Le premier octobre 1789
Les gardes du corps du Roi donnent un banquet en l’honneur du régiment de Flandre arrivé depuis peu pour contenir d’éventuelles émeutes parisiennes.
Le vin coule à flots et l’ambiance est assez débridée pour les deux cent six gardes attablés sur la scène.
Le Roi, la Reine hésitent à paraître à cette fête qui a lieu dans l’opéra inauguré lors de leurs mariage, en 1770. Les gardes ont alors entonné l’air de «Ô Richard, ô mon Roi» au milieu des vivats.
Cette sympathie devenue si rare depuis des mois émeut tant les souverains que le Roi, la Reine et le Dauphin, même, descendent rejoindre les convives. Dans l’euphorie générale, un Garde demande la permission de placer le petit Dauphin sur l’immense table en fer-à-cheval que celui-ci parcourt de bout en bout sans renverser le moindre verre. La famille royale fait le tour de la table, dit un mot aux uns et aux autres, puis rentre dans ses appartements.
L’alcool échauffant le cœur des militaires ceux-ci redoublent d’ardeur envers leur Roi et arrachent leurs cocardes tricolores pour les fouler aux pieds et les remplacer par des cocardes blanches, symboles de la monarchie ( j’ai aussi lu que ces cocardes étaient noires, à la couleur de la Reine…).
Le marquis de Lusignan (1753-1832) est le colonel du régiment de Flandre.
Pauline de Tourzel est présente dans une des loges de l’opéra :
« Par un mouvement spontané, tous les convives se levèrent, et, tirant leur épée, jurèrent de verser pour la famille royale jusqu’à la dernière goutte de leur sang. L’émotion était à son comble, et tout le monde pleurait. Ce spectacle fit sur moi une i:mpression que je ne peux rendre, et que rien n’a pu effacer. Je sentis que je m’unissais au serment de ces serviteurs fidèles, de ces braves officiers, et mon coeur se dévoua pour ma vie.»
Le Dauphin a fait part à sa mère de son « désir d’être le témoin.
– Mais vous ne saurez que dire à ces Messieurs
– Ne soyez pas en peine, Maman, je ne serai pas embarrassé».
« A peine tous les officiers furent-ils entrés que le jeune prince dit à ceux qui étaient au premier rang :
» Je suis, Messieurs, ravi de vous voir mais bien fâché d’être trop petit pour vous apercevoir tous« .
Puis, remarquant un officier qui était très grand : » Monsieur, lui dit-il, portez-moi dans vos bras pour que je voie tous ces Messieurs. »
Et il dit alors avec une gaieté charmante :
« Je suis bien aise, Messieurs, d’être au milieux de vous. »
Tous les officiers étaient transportés et attendris en voyant, dans un âge aussi tendre un enfant aussi aimable.»Madame de Tourzel
Le soir
Les gardes se portent sous les fenêtres du Roi, dans la cour de Marbre, chantent, festoient et crient «Vivent le roi ! » jusqu’à ce que Louis XVI paraisse une dernière fois à son balcon. Un aide de camp simule même la prise d’un bastion en escaladant ce balcon et en se revendiquant des «gardes royales».
En fin de soirée, toute cette foule se disperse et le château s’assoupit.
Dès le lendemain, les parisiens s’alarment de ce qu’ils qualifient d’ «orgie» et pensent que le Roi s’apprêtent à briser la révolution grâce à l’appui de ses troupes… Voilà ce qui va entraîner ce que nous connaissons comme les Journées d’Octobre…
Ce même jour, la décision de Philippe d’Orléans de tenter un coup de force contre Versailles pour obliger le Roi à venir à Paris étant prise, il reste à fixer une date exacte pour le départ des parisiens. Mirabeau vient d’annoncer , fin septembre , des événements graves sous huit à dix jours. Les partisans du prince s’emploient à préciser la chose lors de leurs conciliabules de Passy , dans la maison de monsieur de Boulainvilliers, «occupée par les enfants du duc d’Orléans» et par madame de Genlis. C’est un voisin de cette maison dont la terrasse donne sur la Seine, M. de Coulommiers, capitaine dans la cavalerie parisienne , qui, entre autres, atteste la tenue de ces réunions préparatoires.
La date retenue pour marcher sur Versailles sera le prochain lundi car , comme l’expérience le prouve, le dimanche convient à merveille pour échauffer les esprits. Mais comme les journées de juillet l’ont montré aussi , les partisans du prince pensent qu’il faudra deux ou trois jours pour parvenir au but.
Le lancement de l’insurrection exige des fonds importants. La chancellerie d’Orléans ayant de longue date préparé la chose _ l’émigration de Geoffroy de Limon à Ostende le confirme_, une somme de six ou sept millions arrive de Hollande pour les conspirateurs le jeudi Ier octobre. Cette somme est destinée « à payer le peuple pour l’exciter au soulèvement, et à payer le régiment de Flandre (…) alors à Versailles. Le comité de police de la ville de Paris parfaitement informé , laisse faire : la municipalité de Bailly ne saurait gêner l’action du Palais Royal.»
Le 5 octobre 1789
A sept heures du matin
Initialement, la journée du 5 octobre débute par un rassemblement sur la place de Grève, devant l’ Hôtel de Ville de Paris, pour interpeller la Commune de Paris, notamment sur une disette de pain qui touchait la capitale.
Malgré la pluie, les Parisiens… ou plutôt les Parisiennes_elles sont 7 à 8000, les « 8000 Judith» évoquées par Camille Desmoulins, avec parmi elles des hommes déguisés en femmes_, sont sur le pied de guerre, afin de «marcher sur Versailles», pour empêcher le Roi de s’enfuir à Metz, comme le bruit commençait à se répandre depuis l’arrivée du régiment
de Flandre. Elles sont conduites par le clerc d’huissier Maillard, l’un des vainqueurs de la Bastille.
Au début Olympe de Gouges et Théroigne de Méricourt ont regardé ces femmes avec sympathie, puis elle se sont rendu compte qu’elles étaient «colérées», comme on dit alors, c’est à dire hystérisées, et qu’elles étaient manipulées par des mots d’ordre de haine.
La route est longue de Paris à Versailles . Il s’agit d’une marche exaltée, irraisonnée qui mêle les mères de familles, les épouses à des mégères qui aiguisent leurs couteaux sur les bornes de la route en menaçant la vie de la Reine à laquelle on attribue les débordements du banquet des gardes du corps, d’être défavorable à la Révolution et de mal conseiller le Roi…
La route est longue de Paris à Versailles . Il s’agit d’une marche exaltée, irraisonnée qui mêle les mères de familles, les épouses à des mégères qui aiguisent leurs couteaux sur les bornes de la route en menaçant la vie de la Reine à laquelle on attribue les débordements du banquet des gardes du corps, d’être défavorable à la Révolution et de mal conseiller le Roi…
-J’en aurai une cuisse !
-J’en aurai des tripes ! vitupèrent-elles …
Et par moquerie elles comparent la famille royale à des boulangers , puisqu’en plus du Roi, c’est du pain qu’elles viennent réclamer :
–Allons chercher le boulanger, la boulangère et le petit mitron !
Vers quatre heures de l’après-midi
Versailles voit arriver les premières femmes …
A leur arrivée à Versailles en fin d’après-midi. Une délégation de parisiennes est aussitôt accueillie dans la salle des séances où elles siègent parmi les députés.
Le Roi non plus n’est pas au château, il chasse dans les bois de Versailles, non loin de la porte de Châtillon. Il vient d’inscrire soixante-quatorze pièces à son tableau de chasse lorsqu’accourt un messager, M. de Cubières. Louis XVI lui ordonne d’aller prévenir la Reine, puis, sans attendre sa voiture, descend à bride rabattue les pentes de Meudon. Déjà, les premières «dames» débouchent dans l’avenue.
« Étonnées de la rapidité de sa course, rapporte le comte d’Hézècques, elles le laissèrent passer.»
Marie-Antoinette, messe entendue, après avoir déjeuné, est au hameau de Son cher Trianon. Elle s’est enquise de la santé d’un mouton, a nourri les canards, puis les poissons chinois du petit étang, avant de déplorer que le ruisseau ne perdit de son eau.
Selon la légende, Elle se repose dans Sa grotte, assise sur le banc de mousse, un livre à la main… lorsque Monsieur de Cubières arrive à Elle pour La prévenir de revenir au château.
