La marquise de Tourzel

Madame de Tourzel par Benjamin Warlop

Le 8 juin 1749

Naissance de  Louise-Élisabeth-Félicitée-Françoise-Armande-Anne-Marie-Jeanne-Joséphine de Croÿe-Havré ( trois mois avant Mesdames de Polignac et Lamballe) à Paris.

Ses parents sont Louis Ferdinand Joseph de Croÿ d’Havré (1713-1761) et Marie-Louise Cunégonde de Montmorency-Luxembourg (1716-1764). Son père est grand d’Espagne, prince du Saint-Empire, marquis de Wally, comte de Fontenoy, vicomte de Langle, seigneur de Montigny-sur-Meuse, colonel du régiment de la Couronne depuis 1735. Il était présent à la bataille de Parme le 29 juin 1734. Sa mère est la fille de Charles-Louis, prince de Tingry et comte de Luxe, gouverneur de Valenciennes puis de Nantes, bâtisseur de ce qui est devenu l’hôtel Matignon à Paris en 1722, maréchal de France en 1734.

 

L’union du septième duc d’Havré est féconde. Naissent successivement sept enfants :
-Joséphine, en 1737, future comtesse de Rougé-Cholet
-Emmanuelle-Cunégonde, en 1738, qui sera religieuse visitandine
-Sabine-Isabelle, en 174 , future marquise de Vérac
-Joseph-Maximilien, en octobre 1744, futur duc d’Havré
-Eléonore, en 1746, qui ne vivra pas
-Louise-Elisabeth, le 11 juin 1749, nous allons la connaître tout au long de cet article …

Son frère Joseph Anne Maximilien de Croÿ d’Havré est chevalier de la Toison d’or, colonel du régiment d’infanterie de Flandre française, maréchal de camp, duc d’Havré et seigneur de Tourcoing de 1761 à 1789, où son nom a été donné à un hospice. Tour à tour devenue hospice, couvent et collège, la maison Folie hospice d’Havré est aujourd’hui un lieu d’échanges culturels accessible à tous… une sorte d’hommage à la dernière gouvernante des enfants de Louis XVI…

Louise-Élisabeth de Croÿe-Havré

En 1753

« Son père, qui avait servi en Westphalie sous le maréchal de Maillebois, est promu maréchal de camp et nommé gouverneur de la petite ville de Sélestat en Alsace. Durant la Guerre de Sept, il lui faut surveiller les frontières.
La jeune Louise-Elisabeth vit, comme ses frère et sœurs, loin de son père.»

Jacques Bernot, Madame de Tourzel, gouvernante des enfants de Louis XVI (2022) ; Nouvelles Editions Latines

En mars 1753

La duchesse douairière Marie-Anne d’Havré (1717-1753), née Lanti Montefeltro della Rovere, grand-mère paternelle de Louise-Elisabeth, décède. La cérémonie et l’inhumation ont lieu au couvent des Carmélites de la rue de Grenelle dont la supérieure est fille de la défunte et donc tante de Louise-Elisabeth.

La jeune enfant côtoie alors la cousine de sa mère, qui fut d’abord duchesse de Boufflers, avant d’épouser le deuxième maréchal-duc de Luxembourg, cousin germain de Marie-Louise d’Havré : tout le monde l’appelle «la maréchale», elle est aussi cultivée qu’intelligente et riche ; elle tient un salon recherché par les hommes d’esprit dans son hôtel parisien de la rue Saint-Marc :

 « La Maréchale avait si bien épousé la famille de son second mari, qu’elle ne pouvait supporter aucune autre prétention nobiliaire que celle de ses Montmorency qui l’absorbaient, et c’est au point que son propre frère, lui parlant un jour de la perte de son fils unique, après qui sa famille allait s’éteindre, et sa duché-pairie s’en aller à vau-l’eau ; et pendant qu’il en gémissait auprès d’elle, en lui disant avec amertume : — Il n’y aura plus de Villeroy : — Eh bien, Monsieur, lui répondit la Maréchale, on fera comme il y a trois cents ans, on s’en passera.
Sa maison, ses ameublements, sa table et ses nombreuses livrées, ses équipages et surtout sa chapelle et sa salle du dais, enfin toute chose de chez elle était d’une magnificence admirable. Elle avait pour son usage personnel un nécessaire de table en or massif, et la collection de ses tabatières était la plus splendide et la plus curieuse chose du monde. Au milieu de toutes ces dorures et de ces grands portraits de connétables, avec tous ces lions de Luxembourg et ces alérions de Montmorency, on était d’abord un peu surpris en apercevant une petite bonne femme en robe de taffetas brun, avec le bonnet et les manchettes de gaze unie à un grand ourlet, sans bijoux et sans aucune espèce d’étalage ou de fanfreluches. Mais en approchant, c’était une physionomie si animée, et si bien tempérée pourtant, un visage si noble et si régulier encore, une attitude modeste, mais presque royale on pourrait dire, avec un propos si spirituellement varié, si naturellement poli, si digne et si fin tout à la fois, qu’on l’écoutait et la regardait continuellement avec un plaisir inexprimable.»

           La marquise de Créquy

Lecture de Voltaire dans le salon de madame Geoffrin
Le château de Wailly

L’été

La famille s’installe au château en briques et pierre de Wailly, à Conty dans la Somme.

La guerre de Sept Ans (1756-1763) éloigne son père de Paris.

La bataille de Villinghausen est un épisode de la guerre de Sept Ans qui se déroule les 15 et 16 juillet 1761 entre la France et une coalition réunissant la Prusse, la Grande-Bretagne et le Hanovre dirigée par le prince Ferdinand de Brunswick (1721-1792), oncle de Charles-Guillaume de Brunswick (1735-1806) qui a donné son nom au manifeste de 1792. 

Le 15 juillet 1761

Image du film de Benoît Jacquot Sade (2000) : l'arrestation de Robespierre

Robespierre, blessé par balle au visage et gisant sur un brancard, rejoint ses compagnons à la Conciergerie emprisonnés dans la nuit ou en début de matinée.

Arrestation de Robespierre

Cinq cent détenus forment une haie, explosant de joie.

La chute de Robespierre ramène l’attention sur les deux enfants prisonniers, dont on améliore peu à peu les conditions de détention.

L'exécution de Robespierre

En août 1794

Madame et mademoiselle de Tourzel sont transférées dans la prison de Port-Libre, où chacun a peur d’être dénoncé par un codétenu. Elles n’ont «de rapports qu’avec Mesdames de Lambert et de la Rochefoucauld et Monsieur d’Aubusson, dont la société (leur) est une consolation.»

Image du film de Benoît Jacquot Sade (2000) : les lieux figurent la maison de santé du couvent de Picpus dont l'apparence ressemble à la prison de Port-Libre
Image du film de Benoît Jacquot Sade (2000) : arrivée des nouveaux détenus : la vicomtesse de Lancris (rôle tenu ici par Dominique Reymond) n'a rien à voir avec madame de Tourzel, sauf l'allure ... de «dame au chapeau» comme on qualifiera Louise-Elisabeth ...
La prison de Port-Libre (Port-Royal)
Image du film de Benoît Jacquot Sade (2000) : la façade de la maison de détention
Image du film de Benoît Jacquot Sade (2000) : la consolation dans la société d'honnêtes gens.

La prison de Port-Libre dit aussi «prison de la bourbe» ou «prison de la suspicion» désigne le couvent de Port-Royal fermé en 1790 et réquisitionné en maison d’arrêt de 1790 à 1795. La plupart des détenus n’en sortent que pour aller à l’échafaud : des charrettes conduisent ces prisonniers vers la Conciergerie, l’antichambre de la mort.

« Rien ne ressemblait moins à une prison ; point de grilles, point de verrou ; les portes n’étaient fermées que par un loquet. De la bonne société, excellente compagnie, des égards, des attentions pour les femmes; on aurait dit qu’on n’était qu’une même famille réunie dans un vaste château.» 

            Honoré-Jean Riouffe (1764-1813)

Il y a cinq cents détenus à Port-Libre.

Image du film de Benoît Jacquot Sade (2000) : attente des nominations des condamnés à mort
Image du film de Benoît Jacquot Sade (2000) : appel des condamnés à mort
Image du film de Benoît Jacquot Sade (2000) : les couloirs qui mènent aux chambres qui sont d'anciennes cellules monacales.
Images du film de Benoît Jacquot Sade (2000) : le réfectoire dans la salle communale

Le 3 août 1794

Une affreuse nouvelle parvient de Nimègue : il s’agit de l’exécution de sa fille, Zoé, comtesse de Sainte-Aldegonde (1767-1794), victime de la révolution français, à l’âge de vingt-sept ans, à Nimègues.

Le 6 septembre 1794

Une pétition au comité de Sûreté générale des habitants de la ville demande la libération des Tourzel.

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Le 20 octobre 1794

                                            Le comité décide enfin cette libération.

Image du film de Benoît Jacquot Sade (2000)

Le 21 octobre 1794

Louise-Elisabeth et Pauline quittent Port-Libre en même temps que beaucoup des prisonniers de ce lieu. Elles gagnent l’hôtel de Charost, situé à l’actuel 80 rue de Lille, où elles retrouvent enfin une vie paisible.

L'hôtel de Charost côté cour
L'hôtel de Charost côté jardin

L’été 1794

Des admirateurs anonymes louent un appartement au quatrième étage de la rotonde qui fait face à la tour du Temple. Là, profitant de ce que les bruits portent facilement, ils organisent de petits concerts de musique de chambre, toutes fenâtes ouvertes, pour en faire profiter l’illustre prisonnière. Parmi les habitués de ces petits concerts, la police identifie les anciens valets de Louis XVI, Hue et Cléry, et leurs épouses, ainsi que Madame de Tourzel et ses filles. Ces dernières qui se doutent de la situation de la princesse, s’offrent pour lui tenir compagnie.

Jacques Bernot, Madame de Tourzel, gouvernante des enfants de Louis XVI (2022) ; Nouvelles Editions Latines

Le Donjon et la Rotonde du Temple (tableau de J.-C Nattes, 1808)

 

Le 8 juin 1795

Mort de Louis XVII à l’âge de dix ans. Il était atteint de tuberculose osseuse.

L’«orpheline du Temple» reste alors seule prisonnière de la tour.

Louis XVII agonisant

Madame de Tourzel parvient à s’assurer des contacts avec Gomin et Lasne, anciens commissaires de la Commune de Paris, en charge de la surveillance du petit Roi au Temple. Elle prend connaissance des interventions de Desault et Pelletan, les derniers médecins qui tentent d’adoucir les souffrances de l’enfant … Le témoignage du docteur Jeanroy, « un vieillard de plus de quatre-vingts ans, d’une probité peu commune et profondément attaché à la famille royale. Il (a) été choisi pour assister à l’ouverture du jeune roi ; et pouvant compter sur son témoignage comme le mien propre, (elle) le f(ait) passer chez (elle)».

De réputation fiable et solide, qui l’a fait choisir par les membres de la Convention pour fortifier de sa signature la preuve que le jeune Roi n’a pas été empoisonné.

« Ils n'(ont) pas eu besoin d’employer le poison : la barbarie de leur conduite vis-à-vis d’un enfant de cet âge d(oit) immanquablement le conduire au tombeau. Sa bonne constitution prolongea so n supplice ; la malpropreté dans laquelle on le laissait volontairement et le défaut d’air et d’exercices, lui avaient dissous le sang et vicié toutes les humeurs.»

           Madame de Tourzel

Pour la marquise, le jeune prince est bien mort au Temple.

Madame royale d'après nature par un commissaire de la Commune

 

 

 

Je laisse parler Madame :

Le 3 septembre 1795

Madame de Tourzel et sa fille, Pauline, rendent, pour la première fois, visite à Madame Royale, l’Orpheline du Temple :

« En arrivant au Temple, je remis ma permission aux deux gardiens de Madame, et je demandais à voir Madame de Chantereine en particulier. Elle me dit que Madame était instruite de tous ces malheurs, qu’elle nous attendait et que nous pouvions entrer. Je la priai de dire à Madame que nous étions à la porte. Je redoutais l’impression que pouvait produire sur cette princesse la vue de deux personnes qui, à son entrée au Temple, accompagnaient ce qu’elle avait de plus cher au monde, et dont elle était réduite à pleurer la perte; mais heureusement la sensibilité qu’elle éprouva n’eût aucune suite fâcheuse. Elle vint à notre rencontre, nous embrassa tendrement, et nous conduisit à sa chambre, ou nous confondîmes nos larmes sur les objets de ses regrets. Elle ne cessa de nous en parler, et nous fit le récit le plus touchant et le plus déchirant du moment où elle se sépara du Roi son père, dont elle était si tendrement aimée, et auquel elle était si attachée.
Je ne puis ajouter au récit de Cléry qu’un trait, qui peint la grandeur d’âme de ce prince et son amour pour son peuple.»

« Mon père, avant de se séparer de nous pour jamais, nous fit promettre à tous de ne jamais penser à venger sa mort; et il était bien assuré que nous regarderions comme sacré l’accomplissement de sa dernière volonté. Mais la grande jeunesse de mon frère lui fit désirer de produire sur lui une impression plus forte. Il le prit sur ses genoux et lui dit: « Mon fils, vous avez entendu ce que je viens de dire; mais comme le serment est encore quelque chose de plus sacré que les paroles, jurez, en levant la main, que vous accomplirez la dernière volonté de votre père.»
Mon frère lui obéit en fondant en larmes, et cette bonté si touchante fit encore redoubler les nôtres.»

On ne peut rien ajouter à une semblable réflexion dans un pareil moment. Nous avions laissé Madame faible et délicate, et en la revoyant au bout de trois ans de malheurs sans exemple, nus fûmes bien étonnées de la trouver belle, grande et forte, avec cet air de noblesse qui fait le caractère de son visage. Nous fûmes frappées, Pauline et moi, d’y retrouver les traits du Roi, de la Reine, et même de Madame Élisabeth. Le ciel la destinait à être le modèle de ce courage qui, sans rien ôter à la sensibilité, rend cependant capable de grandes actions, ne permit pas qu’elle succombât sous le poids de tant de malheurs. Madame en parlait avec une douceur angélique; nous ne lui vîmes jamais un seul sentiment d’aigreur contre les auteurs de tous ses maux. Digne fille du Roi son père , elle plaignait encore les français, et elle aimait toujours ce pays où elle était si malheureuse; et sur ce que je lui disais que je ne pouvais m’empêcher de désirer sa sortie de France pour la voir délivrée de son affreuse captivité, elle me répondit avec l’accent de la douleur: «J’éprouve encore de la consolation en habitant un pays ou reposent les cendres de ce que j’avais de plus cher au monde. ». Elle ajouta, fondant en larmes et sur le ton le plus déchirant: «J’aurais été plus heureuse de partager le sort de mes bien-aimés parents que d’être condamnée à les pleurer.»
Qu’il était douloureux et touchant en même temps d’entendre s’exprimer ainsi une jeune princesse de quinze ans, qui, dans un âge où tout est espoir et bonheur, ne connaissait encore que la douleur et les larmes! Elle nous parla avec attendrissement du jeune Roi son frère, et des mauvais traitements qu’il essuyait journellement […]. Je ne pus m’empêcher de demander à Madame comment avec tant de sensibilité, et dans une si affreuse solitude, elle avait pu supporter tant de malheurs.
Rien de si touchant que sa réponse, que je ne puis m’empêcher de transcrire: « Sans religion, c’eût été impossible; elle fut mon unique ressource, et me procura les seules consolations dont mon cœur puisse être susceptible; j’avais conservé les livres de piété de ma tante Élisabeth; je les lisais, je repassait ses avis dans mon esprit, je cherchais à ne pas m’en écarter et à les suivre exactement.
En m’embrassant pour la dernière fois et m’excitant au courage et à la résignation, elle me recommanda positivement de demander que l’on mit une femme auprès de moi. Quoique je préférasse infiniment ma solitude à celle que l’on y aurait mise alors, mon respect pour les volontés de ma tante ne me permit pas d’hésiter.
On me refusa, et j’avoue que j’en suis bien aise. Ma tante, qui ne prévoyait que trop le malheur auquel j’étais destinée, m’avait accoutumée à me servir seule et à n’avoir besoin de personne. Elle avait arrangé ma vie de manière à en employer toutes les heures: le soin de ma chambre, la prière, la lecture, le travail, tout était classé. Elle m’avait habituée à faire mon lit seule, me coiffer, me lacer, m’habiller, et elle n’avait, de plus, rien négligé de ce qui pouvait entretenir ma santé. Elle me faisait jeter de l’eau pour rafraîchir l’air de ma chambre, et avait exigé, en outre, que je marchasse avec une grande vitesse pendant une heure, la montre à la main, pour empêcher la stagnation des humeurs.»
Ces détails si intéressants à entendre de la bouche même de Madame nous faisaient fondre en larmes.

           Mémoires de Madame de Tourzel

La tour du Temple

La jeune détenue reçoit ses amies avec l’empressement et la joie de l’amitié, auxquels se confondent les larmes. Elles passent plusieurs heures en sa compagnie et dînent avec elle. Pauline est presque surprise de retrouver une jeune fille en bonne santé : elle la trouve « belle, grande et forte. Sa figure offr(e) un mélange des traits du Roi, de la Reine et de Madame Elisabeth.»
Elle leur parle de ses malheurs «avec une douceur angélique sans un seul sentiment d’aigreur contre les auteurs de ses maux» et confie qu’elle aurait préféré partager le sort de ses parents à être condamnée à les pleurer.

Le 6 septembre 1795

Louise-Elisabeth et Pauline rendent à nouveau visite à Madame Royale qui glisse dans la main de la jeune fille un morceau de papier en lui disant : « vous le lirez». Arrivée à l’hôtel de Charost, Pauline ouvre ce papier qui porte pour suscription : « A ma chère Pauline»

« Ma chère Pauline, le plaisir que j’ai eu à vous voir a beaucoup contribué à soulager mes maux. Tout le temps que j’ai été sans vous voir, j’ai beaucoup songé à vous. Malgré tout ce que j’ai eu à souffrir j’ai craint pour vous à la Force ; j’ai été tranquille en apprenant que vous étiez sauvée et en espérant que vous n’y retourneriez plus. Mon espérance est déçue : on vous replonge dans un nouveau cachot, pour y passer bien plus de temps que dans le premier. Enfin vous en sortez heureusement. Je n’ai su votre seconde détention que quand vous étiez sortie de Port-Royal ; depuis ce temps vous tâchez d’être réunie avec moi ou du moins de me voir. Quand je ne vous aurais pas connue et aimée comme je vous aimais, tant de preuves d’attachement, que vous avez données à mes parents et à moi, m’auraient attachée à vous pour la vie ; jugez par la tendresse avec laquelle je vous aimais déjà combien mon amour doit être augmenté. je vous aime, et vous aimerai toute ma vie.
A la Tour du Temple, ce 6 septembre
Marie-Thérèse-Charlotte.
»

Les dames de Tourzel obtiennent la permission de revenir à la tour du Temple tous les cinq jours à peu près. Elles arrivent à midi et la quittent à huit heures du soir.

Le 8 novembre 1795

On vient arrêter Madame de Tourzel à huit heures du matin, mais Louise-Elisabeth n’est pas chez elle : les deux commissaires l’attendent donc dans sa chambre jusqu’à son retour. Elle sait qu’on en veut aux papiers qu’elle a en sa possession : à son retour les commissaires en font l’inventaire. Elle dîne très tranquillement avant de se rendre à l’hôtel de Brionne où se tient le comité de Salut public qui n’ouvre qu’à six heures. Pauline et Henriette de Charost et Pauline l’y accompagnent. Toutes trois patientent une heure: on leur donne des détails sur le supplice de M. Lemaistre, condamné à mort pour correspondance avec la maison de Bourbon et précise qu’on usera désormais d la plus grande sévérité avec les royalistes et même les dames à chapeau. L’interrogatoire dure plus de deux heures : à onze heures on conduit la marquise au collège des Quatre-Nations, dont on a fait une prison. Elle reste trois jours au secret.

Image de L'Anglaise et le Duc (2001) d'Eric Rohmer

Le 18 décembre 1795

Madame de Tourzel est libérée du collège des Quatre-Nations, faute de preuve.

Madame Royale quitte la prison du Temple pour être remise  à sa famille autrichienne… Madame de Tourzel se propose alors pour accompagner la princesse jusqu’à Vienne. Mais sa compagnie n’est pas jugée souhaitable par le comité de Salut public qui se méfie des convictions royalistes de l’ancienne gouvernante. C’est Madame de Soucy, l’ancienne sous-gouvernante du Dauphin, qui l’accompagne.

En 1796

Mariage de son fils, Charles-Louis Yves, marquis de Tourzel, sixième marquis de Sourches (1768-1815)   avec Augustine Éléonore de Pons (1775-1843).

