
Une aventure qui a influencé J.R.R. Tolkien, l’auteur du Seigneur des Anneaux …

Le 10 août 1901
Annie Moberly, enseignante britannique, lors de sa venue à Paris propose à Eleanor Jourdain de l’accompagner. Elles profitent de leur bref séjour pour visiter Versailles. Il fait chaud et orageux. Elles se perdent en cherchant le Petit Trianon et commencent à se sentir oppressées, mais aucune ne fait part de son sentiment à sa compagne.

Elles aperçoivent sur le bord du chemin deux hommes portant un long manteau et un tricorne, bêches à la main, qui leur indiquent le chemin ; des jardiniers, pensent-elles.

Arrivées près d’un cottage, Eleanor Jourdain remarque à l’intérieur une petite fille et une femme ; toutes deux portent un costume suranné.

de Jules Girardet et Antoine Vizzavona François
Enfin, elles arrivent à un pavillon chinois qu’elles prennent pour le Temple de l’Amour.

L’atmosphère devient de plus en plus pénible. Annie, en particulier, se sent prise d’angoisse lorsqu’un homme assis au pied du pavillon tourne vers elle un visage menaçant et vérolé. C’est alors qu’un autre homme, grand et beau, cheveux bouclés sous un chapeau à larges bords, passe en coup de vent enveloppé dans une cape noire ; il s’arrête et leur sert un laïus dont elles ne comprennent qu’une chose : il faut tourner à droite.

Les visiteuses arrivent près d’une petite maison aux volets clos.

Sur la pelouse, Annie voit une femme en train de dessiner portant une robe de style particulier, un fichu vert et un chapeau blanc ; la femme lève la tête et de nouveau Annie ressent une impression désagréable.

Les deux femmes arrivent à la hauteur de la maison suivante.


Une porte s’ouvre, un jeune homme en sort qui leur donne l’impression d’être un serviteur. Elles veulent s’excuser, pensant être sur une propriété privée, mais l’homme les mène jusqu’à Trianon proche où elles sont brusquement environnées par une noce.


Annie Moberly (1846-1937)
Annie est la fille d’un ancien directeur du Winchester College, qui fut ensuite professeur d’Oxford avant de devenir évêque de Salisburg. Elle fut sa secrétaire durant vingt ans avant d’être choisie en 1886 comme directrice de St Hugu’s Hall, troisième collège féminin de l’Université d’Oxford, récemment fondé par Elizabeth Wordsworth, petite-nièce du poète William Wordworth. Elle est l’amie de la suffragette Clara Mordan.
Dixième d’une famille de quinze enfants, la légende fait parfois d’elle la septième fille d’un septième fils, bénéficiant des dons de clairvoyance accordés par certaines traditions populaires à ce genre d’enfant.
Son nom de plume est Elisabeth Morison

Eleanor Jourdain (1863-1924)
Eleanor est l’aînée des dix enfants du pasteur Francis Jourdain, vicaire d’Ashbourne (Derbyshire), descendant de huguenots français. Elle est elle-même diplômée d’un collège féminin d’Oxford. Elle devient enseignante et fonde sa propre école (Corran) à Watford (Hertfordshire). À l’époque des faits, elle vit à Paris où elle loue un appartement 270 boulevard Raspail dans la perspective d’y accueillir des élèves pour une période d’études. Annie Moberly est venue lui proposer de la seconder à St Hugh. Elle devient effectivement directrice adjointe du collège en 1902, puis directrice à la retraite d’Annie Moberly en 1915. Elle est l’auteur de sept ouvrages sur la littérature et le théâtre. Son autorité deviendra excessive à la fin de ses jours et elle devra faire face peu avant sa mort à la démission d’une grande partie de son équipe.
Son nom de plume est Frances Lamont



Elles s’interrogent alors sur la cape portée bizarrement par l’homme aux cheveux bouclés en ce jour de grande chaleur ; son attitude, son air amusé leur semblent maintenant étranges et non-naturels.
Le fait que seule Eleanor ait vu la femme et la petite fille et que seule Annie ait vu la dessinatrice les trouble.



Quelques jours plus tard
Annie Moberly, toujours en proie à l’impression d’angoisse et d’irréalité de Versailles, en fait part à Eleanor Jourdain en lui demandant si elle n’a pas l’impression que les lieux sont, en quelque sorte, « hantés ». Eleanor confirme son impression de malaise lors de la visite.

Mais c’est seulement en novembre, lorsque Eleanor Jourdain se rend à Oxford où Annie a depuis trois mois repris ses fonctions de directrice, qu’elles discutent plus longuement de leur expérience. Mlle Moberly, justement, a vu un portrait de Marie Antoinette par Wertmüller.

La Reine lui a paru étrangement ressemblante, pour le visage et les vêtements, à la femme de la pelouse.

Elle se renseigne auprès d’une Française qui confirme que des rumeurs courent depuis longtemps sur la présence du fantôme de Marie-Antoinette à Versailles.

En 1902
Mlle Jourdain retourne seule à Versailles. Les lieux lui semblent différents ; elle apprend que Marie-Antoinette se trouvait au Petit Trianon le 5 octobre 1789 lorsqu’on Lui annonça la marche du peuple vers Versailles.

Marie-Antoinette est dans les jardins du Petit Trianon et le Roi à la chasse lorsqu’on apprend que des femmes du peuple venues de Paris marchent sur Versailles pour demander du pain.





Le 2 janvier 1902
Eleanor Jourdain a encore des perceptions étranges, dont celle d’une musique qu’elle essaie de se remémorer pour la faire identifier. On lui assure qu’il s’agit d’un style des années 1780.
«La Solitude»
Un pavillon chinois de forme trilobée portant le nom de «Solitude» devait être édifié au centre du bois des Onze-Arpents, dans l’un des premiers projets de Richard Mique.



Si le projet n’a finalement jamais été réalisé, Alain Baraton en a reconstitué le tracé en gazon lors des replantations de 1999 et a créé les trois parterres qui apparaissent sur les plans de Mique.


En 1904
Elles visitent encore une fois la zone du Petit Trianon. Au cours de leurs recherches, elles pensent se rappeler la présence d’une charrue qui n’existait pas en 1901, de même qu’un pont qu’elles avaient franchi et qui a disparu.

Elles découvrent que les « jardiniers » portaient un costume similaire à celui des gardes suisses de la Reine et que la porte d’où est sorti le serviteur est condamnée depuis longtemps ; elles identifient l’homme au visage vérolé comme étant le comte de Vaudreuil.


Bartholo est interprété par Vaudreuil

Cependant le pavillon chinois que les deux anglaises ont vu et qu’on a cru être une invention de leur part ( cf une analyse des faits de l’historien Léon Rey ) a effectivement existé, mais sous Louis XV. Des journalistes du paranormal ont donc récemment conclu que leur voyage spatio-temporel se serait effectué non pas en 1789, comme elles le pensaient, mais en 1774 … et la dame en blanc serait donc le fantôme de Madame du Barry plutôt que celui de Marie-Antoinette.




En 1954
Sous la direction de Gérald Van der Kemp (1912-2001), conservateur en chef du château de Versailles, les travaux de restauration du Petit Trianon commencent…

Sources :
- DUARTE, Christophe, Versailles passion , groupe Facebook
- Le Tribunal de l’impossible, La dernière rose ou les fantômes de Trianon (1968)
- Le hameau de Marie-Antoinette, Château de Versailles (magazine) N°6 ; septembre 2012
- REY, Léon, Le Petit Trianon et le Hameau de Marie-Antoinette, Librairie Ernest Leroux, Paris, 1936