Se retourne-t-Elle alors en quittant Son univers qu’Elle ne reverra plus jamais?
Au château, la panique monte. Les ministres supplient le Roi de se réfugier à Rambouillet avec sa famille.
Il refuse.
Marie-Antoinette déclare alors :
«Je sais qu’on vient de Paris pour demander ma tête; mais j’ai appris de ma mère à ne pas craindre la mort, et je l’attendrai avec fermeté».
Vers cinq heures du soir
La foule investit la cité royale: des femmes envahissent l’Assemblée, d’autres tentent de se loger dans les auberges, mais la plupart des émeutiers s’installent sur la place d’Armes pour y passer la nuit.
À six heures moins le quart
A la requête de la fraction avancée, Monsieur Mounier (1758-1806), président de l’Assemblée, se rend chez le Roi pour demander une nouvelle sanction.
Fendant la foule dont une partie se presse contre les grilles, Mounier emmène avec lui six Parisiennes.
Louison Chabry est interprétée par Danièle Delorme dans Si Versailles m’était conté (1954)
Quand le Roi leur demande la raison de leur émeute, la plus hardie, mais la plus laide, nommée Louison Chabry, lui répond :
– Du pain.
Et elle s’évanouit.
Avec empressement, on apporte des sels à la malheureuse que le Roi embrasse. En repartant, les ambassadrices crient bien haut
«Vive le Roi!»
Qu’on se le dise enfin ( messieurs et mesdames les politiques !!!) , Marie-Antoinette n’a, alors, jamais parlé de brioche !!!!!
Voir cet article :
La nuit tombe. On apporte au Roi de graves nouvelles : La Fayette (1757-1834) marche sur Versailles avec 30 000 gardes nationaux.
Monsieur de Saint-Priest (1735-1821), ministre-secrétaire d’État de la Maison du Roi, revient à la charge et supplie le Roi de suivre ses conseils, de partir pour Rambouillet… Mais il est déjà trop tard : la grille des grandes écuries vient d’être forcée et la foule s’est jetée sur les voitures, coupant les harnais et s’emparant des chevaux.
A minuit
La Fayette, parti de Paris à cinq heures de l’après-midi, est enfin annoncé :
«Sire, j’ai pensé qu’il valait mieux venir ici, mourir aux pied de Votre Majesté, que de périr inutilement place de Grève.»
Et Marie-Antoinette de rétorquer :
«Monsieur de La Fayette veut nous sauver, mais qui nous sauvera de Monsieur de La Fayette?»
Le 6 octobre 1789
A deux heures du matin
« La Reine me fit dire à deux heures du matin qu’elle allait se coucher et qu’elle me conseillait d’en faire autant.»
Madame de Tourzel
Tout le monde décide d’aller se coucher… Le château s’assoupit pour quelques heures…
A cinq heures un quart du matin
Marie-Antoinette dort. Le bruit que font des gens sous Ses fenêtres La réveille.
Elle sonne, madame Nolle, veuve Thibault, que nous appellerons par ce dernier nom… ,
Sa première femme de chambre en quartier :
– Que se passe-t-il?
– Ce sont-là des femmes de Paris qui n’ont pas dû trouver à se coucher, répond madame Thibault.
Marie-Antoinette cherche à se rendormir…
A six heures du matin
Comme mus par un signal convenu, des dizaines de milliers d’hommes et de femmes se rassemblent en rangs serrés. Menaçante, la foule s’approche du château et un groupe s’engouffre dans la cour par la grille de la chapelle, restée mystérieusement ouverte.
L’admirable horloge de la chambre de la Reine égrène les notes frêles et délicates d’Il pleut, bergère…
Les gardes du corps sont débordés.
En envahissant le palais, ils désarment les deux suisses avant de monter l’escalier de marbre ( de la Reine).
La meute se dirige vers les appartements de la Reine ( comment en connaissent-ils la voie? On dit que le duc d’Orléans faisait partie de la foule pour la leur indiquer…) en hurlant.
Ils entrent dans la grande salle des gardes du corps, (aujourd’hui, la Salle du Sacre), puis dans la Salle des Gardes de la Reine, pendant que les soldats qui se trouvent dans la première pièce se replient dans l’antichambre donnant accès à l’aile du midi.
A l’entrée des appartements de la Reine, deux gardes françaises, François de Varicourt (vingt-huit ans) et Jean-François Pagès (trente-six ans) sont massacrés et décapités. Leurs têtes fichées sur des piques vont accompagner les barbares toutes la journées.
L’un des gardes, François Miomandre de Sainte-Marie (1760-1789), court jusqu’à la première antichambre. «Sauvez la Reine, on en veut à Ses jours !» a-t-il juste le temps de s’écrier avant de s’effondrer sous les coups des assaillants.
Elle se précipite dans le salon des Nobles où elle ferme le verrou. C’est le dernier rempart qui protège la Reine.
Voici ce qu’en dit le comte de Saint Priest, ministre-secrétaire d’État de la Maison du Roi:
« Cette canaille, à l’ouverture des grilles, se rua avec fureur dans la petite cour nommée «des princes», et soit par le grand escalier, soit par l’escalier de marbre, ces gens montèrent à l’appartement de la reine.
Le garde du corps en sentinelle, entendant du bruit, poussa la porte ; elle fut bientôt forcée et lui égorgé, ainsi qu’un de ses camarades, d’autres couchés tout habillés, furent saisis dans leurs lits ; mais cette expédition donna le temps aux valets de pied de la reine, qui veillaient dans l’antichambre, d’en assurer les portes avec des banquettes, des tabourets, et par leurs efforts réunis d’arrêter les assassins.
Une femme qui couchait dans la chambre de la reine la réveilla, elle n’eut que le temps de passer une robe et ses jupons et s’échappa par la communication qui existait entre l’appartement du roi et le sien, elle y passa pour se réfugier. Le roi a dit lui même, dans la suite, qu’il avait défendu à ses gardes de faire usage de leurs armes et il faut l’en croire, mais ceux-ci n’auraient été nullement blâmables en pareil cas de désobéir.
Ceux qui avaient saisis dans l’appartement de la reine furent conduits hors de la cour des ministres sur la place d’armes et allaient être égorgés lorsque La Fayette, qu’on avait été chercher, arriva et, à l’aide de quelques soldats des gardes françaises, fit relâcher ces victimes.»
« Les assassins n’ont plus que deux pièces à traverser pour atteindre la chambre de la Reine: la Salle des Gardes et le Salon où l’on dresse habituellement le grand couvert, celui de la Reine.»
Madame Auguié court immédiatement dans la chambre où la Reine se réveille.
« Les femmes de la suite de la Reine, Mesdames de Jarjayes, Thiebault et Auguié ( la sœur de Madame Campan), qui ont veillé toute la nuit, ferment à double tour les portes de la Salle des Gardes et des deux Antichambres, avant de réveiller la Reine. qu’elles arrachent à demi-vêtue (Madame Thiebault Lui passe une jupe et Elle se trouve dans l’appartement du Roi en tenue du matin très modeste… Elle se changera pour partir vers Paris) . et Lui font emprunter, en toute hâte, le passage secret à la tête du lit de Sa chambre officielle qui conduit chez le Roi.»
Aussitôt, Marie-Antoinette s’échappe par Ses Cabinets Intérieurs, par la porte à gauche de la tête de Son lit.
Suivons donc la Reine dans Sa fuite :
Elle arrive par la porte centrale de la photo suivante dans l’Œil de Bœuf :
Or… Angoisse!!! La porte est fermée… Il faut à la Reine et Ses femmes attendre quelques minutes terribles avant qu’un domestique, Louis-Antoine Marquand, garçon de garde-robe, ne les entende frapper… … quel n'(est) pas son étonnement en voyant sa souveraine à moitié nue, se dérobant aux coups des assassins!
Lorsque la Reine est enfin sauve, nouvelle angoisse ! Le Roi n’est pas là :
il a emprunté le passage du Roi pour aller secourir son épouse…
Cosme-Joseph de Saint-Aulaire, le chef de brigade des gardes-du-corps en service, entre dans la chambre du Dauphin et avertit Madame de Tourzel que le château et envahi :
« Je me levai précipitamment et je portai sur le champ Mgr le Dauphin chez le Roi qui était alors chez la Reine.»