Sa dernière sœur, Emmanuelle Louise Gabrielle Joséphine Cunégonde de Croÿ (1738-1796), religieuse de la Visitation à Paris, décède à son tour, à l’âge de cinquante-huit ans. Louise-Elisabeth n’a plus désormais que son frère Joseph, qui est encore en émigration.

A ses risques et périls elle conserve quelques liens avec la famille royale exilée.

Le 15 janvier 1797

Mariage de sa fille  Pauline (1771-1839) avec Alexandre Léon de Galard de Brassac, comte de Béarn (1771-1844) , à Paris.

Durant l’été 1797

Louise-Elisabeth et les siens s’embarquent pour le Berry, au château de Meillant, chez sa fille Henriette de Charost, «devenue le centre autour duquel se réunissait toute la famille».

« La demeure (de Meillant) est superbe, rebâtie après la guerre de Cent-Ans dans le style du gothique flamboyant annonçant la première Renaissance.» Pauline qui y rejoint sa famille qualifie ce château de «romantique sombre : une des rares demeures féodales qui avaient échappé au marteau révolutionnaire ; rien n’y manqu(e), ni la tour du nord, ni celle de l’ouest. Il (est) remarquable à la fois par caractère de son architecture et son étendue, qui ne contribu(e) pas peu à lui donner un aspect imposant et terrible.»

Curieux effroi quand on songe aux prisons qu’a connues la jeune fille.

Le château de Meillant

Malgré la joie de se retrouver, le rythme de la vie de cet été demeure assez monotone.

A la fin de l’été 1797

Louise-Elisabeth revient à Paris, encore accueillie par sa fille Henriette de Charost et son beau-fils, Armand-Joseph de Béthune, qui a presque douze ans de plus qu’elle. Leurs fenêtres donnent sur les Tuileries.

Le 13 janvier 1798

Naissance de sa petite-fille Augustine (1798-1870), fille de son fils, Charles-Louis de Tourzel, qui épousera, le 25 juin 1817, à Abondant, Amédée de Pérusse des Cars (1790-1868), duc des Cars, pair de France.

En 1799

Pauline de Béarn accouche d’une fille , Renée Joséphine Alix (1799 – 1855) , qui épousera, le 23 avril 1820, à Paris, Adrien de Tulle de Villefranche (1793-1850), capitaine de cavalerie.

Le 10 juin 1799

Madame Royale épouse son cousin germain le duc d’Angoulême, suivant en cela les vœux de sa défunte mère.

Le 9 novembre 1799 (18 Brumaire)

Un coup d’Etat renverse le Directoire. Tout a lieu dans l’orangerie du château de Saint-Cloud que Louise-Elisabeth connaît bien. L’homme le plus fort du nouveau régime, le Consulat, est le général Bonaparte (1769-1821), que la marquise assimile à un robespierriste.

   Bonaparte Premier consul par Jean-Auguste-Dominique Ingres

 

Madame Royale à Vienne, par Johann Maria Monsorno (1799)

Madame de Tourzel se retire à la campagne, à Abondant.

En 1800

Son frère, le duc d’Havré, obtient enfin sa radiation de la liste des émigrés et rentre en France. Il s’installe à Paris, au 96 rue de Lille, avec sa femme et ses enfants. Il est presque le voisin de Pauline qui habite la même rue.

Le 27 octobre 1800

Son gendre, Armand-Joseph de Béthune, duc de Charost (1738-1800) succombe à la variole qu’il a contractée dans ses fonctions de maire du Xe arrondissement, en allant assister des sourds-muets atteints de cette maladie. Sous le Consulat, l’année précédente, il avait été le premier Président du Conseil Général du Cher. Il est inhumé à Meillant.

Henriette, l’aînée des filles de Louise-Elisabeth, est donc veuve et sans enfant.

La mère et la fille vont se rapprocher, par une complicité renouvelée entre veuves. Henriette accueillera sa famille tant rue de Lille qu’à Meillant.

Madame de Tourzel est interpelée par un jeune homme de Normandie qui se prétend Louis XVII, qu’on aurait exfiltrée de la prison du Temple et remplacé par un enfant malade qui aurait agonisé à sa place. Cet Hervagault est le premier d’une série de prétendants, dont le plus célèbre est l’horloger prussien Karl-Wilhelm Naundorff (date de naissance inconnue-10 août 1845), qui eut de nombreux adeptes jusqu’à la fin du XXe siècle. Les condamnations des trois premiers (Hervagault, Bruneau et un certain Hébert, connu sous le titre de «baron de Richemont») à de lourdes peines de prison ne décourageront pas d’autres imposteurs.

Armand-Joseph de Béthune, comte de Charost

En janvier 1801

Madame de Tourzel apprend que Louis XVIII, qui a fui la France en 1781, a quitté Mittau pour Varsovie, où le Tsar de Russie l’autorise à séjourner.

Louise-Emmanuelle de Tarente rentre également en France et vit chez sa mère à Paris et à Wideville (à une trentaine de kilomètres de Paris). Elle ne veut plus renouer avec son mari. Elle n’est pas rayée de la liste des émigrés et ne le sera jamais. Son retour évoque à Louise-Elisabeth et Pauline les souvenirs tant des Tuileries que de Versailles. Trois ans plus tard, la princesse de Tarente repartira en émigration définitive car jamais elle ne se fera aux mœurs nouvelles de la France consulaire.

Hector de Béarn, petit-fils de madame de Tourzel

En 1802

Pauline de Béarn accouche d’un fils, Hector (1802-1871), qui épousera, le 26 février 1824, à Paris, Eléonore Le Marois (1805-1828).

Augustine de Tourzel, épouse de son fils Charles, accouche d’une fille, Emilie (1802-1844), qui épousera le 15 janvier 1823 à Paris Emeric de Durfort-Civrac de Lorges (1802 – 1879), duc de Lorges, propriétaire.

Madame de Tourzel est encore surveillée par la police sous le Premier Empire.

Le 3 juillet 1804

Augustine de Tourzel, épouse de son fils Charles, accouche d’un fils, Olivier (1804-1845), qui se mariera à Paris, avec Victurnienne de Crussol d’Uzès (1809 – 1837), le 1er mai 1832, sans postérité : il sera le dernier duc de Tourzel.

Le 2 décembre 1804

Sacre de Napoléon Ier à Notre-Dame de Paris.

Sacre de Napoléon Ier par Jacques-Louis David

Le 2 juin 1805

« Après une quasi-inexistence à la Cour, la comtesse d’Artois s’éteint à l’âge de quarante-neuf ans, sans avoir revu son mari depuis 1789. Elle est enterrée à Graz, dans le mausolée impérial sis à côté de la cathédrale de la ville. Sans avoir jamais partagé une grande complicité avec cette princesse, la marquise reste songeuse devant le triste destin de celle dont elle fut, près de neuf années, la « dame pour accompagner ».»

Jacques Bernot, Madame de Tourzel, gouvernante des enfants de Louis XVI (2022) ; Nouvelles Editions Latines

Pendant l’Empire

La marquise de Tourzel n’ira ni au château des Tuileries, ni à celui de Saint-Cloud. Tout le monde sait, y compris Napoléon Ier, que l’ancienne gouvernante des Enfants de France est soit en son château d’Abondant soit chez sa fille la duchesse de Charost à Paris.

La marquise de Tourzel est un fantôme vivant de la révolution.

Le 1er septembre 1805

Le comte de Béarn (1771-1844), son gendre, devient chambellan de Napoléon.

« Ma mère, mon frère, mes sœurs, (sont) exilés de Paris par ordre de l’Empereur (…) Après tant d’années, je fus introduite dans les Tuileries que j’avais quittées dans des circonstances si cruelles. (…)
L’Empereur me reçut avec un visage sévère, dans lequel je crus démêler cependant un rayon de bienveillance ; mais quelle que fût mon insistance, je ne pus obtenir la bonne parole que j’étais venue chercher.
 » Nous verrons cela plus tard« , me dit-il au moment où je pris congé de lui.
Ainsi cette démarche qui m’avait tant coûté avait échoué.»

           Pauline de Béarn

Joséphine de Sainte-Aldegonde-Tourzel

La partie est manquée et les Tourzel doivent rester en province. Ils séjournent alternativement à Sourches et à Abondant. La nouvelle est d’autant plus mauvaise que le marquis aurait besoin de consulter un médecin, notamment pour sa vue qui s’altère. La famille se replie à nouveau dans un silence prudent.

Durant tout le premier empire, Madame de Tourzel sera entourée d’une « surveillance odieusement vexatoire», confinée dans le château d’Abondant, dont son fils lui laisse la disposition comme douairière.

Le 18 août 1806

Augustine de Tourzel, épouse de son fils Charles, accouche d’une fille, Anne (1806-1837), mariée le 10 janvier 1830 à Paris, avec Paul Vogt d’Hunolstein (1804 – 1892), député de la Moselle.

En 1807

Sa famille rachète le château d’Havré qui avait été bien national.

En janvier 1809

La marquise obtient l’autorisation impériale d’effectuer un déplacement. Elle se rend d’abord à Roucy, où sa fille Henriette de Charost pssède un château de style Louis XVI. Puis, elle voyage en Flandres en passant par Laon, Vervins, Mons, Maubeuge, Bruxelles, Louvain, Malines et Anvers.
Louise-Elisabeth n’en est pas moins toujours reléguée de Paris.

Pauline fait une nouvelle tentative d’approche de l’Empereur à Compiègne, mais elle n’est pas reçue. Elle récidive le lendemain, en vain encore. Le troisième jour, elle tente à nouveau… pour elle-même , elle ne l’aurait pas fait, mais pour sa mère, son frère et sa sœur, elle a le cœur motivé. Elle est enfin admise près de l’Empereur, qui la reçoit gracieusement, mais feignant d’ignorer le motif de sa démarche. La réponse est favorable : il lui accorde le retour de sa mère !

Après quatre ans d’exil qui les avaient séparés, la famille Tourzel peut enfin se retrouver à Paris.

Le 1er avril 1810

Napoléon Ier épouse l’Archiduchesse Marie-Louise : l’Impératrice est ainsi du même sang que Marie-Antoinette.

Le château de Compiègne
Casimir-Louis-Virturnien de Rochechouart, duc de Mortemart

 

Le 26 mai 1810

Sa petite-fille, Virginie de Sainte-Aldegonde (1789-1878) épouse Casimir-Louis-Virturnien de Rochechouart, duc de Mortemart (1787-1875).

 

Le 13 novembre 1810

Marie-Joséphine, comtesse de Provence, décède en 1810 à Hartwell House dans le Buckinghamshire en Grande-Bretagne.

Portrait de la comtesse de Provence attribué à Marie-Eléonore Godefroid

Le 13 février 1811

Son gendre, le marquis de Galard-Brassac-Béarn, est fait comte de l’Empire. Cela permet de mettre sa famille à l’abri politiquement, et d’éviter de devoir continuer à vivre en marge de la société.

A la Restauration

Pauline de Béarn entre au service de la duchesse d’Angoulême.

La duchesse de Tourzel

Le 18 janvier 1815

Après l’exhumation, les ossements de Marie-Antoinette sont déposés dans une cassette jusqu’à ce qu’on les transmette dans les cercueils de plomb destinés à les renfermer.

Statue priante de Marie-Antoinette à la basilique de Saint-Denis

Les restes de Marie-Antoinette sont trouvés d’abord (ils sont plus récents que ceux de Louis XVI) et ensuite, en fonction de la localisation de l’enterrement de la Reine, on cherche aussi ceux du Roi, dont l’identification est cependant douteuse ( il semblerait qu’on ait prit le premier corps qui se trouvait à peu près à l’endroit où il avait été indiqué, qu’on considère comme les restes du Roi).

La Chapelle Expiatoire élevée au 29 de la rue Pasquier de 1815 à 1826 par Pierre-François-Léonard Fontaine et son élève Louis-Hippolyte Lebas

Le 19 janvier 1815

On creuse à l’emplacement indiqué pour la fosse de Louis XVI, entre celle de la Reine et le mur de la rue d’Anjou. On trouve à dix pieds de profondeur quelques débris de planche dans la terre mêlée de chaux et des ossements dont certains tombent en poussière. Des morceaux de chaux encore entiers adhèrent à certains os. La tête est placée entre les fémurs.
Tous les débris qu’on peut sortir de cet amas de terre, de chaux, de bois et d’ossements sont enfermés dans deux boite, l’une aux ossements, l’autre contenant les restes qui n’ont pas pu être extraits de la chaux solidifiée, souvent –détail macabre – parce celle-ci avait «moulé » une partie du corps du défunt.
                                                                                                           Les deux boites furent, comme pour Marie Antoinette, placées dans un cercueil.

Le 21  janvier 1815

Dugourc est chargé de mettre en scène le transfert des cendres de Louis XVI et de Marie-Antoinette du cimetière de la Madeleine à la messe des funérailles à Notre-Dame jusqu’au tombeaux à Saint-Denis.

Sur le haut du catafalque du char, la couronne plafonne tellement qu’elle s’accroche à un réverbère rue Montmartre.
Une gigantesque pyramide accostée de deux colonnes sommées d’urnes masque la façade de la basilique.

Intérieur de la Chapelle Expiatoire

Pauline de Béarn va rencontrer le Roi et la duchesse d’Angoulême à Compiègne. Losqu’elle l’aperçoit, la princesse s’exclame : « Ah ! C’est Pauline !» ; elle la conduit au Roi, la prenant par la main et l’annonce avec vivacité : « Sire, voilà Pauline !». Louis XVIII lui prend la main et la pose sur son cœur en disant :

« Vous n’êtes jamais sortie de là, ma chère Pauline, je vous revois avec grand plaisir.»

La comtesse de Béarn aurait pu redouter la réaction du Roi et de sa nièce par rapport à la promotion de son mari comme chambellan de l’Empereur, mais les élans du cœur sont plus forts que toute vision politique.

Le château de Compiègne

« Rentrée dans ses appartements, Madame la duchesse d’Angoulême me f(ait) appeler dans son cabinet : alors mille questions se succèd(ent) sur moi, sur votre père, sur vous mes enfants … Quel touchant intérêt, quelle aimable sollicitude elle me témoign(e) ! Jamais princesse ne sut aimer avec plus de coeur ceux qui lui étaient dévoués. Après avoir épuisé toutes les questions que sa bonté et son amitié lui suggérèrent sur tout ce qui m’intéress(e), elle me dit avec une émotion extrême :  » Ma chère Pauline, vous me mènerez au tombeau de mon père … »»

             Pauline de Béarn

Marie-Thérèse d’Angoulême lui permet de la voir aussi souvent qu’elle le veut : Pauline profite avec empressement de cette permission et se rend de bonne heure chez sa vieille amie :

« là de douces conversations (lui font) reconnaître le fond de son cœur.»

Le 1er mars 1815

La Restauration ne dure pas.

Confronté au non-paiement de sa pension attribuée par le traité de Fontainebleau et devant le mécontentement croissant des Français, Napoléon quitte son exil de l’île d’Elbe et débarque à Golfe-Juan.

Le 19 mars 1815

Napoléon est aux portes de Paris. Louis XVIII et sa cour prennent la fuite pour Gand en passant pas Beauvais.

Ce qui lui vaut le surnom de « Notre père de Gand » par les chansonniers…

Les nerfs de la marquise sont mis à rude épreuve. Elle reste chez elle en attendant des jours meilleurs.

Le 4 avril 1815

Décès de son fils, Charles-Louis Yves, marquis de Tourzel, sixième marquis de Sourches : tous les espoirs de la famille se reportent sur son petit-fils, Olivier, alors âgé d’une dizaine d’années.

Le 18 juin 1815

La défaite de Waterloo réinstalle Louis-Stanislas sur le trône de France.

Son règne est consacré à la lourde tâche de concilier les héritages révolutionnaires et napoléoniens avec ceux de l’Ancien Régime.

Madame de Tourzel peut être satisfaite : sa famille a su maintenir la proximité avec c elle du souverain, ce Qui est le propre de la noblesse de cour. Louise-Elisabeth reste cependant paisiblement à Abondant. Elle préfère voir les Tuileries depuis la rue de Lille à y entrer. Pauline monte souvent à cheval avec la duchesse d’Angoulême.

Le 17 janvier 1816

Louis XVIII crée l’ex-gouvernante de ses royaux neveux duchesse héréditaire de Tourzel  (titre qui s’éteindra avec son petit fils qui a également succédé à son père et à son grand-oncle dans la charge de grand-prévôt de l’hôtel du roi ).

Elle vit entourée de petits-enfants et de souvenirs à Abondant, près de Dreux.

Reliquaire en forme de cercueil - Souvenirs de la famille royale. Divers objets rassemblés par Madame de Tourzel Photo : musée Carnavalet, Histoire de Paris / musée de la ville de Paris / Roger Viollet

Le 18 septembre 1816

Louise-Elisabeth reçoit à Abondant la duchesse douairière d’Orléans, qui a à peu près son âge et qu’elle connaît depuis toujours, quoique les jeux de cour les aient placées dans des coteries différentes.

Marie-Adélaïde d'Orléans
Le château d'Abondant

Madame de Tourzel a compris depuis longtemps que la malheureuse duchesse d’Orléans n’était qu’une victime. C’est la belle-sœur de l’infortunée princesse de Lamballe, dont elles évoquent peut-être les dernières heures puisque Louise-Elisabeth les a partagées avec elle.

En février 1817

Madame de Tourzel est conviée à un spectacle au palais des Tuileries à l’occasion des fêtes du carnaval.

Elle est propriétaire de l’hôtel d’Estrées au no 79 de la rue de Grenelle à Paris que ses descendants vendirent au gouvernement russe en 1863.

L'hôtel d'Estrées

 

 

La duchesse d’Angoulême demande à Pauline de l’accompagner dans sa tournée officielle dans le sud-ouest de la France, notamment à Bordeaux.

Les Angoulême à Bordeaux

 

Le 25 juin 1817

Sa petite-fille, Augustine-Joséphine de Tourzel (1798-1870), âgée de dix-neuf ans, épouse Amédée-François-Régis des Cars (1790-1868), officier plein d’avenir de vingt-sept ans et héritier du duc des Cars, à Abondant.

 

Le 15 octobre 1817

Son petit-fils, Camille de Sainte-Aldegonde (1787-1853), âgé de trente ans, épouse Adélaïde-Joséphine Bourlon de Chavanges (1789-1869), veuve du général Augereau, duc de Castiglione. Cela fusionne la vieille noblesse avec la noblesse d’empire : on imagine la perplexité de la duchesse.

Amédée François Régis de Pérusse, duc des Cars

Le 24 novembre 1817

La sœur de Camille, Gabrielle de Sainte-Aldegonde 1793-1874), épouse Arthus Gabriel Timoléon de Cossé-Brissac (1790-1857), issus d’une famille ducale : son grand-père, amant de madame du Barry, a été une des victimes des massacres de septembre 1792. Ils auront huit enfants.

Camille de Sainte-Aldegonde est l'un des deux hommes au fond, dans la suite du duc d'Orléans qui est à cheval, en uniforme de colonel général des hussards passant en revue les troupes et donnant des ordres au colonel Oudinot.  Gravure d'après une photo d'Horace Vernet, 1817. Royal Collection Trust.
Jacques-Nicolas Billaud-Varenne

Le 3 juin 1819

Madame de Tourzel apprend le décès de Jacques-Nicolas Billaud-Varenne (1756-1819), cet avocat, député montagnard à la Convention nationale qui les as sauvées, Pauline et elle, lors des massacres de septembre 1792.

En 1819

Madame de Tourzel visite le château de Versailles dans lequel elle n’était plus revenue depuis les journées d’octobre 1789.

Le 26 juillet 1819

Mort de son amie intime, Madeleine de Maillé (1750-1819), qui fut dame du palais de Marie-Antoinette.

 

Le 13 février 1820

Assassinat du duc de Berry, beau-frère de Marie-Thérèse d’Angoulême.

Le 14 février 1820

Mort du duc de Berry

Les derniers moments du duc de Berry, par Alexandre Menjaud
La duchesse d'Angoulême affligée

Le 23 avril 1820

Sa petite-fille, Alix de Béarn (1799-1855), épouse Adrien-Eugène-Gaspard de Tulle de Villefranche (1793-1850), âgé de vingt-sept ans.

Le 29 septembre 1820

Naissance de Henri d’Artois  (1820-1883), petit-fils de France, duc de Bordeaux, plus connu sous son titre de courtoisie, comte de Chambord. De 1844 à sa mort, il sera prétendant à la couronne de France, sous le nom d’Henri V.

