à Paris.
Sources :
- Antoinetthologie
- CAMPAN Henriette, Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette
- CAMPARDON, Émile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 186p.
- CHAUVEAU-LAGARDE, Note historique sur les procès de Marie-Antoinette d’Autriche, Reine de France et de Madame Elisabeth de France, Paris, 1816
- DUTHILLIER Isabelle, La Dernière Etreinte (2018) , pièce de théâtre
- GIRAULT DE COURSAC, Paul et Pierrette, La Dernière Année de Marie-Antoinette, F-X de Guilbert, Paris, 1993, 140 p.
- GRANIER-DEFERRE Pierre, L’Autrichienne (1990), film avec Ute Lemper
- HOSSEIN Robert, Je m’appelais Marie-Antoinette, pièce de 1993
- WARESQUIEL, Emmanuel de, Juger la Reine, édition Tallandier, Paris, 2016, 364 pages.