Le marquis de Bombelles

Marc de Bombelles par Benjamin Warlop

Henri François de Bombelles, lieutenant général, a obtenu en 1740 le gouvernement de la place de Bitche à la frontière du Palatinat. Il a épousé Marie Suzanne Françoise Le Roux de Rassé, qui lui a donné deux enfants (Françoise, future marquise d’Offémont et Joseph Henri, futur comte de Bombelles, 1721-1783). Remarié en 1740 à Geneviève Charlotte Badains, il aura sept autres enfants dont Marc :

Le 8 octobre 1744

Marc-Marie, marquis de Bombelles naît à Bitche. Il est le fils du comte Henri François de Bombelles, gouverneur de Bitche de 1740 à 1760, cordon rouge de l’Ordre royal et militaire de Saint Louis, et de sa seconde épouse, Geneviève Charlotte de Badains.

En 1746

Naissance de son frère, Alexandre Fortuné, dit Basile, chevalier puis baron de Bombelles (1746-1808).

Marc fait ses premières armes lors de la guerre de Sept Ans (1756-1763).

C’est un page, officier, diplomate puis ecclésiastique français.

« Marc de Bombelles entra fort jeune, comme page, dans la maison du duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XV, et le jeune prince témoignait la plus grande amitié à son compagnon de jeu. De complexion délicate le duc de Bourgogne était souvent souffrant, et chacun de l’entourer et d’essayer de le distraire . On dut l’opérer d’une tumeur à la hanche, mais on ne le guérit point. Pendant cette maladie aux alternatives de mieux et de cruelles souffrances, les courtisans commençaient à ralentir leurs visites et entraient de préférence chez le duc de BerryUn jour que le malade se trouvait dans une solitude presque complète, il fit signe à son page qu’il voulait lui parler; des paroles qu’il prononça on a établi ce mot «historique» qui semblerait un peu étonnant pour un enfant de dix ans, si l’on ne savait, d’autre part, que ce petit martyr royal, dont la fin fut si courageuse et édifiante, en était bien capable:
« Bombelles, dit-il, sais-tu pourquoi nous ne voyons personne, tandis que la foule se porte chez mon frère?    -C’est qu’ici, c’est la chambre de la douleur, et chez Berry, c’est la chambre de l’espérance

Le comte de Fleury

Le duc de Bourgogne par Jean-Martial Frédou (1760)

 De complexion délicate le duc de Bourgogne est souvent souffrant, et chacun de l’entourer et d’essayer de le distraire. 

Image de La Guerre des Trônes (2022) de Vanessa Pontet et Eric Le Roux : Roman Williams est le duc de Bourgogne

Sous Louis XV, le règlement d’admission aux Ecuries est sensiblement modifié. L’Edit du 29 mai 1721 exige des preuves de noblesse remontant à 1550.

« Il faut, pour être reçu page, prouver au moins deux cents ans de noblesse directe, et avoir une pension de six cents livres destinée aux menues dépenses. Alors, les parents sont délivrés de toute sollicitude : habillement, nourriture, maîtres, soin pendant les maladies, tout est fourni avec une magnificence vraiment royale.
Un seul habit de page de la chambre coûte quinze cents livres ; aussi est-il en velours cramoisi brodé en or sur toutes les tailles. Le chapeau est garni d’un plumet et d’un large point d’Espagne. Ils ont, en plus, un petit habit de drap écarlate, galonné en or et argent.»

Alexandre de Tilly

Vivre et travailler dans les Écuries du Roi,
Les appartements de la Grande Écurie
( texte et illustrations de Christophe Duarte ; Versailles-passion )

Les bâtiments de la Grande Ecurie sont construits de 1679 à 1682 sur les plans de Mansart. Ils abritaient 2500 chevaux et 200 carrosses. Les deux écuries ont leur étage particulier. La Grande renferme les chevaux de mains, nécessaires aux besoins de la Cour. Dans la grande arcade du fond de la cour et dans le milieu de l’avant-corps, on pénètre dans un grand manège couvert aux côtés duquel se trouvent deux écuries.

Dans chacune des écuries sont aménagées plusieurs dizaines de logements, tant les grandes ailes que dans les corps de bâtiments de la demi-lune, les petites ailes des cours latérales et les mansardes.

Derrière elle est placé le grand manège pour les joutes et les tournois.

Dans les Ecuries du Roi dort l’élite des cadres de l’armée royale.

Le logement général de la Grand Écurie attribué au Grand Écuyer dispose d’un très grand nombres de pièces à tous les étages de l’aile droite.

Plan du Premier étage en 1751

Au premier étage, on en compte seize, dont douze avec cheminée et trois entresols. Enfin, il dispose à son gré de vingt-sept autres pièces et deux entresols au de uxième étage.A partir du XVIIIe siècle, la restauration des appartements est l’occasion de créer de nouveaux espaces en modifiant une distribution ancienne d’une relative simplicité. A la demande des occupants eux-mêmes, il est prévu d’ajouter des cloisons qui permettent de faire d’une chambre ancienne une petite chambre à coucher précédée d’une salle de compagnie.

Plan du Premier Étage de l'Aile des Pages en 1763

La multiplication des cheminées construites sans autorisation relève plus d’un «droit au confort» que revendiquent les plus modestes. Bien mieux qu’une suite de pièces de réception, le confort de la demeure témoigne désormais de la richesse et du raffinement du propriétaire.

La Grande Écurie

La chapelle des pages de la Grande Écurie
( texte et illustrations de Christophe Duarte ; Versailles – passion

Lors de la construction de la Grande Écurie en 1680, une Chapelle était prévue.    Elle se situe au bout de l’Aile Gauche de la Cour d’Honneur et s’éclaire par deux fenêtres donnant sur l’Avenue de Saint-Cloud.

Plan du rez-de-chaussée en 1680
Coupe transversale de l'Aile des Pages montrant la Salle-à-Manger au rez-de-chaussée, et les lits au premier étage

De plan carré, elle est orientée dans l’axe de la porte qui ouvre sur la salle d’exercice. L’autel est disposé dans une haute plinthe qui porte à ses extrémités deux stylobates sur lesquels sont disposées des colonnes jumelées d’ordre corinthien. Une grande glace rectangulaire est disposée entre les colonnes.

Plan de la chapelle
Elévation de l'autel

Sur les latérales sont superposés une porte à arc plein cintre et un grand oculus. L’une des portes conduit à la Sacristie tandis que la seconde est en réalité une simple niche plate. Deux colonnades encadrent la nef. L’une d’elle sépare nef et tribune et la seconde n’a d’autre fonction que d’établir une symétrie. Elles sont formées de quatre colonnes régulièrement espacées et leurs extrémités sont marquées par un pilier placé devant un pilastre.

Vue ancienne de la chapelle

Le mur externe de la tribune est décoré d’une série de pilastres qui répondent à la colonnade.  Le public dispose de quatre longs bancs, deux de chaque côtés.

C’est dans cette chapelle, en partie, du moins, que Marc trouve l’inspiration de sa vocation tardive…

« Les Pages du Roi, de la Reine, etc … formaient à Versailles une jeunesse turbulente, que le Grand Prévôt s’efforçait d’en réprimer les écarts. « Ils fréquentaient cafés et auberge, y faisaient de galantes rencontres, et trop souvent s’y livraient au libertinage. »

Paul Fromageot (Historien, spécialiste de Versailles)

Dans la série Franklin de Kirk Ellis et Howard Korder, avec Michael Douglas dans le rôle-titre, on suit le quotidien des pages à travers Temple Franklin, le petit-fils du savant, au service du comte d’Artois. Depuis l’attente et la dispute pour obtenir des dépêches à apporter en main propre aux différents courtisans ou membres du gouvernement aux activités plus ludiques de ces jeunes gens.

Au printemps 1760

Le duc de Bourgogne tombe du haut d’un cheval en carton qu’on lui avait offert quelque temps plus tôt. Il tait la cause de cette chute sans doute pour éviter au coupable d’être châtié ( chahut avec un camarade dont on aurait rendu responsable son entourage). Il était en présence de l’un de ses quatre gentilshommes de la chambre, le capitaine marquis de La Haye.Louis-Joseph est en effet connu pour sa grande bonté…

Dès lors, le jeune prince se met à boiter et les médecins lui découvrent une grosseur à la hanche. L’opération qu’il subit n’y fait rien. Le prince est alors condamné à rester dans sa chambre et ses études sont interrompues. Il souhaite pour être consolé retrouver son petit frère, le duc de Berry.

Pendant cette maladie aux alternatives de mieux et de cruelles souffrances, les courtisans commencent à ralentir leurs visites et entrent de préférence chez le duc de Berry (le futur Louis XVI). Un jour que le malade se trouve dans une solitude presque complète, il fait signe à son page qu’il veut lui parler; des paroles qu’il prononce on a établi ce mot «historique» qui semblerait un peu étonnant pour un enfant de dix ans, si l’on ne savait, d’autre part, que ce petit martyr royal, dont la fin est si courageuse et édifiante, en était bien capable.

«Bombelles, dit-il, sais-tu pourquoi nous ne voyons personne, tandis que la foule se porte chez mon frère?»

Image de La Guerre des Trônes (2022)
Henri-François de Bombelles

 

Le 29 juillet 1760

Décès de son père, Henri-François de Bombelles, lieutenant général, gouverneur de Bitche, commandant de la frontière de la Lorraine Allemande et de la Sarre. Officier de valeur et de services éclatants (les lettres du maréchal de Belle-Isle, du prince de Nassau, du maréchal du Muy, de Paris-Duverney, conservées aux Archives de Seine-et-Oise, témoignent en quelle estime le tenaient ses chefs ou les administrateurs de l’armée), il conquit une situation prépondérante comme gouverneur de Bitche, poste qu’il conserva de nombreuses années et jusqu’à sa mort, au moment où l’on songeait à lui donner le bâton de maréchal de France.

Le vrai chef de la famille c’est Marc-Henri, marquis de Bombelles, second fils du lieutenant général. Ce marquisat vient d’un fief masculin situé en Palatinat, concédé par le prince héréditaire de Hesse-Darmstadt, reconnu par l’Empereur et pour lequel régularisation a été consentie en France. Pour l’administration des finances très exiguës de la famille, pour l’éducation de ses deux sœurs, le marquis de Bombelles s’est tout à fait substitué à son frère aîné, et, d’un commun accord, c’est lui qui dirige, ordonne tout. Par sa raison pondérée, ses goûts d’économie, l’affection toute paternelle qu’il porte à ses sœurs—il s’est privé du revenu du fief pour leur éducation—il se montre à la hauteur de son rôle et digne d’éloges sans réserves. Ceci n’était pas toujours l’avis de sa belle-sœur, la comtesse de Bombelles, jalouse de cette influence et qui excitait continuellement son mari contre son frère. 

 

En novembre 1760

L’état de santé du duc de Bourgogne s’aggrave néanmoins et on lui diagnostique une double tuberculose (pulmonaire et osseuse) qui le cloue dans un fauteuil roulant. On pense que cette tuberculose peut être due au manque d’asepsie de l’époque… La Cour doit se rendre à l’évidence : la mort du prince est aussi imminente qu’inéluctable. Ses parents se trouvent dans « un accablement de douleur qu’on ne peut se représenter». Bientôt, le duc de Bourgogne ne peut quitter son lit. Le petit prince s’ennuie et s’inquiète même du retard qu’il prend dans ses études.  Le duc de Berry, qui tombe malade, est heureusement retiré à son frère aîné, dont l’état empire. Louis XVI restera traumatisé de la vision de son frère agonisant, dont il était devenu le souffre-douleur. Les médecins ont diagnostiqué la tuberculose osseuse et le jeune Louis-Joseph sait qu’il va mourir. Pourtant le prince se comporte en
homme et semble résigné.

Dessin du duc de Bourgogne malade
Le duc de Bourgogne malade

Marc de Bombelles entra fort jeune, comme page, dans la maison du duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XV, et le jeune prince témoignait la plus grande amitié à son compagnon de jeu. De complexion délicate le duc de Bourgogne était souvent souffrant, et chacun de l’entourer et d’essayer de le distraire .
On dut l’opérer d’une tumeur à la hanche, mais on ne le guérit point. Pendant cette maladie aux alternatives de mieux et de cruelles souffrances, les courtisans commençaient à ralentir leurs visites et entraient de préférence chez le duc de Berry
Un jour que le malade se trouvait dans une solitude presque complète, il fit signe à son page qu’il voulait lui parler; des paroles qu’il prononça on a établi ce mot «historique» qui semblerait un peu étonnant pour un enfant de dix ans, si l’on ne savait, d’autre part, que ce petit martyr royal, dont la fin fut si courageuse et édifiante, en était bien capable:
« Bombelles, dit-il, sais-tu pourquoi nous ne voyons personne, tandis que la foule se porte chez mon frère?   
-C’est qu’ici, c’est la chambre de la douleur, et chez Berry, c’est la chambre de l’espérance

Le comte de Fleury

Le 29 novembre 1760

Louis-Joseph reçoit le sacrement de confirmation et il est confessé. «On lui administre les quatre sacrements de suite. On accuse les médecins de la Cour de l’avoir mal gouverné par contradiction et jalousie les uns des autres car on ne peut guère espérer qu’il en revienne

Image de La Guerre des Trônes (2022) de Vanessa Pontet et Eric Le Roux

Le 16 mars 1761

Le duc de Bourgogne reçoit l’Extrême-onction.

Berry est absent : il est souffrant, et comme toujours quand il ne voit pas son petit frère, le duc de Bourgogne s’agite, se désole et s’inquiète.

« Monseigneur le duc de Berry s’étant trouvé très incommodé le soir du Vendredi Saint, et d’une manière à inquiéter, Monseigneur le duc de Bourgogne, tranquille dans les bras de la mort, semble avoir oublié le danger où il était pour ne s’occuper que de celui de son petit frère qui lui était cher ; il ne cessait d’en demander des nouvelles, et il se fit rendre comte par les médecins à trois reprises dans la journées, de l’état où il se trouvait.»

Le duc de la Vauguyon

Image de La Guerre des Trônes (2022) de Vanessa Pontet et Eric Le Roux

Dans la nuit du 20 au 21 mars 1761

Le jour de Pâques, le duc de Bourgogne meurt, en l’absence de son petit-frère, Louis-Auguste, alité lui aussi par une forte fièvre. Avant de décéder,  le jeune prince a un moment de faiblesse  – mais peut-on lui reprocher à son âge ? – et laisse échapper dans un cri  «maman». La mort du duc de Bourgogne est vécue comme un drame pour le Dauphin et la Dauphine. Marie-Josèphe déclarera :

« rien ne peut arracher de mon cœur la douleur qui y est gravée à jamais ».

A la Cour, la trace d’un enfant décédé, s’efface vite, mais dans le cœur du Dauphin et de la Dauphine, la trace du duc de Bourgogne ne devait jamais s’effacer.

Après la mort du prince

Marc-Henri de Bombelles entre au service, dans les mousquetaires, se distingue à l’armée du maréchal de Broglie, est blessé à Forbach, fait brillamment les campagnes de 1761 et 1762 comme aide de camp du marquis de Béthune.

Marc commande ensuite une compagnie du régiment de Berchenyi jusqu’au jour où il la cède à son frère Basile. Il parvient au grade de colonel lorsque, appuyé par le baron de Breteuil, alors ministre à Naples, il demande à faire partie de la légation.

Pendant son absence de plusieurs années M. de Bombelles confie Henriette-Victoire et Jeanne-Renée à Mme d’Offémont, née Françoise de Bombelles, sa tante, qui, veuve depuis longtemps d’un officier au régiment de Condé-Infanterie, vit retirée dans sa terre d’Offémont en Ile-de-France.

Excellent cœur mais tête folle, Henriette-Victoire voue une affection ardente au frère qui a veillé sur son enfance, payé son entretien au couvent (elle a étudié à Saint-Cyr) et qui même, de Naples, continue à s’occuper d’elle avec une sollicitude constante. Par les lettres de la jeune fille conservées aux Archives de Seine-et-Oise on voit quelle place un peu encombrante Mlle de Bombelles occupe dans les pensées… et les calculs financiers du secrétaire d’ambassade. Pas jolie, fantasque, exubérante et surtout sans aucune fortune, Mlle de Bombelles est fort difficile à marier. Les partis se présentent peu : le hasard doit amener celui auquel on aurait pu le moins songer. Un prince souverain allemand, père de la princesse de Bouillon, rencontre Henriette-Victoire pendant un voyage en Bavière, auprès de son frère devenu ministre à Ratisbonne. Séduit par le bavardage étourdi de cette jeune fille de dix-huit ans, le landgrave Constantin de Hesse Rheinfels demande sa main. Il a soixante ans; par son premier mariage il est père de plusieurs princes et princesses qui supportent mal une telle mésalliance. M. de Bombelles peut hésiter longtemps avant d’accepter pour sa sœur une union plus brillante en apparence qu’en réalité ; devant l’insistance de Henriette-Victoire, qui ne voit qu’une chose : être princesse, il cède, et le mariage a lieu en le 27 mai 1775.

Le domaine de Saint-Cyr

Il y a toujours des jeunes filles élevées dans des couvents très mondains où l’on apprend les révérences et l’art de se comporter à la Cour, il y a toujours aussi Saint-Cyr où la règle est plus sévère, l’éducation plus sérieuse, mais là ce n’est plus un couvent uniquement de luxe; n’y entrent et sur places libres, que les jeunes filles nobles et de famille militaire qu’a désignées la faveur du Roi… Celles-là auront une dot minuscule et un trousseau pour faciliter leur établissement, et c’est pourquoi la noblesse pauvre recherche tant pour ses filles l’institution de Saint-Louis. Angélique de Mackau, de famille noble et sans fortune, se trouvait bien dans les conditions voulues pour entrer dans cette maison recherchée. Il s’en fallut de peu qu’elle n’y compléte son éducation… Elle aurait été en compagnie de sa future belle-soeur. Mais Madame Élisabeth dont elle est devenue la compagne la réclame pour elle-même.

Marc de Bombelles

En avril 1765

Marc de Bombelles devient commandant d’une compagnie des hussards de Berchiny (plus tard, il parviendra au grade de maréchal de camp avec la décoration de Saint-Louis).

En 1768

Il entre au service diplomatique,  grâce à l’appui du baron de Breteuil, comme conseiller d’ambassade en Hollande, attaché auprès du baron de Breteuil, ambassadeur, qui le protège.

En mars 1771

Il devient de camp de cavalerie.

En mars 1772

Il est nommé conseiller d’ambassade à Naples.

Louis XV par Armand-Vincent de Montpetit

 

Le 10 mai 1774

Louis XV meurt de la petite vérole. Le Dauphin Louis-Auguste devient le Roi Louis XVI.

Marc de Bombelles conserve alors sa faveur à la Cour.

 

Dimanche 11 juin 1775

Louis XVI est sacré à Reims.

Louis XVI à Reims par Benjamin Warlop

En 1775

Bombelles devient Ministre du Roi Louis XVI après la Diète de l’Empire, à Ratisbonne, jusqu’en 1779.

Louis XVI par Joseph-Siffred Duplessis (1777)

Depuis le printemps de 1775

Le marquis de Bombelles est chargé, en remplacement du baron de Mackau, de la légation de France auprès de la Diète de Ratisbonne. En face des projets ambitieux de Joseph II sur la Bavière, la situation du ministre de France près des princes germaniques s’offre rien moins que facile. Le rôle de M. de Bombelles consiste à ne pas s’ingérer dans les affaires des petits souverains avec leurs puissants voisins. Pour remplir utilement un emploi de conciliation et d’effacement, un diplomate de carrière patient, sachant vivre simplement et presque à l’écart des intrigues «grouillantes» de Ratisbonne est nécessaire. Le plénipotentiaire se tire avec honneur d’un poste délicat, et, s’en tenant à la lettre de ses instructions, il mérite les éloges du Ministère français; il n’en doit pas être de même du Cabinet autrichien qui, ne trouvant pas en lui un serviteur aveugle de l’Empereur, se plaint à Paris; de là une série de griefs accumulés sur sa tête et dont Marie-Antoinette lui tiendra bien longtemps rigueur, quand plus tard il sera question de donner au diplomate un avancement mérité.

Marc rencontre alors Angélique de Mackau  avec son charme exquis, sa «sensibilité». La cour de Marie-Antoinette nous apparaît sans voiles avec ses compétitions rivales, ses clans opposés les uns aux autres. Le marquis se crée des intimités dans quelques familles; très attiré chez Mme de Schwartzenau, femme du ministre de Prusse, il se croit épris de la fille de la maison et  songe à demander sa main. Certaines hésitations de dernière heure, peut-être aussi des obstacles de fortune ou de caractère que des lettres postérieures nous font deviner l’ont fait renoncer à son projet. La jeune fille, plus désireuse que lui, sans doute, de contracter cette union, semontre mortifiée de l’abandon du marquis, et la rupture n’est pas sans récriminations et sans aigreur. Débarrassé d’un poids qui l’étouffait, M. de Bombelles n’a plus qu’une idée: se marier en France. Il est âgé de trente-trois ans, muni d’un poste diplomatique important, il n’a plus à se préoccuper que du sort de sa jeune sœur qui alors vit avec lui à Ratisbonne…

C’est justement Jeanne Renée qui persuade son frère que, s’il veut épouser Mlle de Mackau, fille d’une des sous-gouvernantes des Enfants de France, il n’a qu’à formuler une demande. 

Le 18 avril 1777

Visite de Joseph II en France. Il voyage en Europe sous le nom de comte de Falkenstein.

                         Joseph II

Pressentie pour épouser ce frère de Marie-Antoinette (deux fois veuf mais sans enfant et de vingt-trois ans son aîné), Élisabeth obtient de Louis XVI de pouvoir rester à Versailles, à l’instar de ses tantes.