Naissance du comte de Chambord

En octobre 1820

Madame de Tourzel séjourne à Groussay, près de Montfort-l’Amaury, dans une maison de campagne que sa fille aînée, Henriette de Charost, s’est fait construire, sur un terrain acquis en 1815, probablement avec le produit de la vente de l’hôtel de Charost, rue du Faubourg-Saint-Honoré à Paris.

« C’est une grosse bâtisse quadrangulaire à deux étages, de style vaguement toscan, dont les façades sont rythmées par un avant-corps. Crépie, couverte en ardoise, simple, commode, elle est faite pour une vie réglée à la campagne.»

Jacques Bernot, Madame de Tourzel, gouvernante des enfants de Louis XVI (2022) ; Nouvelles Editions Latines

Le 14 juin 1823

Sa petite-fille Emilie de Tourzel (1802-1844)épouse Emeric de Durfort, futur duc de Lorge (1802-1879) : ils auront deux fils : Paul (1828-1872) et Auguste (1838-1911).

Le 23 juin 1823

Marie-Adélaïde d’Orléans succombe à un cancer du sein, après une longue et douloureuse agonie, au château d’Ivry-sur-Seine. Elle ne verra pas l’avènement de son fils Louis-Philippe Ier, en juillet 1830.

Le 19 août 1823

Le duc d’Havré est officier de la Légion d’honneur. Il y a quelque chose de paradoxal à décoré ce représentant de l’Ancien régime de soixante-dix-neuf ans, avec un ruban institué par l’empereur des Français.

Le 23 novembre 1823

Antoine-François Hardy, retiré de la carrière parlementaire depuis vingt ans, s’éteint à Paris. C’est à lui que Pauline doit sa survie lors des massacres de septembre 1792.

Gisant de Marie-Adélaïde à la chapelle royale de Dreux

Le 26 février 1824

Son petit-fils, Louis-Hector de Galard-Brassac-Béarn (1802-1871) épouse Coralie-Constance Le Marois, fille d’un ancien aide de camp de Bonaparte, elle est riche contrairement à l’héritier des Béarn : tout le monde trouve son compte dans cette union.

Le 16 septembre 1824

Louis XVIII (1755-1824) meurt à Paris.

Charles X monte sur le trône et décide de renouer avec la tradition du sacre ; Louis XVIII avait annoncé publiquement son intention de se faire sacrer mais on peut présumer qu’il y renonça pour des raisons physiques, sa mauvaise santé ne lui permettant pas d’en supporter les rites.

Charles X en costume de sacre par François Gérard

En juin 1828

Madame de Tourzel part à Abondant.

Le 28 août 1829

Le prince Jules de Polignac (1780-1847), fils de Yolande, qui a précédé Louise-Elisabeth dans sa fonction de gouvernante des Enfants de France, est nommé chef du gouvernement pour remplacer Martignac. C’est un mystique peu au fait des pièges de la vie parlementaire …

Les 27, 28 et 29 juillet 1830

Les opposants aux ordonnances de Saint-Cloud soulèvent Paris : ce sont les Trois Glorieuses de 1830, ou « révolution de Juillet », qui renversent finalement Charles X.

Madame de Tourzel dans sa maturité
La Liberté guidant le Peuple d'Eugène Delacroix (1830)

Le 30 juillet 1830

 Louis-Philippe duc d’Orléans, est nommé lieutenant général du Royaume par les députés insurgés.

Le 31 juillet 1830

 Charles X  préside son dernier conseil des ministres le 31 juillet 1830 dans le Cabinet Frais du Grand Trianon.

Louis-Philippe accepte ce poste. Il s’enveloppe alors d’un drapeau tricolore avec La Fayette et paraît ainsi à son balcon.

Le cabinet Frais
Louis-Philippe Ier , Roi des Français

 

Le 2 août 1830

Charles X, retiré à Rambouillet, abdique et convainc son fils aîné le dauphin Louis-Antoine de contresigner l’abdication. Marie-Thérèse devient donc Reine de France… pour quelques instants seulement !

La Dauphine, Marie-Thérèse, s’écrit :

« Ah qu’il est cruel de quitter la France !»

 

Madame de Tourzel par Jules Porreau, musée Carnavalet.

Le 2 mai 1832

Son petit-fils, Olivier du Boucher de Sourches (1804-1845) épouse Victorine de Crussol d’Uzès : la duchesse leur offre une châtelaine en or, ornée de médaillons contenant des cheveux des membres de la famille royale.

Le 15 mai 1832

La duchesse de Tourzel meurt au château de Groussay à Montfort-l’Amaury, âgé de quatre-vingt-deux ans, après avoir publié ses mémoires. Son corps, rapporté à Abondant fut inhumé dans le cimetière de cette commune contre un mur de l’église paroissiale, selon sa volonté de demeurer parmi « ses chers habitants d’Abondant ».

L'église d'Abondant
Acte de décès de madame de Tourzel

Mais la duchesse a encore voyagé… Le duc des Cars emmène la dépouille de Madame de Tourzel et toute la famille en direction de Saint-Symphorien, au château de Sourches, berceau des Tourzel :

Le château de Sourches

… dernier voyage jusqu’à la crypte de la chapelle du manoir de l’Isodière :                           

Le château de Sourches

La duchesse repose depuis au cimetière de Saint-Symphorien, bien entourée de tous ses proches .

Sources :

  • https://www.marie-antoinette-antoinetthologie.com/
  • BEARN Pauline, comtesse de, Souvenirs de quarante ans 1789-1830 ; éditions Lecoffre, 1861
  • DUARTE Christophe, Versailles-passion, groupe FB
  • BERNOT Jacques, Madame de Tourzel, gouvernante des enfants de Louis XVI (2022) ; Nouvelles Editions Latines
  • TOURZEL Louise-Elisabeth, Mémoires de Madame la duchesse de Tourzel, gouvernante des enfants de France de 1789 à 1795 ; première parution en 1969, notes établies par Carlos de Angulo ; Collection Le Temps retrouvé, Mercure de France

Madame Royale reste seule au Temple.

Le 7 juillet 1794

Son cousin, Louis-Joachim, duc de Guesvres, gouverneur de la province d’Île-de-France, est exécuté.

Le 26 juillet 1794

La marquise d’Armentières, née Sennectère, belle-mère de sa nièce, la jeune Amélie d’Havré, monte à l’échafaud

Le 27 juillet 1794 (ou le 9 thermidor)

La dernière charrette, emportant cinquante-trois personnes, dont la princesse de Monaco, née Choiseul-Stainville, est plusieurs fois arrêtée lors de son parcours jusqu’à la place du Trône renversé :                                                                                                 en effet, au même moment se déroule le complot mettant fin au pouvoir de Robespierre.

Mais ce n’est pas suffisant. Ces dernières victimes de la Terreur n’échapperont pas à leur sort.

Image du film de Benoît Jacquot Sade (2000) : l'arrestation de Robespierre

Robespierre, blessé par balle au visage et gisant sur un brancard, rejoint ses compagnons à la Conciergerie emprisonnés dans la nuit ou en début de matinée.

Arrestation de Robespierre

Cinq cent détenus forment une haie, explosant de joie.

La chute de Robespierre ramène l’attention sur les deux enfants prisonniers, dont on améliore peu à peu les conditions de détention.

L'exécution de Robespierre

En août 1794

Madame et mademoiselle de Tourzel sont transférées dans la prison de Port-Libre, où chacun a peur d’être dénoncé par un codétenu. Elles n’ont «de rapports qu’avec Mesdames de Lambert et de la Rochefoucauld et Monsieur d’Aubusson, dont la société (leur) est une consolation.»

Image du film de Benoît Jacquot Sade (2000) : les lieux figurent la maison de santé du couvent de Picpus dont l'apparence ressemble à la prison de Port-Libre
Image du film de Benoît Jacquot Sade (2000) : arrivée des nouveaux détenus : la vicomtesse de Lancris (rôle tenu ici par Dominique Reymond) n'a rien à voir avec madame de Tourzel, sauf l'allure ... de «dame au chapeau» comme on qualifiera Louise-Elisabeth ...
La prison de Port-Libre (Port-Royal)
Image du film de Benoît Jacquot Sade (2000) : la façade de la maison de détention
Image du film de Benoît Jacquot Sade (2000) : la consolation dans la société d'honnêtes gens.

La prison de Port-Libre dit aussi «prison de la bourbe» ou «prison de la suspicion» désigne le couvent de Port-Royal fermé en 1790 et réquisitionné en maison d’arrêt de 1790 à 1795. La plupart des détenus n’en sortent que pour aller à l’échafaud : des charrettes conduisent ces prisonniers vers la Conciergerie, l’antichambre de la mort.

« Rien ne ressemblait moins à une prison ; point de grilles, point de verrou ; les portes n’étaient fermées que par un loquet. De la bonne société, excellente compagnie, des égards, des attentions pour les femmes; on aurait dit qu’on n’était qu’une même famille réunie dans un vaste château.» 

            Honoré-Jean Riouffe (1764-1813)

Il y a cinq cents détenus à Port-Libre.

Image du film de Benoît Jacquot Sade (2000) : attente des nominations des condamnés à mort
Image du film de Benoît Jacquot Sade (2000) : appel des condamnés à mort
Image du film de Benoît Jacquot Sade (2000) : les couloirs qui mènent aux chambres qui sont d'anciennes cellules monacales.
Images du film de Benoît Jacquot Sade (2000) : le réfectoire dans la salle communale

Le 3 août 1794

Une affreuse nouvelle parvient de Nimègue : il s’agit de l’exécution de sa fille, Zoé, comtesse de Sainte-Aldegonde (1767-1794), victime de la révolution français, à l’âge de vingt-sept ans, à Nimègues.

Le 6 septembre 1794

Une pétition au comité de Sûreté générale des habitants de la ville demande la libération des Tourzel.

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Le 20 octobre 1794

                                            Le comité décide enfin cette libération.

Image du film de Benoît Jacquot Sade (2000)

Le 21 octobre 1794

Louise-Elisabeth et Pauline quittent Port-Libre en même temps que beaucoup des prisonniers de ce lieu. Elles gagnent l’hôtel de Charost, situé à l’actuel 80 rue de Lille, où elles retrouvent enfin une vie paisible.

L'hôtel de Charost côté cour
L'hôtel de Charost côté jardin

L’été 1794

Des admirateurs anonymes louent un appartement au quatrième étage de la rotonde qui fait face à la tour du Temple. Là, profitant de ce que les bruits portent facilement, ils organisent de petits concerts de musique de chambre, toutes fenâtes ouvertes, pour en faire profiter l’illustre prisonnière. Parmi les habitués de ces petits concerts, la police identifie les anciens valets de Louis XVI, Hue et Cléry, et leurs épouses, ainsi que Madame de Tourzel et ses filles. Ces dernières qui se doutent de la situation de la princesse, s’offrent pour lui tenir compagnie.

Jacques Bernot, Madame de Tourzel, gouvernante des enfants de Louis XVI (2022) ; Nouvelles Editions Latines

Le Donjon et la Rotonde du Temple (tableau de J.-C Nattes, 1808)

 

Le 8 juin 1795

Mort de Louis XVII à l’âge de dix ans. Il était atteint de tuberculose osseuse.

L’«orpheline du Temple» reste alors seule prisonnière de la tour.

Louis XVII agonisant

Madame de Tourzel parvient à s’assurer des contacts avec Gomin et Lasne, anciens commissaires de la Commune de Paris, en charge de la surveillance du petit Roi au Temple. Elle prend connaissance des interventions de Desault et Pelletan, les derniers médecins qui tentent d’adoucir les souffrances de l’enfant … Le témoignage du docteur Jeanroy, « un vieillard de plus de quatre-vingts ans, d’une probité peu commune et profondément attaché à la famille royale. Il (a) été choisi pour assister à l’ouverture du jeune roi ; et pouvant compter sur son témoignage comme le mien propre, (elle) le f(ait) passer chez (elle)».

De réputation fiable et solide, qui l’a fait choisir par les membres de la Convention pour fortifier de sa signature la preuve que le jeune Roi n’a pas été empoisonné.

« Ils n'(ont) pas eu besoin d’employer le poison : la barbarie de leur conduite vis-à-vis d’un enfant de cet âge d(oit) immanquablement le conduire au tombeau. Sa bonne constitution prolongea so n supplice ; la malpropreté dans laquelle on le laissait volontairement et le défaut d’air et d’exercices, lui avaient dissous le sang et vicié toutes les humeurs.»

           Madame de Tourzel

Pour la marquise, le jeune prince est bien mort au Temple.

Madame royale d'après nature par un commissaire de la Commune

 

 

 

Je laisse parler Madame :

Le 3 septembre 1795

Madame de Tourzel et sa fille, Pauline, rendent, pour la première fois, visite à Madame Royale, l’Orpheline du Temple :

« En arrivant au Temple, je remis ma permission aux deux gardiens de Madame, et je demandais à voir Madame de Chantereine en particulier. Elle me dit que Madame était instruite de tous ces malheurs, qu’elle nous attendait et que nous pouvions entrer. Je la priai de dire à Madame que nous étions à la porte. Je redoutais l’impression que pouvait produire sur cette princesse la vue de deux personnes qui, à son entrée au Temple, accompagnaient ce qu’elle avait de plus cher au monde, et dont elle était réduite à pleurer la perte; mais heureusement la sensibilité qu’elle éprouva n’eût aucune suite fâcheuse. Elle vint à notre rencontre, nous embrassa tendrement, et nous conduisit à sa chambre, ou nous confondîmes nos larmes sur les objets de ses regrets. Elle ne cessa de nous en parler, et nous fit le récit le plus touchant et le plus déchirant du moment où elle se sépara du Roi son père, dont elle était si tendrement aimée, et auquel elle était si attachée.
Je ne puis ajouter au récit de Cléry qu’un trait, qui peint la grandeur d’âme de ce prince et son amour pour son peuple.»

« Mon père, avant de se séparer de nous pour jamais, nous fit promettre à tous de ne jamais penser à venger sa mort; et il était bien assuré que nous regarderions comme sacré l’accomplissement de sa dernière volonté. Mais la grande jeunesse de mon frère lui fit désirer de produire sur lui une impression plus forte. Il le prit sur ses genoux et lui dit: « Mon fils, vous avez entendu ce que je viens de dire; mais comme le serment est encore quelque chose de plus sacré que les paroles, jurez, en levant la main, que vous accomplirez la dernière volonté de votre père.»
Mon frère lui obéit en fondant en larmes, et cette bonté si touchante fit encore redoubler les nôtres.»

On ne peut rien ajouter à une semblable réflexion dans un pareil moment. Nous avions laissé Madame faible et délicate, et en la revoyant au bout de trois ans de malheurs sans exemple, nus fûmes bien étonnées de la trouver belle, grande et forte, avec cet air de noblesse qui fait le caractère de son visage. Nous fûmes frappées, Pauline et moi, d’y retrouver les traits du Roi, de la Reine, et même de Madame Élisabeth. Le ciel la destinait à être le modèle de ce courage qui, sans rien ôter à la sensibilité, rend cependant capable de grandes actions, ne permit pas qu’elle succombât sous le poids de tant de malheurs. Madame en parlait avec une douceur angélique; nous ne lui vîmes jamais un seul sentiment d’aigreur contre les auteurs de tous ses maux. Digne fille du Roi son père , elle plaignait encore les français, et elle aimait toujours ce pays où elle était si malheureuse; et sur ce que je lui disais que je ne pouvais m’empêcher de désirer sa sortie de France pour la voir délivrée de son affreuse captivité, elle me répondit avec l’accent de la douleur: «J’éprouve encore de la consolation en habitant un pays ou reposent les cendres de ce que j’avais de plus cher au monde. ». Elle ajouta, fondant en larmes et sur le ton le plus déchirant: «J’aurais été plus heureuse de partager le sort de mes bien-aimés parents que d’être condamnée à les pleurer.»
Qu’il était douloureux et touchant en même temps d’entendre s’exprimer ainsi une jeune princesse de quinze ans, qui, dans un âge où tout est espoir et bonheur, ne connaissait encore que la douleur et les larmes! Elle nous parla avec attendrissement du jeune Roi son frère, et des mauvais traitements qu’il essuyait journellement […]. Je ne pus m’empêcher de demander à Madame comment avec tant de sensibilité, et dans une si affreuse solitude, elle avait pu supporter tant de malheurs.
Rien de si touchant que sa réponse, que je ne puis m’empêcher de transcrire: « Sans religion, c’eût été impossible; elle fut mon unique ressource, et me procura les seules consolations dont mon cœur puisse être susceptible; j’avais conservé les livres de piété de ma tante Élisabeth; je les lisais, je repassait ses avis dans mon esprit, je cherchais à ne pas m’en écarter et à les suivre exactement.
En m’embrassant pour la dernière fois et m’excitant au courage et à la résignation, elle me recommanda positivement de demander que l’on mit une femme auprès de moi. Quoique je préférasse infiniment ma solitude à celle que l’on y aurait mise alors, mon respect pour les volontés de ma tante ne me permit pas d’hésiter.
On me refusa, et j’avoue que j’en suis bien aise. Ma tante, qui ne prévoyait que trop le malheur auquel j’étais destinée, m’avait accoutumée à me servir seule et à n’avoir besoin de personne. Elle avait arrangé ma vie de manière à en employer toutes les heures: le soin de ma chambre, la prière, la lecture, le travail, tout était classé. Elle m’avait habituée à faire mon lit seule, me coiffer, me lacer, m’habiller, et elle n’avait, de plus, rien négligé de ce qui pouvait entretenir ma santé. Elle me faisait jeter de l’eau pour rafraîchir l’air de ma chambre, et avait exigé, en outre, que je marchasse avec une grande vitesse pendant une heure, la montre à la main, pour empêcher la stagnation des humeurs.»
Ces détails si intéressants à entendre de la bouche même de Madame nous faisaient fondre en larmes.

           Mémoires de Madame de Tourzel

La tour du Temple

La jeune détenue reçoit ses amies avec l’empressement et la joie de l’amitié, auxquels se confondent les larmes. Elles passent plusieurs heures en sa compagnie et dînent avec elle. Pauline est presque surprise de retrouver une jeune fille en bonne santé : elle la trouve « belle, grande et forte. Sa figure offr(e) un mélange des traits du Roi, de la Reine et de Madame Elisabeth.»
Elle leur parle de ses malheurs «avec une douceur angélique sans un seul sentiment d’aigreur contre les auteurs de ses maux» et confie qu’elle aurait préféré partager le sort de ses parents à être condamnée à les pleurer.

Le 6 septembre 1795

Louise-Elisabeth et Pauline rendent à nouveau visite à Madame Royale qui glisse dans la main de la jeune fille un morceau de papier en lui disant : « vous le lirez». Arrivée à l’hôtel de Charost, Pauline ouvre ce papier qui porte pour suscription : « A ma chère Pauline»

« Ma chère Pauline, le plaisir que j’ai eu à vous voir a beaucoup contribué à soulager mes maux. Tout le temps que j’ai été sans vous voir, j’ai beaucoup songé à vous. Malgré tout ce que j’ai eu à souffrir j’ai craint pour vous à la Force ; j’ai été tranquille en apprenant que vous étiez sauvée et en espérant que vous n’y retourneriez plus. Mon espérance est déçue : on vous replonge dans un nouveau cachot, pour y passer bien plus de temps que dans le premier. Enfin vous en sortez heureusement. Je n’ai su votre seconde détention que quand vous étiez sortie de Port-Royal ; depuis ce temps vous tâchez d’être réunie avec moi ou du moins de me voir. Quand je ne vous aurais pas connue et aimée comme je vous aimais, tant de preuves d’attachement, que vous avez données à mes parents et à moi, m’auraient attachée à vous pour la vie ; jugez par la tendresse avec laquelle je vous aimais déjà combien mon amour doit être augmenté. je vous aime, et vous aimerai toute ma vie.
A la Tour du Temple, ce 6 septembre
Marie-Thérèse-Charlotte.
»

Les dames de Tourzel obtiennent la permission de revenir à la tour du Temple tous les cinq jours à peu près. Elles arrivent à midi et la quittent à huit heures du soir.

Le 8 novembre 1795

On vient arrêter Madame de Tourzel à huit heures du matin, mais Louise-Elisabeth n’est pas chez elle : les deux commissaires l’attendent donc dans sa chambre jusqu’à son retour. Elle sait qu’on en veut aux papiers qu’elle a en sa possession : à son retour les commissaires en font l’inventaire. Elle dîne très tranquillement avant de se rendre à l’hôtel de Brionne où se tient le comité de Salut public qui n’ouvre qu’à six heures. Pauline et Henriette de Charost et Pauline l’y accompagnent. Toutes trois patientent une heure: on leur donne des détails sur le supplice de M. Lemaistre, condamné à mort pour correspondance avec la maison de Bourbon et précise qu’on usera désormais d la plus grande sévérité avec les royalistes et même les dames à chapeau. L’interrogatoire dure plus de deux heures : à onze heures on conduit la marquise au collège des Quatre-Nations, dont on a fait une prison. Elle reste trois jours au secret.