Madame de Tourzel
A ce moment-là, les Enfants de France avec madame de Tourzel arrivent par l’escalier d’entresol. Toute la Famille Royale est censée ce retrouver dans le Salon de l’Œil-de-Bœuf. Mais le Roi n’y est pas. Il a pris un autre chemin.
« Ma mère me fit coucher dans son appartement : vers cinq heures du matin, j’entendis les portes s’ouvrir vivement. La Reine parut. Elle était à peine habillée et avait l’air très effrayé. Elle prit Madame, l’emmena et demanda à ma mère de monter , sans perte de temps, Monseigneur le Dauphin chez le Roi
Malgré son agitation, la Reine remarqua mon trouble Bonne, comme toujours, elle me fit un geste de la main : « N’ayez pas peur, Pauline, restez tranquille« , me dit-elle.»Pauline de Tourzel, plus tard comtesse de Béarn
Le Roi a pris le passage secret qui passe sous sa chambre. Il regarde par la fenêtre qui donne sur la Seconde Antichambre du Dauphin si ses enfants sont là. Ils n’y sont pas.
Revenons sur cet imbroglio qui aurait pu être fatal à Louis XVI : empruntons ce passage dont Mercy a suggéré la création en 1775, afin de faciliter à Louis XVI les visites nocturnes à sa femme. D’un tempérament timide , Louis XVI souhaite rester très discret sur ses allées et venues chez Marie-Antoinette : il ne veut tout simplement pas que l’on sache qu’il va coucher chez Elle. Jusqu’en 1775, le trajet habituel pour se rendre de la chambre à coucher du Roi (qui correspond à l’actuelle chambre de Louis XV et Louis XVI) à celle de la Reine passe inévitablement par le cabinet du conseil, la grande chambre de parade (actuelle chambre de Louis XIV), l’antichambre de l’Œil-de-Bœuf où l’on emprunte alors un petit passage qui court dans la doublure de la Galerie des Glaces.
Mais avant d’y parvenir, le Roi ne manque pas de rencontrer toutes sortes de gardes, de garçons de la chambre, et d’autres officiers dédiés à son service et à sa sécurité. La discrétion est donc loin d’être assurée…surtout lorsque la Reine a fermé Sa porte à clef et qu’il faut à Louis XVI rebrousser chemin…
Ce passage est donc un corridor biscornu qui s’étend sur près de soixante-dix mètres dans les entrailles invisibles du château…
Le passage secret de Louis XVI
( texte et illustrations de Christophe Duarte ; Versailles – passion )
Beaucoup plus pudique que ces prédécesseurs, Louis XVI ne supportait pas de traverser toutes les antichambres pour rejoindre la Reine dans sa chambre.
En 1775, il fait aménager un passage discret dans l’épaisseur des murs du château qui démarre depuis l’escalier semi-circulaire et qui arrive à l’arrière de la chambre de la Reine.
Il passe sous le Cabinet du Conseil, la grande chambre, l’antichambre de l’Œil-de-Bœuf et la galerie des Glaces.
C’est par ce passage qu’il se rendra chez la Reine qui est déjà dans la sienne.
A droite, l’escalier menant à l’appartement de la Reine,
à gauche l’escalier descendant à l’Appartement du Dauphin
et à l’extrême gauche l’appartement de Madame de Tourzel :
Le Roi prend l’escalier d’entresol pour arriver chez la Reine :
Les émeutiers s’arrêtent à la porte de la chambre de la Reine, quelqu’un leur ayant dit que la Reine n’était plus chez Elle. C’est à ce moment qu’ils se précipitent dans l’autre sens, vers l’appartement du Roi, pour essayer de La «récupérer» à la sortie…
Sans cela, Louis XVI aurait été pris au piège !
Étant rentré dans la chambre, le Roi n’y trouve que des gardes du corps qui lui disent que la Reine est déjà partie.
La Fayette conduit la famille royale dans la chambre du Roi.
Au moment où la Reine arrive enfin chez Son mari après avoir failli être assassinée, Madame de Tourzel amène de toute urgence le petit Dauphin de quatre ans accompagnée du garde de corps attaché à sa personne, monsieur de Sainte-Aulaire. la gouvernante n’a eu que le temps d’avertir la jeune princesse. Marie-Antoinette ne voyant pas sa fille, repart par des couloirs et escaliers dérobés communiquant entre les appartements du Roi, de la Reine et de leurs enfants.
Découvrant, au passage, les filles de madame de Tourzel cloîtrées dans l’appartement de leur mère, dans un entresol communiquant avec celui de la Reine, Marie-Antoinette les prévient de se rendre aussitôt chez le Roi et y ramène enfin Marie-Thérèse.
A sept heures du matin
Toute la Famille Royale finit enfin par se retrouver dans la chambre de parade du Roi, qui donne sur la cour de marbre envahie par la populace…
Monsieur de Saint-Aulaire, chef de brigade des gardes du corps entra dans la chambre du Dauphin et avertit que le château était investi. Madame de Tourzel se leva immédiatement et porta le prince chez le Roi qui était alors avec la Reine : Marie-Antoinette avait prescrit en se couchant «qu’en cas de troubles, les Enfants soient conduits non pas chez Elle mais chez le Roi»…
Les membres de la famille royale et les ministres arrivent, les uns après les autres, chez le Roi, escortés par des gardes parisiens. Monsieur paraît d’abord, « paré, poudré, revêtu de toutes de ses décorations, l’air fort calme».
Madame de la Tour du Pin parle, elle aussi, des journées d’octobre dans ses mémoires. «Les fenêtres des appartements de Mesdames, situés au rez de chaussé, avaient été brisées et les émeutiers étaient arrivés jusqu’aux appartements du ministre de la guerre», son mari.
Madame Élisabeth arrive, protégée par un détachement de grenadiers.
« Le bruit m’a réveillée, dit-elle à la Reine, j`ai dormi jusqu’à sept heures et demi, que l`on m’a que dit le Roi me demandait.»
Necker porte un bel habit brodé. Le duc d`Orléans se montre le dernier. Personne ne lui adresse la parole.
Cependant que les bandits sont refoulés de l’Œil-de-Bœuf, une scène immonde se déroule dans la cour : un homme à longue barbe ( je pensais cette apparition dans le film américain de 1938, incongrue, elle semble historique !) , «vêtu d’un costume d’esclave antique», et ayant appris, assure-t-il, au Maroc, le métier de bourreau, décapite messieurs des Huttes et de Varicourt, distribue leurs vêtements et asperge la foule de leur sang. Il fera préparer leurs têtes pour qu’elles soient fichées sur des piques.
Arrive La Fayette _ qu’il a fallu réveillé, ce qui lui vaudra le surnom de Général Morphée…_ qui conseille au Roi de se présenter au balcon.
Tous, la Reine la première, craignent que l’exposition du Roi le mette en péril.
Sans hésiter, alors que quelques balles viennent encore de frapper, Louis XVI fait ouvrir les fenêtres et se montre. Il est acclamé mais perçoit des cris : « A Paris! A Paris ! »
On perçoit le duc d’Orléans, en frac gris, cocarde tricolore au chapeau, il se promène sur la place d’Armes en compagnie de son ami le duc de Lauzun devenu depuis peu duc de Biron mais resté un des héros d’Amérique.
Soudain une clameur s’écrit : «La Reine au balcon!»…
La rumeur de Sa fuite envahit la populace…
Marie-Antoinette prend le Dauphin dans Ses bras et Sa fille par la main, et majestueuse , Elle s’avance devant l’adversité …
La consigne semble venir de Marat qui fait partie de la foule…
La foule clame alors : « PAS D’ENFANT !»
Elle repousse alors Ses enfants, on La tire vers l’intérieur, La Fayette, qu’Elle n’aime guère _ et c’est réciproque_ ose La questionner :
«- Quelle est l’intention de Votre Majesté?
– Je sais le sort qui m’attend, mais mon devoir est de mourir au pied du Roi, et dans les bras de mes enfants.
-Eh bien, Madame, venez avec moi.
-Dussé-je aller au supplice, j’y vais.»