  « Nous attendons incessamment l’empereur ici. Reste à savoir quelles seront les suites de cette visite auguste. Le public veut que le mariage de Madame Élisabeth en soit le résultat mais les gens qui croient être dans la bouteille à l’encre assurent qu’il n’en sera rien et alors, son séjour ici ne peut faire qu’un mauvais effet pour cette aimable princesse dont on dira qu’il n’a pas voulu après l’avoir vue …»

 Madame de Mackau à Marc de Bombelles

Montreuil, domaine de madame de Guéménée

L’année précédente, le marquis tombé malade à Versailles est soigné comme un fils par la baronne de Mackau avec laquelle, depuis toujours, il entretien les liens de la plus étroite intimité. Une jeune fille rieuse et raisonnable à la fois, de «caractère enchanteur» et d’éducation parfaite, cette Angélique, que depuis son enfance il suit pas à pas, charme la convalescence du diplomate; de longues causeries sous les ombrages des parcs appartenant à la princesse de Guéménée et à la comtesse de Marsan laissent dans l’esprit de l’un et de l’autre de durables impressions… Ils ne le savent pas peut-être jusqu’au jour où la correspondance de Mlle de Bombelles avec la baronne de Mackau  ravive de charmants souvenirs, faire entrevoir la possibilité d’une union entre deux cœurs qui ont déjà cheminé dans les sentiers de l’amitié.

De part et d’autre, on s’accorde vite. Mme de Mackau est sans fortune, dans le marquis de Bombelles, diplomate d’avenir, elle trouve un bon parti pour sa fille. Loin d’élever des objections contre la différence d’âge, elle encourage sa fille, à peine âgée de seize ans, à répondre aux sollicitations dont son amie, Mlle de Bombelles, se fait l’interprète. De son côté, Marc-Henri n’est que peu en état par lui-même de donner une brillante situation à celle qui deviendra sa femme; mais il escompte volontiers, outre les espérances de carrière, la protection précieuse de la jeune sœur du Roi.

Si jeune qu’elle soit, Mlle de Mackau joue un petit rôle dans la Cour intime des enfants de France. Sa mère, femme fort capable, s’est appliquée à lui donner une instruction sérieuse; la vie modeste qu’elle et ses enfants mènent à Strasbourg ne peut que fortifier les excellentes qualités d’Angélique. La jeune fille n’at pas connu les dangers d’une existence trop mondaine soit dans l’intérieur familial, soit dans les couvents à la mode, lesquels préparent si bien à la vie de Cour et si mal à la vie conjugale.
Marie-Angélique de Fitte de Soucy, baronne de Mackau, veuve d’un ministre du Roi à Ratisbonne, vivait tout à fait modestement à Strasbourg, lorsque Louis XV, à l’instigation de Mme de Marsan et sur les témoignages rendus par les dames de Saint-Louis (elle avait été élevée à Saint-Cyr), laissant les meilleurs souvenirs l’appela près de ses petites-filles en qualité de sous-gouvernante.

«Mme de Marsan, a raconté Mme de Bombelles, reçut ma mère comme si elle eût eu à la remercier d’avoir accepté l’emploi qu’elle lui avait confié. Elle voulut me voir et me présenter à Mesdames. Madame Élisabeth me considéra avec l’intérêt qu’inspire à un enfant la vue d’un autre enfant de son âge.
Je n’avais que deux ans de plus qu’elle, et étant aussi portée qu’elle à m’amuser, les jeux furent bientôt établis entre nous et la connaissance fut bientôt faite. Ma mère, n’ayant point de fortune, pria Mme de Marsan de solliciter pour moi une place à Saint-Cyr. Elle l’obtint, et je m’attendais à être incessamment conduite dans une maison pour laquelle j’avais déjà un véritable attachement. Cependant Madame Élisabeth demandait sans cesse à me voir; j’étais la récompense de son application et de sa docilité; et Mme de Marsan, s’apercevant que ce moyen avait un grand succès, proposa au Roi que je devinsse la compagne de Madame Élisabeth, avec l’assurance que, lorsqu’il en serait temps, il voudrait bien me marier. Sa Majesté y consentit. Dès ce moment je partageai tous les soins qu’on prenait de l’instruction et de l’éducation de Madame Élisabeth. Cette infortunée et adorable princesse, pouvant s’entretenir avec moi de tous les sentiments qui remplissaient son cœur, trouvait dans le mien une reconnaissance, un attachement qui, à ses yeux, tinrent lieu des qualités de l’esprit; elle m’a conservé sans altération des bontés et une tendresse qui m’ont valu autant de bonheur que j’éprouve aujourd’hui de douleur et d’amertume…»

Angélique de Mackau

Par cela même qu’elle est la compagne plus âgée de la princesse, dans ses jeux comme dans ses études, et compagne choisie non subie, Angélique doit exercer une utile influence, aider puissamment sa mère à faire triompher son programme de femme de haute piété et d’opiniâtre persévérance.

C’est par lettres que l’union est décidée, c’est par lettres qu’ils se promettent l’un à l’autre. M. de Bombelles a encore auprès de lui sa sœur Jeanne-Renée qui se porte garant du charme de Mlle de Mackau, et l’un et l’autre, sans s’être revus, semblent tout disposés à se déclarer épris. Les lettres d’Angélique témoignent d’un contentement parfait, du désir de rendre son mari heureux, de la volonté d’être heureuse par lui. De si bonnes dispositions pour l’avenir de son ménage ne sauraient aller sans de profonds sentiments de famille. Aussi Angélique est-elle reconnaissante à son futur mari de sa «façon de penser sur son adorable mère». C’est avoir gagné le cœur de sa fille que de dire du bien de Mme de Mackau.

Bien que ne devant être célébré qu’en janvier le mariage est annoncé, et Mlle de Mackau entre en relations suivies avec sa nouvelle famille. C’est la comtesse de Reichenberg qui écrit d’Allemagne plusieurs lettres plus tendres les unes que les autres; c’est la comtesse de Bombelles, femme du frère du marquis, qui fait un effort pour paraître aimable. «Elle m’aime beaucoup, dit Angélique un peu sceptique, je lui ferai bien ma cour pour qu’elle m’aime davantage.» Le monde de la Cour se met aussi en frais pour l’amie de Madame Élisabeth; la princesse de Guéménée la mène à l’Opéra voir un nouvel opéra, Evrelingue. La Reine ayant la fièvre tierce, il n’y a pas de séjour à Compiègne; Angélique s’en console aisément, car «Compiègne l’ennuie», et elle s’est dit: «A quelque chose malheur est bon.»

 Le 23 janvier 1778

Marc de Bombelles épouse à Versailles Marie-Angélique de Mackau (1762-1800), dame pour accompagner mais aussi amie intime de Madame Élisabeth (1764-1794), sœur du Roi, dont la mère, Marie-Angélique de Fitte de Soucy (1723-1901) est la sous-gouvernante de la princesse. Madame Elisabeth a obtenu, de son frère Louis XVI, pour son amie, une dot de 100 000 frs, une pension de 1 000 écus et la promesse d’une place de dame de compagnie auprès de sa personne quand sa Maison sera formée.

Marc de Bombelles par Benjamin Warlop
Angélique de Mackau, marquise de Bombelles
Madame de Mackau, née Marie-Angélique de Fitte de Soucy, sa mère

Le mariage conclu, les deux époux passent un temps assez court à Versailles, à l’Hôtel d’Orléans, chez le baron de Breteuil : la séparation d’usage à l’époque quand les mariés ou l’un d’eux était trop jeune n’a-t-elle pas lieu, et la lune de miel reçoit-elle plein effet.

Ce sera un ménage modèle, admirable par son amoureuse et amicale fidélité et, en même temps, intéressant non seulement par lui-même mais par ses alentours, par les milieux où il lui a été donné de se mouvoir; grâce à des fragments d’autobiographie et à une correspondance nombreuse—le mari, diplomate, étant souvent absent du nid—prendre ce couple avant les justes noces, le voir évoluer au milieu de la Cour de Marie-Antoinette, l’étudier psychologiquement durant les années heureuses, pouvoir plus tard le suivre aux heures de lutte, aux heures d’angoisse, voilà le régal que nous offraient les dossiers inexplorés des Bombelles.

Le devoir d’Angélique l’attache à Versailles quand bien même la bonté de Madame Élisabeth serait insuffisante à l’y retenir. Là elle veillera à la carrière de son mari, pensera à son avenir au lieu de s’occuper de ses plaisirs. Qualité ou défaut, l’ambition mène les hommes qui n’ont pas pour unique souci de vivre mécaniquement et au jour le jour; Bombelles n’a jamais échappé à cette obsession quand il était célibataire; raison de plus d’être ambitieux du jour où il prend femme et caresse l’espoir de fonder une famille, et ces rêves d’ambition il les inculque à «son ange».  Tous deux souffrent de l’éloignement, s’en plaignent parfois amèrement, mais s’inclinent forcément devant la nécessité. L’expression de leurs regrets et de leurs espérances nous vaut une correspondance où les anecdotes politiques alternent avec l’expression des sentiments tendres.

Début février 1778

Rappelé par les événements de Bavière, le marquis de Bombelles part pour rejoindre son poste emmenant avec lui sa jeune sœur. Sa femme l’accompagne jusqu’à Strasbourg; à peine de retour à Paris, elle lui écrit le «cœur bien gros», car elle se sent «isolée et comme un corps sans âme». Angélique a seize ans le 24 février.

«Que d’événements viennent de se passer, et la fin de l’année ramènera-t-elle des jours heureux ! »

Avec son ami le baron de Breteuil, ambassadeur à Vienne, Bombelles s’ouvre davantage: tout en confessant ses anciennes sympathies et sa rancune contre l’orgueilleuse Autriche qui trouble par son ambition la paix de l’Europe centrale, il conclut :

«Nous ne pouvons plus, comme autrefois, revenir systématiquement à l’alliance du roi de Prusse. Ce prince et ses successeurs seront trop puissants pour porter dans cet accord l’esprit de déférence qu’il nous convient de trouver.»

En janvier 1779

Bombelles va avoir à soutenir sa soeur, Mme de Reichenberg. La mort du landgrave qu’elle ignore encore, mais dont elle n’est pas sans escompter les effets, est chose bien grave pour la situation de sa sœur. Mme de Reichenberg, si peu sérieuse qu’elle soit, envisage la question de ses intérêts avec soin. Elle  supplie sa belle-sœur de voler chez M. de Vergennes.

«Sa lettre m’a fait une peine affreuse, écrit la marquise le 5 janvier… Son mari est à toute extrémité. Il faut que je tâche d’obtenir que tu viennes la chercher, car sa fortune, son honneur, sa vie même, m’écrit-elle, y étaient engagés.»

Angélique fait ce qu’on lui demande, mais l’on sait le peu d’encouragements donnés par Vergennes. Reste la question du deuil, si importante en l’espèce. Si par testament Mme de Reichenberg n’est pas déclarée princesse, comme le landgrave l’a formellement promis par lettre, il est sans doute ridicule de porter le grand deuil, c’est-à-dire la laine. Ceci est d’abord l’avis de Mme de Bombelles; c’est encore plus l’avis de M. de Vergennes, qui bien froidement lui déclare que Mme de Reichenberg ne sera reconnue princesse ni en Allemagne, ni en France, qu’il est donc plus qu’inutile de songer à porter son deuil. Et le ministre semble avoir raison; d’autres personnes consultées ont fait la même réponse: si l’Empire ne reconnaît pas Mme de Reichenberg comme princesse, le Roi ne lui concédera pas davantage ce titre.

Un instant M. de Bombelles a partagé les illusions de sa sœur. Se référant à ce qu’avait promis le landgrave au moment du mariage, à ce qu’il avait toujours répété devant ses enfants, et enfin a rappelé dans son testament, le marquis envoie à Paris les pièces qui prouvent la volonté du feu landgrave. Il se leurre au point de croire que MM. de Maurepas et de Vergennes s’emploieront utilement en la cause et ne refuseront pas leur concours à l’obtention de lettres royales, et prend des engagements conditionnels pour la veuve morganatique du prince de Hesse: sa sœur restera dans les premiers temps en Alsace, par là son titre ne gênera personne.

«Il ne peut d’ailleurs, ajoute-t-il, porter ombrage qu’à Mme de Bouillon, et je me flatte qu’une injuste vanité de cette princesse ne l’emportera pas sur la justice d’honorer, sans inconvénient, la sœur de plusieurs bons serviteurs du Roi et la fille d’un ancien militaire estimé.»

La comtesse de Forbach n’est-elle pas reconnue comme douairière des Deux-Ponts ? Voilà les arguments non négligeables que met en avant M. de Bombelles, pour soutenir que, «le landgrave ayant reconnu sa femme princesse de Hesse, cette reconnaissance suffit pour mériter à la veuve, sous ce titre, l’appui de Sa Majesté». N’ajoute-t-il pas, comptant trop bénévolement sur la bonne foi de ces principicules:

«Vu que ma sœur est sans postérité, il est positif que le landgrave de Cassel, le seul qui puisse avoir quelque influence en France ne fera aucune démarche contraire à la veuve de son cousin pour laquelle il est foncièrement pénétré d’estime.»

Le deuil de Mme de Bombelles, si occupant qu’il soit en apparence, n’est pas de ceux qui troublent une existence, et si, pendant quelques jours, elle s’abstient de grandes réunions, elle n’en remplit pas moins son «doux service» auprès de Madame Élisabeth. Un tant soit peu musicienne, elle s’est mise dans la tête d’amener la princesse à jouer en mesure. C’est, paraît-il, chose très difficile, et le concerto joué à quatre mains devant le comte d’Artois, certain soir de janvier, n’aurait pas réjoui l’oreille très fine du marquis.

La musique amena une petite scène que Mme Bombelles conte gentiment :

«A propos, Madame Élisabeth m’a ôté cette harpe dont je t’ai parlé, qui m’avait fait tant de plaisir. Je lui ai dit ce que le saint homme Job dit au Seigneur quand il lui ôta ses biens, et j’ai su depuis qu’elle l’avait donnée à ta sœur. Tu juges de ma colère. Enfin, après avoir subi des épreuves terribles, j’ai vu paraître la plus jolie harpe qui ait jamais été, depuis que le monde est monde. Après avoir partagé mes chagrins, j’espère que tu partages ma joie, elle a été extrême. Mais, comme j’étais en peine de sa cherté, je fis part à Madame Élisabeth de mon inquiétude. Elle me rassura en me disant qu’elle ne lui coûtait rien, que M. le duc de Villequier s’était chargé de l’acheter et la comtesse Diane de la payer, de sorte que mon plaisir en fut encore plus vif.»

La comtesse Diane fait l’aimable. «Je suis comme un ange avec elle, observe la marquise qui a lieu de s’en étonner, connaissant la fausseté de la dame d’honneur; si je ne savais ce que je sais, je la croirais ma meilleure amie, mais je me garde bien de l’imaginer, et ses manières avec moi me donnent souvent envie de rire.»

Comme, tous les huit jours, elle donne un concert en l’honneur de Madame Élisabeth, elle engage Mme de Bombelles, «croyant que son peu d’usage du monde l’empêche de voir qu’elle tâche adroitement de détacher Madame Élisabeth du désir d’aller s’amuser chez Mme de Mackau».—«Je ne le vois que trop, dit au contraire la jeune femme et j’en suis vraiment affligée pour maman à qui cela fait de la peine.»

Aussi est-ce avec joie que, dans une lettre suivante, elle raconte à son mari que Mme de Mackau, elle aussi, a donné un concert que Madame Élisabeth a trouvé «charmant», ajoutant même tout bas «qu’elle s’y était infiniment amusée, qu’elle l’avait trouvé bien plus joli que ceux de la comtesse Diane».

La comtesse Diane de Polignac par Benjamin Warlop

 «Ta femme n’est pas jolie, mais pas du tout; aussi, quand tu me reverras, tu me trouveras enlaidie.»

Angélique à Marc de Bombelles

En revanche, le moral s’améliore tous les jours:

« Tu me trouveras un caractère charmant, je deviens douce et complaisante, je n’ai presque jamais d’humeur. Si je rêve que j’ai une querelle avec toi, c’est toujours moi qui reviens la première, et pour cela je me dépêche, de peur que tu ne prennes les devants.»

Ibid

Le 21 février 1779

« Je n’ai pas mal ri de la fatuité avec laquelle tu parles de tes diamants que tu as resserrés e n te déshabillant. Qui te les avait prêtés? […] Ecoute, je crois que tu brillais aux dépens de ta maîtresse

Marc de Bombelles se moquant gentiment de sa femme à qui Madame Elisabeth a prêté des bijoux

Image du film Jeanne du Barry (2023) de Maïwenn Le Besco qui relate un fait de 1769, dans un style de 1777, mais qui laisse imaginer l'ambiance protocolaire d'une présentation à la Cour.

Angélique de Bombelles est  présentée au Roi et à la Reine, aux princes, au duc d’Orléans et à la duchesse de Chartres, s’occupant, à peine entrée à la Cour, de son frère le baron de Mackau, qui veut vendre son bâton de capitaine au régiment de Berchenyi. A ce propos apparaît le nom du comte Valentin d’Esterházy, l’ami dévoué de M. de Bombelles, le serviteur fidèle, à l’avis souvent écouté par Marie-Antoinette, et, à voir combien souvent est évoqué le nom du grand seigneur hongrois, personnage resté un peu énigmatique dans la vie de la Reine, on remarquera sans doute que le colonel au service de la France jouit d’une influence comme bien peu d’autres en ont connue à la cour de Louis XVI.

Deux jours après

Mme de Bombelles réinstallée à Versailles semble un peu remontée, car elle reçoit les nouvelles attendues de son mari. Quel plaisir à recevoir cette lettre mêlée de tendresses et de folies «qui la fait à la fois pleurer et rire». Il y a là sans doute quelque incident humoristique de voyage comme le marquis aime à les raconter. Quant à avoir envie de danser, il y a loin; et pourtant, la duchesse de Chartres l’invite à son bal; elle s’excuse, étant souffrante. Il n’en est pas de même du bal donné par sa tante, la marquise de Soucy, car, si elle n’y allait pas, on dirait «qu’elle est une bégueule», et par le fait elle y paraîtra, quitte à «passablement s’y ennuyer».

Valentin d'Esterházy par Benjamin Warlop

Début mars 1779

Mme de Bombelles est auprès de Madame Élisabeth pendant une semaine. Cela vaut au marquis mille compliments de la princesse qui «voudrait bien être dans la poche» de son amie, quand elle ira voir son mari en Alsace, et, en raison de ce projet vague, des questions en vue de ce voyage.
Ce qui est important et ne saurait être indifférent à M. de Bombelles, c’est que Madame Élisabeth emmène Angélique chez le Roi. Celui-ci a beaucoup regardée la marquise. Madame a dit à Madame Élisabeth que son amie «embellissait tous les jours»; enfin la Reine lui a adressé quelques mots.

Nick Nolte est Thomas Jefferson dans le film d'Ivory. Gwyneth Paltrow est sa fille, Patsy

En mars 1779

La rougeole ne tarde pas à sévir à Versailles; en même temps que la Reine, Mme de Bombelles est atteinte.

La Reine est alors veillée par le comte d’Esterházy (1740-1805), le baron de Besenval (1721-1791) et les ducs de Coigny (1737-1821) et de Guînes (1735-1806). Ses dames ne peuvent lui tenir compagnie à ce moment car la rougeole est dangereuse pour les femmes enceintes, ce qu’elles peuvent toutes susceptibles d’être.

Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola

« Les trois semaines que nous passâmes à Trianon furent très agréables, uniquement occupés de la santé et de l’amusement de la reine, de petites fêtes simples dans un lieu charmant , des promenades en calèches ou sur l’eau. Point d’intrigues, point d’affaires, points de gros jeux. Seule la magnificence qui y régnait pouvait faire soupçonner qu’on était à la cour.»

Valentin, comte d’Esterházy

Angélique, douce, raisonnable—très raisonnable toujours malgré un soupçon d’enfantillage de forme plus que de fond—bonne, affectueuse et désireuse d’affection, très séduisante avec ses traits fins, ses grands yeux bons respirant la franchise, son accueil amène et bienveillant, est aimée de tous ceux qui l’entourent. Chacun prend intérêt à son avenir conjugal: elle ne fait pas en somme qu’un mariage de raison inespéré, en épousant un homme d’intelligence et de valeur, ministre plénipotentiaire à trente-trois ans et appelé à devenir ambassadeur. Elle aime comme un frère très aîné cet ami de la famille, et elle trouve tout simple, en s’alliant à un homme sérieux, de dix-sept ans plus âgé qu’elle, de se donner un protecteur en même temps qu’un mari.

Angélique prend garde à ne plus trop se rendre chez la princesse de Guéménée dont le salon a été qualifié de vrai tripot par Joseph II, elle tient à préserver sa réputation. 

Le 9 avril 1779

La constitution définitive de la maison de Madame Élisabeth met en mouvement les intrigues et les compétitions. La liste officielle est connue; la coterie Polignac y a plusieurs représentants. La comtesse Diane, sœur de M. de Polignac, va être nommée dame d’honneur, la marquise de Sérent (née Montmorency-Luxembourg) est dame d’atours, le comte de Coigny, chevalier d’honneur; le comte d’Adhémar, premier écuyer; M. de Podenas, écuyer; l’abbé de Montaigu, aumônier. Outre Mme de Bombelles, Mme de Canillac et Mme de Causans qui avaient déjà le service, les dames pour accompagner seront la marquise de Soran, Mmes de Bourdeilles, de Tilly, de Melfort. Mme de Mackau restait nominativement sous-gouvernante des Enfants de France.