Image de L'Anglaise et le Duc (2001) d'Eric Rohmer

Le 18 décembre 1795

Madame de Tourzel est libérée du collège des Quatre-Nations, faute de preuve.

Madame Royale quitte la prison du Temple pour être remise  à sa famille autrichienne… Madame de Tourzel se propose alors pour accompagner la princesse jusqu’à Vienne. Mais sa compagnie n’est pas jugée souhaitable par le comité de Salut public qui se méfie des convictions royalistes de l’ancienne gouvernante. C’est Madame de Soucy, l’ancienne sous-gouvernante du Dauphin, qui l’accompagne.

En 1796

Mariage de son fils, Charles-Louis Yves, marquis de Tourzel, sixième marquis de Sourches (1768-1815)   avec Augustine Éléonore de Pons (1775-1843).

Sa dernière sœur, Emmanuelle Louise Gabrielle Joséphine Cunégonde de Croÿ (1738-1796), religieuse de la Visitation à Paris, décède à son tour, à l’âge de cinquante-huit ans. Louise-Elisabeth n’a plus désormais que son frère Joseph, qui est encore en émigration.

A ses risques et périls elle conserve quelques liens avec la famille royale exilée.

Le 15 janvier 1797

Mariage de sa fille  Pauline (1771-1839) avec Alexandre Léon de Galard de Brassac, comte de Béarn (1771-1844) , à Paris.

Durant l’été 1797

Louise-Elisabeth et les siens s’embarquent pour le Berry, au château de Meillant, chez sa fille Henriette de Charost, «devenue le centre autour duquel se réunissait toute la famille».

« La demeure (de Meillant) est superbe, rebâtie après la guerre de Cent-Ans dans le style du gothique flamboyant annonçant la première Renaissance.» Pauline qui y rejoint sa famille qualifie ce château de «romantique sombre : une des rares demeures féodales qui avaient échappé au marteau révolutionnaire ; rien n’y manqu(e), ni la tour du nord, ni celle de l’ouest. Il (est) remarquable à la fois par caractère de son architecture et son étendue, qui ne contribu(e) pas peu à lui donner un aspect imposant et terrible.»

Curieux effroi quand on songe aux prisons qu’a connues la jeune fille.

Le château de Meillant

Malgré la joie de se retrouver, le rythme de la vie de cet été demeure assez monotone.

A la fin de l’été 1797

Louise-Elisabeth revient à Paris, encore accueillie par sa fille Henriette de Charost et son beau-fils, Armand-Joseph de Béthune, qui a presque douze ans de plus qu’elle. Leurs fenêtres donnent sur les Tuileries.

Le 13 janvier 1798

Naissance de sa petite-fille Augustine (1798-1870), fille de son fils, Charles-Louis de Tourzel, qui épousera, le 25 juin 1817, à Abondant, Amédée de Pérusse des Cars (1790-1868), duc des Cars, pair de France.

En 1799

Pauline de Béarn accouche d’une fille , Renée Joséphine Alix (1799 – 1855) , qui épousera, le 23 avril 1820, à Paris, Adrien de Tulle de Villefranche (1793-1850), capitaine de cavalerie.

Le 10 juin 1799

Madame Royale épouse son cousin germain le duc d’Angoulême, suivant en cela les vœux de sa défunte mère.

Le 9 novembre 1799 (18 Brumaire)

Un coup d’Etat renverse le Directoire. Tout a lieu dans l’orangerie du château de Saint-Cloud que Louise-Elisabeth connaît bien. L’homme le plus fort du nouveau régime, le Consulat, est le général Bonaparte (1769-1821), que la marquise assimile à un robespierriste.

   Bonaparte Premier consul par Jean-Auguste-Dominique Ingres

 

Madame Royale à Vienne, par Johann Maria Monsorno (1799)

Madame de Tourzel se retire à la campagne, à Abondant.

En 1800

Son frère, le duc d’Havré, obtient enfin sa radiation de la liste des émigrés et rentre en France. Il s’installe à Paris, au 96 rue de Lille, avec sa femme et ses enfants. Il est presque le voisin de Pauline qui habite la même rue.

Le 27 octobre 1800

Son gendre, Armand-Joseph de Béthune, duc de Charost (1738-1800) succombe à la variole qu’il a contractée dans ses fonctions de maire du Xe arrondissement, en allant assister des sourds-muets atteints de cette maladie. Sous le Consulat, l’année précédente, il avait été le premier Président du Conseil Général du Cher. Il est inhumé à Meillant.

Henriette, l’aînée des filles de Louise-Elisabeth, est donc veuve et sans enfant.

La mère et la fille vont se rapprocher, par une complicité renouvelée entre veuves. Henriette accueillera sa famille tant rue de Lille qu’à Meillant.

Madame de Tourzel est interpelée par un jeune homme de Normandie qui se prétend Louis XVII, qu’on aurait exfiltrée de la prison du Temple et remplacé par un enfant malade qui aurait agonisé à sa place. Cet Hervagault est le premier d’une série de prétendants, dont le plus célèbre est l’horloger prussien Karl-Wilhelm Naundorff (date de naissance inconnue-10 août 1845), qui eut de nombreux adeptes jusqu’à la fin du XXe siècle. Les condamnations des trois premiers (Hervagault, Bruneau et un certain Hébert, connu sous le titre de «baron de Richemont») à de lourdes peines de prison ne décourageront pas d’autres imposteurs.

Armand-Joseph de Béthune, comte de Charost

En janvier 1801

Madame de Tourzel apprend que Louis XVIII, qui a fui la France en 1781, a quitté Mittau pour Varsovie, où le Tsar de Russie l’autorise à séjourner.

Louise-Emmanuelle de Tarente rentre également en France et vit chez sa mère à Paris et à Wideville (à une trentaine de kilomètres de Paris). Elle ne veut plus renouer avec son mari. Elle n’est pas rayée de la liste des émigrés et ne le sera jamais. Son retour évoque à Louise-Elisabeth et Pauline les souvenirs tant des Tuileries que de Versailles. Trois ans plus tard, la princesse de Tarente repartira en émigration définitive car jamais elle ne se fera aux mœurs nouvelles de la France consulaire.

Hector de Béarn, petit-fils de madame de Tourzel

En 1802

Pauline de Béarn accouche d’un fils, Hector (1802-1871), qui épousera, le 26 février 1824, à Paris, Eléonore Le Marois (1805-1828).

Augustine de Tourzel, épouse de son fils Charles, accouche d’une fille, Emilie (1802-1844), qui épousera le 15 janvier 1823 à Paris Emeric de Durfort-Civrac de Lorges (1802 – 1879), duc de Lorges, propriétaire.

Madame de Tourzel est encore surveillée par la police sous le Premier Empire.

Le 3 juillet 1804

Augustine de Tourzel, épouse de son fils Charles, accouche d’un fils, Olivier (1804-1845), qui se mariera à Paris, avec Victurnienne de Crussol d’Uzès (1809 – 1837), le 1er mai 1832, sans postérité : il sera le dernier duc de Tourzel.

Le 2 décembre 1804

Sacre de Napoléon Ier à Notre-Dame de Paris.

Sacre de Napoléon Ier par Jacques-Louis David

Le 2 juin 1805

« Après une quasi-inexistence à la Cour, la comtesse d’Artois s’éteint à l’âge de quarante-neuf ans, sans avoir revu son mari depuis 1789. Elle est enterrée à Graz, dans le mausolée impérial sis à côté de la cathédrale de la ville. Sans avoir jamais partagé une grande complicité avec cette princesse, la marquise reste songeuse devant le triste destin de celle dont elle fut, près de neuf années, la « dame pour accompagner ».»

Jacques Bernot, Madame de Tourzel, gouvernante des enfants de Louis XVI (2022) ; Nouvelles Editions Latines

Pendant l’Empire

La marquise de Tourzel n’ira ni au château des Tuileries, ni à celui de Saint-Cloud. Tout le monde sait, y compris Napoléon Ier, que l’ancienne gouvernante des Enfants de France est soit en son château d’Abondant soit chez sa fille la duchesse de Charost à Paris.

La marquise de Tourzel est un fantôme vivant de la révolution.

Le 1er septembre 1805

Le comte de Béarn (1771-1844), son gendre, devient chambellan de Napoléon.

« Ma mère, mon frère, mes sœurs, (sont) exilés de Paris par ordre de l’Empereur (…) Après tant d’années, je fus introduite dans les Tuileries que j’avais quittées dans des circonstances si cruelles. (…)
L’Empereur me reçut avec un visage sévère, dans lequel je crus démêler cependant un rayon de bienveillance ; mais quelle que fût mon insistance, je ne pus obtenir la bonne parole que j’étais venue chercher.
 » Nous verrons cela plus tard« , me dit-il au moment où je pris congé de lui.
Ainsi cette démarche qui m’avait tant coûté avait échoué.»

           Pauline de Béarn

Joséphine de Sainte-Aldegonde-Tourzel

La partie est manquée et les Tourzel doivent rester en province. Ils séjournent alternativement à Sourches et à Abondant. La nouvelle est d’autant plus mauvaise que le marquis aurait besoin de consulter un médecin, notamment pour sa vue qui s’altère. La famille se replie à nouveau dans un silence prudent.

Durant tout le premier empire, Madame de Tourzel sera entourée d’une « surveillance odieusement vexatoire», confinée dans le château d’Abondant, dont son fils lui laisse la disposition comme douairière.

Le 18 août 1806

Augustine de Tourzel, épouse de son fils Charles, accouche d’une fille, Anne (1806-1837), mariée le 10 janvier 1830 à Paris, avec Paul Vogt d’Hunolstein (1804 – 1892), député de la Moselle.

En 1807

Sa famille rachète le château d’Havré qui avait été bien national.

En janvier 1809

La marquise obtient l’autorisation impériale d’effectuer un déplacement. Elle se rend d’abord à Roucy, où sa fille Henriette de Charost pssède un château de style Louis XVI. Puis, elle voyage en Flandres en passant par Laon, Vervins, Mons, Maubeuge, Bruxelles, Louvain, Malines et Anvers.
Louise-Elisabeth n’en est pas moins toujours reléguée de Paris.

Pauline fait une nouvelle tentative d’approche de l’Empereur à Compiègne, mais elle n’est pas reçue. Elle récidive le lendemain, en vain encore. Le troisième jour, elle tente à nouveau… pour elle-même , elle ne l’aurait pas fait, mais pour sa mère, son frère et sa sœur, elle a le cœur motivé. Elle est enfin admise près de l’Empereur, qui la reçoit gracieusement, mais feignant d’ignorer le motif de sa démarche. La réponse est favorable : il lui accorde le retour de sa mère !

Après quatre ans d’exil qui les avaient séparés, la famille Tourzel peut enfin se retrouver à Paris.

Le 1er avril 1810

Napoléon Ier épouse l’Archiduchesse Marie-Louise : l’Impératrice est ainsi du même sang que Marie-Antoinette.

Le château de Compiègne
Casimir-Louis-Virturnien de Rochechouart, duc de Mortemart

 

Le 26 mai 1810

Sa petite-fille, Virginie de Sainte-Aldegonde (1789-1878) épouse Casimir-Louis-Virturnien de Rochechouart, duc de Mortemart (1787-1875).

 

Le 13 novembre 1810

Marie-Joséphine, comtesse de Provence, décède en 1810 à Hartwell House dans le Buckinghamshire en Grande-Bretagne.

Portrait de la comtesse de Provence attribué à Marie-Eléonore Godefroid

Le 13 février 1811

Son gendre, le marquis de Galard-Brassac-Béarn, est fait comte de l’Empire. Cela permet de mettre sa famille à l’abri politiquement, et d’éviter de devoir continuer à vivre en marge de la société.

A la Restauration

Pauline de Béarn entre au service de la duchesse d’Angoulême.

La duchesse de Tourzel

Le 18 janvier 1815

Après l’exhumation, les ossements de Marie-Antoinette sont déposés dans une cassette jusqu’à ce qu’on les transmette dans les cercueils de plomb destinés à les renfermer.

Statue priante de Marie-Antoinette à la basilique de Saint-Denis

Les restes de Marie-Antoinette sont trouvés d’abord (ils sont plus récents que ceux de Louis XVI) et ensuite, en fonction de la localisation de l’enterrement de la Reine, on cherche aussi ceux du Roi, dont l’identification est cependant douteuse ( il semblerait qu’on ait prit le premier corps qui se trouvait à peu près à l’endroit où il avait été indiqué, qu’on considère comme les restes du Roi).

La Chapelle Expiatoire élevée au 29 de la rue Pasquier de 1815 à 1826 par Pierre-François-Léonard Fontaine et son élève Louis-Hippolyte Lebas

Le 19 janvier 1815

On creuse à l’emplacement indiqué pour la fosse de Louis XVI, entre celle de la Reine et le mur de la rue d’Anjou. On trouve à dix pieds de profondeur quelques débris de planche dans la terre mêlée de chaux et des ossements dont certains tombent en poussière. Des morceaux de chaux encore entiers adhèrent à certains os. La tête est placée entre les fémurs.
Tous les débris qu’on peut sortir de cet amas de terre, de chaux, de bois et d’ossements sont enfermés dans deux boite, l’une aux ossements, l’autre contenant les restes qui n’ont pas pu être extraits de la chaux solidifiée, souvent –détail macabre – parce celle-ci avait «moulé » une partie du corps du défunt.
                                                                                                           Les deux boites furent, comme pour Marie Antoinette, placées dans un cercueil.

Le 21  janvier 1815

Dugourc est chargé de mettre en scène le transfert des cendres de Louis XVI et de Marie-Antoinette du cimetière de la Madeleine à la messe des funérailles à Notre-Dame jusqu’au tombeaux à Saint-Denis.

Sur le haut du catafalque du char, la couronne plafonne tellement qu’elle s’accroche à un réverbère rue Montmartre.
Une gigantesque pyramide accostée de deux colonnes sommées d’urnes masque la façade de la basilique.

Intérieur de la Chapelle Expiatoire

Pauline de Béarn va rencontrer le Roi et la duchesse d’Angoulême à Compiègne. Losqu’elle l’aperçoit, la princesse s’exclame : « Ah ! C’est Pauline !» ; elle la conduit au Roi, la prenant par la main et l’annonce avec vivacité : « Sire, voilà Pauline !». Louis XVIII lui prend la main et la pose sur son cœur en disant :

« Vous n’êtes jamais sortie de là, ma chère Pauline, je vous revois avec grand plaisir.»

La comtesse de Béarn aurait pu redouter la réaction du Roi et de sa nièce par rapport à la promotion de son mari comme chambellan de l’Empereur, mais les élans du cœur sont plus forts que toute vision politique.

Le château de Compiègne

« Rentrée dans ses appartements, Madame la duchesse d’Angoulême me f(ait) appeler dans son cabinet : alors mille questions se succèd(ent) sur moi, sur votre père, sur vous mes enfants … Quel touchant intérêt, quelle aimable sollicitude elle me témoign(e) ! Jamais princesse ne sut aimer avec plus de coeur ceux qui lui étaient dévoués. Après avoir épuisé toutes les questions que sa bonté et son amitié lui suggérèrent sur tout ce qui m’intéress(e), elle me dit avec une émotion extrême :  » Ma chère Pauline, vous me mènerez au tombeau de mon père … »»

             Pauline de Béarn

Marie-Thérèse d’Angoulême lui permet de la voir aussi souvent qu’elle le veut : Pauline profite avec empressement de cette permission et se rend de bonne heure chez sa vieille amie :

« là de douces conversations (lui font) reconnaître le fond de son cœur.»

Le 1er mars 1815

La Restauration ne dure pas.

Confronté au non-paiement de sa pension attribuée par le traité de Fontainebleau et devant le mécontentement croissant des Français, Napoléon quitte son exil de l’île d’Elbe et débarque à Golfe-Juan.

Le 19 mars 1815

Napoléon est aux portes de Paris. Louis XVIII et sa cour prennent la fuite pour Gand en passant pas Beauvais.

Ce qui lui vaut le surnom de « Notre père de Gand » par les chansonniers…

Les nerfs de la marquise sont mis à rude épreuve. Elle reste chez elle en attendant des jours meilleurs.

Le 4 avril 1815

Décès de son fils, Charles-Louis Yves, marquis de Tourzel, sixième marquis de Sourches : tous les espoirs de la famille se reportent sur son petit-fils, Olivier, alors âgé d’une dizaine d’années.

Le 18 juin 1815

La défaite de Waterloo réinstalle Louis-Stanislas sur le trône de France.

Son règne est consacré à la lourde tâche de concilier les héritages révolutionnaires et napoléoniens avec ceux de l’Ancien Régime.

Madame de Tourzel peut être satisfaite : sa famille a su maintenir la proximité avec c elle du souverain, ce Qui est le propre de la noblesse de cour. Louise-Elisabeth reste cependant paisiblement à Abondant. Elle préfère voir les Tuileries depuis la rue de Lille à y entrer. Pauline monte souvent à cheval avec la duchesse d’Angoulême.

Le 17 janvier 1816

Louis XVIII crée l’ex-gouvernante de ses royaux neveux duchesse héréditaire de Tourzel  (titre qui s’éteindra avec son petit fils qui a également succédé à son père et à son grand-oncle dans la charge de grand-prévôt de l’hôtel du roi ).

Elle vit entourée de petits-enfants et de souvenirs à Abondant, près de Dreux.

Reliquaire en forme de cercueil - Souvenirs de la famille royale. Divers objets rassemblés par Madame de Tourzel Photo : musée Carnavalet, Histoire de Paris / musée de la ville de Paris / Roger Viollet

Le 18 septembre 1816

Louise-Elisabeth reçoit à Abondant la duchesse douairière d’Orléans, qui a à peu près son âge et qu’elle connaît depuis toujours, quoique les jeux de cour les aient placées dans des coteries différentes.

Marie-Adélaïde d'Orléans
Le château d'Abondant

Madame de Tourzel a compris depuis longtemps que la malheureuse duchesse d’Orléans n’était qu’une victime. C’est la belle-sœur de l’infortunée princesse de Lamballe, dont elles évoquent peut-être les dernières heures puisque Louise-Elisabeth les a partagées avec elle.

En février 1817

Madame de Tourzel est conviée à un spectacle au palais des Tuileries à l’occasion des fêtes du carnaval.

Elle est propriétaire de l’hôtel d’Estrées au no 79 de la rue de Grenelle à Paris que ses descendants vendirent au gouvernement russe en 1863.

L'hôtel d'Estrées

 

 

La duchesse d’Angoulême demande à Pauline de l’accompagner dans sa tournée officielle dans le sud-ouest de la France, notamment à Bordeaux.

Les Angoulême à Bordeaux

 

Le 25 juin 1817

Sa petite-fille, Augustine-Joséphine de Tourzel (1798-1870), âgée de dix-neuf ans, épouse Amédée-François-Régis des Cars (1790-1868), officier plein d’avenir de vingt-sept ans et héritier du duc des Cars, à Abondant.

 

Le 15 octobre 1817

Son petit-fils, Camille de Sainte-Aldegonde (1787-1853), âgé de trente ans, épouse Adélaïde-Joséphine Bourlon de Chavanges (1789-1869), veuve du général Augereau, duc de Castiglione. Cela fusionne la vieille noblesse avec la noblesse d’empire : on imagine la perplexité de la duchesse.

Amédée François Régis de Pérusse, duc des Cars

Le 24 novembre 1817

La sœur de Camille, Gabrielle de Sainte-Aldegonde 1793-1874), épouse Arthus Gabriel Timoléon de Cossé-Brissac (1790-1857), issus d’une famille ducale : son grand-père, amant de madame du Barry, a été une des victimes des massacres de septembre 1792. Ils auront huit enfants.

Camille de Sainte-Aldegonde est l'un des deux hommes au fond, dans la suite du duc d'Orléans qui est à cheval, en uniforme de colonel général des hussards passant en revue les troupes et donnant des ordres au colonel Oudinot.  Gravure d'après une photo d'Horace Vernet, 1817. Royal Collection Trust.
Jacques-Nicolas Billaud-Varenne

Le 3 juin 1819

Madame de Tourzel apprend le décès de Jacques-Nicolas Billaud-Varenne (1756-1819), cet avocat, député montagnard à la Convention nationale qui les as sauvées, Pauline et elle, lors des massacres de septembre 1792.

En 1819

Madame de Tourzel visite le château de Versailles dans lequel elle n’était plus revenue depuis les journées d’octobre 1789.

Le 26 juillet 1819

Mort de son amie intime, Madeleine de Maillé (1750-1819), qui fut dame du palais de Marie-Antoinette.

 

Le 13 février 1820

Assassinat du duc de Berry, beau-frère de Marie-Thérèse d’Angoulême.