Elle voit se braquer les fusils. Imperturbable,
Elle plonge en une révérence dont Elle a le secret…
La fille des Césars se retrouve sur la scène que forme le balcon avec Gilles César qui apostrophe la foule :
« La Reine reconnaît qu’Elle a été trompée, mais déclare qu’Elle ne le sera plus, qu’Elle aimera Son peuple et lui sera attachée comme Jésus-Christ à son Église.»
En signe de probation la Reine lève deux fois la main… mais ne lui pardonnera jamais !
Tous les membres de la famille royale La rejoignent sur le bacon pour se faire observer de cette foule dont Elle a su regagner le coeur par Sa grâce naturelle.
Louis XVI se montre au peuple, l’apaise de la main et d’une voix ferme:
« Mes amis, j’irai à Paris avec ma femme et mes enfants: c’est à l’amour de mes bons et fidèles sujets que je confie ce que j’ai de plus précieux.»
A madame Necker, Elle confie :
« Ils vont nous forcer, le Roi et moi, à nous rendre à Paris avec la tête de nos gardes du corps portées au bout de leurs piques!»
Lescure nous donne le nom des deux malheureux gardes du corps décapités ce matin-là et dont la tête a été trimbalée au bout d’une pique jusqu’à Paris, aux côtés de la voiture de la famille royale : il s’agit de Messieurs des Huttes et de François Rouph de Varicourt (1760-1789).
Voici ce qu’en dit, dans ses Mémoires, Madame Campan, qui n’était pas présente ce matin-là… mais qui rejoint la Reine dans l’après-midi :
« Au sortir de la chambre de la reine, ces dames (Mmes Thibaut et Auguié) appelèrent leurs femmes de chambre et se réunirent toutes quatre, assises contre la porte à coucher de sa majesté.
Vers quatre heure et demi du matin, elles entendirent des cris horribles et quelques coups de fusil ; l’une d’elles entra chez la reine pour la réveiller et la faire sortir de son lit ; ma sœur vola vers l’endroit où lui paraissait être le tumulte ; elle ouvrit la porte de l’antichambre qui donne dans la grande salle des gardes et vit un garde du corps, tenant son fusil en travers de la porte et qui était assailli par une multitude qui lui portait des coups ; son visage était déjà couvert de sang ; il se retourna et lui cria : « Madame, sauvez la reine ; on vient pour l’assassiner ».
Elle ferma soudain la porte sur cette malheureuse victime de son devoir, poussa le grand verrou et prit la même précaution en sortant de la pièce suivante, et, après être arrivée à la chambre de la reine, elle lui cria « sortez du lit, Madame ; ne vous habillez pas ; sauvez-vous chez le roi »
La reine épouvantée se jette hors du lit, on lui passe un jupon, sans le nouer, et ces deux dames la conduisent vers l’Œil-de-Bœuf.
(…)
Il n’est pas vrai que les brigands aient pénétré jusqu’à la chambre de la reine et percé de coups d’épée ses matelas. Les gardes du corps réfugiés furent les seuls qui entrèrent dans cette chambre, et si la foule y eût pénétré, ils auraient été massacrés.
D’ailleurs, quand les assassins eurent forcé les portes des antichambres, les valets de pied et les officiers de service, sachant que la reine n’était plus chez elle, les en prévinrent avec un accent de vérité auquel on ne se méprend jamais.
A l’instant, cette criminelle horde se précipita vers l’Œil-de-bœuf, espérant sans doute la ressaisir à son passage.»
La Reine de retour dans Ses appartements après la scène du balcon, Elle découvre les soldats massacrés et les dégâts des lieux :
Voici ce que rapporte le comte d’Hézecques :
« Cette multitude d’assassins monta l’escalier de marbre, se jeta à droite dans la salle des gardes de la reine, en vomissant des injures les plus atroces contre cette princesse, et en demandant sa tête à grands cris.
Les gardes blessés, assommés, se dérobent dans la grande salle. Varicourt, le frère de Madame de Villette, la fameuse Belle-et-Bonne de Voltaire, est entraîné, conduit à l’homme à la grande barbe, et bientôt sa tête est à côté de celle de Deshuttes. Durepaire et Miomandre de Sainte-Marie, après avoir averti par leurs cris les femmes de la reine, donnent le temps, par leur vigoureuse résistance, de barricader la porte.
Miomandre reçoit un coup de crosse de fusil sur la tête ; le chien pénètre le crâne ; et sa tête aurait augmenté les trophées sanglants de cette matinée, si plusieurs de ses camarades, réfugiés dans la grande salle, et revenant sur leurs pas pour se soustraire à une autre bande de brigands montés par l’escalier des Princes, ne l’eussent secouru et ne se fussent fait jour jusqu’à l’autre salle qui précédait les appartements du roi.
Aux cris de sa garde égorgée, la reine, que la fatigue et l’inquiétude avait forcé à prendre un peu de repos, est réveillée.»
« Son effroi lui permit à peine de prendre un léger vêtement, et de se soustraire au danger, en se réfugiant près de son époux.
(…)
On a dit, dans le temps, que ces monstres, ayant pénétré jusqu’au lit de la reine, avait percé les matelas à coups de baïonnettes.
Le fait est faux ; ils n’allèrent pas plus loin que la salles des gardes.
La lutte qui s’y engagea donna le temps d’assurer la porte. J’ai examiné moi-même le lit de la reine, deux jours après, sans y trouver aucune trace de violence.
Il est à remarquer que les gardes du corps, dans l’intérieur du château, n’avaient point leurs armes chargés, et ne purent, par conséquent, se défendre contre les brigands qu’avec leurs épées ; et que bientôt les portes eussent été enfoncées si le général La Fayette, sorti enfin de son sommeil, ne fût arrivé avec la garde soldée de Paris, et n’eût véritablement sauvé la famille royale, en éloignant ces cannibales.»Félix d’Hézecques
Ayant promis de retourner à Paris, le temps que l’on prépare les malles, la famille royale est mise à l’abri, loin du brouhaha et des quolibets, dans la salle-à-manger des Retours de chasse :
Voici ce qu’en dit dans ses Mémoires Bailly ( 1736-1793):
« Le roi à Paris! Ce vœu est devenu universel. « Mes amis, a dit le roi d’une voix forte, j’irai à Paris avec ma femme, avec mes enfans; c’est à l’amour de mes bons et fidèles sujets que je confie ce que j’ai de plus précieux. » On a répondu par des larmes, des acclamations et des applaudissemens, au milieu desquels s’est fait entendre, pour la première fois, le cri de vive la reine! Le roi a ensuite ajouté : « On a calomnié mes gardes-du-corps; leur fidélité à la nation et à moi doit leur conserver l’estime de mon peuple. — Oui, oui, a-t-on répondu, en criant vive le roi! vivent les gardes-du-corps! Le roi s’étant retiré, M. de La Fayette a présenté au peuple de dessus le balcon plusieurs gardes.du-corps, et les a embrassés publiquement. Cet exemple a été suivi dans toute la place. Ces militaires ont été comblés de démonstrations amicales; et, en retour, ils ont demandé, comme une faveur, de marcher dans les rangs de la garde nationale lorsque le roi se rendrait à Paris.»
« Le départ de Sa Majesté a été fixé à une heure après-midi.»
« A onze heures du matin, l’Assemblée nationale a ouvert sa séance. Depuis neuf heures, la salle était remplie de députés attirés par l’inquiétude; d’autres étaient auprès du roi. Parmi ces derniers, quelques.uns avaient pensé que les représentants de la nation devaient entourer le monarque dans une conjoncture aussi critique , et ils sont venus proposer de tenir la séance dans le salon d’Hercule.
On a simplement arrêté d’envoyer auprès de Sa Majesté une députation de trente-six personnes; puis, sur la motion de MM. de Mirabeau l’aîné et Barnave, il a été décrété que le roi et l’Assemblée nationale seraient inséparables pendant la session actuelle.
La députation s’est rendue chez le roi, en lui portant le décret.(…)
« On a ensuite nommé une députation nombreuse pour accompagner le roi à Paris. (…)
« Sa Majesté, est partie précédée de l’armée parisienne et de plusieurs voitures chargées de farines; ce qui donne beaucoup à penser aux observateurs. Par quelle magie, en effet, se sont – elles trouvées prêtes sur-le-champ? d’où les a-t-on fait venir, el pourquoi ne les faisait-on pas venir plus tôt? Hier la municipalité de Versailles n’avait que quelques sacs de riz à distribuer aux Parisiennes.»