Mme de Bombelles a maintenant une petite chambre au château et, tout gentiment, Madame Élisabeth vient la voir chaque matin. Souvent elle fait apporter son déjeuner, et toutes deux, assises près de la fenêtre, prennent leur petit repas. C’est le moment des confidences dont Mme de Bombelles a le bon droit d’être fière; la simple et bonne Madame Élisabeth ne varie pas dans ses amitiés que rien ne viendra troubler. Elles vont avoir bientôt à se réjouir toutes deux, car officiellement, et réellement cette fois, on annonce la grossesse de la Reine. Ce «mal au cœur» depuis si longtemps attendu réjouit tout le monde, excepté le comte de Provence et les envieux de la Reine.

«Vous n’avez pas idée, écrit Mme de Bombelles, de la joie de la Reine et de celle du Roi. On doute encore un peu, mais on l’espère presque autant qu’on le désire.»

Le 22 avril 1779

Angélique de Bombelles rend compte d’une visite de Madame Élisabeth à son retour de Trianon :

«La Reine en est enchantée, elle dit à tout le monde qu’il n’y a rien de si aimable, qu’elle ne la connaissait pas encore bien, mais qu’elle en avait fait son amie, et que ce serait pour toute la vie.»

Une grave question à cette époque est l’inoculation pour combattre les ravages de la petite vérole. Bien qu’ayant eu récemment la rougeole Mme de Bombelles s’est mise dans les mains du célèbre chirurgien Goetz. Un régime sévère et de grandes précautions précèdent alors cette légère opération qui, depuis, est passée dans les mœurs.

Comme on peut le prévoir, en apprenant la constitution de la maison de Madame Élisabeth, M. de Bombelles est partagé par deux sentiments : le premier, de reconnaissance envers la princesse qui s’attache définitivement son amie et envers le Roi qui assure ainsi l’existence matérielle de sa femme; le second, de tristesse, en constatant que le fossé se creuse plus profond entre Angélique et lui.

«Plaignez-moi, écrit-il dans un jour de mélancolie; plaignez-moi du tourment que j’endure d’être si loin de vous; chaque jour me le rend plus insupportable et vous seriez contente de moi si vous voyiez tous les efforts que ma raison doit faire pour accoutumer un cœur tout à vous à en être séparé. Cela me donne par moment une humeur dont je ne suis pas toujours le maître.»

La raison lui commande de se résigner à ce qu’il ne peut empêcher; il ne demandera pas à sa femme de fausses démarches, car «leur peu de fortune prescrit bien des lois que son cœur maudit.» Être obligé de se laisser arrêter par des considérations matérielles, quand on aime passionnément, n’est-ce pas cruel? 

Les jours ne sont pas toujours monotones; il y a parfois comédie ou danse. Madame Élisabeth désirant monter à cheval, des ordres sont donnés en conséquence. Mme de Bombelles doit-elle l’accompagner? Oui, si l’on n’avait consulté que son plaisir; mais, la comtesse Diane ayant insinué prudemment que la marquise, ne sachant pas monter, pouvait faire encourir des dangers à Madame Élisabeth, elle a suivi la première fois en carrosse pendant que la princesse était à cheval. Moins prudente, la Reine trouve que cela «n’a pas le sens commun» et déclare à Mme de Bombelles qu’il faut qu’elle monte à cheval, que cela l’amusera et donnera de l’émulation à Madame Élisabeth, «qu’il n’y a aucun danger parce qu’un piqueur serait chargé de lui montrer». Personne ne trouve à redire à cette combinaison discutable, et la première promenade se passe sans encombre. Le hasard fait que Mme de Bombelles a du goût pour le cheval et qu’elle apprend assez vite à monter convenablement. Grande joie du marquis qui, à Ratisbonne lui   cherche déjà une monture; grande joie de Madame Élisabeth qui «raffole du cheval ».

Ratisbonne, en Allemagne

En mai 1779

M. de Bombelles s’apprête à revenir en France en vertu d’un congé. Il laissera à Ratisbonne sa sœur, la comtesse de Reichenberg, qui se désole de cet abandon. Sans doute elle reviendra un peu plus tard en France. Son frère voudrait la voir s’établir pendant quelques années à Provins, en ne passant que deux ou trois mois à Paris où sa situation de fortune ne lui permettrait pas de vivre agréablement toute l’année.

En milieu d’août 1779

M. de Bombelles arrive en France dans le milieu d’août, passe deux mois avec sa femme.

En octobre 1779

Marc emmène Angélique dans un état de grossesse très avancée. Pendant ce séjour, il est question d’un mariage entre Jeanne-Renée de Bombelles et le marquis de Travanet, maître de camp de dragons. La comtesse Diane semble s’en occuper et triompher des hésitations de M. de Travanet en lui faisant promettre de l’avancement par le prince de Montbarrey. M. de Travanet est un homme charmant, maître d’une belle fortune, possesseur d’une terre à Viarmes près de Chantilly, mais c’est un joueur incorrigible, et il donnera de grands ennuis à sa femme. Le contrat est signé le 17 novembre 1779 ; le mariage a lieu le lendemain, en l’église Saint-Louis.

Une lettre de Madame Élisabeth du 27 novembre contient ces mots au sujet du mariage :

«Dis à Mme de Travanette que je meure d’envie de la voir. Mande-moi toutes les grimasses qu’a fait ta belle-sœur pendant le mariage et toutes les bêtises, qu’elle aura dit qui certainement t’ont beaucoup ennuyée si tu les a écoutées, et qui m’amuseront beaucoup en les lisant…Adieu, ma petite sœur Saint-Ange, il me paroit qu’il y a mille ans que je ne t’ai vue, je t’embrasse de tout mon cœur et suis de Votre Altesse,
«La très humble et très obéissante servante et sujette, «Élisabeth de France dite la Folle

A la fin de l’automne 1779

Les Bombelles passent quelques semaines ensemble à Ratisbonne. On doit supposer que nombreuses sont les soirées intimes où M. de Bombelles est instamment prié de chanter en s’accompagnant sur le clavecin. Tout occupée d’une grossesse dont le terme approche, la marquise ne prend qu’une part modérée à ces «dissipations» mondaines.

En 1780

Bombelles est nommé Chevalier de Saint-Louis.

Le 1er juillet 1780

Naissance de son fils, Louis-Philippe de Bombelles (qui mourra le 7 juillet 1843 à Vienne) ; il sera surnommé «Bonbom», futur chambellan de l’Empereur d’Autriche et son ambassadeur à Copenhague, à Dresde, puis à Florence.
A la naissance de son fils, Marc de Bombelles commence un journal conservé aujourd’hui par ses descendants et publié en partie.

Fin 1780

Les relevailles de Mme de Bombelles sont fêtées de façon touchante à Ratisbonne. A lire ces démonstrations de joie on devine ce qu’ont pu être les débordements de tendresse manifestés par Bombelles à la naissance de ce fils tant désiré, on pressent dans quelle mesure les amis de Ratisbonne tiennent à s’associer à son bonheur exultant. 
Les Bombelles reviennent en France au printemps 1781.

Le 29 novembre 1780

Décès de l’Impératrice Marie-Thérèse après une courte maladie.

L'Impératrice Marie-Thérèse

L’Empereur Joseph II (1741-1790) règne désormais seul à la tête du Saint-Empire.

Au mois d’avril 1781

La marquise quitte son mari non sans de grandes démonstrations de regrets et de tendresse, et elle fait son long voyage avec Bombon sans péripéties notables. Elle arrive à Versailles le 30 avril, à onze heures du soir.

«On nous a arrêtés dans les avenues pour nous dire que le plafond de l’hôtel d’Orléans était tombé et qu’il fallait aller loger à l’hôtel des Ambassadeurs. Moi qui n’étais occupée que de ne pas réveiller Bombon, je ne disais autre chose sinon qu’il ne fallait pas faire de bruit. Maman était furieuse de ma tranquillité, je ne savais à quoi attribuer son humeur; enfin nous sommes arrivés à l’hôtel, toute une famille était à la porte pour nous recevoir… Après avoir établi mon fils, je me suis aperçue que j’étais dans un appartement véritablement charmant. Tu ne peux imaginer ma surprise, car je ne me doutais pas du tout de ces nouvelles marques de bonté de la part de Madame Élisabeth. J’ai eu un plaisir à me trouver bien logée que je ne puis t’exprimer surtout à cause de Bombon, qui pourra se promener journellement dans les avenues de Sceaux et sur la place, sans que je le perde des yeux.»

Angélique à Marc de Bombelles

Angélique trouve  encore d’autres preuves des attentions affectueuses de la princesse. Lorsqu’elle se met à table, elle aperçoit un service de porcelaine blanc et or, des couverts, une écuelle d’argent, le tout à ses armes. Elle croit rêver, et tout cela lui donne envie de pleurer. Madame Élisabeth ne se contente pas de gâter son amie à son arrivée, elle a grande hâte de la voir et la fait demander dans la matinée du lendemain.

Madame Élisabeth promet d’intercéder en faveur de M. de Bombelles pour l’ambassade de Constantinople qu’il désire obtenir.

Quand la Cour est à Marly …

Le pavillon de Marly reconstitué virtuellement

« Je suis venue par le jardin chez Madame Élisabeth. La Reine, qui loge au-dessous d’elle, s’est mise à la fenêtre dès qu’elle m’a eu aperçue, m’a appelée, m’a demandé comment je me portais, où était mon fils… Elle m’a ajouté qu’elle était charmée d’avoir le plaisir de me voir. Je lui ai fait une belle révérence et je suis partie. Le soir, en sortant de chez Madame Élisabeth avec Bombon, j’ai encore rencontré la Reine avec Madame et Mme la comtesse d’Artois; elle s’est arrêtée pour le voir, m’a dit qu’elle le trouvait charmant. Le petit lui a arraché son éventail des mains, cela l’a fait beaucoup rire; elle lui a dit qu’il était un petit méchant, a encore joué avec lui et puis est partie. Madame Élisabeth, avec laquelle j’ai dîné, m’a comblée encore de bonté…»

Angélique de Bombelles

Promenade nocturne de la Reine, Madame et la comtesse d'Artois sur la terrasse de Versailles par Benjamin Warlop

«J’ai aussi été faire une visite à la comtesse Diane; elle m’a reçue avec la plus grande honnêteté, m’a demandé de tes nouvelles. La duchesse de Polignac qui y était m’a aussi fort bien traitée. Le comte d’Esterhazy m’a fait dire par Faverolles qu’il viendrait me voir mercredi matin et qu’il avait des choses fort intéressantes à me communiquer. Je suis bien curieuse de savoir ce qu’il a à me dire, je te le manderai tout de suite

Angélique à Marc de Bombelles

Le 15 mai 1781

De retour à Versailles, Mme de Bombelles récrit à son mari, sous l’impression d’une grande joie, causée par le portrait de son mari.

«J’ai eu hier un grand plaisir, mon petit chat, ton portrait m’est arrivé à six heures du soir, j’ai sauté de joie en voyant la caisse; je croyais qu’on ne l’ouvrirait jamais assez tôt… Lorsque j’ai aperçu ta figure, je me suis mise à pleurer de joie; je t’ai embrassé, caressé; j’ai poussé la folie jusqu’à te parler. Je t’ai couché sur mon lit, ensuite sur le canapé, véritablement ma tête était un peu tournée. La seule chose qui m’a contrariée, c’était que Bombon dormait; mais, en revanche, ce matin, il t’a bien accueilli: il voulait à toute force te prendre le nez, il disait papa et retournait le cadre, croyant de bonne foi que tu étais derrière la glace. Il est bon que tu saches qu’il a actuellement le talent le plus décidé pour jouer du clavecin, il donne de grands coups de poing sur le clavier, cela fait bien du bruit, ce qui le charme et le fait rire de tout son cœur. Il devient tous les jours plus gentil, je crois pourtant que ses dents viendront bientôt.»

Mme de Bombelles est aussi bonne mère qu’elle est tendre épouse, aussi prodigue-t-elle les détails sur la dentition des enfants, sur les conseils qu’on lui a donnés au point de vue du sevrage. Elle semble très moderne dans ses idées, puisqu’à l’enfant qui n’a pas encore percé sa première dent elle fait prendre panades et soupes, en attendant qu’il puisse se passer d’elle et soit sevré.

Madame Élisabeth vient de Marly la voir avec la comtesse Diane et l’ invite, de la part de la Reine, à se rendre à Marly, où il y a grand déjeuner et partie de barres. Mme de Bombelles hésite à accepter parce qu’elle attend la visite du comte d’Esterházy; elle se préparera à partir; en tout cas, si elle ne peut se rendre à l’invitation, Madame Élisabeth l’excusera en disant que l’enfant est souffrant. La comtesse Diane lui a fait «tout plein d’honnêtetés; elle va partir pour Passy où elle prendra les eaux pour un embarras d’estomac et serait charmée d’y recevoir sa visite à dîner: nous sommes comme des sœurs, c’est touchant». 

Le 16 mai 1781

M. de Bombelles continue fort tranquillement son voyage. De Besançon, il félicite sa femme du bon accueil fait par la princesse; il serait fort aise d’avoir des détails sur son installation dans son nouveau logement.

 «Comme je dois croire, je suis autorisé à penser qu’il sera bien souvent question de moi dans ce petit asile, j’en veux donc connaître tous les contours

Marc de Bombelles à sa femme Angélique

Il est triste pourtant sans sa femme, sans Bombon. Un charretier qui passe avec son enfant sur les bras lui fait envie; il pense à son Bombon dormant dans son berceau de Ratisbonne. A une extrémité de la ville, dans un faubourg sur le Doubs, il voit une femme qui caresse un enfant. Il ne peut s’empêcher de s’approcher, de questionner la mère et, de là, des points de comparaison avec son Bombon et celui des autres. Le marquis a l’âme «sensible» et exprime sa «sensibilité» en termes un peu précieux qui sont bien de leur époque. On aime mieux les naïvetés, les sincérités sans apprêt dont sa jeune femme émaille sa correspondance. 

Angélique de Bombelles parvient à voir le comte d’Esterházy et à se rendre tout de même à Marly. Ce qui concerne le comte Valentin est chiffré non sans impatience, car son écriture, d’ordinaire très régulière, est toute tremblée. Esterházy a abordé franchement la question avec la Reine, parlant de Bombelles avec chaleur. Marie-Antoinette ne dissimule pas certaines préventions contre le marquis: on s’est plaint à Elle qu’il a contrarié l’Empereur en se mêlant de choses qui ne le regardaient pas et qu’Elle désire ardemment que, hors ce qui est de son devoir, il ne fasse rien qui puisse déplaire à Son frère.

Esterházy répond vivement que c’est précisément là la condition tenue par Bombelles depuis qu’il est à Ratisbonne, que la Reine est trop juste pour savoir mauvais gré à un honnête homme de remplir sa charge. La Reine en convient, et le comte devenu plus confiant rassure la jeune femme, certifiant que Marie-Antoinette n’est nullement aigrie contre son mari, qu’il doit avant tout ne pas faire parler de lui ; que, lorsqu’une occasion se présentera de lui faire changer de poste, non seulement elle n’y mettra pas d’opposition, mais qu’elle usera de Son influence. Tout ceci, semble-t-il, a redonné du courage à Mme de Bombelles qui craignait beaucoup d’hostilité de la Reine. A Marly, où elle se décide à aller, bien que son fils soit souffrant, Mme de Bombelles a trouvé un accueil charmant.

« La Reine n’a cessé de s’occuper de moi, de me parler de mon fils, combien elle l’avait trouvé beau, de me plaisanter sur la peur que j’avais eue d’entrer dans le salon; enfin elle m’a traitée comme si elle m’aimait beaucoup. Elle a été hier matin à la petite maison (de Montreuil) et a dit à Mme de Guéménée et à ma sœur qu’elle était fort aise de mon retour, qu’elle m’avait trouvée blanchie, parlant beaucoup mieux et un maintien charmant.»

Angélique de Bombelles à son époux, Marc

Image de Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy

Madame Élisabeth est pleine d’attention pour le fils de son amie. Elle vient d’envoyer chercher de ses nouvelles :

«Mon Dieu! qu’elle est aimable, s’écrie Mme de Bombelles. D’honneur, je l’aime à la folie! Si tu avais vu combien elle était contente de mes petits succès d’avant-hier; comme elle est venue tout doucement m’arranger mon fichu, afin qu’il eût meilleure grâce, me dire la manière dont il fallait que je remercie la Reine de ce qu’elle m’avait invitée à cette partie. Réellement j’étais attendrie de son intérêt pour moi, et je voudrais avoir mille manières de lui marquer ma reconnaissance.»

Ibid

Le marquis continue lentement son voyage. Il s’est rendu de Pontarlier à Salines-de-Chaux; il a noté les moindres incidents de route, dont la gamme un peu monotone est coupée par une série de projets de carrière et de rappels amoureux: amour conjugal et ambition. A cause du voyage même, ses lettres n’arrivent pas régulièrement. C’est ce dont se plaint sa femme dans sa lettre du 24 mai 1781. 

Quant à Madame Élisabeth, elle est toujours tendre et affectueuse, mais elle a des dettes, et Mme de Bombelles se charge de la mission délicate d’aller trouver M. d’Harvelay; il lui faudra attendre, mais ses dettes montant à environ 2.000 louis seront payées.

Le 12 juin 1781

« J’ai été avant-hier au concert de la Reine avec Madame Élisabeth. La Reine m’a demandé comment je me portais, ainsi que mon enfant, et si cela ne le dérangeait pas que je vinsse au concert. Je lui ai dit qu’il venait de téter. Elle a repris: «Mais, si vous vouliez, on pourrait l’amener ici.» J’ai paru confondue de ses bontés, et lui ai répondu que je craindrais d’en abuser, qu’il attendrait fort bien mon retour. Effectivement cela ne lui a pas fait de mal. Je suis rentrée à neuf heures chez moi, il a tété et s’est endormi tout de suite… Le feu de l’Opéra dure encore, il brûle dans les souterrains où étaient les machines; mais on a grand’peur qu’il ne gagne les caves du Palais Royal où il y a trois cents toises de bois, beaucoup d’huile et d’eau-de-vie. On n’ose toucher à rien et on craint une explosion qui ferait peut-être sauter le Palais Royal, cela serait effroyable. Ce qu’il y a de certain, c’est que, si j’y avais un appartement, rien dans le monde ne m’y ferait rester.»

Angélique à Marc de Bombelles

Image de Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy

Le 14 juin 1781

Mme de Bombelles annonce l’arrivée de l’Empereur à Paris.

«Je suis étonnée qu’il ne soit pas venu tout de suite à Versailles. J’imagine que la Reine l’attend avec beaucoup d’impatience… La procession du Saint-Sacrement qui s’est faite ce matin était superbe, il faisait le plus beau temps du monde. J’ai été la voir passer d’une fenêtre, Madame Élisabeth m’ayant dispensée de l’accompagner… Le feu de l’Opéra dure toujours. Mme la duchesse de Chartres a quitté prudemment le Palais Royal et est établie à Saint-Cloud.»

Ibid

Décidément l’Empereur n’est pas arrivé à Paris; c’était une fausse nouvelle.

Le 25 juin 1781

La Reine part pour Trianon avec Madame Élisabeth. Mme de Bombelles y va tous les jours. Le 27, elle écrit :

«J’ai été à Trianon ce matin, petit chat, voir Madame Élisabeth avec quelque curiosité, parce que tout Paris disait que l’Empereur y était et qu’il allait l’épouser. C’est qu’il n’en est pas un mot, il est toujours à Bruxelles, et il n’est pas sûr même qu’il vienne ici; aussi ma tête a bien trotté inutilement. J’ai été souffrante depuis que je ne t’ai écrit, j’ai été avant-hier dîner chez la duchesse de Montmorency avec mon Bombon, qu’elle a trouvé charmant. Avant de partir de Paris j’ai été voir le baron de Breteuil qui est malade. Il a eu la goutte et une grosseur à la gorge qui le fait souffrir beaucoup. Il est d’une impatience que tu imagines… Il vient de faire une succession qui sera considérable. Mme de Louvois, une Hollandaise, que tu as beaucoup vue à la Haye, qui l’aimait à la folie et qu’il n’a pas voulu épouser, parce qu’elle était trop laide, vient de mourir et de lui laisser tout son bien à lui, à sa fille et à tous les enfants qu’elle pourra avoir. Ce sont les propres paroles de son testament, cela n’est-il pas bien heureux? Jamais tu n’auras l’esprit d’en conter assez bien à une femme, pour qu’elle te laisse un million de bien. Pauvre petit Bombon, cela lui irait à merveille. Mon chat, ce mariage de Madame Élisabeth m’a beaucoup occupée, car enfin, si elle était heureuse, quel bonheur ce serait pour moi de la savoir contente et de ne plus te quitter. Quant à la fortune, elle pourrait y aider encore davantage étant impératrice et, ne plus te quitter, mon petit chat, ne comptes-tu cela pour rien? Mon Dieu, cela n’arrivera jamais, ma destinée est de ne te pas voir la moitié de ma vie, c’est affreux; cette perspective me cause un chagrin que je ne puis te rendre. Il y a des moments où je pleure, je me désespère, où je suis tentée de laisser ma place, tout ce que je puis espérer, pour m’en aller avec toi. La raison, la reconnaissance que je dois à Madame Élisabeth me font revenir de cette espèce de délire, mais la raison empêche de faire des sottises et ne rend pas plus heureux pour cela ceux qui l’écoutent. C’est l’effet qu’elle produit sur moi. Je m’ennuie prodigieusement, je ne te le dissimule pas, et si le bon Dieu et toi ne m’avaient donné Bombon, je t’assure que je ne resterais pas ici, car nous aurons toujours de quoi vivre nous deux… mais cet enfant il ne faut pas qu’il soit malheureux…»

Ibid

L’ambassade de Constantinople hante toujours les rêves de M. de Bombelles, aussi a-t-il chargé sa femme de tenter de nouveau tout ce qu’elle pourra pour que Madame Élisabeth agisse sur la Reine.