Le 14 février 1820

Mort du duc de Berry

Les derniers moments du duc de Berry, par Alexandre Menjaud
La duchesse d'Angoulême affligée

Le 23 avril 1820

Sa petite-fille, Alix de Béarn (1799-1855), épouse Adrien-Eugène-Gaspard de Tulle de Villefranche (1793-1850), âgé de vingt-sept ans.

Le 29 septembre 1820

Naissance de Henri d’Artois  (1820-1883), petit-fils de France, duc de Bordeaux, plus connu sous son titre de courtoisie, comte de Chambord. De 1844 à sa mort, il sera prétendant à la couronne de France, sous le nom d’Henri V.

Naissance du comte de Chambord

En octobre 1820

Madame de Tourzel séjourne à Groussay, près de Montfort-l’Amaury, dans une maison de campagne que sa fille aînée, Henriette de Charost, s’est fait construire, sur un terrain acquis en 1815, probablement avec le produit de la vente de l’hôtel de Charost, rue du Faubourg-Saint-Honoré à Paris.

« C’est une grosse bâtisse quadrangulaire à deux étages, de style vaguement toscan, dont les façades sont rythmées par un avant-corps. Crépie, couverte en ardoise, simple, commode, elle est faite pour une vie réglée à la campagne.»

Jacques Bernot, Madame de Tourzel, gouvernante des enfants de Louis XVI (2022) ; Nouvelles Editions Latines

Le 14 juin 1823

Sa petite-fille Emilie de Tourzel (1802-1844)épouse Emeric de Durfort, futur duc de Lorge (1802-1879) : ils auront deux fils : Paul (1828-1872) et Auguste (1838-1911).

Le 23 juin 1823

Marie-Adélaïde d’Orléans succombe à un cancer du sein, après une longue et douloureuse agonie, au château d’Ivry-sur-Seine. Elle ne verra pas l’avènement de son fils Louis-Philippe Ier, en juillet 1830.

Le 19 août 1823

Le duc d’Havré est officier de la Légion d’honneur. Il y a quelque chose de paradoxal à décoré ce représentant de l’Ancien régime de soixante-dix-neuf ans, avec un ruban institué par l’empereur des Français.

Le 23 novembre 1823

Antoine-François Hardy, retiré de la carrière parlementaire depuis vingt ans, s’éteint à Paris. C’est à lui que Pauline doit sa survie lors des massacres de septembre 1792.

Gisant de Marie-Adélaïde à la chapelle royale de Dreux

Le 26 février 1824

Son petit-fils, Louis-Hector de Galard-Brassac-Béarn (1802-1871) épouse Coralie-Constance Le Marois, fille d’un ancien aide de camp de Bonaparte, elle est riche contrairement à l’héritier des Béarn : tout le monde trouve son compte dans cette union.

Le 16 septembre 1824

Louis XVIII (1755-1824) meurt à Paris.

Charles X monte sur le trône et décide de renouer avec la tradition du sacre ; Louis XVIII avait annoncé publiquement son intention de se faire sacrer mais on peut présumer qu’il y renonça pour des raisons physiques, sa mauvaise santé ne lui permettant pas d’en supporter les rites.

Charles X en costume de sacre par François Gérard

En juin 1828

Madame de Tourzel part à Abondant.

Le 28 août 1829

Le prince Jules de Polignac (1780-1847), fils de Yolande, qui a précédé Louise-Elisabeth dans sa fonction de gouvernante des Enfants de France, est nommé chef du gouvernement pour remplacer Martignac. C’est un mystique peu au fait des pièges de la vie parlementaire …

Les 27, 28 et 29 juillet 1830

Les opposants aux ordonnances de Saint-Cloud soulèvent Paris : ce sont les Trois Glorieuses de 1830, ou « révolution de Juillet », qui renversent finalement Charles X.

Madame de Tourzel dans sa maturité
La Liberté guidant le Peuple d'Eugène Delacroix (1830)

Le 30 juillet 1830

 Louis-Philippe duc d’Orléans, est nommé lieutenant général du Royaume par les députés insurgés.

Le 31 juillet 1830

 Charles X  préside son dernier conseil des ministres le 31 juillet 1830 dans le Cabinet Frais du Grand Trianon.

Louis-Philippe accepte ce poste. Il s’enveloppe alors d’un drapeau tricolore avec La Fayette et paraît ainsi à son balcon.

Le cabinet Frais
Louis-Philippe Ier , Roi des Français

 

Le 2 août 1830

Charles X, retiré à Rambouillet, abdique et convainc son fils aîné le dauphin Louis-Antoine de contresigner l’abdication. Marie-Thérèse devient donc Reine de France… pour quelques instants seulement !

La Dauphine, Marie-Thérèse, s’écrit :

« Ah qu’il est cruel de quitter la France !»

 

Madame de Tourzel par Jules Porreau, musée Carnavalet.

Le 2 mai 1832

Son petit-fils, Olivier du Boucher de Sourches (1804-1845) épouse Victorine de Crussol d’Uzès : la duchesse leur offre une châtelaine en or, ornée de médaillons contenant des cheveux des membres de la famille royale.

Le 15 mai 1832

La duchesse de Tourzel meurt au château de Groussay à Montfort-l’Amaury, âgé de quatre-vingt-deux ans, après avoir publié ses mémoires. Son corps, rapporté à Abondant fut inhumé dans le cimetière de cette commune contre un mur de l’église paroissiale, selon sa volonté de demeurer parmi « ses chers habitants d’Abondant ».

L'église d'Abondant
Acte de décès de madame de Tourzel

Mais la duchesse a encore voyagé… Le duc des Cars emmène la dépouille de Madame de Tourzel et toute la famille en direction de Saint-Symphorien, au château de Sourches, berceau des Tourzel :

Le château de Sourches

… dernier voyage jusqu’à la crypte de la chapelle du manoir de l’Isodière :                           

Le château de Sourches

La duchesse repose depuis au cimetière de Saint-Symphorien, bien entourée de tous ses proches .

Sources :

  • https://www.marie-antoinette-antoinetthologie.com/
  • BEARN Pauline, comtesse de, Souvenirs de quarante ans 1789-1830 ; éditions Lecoffre, 1861
  • DUARTE Christophe, Versailles-passion, groupe FB
  • BERNOT Jacques, Madame de Tourzel, gouvernante des enfants de Louis XVI (2022) ; Nouvelles Editions Latines
  • TOURZEL Louise-Elisabeth, Mémoires de Madame la duchesse de Tourzel, gouvernante des enfants de France de 1789 à 1795 ; première parution en 1969, notes établies par Carlos de Angulo ; Collection Le Temps retrouvé, Mercure de France

« Mon fils a quatre ans quatre mois moins deux jours. Je ne parle pas ni de sa taille, ni de son extérieur, il n’y a qu’à le voir. Sa santé a toujours été bonne, mais, même au berceau, on s’est aperçu que ses nerfs étaient très-délicats et que le moindre bruit extraordinaire faisait effet sur lui. Il a été tardif pour ses premières dents, mais elles sont venues sans maladies ni accidents. Ce n’est qu’aux dernières, et je crois que c’était à la sixième, qu’à Fontainebleau il a eu une convulsion. Depuis il en a eu deux, une dans l’hiver de 87 à 88, et l’autre à son inoculation ; mais cette dernière a été très-petite. La délicatesse de ses nerfs fait qu’un bruit auquel il n’est pas accoutumé lui fait toujours peur ; il a peur, par exemple, des chiens parce qu’il en a entendu aboyer près de lui. Je ne l’ai jamais forcé à en voir, parce que je crois qu’à mesure que sa raison viendra, ses craintes passeront. Il est, comme tous les enfants forts et bien portants, très étourdi, très léger, et violent dans ses colères ; mais il est bon enfant, tendre et caressant même, quand son étourderie ne l’emporte pas. Il a un amour-propre démesuré qui, en le conduisant bien, peut tourner un jour à son avantage. Jusqu’à ce qu’il soit bien à son aise avec quelqu’un, il sait prendre sur lui, et même dévorer ses impatiences et colères, pour paraître doux et aimable. Il est d’une grande fidélité quand il a promis une chose ; mais il est très indiscret, il répète aisément ce qu’il a entendu dire, et souvent sans vouloir mentir il ajoute ce que son imagination lui a fait vois. C’est son plus grand défaut, et sur lequel il faut bien le corriger. Du reste, je le répète, il est bon enfant, et avec de la sensibilité et en même temps de la fermeté, sans être trop sévère, on fera toujours de lui ce qu’on voudra. Mais la sévérité le révolterait, parce qu’il a beaucoup de caractère pour son âge ; et, pour donner un exemple, dès sa plus petite enfance le mot pardon l’a toujours choqué. Il fera et dira tout ce qu’on voudra quand il a tort, mais le mot pardon, il ne le prononcera qu’avec des larmes et des peines infinies. On a toujours accoutumé mes enfants à avoir grande confiance en moi, et quand ils ont eu des torts, à me les dire eux-mêmes. Cela fait qu’en les grondant j’ai l’air plus peinée et affligée de ce qu’ils ont fait que fâchée. Je les ai accoutumés tous à ce que oui, ou non, prononcé par moi, est irrévocable, mais je leur donne toujours une raison à la portée de leur âge, pour qu’ils ne puissent pas croire que c’est l’humeur de ma part. Mon fils ne sait pas lire, et apprend fort mal ; mais il est trop étourdi pour s’appliquer. Il n’a aucune idée de hauteur dans la tête, et je désire fort que cela continue. Nos enfants apprennent toujours assez tôt ce qu’ils sont. Il aime sa sœur beaucoup, et a bon cœur. Toutes les fois qu’une chose lui fait plaisir, soit d’aller quelque part ou qu’on lui donne quelque chose, son premier mouvement est toujours de demander pour sa sœur de même. Il est né gai. Il a besoin pour sa santé d’être beaucoup à l’air, et je crois qu’il vaut mieux pour sa santé le laisser jouer et travailler à la terre sur les terrasses que de le mener plus loin. L’exercice que les petits enfants prennent en courant, en jouant à l’air est plus sain que d’être forcés à marcher, ce qui souvent leur fatigue les reins.
Je vais maintenant parler de ce qui l’entoure. Trois sous-gouvernantes, mesdames de Soucy, belle-mère et belle-fille, et madame de Villefort. Madame de Soucy la mère, fort bonne femme, très instruite, exacte, mais mauvais ton. La belle-fille, même ton. Point d’espoir. Il y a déjà quelques années qu’elle n’est plus avec ma fille ; mais avec le petit garçon il n’y a pas d’inconvénient. Du reste, elle est très fidèle et même un peu sévère, avec l’enfant : Madame de Villefort est tout le contraire, car elle le gâte ; elle a au moins aussi mauvais ton, et plus même, mais à l’extérieur. Toutes sont bien ensemble.
Les deux premières femmes, toutes deux fort attachées à l’enfant. Mais madame Lemoine, une caillette et bavarde insoutenable, contant tout ce qu’elle sait dans la chambre, devant l’enfant ou non, cela est égal. Madame Neuville a un extérieur agréable, de l’esprit, de l’honnêteté ; mais on la dit dominée par sa mère, qui est très intrigante.
Brunier le médecin a ma grande confiance toutes les fois que les enfants sont malades, mais hors de là il faut le tenir à sa place ; il est familier, humoriste et clabaudeur.
L’abbé d’Avaux peut être fort bon pour apprendre les lettres à mon fils, mais du reste il n’a ni le ton, ni même ce qu’il faudrait pour être auprès de mes enfants. C’est ce qui m’a décidée dans ce moment à lui retirer ma fille ; il faut bien prendre garde qu’il ne s’établisse hors les heures des leçons chez mon fils. C’est une des choses qui a donné le plus de peine à madame de Polignac, et encore n’en venait-elle toujours à bout, car c’était la société des sous-gouvernantes. Depuis dix jours j’ai appris des propos d’ingratitude de cet abbé qui m’ont fort déplu.
Mon fils a huit femmes de chambre. Elles le servent avec zèle ; mais je ne puis pas compter beaucoup sur elles. Dans ces derniers temps, il s’est tenu beaucoup de mauvais propos dans la chambre, mais je ne saurais pas dire exactement par qui ; il y a cependant une madame Belliard qui ne se cache pas de ses sentiments : sans soupçonner personne on peut s’en méfier. Tout son service en hommes est fidèle, attaché et tranquille.
Ma fille a à elle deux premières femmes et sept femmes de chambre. Madame Brunier, femme du médecin, est à elle depuis sa naissance, la sert avec zèle ; mais sans avoir rien de personnel à lui reprocher, je ne la chargerais jamais que de son service. Elle tient du caractère de son mari. De plus, elle est avare, et avide de petits gains qu’il y a à faire dans la chambre.
Sa fille, madame Tréminville, est une personne d’un vrai mérite. Quoiqu’âgée seulement de vingt sept ans, elle a toutes les qualités d’un âge mûr. Elle est à ma fille depuis sa naissance, et je ne l’ai pas perdue de vue. Je l’ai mariée, et le temps qu’elle n’est pas avec ma fille, elle l’occupe en entier à l’éducation de ses trois petites filles. Elle a un caractère doux et liant, est fort instruite, et c’est elle que je désire charger de continuer les leçons à la place de l’abbé d’Avaux. Elle en est fort en état, et puis que j’ai le bonheur d’en être sûre, je trouve que c’est préférable à tout. Au reste, ma fille l’aime beaucoup, et y a confiance.
Les sept autres femmes sont de bons sujets, et cette chambre est bien plus tranquille que l’autre. Il y a deux très jeunes personnes, mais elles sont surveillées par leur mère l’une à ma fille, l’autre par madame le Moine.
Les hommes sont à elle depuis sa naissance. Ce sont des êtres absolument insignifiants ; mais comme ils n’ont rient à faire que le service, et qu’ils ne restent point dans sa chambre par de là, cela m’est assez insignifiant.»

Marie-Antoinette

Le 26 juillet 1789

Madame de Tourzel entre dans l’Histoire par sa charge de gouvernante de Marie-Thérèse et Louis-Charles.

« Madame, j’avais confié mes enfants à l’amitié, aujourd’hui, je les confie à la vertu

Marie-Antoinette

Par ces paroles , Marie-Antoinette accueille madame de Tourzel qui devient ainsi  gouvernante des Enfants de France, poste laissé vacant par le prompt départ de madame de Polignac en émigration.

Avant de se résoudre à l’accepter, madame de Tourzel hésite, comme nous le raconte Pauline de Tourzel dans ses Souvenirs :

« Le combat entre ses affections particulières et le souvenir de la bonté que le roi et la reine lui avaient témoignée à l’époque de la mort de mon père dura plusieurs jours. Mais le sentiment des malheurs de cette famille royale, le spectacle de l’abandon où beaucoup de ceux qui l’entouraient l’avaient déjà laissée, l’emportèrent. Elle se résigna au sacrifice qu’on lui demandait ; c’en était un alors, et un bien grand, on pouvait déjà prévoir quelques-uns des malheurs cachés de l’avenir. »

Pauline de Tourzel

Louise-Elisabeth « trouve pour l’assister une équipe toute constituée de près de soixante-quinze personnes, tous emplois confondus. Elle peut s’appuyer sur les sous-gouvernantes : la marquise de Soucy, née Elisabeth-Louise Lenoir de Verneuil, en poste depuis 1775 et âgée de soixante ans ; Renée-Suzanne de Mackau, belle-fille de la précédente, ayant épousé le jeune marquis de Soucy, en poste depuis 1781 ; Agathe de Rambaud, « berceuse » du Dauphin, en poste depuis 1785. Deux dames d’âge viennent s’y adjoindre : Thérèse-Sophie de Sibert, Madame de Villefort, âgée de soixante-sept ans et la demoiselle Marie-Edouarde d’Aumale, qui a soixante-six ans. U n entourage aimable mais peu dynamique.»

« L’appartement qu’occupe alors Madame de Tourzel couvre la superficie totale de l’entresol, il comporte quatre pièces et une sorte de grenier. Cette configuration n’est pas d’origine car l’intégralité de l’espace fut entièrement remanié sous la Restauration pour Madame Royale, devenue duchesse d’Angoulême. C’est vraisemblablement au niveau de son antichambre débouchant sur l’escalier de la Reine, que se situait la pièce à placards, dite petite garde-robe par Louis Le Bas, précisément l’année de la construction de la Méridienne (1781) et de l’entrée en fonction de Madame d’Ossun. Comme l’évoque Pauline dans ses souvenirs, son logement était sombre dès deux heures de l’après-midi, ce que confirme la consommation de bougies de la petite garde-robe comptabilisée par le secrétaire. »

Sylvie Le Bras-Chauvot, Marie-Antoinette, l’Affranchie

 La chambre de Pauline est située sous les fenêtres du cabinet de la Reine, et lorsqu’elles sont ouvertes, on peut entendre tout ce qu’Elle dit, par exemple Ses entretiens avec le Roi. Il y a, à ce sujet, une jolie réponse de Marie-Antoinette, prévenue de cet inconvénient par madame de Tourzel :

« Qu’importe ? Je n’ai rien à craindre, quand mes plus secrètes pensées tomberaient dans le cœur de notre chère Pauline

Plans et photographies de Christophe Duarte ; Versailles – passion :

Appartement de madame de Tourzel

Q15 : Passage,
Q15bis : Chambre du Suisse,
Q11 & Q10 : Antichambres,
R9 : Chambre à coucher,
Q8 : Chambre d’une sous-gouvernante,
Q9 : Cabinet particulier,
R10 : Garde-robe à l’anglaise,
R14 : Corridor en appentis,
R2bis : Corridor,
R4 : Salle à manger,
S2 : Salon
S3 : Bibliothèque

Plan de l'appartement de madame de Tourzel (entresol):

QE9 : Chambre à coucher de Pauline de Tourzel,
QE10 : Chambre attachée au logement de Pauline,
QE11 : Bibliothèque,
QE15 : Chambre des femmes de Chambre
QE7 : Chambre des femmes de chambre

Etat actuel de l'appartement de madame de Tourzel, gouvernante des enfants de France, été 1789, enfilade d'entrée
L'antichambre
La chambre
Grand cabinet de madame de Tourzel, gouvernante des enfants de France

Le Dauphin surnomme sa nouvelle gouvernante «Madame Sévère» : il a hérité de ce goût des sobriquets de sa mère)
Jean Chalon nous présente la marquise :

« La vertu, comme le bonheur, ne supporte que le pluriel :
c’est donc aux vertus de Madame de Tourzel que la Reine confiait Ses enfants . Car madame de Tourzel les a toutes , les cardinales, les théologales, et quelques autres encore si l’on considère comme vertu l’art de vivre sans déchoir pendant les pires épreuves, la fidélité à un idéal, et fille de cette dernière, la mémoire la plus minutieuse et parfois, la plus implacable.»

De quoi vous rendre insupportable à votre entourage. Or, il n’en est rien. Madame de Tourzel est estimée à la Cour et chérie de ses enfants, «la meilleures des mères» écrira Pauline de Tourzel dans ses Souvenirs de quarante ans.

Madame de Tourzel et le Dauphin
Image du film L'Enfant-Roi (1923) de Jean Kemm : le comte de Fersen s'incliner devant le Dauphin Louis Charles. A l'arrière se trouvent sa sœur, Marie Antoinette, sa tante Élisabeth et sa gouvernante madame de Tourzel (au centre).

Durant l’été 1789

Pauline de Tourzel, qui a dix-huit ans, prend ses repas toute seule dans sa chambre, où elle doit demeurer toute la journée : elle n’a pas été présentée à la Cour. La vieille dame qu’elle deviendra se rappellera encore avec émotion que le Roi, qui remarque tout, s’aperçoit de la solitude et de l’ennui de la fillette, et qu’il décide, au mépris de l’Etiquette ( qui imposerait que seules les femmes présentées peuvent manger avec la famille royale et que seule une femme mariée peut être présentée ), qu’elle mangera avec la famille royale. Interrogée par ses petits-enfants qui veulent savoir quelle personne de la famille royale elle préférait, Pauline avouera que son plus grand bonheur était quand le Roi la prenait à côté de lui.

Le 2 août 1789

Après les vêpres, la marquise de Tourzel prête serment au Roi qui note ce fait dans ce journal.

Elle relève avec finesse :

« La plupart des domestiques de la famille royale étaient gagnés par les factieux, en étaient les espions et leur rendaient le compte le plus exact de tout ce qu’on y faisait, de ceux qui y étaient admis et des diverses impressions qu’elle éprouvait. D’autres personnes qui désiraient conserver à la fois leur influence politique et leur attachement à Leurs Majestés, jetaient dans l’esprit de celles-ci des inquiétudes continuelles, sous prétexte de leur rendre compte de ce qui se passait, les empêchant ainsi de prendre un parti décisif, en leur mettant perpétuellement sous les yeux les inconvénients qui pourraient en résulter.»