Voici le témoignage de madame de Tourzel, gouvernante des Enfants de France :
« Ces bandits, qui n’éprouvaient aucun obstacle, massacrèrent deux gardes du corps qui étaient en sentinelle sous la voûte de l’appartement de Mesdames, tantes du roi, et leur firent couper la tête par un monstre qui les suivait, et qui se faisait appeler Coupe-tête.
Ils montèrent ensuite le grand escalier et allèrent droit à l’appartement de la reine. Les gardes du corps, quoiqu’en petit nombre, en défendirent l’accès avec le plus grand courage ; plusieurs furent blessés dangereusement, entre autres messieurs de Beaurepaire et de Sainte-Marie * ; mais ils eurent heureusement le temps de crier : « Sauvez la reine ! »
Madame Thibaut, sa première femme de chambre, qui ne s’était heureusement pas couchée, n’eut que le temps de lui donner une robe et de la faire sauver chez le roi.
A peine Sa Majesté avait-elle quitté la chambre, que ces scélérats en forcèrent l’entrée, et, furieux de ne l’y plus trouver, donnèrent des coups de pique dans son lit, pour ne laisser aucun doute sur le crime qu’ils se proposaient de commettre.
* Note de Madame de Tourzel : M. Miomandre de Sainte-Marie est mort en émigration, et je ne l’ai pas vu depuis cette horrible journée.
M. de Beaurepaire venait faire sa cour au roi et à la reine aussi souvent qu’il le put sans danger.»
Voici les Souvenirs de Madame de Créquy :
« Nous rentrâmes dans Paris à la suite de la famille royale. Que vous dirai-je de cette majestueuse princesse et de ce bon roi, qu’on amène à Paris, comme deux esclaves, au milieu de leurs assassins et précédés pour trophée par les têtes sanglantes de ces deux défenseurs de la reine ? Ces ingrats et perfides sujets, ces stupides citoyens, ces femmes cannibales et ces monstres déguisés ; ces cris de » Tous les Évêques à la lanterne ! » au moment où ce bon M. de La Fayette ramène le roi dans sa capitale avec deux évêques de son conseil dans sa voiture ; trois coups de fusil, et je ne sais combien de coups de pique que j’ai vu tirer et donner dans les carrosses de la reine ; et M. Bailly qui vient appeler tout cela un beau jour, en félicitant le roi d’avoir été conquis par son peuple ! C’était grand’pitié, mon cher ami, que de voir tous ces jeunes gens, si fidèles et si courageux, ces pauvres gardes-du-corps, entourant jusqu’à la fin la famille royale, et marchant à pied au milieu de cette outrageuse cohorte, les uns sans chapeau, les autres sans habit, le visage pâle et mourant. J’en ai vu deux qu’on venait de blesser cruellement dans la grande rue de Sèvres : l’un d’eux était un vieux brigadier de l’Écossaise, et l’autre un gentilhomme du Midi, qui s’appelait M. de Lentilhac ; celui-ci n’avait pas dix-sept ans, et je les fis monter tous deux dans notre carrosse de Madame. — Nous verrons, Monsieur, criai-je à M. de La Fayette, si vous laisserez égorger sous mes yeux un parent de votre femme ? … On a traîné durant plus d’une heure un corps dépouillé tout à côté de cette voiture où nous étions, et l’on disait que c’était celui de M. de Varicourt ?
J’ai vu tout cela, mon enfant, et je ne sais comment j’ai pu survivre à ces terribles visions. Mais ce qui m’a le plus révoltée, c’était l’horrible figure de ce d’Orléans, ivre de vengeance et de joie hideuse, qui venait se montrer avec ses louveteaux sur la terrasse du château de Passy, pour y voir défiler cette cohue sanguinaire et sacrilège.»
« A une heure et demie de l’après-midi, le cortège royal quitta Versailles. Sur le trajet, la foule déclarait ramener « le boulanger, la boulangère et le petit mitron » ! Convaincu d’y revenir, le Roi avait demandé en partant à La Tour du Pin, ministre de la Guerre, de lui « préserver son pauvre Versailles« ».
Le cortège est escorté de deux cents gardes mais pas comme d’habitude : ils sont désarmés et sans chapeau.
Louis Sébastien Mercier :
« On vit d’abord défiler le gros des troupes parisiennes : chaque soldat emportait un pain au bout de sa baïonnette. Ensuite parurent les poissardes, tenant des branches d’arbres ornées de rubans, assises à califourchon sur les canons, montées sur les chevaux et coiffées des chapeaux des gardes du corps : les unes étaient en cuirasse devant et derrière, et les autres armées de sabres et de fusils. La multitude des ouvriers parisiens les environnait, et c’est du milieu de cette troupe que deux hommes élevaient, au bout de leurs longues piques, les têtes de deux gardes du corps. Les chariots de blé et de farine , enlevés à Versailles, et recouverts de feuillages et de rameaux verts, formaient un convoi suivi des grenadiers qui s’étaient emparés des gardes du corps dont le roi avait racheté la vie. Ces captifs, conduits un à un, étaient désarmés, nu-tête et à pied. Les dragons , les soldats de Flandres et les cent-suisses étaient là : ils précédaient, entouraient et suivaient le carrosse du roi. Ce prince y paraissait avec toute la famille royale et la gouvernante des enfants.
Il serait difficile de peindre la confuse et lente ordonnance de cette marche qui dura depuis une heure et demie jusqu’à sept. Elle commença par une décharge générale de toute la mousqueterie de la garde de Versailles et des milices parisiennes. On s’arrêtait, de distance en distance, pour faire de nouvelles salves; et alors les poissardes descendaient de leurs canons et de leurs chevaux, pour former des rondes autour de ces deux têtes coupées; et devant le carrosse du roi, elles vomissaient des acclamations, embrassaient les soldats, et hurlaient des chansons dont le refrain était : Voici le boulanger, la boulangère et le petit mitron.»
Le témoignage – tardif- de Charles-Louis Delisle :
« A Monsieur le duc de Guiche, Capitaine des gardes du Corps du Roi.
Charles-Louis Delisle, né à Boulieu, en Vivarais (aujourd’hui département de l’Ardèche) le 11 août 1759, est entré dans les Gardes du corps du Roi, dans la compagnie de Villeroi, le 28 septembre 1778. Il s’est trouvé aux journées des 5 et 6 octobre 1789, il passa cette nuit comme tous ses camarades, dans les angoisses les plus cruelles, il s’en est tiré miraculeusement ; le 6 octobre, à six heures du matin, il fut mis en sentinelle au poste de la Voute à Versailles, dans le même moment que Messieurs Deshutte et Varicourt furent placés à la grille, pour empêcher la populace de s’introduire dans le château ; dans le même moment, la populace s’introduisit par la cour des Princes dans la cour royale, se saisit de Messieurs Deshuttes et Varicourt, qui eurent la tête tranchée, et vinrent sur Delisle pour lui faire subir le même sort ; il ouvrit la grille de la Voute, du côté des jardins pour échapper ; la populace le poursuivit, s’empara de lui, et vouloit lui faire éprouver le même sort qu’à Messieurs Deshuttes et Varicourt, mais il se trouva parmi eux un garde national qui leur en empêcha, et leur persuada qu’il fût jugé, en conséquence il fut conduit à la grande tente des gardes françaises, entouré d’une populace immense qui crioit : à la Lanterne. Il fut mis en dépôt dans un cabinet ; il se présenta alors un officier de la garde nationale de Versailles, qui lui de prendre patience, de ne pas s’effrayer, qu’il seroit bientôt délivré ; au bout d’une heure environ, il vint une compagnie de grenadiers de la garde nationale de Paris pour le délivrer, et fut conduit dans la galerie du château, où ses camarades s’étoient retirés. Il fut reçu avec transport de joie et cordialité, on le croyait perdu.