Le 30 juin 1781

« J’ai parlé ce matin à Madame Élisabeth, et lui ai bien fait sa leçon; elle m’a promis de recommander cette affaire à la Reine avec la plus grande chaleur, et le plus tôt sera, je crois, le mieux… Le comte d’Esterházy est à Rocroi, il reviendra le mois prochain à ce que j’imagine, je le verrai dès qu’il sera de retour, et il te servira sûrement bien. J’ai vu hier Mme de Guéménée qui m’a parlé de toi avec le plus grand intérêt. Je lui ai parlé de notre affaire et de l’entrave que le baron de Breteuil craignait qu’il n’y eût. Elle m’a dit qu’il fallait que je misse tout de suite l’amitié de Madame Élisabeth pour moi en jeu vis-à-vis de la Reine, qu’il fallait que cette dernière l’emportât et qu’elle, de son côté, lui dirait tout ce que tu valais, ton esprit, tes talents, qu’il n’y avait enfin que ce moyen là d’assurer une fortune à ton enfant, et qu’il fallait absolument que cela fût. Si Madame Élisabeth nous seconde, j’ai encore quelque espoir. J’ai vu ce matin la Reine à Trianon qui m’a traitée à merveille, tout cela me rend du courage; pourvu que Madame Élisabeth n’aille pas encore nous faire languir! J’ai imaginé, pour l’aider, qu’il faudrait que je fasse un petit mémoire que je la prierais de lui donner. Je dirai à maman, lorsque j’en aurai fait le brouillon, de le corriger, et je t’en enverrai la copie… Si Madame Élisabeth y met de la chaleur sans dire que ce soit de toi, je dirai au baron de Breteuil que j’ai résolu de tenter vis-à-vis la Reine, si elle voulait se charger de notre affaire, et, quant à ce qu’il me dira sur la fâcherie de M. de Vergennes, je lui répondrai que je suis censée ignorer ses projets, qu’ainsi il ne pourra jamais raisonnablement t’en vouloir de ton ambition. Je l’engagerai à passer par Ratisbonne… Tout ceci n’empêche pas Madame Élisabeth de travailler à l’acquittement de tes dettes…
M. le maréchal de Soubise est fort mal, il a la gangrène à une jambe. Hier Mme de Guéménée le croyait hors d’affaire, et aujourd’hui on se désespère. La Reine et Madame Élisabeth reviennent après souper de Trianon, très fâchées de le quitter.»

Ibid

M. de Breteuil s’apprête à partir pour Vienne, tout en promenant sa grosseur à la gorge, «qui pourrait bien lui jouer un mauvais tour». Mme de Bombelles ne manque de lui faire une foule de recommandations, mais elle ne peut le déterminer à allonger son voyage pour passer par Ratisbonne.

Le 2 juillet 1781

Il y a quelque distraction au château. Au soir, en en revenant, Mme de Bombelles griffonne un post-scriptum : 

«Ah! mon chat, je me suis bien amusée ce soir. J’ai été avec ma petite belle-sœur et Mme de Clermont à la Comédie où Madame Élisabeth était avec la Reine. On a donné Tom Jones et l’Amitié à l’epreuve. Mme Saint-Huberti, une fameuse de l’Opéra, a fait les deux principaux rôles. Je me suis en allée au commencement de la seconde pièce endormir mon petit Bombon qui est actuellement paisiblement dans son berceau. J’avoue que, si la crainte que Bombon n’eût trop envie de dormir ne m’avait distraite du plaisir que j’avais au spectacle, rien dans le monde n’eût pu m’en arracher, car le commencement de l’Amitié à l’épreuve, que je ne connais pas, m’a paru charmant, mais j’ai été bien dédommagée en voyant mon petit enfant qui était fort content de mon retour…»

Ibid

Le 14 juillet 1781

Bombon a enfin sa première dent si lente à percer ! Mme de Bombelles tout émue, tout en larmes et reconnaissante au Ciel qu’un tel bonheur soit arrivé sans douleur, annonce le grand événement à son mari en ces termes : 

« Ce n’est plus un rêve, ce n’est plus une illusion! une dent blanche comme du lait; c’est à deux heures hier que nous en avons fait la découverte !»

Ibid

Elle est si sincère dans ses joies comme dans ses peines, si profondément mère, qu’on ne se sent nullement disposé à l’ironie. Pour naïfs qu’ils puissent sembler aux sceptiques, ces sentiments sont vrais, éternellement vrais et dignes d’approbation. L’amour maternel, de génération en génération, recommence son poème auprès de tous les berceaux, et nul n’a le droit de railler le plus beau joyau de l’écrin féminin. Mme de Bombelles, sûre d’être comprise par son mari, lui donne le plus de détails possible dans les lettres qui suivent.

Puis, Bombon, Louis-Philippe,  est sevré.

Le 22 juillet 1781

«C’est demain le grand jour. L’enfant se porte à merveille, mais je ne suis pas tranquille. Je crains que d’être sevré ne le rende malade, et, si j’eusse été absolument maîtresse, je ne m’y serais pas encore résolue; mais maman le désire si fort, craint tant que cela n’attaque ma santé, que je n’ai pas osé reculer… Je ne sais ce que je donnerais pour ne pas le sevrer, et, quand une fois ce temps-là sera passé, je serai bien contente…»

Angélique à Marc de Bombelles

Bombon se porte à merveille le 4 août.

« Il a parfaitement bien dormi l’autre nuit et celle-ci; mais celle d’auparavant qui était la seconde après notre séparation, ce pauvre petit avait bien du chagrin. Il voulait absolument téter; il pleurait, il appelait: Maman! maman! me cherchait partout, et ensuite faisait de grands soupirs et se remettait à pleurer. Cela n’est-il pas touchant au possible? A présent, il n’a plus de chagrin; mais, malgré cela, il parle de moi toute la journée, me cherche et fait signe avec son doigt qu’il faut aller à la porte du jardin, que j’y suis. J’ai pleuré quand on m’a donné ces détails. J’adore cet enfant, et les marques d’attachement qu’il m’a montrées dans cette occasion ne s’effaceront jamais de mon cœur ni de ma mémoire. J’irai aujourd’hui à Montreuil, le cœur m’en bat d’avance. Je verrai mon bijou, mais il ne me verra pas, il est trop occupé de moi, cela renouvellerait tous ses chagrins, et je l’aime trop pour désirer des jouissances aux dépens de sa tranquillité. Ainsi j’attendrai encore quelques jours pour l’embrasser. Je te réponds bien, que, cette besogne faite, rien dans ce monde ne pourra m’en séparer que le moment où tu t’en empareras..

Ibid

Été 1781

Seconde visite de Joseph II à Versailles.

« Je n’espère plus que l’Empereur l’épouse. Il part aujourd’hui (4 août), et, si on avait eu quelques idées, on aurait cherché à les faire causer, à les rapprocher. Au lieu de cela la Reine a paru peu occupée de Madame Élisabeth, pendant le séjour de son frère ici et ne lui a rien dit qui eût le moindre rapport à ce sujet; ainsi sûrement cela ne se fera pas

Ibid

Le 6 août 1781

«L’Empereur n’est parti qu’hier à cinq heures du matin. On dit qu’il a fait ses dévotions avant de partir, cet acte de dévotion m’étonne, car tout le monde dit qu’il n’y croit pas. Madame Élisabeth avait soupé la veille avec lui et toute la famille royale. La Reine se cachait sous son chapeau pour pleurer et elle avait l’air fort affligée du départ de son frère. Pour dire quelque chose, elle a demandé à Madame Élisabeth si ce n’était pas avec moi qu’elle avait pêché; elle lui a répondu que non, que je ne pouvais pas sortir parce que je sevrais mon enfant. L’Empereur lui a expliqué que j’étais à Madame Élisabeth qui avait beaucoup d’amitié pour moi, et l’Empereur a repris: «On dit qu’elle est fort jolie.» Là-dessus il y a eu dissertation sur ma figure…»

Ibid

Quand l’Empereur part, il n’y a plus de doute possible sur ces projets de mariage qui n’ont jamais été sérieux.

«J’en suis bien aise et fâchée: c’est peut-être fort heureux pour elle, cela ne l’est pas tant pour moi, puisque j’aurais toujours été avec toi si ce mariage s’était fait; mais je lui suis si attachée qu’il m’aurait été impossible de jouir tranquillement de ma liberté si cela n’avait pas fait son bonheur.»

Ibid

Le 7 août 1781 

« Ton enfant ressemble à l’amour, il en a toutes les grâces sans en avoir les caprices, car il est toujours de la meilleure humeur du monde. J’ai l’honneur a de lui plaire infiniment, et je me flatte qu’il m’aimera un jour autant que son père m’aimoit et que sa mère m’aime. Je suis enchantée de cette petite maman, et je me trouve bien heureuse quand je suis près d’elle. Adieu, mon ami, je t’embrasse avec autant de tendresse que feue mademoiselle de Bombelles, qui n’a point changé étant madame de Reichenberg, et qui sera toujours la même si elle devient madame de L… Ces trois personnes n’ont qu’un cœur, il est à toi jusqu’à son dernier soupir. »

Henriette-Victoire de Bombelles, veuve du landgrave de Hesse, comtesse de Reichenberg à son frère Marc

Image de La Guerre des Trônes de Vanessa Pontet, Samuel Collardey

Le 12 août 1781

«… La Reine continue toujours à me fort bien traiter, je viens de conduire Madame Élisabeth chez elle; elle m’a demandé comment se portait mon fils et m’a dit que sa fille avait de la passion pour lui, qu’elle en parlait toute la journée. Je t’enverrai cette certaine bourse que je t’ai mandé que je faisais. Je me flatte que tu seras content des coulants, ils sont des plus à la mode et ils te seront encore bien plus précieux lorsque tu sauras que c’est Madame Élisabeth qui me les a donnés et qu’elle trouve très bon que je te les envoie… Tu auras été bien désolé lorsque tu auras appris la mort de l’abbé de Breteuil. Le baron ne peut s’en consoler et je crois que, de sa vie, il n’a 180éprouvé une peine aussi forte. Cette mort-là m’a fait faire bien des réflexions; cet abbé a vécu comme s’il n’eût dû jamais mourir; ses plaisirs sont passés, le voilà mort, Dieu seul sait à quoi il était réservé, et ce qu’il est devenu. En vérité, quand on calcule bien la courte durée de cette vie et la longueur de l’éternité, on apprécie bien à sa juste valeur les objets de son ambition, et on prend une grande indifférence pour tous les événements de ce monde…. J’ai soupé hier au soir chez Mme la princesse de Lamballe, la Reine y est venue avec Madame Élisabeth et m’a fort bien traitée. Je me suis couchée à une heure du matin, ce qui ne m’était pas arrivé depuis longtemps. Je tâche de faire ma cour et, comme mon intention est que cela te soit utile ainsi qu’à Bombon, cela me donne du courage, et j’en ai besoin, car tu sais à quel point le grand monde m’intimide… Si le baron de Breteuil ne change pas d’avis, il t’ira voir en allant à Vienne

Angélique à Marc de Bombelles

Toujours poussée par son mari qui, entre deux paragraphes d’amour tendre et d’un lyrisme soutenu, a soin dans ses lettres de parler de sa carrière, Mme de Bombelles ne perd pas une occasion de favoriser les intérêts de l’ambitieux diplomate. Elle a vu le comte d’Esterházy, toujours difficile à saisir à son passage à Versailles. Lui seul est capable, d’après elle, de suivre utilement l’affaire et d’en référer à la Reine au moment opportun. Il est hors de doute que personne n’a plus de facilités pour parler à la Souveraine qui l’écoute très volontiers et lui accorde fréquemment ce qu’il demande.

Mme de Bombelles n’est pas au bout de ses illusions ! Bien des mois, bien des années se passeront avant que son mari n’obtienne cette ambassade but de ses désirs, couronnement de son ambition légitime de diplomate consciencieux et ponctuel. Malheureusement il n’appartient pas à ces quelques familles, que leur propre situation pousse tout naturellement en avant ; ses frères, ses proches, les parents de sa femme bien posés, mais sans fortune, sont eux-mêmes des fonctionnaires d’État ou de Cour, mais ne jouissent d’aucune influence. Ils ne font pas partie de la société de la Reine, sont à peine admis par les Polignac, sont traités par les Rohan en protégés subalternes. Mme de Bombelles est pour ainsi dire seule à quêter des protections efficaces. Qu’est-ce que des promesses vagues de M. de Vergennes, des recommandations sans puissance de Madame Élisabeth, une obligeance réelle, mais peu efficace peut-être du baron de Breteuil? La Reine seule et sa coterie omnipotente font et défont les ambassadeurs; le comte d’Adhémar s’en ira plus facilement à Londres qu’un vrai diplomate de carrière ne sera nommé à Constantinople. A M. de Bombelles, pour réussir d’attaque, il eût fallu non pas ses chefs directs, mais les meneurs de la coterie Polignac, un Vaudreuil, un Bezenval. Il s’est rabattu sur Esterházy fort bien en Cour et qui n’hésite pas à parler à la Reine directement: mais le comte a tant demandé et tant obtenu pour lui-même ! N’est-il pas un peu «brûlé», et son influence en décroissance? Quoi qu’il en soit, nous le verrons souvent plaider la cause de M. de Bombelles: de ses entretiens avec la Reine, à la jeune marquise, il ne donnera que la substance, ne se croyant pas tenu à marquer les gestes d’ennui que vient d’esquisser Marie-Antoinette. Personnellement Mme de Bombelles est sympathique à la Reine, qui voit avec grand plaisir auprès de sa belle-sœur cette jeune femme recommandable de tous points; Marie-Antoinette lui dira à l’occasion mille choses aimables sur elle ou son enfant, mais là s’arrête sa bienveillance. Elle n’essaiera pas de l’attirer dans son intimité plus brillante et moins sérieuse, la jugeant bien à sa place là où elle est. Quant au mari, elle lui garde rancune d’avoir mécontenté l’Empereur, son frère: ce grief «autrichien» ne sortira pas de sitôt de sa mémoire; nulle intervention ne parviendra à la convaincre que la personne de M. de Bombelles est de celles qui s’imposent pour les plus hauts postes diplomatiques.

Un événement de famille va distraire un instant Mme de Bombelles de ses préoccupations d’avenir. La sœur de son mari, Mme de Reichenberg, veuve du landgrave de Hesse, est sur le point de se remarier avec le marquis de Louvois, veuf de deux femmes, grand dissipateur devant l’Éternel et dont la conduite passée est moins que rassurante pour l’avenir. 
Angélique est fort effrayée de ce projet qui semble tant réjouir sa belle-sœur qui veut se marier à tout prix…

«Ce serait peut-être un beau mariage par les agréments qu’il lui donnerait dans ce moment-ci, mais le sujet me fait trembler, et j’avoue que le moment où elle l’épousera sera affreux pour moi, car je l’aime de tout mon cœur et je crains qu’elle ne se prépare des chagrins de tous les genres, car M. de Louvois est un bourreau d’argent et peut-être se verra-t-elle mère sans fortune à donner à ses enfants et sans ressource du côté de la considération de leur père. Toutes ces réflexions me font horreur, et je ne sais, en vérité, si à la place de ta sœur j’eusse accepté ce parti.»

Angélique de Bombelles à son époux, Marc

Mme de Reichenberg dont nous connaissons le tempérament ardent, l’imagination vive et le jugement impondéré, n’envisage pas les choses de cette façon, comme le prouve la longue lettre adressée à son frère qui vient de rentrer à Ratisbonne.
Voici, d’après Mme de Reichenberg, comment les choses se sont passées :

«Peu de jours après la mort de M. de Courtanvaux dont M. de Louvois a hérité, la marquise de Souvré, mère de ce dernier, vint me trouver et m’offrit la main de son fils. Je tombai de mon haut d’une pareille proposition, et, loin d’avoir l’air d’en être charmée, je lui dis que, malgré la reconnaissance que je ressentais du désir qu’elle me marquait de m’avoir pour belle-fille, il était si dangereux de confier son bonheur à M. de Louvois que je ne me sentais pas assez de courage pour cela. Elle ne se rebuta pas: tous les jours, nouvelles visites, nouvelles prières, toujours même refus de ma part. Le baron de Breteuil à qui je confiai l’aventure me disait qu’il ne fallait pas refuser absolument, que cet homme pouvait se corriger, qu’il avait une grande fortune, etc… Enfin, Mme de Souvré crut qu’elle me déterminerait mieux lorsque son fils serait ici. Elle le fit revenir de Hollande, elle vint chez moi me le présenter: jamais homme ne me déplut autant. Je lui trouvai le ton d’un roué, d’une mauvaise tête, etc. Je fus obligée de souper chez sa mère ce jour-là, de dîner dès le lendemain chez Mme de Sailly, sa sœur, et ma répugnance augmenta à un tel point que je prétextai un mal de tête pour me dispenser de passer la soirée avec eux. Je courus chez le baron de Breteuil à qui je dis qu’il m’était impossible d’épouser M. de Louvois. Il me gronda, et ensuite il vint Mme de la Vaupalière dans la confidence afin de voir ce que nous devions faire dans cette occurrence…»

Henriette-Victoire de Reichenberg à Marc de Bombelles

Une femme moins désireuse que Mme de Reichenberg de se marier coûte que coûte avec un homme riche en serait restée là, puisqu’après tout elle est libre de refuser. Pourtant il n’en est rien. Elle se montre touchée de l’insistance de Mme de Souvré qui lui assure que son fils ne pouvait être heureux sans elle.

«Elle me demanda une parole formelle d’épouser son fils; à cette nouvelle persécution je répondis qu’il me fallait encore quelques jours pour y réfléchir. J’eus recours à mes conseils et à nous trois nous fîmes les demandes suivantes…»

Ibid

Suit l’énoncé de ces demandes auxquelles M. de Louvois s’empresse de répondre. Mme de Reichenberg exige :
1o que M. de Louvois assure à Mme de Souvré une fortune plus considérable que celle dont elle jouit;
2o que l’état des dettes de M. de Louvois et de ce qui lui reste de fortune une fois toutes ses dettes payées, lui soit soumis;
3o qu’un douaire de 20.000 livres hypothéquées sur une des terres de M. de Louvois lui soit assuré, avec cette explication:

«M. de Louvois est trop honnête pour ne pas sentir que, si Mme de R… avait le malheur de le perdre, il ne serait pas décent qu’elle traînât dans la misère un nom comme le sien»;

4o qu’une pension de 12.000 livres lui soit assurée en compensation du douaire de même somme, venant du landgrave, qu’elle perdra en se remariant;
5o qu’une somme de 20.000 livres lui soit allouée pour son trousseau.

M. de Louvois acquiesce à toutes les demandes de Mme de Reichenberg. Quant à la fortune, une fois les dettes payées, elle est encore fort belle. Il avait hérité de quatre millions, dont la terre d’Ancy-le-Franc en Franche-Comté, rapportant 110.000 livres, et l’hôtel de Louvois valant deux millions et qu’on vendrait aussitôt. Il lui reste, de plus, des rentes diverses. En rachetant un hôtel et des meubles pour 600.000 francs et en payant ses dettes montant à 1.500.000 francs, M. de Louvois reste encore à la tête de près de trois millions et d’environ 120.000 livres de rente.

En envoyant tous ces relevés à son frère, Mme de Reichenberg donne cette explication :

«Tu verras que j’en agis comme quelqu’un qui apporterait un million de dot; mais, comme mon cœur n’est pour rien dans tout cela, je me suis dit: «Je ne veux changer mon état que pour un plus brillant, c’est à prendre ou à laisser, ma tête est aussi tranquille que s’il s’agissait d’une personne indifférente.» Cependant j’ai été beaucoup plus contente de M. de Louvois, il m’a parlé avec raison et esprit… Il demande, pour m’épouser, de rentrer au service; il y a de grandes difficultés, cependant depuis deux jours nous avons quelque espoir de réussir… Tu sauras, soit par moi, soit par ta femme, les suites de cette affaire… Ton enfant ressemble à l’amour, il en a toutes les grâces sans en avoir les caprices… Je suis enchantée de sa petite maman, et je me trouve bien heureuse quand je suis près d’elle.»

Ibid

Le 19 août 1781

Marc de Bombelles répond posément à sa soeur : 

« Vous me parlez si sagement de l’affaire présente que j’ai, ma chère amie, peu de conseils à vous donner. Je vais cependant pour répondre à votre confiance et au besoin qu’a mon cœur de vous savoir heureuse, dire à celle qui m’a toujours regardé comme un père ce que je dirais à ma fille chérie :
Aucune de vos conditions ne sont exagérées. Il en est peu de trop fortes, lorsqu’avec une aisance suffisante, un état convenable, on sacrifie sa liberté à une nouvelle position. Une fille prend tout ce qui peut honnêtement la tirer d’embarras. Une veuve trouve peu d’indulgence lorsqu’elle s’est donnée des chaînes dont elle pourrait se passer.
Si vous étiez froide, réfléchie, je vous dirais: vos conditions remplies, épousez. Mais vous êtes en possession d’une âme jusqu’à présent trop faible pour ne pas vous désoler si votre mari vous néglige, reprend son ancien train. Je vous ai vue raffoler d’un homme dégoûtant, d’un insensible, et, ma chère amie, que ne pourra pas sur vous celui qui pour mieux vous enchaîner prendra un degré de pouvoir sur vos feux. Les 20.000 francs qui vous seront assurés peuvent devenir sa ressource et l’objet de combats auxquels vous succomberiez quand on vous demandera des signatures. Souvenez-vous de ce que vous m’avez dit de la faiblesse de votre tempérament. Voilà mes seules craintes. Si M. de Louvois est corrigé, si 115 ou 120.000 livres de rentes ne sont pas pour lui un revenu insuffisant, alors j’applaudis de grand cœur à ce que vous acceptiez un état brillant qui peut mettre des jouissances à la place des privations; mais, ma chère amie, pensez à vous fortifier contre la peine que vous éprouveriez si une partie de ces jouissances s’en allaient en fumée. Une vie tissue par des désordres honteux se change rarement en une vie utile estimable. Vous aurez besoin d’indulgence pour un enfant récemment prodigue. Si vous pleurez, vous plaignez, vous fâchez aux signes de nouveaux écarts, vous éloignerez une conversion dont votre douceur, votre modération et votre patience assurera la durée et la consistance. Il faut bien aimer un homme pour le choyer; ainsi étudiez-vous, descendez au fond de votre âme, voyez si elle est capable des efforts auxquels vous la destinez…»

Marc de Bombelles à sa soeur Mme de Reichenberg

Après avoir plaidé le pour et le contre dans ce «scabreux mariage», M. de Bombelles engage sa sœur, avant de prendre un parti définitif, à consulter M. de Breteuil et… le comte d’Esterházy. Qu’elle ne mette pas les rieurs contre elle, si elle est trompée, car, veuve, elle pouvait vivre dans une indépendance honorable. Il termine ainsi : 

« Je ne trouve rien de plus sage que vos précautions. Je ne crains que la bonté de votre cœur et votre sensibilité aux vœux d’une famille. Il vous paraîtra fort beau d’en faire le bonheur aux dépens du vôtre, cela me paraîtrait fort triste…»

En attendant, le mariage traîne, car les dettes ne sont pas payées, et M. de Louvois assez gêné dans le moment, à ce qu’assure Mme de Travanet, pour essayer d’emprunter de grosses sommes. Une lettre d(Angélique, datée du 24 août 1781, ne nous fixe pas encore sur le mariage Louvois.
Mme de Bombelles part pour Viarmes chez sa belle-sœur. En arrivant, elle trouve une lettre de Madame Élisabeth, le surlendemain, elle en reçoit une seconde en réponse à celle qu’elle a écrite.