Madame de Tourzel

La nuit du 4 août 1789

Abolition des privilèges.

La Nuit du 4 août 1789, gravure de Isidore Stanislas Helman (BN)

Dès le 18 mars 1789, lors de l’Assemblée générale des électeurs des trois ordres qui se réunissait à Bourges , son gendre, Armand-Joseph de Béthune, comte de Charost (1738-1800) avait proposé à la noblesse d’abandonner ses privilèges pécuniaires.

Le 26 août 1789

Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

Madame de Tourzel et le Dauphin (?) par Henri-Pierre Danloux

 

 

Le 30 août 1789

Sa fille, Anne de Sainte-Aldegonde, accouche d’une fille, Virginie (1789-1878), qui épousera le 26 mai 1810 à Paris Casimir de Rochechouart de Mortemart (1787 – 1875), prince de Tonnay-Charente, qui deviendra président du Conseil des Ministres sous Charles X.

 

Mi-septembre 1789

La marquise obtient des nouvelles de la comtesse d’Artois qui, suivant l’émigration de son mari avec retard, a fini par se décider au départ et est parvenue à Turin, la Cour de sa famille, les rois de Piémont et Sardaigne de la Maison de Savoie.

Le premier octobre 1789

Les gardes du corps du Roi donnent un banquet en l’honneur du régiment de Flandre arrivé depuis peu pour contenir d’éventuelles émeutes parisiennes. Le régiment de Flandre est d’autant moins étranger à Louise-Elisabeth que son frère , le duc d’Havré, en a été le colonel de 1767 à 1784. Le Roi, la Reine hésitent à paraître à cette fête qui a lieu dans l’opéra inauguré lors de leurs mariage, en 1770. Les gardes ont alors entonné l’air de «Ô Richard, ô mon Roi» au milieu des vivats.

Image des Années Lumière (1988) de Robert Enrico

 

« A peine tous les officiers furent-ils entrés que le jeune prince dit à ceux qui étaient au premier rang :
 » Je suis, Messieurs, ravi de vous voir mais bien fâché d’être trop petit pour vous apercevoir tous« .
Puis, remarquant un officier qui était très grand : « Monsieur, lui dit-il, portez-moi dans vos bras pour que je voie tous ces Messieurs. »
Et il dit alors avec une gaieté charmante :
« Je suis bien aise, Messieurs, d’être au milieux de vous. »
Tous les officiers étaient transportés et attendris en voyant, dans un âge aussi tendre un enfant aussi aimable.»

Madame de Tourzel

Les enfants royaux avec madame de Tourzel dans Louis XVI, l'homme qui ne voulait pas être Roi de Thierry Binisti

Pauline est présente dans une des loges de l’opéra :

« Par un mouvement spontané, tous les convives se levèrent, et, tirant leur épée, jurèrent de verser pour la famille royale jusqu’à la dernière goutte de leur sang. L’émotion était à son comble, et tout le monde pleurait. Ce spectacle fit sur moi une i:mpression que je ne peux rendre, et que rien n’a pu effacer. Je sentis que je m’unissais au serment de ces serviteurs fidèles, de ces braves officiers, et mon coeur se dévoua pour ma vie.»

Pauline de Tourzel , alors comtesse de Béarn

Image des Années Lumière (1989) de Robert Enrico

Le 5 octobre 1789

Des femmes du peuple venues de Paris marchent sur Versailles pour demander du pain.

La famille royale se replie dans le château…

Image de Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy

Le 6 octobre 1789

Vers cinq heures du matin, les appartements privés sont envahis. La Reine s’échappe en jupon par une porte dérobée. La Reine emprunte le passage du Roi, pour rejoindre, tout en restant prudemment en entresol, un escalier situé au-delà de l’appartement de Pauline de Tourzel. La Reine rencontre alors cette dernière, qui a dormi dans l’appartement de Madame Royale.

Le matin du 6 octobre 1789 par Benjamin Warlop

Cosme-Joseph de Saint-Aulaire, le chef de brigade des gardes-du-corps en service, entre dans la chambre du Dauphin et avertit madame de Tourzel que le château et envahi :

« Je me levai précipitamment et je portai sur le champ Mgr le Dauphin chez le Roi qui était alors chez la Reine.»

Madame de Tourzel

« Ma mère me fit coucher dans son appartement : vers cinq heures du matin, j’entendis les portes s’ouvrir vivement. La Reine parut. Elle était à peine habillée et avait l’air très effrayé. Elle prit Madame, l’emmena et demanda à ma mère de monter , sans perte de temps, Monseigneur le Dauphin chez le Roi
Malgré son agitation, la Reine remarqua mon trouble Bonne, comme toujours, elle me fit un geste de la main : « N’ayez pas peur, Pauline, restez tranquille« , me dit-elle

Pauline de Tourzel, plus tard comtesse de Béarn

Accompagnée de Sa fille, Marie-Antoinette rejoint la chambre du Roi où est réunie toute la famille royale. Plus tard, Sa présence est réclamée par la foule. Elle va au-devant du peuple, courageuse, au mépris de Sa vie.

Image de Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy

Pauline est aux côtés de sa mère et de la famille royale.

La porte de gauche donne dans l'appartement de Pauline, celle de droite monte à la chambre de la Reine
A gauche, madame de Tourzel (Louise Latraverse) aux côtés de la Reine dans Les Années Lumière (1989) de Robert Enrico
Image de Louis XVI, l'homme qui ne voulait pas être Roi (2012) de Thierry Binisti
Jane Seymour en Marie-Antoinette, Katherine Flynn en Madame Royale Marie-Thérèse Charlotte, Sean Flynn en Dauphin Louis-Charles au balcon de la Chambre du Roi, le 6 octobre 1789 (La Révolution française, Les Années Lumière de Robert Enrico, 1989)

La famille royale est ramenée de force à Paris. Madame de Tourzel est dans le carrosse royal et tient le Dauphin sur ses genoux. Elle est aux premières loges pour vivre le départ de la famille royale du château de Versailles pour les Tuileries, à Paris :

Départ du Roi de Versailles, par Joseph Navlet

« Ces bandits, qui n’éprouvaient aucun obstacle, massacrèrent deux gardes du corps qui étaient en sentinelle sous la voûte de l’appartement de Mesdames, tantes du roi, et leur firent couper la tête par un monstre qui les suivait, et qui se faisait appeler Coupe-tête.
Ils montèrent ensuite le grand escalier et allèrent droit à l’appartement de la reine. Les gardes du corps, quoiqu’en petit nombre, en défendirent l’accès avec le plus grand courage ; plusieurs furent blessés dangereusement, entre autres MM de Beaurepaire et de Sainte-Marie * ; mais ils eurent heureusement le temps de crier : « Sauvez la reine ! »
Madame Thibaut, sa première femme de chambre, qui ne s’était heureusement pas couchée, n’eut que le temps de lui donner une robe et de la faire sauver chez le roi.
A peine Sa Majesté avait-elle quitté la chambre, que ces scélérats en forcèrent l’entrée, et, furieux de ne l’y plus trouver, donnèrent des coups de pique dans son lit, pour ne laisser aucun doute sur le crime qu’ils se proposaient de commettre.»

           Mémoires de madame de Tourzel

* Note de Mme de Tourzel : M. Miomandre de Sainte-Marie est mort en émigration, et je ne l’ai pas vu depuis cette horrible journée. M. de Beaurepaire venait faire sa cour au roi et à la reine aussi souvent qu’il le put sans danger.

Les Tuileries dans Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy

La famille royale s’installe aux Tuileries et un semblant de vie de Cour se met en place.

« Rien n’était préparé pour les recevoir. Mgr le Dauphin passa la nuit sans gardes, dans un appartement ouvert de tous côtés et dont les portes pouvaient à peine se fermer. Je les barricadai avec le peu de meubles que je trouvai et je passai la nuit près de son lit, plongée dans la douleur et les plus tristes réflexions.»

           Madame de Tourzel

Le 8 octobre 1789

Comme la foule persiste à s’agglutiner sur la terrasse des Tuileries, des femmes prétendent parler à la Reine d’une levée des gages portant sur les dépôts du Mont-de-piété. Le sujet est des plus délicats car il concerne les plus démunis :

« Les personnes qui entour(ent) cette princesse (la Reine) en ce moment l’engag(ent) à acquiescer à leur désir. Je l’en dissuad(e), lui représentant le danger de compromettre sa dignité (…) J’offr(e) à la reine de parler moi-même à ces femmes avec Madame de Chimay, sa dame d’honneur. Elle y consen(t) et, de l’appartement de cette dernière, qui donn(e) sur la terrasse des Tuileries, nous haranguons cette multitude (…) Cette démarche la satisf(ait). Le rassemblement se dissip(e).»

            Madame de Tourzel

Deux jours plus tard, le Mont-de-piété est autorisé à permettre le retrait sans gage des objets d’une valeur inférieur à un louis.

L’appartement de madame de Tourzel est au rez-de-chaussée du pavillon de Flore des Tuileries. Sa fille loge dans l’entre-sol au-dessus. Le Dauphin est placé près du Roi ; son appartement communique avec celui de sa gouvernante par un escalier dont elle et la Reine ont seules la clef.

« Les chambres du Roi et du Dauphin sont voisines : Louis XVI fait pratiquer un oculus qui lui permet, sans sortir de sa chambre de surveiller le sommeil de son fils. A côté du lit de Louis-Charles se dresse celui de la gouvernante. Les deux lits sont recouverts de damas vert, celui du Dauphin est rehaussé de franges. A côté, un cabinet sert à la fois de salle d’études et de salle de jeux à l’enfant.»

         Jacques Bernot

C’est dans cet appartement , pendant les quelques jours de calme qui suivent leur arrivée à Paris, que la Reine vient prendre le thé et assister aux petits jeux de Madame Royale, du Dauphin, de Pauline et des enfants des autres dames invitées à ces petites réunions. Pendant que la Reine s’entretient avec les autres dames dans le salon, Pauline a la haute surveillance et la direction des amusements. Ces douces réunions n’ont qu’une courte durée. Bientôt, la Reine cesse de se rendre chez madame de Tourzel dans la crainte de la compromettre en lui témoignant trop d’affection.

Image des Années Lumière (1989) de Robert Enrico

Le Dauphin peut faire quelques promenades dans le jardin des Tuileries et Pauline partage ses jeux ; il est escorté de quelques gardes nationaux, sous les ordres d’un chef de bataillon, qui écartent la foule se pressant avec intérêt sur le passage du petit prince, pour l’admirer en faisant l’éloge de sa gentillesse et de sa beauté. La gouvernante ne peut être satisfaite de ces exercices insuffisants ; la pépinière du jardin est donc disposée pour devenir le jardin particulier du Dauphin, et c’est là qu’il prend ses ébats avec plus de liberté, toujours avec Pauline.

Le 12 octobre 1789

La gouvernante réagit au flou de la nouvelle situation en faisant établir un Règlement, reprenant l’aide-mémoire établi par la princesse de Guéménée et qui « contient tout ce qui peut intéresser Madame la Gouvernante des Enfants de France et surintendante de leurs Maisons».

Peu à peu le dialogue s’établit entre le petit Dauphin et sa gouvernante :

« Ce jeune prince, extrêmement avancé pour son âge, me demandait souvent la raison de son changement de situation et me disait : » Je vois bien qu’il a des méchants qui font de la peine à papa et je regrette nos bons gardes du corps que j’aimais bien mieux que ces gardes-là, dont je ne me soucie pas du tout.« 
Je lui répondis que le roi et la reine seraient très fâchés s’il n’était pas honnête vis-à-vis de la garde nationale et, s’il parlait devant elle de son désir de revoir les gardes du corps, qu’il fallait toujours les aines mais rien n’en parler qu’entre nous (…) « Vous avez raison » dit-il.»

             Madame du Tourzel

La gouvernante s’attache et ne tarit bientôt plus d’éloges en parlant du petit prince :

« Sa mémoire (est) admirable et il (a) une pénétration d’esprit si singulière qu’il (fait), dès l’âge de quatre ans, les réflexions les plus justes sur ce qu’il voi(t) et ce qu’il enten(d) (…) Le jeune prince (est) extrêmement curieux, faisant des questions sur tout ce qu’il vo(it). Il s’aper(çoit) très bien si les réponses qu’on lui fait (sont) justes ou non et (a) alors des réparties assez plaisantes.»

            Madame du Tourzel

Quelques anecdotes donnent de l’enfant une image charmante :

« Un jour que je le reprenais pour quelque chose qu’il avait dit mal à propos, une personne qui était chez moi lui dit en badinant :
Je parie que Madame de Tourzel a tort et que Monsieur le Dauphin a toujours raison.
Monsieur, lui dit-il en riant, vous êtes un flatteur car je me suis mis en colère ce matin.»

            Madame du Tourzel

La gouvernante est ferme dans ses principes éducatifs :

« (Le Dauphin) voulut faire l’essai de ce qu’il avait à attendre de moi et voir si je saurais lui résister. Il se refusa à quelque chose que je lui demandais et me dit du plus grand sang-froid :
 » – Si vous ne faites pas ce que je veux, je crierai. On m’entendra de la terrasse et qu’est-ce que l’on dira ?
Que vous êtes un méchant enfant.
Mais si mes cris me font mal ?
Je vous ferai coucher et je vous mettrai au régime d’un malade.« 
Alors il se mit à crier, à taper des pieds et à faire un tapage affreux. Je ne lui dis pas une parole ; je fis faire son lit et demandai un bouillon pour son souper. Alors il me regarda fixement, cessa ses cris et me dit : « J’ai voulu voir de quelle manière je pourrais vous prendre ; je vois que je n’ai d’autre moyen que de vous obéir. Pardonnez-moi, je vous promets que cela n’arrivera plus.« 
Le lendemain, il dit à la reine :  » Savez-vous qui vous m’avez donné pour gouvernante ? C’est Madame Sévère.« »

            Madame de Tourzel

La marquise de Tourzel amène Louis-Charles tous les jeudis chez sa tante, la marquise de Lède, âgée de quatre-vingts ans ans, dont l’hôtel particulier, situé au faubourg Saint-Germain, dispose d’un vaste jardin. Cela permet à Louis-Charles de sortir pendant quelques heures de l’ambiance pesante des Tuileries. Il y retrouve des enfants de son âge.

Il arrive que le neveu de la marquise de Tourzel, Olivier de Saint-Georges de Vérac (1768-1858), jeune officier, dont la mère est Marie-Charlotte de Croÿ, sœur aînée de la marquise de Tourzel, joue avec Louis-Charles, ce qui amuse en même temps Marie-Antoinette. Olivier de Saint-Georges de Vérac, devenu marquis de Vérac, sera gouverneur du château de Versailles de 1819 à 1830. Lorsque le Roi Charles X, ayant quitté le château de Saint-Cloud en juillet 1830, voudra se rendre au château de Versailles, le marquis de Vérac viendra à sa rencontre pour l’en dissuader du fait de la foule. Le Roi Charles X se rendra alors au Grand Trianon.

Le 13 juillet 1790

Les «fédérés», venus de tous les coins de France, sont invités à se rendre aux Tuileries :

« On les f(ait) défiler devant (le roi) et la famille royale au pied du grand escalier des Tuileries. Le roi demand(e) le nom de chaque députation et parl(e) à chacun de ses membres avec une bonté qui redoubl(e) encore leur attachement. La reine leur présent(e) ses enfants et leur dit quelques mots avec cette grâce qui ajout(e) un nouveau prix à tout ce qu’elle d(it). Transportés de joie, ils entr(ent) dans les Tuileries aux cris de « Vive le roi ! »»

            Madame de Tourzel

Le 14 juillet 1790

 Fête de la Fédération.

Jean-François Balmer et Jane Seymour dans Les Années Lumière de Robert Enrico (1989)

« Chacun voulait voir la cérémonie de la Fédération, et la peur de ne pas trouver de place détermina un grand nombre de personnes à passer la nuit au Champ de Mars, les uns excités par un zèle patriotique, et les autres par la curiosité qu’inspirait un spectacle aussi extraordinaire. La pluie qui tombait par torrents ne diminua pas le zèle de chacun, et toutes les places se trouvèrent remplies. Une foule immense était derrière, et les coteaux de Passy et de Chaillot étaient également couverts de spectateurs. Les parapluies de diverses couleurs que nécessitait la pluie continuelle faisaient aussi un singulier effet. C’était le coup d’œil le plus extraordinaire, et qui aurait été magnifique s’il eût été éclairé par le soleil d’un beau jour.

Le cortège se mit en marche à six heures du matin, et parcourut les rues centrales de la capitale pour se rendre au Champ de Mars par le Cours-la-Reine. Pour y arriver commodément, on avait construit un pont de bateaux à son extrémité. Deux compagnies de volontaires ouvraient la marche; elles étaient suivies du corps municipal, des électeurs et des présidents de district. Des chasseurs et des vétérans précédaient ensuite les quarante-deux premiers départements, marchant par ordre alphabétique, chacun étant précédé de sa bannière où était inscrit le nom de son département, et ayant son oriflamme propre. Les officiers portaient l’épée nue. Les troupes de ligne venaient ensuite, et l’on y distinguait avec plaisir les gardes du corps, les carabiniers, les hussards et l’artillerie. Elles avaient à leur tête MM. de Ségur et de Mailly, maréchaux de France, suivis des lieutenants généraux et des maréchaux de camp, précédés de l’oriflamme. La marine, commandée par le comte d’Estaing, marchait ensuite; puis les quarante et un derniers départements, suivis de chasseurs et d’une compagnie de cavalerie qui fermait la marche.

Le ciel ne fut pas favorable à la fête. Les averses se succédaient continuellement; des torrents d’eau inondaient les rues, et la pluie ne cessa d’accompagner les bataillons tout le temps de leur marche. Quoique trempés jusqu’aux os, ils ne laissèrent échapper aucune plainte, et l’ordre de la marche n’en fut pas dérangé un instant. Les spectateurs bordaient leur passage; les croisées étaient garnies d’un monde prodigieux, et le reste de la ville déserte présentait le spectacle le plus extraordinaire.

La colonne n’arriva qu’à midi à la place Louis XV. L’Assemblée s’y rendit, le président à la tête, marchant entre deux haies de drapeaux qui les escortèrent jusqu’au Champ de Mars, où leur arrivée et celle du Roi furent annoncées par des salves d’artillerie.

Le Roi arriva le dernier, avec la famille royale, en grande cérémonie, et accompagné d’un nombreux cortège. Quand chacun fut placé, l’évêque d’Autun, qui officiait, fit la bénédiction des drapeaux et célébra la messe immédiatement après; elle ne commença qu’à quatre heures. A l’élévation, M. de la Fayette, nommé par le Roi major général de la fédération, donna le signal du serment, monta à l’autel et le prononça; à l’instant, tous les sabres furent tirés et les mains levées. M. de la Fayette vint alors avertir le Roi que c’était le moment de prononcer le serment. La pluie tombait à grands flots, et un grand nombre de spectateurs qui étaient inondés cherchaient à en diminuer l’effet, en étendant leurs parapluies. Comme ils empêchaient de voir le Roi, la multitude se mit à crier: «A bas, à bas les parapluies!» M. de la Fayette, qui n’entendit d’abord que les mots: A bas, crut probablement que ce cri le regardait; il hésita un moment, et sa pâleur ordinaire redoubla sensiblement; mais, rassuré promptement, il continua sa marche et arriva au Roi, qui prononça la formule du serment. M. de Bonnai, président de l’Assemblée, la répéta, et avec lui trois cent mille voix. La Reine éleva plusieurs fois entre ses bras Mgr le Dauphin pour le faire voir au peuple et à l’armée, qui fit éclater des démonstrations de joie et d’amour pour le Roi et la famille royale.

Les personnes sincèrement attachées à la religion virent avec peine que, dans une cérémonie qui n’était rien moins que religieuse, et où l’attention se portait uniquement sur un spectacle aussi extraordinaire que celui dont on était témoin, on ne se fût pas borné à faire prêter le serment sur les saints Évangiles, plutôt que d’exposer à une sorte de profanation les mystères les plus augustes de notre religion.

Après la cérémonie, une partie des fédérés alla dîner au château de la Muette, où l’on avait préparé des tables pour les recevoir. D’autres revinrent à Paris, et quelques-uns repartirent le soir même pour leurs provinces. M. de la Fayette se rendit à la Muette, où on lui prodigua, comme au Champ de Mars, les témoignages d’idolâtrie populaire dont M. Necker avait été l’objet l’année précédente. Il était alors à l’apogée de sa gloire; elle eut la durée de la faveur populaire, et ne lui laissa que le regret de n’avoir pas su profiter de sa position pour sauver son Roi et sa patrie des dangers qui les menaçaient. Sous le nom de liberté, qu’il prononçait avec tant de complaisance, la France était livrée à l’anarchie la plus complète, et tout ce qui y existait de gens honnêtes et vertueux gémissait sous le joug le plus tyrannique.