Les appartements du Roi et de la Reine venoient d’être forcés ; il n’a point quitté le Roi et la Reine et la famille royale ; il fut aux écuries après que le Roi se fut décidé de se rendre à Paris, monta à cheval, l’y accompagna, il descendit de cheval à la place de Grève pour se mettre en haye à l’hôtel de ville, écarta la populace, accompagna le Roi dans les salles, en criant : Vive le Roi ; il l’accompagna de l’hôtel de ville aux Thuilleries ; il descendit de cheval dans la cour du Pavillon de Flore, pour écarter la populace qui affluoit du côté de la voiture, la Reine étoit serrée par elle, il la prit par le bras, et l’introduisit dans l’escalier ; au sortir de là, allant rejoindre son cheval, ce fut alors que M. le comte d’Agoult, aide-major de cour, s’approcha de lui, lui demanda des nouvelles de cette scène épouvantable ; il est bon de remarquer que dans le voyage de Versailles à Paris, il ramassa avec M. Delabellive, son camarade, deux chevaux, que les brigands avoient volés dans leur hôtel de Versailles, qu’ils les avoient fait monter par des gens du peuple, tenus à côté d’eux pour crier : Vive le Roi, et rendirent quelques jours après leurs chevaux à l’état-major. »
Quelques temps après, M. le comte d’Agoult lui écrivit que le Roi lui avoit accordé la commission de capitaine de cavalerie qui ne lui a point été expédié, vu les circonstances. De plus il fut requis de déposer dans l’enquête que fit faire le Châtelet sur les journées des 5 et 6 octobre, l’on peut y voir sa déposition.
Il émigra, fit la campagne avec les Princes, fut licencié à Arlon, après la retraite du Roi de Prusse, a fait campagne dans les chasseurs nobles de l’armée de Condé, compagnie de Lascaris, et est rentré en France ; il n’a pris aucun emploi dans le nouveau gouvernement, excepté celui de maire de sa commune, qu’il occupe depuis dix mois, pour être utile à son pays.
Il désireroit pouvoir continuer ses services auprès de Sa Majesté, mais son âge, ses infirmités, un rhumatisme qui l’empêche de se mouvoir, l’a privé de l’empressement qu’il auroit de se présenter pour continuer ses services.
Jaloux de l’honneur d’avoir servi Sa Majesté en vrai gentilhomme, il désireroit avoir la décoration de Saint-Louis, et la commission de capitaine de cavalerie qui lui a été accordé par Sa Majesté le Roi Louis XVI ; comme il ne doute pas que Sa Majesté le Roi Louis XVIII veuille donner une existence honorable à un fidèle sujet, qui a servi avec honneur et fidélité, et qui lui est entièrement dévoué, il lui accorde une pension conforme à sa position, étant très peu fortuné.
Il ose espérer et prie M. le duc de Guiche de vouloir bien s’intéresser pour lui.»
A Boulieu, le 23 avril 1814.»
Signé : Charles-L. Delisle
A onze heures du matin
Témoignage de Bailly, maire de Paris:
« L’Assemblée nationale a ouvert sa séance. Depuis neuf heures, la salle était remplie de députés attirés par l’inquiétude; d’autres étaient auprès du roi. Parmi ces derniers, quelques-uns avaient pensé que les représentants de la nation devaient entourer le monarque dans une conjoncture aussi critique , et ils sont venus proposer de tenir la séance dans le salon d’Hercule.
On a simplement arrêté d’envoyer auprès de Sa Majesté une députation de trente-six personnes; puis, sur la motion de MM. de Mirabeau l’aîné et Barnave, il a été décrété que le roi et l’Assemblée nationale seraient inséparables pendant la session actuelle.
La députation s’est rendue chez le roi, en lui portant le décret.(…)
« On a ensuite nommé une députation nombreuse pour accompagner le roi à Paris.»
Convaincu d’y revenir, le Roi demande en partant à La Tour du Pin, ministre de la Guerre, de lui «préserver son pauvre Versailles».
La Fayette donne les ordres pour le départ du Roi, trop anéanti pour prendre lui-même la moindre initiative. Les gardes nationaux sont en tête, des miches de pain enferrées sur leurs baïonnettes.
Puis suivent d’autres porteurs de piques et la cohue de femmes montées sur des chevaux de trait, juchées sur des charrettes, chevauchant vaille que vaille des canons. Voici les fardiers emplis de sacs de farine et de blé, accordés, la veille, sur ordre du Roi. De nouveau des gardes nationaux encadrent des gardes du corps désarmés. Puis le régiment de Flandre et quelques Suisses. La Fayette chevauche à la portière de la Reine. Dans l’immense carrosse rouge et or, outre Louis XVI, Marie-Antoinette, le Dauphin et Madame Royale, les Provence, Madame Élisabeth et la marquise de Tourzel, gouvernante des enfants de France. La voiture des souverains avance lentement, précédée de la tête des gardes du corps, Deshuttes et Varicourt, fichées sur des piques.
« Cette foule odieuse part enfin pour Paris. Certains d’entre eux portent des miches de pain plantées sur leurs lances ou leurs baïonnettes ; mais ce qu’il y a de plus incroyable, c’est que les têtes des gardes de la Reine les précèdent.»
Victorine de Chastenay
Voici les Souvenirs de Madame de Créquy :
« Nous rentrâmes dans Paris à la suite de la famille royale. Que vous dirai-je de cette majestueuse princesse et de ce bon roi, qu’on amène à Paris, comme deux esclaves, au milieu de leurs assassins et précédés pour trophée par les têtes sanglantes de ces deux défenseurs de la reine ? Ces ingrats et perfides sujets, ces stupides citoyens, ces femmes cannibales et ces monstres déguisés ; ces cris de » Tous les Évêques à la lanterne ! » au moment où ce bon M. de La Fayette ramène le roi dans sa capitale avec deux évêques de son conseil dans sa voiture ; trois coups de fusil, et je ne sais combien de coups de pique que j’ai vu tirer et donner dans les carrosses de la reine ; et M. Bailly qui vient appeler tout cela un beau jour, en félicitant le roi d’avoir été conquis par son peuple ! C’était grand’pitié, mon cher ami, que de voir tous ces jeunes gens, si fidèles et si courageux, ces pauvres gardes-du-corps, entourant jusqu’à la fin la famille royale, et marchant à pied au milieu de cette outrageuse cohorte, les uns sans chapeau, les autres sans habit, le visage pâle et mourant. J’en ai vu deux qu’on venait de blesser cruellement dans la grande rue de Sèvres : l’un d’eux était un vieux brigadier de l’Écossaise, et l’autre un gentilhomme du Midi, qui s’appelait M. de Lentilhac ; celui-ci n’avait pas dix-sept ans, et je les fis monter tous deux dans notre carrosse de Madame. — Nous verrons, Monsieur, criai-je à M. de La Fayette, si vous laisserez égorger sous mes yeux un parent de votre femme ? … On a traîné durant plus d’une heure un corps dépouillé tout à côté de cette voiture où nous étions, et l’on disait que c’était celui de M. de Varicourt ?
J’ai vu tout cela, mon enfant, et je ne sais comment j’ai pu survivre à ces terribles visions. Mais ce qui m’a le plus révoltée, c’était l’horrible figure de ce d’Orléans, ivre de vengeance et de joie hideuse, qui venait se montrer avec ses louveteaux sur la terrasse du château de Passy, pour y voir défiler cette cohue sanguinaire et sacrilège.»
Durant l’infernal cortège qui dure six longues heures, trois cents femmes arborent des cocardes «à la nation» offertes par la Reine et Madame Adélaïde en gage dérisoire de leurs bonnes intentions.
Vers sept heures du soir
Au bout de six heures d’une marche harassante, le convoi atteint les portes de la capitale. Bailly accueille l’étonnant cortège, prononçant une allocution de bienvenue :
« C’est un beau jour que celui où Votre Majesté vient dans sa capitale avec son auguste épouse, avec un prince qui sera juste et bon comme Louis XVI»
Le matin, des fourriers ont été dirigés aux Tuileries afin d’aménager plusieurs pièces. L’installation se fait tant bien que mal.
On conduit le comte et la comtesse de Provence en leur résidence du Luxembourg.
«- Comme c’est laid, ici, Maman ! s’exclame Louis-Charles
– Mon fils, Louis XIV y logeait et s’y trouvait bien.»
Marie Antoinette dispose depuis plusieurs années d’un pied à terre qui Lui servait quand Elle venait à Paris.