«Elle me mande qu’elle l’avait reçue à la Comédie, et que, comme elle avait été longtemps à la lire, la Reine lui avait demandé avec le plus grand intérêt, s’il ne m’était arrivé aucun accident, et qu’elle lui avait répondu quelle était trop bonne, que je me portais fort bien.» J’ai été fâchée, m’ajouta-t-elle, que ceci se soit passé à la Comédie; car sans cela le moment eût été bien favorable pour lui rappeler notre affaire; mais tu peux être sûre que la première occasion où je le pourrai, je ne l’échapperai pas.»

Angélique à Marc de Bombelles

Le marquis de Bombelles n’est pas sans applaudir à la petite diplomatie de sa femme avec la comtesse Diane. Aussitôt reçue la lettre où Mme de Bombelles lui conte sa visite à Passy, il lui répond : 

«… Je suis bien de ton avis qu’il faut autant qu’il est possible être bien avec les personnes dont notre position nécessite la liaison. Une marche honnête, droite, subjugue jusqu’à l’envie. On aura vu que tu étais sans inconvénient et que ta maîtresse appréciait réellement ton cœur et sa candeur; il valait mieux te laisser jouir en paix d’une faveur qui pourrait être, tôt ou tard, placée sur une tête remuante. Il est peut-être vrai que, d’après ces réflexions, la comtesse Diane t’aime un peu. Jouis des avantages de ce sentiment en lui rendant tous les bons offices convenables et en te prémunissant contre les légèretés, les humeurs, les caprices qui pourraient revenir…»

Marc de Bombelles à Angélique

Le 1er septembre 1781

Angélique quitte Viarmes à regret, parce qu’elle s’y est reposée et que Bombon, malgré de nouvelles dents prêtes à percer, s’y est bien porté, et elle s’est arrêtée à Paris pour voir Mme de Reichenberg dont le mariage ne se conclut pas. Puis elle suit la Cour au château de La Muette.

Le mariage Reichenberg-Louvois subit des retards. Le fils du landgrave a offert à sa belle-mère une pension dérisoire qu’elle a refusée; le marquis de Louvois cherche à emprunter de l’argent en Hollande, en attendant qu’il puisse reprendre 100.000 écus sur la succession de sa seconde femme. Pour le moment, il est à la tête d’immeubles, mais non de revenus, et il n’a pas un écu vaillant devant lui.

Mme de Bombelles a mal aux dents en la fin de septembre; le baron de Breteuil a parlé à la Reine au sujet de l’ambassade désirée; l’affaire Louvois est toujours au même point… Bombon est toujours délicieux…

Le 3 novembre 1781

Angélique annonce à son mari une nouvelle qui lui fera plaisir, et le 5 novembre, en effet, elle peut lui écrire, rassurée maintenant, après avoir connu une grosse inquiétude, que Bombon a eu la petite vérole. L’éruption a éclaté le 27 octobre 1781, et la courageuse petite femme, sans perdre la tête, sans alarmer inutilement son mari, fait soigner l’enfant par le célèbre Goetz, qui quitte ses inoculés pour venir auprès de Bombon atteint d’une fièvre terrible pendant deux jours avec des boutons plein le corps, les yeux perdus. L’enfant échappe à la mort grâce à sa forte constitution… Madame Élisabeth s’est montrée pleine d’attentions pour Bombon. Bientôt mère et enfant partent pour Montreuil, puis pour Chantilly où ils sont invités par Mlle de Condé.

De fin novembre au 17 décembre 1781

Mme de Bombelles est à Chantilly, où elle est l’hôte du prince de Condé et de sa fille, Louise-Adélaïde de Bourbon-Condé. Ce séjour excite les jalousies, déchaîne les commérages du clan Guéménée-Coigny. La marquise se révèle un peu nerveuse dans ses écrits, et elle, si indulgente d’ordinaire, se répand en justes récriminations contre les sottes calomnies si bénévolement répandues sur son compte. On a peine à comprendre que, pour avoir passé quelques jours à Chantilly, une femme impeccable comme l’est Mme de Bombelles a  pu se trouver en butte à des caquets aussi criminellement mensongers. 

Le château de Chantilly

Versailles, 22 décembre 1781

«J’ai eu un bien grand plaisir depuis que je ne t’ai écrit, bien moins causé par la chose en elle-même, que par les grâces qui l’ont accompagnée. Imagine-toi que pour les fêtes qui vont se donner Madame Élisabeth m’a fait faire un habit superbe; il est arrivé avant-hier. Il y avait déjà plusieurs jours qu’elle m’avait dit que bientôt je saurais un secret, qui l’occupait beaucoup. Effectivement, jeudi, elle m’a remis un gros paquet qu’elle m’a dit arriver de Chantilly. Je l’ai ouvert: j’ai vu enveloppe sur enveloppe, point d’écriture, ce qui me confirmait dans l’idée que ce secret était une plaisanterie. Enfin, après avoir déchiré encore bien des enveloppes, j’ai trouvé une petite lettre; sur le dessus était écrit de la main de Madame Élisabeth A ma tendre amie, et dedans il y avait: Reçois avec bonté, mon cher petit ange tutélaire, ce gage de ma tendre amitié. Au même instant le grand habit a paru, je suis restée confondue. La joie la plus vive a succédé au premier moment d’étonnement, je me suis mise à pleurer, je me suis jetée aux pieds de Madame Élisabeth, elle était dans l’enchantement de ma joie, de mon bonheur. La seule chose qui l’ait altérée, lorsque je l’ai examiné, a été de le trouver trop beau: il est brodé en or, en argent, de toutes les couleurs, enfin c’est un habit qui va à près de cinq mille francs. Ainsi tu peux en juger ; quoiqu’elle m’ait dit qu’elle le paierait quand elle voudrait, cela la gênera, cependant, un jour, et cette idée m’afflige. J’aimerais cent fois mieux, que l’habit fut de cinquante louis, enfin cela est fait et je ne puis m’empêcher d’être ravie. Sa petite lettre m’a charmée, j’ai trouvé cette tournure-là pleine d’amabilité. Mais ce n’est pas tout, elle m’a dit: de lui donner ma garniture de martre et qu’elle se chargeait de la faire arranger, pour le jour du bal que donnent les Gardes du corps, parce qu’il faut y être en robe. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour m’y opposer, mais il n’y a pas eu moyen, et réellement je me trouve, en ce moment-ci, accablée de ses bienfaits. D’un côté j’en jouis, et de l’autre je les trouve trop considérables, mais elle y met tant de grâces et tant de bontés qu’elle me force presque à croire que ses dons ne l’embarrasseront pas.
Mme de Causans a paru presque aussi contente que moi des bontés de Madame Élisabeth, elle était dans le secret. Il est impossible de donner plus de marques d’amitié qu’elle ne m’en donne. Sa tête va fort bien à présent et je l’aime réellement de tout mon cœur. Madame Élisabeth est impatientée, ainsi que moi, d’imaginer que tu n’apprendras ce fameux secret que dans neuf jours. Je ne te l’ai pas mandé tout de suite parce que, d’après les informations que j’ai prises à la poste, sur les jours où je devais t’écrire, tu n’en n’aurais pas eu la nouvelle plus tôt.»

Angélique à Marc de Bombelles

Le 31 décembre 1781

Mme de Bombelles fait sa cour et la manière dont la Reine la traite la tranquillise de nouveau.

L’année 1782 s’ouvre par l’annonce officielle du mariage de Mme de Reichenberg et du marquis de Louvois. Toutes difficultés sont vaincues, Mme de Reichenberg le mande à son frère, et sans être aucunement éprise, elle se dit satisfaite de l’esprit et du cœur de son futur mari ; il est galant, de jolie tournure, généreux, et a su respecter «la situation scabreuse d’une veuve en tête à tête depuis six mois». Son frère aîné, le comte de Bombelles, le marquis d’Ossun et M. de Louvois ont demandé l’agrément du Roi, qui a signé le contrat le 30 décembre. Des maréchaux de France, des ducs et pairs, quelques parents ont assisté à cette cérémonie. 

Une soirée intime chez Madame Élisabeth pour tirer le gâteau des Rois, des folies dites pour dissiper la petite princesse dont la vie est si monotone, les préparatifs du mariage Louvois, la nomination étrange, et qui fait rire, de Mme de Genlis comme «gouverneur» des enfants du duc de Chartres, la prise de Saint-Eustache où Arthur Dillon s’est couvert de gloire, voilà les événements grands et petits contés par Mme de Bombelles.

Le 15 janvier 1782

Henriette-Victoire de Reisenberg-Bombelles (1750-1822) épouse enfin Louis Le Tellier, marquis de Louvois (1740-1785) à Saint-Sulpice.

«Je suis arrivée hier soir à Paris, mon petit chat, et j’y ai appris avec la plus grande surprise que ta sœur s’était mariée le matin même dans le plus grand incognito, ayant seulement pour témoin le baron de Bombelles. En sortant de la messe, elle est arrivée chez la petite Travanet, s’y est fait annoncer Mme de Louvois, et a eu toutes les peines du monde à lui persuader que ce n’était pas une plaisanterie. La pauvre femme est dans un état pitoyable: elle a la jaunisse, des maux d’entrailles, d’estomac affreux; tu ne peux t’imaginer à quel point elle est changée, elle est d’une maigreur horrible. Elle est venue souper hier avec son mari chez la petite Travanet; ils étaient tous de la plus grande gaieté. J’ai tâché de faire comme eux, mais je ne puis te rendre à quel point j’avais le cœur serré. M. de Louvois a été fort aimable, plein d’attentions pour sa femme, quoiqu’elle soit jaune et maigre; il en est réellement amoureux… et lui en a donné des preuves… Mais il a encore sur la physionomie une teinte de mauvaise tête qui m’a fait trembler. Enfin ta sœur est au comble du bonheur, elle ne trouve rien de parfait dans le monde comme M. de Louvois. Ainsi je suis bien bonne de me tourmenter, je veux espérer son bonheur comme les autres… 
Il y a enfin eu «appartement» dimanche, et j’ai mis mon bel habit. Tout le monde l’a trouvé charmant ; j’étais coiffée à merveille, j’avais des diamants, enfin on m’a jugée fort belle. Je ne peux pas te rendre cependant le désespoir où j’étais que tu ne fusses pas ici, je suis sûre que je t’aurais plu; cela m’aurait fait grand plaisir, au lieu qu’il m’est égal de plaire aux autres. Madame Élisabeth a été charmante, elle s’est beaucoup occupée de ma toilette et elle était ravie quand on vantait mon habit. Je le remettrai encore lundi pour l’entrée de la Reine à Paris. On dit que l’Hôtel de Ville sera décoré magnifiquement, que cela sera superbe; mais je suis fâchée qu’on fasse tant de dépenses pendant la guerre.»

Angélique à Marc de Bombelles

Le 17 janvier 1782

Mme de Bombelles part pour Villiers où sa belle-sœur et son beau-frère la reçoivent, elle et Bombon, «avec mille caresses». Elle y trouve Mme de Louvois venue de son côté avec son mari, Mme de Souvré, Mme de Sailly, sœur du nouveau marié, M. et Mme de la Roche-Dragon…

Le 19 janvier 1782

« Tout le monde a été dans l’enchantement de la maison de ton frère qui est véritablement charmante. Son salon surtout est arrangé en perfection, il est tout en colonnes et sculpté parfaitement; le dîner était excellent, servi à merveille… Après le dîner on a fait la conversation, et puis Mme de Louvois qui a la jaunisse plus que jamais et qui n’en pouvait plus s’en est allée aux Bergeries avec toute sa nouvelle parenté. Le grand monde parti, nous avons fait venir Bombon à qui Mme de Bombelles a donné des joujoux, et dont les singeries ont très bien réussi.»

Ibid

A force de parler de la jaunisse des autres Mme de Bombelles est malade à son tour.

Le 21 janvier 1782

« Tout le monde est à Paris, et moi j’ai été obligée de revenir hier au soir ici, j’ai décidément la jaunisse… Madame Élisabeth n’était pas partie hier quand je suis arrivée, je l’ai été voir tout de suite, tu ne peux pas t’imaginer avec quelle bonté elle m’a parlé. Elle a chargé Loustaneau sans que je le susse de lui donner tous les jours de mes nouvelles. Elle m’a fait mille caresses pour me consoler de n’être pas à «l’Entrée», enfin elle a été charmante…»

Ibid

Étant retenue à Versailles, la marquise ne peut, et c’est dommage, sur les fêtes populaires, suivre le festin de l’Hôtel de Ville dans la cour couverte décorée de colonnes corinthiennes, pour fêter la naissance du Dauphin, le 22 octobre 1781.

Arrivée de la Reine à l'Hôtel de Ville le 21 janvier 1782, pour la fête donnée à l'occasion de la naissance du Dauphin Louis Joseph par Moreau le Jeune

Le 30 janvier 1782

La fête donnée par les Gardes du corps a lieu  dans la grande salle de spectacle du Palais de Versailles; elle commence par un bal paré et se termine par un bal masqué. La Reine ouvre le bal par un menuet qu’elle danse avec M. de Prisy, un des majors de corps, puis, pour bien honorer le régiment, elle danse une contredanse avec un simple garde nommé par le corps, et auquel le Roi accorde le bâton d’exempt.

Image des Années Lumière (1989) de Robert Enrico

Le 3 février 1782

«Ma jaunisse a été assez aimable pour ne pas m’empêcher d’aller au bal paré, et cela m’a fait un grand plaisir, car c’était la plus agréable chose qu’on ait jamais vue; on prétend qu’il s’en fallait bien que les bals qu’on y a donnés pour le mariage des princes approchassent de la magnificence de celui-ci, parce qu’il y avait un tiers de bougies de plus qu’au dernier; toutes les loges étaient remplies de femmes extrêmement parées; la Cour était de la plus grande magnificence, enfin c’était superbe, et j’étais au désespoir que tu ne fusses pas ici… Ma robe a joué son rôle, elle est superbe… Le bal a commencé à six heures et a fini à neuf. A minuit Madame Élisabeth a été avec Mlle de Condé et plusieurs de ses dames dans une loge au bal masqué; elle m’a proposé d’y venir et, comme je croyais qu’elle n’y passerait qu’une demi-heure, j’ai accepté. Point du tout: elle s’y est amusée comme une reine et y est restée jusqu’à trois heures et demie, de manière qu’il en était quatre lorsque je me suis mise au lit… A la sortie d’une jaunisse cela n’était pas très raisonnable… La Reine m’a traitée à merveille. Elle m’a demandé comment je me portais, s’il était bien prudent de sortir déjà. Elle m’a dit à demi-voix :
«Irez-vous au bal masqué?»
—Je lui ai répondu en souriant que je n’en savais rien.
—Elle a repris: «Oh! l’enfant! Véritablement on ne mérite pas d’être chaperon quand on va au bal, venant d’avoir la jaunisse.»
Comme ma petite belle-sœur était avec moi et était entrée chez la Reine sans en avoir le droit, je lui ai dit que je craignais d’avoir fait une grande sottise en faisant entrer ma sœur chez elle; elle m’a répondu que cela ne faisait rien et qu’elle était ravie de la voir. J’ai été charmée que cela se soit passé ainsi, car je craignais vraiment d’avoir fait quelque chose de très mal. Le Roi m’a aussi parlé au bal, il m’a demandé si je trouvais le bal beau… Ensuite il m’a demandé des nouvelles de ma sœur, de maman, de ma tante.
Il m’a dit : C’est une épidémie, toutes les sous-gouvernantes sont malades.
—Je lui ai dit: «Oui, sire, il ne reste que Mme d’Aumale.»
—Il m’a répondu en riant: «Oh! c’est un beau renfort…»

Ibid

Jean-François Balmer est Louis XVI dans Les Années Lumière (1989) de Robert Enrico

M. d’Esterházy promet de parler à la Reine tout de suite après les Jours Gras, mais, sans doute, il a tenu à Lui exposer dès le jour même la douleur de la jeune marquise, car le soir il y a bal, et, dès que la Reine aperçoit Mme de Bombelles qui accompagne Madame Élisabeth, Elle vient s’asseoir devant elle d’un air un peu embarrassé, et, «voulant lui marquer de la bonté », se met à parler de choses et d’autres. 

« J’ai tâché de n’avoir pas l’air de mauvaise humeur, mais j’avais une telle palpitation de cœur que j’ai pensé me trouver mal.»

Ibid

Mme de Bombelles continue démarches sur démarches; elle court chez M. de Rayneval qui ne lui cache pas qu’elle n’obtiendra pas facilement le poste de Berlin, elle va dîner chez Mme de Vergennes qui lui promet son appui, elle écrit à M. de Vergennes qui lui donne enfin une audience. Le ministre la reçoit bien, lui dit qu’en effet son mari avait été la première personne à qui il avait pensé pour le poste de Berlin, mais que «c’eût été l’exposer à toute l’animosité de l’Empereur, peut-être à celle de la Reine, et «en un mot lui casser le col». Il ajoutait que le Roi et lui étaient fort satisfaits des services de M. de Bombelles, «qu’avec ses talents diplomatiques il n’était pas nécessaire d’aller échelon par échelon pour parvenir à une place importante, qu’on avait des vues sur lui, plus élevées que Berlin ou Copenhague, «que cela serait aussi plus loin». Le ministre n’en voulut pas dire davantage, et Mme de Bombelles en est réduite aux conjectures : Constantinople ou Saint-Pétersbourg. Ce dernier poste l’effraierait, vu leur peu de fortune, et elle se reprend de nouveau à espérer que Constantinople pourrait, dans un temps donné, leur être dévolu. Elle a été malade d’émotion depuis trois jours… puis, encore une fois elle se berce d’illusions.

Le 13 février 1782

M. et Mme de Vergennes sont parfaitement aimables pour Angélique ; la femme du ministre affecte de regretter que M. de Bombelles ne soit pas nommé à Berlin et assure qu’on saura l’en dédommager. La jeune femme supporte tout cet entretien avec courage ; mais, lorsqu’elle revient chez Mme de Mackau, elle étouffe et se met à pleurer… 

Le 20 mars 1782

Mme de Bombelles rend compte à son mari des démarches qu’elle a pu faire en sa faveur. D’abord M. de Vergennes lui a accordé de bonne grâce un congé que M. de Bombelles viendra passer en France. Le ministre n’a pas spécifié la longueur de ce congé qu’on espère faire durer le plus longtemps possible… peut-être jusqu’à vacance d’ambassade. Fort satisfaite de ce premier succès, Mme de Bombelles se rend chez Madame Élisabeth à qui elle conte toute son affaire. 

« Je lui ai dit que pour rien au monde je ne ferais ces démarches (auprès de la comtesse Diane) que si elle-même me les conseillait et que je sois bien sûre de ne pas lui déplaire. Elle m’a répondu qu’elle croyait que je ne pouvais rien faire de mieux, que cela ne lui causerait aucune peine; son amour-propre céderait toujours au désir extrême qu’elle avait de te voir avancer. En conséquence, j’ai demandé avant-hier un moment d’entretien à la comtesse Diane et je l’ai vue hier matin. J’ai commencé par lui dire le chagrin que j’avais eu de n’avoir pu obtenir Berlin pour toi, la cause que je craignais du refus qui m’en avait été fait et tout ce qui s’est passé alors : les tracasseries injustes qu’on t’avait faites, il y a trois ans, ta conduite alors, ta parfaite innocence et le renvoi de la personne qui t’avait fait le plus de tort par ses mensonges, le désir que j’aurais d’obtenir une audience de la Reine pour te disculper à ses yeux et tâcher d’intéresser ses bontés, afin qu’elle nous prête son appui dans le moment où nous en aurons besoin… Je lui ai alors montré ma petite note à ce sujet, elle l’a lue deux fois et l’a trouvée parfaite. Elle m’a dit qu’elle se chargeait de demander pour moi une audience à la Reine, qu’il fallait que j’eusse le courage de lui répéter tout ce que je venais de lui dire à elle-même, que je lui remisse une note, qu’elle ne croyait pas qu’elle eût d’engagement pour Constantinople et qu’elle me promettait de son côté de lui en parler avec la plus grande chaleur. Elle me prévenait que la Reine ne prendrait pas d’engagements avec moi, mais que cependant, sans me le dire, elle aurait sûrement égard à ma demande et qu’il était essentiel que je la fisse plus tôt que plus tard, qu’elle se concerterait avec le comte d’Esterházy pour entretenir la Reine dans l’intérêt que sûrement je lui inspirerais.»