Le Roi retourna aux Tuileries aux cris répétés de: «Vivent le Roi et la famille royale!» Le duc de Villequier et plusieurs autres personnes sensées, qui épiaient avec soin la disposition des esprits, pensaient que le Roi pouvait tirer parti de cette journée, et auraient voulu qu’il montât à cheval, et qu’au lieu de prêter le serment exigé, il déclarât au milieu du Champ de Mars qu’étant pour cette fois à la tête de l’élite de la nation, il lui représentait qu’il trouvait un inconvénient réel à jurer fidélité à une Constitution qui n’était pas encore terminée, et dont l’ensemble pouvait seul démontrer les avantages et les inconvénients; qu’il était prêt, après cette observation, à faire le serment d’observer les articles décrétés, si la nation réunie lui en témoignait le désir. Le Roi consulta probablement son conseil. Les hommes qui le composaient n’avaient pas assez d’énergie pour oser risquer une pareille démarche, et ils l’en auront sûrement détourné, sous le prétexte des dangers qu’elle pouvait entraîner. La suite des événements donna malheureusement lieu de se repentir de n’avoir pas saisi cette occasion.»

Madame de Tourzel

Le 16 janvier 1791

Le mari de son amie la duchesse de Maillé meurt à Paris. La voilà veuve, toujours au service de la Reine.

Le 20 février 1791

Départ de Mesdames Adélaïde et Victoire qui partent pour Rome.

Pour être totalement disponible à la famille royale, Madame de Tourzel met sa fille Pauline sous la garde de ses filles aînées qui quittent Paris.

Mesdames Adélaïde et Victoire de France
Départ de Louis XVI pour Saint-Cloud par Joseph Navlet

Le 18 avril 1791

La famille royale est empêchée de partir faire Ses Pâques à Saint-Cloud.

Les projets d’évasion se concrétisent grâce, en particulier, à l’entremise d’Axel de Fersen.

« Je mis sur le champ pied à terre. Je renvoyai ma voiture à mes gens et je me déterminai à traverser cette foule pour rentrer aux Tuileries. Elle refusa d’abord de me laisser passer et je fus obligée de la haranguer, en lui disant qu’étant la gouvernante de Mgr le Dauphin, il fallait que je l’allasse retrouver.
 » Vous feriez mieux, disaient-ils, de le garder
– Trouveriez-vous bon, leur répondis-je, que la bonne de vos enfants raisonnât sur vos actions, refusât de vous obéir et vous dictât la conduite que vous devriez avoir ?
Cette réponse les calma un peu et je gagnai toujours du terrain lorsque, à ma grande satisfaction, l’officier de garde me fit entrer.»

            Madame de Tourzel

Vers le 10 juin 1791

Madame de Tourzel souffre pendant un jour de «colique hépatique» : cela bloque l’inspiration profonde et elle se sent oppressée, et souffre de nausées et de vomissements. Les conséquences d’une anxiété permanente.

Le 19 juin 1791

« J’étais chez la reine pour prendre ses derniers ordres , lorsque M. de Montmorin (ministre des affaires étrangères) lui apporta une très grande lettre qu’elle lut avec beaucoup d’attention . Quand il fut sorti de chez elle : « Il n’y a plus, dit-elle, à balancer pour notre départ : voici une lettre de l’Empereur (Son frère) qui nous engage à ne pas la différer. »»

            Madame de Tourzel

Catherine Aymerie ( à gauche) est la marquise de Tourzel dans L’Évasion de Louis XVI  (2009) de Vincent Solignac

Onze heures moins dix

Axel de Fersen emmène des Tuileries le Dauphin, sa sœur, Marie-Thérèse et leur gouvernante, la marquise de Tourzel. Il fait un tour du Louvre par les quais et revient se positionner rue de l’Échelle à côté du Louvre en attendant le Roi, la Reine et Madame Élisabeth.

Madame de Tourzel fait valoir les droits de sa charge qui l’autorise à ne jamais quitter le Dauphin : l’argument est péremptoire.

Le 20 juin 1791

Madame de Tourzel accompagne la famille royale dans son évasion à Montmédy, avec un passeport au nom de la baronne de Korff :

A dix heures du soir

La Reine monte réveiller Ses enfants.

Onze heures moins vingt

Marie-Antoinette fait pénétrer Madame de Tourzel et ses pupilles dans l’appartement récemment déserté par le duc de Villequier, parvient à la partie vitrée donnant sur le Carrousel, où les attend Monsieur de Fersen, en manteau de cocher, depuis trois quarts d’heure.

Madeleine Rousset est madame de Tourzel dans Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy
Image de La guerre des trônes, S7 E3 : Marie-Antoinette, l'Europe pour seul secours de Vanessa Pontet, Samuel Collardey ; Fabian Wolfrom incarne Fersen

Onze heures et demi

Louis XVI et Marie-Antoinette font semblant de se coucher selon le cérémonial habituel. La Fayette et Romeuf (1766-1812) sont venus faire la visite de courtoisie habituelle au Roi retardant ainsi la fin de la cérémonie du coucher.

Marie-Thérèse ne peut dormir, alors que le Dauphin somnole. Madame de Tourzel guette avec anxiété par la portière. Tout à coup, la rue s’illumine : des cavaliers portant des torches précèdent une voiture. Marie-Thérèse, qui a reconnu l’équipage de La Fayette, se rejette en arrière. Le Dauphin est blotti sous les jupes de Madame de Tourzel. La voiture passe : Gilles César n’a rien remarqué.

Mardi 21 juin 1791

Minuit

Louis XVI, déguisé en valet de chambre, il tiendra le rôle de Durand, intendant, luttant contre sa propension à se dandiner_encore qu’on ait persuadé le comte de Coigny, qui a une physionomie comparable à celle du Roi, d’adopter la même démarche pour habituer les sentinelles…_sort des Tuileries et prend même le temps de reboucler son soulier.

A minuit dix

Louis XVI monte dans une « citadine » (voiture de ville) stationnée près des Tuileries, rue de l’Échelle, qui sera conduite par le marquis de Briges ( 1715-1795). Il y retrouve sa sœur et ses enfants. Marie-Antoinette qui  s’était perdue dans les méandres des rues entourant le Louvre, retrouve enfin Sa famille !

A Minuit cinquante

Depuis la rue de l’Échelle, la famille royale rejoint la rue de Clichy et atteint la berline avec une heure et demie de retard sur l’horaire prévu par Choiseul et Goguelat (1746-1831), général de cavalerie.

A une heure quinze

La Famille Royale rejoint la barrière Saint-Martin.

La Famille Royale passe, sans mettre pied à terre de la citadine à la berline.

Deux heures du matin

Départ de Paris

Deux heures vingt du matin

Premier relais à Bondy: Axel de Fersen qui avait accompagné la Famille Royale La quitte en criant «Adieu, Madame de Korff!»

A onze heures

A Montmirail, le Roi se décontracte, et demande à Moustier, l’un des trois gardes-du-corps de ne plus le cacher aux regards des curieux car il ne croit plus cette précaution nécessaire, le voyage lui semblant à l’abri de tout incident… Les voitures royales ont pourtant trois heures de retard sur l’horaire prévu.

Antoine Gouy en Louis XVI, Sophie Nounouhi en Madame Royale Marie-Thérèse Charlotte et Adélaïde Bon en Madame Elisabeth (L'évasion de Louis XVI, Arnaud Sélignac, 2009)
Fac-similé du passeport délivré le 5 juin 1791 par M. de Montmorin, ministre des affaires étrangères, à M. de Sémolin, ambassadeur de Russie à Paris, au nom de la baronne de Korff, sujette russe, née Steegleman

A huit heures moins dix

Au relais de Sainte-Menehould, on devait trouver quarante dragons du Régiment royal, commandés par Monsieur d’Andoin, capitaine. En vain. Le maître de poste, Jean-Baptiste Drouet, qui a séjourné à Versailles, reconnaît le Roi mais ne réagit pas.

Dans son témoignage devant l’Assemblée constituante, le 24 juin 1791, il affirme :

« Je crus reconnaître la reine ; et apercevant un homme dans le fond de la voiture à gauche, je fus frappé de la ressemblance de sa physionomie avec l’effigie d’un assignat de 50 livres. »

Daniel Ceccaldi est Jean-Baptiste Drouet dans Marie-Antoinette de Jean Delannoy

Le 21 juin 1791
Dix heures cinquante du soir

Arrivée de la berline royale à Varennes où devaient les attendre soixante hussards du Régiment de Lauzun, commandés par M. de Rodewels, sous-lieutenant, de Bouillé fils et de Raigecourt.

Le Roi et la Reine sont arrêtés à Varennes.

L'arrivée à Varennes dans Les Années Lumières de Robert Enrico (1989)
Dans Les Années Lumière (1989) de Robert Enrico c'est  Louise Latraverse qui interprète Madame de Tourzel
Chez l'épicier Sauce à Varennes, par Prieur
L'attente chez Sauce vue par Jean Kemm dans l'Enfant-Roi (1923)

Mercredi 22 juin 1791
Minuit et demi

Le juge Destez qui a vécu assez longtemps à Versailles   (il est gendre d’un officier de bouche de la Reine), et que Jean-Baptiste Sauce est allé chercher, reconnaît formellement le Roi.

Il s’incline : «Bonjour, sire».

Louis XVI marque un temps , puis embrassant l’épicier Sauce :  «Oui, mes amis, je suis votre roi

 

Image de Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy

Le 25 juin 1791

Image de L'évasion de Louis XVI d'Arnaud Sélignac

À Paris, l’Assemblée constituante prévenue par Mangin de l’arrestation de la famille royale nomme trois commissaires, Antoine Barnave, Jérôme Pétion et Charles César de Fay de La Tour-Maubourg, pour ramener la famille royale à Paris. Pétion et Barnave montent dans la voiture de la famille royale. Aux abords de Paris, selon Michelet, Pétion (très populaire alors) se place entre le Roi et la Reine afin de décourager un éventuel tir de mousquet dans leur direction.

A onze heures du soir

Le Roi est suspendu.

Jules Michelet (1798-1874) verra la présence de Madame de Tourzel comme une des raisons de l’échec de ce voyage : l’expédition perdait un homme compétent, et connaissant le pays, au profit d’une passagère inutile. Ce dont l’intéressée se défendra :

« Je n’aurais pas insisté si la reine m’eût témoigné un pareil désir. J’avais d’ailleurs la ressource de prendre la place de l’une des deux femmes de chambre qui accompagnaient la famille royale dans la voiture de suite. En pareil cas, l’attachement ne consulte ni les convenances ni les droits et j’aurais concilié le devoir que m’imposait ma place de ne jamais quitter Mgr le Dauphin avec le désir que Leurs Majestés m’auraient manifesté.»

            Madame de Tourzel

La Reine, le Dauphin, Barnave et le Roi dans la berline du retour de Varennes par Benjamin Warlop
Madame Elisabeth, Pétion, Madame de Tourzel et Marie-Thérèse par Benjamin Warlop

Après leur arrestation, Madame de Tourzel et d’autres personnes liées à l’affaire de la fuite de Varennes sont gardées prisonnières et interrogées. La gouvernante n’est pas à la prison de l’Abbaye, mais gardée dans les appartements du Dauphin.

« La Reine montait chez M. le Dauphin, par un escalier qui communiquait intérieurement de son appartement dans celui de son fils ; elle passait chez M. le Dauphin accompagnée de quatre officiers ; elle trouvait la porte fermée. C’étaient les bornes de la prison de Mme de Tourzel, qui, étant suspendue de ses fonctions de gouvernante, était cependant constituée prisonnière dans une pièce de l’appartement du prince. Un des gardes frappait en disant : « La Reine » Le garde de Mme de Tourzel qui habitait la même chambre qu’elle allait ouvrir à la Reine qui entrait pour prendre son fils et le mener chez le Roi par l’intérieur ; ils étaient suivis par huit officiers.
Madame de Tourzel était arrêtée dans l’appartement de son malheureux petit prince, ne pouvant parler à personne.»

            La princesse de Tarente

Louise-Elisabeth perçoit à son endroit une sorte de réticence du petit prince :

« On (a) cherché à éloigner de moi Mgr le Dauphin par la peur.»

           Madame de Tourzel

Pour en avoir le cœur net, elle demande à Louis-Charles pourquoi, à son avis, ils ont été séparés. Le Dauphin répond :


_« C’est pour avoir suivi papa.
_ C’est donc une action bien criminelle à vos yeux d’avoir donné au roi des marques de mon respect, de mon attachement et de mon dévouement à votre personne ? Dites-moi, je vous prie, de quel nom on peut qualifier la conduite que vous tenez et que croyez-vous qu’en pensera votre chère Pauline dont vous parlez si souvent ?» demande madame de Tourzel
Le Dauphin rougit alors et se jette dans les bras de sa gouvernante en disant :
« Pardonnez-moi. J’ai eu tort mais ne le mandez pas à ma chère Pauline car elle ne m’aimerait plus.»

Le 14 septembre 1791

Le Roi prête serment à la Constitution.

« Sur proposition de M. de La Fayette, on décréta la mise en liberté de toutes les personnes détenues à l’occasion du voyage du roi (…) on accorda une amnistie à ceux qui avaient contribué au voyage de Varennes (…)
Le décret de l’amnistie m’ayant rendu la liberté, je repris mes fonctions auprès de Mgr le Dauphin et de Madame et je les suivis le lendemain à l’Assemblée. Nous allâmes dans une loge préparée pour la reine (…) Le roi prononça, debout et découvert, le serment prescrit par l’Assemblée.»

            Madame de Tourzel

Louis XVI, roi de France en roi citoyen (1791),  par  Jean-Baptiste-François  Carteaux  (1751 - 1813)
Portrait de Marie-Antoinette, par Alexandre Kucharski Commencé en 1791 à la demande de Marie-Antoinette qui souhaitait en faire don à Madame de Tourzel, le portrait demeura inachevé en 1792. Suivant la tradition, le pastel fut retrouvé en 1795 par le marquis Charles de Tourzel, fils de Madame de Tourzel.

Pauline rentre de son voyage à Tournai avec sa sœur aînée, et reprend son logement des Tuileries. Elle constate combien les événements tragiques qui se sont alors déroulé accentue l’affection que la famille royale porte à ceux qui l’entoure, comme pour « leur prouver (leur) tendre attachement». Pauline est « une seconde mère» pour le Dauphin.

En fin d’année 1791

La princesse de Lamballe ou la marquise de Tourzel organisent des soirées dans leurs appartements, . Marie Antoinette y vient presque tous les soirs. Elle y joue, au tric-trac, avec la princesse de Lamballe, le baron de Vioménil, le comte d’Haussonville, le chevalier de Coigny, le comte de Paroy … qu’Elle fait l’honneur d’admettre de cet intérieur. Madame Royale y vient aussi souvent avec son frère , le Prince Royal : elle a treize ans et lui sept ans. Ils jouent au volant ou à d’autres jeux. Mademoiselle Pauline de Tourzel, âgée de vingt ans, prend part à leur jeu. Madame Royale la traite en amie intime.

Le 20 juin 1792

Le peuple des faubourgs, encadré par des gardes nationaux et ses représentants, comme le brasseur Santerre (10 à 20 000 manifestants selon Roederer), pénètre dans l’assemblée, où Huguenin lit une pétition. Puis elle envahit le palais des Tuileries.

La foule envahit les Tuileries pour faire lever le veto.

Le peuple de Paris pénétrant dans le palais des Tuileries le 20 juin 1792 par Jan Bulthuis, vers 1800

« Avec le courage passif qui est le sien », selon Michel Vovelle, le Roi subit sans faiblir pendant deux heures le défilé de la foule, accepte de coiffer le bonnet phrygien et boit à la santé de la Nation pour faire passer les paroles de Legendre :

« Monsieur, vous êtes un perfide, vous nous avez toujours trompés, vous nous trompez encore », mais le Roi refuse de retirer son veto comme de rappeler les ministres girondins, invoquant la loi et la constitution.

Escalier monumental des Tuileries (juste avant sa destruction)
Le dévouement de Madame Élisabeth, prise par la foule pour la Reine, elle ne les détrompe pas pour donner à sa belle-sœur la possibilité de se réfugier et de sauver Sa vie.

« La Reine n’a pu parvenir jusqu’au Roi ; elle est dans la salle du conseil et on avait eu de même l’idée de la placer derrière la grande table, pour la garantir autant que possible de l’approche de ces barbares …» les révolutionnaires passent devant Elle afin de L’observer :

« Elle avait attaché à sa tête une cocarde aux trois couleurs qu’un garde national lui avait donnée. Le pauvre petit dauphin était, ainsi que le roi, affublé d’un énorme bonnet rouge. La horde défila devant cette table ; les espèces d’étendards qu’elle portait étaient des symboles de la plus atroce barbarie. Il y en avait un qui représentait une potence à laquelle une méchante poupée était suspendue ; ces mots étaient écrits au bas : Marie Antoinette à la lanterne. Un autre était une planche sur laquelle on avait fixé un cœur de bœuf, autour duquel était écrit : cœur de Louis XVI. Enfin un troisième offrait les cornes d’un bœuf avec une légende obscène.
L’une des plus furieuses jacobines qui défilaient avec ces misérables s’arrêta pour vomir mille imprécations contre la reine.
Sa Majesté lui demanda si elle l’avait jamais vue : elle lui répondit que non ; si elle lui avait fait quelque mal personnel : sa réponse fut la même mais elle ajouta :

« – c’est vous qui faites le malheur de la nation.
– On vous l’a dit, reprit la reine ; on vous a trompée. Epouse d’un roi de France, mère du dauphin, je suis française, jamais je ne reverrai mon pays, je ne puis être heureuse ou malheureuse qu’en France ; j’étais heureuse quand vous m’aimiez ».
Cette mégère se mit à pleurer, à lui demander pardon, à lui dire :

« – c’est que je ne vous connaissais pas ; je vois que vous êtes bien bonne »».

On voit bien que l'auteur de cette peinture s'est inspiré d'un buste de Marie-Antoinette (celui de Lecomte) pour La représenter

Mesdames de Lamballe, de Tarente, de La Roche-Aymon, de Mackau entourent alors la Reine, ainsi que Madame de Tourzel qui souligne dans ses Mémoires :

« La Reine était toujours dans la chambre du Roi, lorsqu’un valet de chambre de Mgr le Dauphin accourut tout hors de lui avertir cette princesse que la salle était prise, la garde désarmée, les portes de l’appartement forcées, cassées et enfoncées, et qu’on le suivait.
On se décida à faire entrer la Reine dans la salle du Conseil, par laquelle Santerre faisait défiler sa troupe pour lui faire quitter le château. Elle se présenta à ces factieux au milieu de ses enfants, avec ce courage et cette grandeur d’âme qu’elle avait montrés les 5 et 6 octobre, et qu’elle opposa toujours à leurs injures et à leurs violences.
Sa Majesté s’assit, ayant une table devant elle, Mgr le Dauphin à sa droite et Madame à sa gauche, entourée du bataillon des Filles-Saint-Thomas, qui ne cessa d’opposer un mur inébranlable au peuple rugissant, qui l’invectivait continuellement.
Plusieurs députés s’étaient aussi réunis auprès d’elle.
Santerre fait écarter les grenadiers qui masquaient la Reine, pour lui adresser ces paroles :
«On vous égare, on vous trompe, Madame, le peuple vous aime mieux que vous le pensez, ainsi que le Roi ; ne craignez rien.
– Je ne suis ni égarée ni trompée, répondit la Reine, avec cette dignité qu’on admirait si souvent dans sa personne, et je sais (montrant les grenadiers qui l’entouraient) que je n’ai rien à craindre au milieu de la garde nationale « .
Santerre continua de faire défiler sa horde en lui montrant la Reine. Une femme lui présente un bonnet de laine ; Sa Majesté l’accepte, mais sans en couvrir son auguste front. On le met sur la tête de Mgr le Dauphin, et Santerre, voyant qu’il l’étouffait, le lui fait ôter et porter à la main.
Des femmes armées adressent la parole à la Reine et lui présentent les sans-culottes ; d’autres la menacent, sans que son visage perde un moment de son calme et de sa dignité.
Les cris de «Vivent la Nation, les sans-culottes, la liberté ! à bas le veto ! » continuent.
Cette horde s’écoule enfin par les instances amicales et parfois assez brusques de Santerre, et le défilé ne finit qu’à huit heures du soir.
Madame Elisabeth, après avoir quitté le Roi, vint rejoindre la Reine, et lui donner de ses nouvelles.
Ce prince revint peu après dans sa chambre, et la Reine, qui en fut avertie, y entra immédiatement avec ses enfants.»