« Nous rentrâmes dans Paris à la suite de la famille royale. Que vous dirai-je de cette majestueuse princesse et de ce bon roi, qu’on amène à Paris, comme deux esclaves, au milieu de leurs assassins et précédés pour trophée par les têtes sanglantes de ces deux défenseurs de la reine ? Ces ingrats et perfides sujets, ces stupides citoyens, ces femmes cannibales et ces monstres déguisés ; ces cris de » Tous les Évêques à la lanterne ! » au moment où ce bon M. de La Fayette ramène le roi dans sa capitale avec deux évêques de son conseil dans sa voiture ; trois coups de fusil, et je ne sais combien de coups de pique que j’ai vu tirer et donner dans les carrosses de la reine ; et M. Bailly qui vient appeler tout cela un beau jour, en félicitant le roi d’avoir été conquis par son peuple ! C’était grand’pitié, mon cher ami, que de voir tous ces jeunes gens, si fidèles et si courageux, ces pauvres gardes-du-corps, entourant jusqu’à la fin la famille royale, et marchant à pied au milieu de cette outrageuse cohorte, les uns sans chapeau, les autres sans habit, le visage pâle et mourant. J’en ai vu deux qu’on venait de blesser cruellement dans la grande rue de Sèvres : l’un d’eux était un vieux brigadier de l’Écossaise, et l’autre un gentilhomme du Midi, qui s’appelait M. de Lentilhac ; celui-ci n’avait pas dix-sept ans, et je les fis monter tous deux dans notre carrosse de Madame. — Nous verrons, Monsieur, criai-je à M. de La Fayette, si vous laisserez égorger sous mes yeux un parent de votre femme ? … On a traîné durant plus d’une heure un corps dépouillé tout à côté de cette voiture où nous étions, et l’on disait que c’était celui de M. de Varicourt ?
J’ai vu tout cela, mon enfant, et je ne sais comment j’ai pu survivre à ces terribles visions. Mais ce qui m’a le plus révoltée, c’était l’horrible figure de ce d’Orléans, ivre de vengeance et de joie hideuse, qui venait se montrer avec ses louveteaux sur la terrasse du château de Passy, pour y voir défiler cette cohue sanguinaire et sacrilège.»Souvenirs de madame de Créquy
Dans un premier temps, la Reine s’installe, de manière provisoire, au premier étage du château dans l’ancien appartement de la Reine Marie-Thérèse d’Autriche. Puis, Elle prend Ses quartiers de manière définitive dans l’ancien appartement du Grand Dauphin au rez-de-chaussée donnant sur le jardin. Cet appartement est le plus neuf car il a été occupé jusqu’à l’arrivée de la Famille Royale par la comtesse de La Marck.
Marie-Antoinette, en 1790, peu après la communion de Sa fille, fit à la députation du comité de l’Assemblée, qui recherchait les fauteurs des 5 et 6 Octobre, cette réponse admirable :
« Je ne serai jamais délatrice d’aucun de mes sujets. J’ai tout vu, j’ai tout su, et j’ai tout oublié.»
Marie-Caroline de Naples, la bien aimée sœur de Marie-Antoinette, dira qu’Elle aurait dû mourir lors de ces journées d’octobre pour n’avoir pas à connaître tous les malheurs qui devaient L’attendre..
Le peintre David, au lendemain des journées d’octobre, au sujet de Marie-Antoinette :
« C’est un grand malheur que cette charogne n’ait pas été étranglée ou taillée en morceaux par les émeutières, car tant qu’elle sera vivante il n’y aura pas de paix dans ce royaume .»
Films et auteurs prêtent à Axel de Fersen une attitude héroïque en ces jours-là… En réalité, il était parti se coucher fort tard le 5 lorsque le Roi avait sonné le coucher !!!!
Il est arrivé par le grand appartement directement dans le salon du conseil, puis dans la chambre du Roi…. il n’était pas présent dans la chambre de la Reine au moment de l’assaut.
« J’ai été témoin de tout et je suis revenu à Paris dans une des voitures de la suite du Roi; nous avons été 6 h 1/2 en chemin. Dieu me préserve de jamais voir un spectacle aussi affligeant que celui de ces deux journées. Le peuple paraît enchanté de voir le roi et sa famille. La reine est fort applaudie, et elle ne peut manquer de l’être quand on la connaîtra, et qu’on rendra justice à son désir du bien et à la bonté de son cœur.»
Pas de fougueux destrier précédant à bride abattue son aimée, donc, mais le train des courtisans de Versailles, comme tout le monde…
Le soir du 6 octobre 1789
Le château est désert. Madame de Gouvernet est restée sur place :
« Une affreuse solitude régnait déjà à Versailles. On n’entendait d’autre bruit dans le château que celui des portes, des volets, des contrevents que l’on fermait et qui ne l’avaient plus été depuis Louis XIV. Mon mari disposait toutes choses pour la défense du château, persuadé que, la nuit venue, les figures étrangères et sinistres que l’on voyait errer dans les rues et dans les cours, jusque-là encore ouvertes, se réuniraient pour livrer le château au pillage. »
Les gardes-du-corps, échappés au massacre du 6 octobre, se traînèrent à Louveciennes, où la comtesse du Barry les fit soigner dans son propre château, comme auraient fait leurs propres parents. La Reine, informée à Paris, de cette conduite aimable et généreuse de la comtesse, chargea quelques seigneurs, de Sa confiance, d’aller à Louveciennes, et d’y porter Ses remerciements empressés.
La comtesse du Barry, aussitôt, a l’honneur d’adresser à la Reine ces propos :
« Madame, Ces jeunes blessés n’ont d’autre regret de n’être point morts avec leurs camarades, pour une Princesse aussi parfaite, aussi digne de tous les hommages, que l’est, assurément, Votre Majesté. Ce que je fais, ici, pour les braves chevaliers, est bien au-dessous de ce qu’ils méritent; si je n’avais point une femme-de-chambre et mes autres serviteurs, je servirais vos Gardes, moi-même. Je les console, et je respecte leurs blessures, quand je songe, Madame, que sans leur dévouement et ces blessures, Votre Majesté n’existerait peut-être plus.
Luciennes est à vous, Madame. N’est-ce pas votre bienveillance et votre bonté qui me l’ont rendu? Tout ce que je possède me vient de la Famille Royale: j’ai trop bon cœur et trop de reconnaissance pour l’oublier jamais. Le feu Roi, par une sorte de pressentiment, me força d’accepter mille objets précieux, avant de m’éloigner de sa personne. J’ai eu l’honneur de vous offrir ce trésor, du temps des Notables; je vous l’offre encore, Madame, avec empressement et toute sincérité; vous avez tant de dépenses à soutenir, et des bienfaits sans nombre à répandre. Permettez, je vous en conjure, que je rende à César ce qui appartient à César.»
DE VOTRE MAJESTÉ
La très-fidèle et soumise servante et sujette
Comtesse du Barry
La Reine n’accepte pas ce trésor, offert pour la seconde fois; et ce trésor, enfoui dans les jardins de Louveciennes, en présence de deux serviteurs cupides et barbares, causera la mort de la comtesse du Barry…
Le 7 octobre 1789
Des femmes du peuple se donnent rendez-vous dans les jardins des Tuileries pour venir complimenter le Roi et la Reine reconquis par leur bonne ville de Paris. La Reine paraît à la fenêtre de Son appartement du rez-de-chaussée et ôte les rubans de Son chapeau pour les distribuer à ces femmes…
Quand le Roi et la famille royale sortent de la messe, les gardes du corps font la haie : sans armes, sans chapeaux et les habits déchirés de la veille.
Marie-Antoinette écrit à Mercy :
« J’espère que s’il ne manque pas de pain, beaucoup de choses s’arrangeront. Je suis en contact avec les gens ; miliciens, marchandes ; ils me tendent tous la main, et je leur tends la mienne… Le peuple, ce matin, nous a demandé de rester. Je leur ai dit de la part du roi, qui était à mes côtés, qu’il dépendait d’eux que nous restions ou non ; que nous ne demandions pas mieux ; que toute haine doit cesser ; que nous fuirions dans l’horreur devant n’importe quelle effusion de sang. Mes proches juraient que tout était fini. J’ai dit aux femmes du marché d’aller raconter aux autres ce que nous venions de nous dire.»