Ibid

Ces bonnes paroles contentent Mme de Bombelles. Puisqu’elle s’est décidée à se servir de l’influence des Polignac,—en bonne politique elle aurait dû le faire plus tôt,—elle va pouvoir attendre sans trop d’agitation le moment où la Reine va lui donner audience. Quand ce sera fait, elle a bien la résolution de se tenir tranquille jusqu’au moment décisif. M. de Bombelles ne partage pas les illusions qu’on a su insuffler à sa femme, et son espoir dans le résultat des démarches conseillées est médiocre. 

Le 21 mars 1782

« La personne à qui tu dois t’adresser m’a classé parmi ces êtres qui peuvent bien servir le Roi, mais qu’il faut ranger ou comme des ennuyeux ou comme de petits ouvriers incomplets. S’ils se permettent une volonté, d’ailleurs en supposant qu’on eût marché sur une herbe favorable, avec quelle légèreté ne s’emploiera-t-on pour moi! A la plus faible objection on quittera la partie et mon jeu deviendra pire.»

Marc de Bombelles à sa femme, Angélique

Pendant ce temps la comtesse Diane va vite en besogne; elle obtient sans trop de peine une audience de la Reine pour Mme de Bombelles.

Le 24 mars 1782

«La Reine m’a reçue avant-hier ; elle m’a paru encore pénétrée des préventions qu’on lui a données contre toi. Le comte d’Esterházy et la comtesse Diane avaient eu une grande conversation la veille avec elle à ce sujet-là, et ils l’avaient trouvée si entêtée dans son opinion sur ton sujet qu’ils avaient été au moment de m’empêcher d’y aller parce que, connaissant sa timidité, ils craignaient que je ne pusse pas lui répondre à ce qu’elle me dirait. Mais, comme elle avait déjà donné son heure à Madame Élisabeth, cela n’a pas pu changer. Heureusement, car, malgré ma peur, je lui ai dit tout ce que je voulais dire. J’ai été assez heureuse pour la toucher, et elle a dit à la comtesse Diane que, surtout lorsque je lui avais parlé de mon enfant, je l’avais intéressée au possible. Mais, pour en revenir au commencement, je te dirai donc que je suis arrivée chez la Reine avec une colique enragée. Elle m’a dit: «Eh! bien, Madame, on dit que je vous fais peur. Asseyez-vous et dites-moi avec confiance ce que vous voulez.
Je lui ai dit: «Le désir que j’ai de justifier M. de Bombelles aux yeux de Votre Majesté m’a encouragée à prendre la liberté de lui demander une audience. Ayant toujours compté sur ses bontés, je m’étais flattée, lorsque le poste de Berlin est devenu vacant qu’Elle voudrait bien le faire donner à M. de Bombelles. Mais Votre Majesté s’y étant refusée, je lui avouerai que j’ai craint que les préventions que je sais que la Cour de Vienne lui a données contre M. de Bombelles en eussent été cause. Et cette raison m’a bien plus affligée que la chose en elle-même. Je puis protester à Votre Majesté que jamais M. de Bombelles ne s’est permis le plus petit propos au sujet de l’Empereur. Je ne puis pas donner un argument plus fort à Votre Majesté en faveur de l’innocence de M. de Bombelles que de lui représenter que le comte de Neipperg, qui a été celui qui lui a fait le plus de tracasseries a été renvoyé par l’Empereur en raison de ses mensonges perpétuels, et que son successeur a rendu à M. de Bombelles toute la justice qu’il devait à son honnêteté et à sa franchisse. D’ailleurs, si Sa Majesté voulait bien peser combien il aurait été gauche à lui d’offenser la Reine, de laquelle il attend sa fortune et son avancement, en la personne de l’Empereur, en se permettant de lui manquer de respect. Que tu n’avais point cherché d’armes à opposer à la calomnie, espérant qu’elle se détruirait d’elle-même; mais que je ne pouvais me permettre de demander une grâce que je désirais vivement à Sa Majesté
—La Reine m’a répondu: «Je crois bien qu’il a eu moins de torts qu’on ne lui en a donnés. Mandez à M. de Bombelles d’engager M. de Trautsmansdorf à le justifier aux yeux de mon frère, donnez-moi une note bien détaillée de sa conduite, et je serai charmée d’être convaincue d’avoir été trompée.»
Je lui ai présenté ma petite note au sujet de Constantinople. Après l’avoir lue, elle m’a dit:
«Constantinople me paraît une chose bien difficile, il y a beaucoup de concurrents, et Madame Sophie m’a légué, en mourant, M. de Saluces, qui la demande.»

Angélique à Marc de Bombelles

Ainsi cette aversion de la Reine pour M. de Bombelles, aversion qu’Elle n’a jamais avouée, mais qu’Elle laisse deviner en ce jour, vient du rôle joué par notre ministre en 1779. C’est en prenant les intérêts de la France contre l’Empereur—qui à cette époque, et en cela très énergiquement secondé par la Reine, voulait faire intervenir le Roi dans son conflit avec la Prusse—c’est en faisant son devoir d’agent diplomatique français que M. de Bombelles a si fort mécontenté la Reine qu’Elle n’a su l’oublier. Restent des formules de respect dont le marquis, contre toute apparence, car ses formes étaient empreintes d’une parfaite courtoisie, se serait départi à l’égard de l’Empereur. On est enclin à croire avec Mme de Bombelles que tout avait été travesti dans le but de nuire à son mari, que le comte Neipperg avait menti, mais que la Reine, volontiers rancunière, en était restée à Sa première impression qui satisfaisait Son regret de n’avoir pas réussi à entraîner la France contre Frédéric II.

Nous avons déjà noté quelle influence prédominante dans le choix des ambassadeurs Louis XVI a laissé prendre à Marie-Antoinette. Jamais il n’est question du Roi dans la discussion préliminaire des candidats. Il semble que la liste doit être soumise par le ministre à Marie-Antoinette qui maintient, biffe ou instaure au gré de son engouement du moment les ambassadeurs choisis par elle. Ainsi en a-t-il été pour le duc de Guînes, le vicomte de Polignac, père du comte Jules; nous l’avons aussi noté pour le comte d’Adhémar. Un nouveau candidat surgit, celui-là légué par Madame Sophie dont il était le chevalier d’honneur. On comprend la hardiesse avec laquelle Mme de Bombelles établit un parallèle entre son mari et M. de Saluces.

« J’ai répondu à cela : J’oserai représenter à Votre Majesté que, si M. de Saluces avait des droits à cette place équivalents à ceux de M. de Bombelles, je respecterais trop la mémoire de Madame Sophie pour me mettre en concurrence. Mais, M. de Saluces n’ayant pas encore été dans la diplomatie, la place de Constantinople ayant été de tous les temps la récompense de services antérieurs, il me semblait qu’il serait bien décourageant pour les personnes employées dans la carrière politique de se voir continuellement passer sur le corps des personnes qui n’ont jamais rien fait; que je désirais cette place avec d’autant plus de vivacité qu’elle était la seule où tu pusses décemment acquérir une aisance qui assurerait un jour à mon fils une existence heureuse, et que je ne pouvais penser sans douleur au triste sort qui l’attendait si Sa Majesté continuait à ne pas s’intéresser à son père.
La Reine m’a répondu de me tranquilliser, qu’elle ne pouvait pas me promettre Constantinople, mais que cependant elle s’intéresserait à ton avancement et réfléchirait sur les moyens que je lui en donnais, mais qu’avant tout il fallait que tu tâchasses de te raccommoder avec l’Empereur. Là-dessus elle s’est levée et m’a donné mon audience de congé. J’ai tout de suite été chez la comtesse Diane qui m’a paru fort contente, m’a promis de reparler à la Reine et m’a dit qu’elle ne désespérait pas que nous eussions Constantinople, qu’il fallait faire la petite note au sujet des griefs présents contre toi à la Reine et qu’il fallait que j’obtinsse de M. de Vergennes qu’il m’écrivît une lettre par laquelle il me mande qu’il était parfaitement content de ta conduite depuis que tu es à Ratisbonne.»

Angélique à Marc de Bombelles

Mme de Bombelles fait faire une note en règle par M. de Brentano, la porte aussitôt à la comtesse Diane qui y fait quelques changements et se déclare toute prête à la remettre à la Reine avec la lettre de M. de Vergennes. Angélique se déclare ensuite fort satisfaite des notes rédigées en collaboration avec M. de Brentano et prie son mari de le remercier  chaleureusement dès qu’il sera auprès de lui.

Les griefs présentés à la Reine, contre M. de Bombelles, ne peuvent porter essentiellement que sur l’opposition que les ministres impériaux prétendent avoir rencontrée de la part de M. de Bombelles dans les différentes négociations de ces ministres à la Diète de Ratisbonne ou bien sur des propos imputés à M. de Bombelles contre la Cour impériale. Mme de Bombelles ne s’est jamais permis une recherche indiscrète dans la conduite ministérielle de son mari, et elle ne peut pas répondre au premier point d’accusation qu’on forme peut-être contre lui. Elle s’est toujours flattée que le témoignage de la parfaite satisfaction que M. de Vergennes a constamment rendu de la conduite de M. de Bombelles servirait également à sa justification, et elle croit que la différence d’opinions politiques, s’il en existe une entre lui et les ministres impériaux, ne peut provenir que des instructions dictées à chacun d’eux par leur Cour respective. Mme de Bombelles peut répondre avec plus d’assurance au second point parce que l’objet de cette imputation est plus à sa portée et qu’elle connaît les sentiments et la circonspection de M. de Bombelles. Elle sait qu’on a écrit des faussetés contre lui à Vienne, mais quelle attention peut mériter un homme mal intentionné, puisque, la Cour impériale a reconnu elle-même l’infidélité de ses rapports et lui a ôté le poste qu’il occupait à Ratisbonne. Il serait bien affligeant que cette personne fût écoutée sur un seul objet, lequel influe précisément sur le sort, la fortune et la réputation d’on galant homme qui a été continuellement en but à ses tracasseries et aux calomnies qu’il a débitées contre lui. M. de Bombelles a été traité avec bonté et distinction de leurs Majestés Impériales dans différents voyages qu’il a faits à Vienne. Il a des obligations personnelles à la Reine, qui a daigné approuver sa nomination au poste de Ratisbonne, a bien voulu prendre de l’intérêt au mariage de sa sœur. Il trouve dans son cœur et dans sa reconnaissance des motifs puissants d’être personnellement dévoué à Sa Majesté et à son auguste famille et il ne doit pas être soupçonné de se livrer légèrement à une animosité aussi absurde que mal fondée, comment peut-il être soupçonné d’oublier en un instant ce qu’il leur doit de respect.

Fin avril 1782

Marc de Bombelles voyage à Munich où il est reçu par le pape Pie VI. A l’arrivée dans la capitale bavaroise, le cortège est fort beau. 

«Le Saint-Père était dans une voiture à deux places avec l’Électeur. Un dais l’attendait au bas de l’escalier et trois cents personnes en grand costume… Arrivé au grand appartement meublé et orné pour feu l’Empereur Charles VII, le Saint-Père a préféré l’appartement de l’Impératrice comme plus commode et plus près de la chapelle… Après quelques compliments qui ont duré quatre à cinq minutes on s’est rendu à la chapelle où le Te Deum a été chanté en musique, plus bruyant qu’agréable. Le Pape n’a vu dans le reste de la soirée que l’Électeur, l’Électrice de Bavière et l’Électeur de Trèves. Nos audiences ont été pour le lendemain matin, samedi 27 avril. La mienne a duré dix minutes. En entrant, le nonce m’a nommé, j’ai plié le genou, baisé la main du Saint-Père et le nonce après une profonde génuflexion s’est retiré. Le Pape m’a conduit à la fenêtre. Il parle fort 270bien le français et m’a donné des nouvelles de M. le baron de Breteuil, m’a remercié d’être venu de près de quarante lieues pour le voir. Sa Sainteté est d’une superbe figure simple, honnête, et noble dans ses manières; il n’a rien d’un prêtre italien. Le dimanche 28, il a dit la messe basse, mais à fort haute voix aux Théatins. Il y avait plus de quatre mille âmes dans l’église, et le silence le plus religieux s’y observait. Je n’ai rien vu de plus édifiant et de plus auguste que cette cérémonie. Les protestants qui y ont assisté convenaient comme nous qu’ils en avaient été émus; on n’a pas plus de grâce que le Pape dans ses moindres mouvements, et il paraît ne les avoir point étudiés. Après la messe, il a vu les dames dans la sacristie; il s’est assis sur un fauteuil, elles sont venues lui baiser la main, et, autant qu’il a été possible, il leur a dit des choses aimables. Entre midi et une heure il s’est rendu en grand cérémonial à la place de la Grande-Garde; il était seul dans le fond d’un carrosse de parade, les deux électeurs Palatin et de Trèves sur le devant. Le Saint-Père est monté dans la maison des États et sur un grand balcon construit exprès il a donné sa bénédiction à quinze mille âmes rassemblées sur la place…»

Marc de Bombelles à Angélique

C’est une des dernières lettres adressées par le marquis à sa femme. Le congé demandé est accordé, et il rentre en France. La joie de retrouver sa femme et son enfant lui fait juger moins amers les perpétuels retards que subit sa carrière si brillamment commencée.

Le 17 mai 1782

Le comte et de la comtesse du Nord, c’est sous ce nom que voyage le grand-duc Paul et son épouse Sophie-Dorothée (devenue Maria Feodorovna après sa conversion à l’Église orthodoxe), arrivent à Fontainebleau, où les attendent les envoyés du Roi, et leur ambassadeur, le prince Baradinsky.

« On logea fort magnifiquement la suite de madame la grande-duchesse. Madame de Benckendorf eut un joli appartement, et comme je m’y étais retirée un instant avant le souper, madame la marquise de Bombelles, dame pour accompagner madame Elisabeth de France, sœur du roi, vint m’y chercher. C’était une fort aimable personne que madame de Bombelles. Son mari, ministre du roi près de la diète générale de l’empire, avait succédé dans ce poste au baron de Mackau, père de sa femme. Le beau-frère de la marquise, M. le comte de Bombelles, est maréchal de camp et sert dans les gardes-françaises. Le marquis de Bombelles est seigneur des fiefs de Avorck et Achenheim, en Alsace, à une lieue de Strasbourg. Son père était lieutenant général des armées du roi et commandant des ville et château de Bitche, de la frontière de la Lorraine allemande et de la Sarre.»

Mémoires de la baronne d’Oberkirch

Angélique de Bombelles s’est trouvée jouer un petit rôle dans une négociation de cour. Avant de donner la place de premier écuyer de Madame Élisabeth à M. d’Adhémar, ami des Polignac, Mme de Guéménée avait été chargée de la proposer au comte de Clermont. Le duc d’Orléans ayant empêché celui-ci d’accepter, la princesse, d’accord avec Madame Élisabeth, pensa au comte d’Esterhazy.
Mme de Bombelles est chargée par Madame Élisabeth de pressentir le brillant colonel de hussards; elle « le prie de venir le voir pour une communication urgente. Il arrive avant souper, la marquise lui dit qu’elle est chargée de se jeter à ses pieds, de le supplier afin d’obtenir quelque chose de lui, que c’est de la part de Madame Élisabeth qui le prévient qu’on lui proposerait la place de premier écuyer et qu’elle ne lui pardonnerait de refuser.» Ici Madame Élisabeth confirme le dire de son amie, en ajoutant en marge de la lettre: « Angélique n’a jamais rien écrit au monde de plus vrai, cela aurait fait le bonheur de ma vie. »
Comment cet Esterhazy dont Marie-Thérèse avait vu avec peine la toujours croissante faveur et qu’elle décorait du surnom de « freluquet » pouvait-il être à ce point nécessaire à la famille royale, que Madame Élisabeth, partageant l’engouement de sa belle-sœur et de toute la cour pour le spirituel Hongrois, le déclarait utile à son bonheur !

 Le comte de Fleury

Mme de Bombelles ne manque pas d’appuyer les pressantes instances de Madame Élisabeth et insiste sur « les fortes raisons » qui lui faisaient désirer le consentement du comte. Esterhazy pourtant ne se laissa pas séduire; il répondit: « qu’il était très flatté des bontés de Madame, qu’elles étaient bien faites pour le faire passer sur toutes considérations », mais qu’il priait Mme de Bombelles de représenter à la princesse que, « n’ayant jamais demandé ni désiré de place, il lui était impossible d’en accepter une qui n’était pas la première dans sa maison, surtout la première étant destinée à une personne qui n’était pas faite pour passer avant lui , qu’il donnerait pour raison à la Reine et à Mme de Guéménée l’amour qu’il avait pour sa liberté, qu’il aurait cependant sacrifié au désir que Madame a bien voulu lui en marquer si la place avait pu lui convenir ».

 Le comte de Fleury

Le 20 cécembre 1782

Mme de Louvois accouche d’un enfant si grêle et si chétif qu’on ne pense pas pouvoir l’élever. Quelques jours après le départ de M. de Bombelles pour Versailles, il meurt en effet. 

Le 26 avril 1783

Décès de son frère aîné, Charles-Etienne , baron de Bombelles, à Rochefort.

Après la mort de son aîné, le marquis a des démêlés particuliers avec sa belle-sœur. Il répondit assez justement:

«Mon frère tirait une grande vanité d’être le chef de sa famille et ne pouvait pas se dissimuler que, sans lui en disputer le titre, j’en acquittais les charges…»

et l’incident est clos.

Le 3 mai 1783

Pour ses dix-neuf ans, le Roi achète à sœur  le domaine de Montreuil, vendu par les Rohan-Guéménée, lors de leur banqueroute (1782) et situé dans le village de Montreuil non loin du château de Versailles.En juillet 1783   De retour d’une promenade, Marie-Antoinette l’offre à la princesse : « Si vous le voulez, arrêtons-nous un instant à Montreuil ; je sais que vous aimiez y venir avec votre sœur Clotilde.Volontiers, répond la jeune fille. J’y ai passé de bien bons moments dans mon enfance.Vous êtes ici chez vous, dit Marie-Antoinette en souriant, quand la voiture s’arrête devant le péristyle soutenu par quatre colonnes. Ce sera votre petit Trianon. Le roi se fait un plaisir de vous offrir ce cadeau, et moi de vous l’annoncer !» On imagine la joie d’Élisabeth ! Si son frère avait été là, elle lui aurait sauté au cou sans nul doute !  

 Madame Élisabeth  de Monique de Huertas

Un des premiers actes de Madame Élisabeth est de donner à Mme de Mackau la maison qu’elle habite rue Champ-la-Garde

«La petite maison de ma mère avait une porte qui communiquait dans le jardin de Madame Élisabeth. M. de Bombelles y eut une maladie, qui lui causa des douleurs horribles; la princesse qui avait pour lui des bontés extrêmes venait le voir journellement, l’encourageait, le consolait et partageait les peines que me causait cet état comme aurait pu faire la sœur la plus tendre.»

Angélique de Bombelles

Au début de l’automne 1783

Mme de Bombelles met au monde son deuxième fils qui reçoit au baptême les noms de François-Bitche-Henri-Louis-Ange. Le prénom de Bitche ezt donné sur la demande expresse de la Municipalité de Bitche en mémoire des services rendus par le lieutenant général de Bombelles. L’enfant et baptisé en l’église de Saint-Louis de Versailles. Le parrain et le comte de Tressan, maréchal de camp, membre de l’Académie française ; la marraine, la baronne de Mackau. 

M. de Bombelles quitte Ratisbonne, d’abord officieusement, puis officiellement, dans l’attente d’un poste effectif d’ambassadeur qu’on lui fait toujours entrevoir et dont l’échéance est perpétuellement reculée. Il est nommé en principe à Lisbonne, mais à condition que le titulaire actuel consente à partir. Quand il n’est pas auprès de sa femme, le marquis souffre de son oisiveté et emploie ses loisirs forcés à des voyages utiles, à des missions ethnographiques.

«Notre vie à Montreuil était uniforme, pareille à celle que la famille la plus unie passe dans un château à cent lieues de Paris. Heures de travail, de promenade, de lecture, vie isolée ou en commun, tout y était réglé avec méthode. L’heure du dîner réunissait autour de la même table la princesse et ses dames. Elle avait ainsi fixé ses habitudes. Vers le soir, avant l’heure de retourner à la Cour, on se réunissait dans le salon, et conformément à l’usage de quelques familles nous faisions en commun la prière du soir.»

Angélique de Bombelles

Madame Elisabeth par Elisabeth-Louise Vigée Le Brun, vers 1782

En 1784

Il est promu brigadier de cavalerie. Il est aussi chevalier de l’Ordre de Saint Lazare.

Angélique de Bombelles par Benjamin Warlop

Au printemps de 1784

Des devoirs de famille ou d’amitié l’appellent en Normandie. Il écrit de Dangu, où il est l’hôte de Mme de Matignon, fille du baron de Breteuil : «La verdure est lente à venir», et la nature lui paraît un peu maussade… Ce qui est encore plus lent à venir, c’est la réponse du «vieil ambassadeur» à Lisbonne, M. O’Dune, que nous avons connu ministre de France à Munich en 1779. Cette réponse c’est tout simplement sa démission que M. O’Dune ne se presse point de donner, et M. de Bombelles préférera qu’on n’attende pas, pour agir, le désistement de l’ambassadeur et qu’enfin un «langage bien positif de volonté triomphât du peu de bonne volonté qu’on a pour lui». Il ajoute: 

«Vieil ambassadeur, bientôt cette épithète me conviendra; en attendant je sens qu’on ne vieillît pas tout à fait quand on aime, et tu as à toi seule, oui, mon ange, à toi seule, l’art de rajeunir ton vieux chat.»