Marie-Antoinette à l’ambassadeur Mercy, 7 octobre 1789
Le 8 octobre 1789
Comme la foule persiste à s’agglutiner sur la terrasse des Tuileries, des femmes prétendent parler à la Reine d’une levée des gages portant sur les dépôts du Mont-de-piété. Le sujet est des plus délicats car il concerne les plus démunis :
«Les personnes qui entour(ent) cette princesse (la Reine) en ce moment l’engag(ent) à acquiescer à leur désir. Je l’en dissuad(e), lui représentant le danger de compromettre sa dignité (…) J’offr(e) à la reine de parler moi-même à ces femmes avec Madame de Chimay, sa dame d’honneur. Elle y consen(t) et, de l’appartement de cette dernière, qui donn(e) sur la terrasse des Tuileries, nous haranguons cette multitude (…) Cette démarche la satisf(ait). Le rassemblement se dissip(e).»
Madame de Tourzel
Deux jours plus tard, le Mont-de-piété est autorisé à permettre le retrait sans gage des objets d’une valeur inférieur à un louis.
Quelques jours après le 6 octobre 1789
Le comte d’Hézecques retourne sur les lieux :
« Je trouvai les portes laissées ouvertes dans le trouble et je parcourus ce labyrinthe de passages inconnus, dont plusieurs étaient matelassés. Je pénétrai ainsi dans une foule de petits appartements dépendant de celui de la Reine et dont je ne soupçonnai pas même l’existence. La plupart étaient sombres, n’ayant de jour que sur de petites cours. Ils étaient simplement meublés, presque tous en glaces et boiseries. »
Dans les jours qui suivent, les gardes du corps reprennent leur service dans les appartements royaux au château des Tuileries. Afin de rédiger un procès-verbal sur ce qui s’est passé durant ces journées d’octobre, les commissaires de police viennent interroger la Reine qui leur réplique :
« J‘ai tout vu, j’ai tout entendu et j’ai tout oublié.»
Le 10 octobre 1789
Une partie de l’appartement de la Reine est vidée. Chargé de mettre en sécurité les objets les plus précieux des cabinets de la souveraine, le marchand mercier Lignereux en dresse l’inventaire : porcelaines, laques, gemmes, ainsi que « la lanterne magique et les jouets de Mgr le Dauphin ».
Le 13 octobre 1789
Tous les luminaires du Grand Appartement sont transférés à Paris.
Le 23 octobre 1789
Le billard du Roi prend le chemin de Paris.
Le 30 octobre 1789
Une grande partie de la bibliothèque du Roi et de ses instruments scientifiques sont ramenés aux Tuileries.
En mars 1790
Les tapisseries des Gobelins quittent à leur tour Versailles pour Paris.
«L’histoire se fait en quelques secondes, dans un laps de temps précis, lorsque l’être tout entier de l’individu est à son apogée, mais elle se fait sur la base de ce qu’est réellement la personne lorsqu’elle est débarrassée de l’accumulation d’habitudes superficielles que la vie nous apporte. tous. Ce n’est qu’un pas d’un instant à l’autre, un pas vers l’héroïsme ou la médiocrité… Elle vit dans l’histoire à cause de ces quelques heures cette nuit-là. Tout ce qui a suivi est l’épilogue.»
Dorothy Moulton Mayer, Marie-Antoinette : La reine tragique
sources :
- Les Archives Départementales des Yvelines
- Marie-Antoinette – Pièces à Conviction, Les Archives Nationales, exposition , 11 octobre 2006-8 janvier 2008
- Marie-Antoinette et la Musique (janvier 2022) de Patrick Barbier ; Grasset
- Les Reines de France au temps des Bourbons, tome 4 : Marie-Antoinette L’insoumise (2002) de Simone Bertière
- Dans l’Ombre de Marie-Antoinette, Centre Historique des Archives Nationales , 24 juin 2003
- Mémoires de Madame Campan, première femme de chambre de Marie-Antoinette d’Henriette Campan
- Octobre 1789 – Les parisiennes à l’assaut de Versailles, par André Castelot ; Historama N°239 , octobre 1971
- La Révolution Française (1987) d’André Castelot aux Éditions Perrin, Paris
- MARIE-ANTOINETTE (1989) d’André Castelot, album
- Chère Marie-Antoinette (1988) de Jean Chalon
-
- Marie-Antoinette (2013) d’Hélène Delalex
-
- Marie-Antoinette (1858) d’Edmond et Jules de Goncourt
- La Vie Mouvementée d’Henriette Campan (2017) de Geneviève Haroche-Bouzinac ; chez Flammarion
- Fersen, Conseiller de Marie-Antoinette, par Françoise Kermina ; Historia N°468, décembre 1985
- Historama N°68, octobre 1989 : Le Roi otage – 5 et 6 octobre 1789,par Jean Tulard
-
- La fin de l’Ancien Régime, d’Arthur-Léon-Georges Imbert de Saint-Amand ; chez Edouard Dentu,
-
- L’Agonie de la Royauté (1918), d’Arthur-Léon-Georges Imbert de Saint-Amand ; chez P. Letrielleux, Librairie-Éditeur, Paris VI
- Château de Versailles, cabinets intérieurs et petits appartements de Marie-Antoinette de Marguerite Jallut
- Marie-Antoinette L’impossible Bonheur (1970) de Marguerite Jallut et Philippe Huisman ; chez Edita, Lausanne
- Hans-Axel de Fersen (1985) de Françoise Kermina ; chez Perrin
- La Révolution par ceux qui l’ont vue (1934) de Gosselin Lenôtre
- Marie-Antoinette et Sa Famille (1879) de Maurice de Lescure ; Edité par Ducrocq, Paris
- Louis XVI (1985) d’Evelyne Lever ; chez Fayard
- Marie-Antoinette (1991) d’Evelyne Lever; chez Fayard
- Louis XVI, L’incompris (2013) d’Alexandre Maral ; aux Editions OUEST-FRANCE
- Les derniers jours de Versailles d’Alexandre Maral
- Les coulisses de Versailles – Marie-Antoinette fait ses débuts de Reine de France (juillet 1958), par Jules Mazé, aux éditions L.E.P. (Monaco)
- Marie-Antoinette Intime, collectif dans Miroir de l’Histoire, Numéro Spécial de janvier 1962
- Marie-Antoinette – Reine condamnée, Femme adulée, Le Monde Histoire N°12 , 2018
- Marie-Antoinette : La reine tragique (1968) de Dorothy Moulton Mayer
- La Famille Royale à Paris De l’Histoire à la Légende (1993) Catalogue d’exposition au Musée Carnavalet ; aux Editions Paris-Musées
- Le Château de Versailles au temps de Marie-Antoinette (1889) de Pierre de Nolhac
- La Reine Marie-Antoinette (1889) de Pierre de Nolhac
- Marie-Antoinette dans les affres de la Révolution (2015) de Benoît Pédretti ; chez 50 minutes
- Louis XVI (2005) de Jean-Christian Petitfils ; chez Perrin
- Marie-Antoinette au Grand Palais, Le Petit Léonard N°123, mars 2008
- Les Derniers Secrets de Versailles (2012) Le Point Historia Hors Série
- La Révolution Française, Les Années Lumières / Les Années Terribles , octobre 1989, Production Les Films Ariane, chez Larousse
- Causes célèbres françaises, anciennes et modernes (1834), de B. Saint-Edmé: Journées des 5 et 6 octobre 1789
- La désinformation autour de Marie-Antoinette, d’Alain Sanders (2006) ; L’étoile du berger
- Les Soixante Derniers Jours de Marie-Antoinette (1993) de Pierre Sipriot ; chez Plon
- La Reine scélérate (1989) de Chantal Thomas
- Marie-Antoinette Un Destin malmené par le bouleversement de la Société Française (2015) de Renaud Thomazo ; chez Larousse
- Les Favoris de la Reine. Dans l’intimité de Marie-Antoinette (mai 2019), c’Emmanuel de Valicourt , chez Taillandier
- Louis XVI – Le Premier Révolutionnaire, par Jean de Viguerie, Historama N°67, septembre 1989
- Juger la reine (2016) d’ Emmanuel de Waresquiel
- Les Journées d’octobre (1898), de Joseph Weber frère de lait de Marie-Antoinette
- Marie-Antoinette Intime (1981) de Nesta Webster ; La Table Ronde
- Marie-Antoinette (1933) de Stefan Zweig
- Les Femmes de la révolution – Actrices de premier plan et victimes principales (hiver 2020) : Secrets d’Histoire magazine N°10