Marc à Angélique de Bombelles

La réponse de Mme de Bombelles est plutôt réconfortante, puisque la comtesse Diane part pour Paris avec la promesse de parler au baron de Breteuil de leurs affaires.

Le  21 avril 1785

« J’étais encore hier si fatiguée de la chasse d’avant-hier, où j’avais été avec Madame Élisabeth, écrit Mme de Bombelles, que je n’ai pas eu la force de t’écrire. Il est pourtant bon que tu saches que la Reine a accueilli parfaitement la proposition que Madame Élisabeth lui a faite dimanche dernier et a trouvé le conseil de Rayneval fort raisonnable en promettant bien de ne pas te nommer à M. de Vergennes, mais cependant de faire en sorte que ce soit lui qui soit chargé d’écrire à M. O’Dune. J’ai écrit le lendemain matin, avant de partir pour la chasse, à Rayneval, afin qu’il sût qu’on était heureux de l’avoir pour conseil. J’irai voir sa femme, et je saurai si on a déjà parlé à la Reine. Le soir, chez Mme de Lamballe, la Reine m’a traitée à merveille, de sorte que j’ai fort bien fait d’y aller et que plusieurs personnes croyaient que ton affaire venait de se terminer et sont venues me faire compliment. Ce qu’il y a de moins heureux, c’est que j’ai perdu mon argent; mais, quand on est aussi bien en fonds, c’est un petit malheur.»

Angélique de Bombelles à Marc

Au début de l’été 1785

Les époux sont réunis et passent un mois ensemble dans différents châteaux des environs de Rouen. De là, en août 1785, le marquis part pour l’Angleterre. Il est l’hôte du duc de Marlborough et vante la magnificence de sa demeure seigneuriale de Blenheim : 

« Ce superbe château bâti aux frais de la nation anglaise en récompense des succès du duc de Marlborough». Bien des maisons de nos grands seigneurs, si j’en excepte nos princes, n’approchent de la grandeur et de la noblesse de Blenheim. Le duc de Marlborough d’aujourd’hui y vit en souverain: son jardin et son parc forment tout un pays, où rien n’a été négligé pour embellir la nature et en rapprocher les beautés; nos jardins anglais sont des plateaux de désert en comparaison de ces vastes et ingénieuses promenades; les bandes de daims, de beaux chevaux, des vaches, aussi belles que celles de Suisse, des troupeaux de moutons garnissent les pelouses, dont la verdure sert de base à cent autres nuances de tous les arbres divers, qui, soit en touffes, soit en allées, varient les points de vue, en masquent de moins agréables et préparent à de plus surprenants.»

Marc de Bombelles à Angélique

Le 17 septembre 1785

« Imagine-toi que Madame Élisabeth, mercredi dernier, galopant à la chasse, est tombée de cheval. Son corps a roulé sous les pieds du cheval de M. de Menou et j’ai vu le moment où cette bête, en faisant le moindre mouvement, lui fracassait la tête ou quelque membre. Heureusement, j’en ai été quitte pour la peur, et elle ne s’est pas fait le moindre mal. Tu penses bien que j’ai eu subitement sauté à bas de mon cheval et volé à son secours. Lorsqu’elle a vu ma pâleur et mon effroi, elle m’a embrassée en m’assurant qu’elle n’éprouvait pas la plus petite douleur. Nous l’avons remise sur son cheval, j’ai remonté le mien et nous avons couru le reste de la chasse comme si de rien n’était. L’effort que j’ai fait pour surmonter mon tremblement, pour renfoncer mes larmes, m’a tellement bouleversée que, depuis ce moment-là, j’ai souffert des entrailles, de l’estomac, de la tête, tout ce qu’il est possible de souffrir. Cette petite maladie s’est terminée ce matin par une attaque de nerfs très forte, après laquelle j’ai été à la chasse, et il ne me reste, ce soir, qu’une si grande lassitude qu’après t’avoir écrit, je me coucherai…
J’ai cependant cru ne pouvoir me dispenser, malgré toutes mes douleurs, d’aller avant-hier à Trianon, et j’ai d’autant mieux fait que j’y ai été traitée à merveille par le Roi, par la Reine et, conséquemment, par le reste des personnes qui y étaient. J’y ai perdu mon argent, suivant ma louable coutume; j’y étais très bien mise, et je me serais consolée des frais de ma parure s’ils avaient pu exciter ton admiration, car, étant uniquement occupée du désir que tu m’aimes bien, je voudrais ne perdre aucune occasion d’augmenter, ne fût-ce que d’une ligne, ton intérêt pour moi… J’y ai vu M. d’Adhémar qui m’a beaucoup parlé de toi et de tout le plaisir qu’il avait eu à te recevoir à Londres. Il me paraît toujours occupé tendrement de la favorite, et il ne m’a pas semblé que les principaux personnages le traitassent d’une manière très distinguée

Angélique de Bombelles à Marc

Mme de Bombelles ne manque pas de se rendre à Saint-Cloud chez le baron de Breteuil ; elle y voit M. de Rayneval et la question de Lisbonne est de nouveau agitée. Pourquoi M. O’Dune met-il tant de temps à se décider puisque, après tout, des compensations lui sont offertes? 

« J’ai encore été à Trianon, samedi dernier. Si je ne connaissais pas ton peu de goût pour les agréments que je te pourrais procurer en un certain genre, je te dirais que le Roi a joué au loto à côté de moi et m’a traitée avec la plus grande distinction. Mais, craignant de t’affliger, je ne me suis pas conduite de manière à alimenter son sentiment, de sorte qu’il y a toute apparence qu’un aussi joli début n’aura pas de suites. C’est vraiment dommage, mais tu ne le veux pas, il faut bien obéir…»

Angélique à Marc de Bombelles

L'Après-Midi au Petit Trianon d' Emile Charles Dameron (1848-1908)

Le 6 novembre 1785

Naissance de son fils Charles-René de Bombelles ( 1785-1856), qui deviendra, en 1834, le mari morganatique de Marie-Louise d’Autriche (1791-1847), la nièce de Marie-Antoinette, seconde épouse de Napoléon Ier (1769-1821) alors duchesse de Parme et de Plaisance.

Durant l’été 1785

M. de Bombelles continue à adresser à sa femme des bulletins que celle-ci voudrait plus nombreux, puisqu’elle se plaint de ce silence relatif. 

Dans l’été de 1786

Mme de Bombelles a l’occasion d’accompagner Madame Elisabeth aux fêtes données en l’honneur des Archiducs Ferdinand et Maximilien, puis du duc et de la duchesse de Saxe-Teschen. Marie-Christine est la plus jeune sœur de la Reine, celle avec qui Marie-Antoinette —qui préfère Marie-Caroline de Naples— entretient la moindre intimité. Le séjour des princes allemands s’inaugure assez tièdement; au bout de quelques jours, ils sont gagnés par l’affabilité de la Reine. L’Empereur Joseph II leur a indiqué ce qu’ils doivent voir dans Paris, «ce séjour des plaisirs et des inconséquences». Peut-être y ont-ils entendu les murmures de la calomnie que, depuis le Mariage de Figaro et l’affaire du Collier, on n’épargne pas à Marie-Antoinette en attendant qu’on la surnomme Madame Déficit… Ont-ils pressenti, comme quelques autres, les premiers grondements de l’orage ?

En septembre 1786

« Je possède au monde deux amis, et ils sont tous les deux loin de moi. C’est trop douloureux; l’un de vous doit revenir positivement. Si vous ne revenez pas, j’irai à Saint-Cyr sans vous, et je me vengerai encore plus en épousant notre protégée sans vous. Mon cœur est plein du bonheur de cette pauvre fille qui pleure de joie – et toi pas là ! J’ai rendu visite à deux autres familles pauvres sans toi. Je prie Dieu sans toi. Mais je prie pour vous, car vous avez besoin de sa grâce, et j’ai besoin qu’il vous touche, vous qui m’abandonnez ! Je ne sais pas comment c’est, mais je t’aime quand même tendrement.»

Elisabeth de France à la marquise de Bombelles

Madame Élisabeth par Élisabeth Vigée Le Brun

Le 31 septembre 1786

« Pour te donner de la bonne humeur, je te dirai que, dimanche dernier, la Reine est venue à moi, m’a dit qu’elle était charmée que nos affaires avançassent et qu’elle désirait bien qu’elles fussent déjà terminées, et que je devais savoir qu’elle y prenait le plus grand intérêt. J’ai répondu à cela qu’elle m’avait donné trop de preuves de bonté pour que je pusse en douter et que ce serait à elle seule à qui je devrais le bonheur de ma vie

Angélique à Marc de Bombelles

La petite marquise se remonte vite, et quelques bonnes paroles de la Reine lui donnent un espoir sans doute peu en rapport avec les opérations entamées. Elle se reprend déjà à l’espoir à condition que Mme de Polignac tienne ses demi-engagements :

« La duchesse m’a promis de faire venir M. de Vergennes. Je me flatte, par la manière, dont elle m’a écoutée et l’intérêt que cela a paru lui inspirer, qu’elle lui parlera avec fermeté. J’oubliais de te dire qu’elle avait paru craindre que M. de Vergennes ne mît en avant la nécessité de ne pas laisser Lisbonne sans ambassadeur, et que je l’ai autorisé à lui dire que tu partirais sur-le-champ si cela était nécessaire. Le cœur m’a bien battu en le disant… Madame Élisabeth de son côté parlera, aujourd’hui ou demain, à la Reine…»

Angélique à Marc de Bombelles

Qu’est-ce que l’influence de Madame Élisabeth quand il s’agit d’un poste diplomatique? L’ingérence de la duchesse de Polignac aurait été d’un autre poids, si tant est qu’elle eût voulu sincèrement donner ses soins à cette affaire au risque peut-être d’aller à l’encontre des entêtements, ou même des rancunes de la Reine. Mais, il faut bien s’en convaincre, autant il est difficile de dire non en face à une aussi charmante femme que l’est Mme de Bombelles, autant il est aisé de faire traîner en longueur une affaire dont le héros principal n’est ni une puissance future à ménager ni un de ces favoris de la «coterie» devant lesquels hommes et événements mêmes ont coutume de s’incliner.

Durant ce temps Mme de Bombelles prend sa part de la vie de Cour: elle est souvent, le plus souvent possible, de service auprès de Madame Élisabeth, qui réclame sa confidente aimée; elle suit sa princesse dans les déplacements de Marly et de Fontainebleau. Ce dernier séjour est très apprécié de Madame Élisabeth: c’est là qu’elle peut faire de longues promenades à cheval, là qu’elle profite avec usure des conseils de botanique donnés par le Dr Dassy. En raison de la prédilection de la princesse pour Fontainebleau il sera question de créer pour elle un petit Trianon, une habitation spéciale, où elle serait bien chez elle comme à Montreuil.

Le château de Fontainebleau

D’octobre 1786 jusqu’en avril 1788

Il devient ambassadeur du Roi de France près la Cour du Portugal.

Fin d’octobre 1786

Le marquis de Bombelles part pour Lisbonne. Il emmène avec lui sa femme, ses trois enfants âgés de six ans, de trois ans et de dix mois, et sa sœur, la marquise de Travanet, qui vit alors séparée de son mari. Tout ce qu’on pouvait craindre au début de cette union peu rassurante s’était réalisé; le marquis n’avait pas su renoncer à sa passion du jeu: de là des brêches importantes faites à sa fortune, le repos du ménage tout à fait compromis, et la jeune épouse délaissée obligée encore une fois de chercher aide et protection auprès de son frère.
Les deux belles-sœurs éprouvent l’une pour l’autre une solide affection—les lettres déjà citées et d’autres, postérieures, le prouvent abondamment,—mais leurs caractères ne battent pas au même unisson que leurs cœurs : à certaines réticences ou tout bonnement à de franches récriminations on devine aisément que ces deux femmes sensibles et un peu tyranniques dans l’attachement—amoureux ou tendre—dont elles enlacent le marquis, sont jalouses l’une de l’autre. Cette jalousie amène querelles et scènes, on se déteste et on se hait en paroles, qui n’ont rien du classique «tendrement»; mais ce ne sont là que courts orages, le doux et trop aimé Bombelles ramène au plus vite l’arc-en-ciel sur ces jolis fronts courroucés.

Ce séjour de deux ans des Bombelles au Portugal, alors que les époux ne se quittent point, peut nous menacer d’une bien longue et fâcheuse lacune dans l’histoire d’Angélique, si, d’une part, quelques lettres de Madame Élisabeth ne relient le fil interrompu entre Lisbonne et Versailles, si, de l’autre, des projets de mariage entre le duc de Cadaval, appartenant à une des branches de la maison de Bragance, et la princesse Charlotte de Rohan-Rochefort n’avaient donné lieu à une correspondance assez curieuse entre le marquis et la marquise de Bombelles et la comtesse de Marsan, tante de Mlle de Rohan.
Mme de Bombelles est fort bien accueillie à la Cour de la Reine et dans la société. Gentiment elle conte à la princesse les attentions flatteuses dont elle est l’objet. Madame Élisabeth, loin de gronder son amie de ce petit grain de vanité, se montre joyeuse d’avoir à la féliciter.

Le 27 novembre 1786 

« Je suis convaincue de ce que tu me mandes de tes succès, tu es faite pour en avoir. Si en France on a le mauvais goût de ne pas admirer ta grâce, au moins tu as la consolation de savoir que l’on t’aime pour de meilleures raisons.»

Madame Elisabeth à Angélique de Bombelles

On reconnaît Madame Elisabeth à de petites taquineries :

 « Je ne serais pas fâchée que la nécessité de faire des frais et de te rendre aimable te donne un peu plus d’habitude du monde, quoique tu aies ce qu’il faut pour y être bien, et qu’en effet tu y sois très joliment. Un peu plus d’habitude ne te fera pas de mal. Je suis bien insolente ou bien mondaine, n’est-il pas vrai, mon cœur? Tu me pardonnes, j’espère, le premier, et tu ne crois pas au second. Ne va pourtant pas prendre les manières portugaises. Elles peuvent être parfaites, mais j’aime que tu ne te formes pas sur elles. Tu es bien bête d’avoir eu peur à ces audiences. Puisque ton compliment était fait, je trouve qu’il n’est embarrassant de parler que lorsque l’on ne s’est pas fait un discours. Était-il de toi?…»

Madame Elisabeth à Angélique de Bombelles

Le 5 mars 1787

Madame Élisabeth écrit une longue lettre pleine d’entrain et d’humour à son amie :

« Vous verré, Mamoiselle de Bombe, que nous sommes très exactes à remplir vos ordres, puisque la petite et moi, nous vous écrivons aujourd’hui, elle vous mandera les nouvelles comme elle pourra, car la poste n’est pas ce qu’il y a de plus fidelle, et surtout je crois, dans ce moment cy pour les pays étrangés, au reste pourtant, comme ce n’est pas la personne qui les écrit qui les fait, il seroit injuste de s’en prendre à elle: on croiroit d’après ceci, que je vais te révéler tout le secret de l’État, mais rassure-toi je ne suis pas encore admis au Conseil, et je ne sais que ce que charitablement le public m’aprend, et je n’en saurai pas davantage cette semaine.»

Ibid

La princesse se plaint de quelques-unes de ses dames qui parlent «comme des pies borgnes» et la fatiguent.
De son côté, Angélique et sa belle-sœur, tout en s’aimant beaucoup, éprouvent le besoin de disputes continuelles.

Le 19 juin 1787

La mort de la petite Madame Sophie, nièce de Madame Elisabeth, avant son premier anniversaire.

« Tes parents t’auront mandé que Sophie est morte le 19 (juin). La pauvre petite avait mille raisons pour mourir, et rien n’aurait pu la sauver. Je trouve que c’est une consolation. Ma nièce a été charmante; elle a montré une sensibilité extraordinaire pour son âge et qui était bien naturelle. Sa pauvre petite sœur est bien heureuse; elle a échappé à tous les périls. Ma paresse se serait bien trouvée de partager, plus jeune, son sort. Pour m’en consoler, je l’ai bien soignée, espérant qu’elle prierait pour moi. J’y compte beaucoup. Si tu savais comme elle était jolie en mourant, c’est incroyable. La veille encore elle était blanche et couleur de rose, point maigrie, enfin charmante. Si tu l’avais vue, tu t’y serais attachée. Pour moi, quoique je l’aie peu connue, j’ai été vraiment fâchée, et je suis presqu’attendrie lorsque j’y pense. Ta sœur a été parfaite et tout le monde en a fait l’éloge. Elle a été bien fatiguée, et la pauvre mère aussi…»

Angélique à Marc de Bombelles

Mme de Bombelles est souffrante, elle continue à tousser, Madame Élisabeth l’engage à se soigner.

« Tiens bien la parole que tu me donnes de te ménager; je te le demande en grâce, mon cœur. Pense beaucoup à tes amies; cela te donnera le courage de t’occuper de toi. L’amitié, vois-tu, ma chère Bombelles, est une seconde vie qui nous soutient en ce monde.»

Madame Elisabeth à sa Bombe

Sur cette toux qui l’inquiète Madame Élisabeth revient encore dans une lettre suivante :

« Souffres-tu en toussant? Ton lait te fait-il du bien? Calme-t-il ta toux? Enfin, quand il fait chaud, souffres-tu d’avantage? Es-tu maigrie? Voilà, mon cœur, beaucoup de questions qui ne te plairont guère, mais auxquelles je te demande en grâce de répondre avec franchise.»

La princesse a recommencé à suivre les chasses à Rambouillet avec la duchesse de Duras. La Reine va venir la chercher.

« Nous devons aller ensemble à Saint-Cyr qu’elle appelle mon berceau. Elle appelle Montreuil mon petit Trianon. J’ai été au sien sans aucune suite ces jours derniers avec elle, et il n’y a pas d’attention qu’elle ne m’y ait montrée. Elle y avait fait préparer une de ces surprises dans quoi elle excelle. Mais ce que nous avons fait le plus, c’est de pleurer sur la mort de ma pauvre petite nièce.
J’ai été très aise de ce que le discours du Roi avait été si approuvé à Lisbonne. Les pauvres gens, je crois, ne sont pas gâtés. Tout cela me ravit davantage, et malgré les belles oranges que tu m’as envoyées et dont je crois ne pas t’avoir remerciée je rends grâce au ciel de tout mon cœur de ne m’avoir pas fait naître pour être leur reine
.»

Madame Elisabeth à Angélique

Madame Élisabeth pendant la distribution de lait par F. Fleury-Rich

Le 9 mars 1788

Bombelles est promu Maréchal de camp.

A l’été 1788

De longues négociations restées stériles ont attristé le séjour des Bombelles à Lisbonne. Ils attendent avec une impatience non dissimulée le moment où l’ambassadeur pourra quitter son poste en vertu d’un congé régulier. Angélique part la première avec ses enfants, heureuse de retrouver à Versailles toute sa famille maternelle, surtout sa chère princesse dont elle était séparée depuis si longtemps. L’absence n’a nullement amoindri l’enveloppante tendresse de Madame Élisabeth pour son amie. 

Le 5 mai 1789

Ouverture des États-Généraux.

Ouverture des Etats Généraux
Madame de Polignac par Benjamin Warlop

« J’ai été dîner chez madame la duchesse de Polignac avec monseigneur le duc d’Orléans et son fils. La conversation a été très peu piquante

Marc de Bombelles

Le 4 juin 1789

Mort du Dauphin, Louis-Joseph-Xavier-François, à Meudon.

Mort du Dauphin dans Les Années Lumière de Robert Enrico (1989)

Le 20 juin 1789

Serment du Jeu de paume

Le Serment du Jeu de Paume par Jacques-Louis David

Le 26 juin 1789

Naissance à Versailles de son fils Heinrich Bombelles (1789-1850) qui sera choisi comme grand maître de cour par Metternich et l’archiduchesse Sophie (1805-1872), chargé de l’éducation du jeune François-Joseph (1830-1916).

Le 14 juillet 1789

Prise de la Bastille.

La prise de la Bastille dans Les Années Lumière (1989) de Robert Enrico

Le 16 juillet 1789

Fuite en exil de Yolande de Polignac et sa famille, dont sa belle-sœur, la comtesse Diane de Polignac.

Le 17 juillet 1789

Réception de Louis XVI à l’Hôtel de Ville de Paris.

Louis XVI à l'hôtel-de-ville de Paris. Peinture monumentale de Jean-Paul Laurens (vers 1887)

La nuit du 4 août 1789

Abolition des privilèges.

La Nuit du 4 août 1789, gravure de Isidore Stanislas Helman (BN)

En septembre 1789

Les Bombelles sont à Innsbruck et le marquis (1744-1822) est aussitôt très empressé d’aller faire sa cour à Marie-Elisabeth (1743-1808), Abbesse des lieux et sœur aînée de Marie-Antoinette, qui les prie à dîner madame de Bombelles (1762-1800) et lui.

« L’Archiduchesse nous as reçus avec une bonté singulière; elle nous a fait dîner avec les personnes les plus éminentes de la ville. Son palais est fort beau, elle y est très convenablement servie les jours de cérémonie; ce n’est pas de même, dit-on, dans l’habituel. L’Empereur (Joseph II) paie les gens de sa sœur, mais ne lui envoie que de vieux valets auxquels la maison de l’Archiduchesse sert d’hôtel des Invalides; ils sont insolents avec elle parce qu’elle ne sait pas se faire respecter, et elle n’a pas le crédit de faire avoir à ses gens une place pour ceux de leurs enfants ou neveux qui seraient en état de servir et que la princesse voudrait s’attacher. Ceux qui connaissent bien l’intérieur de la famille autrichienne disent que l’Empereur ne tient aussi sévèrement sa sœur que parce qu’il a peu d’opinion de sa tête, et moins encore de la décence qu’elle mettrait dans la manière de se faire servir s’il la laissait faire; c’est , ajoute-t-on, pour cela qu’il lui entretient une quantité convenable de gens tant vieux que d’autres parce que , s’il donnait leur abonnement en entretien à l’Archiduchesse, elle mettrait l’argent dans la poche, ou le dépenserait en fantaisie, en n’ayant pas alors le nombre nécessaire de serviteurs.»

Marc de Bombelles

L'Archiduchesse Marie-Elisabeth

« Elle a fait changer pour nous la pièce et le ballet, elle a voulu que mes enfants (qu’elle à remplis de bonbons et de joujoux) eussent une loge à la Comédie et elle nous a fait les honneurs de la sienne comme une particulière très aimable. Nous voulions nous remettre en route demain mais cela n’a pas été possible. L’Archiduchesse a voulu absolument nous donner encore à dîner chez son Grand-maître , et en petit comité (…) »

Marc de Bombelles

Le 26 août 1789

Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

Le 5 octobre 1789

Des milliers de femmes du peuple venues de Paris marchent sur Versailles pour demander du pain.

Image de Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy

Le 6 octobre 1789

Vers cinq heures du matin, les appartements privés sont envahis. La Reine s’échappe en jupon par une porte dérobée. Plus tard, Sa présence est réclamée par la foule. Elle va au-devant du peuple, courageuse, au mépris de Sa vie.

Le matin du 6 octobre 1789 par Benjamin Warlop

Madame Élisabeth est la dernière à s’éveiller à sept heures et demi du matin… Elle rejoint toute la famille royale réfugiée dans la chambre d’apparat de son frère.

La famille royale éprouvée dans Les Années Lumière de Robert Enrico (1989)
Gabriel Dufay est Louis XVI, dans L'homme qui ne voulait être Roi de Thierry Binisti

La famille royale est ramenée de force à Paris.

Départ du Roi de Versailles, par Joseph Navlet
Les Tuileries dans Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy

La famille royale s’installe aux Tuileries et un semblant de vie de Cour se met en place.

En octobre 1789

Marc Marie de Bombelles est nommé Ambassadeur à Venise.

Le 23 mai 1790

Diane rejoint Venise accompagnée de son père. Elle loge chez les Bombelles. Le marquis s’agite alors et s’occupe des arrangements de la comtesse Diane «que son extrême gêne rend très difficiles».

Le 24 mai 1790

A dix heures et demie le matin, Bombelles embarque dans sa péotte armée de six bons rameurs, le duc et la duchesse de Polignac, le duc et la duchesse de Guiche, le comte de Vaudreuil, le vicomte et la vicomtesse de Vaudreuil, et Idalie de Nyvenheim, la fiancée d’Armand de Polignac. Ils arrivent à cinq heures à l’Hôtel de France où monsieur et madame de Champcenetz, le vicomte de Polignac, Diane, Angélique de Bombelles et tous les enfants les attendent. Guichette préfère aller chez Diane mais le reste de la société dîne chez Bombelles, avant d’aller s’établir au Lion Blanc, la meilleure auberge de Venise, sur le Grand Canal. Puis Bombelles emmène Yolande sur la place de Saint-Marc, où tout le monde s’empresse pour voir cette dame si célèbre.

Le 26 mai 1790

Le marquis de Bombelles conduit les ducs de Polignac et de Guiche ainsi que Vaudreuil visiter la superbe maison de Carpenedo. Ses grands jardins à la française donnent sur une terrasse qui domine la grande route d’Allemagne à Venise passant par Trévise ; c’est celle du Frioul et de toutes les provinces adjacentes. Un pavillon octogonal, orné dans le même goût que le château, orne le grand chemin.

Début juin 1790

Le duc de Polignac signe le bail qui le fera jouir de la maison de Carpenedo meublée, de ses jardins, pour un an, pour la somme de douze cents ducats courants. Le soir-même Jules vient prendre possession des lieux avec Bombelles.

Yolande va enfin souffler et pouvoir se sentir un peu chez elle.

Le 13 octobre 1790

« Comme je viens, ma petite Bombe, de relire mon testament et de voir que j’y recommande aux bontés du Roi et que je te laisse mes chevaux, il faut bien que je te le dise encore une petite fois que je t’aime bien. Prie bien pour le comte d’Artois, convertis le pour le crédit que tu dois avoir avec le ciel, et contribues-y toi-même, si tu le peux. Tu donneras de mes chevaux à Raigecourt. Tu ne m’oublieras ni l’une ni l’autre, mais ne vas pas me regretter assez pour te rendre un peu malheureuse. Adieu, sais-tu bien que tes idées que tout cela laisse ne sont pas gaies ? il faudrait pourtant s’en occuper, surtout dans ce moment. Je t’embrasse de tout mon cœur. Adieu !»

Madame Elisabeth à la marquise de Bombelles

A partir du départ de la marquise de Raigecourt, le 10 octobre 1790, Madame Elisabeth s’emploie à faire partir ses amies sauf la marquise de Bombelles qui est déjà à Venise auprès de son époux qui est ambassadeur de France auprès de la République de Venise.

En novembre 1790

L’Assemblée nationale demande à tout fonctionnaire le serment civique, par un décret du 17 novembre 1790. Le marquis de Bombelles, ambassadeur auprès de la République de Venise depuis octobre 1789, s’alarme : son attachement au Trône lui paraît incompatible avec un serment qu’il voit comme illégal ; mais ne pas prêter ce serment le priverait d’un revenu annuel de 100 000 livres attaché à sa fonction. Sa belle-mère, la baronne de Mackau, sous-gouvernante des Enfants de France, qui connaît l’inflexibilité des principes de son gendre, s’empresse de solliciter du Roi l’ordre formel de prêter le serment de fidélité.

En décembre 1790

Étant toujours à Venise, il envoie au ministre sa démission, pour ne pas prêter le serment nommé civique exigé par l’Assemblée Constituante qu’il regarde comme illégale et inconstitutionnelle.

Le marquis de Bombelles, inébranlable dans sa résolution de ne pas prêter le serment civique demandé par l’Assemblée nationale, envoie à Louis XVI sa lettre de démission :

« Venise le 29 décembre 1790
Sire,
Prêt à me voir placé entre la nécessité de paraître désobéir ou de signer un engagement contraire à mes serments, j’adresse au Ministre de Votre Majesté la démission de l’ambassade dont elle avait daigné m’honorer. J’ai tout reçu du Roi ; tous les avantages dont j’ai joui, je les tenais de sa bienfaisance : le souvenir, le profond sentiment de tant de bontés dictent ma conduite.
Sire, on m’accusera peut-être d’exagération, mais je n’en trouverai jamais, dans tout ce qui sera, un plus sûr témoignage de mon attachement à des vrais principes. Lorsque la nation sera entièrement détrompée, lorsque (ainsi que Votre Majesté l’a dit d’une manière si touchante) le cœur de mon maître sera content, j’oserai lui rappele son serviteur fidèle ; d’ici à ce temps, j’élèverai dans l’amour pour mon Roi, des enfants nés d’une union heureuse, et que Votre Majesté s’était plue à former ; déjà ceux de ces enfants qui peuvent parler, demandent au Ciel le retour des prospérités qui doivent être le prix des vertus de Louis XVI ; leurs vœux seront exaucés et bientôt le Français se rappellera que sans le bonheur de son Souverain, il n’est pas de vrai bonheur pour lui.
Je suis avec respect
De Votre Majesté
Le très humble, très obéissant et très fidèle sujet
Signé : Bombelles
»

Il continue alors à faire office d’émissaire officieux de Louis XVI et de son frère le comte d’Artois auprès des différentes cours d’Europe, en lien avec la Reine de Naples, sœur de Marie-Antoinette.

La Reine Marie-Caroline insiste pour que les enfants de monsieur de Bombelles lui soient présentés. Quand monsieur et madame de Bombelles se retirent, en entrant dans la gondole, ils trouvent une lettre avec cette adresse :

Aux enfants de l’estimable marquis de Bombelles, ambassadeur du roi de France.
« Vous avez des parents si respectables que je ne puis vous désirer, mes chers enfants, que le bonheur de leur ressembler, et de montrer dans le cours de votre vie toute l’énergie, le désintéressement et les sentiments qu’ils ont témoignés, et qui leur ont valu l’estime publique, la mienne et tout mon attachement. Comme votre éducation n’est pas encore achevée, et qu’elle exigera quelques frais, j’oserai vous faire toucher, à vous, quatre frères, 12,000 fr par an, à l’endroit où vous résiderez, et jusqu’au moment où vos respectables parents seront de nouveau rentrés dans toutes les charges et emplois dont ils sont si dignes. Ceci est bien éloigné de ce que j’aurais désiré pouvoir faire, mais, ne voulant pas importuner le roi, mon époux, et mes facultés étant restreintes,  j’ai dû me restreindre. Recevez cela avec le sentiment qui me porte à vous l’offrir ; c’est celui de la plus sincère estime et attachement qu’à pour vos respectables parents, et du plus véritable intérêt qu’à pour vous votre éternelle amie.»

Le marquis de Bombelles

Quand monsieur de Bombelles dit à la Reine, en la remerciant, qu’il n’at pas mérité tant de bontés puisqu’il n’a pas servi sa couronne, elle lui répond d’un air majestueux :

«… Monsieur, vous avez servi la cause de tous les rois. »

Depuis le mois d’avril 1791, le marquis de Bombelles vit des bienfaits de la Reine de Naples, qui s’est empressée de venir au secours d’une famille qui a préféré l’indigence à l’oubli de ses devoirs.

Parmi les personnes qui se sont dévouées au Roi et à sa famille, au péril de leur vie, on peut compter : le marquis de Bouillé, le comte de Fersen, le baron de Breteuil, le marquis de Bombelles, le comte de Durfort, le comte Esterházy, M. de Jarjayes, le baron de Flanschlander, le comte d’Agoult, le chevalier de Coigny, le baron de Goguelat, le marquis de Bonnay, M. Crawfort… ainsi que le comte de Mercy-Argenteau, ambassadeur d’Autriche à Paris, et M. de Simolin, ambassadeur de Russie à Paris.

Le 20 juin 1791

Évasion de la famille royale de France. Le Roi part avec la Reine, le Dauphin, Madame Royale, Madame Élisabeth et madame de Tourzel. Madame Elisabeth est mise au courant au dernier moment tant on craint qu’elle fasse échouer le plan par son indiscrétion…

Départ de Monsieur et Madame ( le comte et la comtesse de Provence) qui prennent la route de Gand.

Le 21 juin 1791

 Le Roi et la famille royale sont arrêtés à Varennes.

Chez l'épicier Sauce à Varennes, par Prieur

Le 25 juin 1791

La famille royale rentre à Paris sous escorte. Dans la berline, les voyageurs sont accompagnés de Barnave et de Pétion, qui pensera avoir séduit la sœur du Roi…

Le passage de la berline royale devant l'Hôtel de ville de Châlons , par Joseph Navlet
La Reine, le Dauphin, Barnave et le Roi dans la berline du retour de Varennes
Madame Elisabeth, Pétion, Madame de Tourzel et Marie-Thérèse par Benjamin Warlop

 

Le Roi est suspendu.

Madame Élisabeth refusera toujours, même après Varennes, d’émigrer, alors que l’Assemblée ne se serait sans doute pas opposée à son départ (à l’instar de ce qui s’est passé par Mesdames Tantes, autorisées à quitter le territoire).

Le 20 juin 1792

Le peuple des faubourgs, encadré par des gardes nationaux et ses représentants, comme le brasseur Santerre (10 à 20 000 manifestants selon Roederer), pénètre dans l’assemblée, où Huguenin lit une pétition. Puis elle envahit le palais des Tuileries.

La foule envahit les Tuileries pour faire lever le veto.

Escalier monumental des Tuileries (juste avant sa destruction)
Le peuple de Paris pénétrant dans le palais des Tuileries le 20 juin 1792 par Jan Bulthuis, vers 1800

Mesdames de Lamballe, de Tarente, de La Roche-Aymon, de Mackau entourent alors la Reine, ainsi que madame de Tourzel qui souligne dans ses Mémoires :

« La Reine était toujours dans la chambre du Roi, lorsqu’un valet de chambre de Mgr le Dauphin accourut tout hors de lui avertir cette princesse que la salle était prise, la garde désarmée, les portes de l’appartement forcées, cassées et enfoncées, et qu’on le suivait.
On se décida à faire entrer la Reine dans la salle du Conseil, par laquelle Santerre faisait défiler sa troupe pour lui faire quitter le château. Elle se présenta à ces factieux au milieu de ses enfants, avec ce courage et cette grandeur d’âme qu’elle avait montrés les 5 et 6 octobre, et qu’elle opposa toujours à leurs injures et à leurs violences.
Sa Majesté s’assit, ayant une table devant elle, Mgr le Dauphin à sa droite et Madame à sa gauche, entourée du bataillon des Filles-Saint-Thomas, qui ne cessa d’opposer un mur inébranlable au peuple rugissant, qui l’invectivait continuellement. Plusieurs députés s’étaient aussi réunis auprès d’elle. Santerre fait écarter les grenadiers qui masquaient la Reine, pour lui adresser ces paroles :  » On vous égare, on vous trompe, Madame, le peuple vous aime mieux que vous le pensez, ainsi que le Roi ; ne craignez rien « .
– » Je ne suis ni égarée ni trompée, répondit la Reine, avec cette dignité qu’on admirait si souvent dans sa personne, et je sais (montrant les grenadiers qui l’entouraient) que je n’ai rien à craindre au milieu de la garde nationale « .
Santerre continua de faire défiler sa horde en lui montrant la Reine. Une femme lui présente un bonnet de laine ; Sa Majesté l’accepte, mais sans en couvrir son auguste front. On le met sur la tête de Mgr le Dauphin, et Santerre, voyant qu’il l’étouffait, le lui fait ôter et porter à la main. Des femmes armées adressent la parole à la Reine et lui présentent les sans-culottes ; d’autres la menacent, sans que son visage perde un moment de son calme et de sa dignité.
Les cris de « Vivent la Nation, les sans-culottes, la liberté ! à bas le veto ! » continuent.
Cette horde s’écoule enfin par les instances amicales et parfois assez brusques de Santerre, et le défilé ne finit qu’à huit heures du soir. Madame Elisabeth, après avoir quitté le Roi, vint rejoindre la Reine, et lui donner de ses nouvelles. Ce prince revint peu après dans sa chambre, et la Reine, qui en fut avertie, y entra immédiatement avec ses enfants.
»

Le dévouement de Madame Élisabeth, prise par la foule pour la Reine, elle ne les détrompe pas pour donner à sa belle-sœur la possibilité de se réfugier et de sauver Sa vie.
La Reine c'est moi, le 20 juin 1792. Madame Elisabeth prête à se sacrifier (château de Chambord)

Vers dix heures du soir

Pétion et les officiers municipaux font évacuer le château. Louis XVI conserve sa détermination à défendre la Constitution en espérant un sursaut de l’opinion en sa faveur, ce qui se manifeste le 14 juillet, troisième fête de la fédération, étant l’objet de manifestations de sympathie.

Le 11 juillet 1792

«La patrie en danger».

Le 10 août 1792

Sac des Tuileries. On craint pour la vie de la Reine. La famille royale se réfugie à l’Assemblée législative où Elle est  placée dans la loge grillagée du logotachygraphe.

Le cortège funèbre de la monarchie commence par une haie d'honneur des chevaliers de Saint-Louis qui lèvent leurs épées dans Un peuple et son Roi
La famille royale dans la loge du logographe par Gérard
Images d'Un Peuple et Son Roi (2018)

Le Roi est suspendu.

Le 13 août 1792

La famille royale est transférée au Temple après avoir été logée temporairement aux Feuillants dans des conditions difficiles: quatre pièces du couvent seulement leur étaient dédiées… pendant trois jours.

Arrivée de la famille royale au Temple dans Les Années Terribles de Richard Heffron

Après un repas servi dans l’ancien palais du comte d’Artois ( où la famille royale espère encore être logée) , la messe est dite dans un salon.

A onze heures du soir 

Alors que le Dauphin est gagné par le sommeil et que madame de Tourzel est surprise d’être emmenée en direction de la Tour, le Roi  comprend qu’il a été joué par la Commune.
Pétion, qui estimait que la grande Tour était en trop mauvais état, a résolu de loger la famille royale dans la petite en attendant la fin des travaux ordonnés pour isoler la prison du monde extérieur. La Tour qui tant frémir Marie-Antoinette, autrefois,  qu’Elle avait demandé à Son beau-frère qu’il la détruise. Était-ce un pressentiment de Sa part? 

La Tour du Temple

Promenade de la famille royale dans le jardin du Temple dans Les Années Terribles (1989) de Richard Heffron

Le 3 septembre 1792

Assassinat de la princesse de Lamballe (1749-1792) que les Bomlbelles ont beaucoup fréquentée à la Cour. Sa tête, fichée sur une pique, est promenée sous les fenêtres de Marie-Antoinette au Temple.

Massacre de la princesse de Lamballe

Massacres dans les prisons.

Le 20 septembre 1792

La bataille de Valmy est remportée par l’armée française commandée par Dumouriez et Kellermann sur l’armée coalisée commandée par le duc de Brunswick.

Le 21 septembre 1792

Abolition de la royauté.

Fidèle au Roi Louis XVI, Bombelles émigre en Suisse après la bataille de Valmy. Il loge alors au château de Wartegg à Rorschach dans le canton de Saint-Gall, puis s’installe à Ratisbonne.

Château de Wartegg à Rorschach dans le canton de Saint-Gall

Le 21 janvier 1793

Exécution de Louis XVI qui a pu prendre congé de sa famille la veille et être accompagné à l’échafaud par un prêtre insermenté, l’abbé Edgeworth de Firmont (1745-1807).

Après l’exécution du Roi, Marie-Antoinette demeure au Temple avec Ses deux enfants et Sa belle-sœur Élisabeth.Quelques fidèles tentent de les faire évader.

Anne Letourneau (Madame Elisabeth) et Jane Seymour (Marie-Antoinette) dans Les Années Terribles (1989) de Richard Heffron

Le 3 juillet 1793

Louis-Charles, Louis XVII, est enlevé à sa mère et confié au cordonnier Antoine Simon (1736-1794).

Le 2 août 1793 à deux heures quarante du matin

Marie-Antoinette est transférée de nuit à la Conciergerie.

Le 16 octobre 1793

Exécution de Marie-Antoinette, place de la Révolution .

Le 10 mai 1794

Exécution de Madame Élisabeth sur la place de la révolution.

On imagine l’émotion d’Angélique en apprenant les événements de France…

En 1796

Bombelles est en Bavière. La médiocrité dans laquelle le place la démission qu’il a noblement donnée, se change en une détresse complète, lorsque les circonstances forcent le Reine Marie-Caroline de suspendre le paiement de sa pension.

En 1798

Il est en Moravie, à Brünn.

Le 30 septembre 1800

Son épouse, Angélique de Bombelles, décède en couches.

Angélique de Bombelles -Mackau

Louis XVIII ayant appris la perte cruelle que vient de faire monsieur de Bombelles, lui écrit la lettre suivante :

« Mittau, 30 octobre 1800
Le comte d’Avaray m’a communiqué, monsieur, votre lettre du 9 de ce mois. Je prends une part bien sincère à votre juste douleur ; heureux si je puis l’adoucir un jour en prouvant mes sentiments aux enfants de l’amie de ma sœur. Vous connaissez, monsieur, tous les miens pour vous.
»

En 1804

Après la mort de sa femme Marie-Angélique de Mackau, ruiné, Marc de Bombelles se retire dans la vie monastique et devient curé d’Oberglogau (aujourd’hui Głogówek), en Prusse .

Il ne rentre en France qu’au moment de la première Restauration pour devenir aumônier de Marie-Caroline de Naples, duchesse de Berry (1798-1870).

Marie-Caroline de Naples, duchesse de Berry.

Le 20 août 1817

Le Roi le désigne pour occuper le siège épiscopal d’Amiens.

Le 3 octobre 1819

Il est sacré évêque d’Amiens, à Paris

Mgr de Bombelles a été le seul évêque à avoir été militaire, il a été autorisé à porter sur sa mitre les deux étoiles de son grade et il est aussi un des rares évêques à avoir été père de famille.

En avril 1820

Il est amené, en tant qu’aumônier de la duchesse de Berry, à convoyer jusqu’à Lille les entrailles du duc de Berry, assassiné par Louvel.

Monseigneur Marc de Bombelles

Le 5 mars 1822

Bombelles meurt à Paris, à l’Élysée-Bourbon, résidence de la duchesse de Berry. Son corps sera transféré en son épiscopat, Amiens, où il repose avec ses prédécesseurs.

Louis XVIII, intervient pour qu’il soit inhumé dans le chœur de la Basilique.

L'Elysée

Son second fils Charles René de Bombelles épousera le 17 février 1834 Marie-Louise d’Autriche, veuve de Napoléon Ier, duchesse de Parme, Plaisance et Guastalla.

Sources : 

  • Antoinetthologie
  • BOMBELLES (marquis de), Journal, publié, texte présenté et annoté par Jean Grassion et F. Durif, t. 1, 1780-1784, Genève, Librairie Droz
  • BOMBELLES (Marc de), Journal de voyage en Grande Bretagne et en Irlande, texte transcrit, présenté, annoté par Jacques Gury, Oxford, The Voltaire foundation, 1989
  • FLEURY, Maurice, Angélique de Mackau, Marquise de Bombelles, et la Cour de Madame Élisabeth, Hachette BNF, 1905
  • LA ROCHÉTERIE (Maxime de), Correspondance du marquis et de la marquise de Raigecourt avec le marquis et la marquise de Bombelles pendant l’émigration, 1790-1800, Paris, Société contemporaine, 1892.

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