Vers dix heures du soir

Pétion et les officiers municipaux font évacuer le château.

Même s’il a subi une humiliation, Louis XVI a fait échouer la manifestation, par son obstination imprévue et sa fermeté tranquille, et il se tient désormais sur ses gardes.
Surtout, elle renforce l’opposition royaliste, le déchaînement de la foule et le courage du Roi suscitant un courant d’opinion en sa faveur. Des départements parviennent à Paris adresses et pétitions pour dénoncer la manifestation, même si de nombreux clubs envoient des pétitions hostiles au Roi.
Pétion est suspendu de ses fonctions de maire.

Louis XVI conserve sa détermination à défendre la Constitution en espérant un sursaut de l’opinion en sa faveur, ce qui se manifeste le 14 juillet, troisième fête de la fédération, étant l’objet de manifestations de sympathie.

En juillet 1792

« La reine était si mal gardée et il était si facile de forcer son appartement que je lui demandai avec instance de venir coucher dans la chambre de Mgr le Dauphin. Elle eut bien de la peine à se décider (…) Elle finit par y consentir mais seulement les jours où il y aurait du bruit dans Paris.»

            Madame de Tourzel

A partir de ce moment, la Reine, la gouvernante et le Dauphin cohabitent dans cette chambre pendant les nuits.

« Mgr le Dauphin, qui aim(e) beaucoup la reine, enchanté de la voir coucher dans sa chambre, cour(t) à son lit dès qu’elle (est) éveillée, la ser(t) dans ses petits bras en lui disant les choses les plus tendres et les plus aimables.»

           Madame de Tourzel

Le 10 août 1792

 Danton lance alors les sections parisiennes à l’assaut de l’hôtel de Ville, met à la porte la municipalité légale et y installe sa «commune insurrectionnelle», qui s’effondrera le 9 thermidor avec Robespierre.

Geneviève Casile, Marie-Antoinette (1976), observe le ciel rouge de Paris ce matin-là...

On craint pour la vie de la Reine. Le Roi décide alors de gagner l’Assemblée nationale. Il est accompagné par sa famille, Madame Élisabeth, la princesse de Lamballe, la marquise de Tourzel, ainsi que des ministres, dont Étienne de Joly, et quelques nobles restés fidèles.

Les Tuileries constituent le dernier objectif. Pour défendre le palais, le Roi peut compter sur ses mille à mille deux cents gardes Suisses, sur trois cents chevaliers de Saint louis, sur une centaine de nobles et de gentilshommes qui lui sont restés fidèles. La Garde nationale est passée dans le camp adverse. Seul le bataillon royaliste des «filles de Saint Thomas» est demeuré fidèle au souverain.

 

Paris de nuit illuminé par les troupes qui se rassemblent dans Un peuple et son Roi (2018) de Pierre Schoeffer
Image d'Un peuple et son Roi (2018) de Pierre Schoeller
La famille royale juste avant le départ des Tuileries : à l'arrière-plan on devine le combat des soldats contre les émeutiers

Roederer, le «procureur syndic du département» convainc le Roi de se réfugier à l’assemblée Nationale avec sa famille. Ceux qui ne font pas partie de la famille royale ne sont pas autorisés à les accompagner.

Image d'Un peuple et son Roi (2018) de Pierre Schoeller
Le cortège funèbre de la monarchie commence par une haie d'honneur des chevaliers de Saint-Louis qui lèvent leurs épées dans Un peuple et son Roi

Le 10 août 1792, le dernier acte de Louis XVI, Roi des Français, est l’ordre donné aux Suisses «de déposer à l’instant leurs armes».

Traversant le jardin des Tuileries, et marchant sur des feuilles tombées des arbres, Louis XVI aurait dit : « L’hiver arrive vite, cette année ».

Lise Delamare est Marie-Antoinette dans La Marseillaise (1938) de Jean Renoir
Image des Années Lumière (1989) de Robert Enrico

Dans ses mémoires, Madame de Tourzel raconte ainsi la scène :

« Nous traversâmes tristement les Tuileries pour gagner l’Assemblée. MM. de Poix, d’Hervilly, de Fleurieu, de Bachmann, major des Suisses, le duc de Choiseul, mon fils et plusieurs autres se mirent à la suite de Sa Majesté mais on ne les laissa pas entrer ».

La famille royale à l'Assemblée nationale dans Les Années Lumière (1989) de Robert Enrico
L'Assemblée Nationale dans Les Années Lumière de Robert Enrico

Louis XVI et sa famille sont conduits jusque dans la loge du greffier de l’Assemblée nationale (ou loge du logographe) , où la famille royale reste toute la journée. Louis XVI. en proie à la plus vive anxiété, se réfugie avec sa famille au sein de l’assemblée, où il entre en disant :

« Je suis venu ici pour éviter un grand crime qui allait se commettre. »

Revenu dans le château, Bachmann demande un ordre précis du roi, et cet ordre ne venant pas, il organise la défense des Gardes suisses qui font face à l’envahissement des émeutiers.

La famille royale dans la loge du logographe par Gérard

Le Roi est suspendu de ses fonctions.

La prise des Tuileries le 10 août 1792

La foule envahit la cour du château et cherche à gagner les étages supérieurs.

Image d'Un Peuple et son Roi (2018) de Pierre Schoeller
Image d'Un peuple et son Roi (2018) de Pierre Schoeller
Saccage de la chambre de la Reine aux Tuileries

« J’arrivai à neuf heures aux Feuillants. Je ne puis exprimer la bonté avec laquelle je fus reçue du Roi et de la Reine. Ils me firent mille questions sur les personnes dont je pouvais leur donner des nouvelles; Mgr le Dauphin et Madame m’embrassèrent, en me témoignant une amitié touchante et me disant que nous ne nous séparerions plus.
Une demi-heure avant de quitter les Feuillants, Madame Élisabeth m’appela, m’emmena avec elle dans un cabinet, et me dit: « Chère Pauline, nous connaissons votre discrétion et votre attachement pour nous. J’ai une lettre de la plus grande importance dont je voudrais me débarrasser avant de partir d’ici ; aidez-moi à la faire disparaître. » Nous prîmes cette lettre de huit pages, nous en déchirâmes quelques morceaux que nous essayâmes de broyer dans nos doigts et sous nos pieds ; mais, comme ce moyen était très-long et qu’elle craignait qu’une trop longue absence ne donnât quelques soupçons, je pris une page de la lettre, je la mis dans ma bouche et je l’avalai.
Madame Élisabeth en voulut faire autant, mais son cœur se soulevait ; je m’en aperçus ; et lui demandant les deux dernières pages de la lettre, je les avalai, de manière qu’il n’en resta aucun vestige.»

           Madame de Tourzel

« Vous savez que le 10 août, ma mère avec Monsieur le Dauphin accompagna le Roi à la convention ; moi restée seule aux Tuileries, dans l’appartement du Roi, je m’attachai à ne pas quitter la Princesse de Tarente, parce que ma Mère m’avait recommandée à ses soins, et nous nous promîmes, quels que fussent les événements, de ne pas nous séparer.
Bientôt après le départ du Roi, commença une canonnade dirigée contre le château ; nous entendîmes siffler les balles d’une manière effrayante ; les carreaux cassés et les fenêtres brisées faisaient un vacarme effroyable. Pour nous mettre un peu à l’abri et n’être point du côté d’où l’on tirait le canon, nous nous retirâmes dans l’appartement de la Reine au rez-de-chaussée sur le jardin. Là, il nous vint à l’idée de fermer les volets et d’allumer toutes les bougies des lustres et des candélabres, espérant, si les brigands devaient forcer notre porte, que l’étonnement que leur causeraient tant de lumières nous sauverait de leurs premiers coups et nous laisserait le temps de leur parler. A peine nos arrangements étaient-ils finis, que nous entendîmes dans les chambres précédentes des cris affreux et un cliquetis d’armes qui ne nous annonça que trop que le château était forcé, et qu’il fallait nous armer de courage. Ce fut l’affaire d’un moment ; les portes furent enfoncées, et des hommes le sabre à la main, les yeux hors de la tête, se précipitèrent dans le salon ; ils s’arrêtèrent à l’instant comme stupéfaits ; une douzaine de femmes dans cette chambre! (car nous étions réunies avec plusieurs dames de la Reine, de Madame Élisabeth et de Mme de Lamballe). Ces lumières répétées dans les glaces faisaient un tel contraste avec la clarté du jour, que les brigands en furent confondus. Plusieurs des dames qui étaient dans la chambre se trouvèrent mal. Mme de Ginestoux se jeta à genoux et avait tellement perdu la tête, qu’elle balbutiait des mots de pardon. Nous allâmes à elle, la fîmes taire, et pendant que je la rassurais, cette bonne Mme de Tarente priait un Marseillais de prendre sous sa protection cette Dame à cause de la faiblesse de sa tête. Cet homme y consentit et la tira aussitôt de la chambre ; puis, tout à coup revenant à celle qui lui avait parlé pour une autre, et frappé d’une telle générosité dans cette circonstance, il dit à Mme de Tarente : Je sauverai cette Dame et vous aussi et votre petite compagne aussi. En effet, il remit Mme de Ginestoux entre les mains d’un de ses camarades ; puis il prit Mme de Tarente et moi chacune sous un bras, et nous tira hors de l’appartement.
En sortant du salon, il nous fallut passer sur le corps d’un valet de pied de la Reine, et d’un de ses valets de chambre, qui tous deux fidèles à leur poste, et n’ayant pas voulu abandonner l’appartement de leur maîtresse, en avaient été les victimes. Cette vue me serra le cœur : la Princesse de Tarente et moi nous nous regardâmes, pensant que peut-être bientôt nous aurions le même sort. Enfin, après beaucoup de peine, cet homme qui nous donnait le bras parvint à nous faire sortir du château par une petite porte auprès des souterrains. Nous nous trouvâmes sur la terrasse, puis à la porte du pont Royal. Là, notre protecteur nous quitta, ayant, disait-il, rempli son engagement de nous conduire sûrement hors des Tuileries
.Je pris alors le bras de Mme de Tarente, qui, croyant se soustraire aux regards de la multitude, voulut, pour retourner chez elle, descendre sur le bord de la rivière. Nous marchions doucement et sans proférer une parole, lorsque nous entendîmes des cris affreux derrière nous. En nous retournant, nous aperçûmes une foule de brigands qui couraient sur nous le sabre à la main ; à l’instant il en parut autant devant nous et sur le quai par dessus le parapet ; d’autres nous tenaient en joue, criant que nous étions des échappées des Tuileries.
Pour la première fois de ma vie j’eus peur ; cette manière d’être massacré me paraissait affreuse. Mme de Tarente parla à la multitude, et obtint que sous escorte nous serions conduites au district.
Il fallut traverser toute la place Louis XV au milieu des morts ; car beaucoup des Suisses y avaient été massacrés. Nous étions suivies d’un peuple immense qui nous disait toutes les injures possibles.
Nous fûmes menées rue des Capucines, et là nous nous fîmes connaître : la personne à qui nous parlâmes était un honnête homme ; il jugea promptement combien était pénible la position dans laquelle nous nous trouvions ; il donna un reçu de nos personnes ; il dit très haut que nous allions être conduites en prison, et congédia ainsi ceux qui nous avaient amenées. Se trouvant seul avec nous, il nous assura de son intérêt, en nous promettant qu’à la chute du jour il nous ferait reconduire chez nous. En effet, sur les huit heures et demie du soir, il nous donna deux personnes sûres pour nous conduire, et nous fit passer par une porte de derrière, pour éviter les espions qui entouraient sa maison. Nous arrivâmes chez la duchesse de La Vallière, grand’mère de Mme de Tarente, et chez laquelle elle logeait. Je demandai à cette bonne princesse de Tarente de ne la pas quitter pendant la nuit, et je me couchai sur un canapé dans sa chambre.
A cinq heures du matin, pendant que nous causions ensemble de tout ce qui nous était arrivé, nous entendîmes frapper à la porte : c’était mon frère qui, ayant passé la nuit aux Feuillants, près du Roi, venait nous en donner des nouvelles, et me dire que la Reine avait demandé à ma Mère que je vinsse la rejoindre ; que le Roi en avait demandé la permission à l’Assemblée, qui l’avait accordée ; que dans une heure il viendrait me chercher pour me conduire aux Feuillants. Cette nouvelle me fit un sensible plaisir ; j’étais heureuse de me retrouver avec ma Mère et d’unir mon sort au sien et à celui de la famille royale.
A huit heures du matin j’arrivai aux Feuillants ; je ne puis assez vous dire quelle fut la bonté du Roi et de la Reine quand ils me virent ; ils me firent bien des questions sur les personnes dont je pouvais leur donner des nouvelles. Madame et Monsieur le Dauphin me reçurent avec une amitié touchante, m’embrassèrent et me dirent que nous ne nous séparerions plus.»

            Pauline de Tourzel

Le soir du 10 août 1792

La famille royale est logée temporairement aux Feuillants dans des conditions difficiles: quatre pièces du couvent seulement leur sont dédiées… pendant trois jours.

A une heure, Louis XVI et sa famille se rendent aux Feuillants où des chambres ont été préparées. Des commissaires de l’Assemblée nationale et un détachement de la garde nationale les accompagnent.
Toutes les chambres sont contigües : la première sert d’antichambre où veillent cinq gentilshommes qui ne veulent pas quitter le Roi  (M. de Briges, le prince de Poix, le duc de Choiseul, le baron de Goguelat, M. de Saint-Pardoux et le baron d’Aubier) ; le Roi se trouve dans la seconde ; la Reine et les enfants dans la troisième ; Madame Elisabeth, la princesse de Lamballe et la marquise de Tourzel dans la dernière.
Pour dormir, Louis XVI a une serviette qui lui tient de bonnet de nuit, et à demi habillé. Le baron d’Aubier et la marquise de Tourzel dorment au pied du lit de Louis XVI.
Madame Elisabeth, la princesse de Lamballe et la marquise de Tourzel dorment sur des matelas à même le sol.
Madame Mertins, première femme de chambre de la princesse de Lamballe, qui a sa confiance absolue, parvient à entrer à l’Assemblée nationale, par l’appartement de M. de Villemotte. Elle couche dans la même chambre que la princesse de Lamballe, à ses pieds.

Vendredi 11 août 1792

La Famille Royale se trouve sans vêtements de rechange. M. Pascal, officier des cent suisses, qui a une corpulence comparable à celle de Louis XVI, lui offre des vêtements ; la duchesse de Gramont transmet du linge de corps à Marie Antoinette ; la comtesse Gover-Sutherland, épouse de l’ambassadeur d’Angleterre, apporte des vêtements pour le prince royal.

Louis XVI apprenant l’envoi de linges que la duchesse de Gramont, sœur de feu le duc de Choiseul, vient de faire à la Reine, lui écrit le billet suivant, qui indique que la duchesse de Gramont ne borne pas ses offres à celle de quelques vêtements :

« Au sein de l’Assemblée nationale, le 11 août.
Nous acceptons, Madame, vos offres généreuses, l’horreur de notre position nous en fait sentir tout le prix, nous ne pourrons jamais reconnaître tant de loyauté que par la durée de nos plus tendres sentiments.
Louis.
»

Samedi 12 août 1792

Louis XVI et sa famille retournent, à dix heures, dans la loge du logographe.
Le soir, ils retournent aux Feuillants. Il espère y goûter un peu de repos et conserver avec lui les cinq gentilshommes qui l’avaient accompagné. Mais la garde est changée par des hommes jaloux et méchants. Le Roi passe, avec sa famille, dans la salle où l’on a préparé le souper. Ils sont servis, pour la dernière fois, par les cinq gentilshommes. La séparation prochaine rend ce repas triste et funèbre, car Louis XVI a appris qu’un décret ordonne de les faire arrêter. Louis XVI ne mange pas mais le prolonge autant qu’il le peut. Il ordonne aux cinq gentilshommes de le quitter, et leur fait embrasser ses enfants. Pendant ce temps, la garde monte pour se saisir d’eux mais ils arrivent à s’échapper par un escalier dérobé.

Le 13 août 1792

​Louis XVI et sa famille n’assistent pas à la séance de l’Assemblée nationale dans la loge du logographe.
​Le marquis de Tourzel, Grand Prévôt de France, demande au Roi de le suivre au Temple. Redoutant la fureur du peuple, Louis XVI lui ordonne de le quitter. Il lui remet une mèche de cheveux qu’on vient de lui couper, et lui exprime le désir de le revoir dans des temps plus heureux. Louis XVI l’embrasse ainsi que toute la Famille Royale.
Le marquis de Tourzel vient, à huit heures, chez la duchesse de La Vallière, où se trouve sa petite-fille, la princesse de Tarente, et sa sœur Pauline de Tourzel depuis le 10 août.
Il annonce à sa sœur que Marie Antoinette a demandé à leur mère qu’elle les rejoigne, et Louis XVI en a obtenu la permission de Pétion, maire de Paris.
Il vient donc la chercher pour la mener aux Feuillants ; elle y arrive à neuf heures.
​Avant de partir, Madame Elisabeth emmène Pauline de Tourzel à l’écart, et lui dit qu’elle a, sur elle, une lettre de huit pages. N’ayant rien pour la détruire, Pauline de Tourzel la déchire en morceaux, et les avale. Madame Elisabeth veut en faire de même, mais son cœur se soulève.

« Une demi-heure avant le départ pour le Temple, Madame Élisabeth m’appela, m’emmena avec elle dans un cabinet et me dit : ma chère Pauline, nous connaissons votre discrétion et votre attachement pour nous. J’ai une lettre de la plus grande importance dont je voudrais me débarrasser avant de partir d’ici ; aidez-moi à la faire disparaître. Il n’y avait ni feu ni lumière ; nous prîmes cette lettre de huit pages ; nous en déchirâmes quelques morceaux que nous essayâmes de broyer entre nos doigts et sous nos pieds ; mais comme cela devenait trop long, et qu’elle craignait que son absence ne donnât quelques soupçons, je pris une page entière de la lettre ; je la mis dans ma bouche et je l’avalai. Cette bonne Madame Élisabeth voulait en faire autant, mais son cœur se soulevait ; je m’en aperçus et lui demandai les deux autres pages que j’avalai encore, de manière qu’il n’en resta plus de vestiges. Nous rentrâmes, et l’heure du départ pour le Temple étant arrivée, la famille royale monta dans une voiture à dix places composée de la manière suivante :Le Roi, la Reine, et Monsieur le Dauphin dans le fond ; Madame Élisabeth, Madame, et Manuel, procureur de la commune sur le devant ; la Princesse de Lamballe et ma mère sur une banquette de portière ; et moi, avec un nommé Collonge, membre de la commune, sur la banquette vis-à-vis. La voiture allait au plus petit pas : on traversa la place Vendôme ; la voiture s’arrêta, et Manuel, faisant remarquer la statue de Louis XIV qui venait d’être renversée, dit au Roi :
«Vous voyez comme le peuple traite les Rois».
A quoi le Roi devint rouge d’indignation, mais se modérant à l’instant, S.M. répondit avec un calme angélique :
«Il est heureux, Monsieur, quand sa rage ne porte que sur des objets inanimés».
Le plus profond silence suivit et régna tout le reste du chemin. On prit les boulevards ; et le jour commençait à tomber lorsqu’on arriva au Temple.
La cour, la maison, le jardin étaient illuminés ; et cela avait un air de fête qui contrastait terriblement avec la position de la famille royale. Le Roi, la Reine et nous autres de leur suite, nous entrâmes dans un fort beau salon ; on y resta plus d’une heure sans pouvoir obtenir de réponse aux questions que l’on faisait pour savoir où étaient les appartements. Monsieur le Dauphin tombait de sommeil et demandait à se coucher. On servit un grand souper auquel on toucha peu. Ma mère pressant vivement pour savoir où était la chambre destinée à Monsieur le Dauphin, on annonça enfin qu’on allait l’y conduire.
On alluma des torches, on fit traverser la cour, puis un souterrain ; enfin on arriva à la tour, où nous entrâmes par une petite porte qui ressemblait fort à un guichet de prison.»

Pauline de Tourzel

La Commune décide de transférer la famille royale au Temple… en passant par la place Louis XV qu’on a déjà rebaptisée Place de la Révolution, on montre au Roi comme la statue de son grand-père est en train d’être déboulonnée pour faire disparaître toutes les marques du régime qui devient dès lors ancien…

Caricature qui montre Louis XVI coiffé du bonnet vert des forçats

« Selon Madame de Tourzel, la famille royale, accueillie par Santerre, voit d’abord la cour du palais illuminée de lampions comme s’ils étaient attendus pour une fête ; on retrouve l’ambiance des grands couverts qui rythmaient la vie de Cour à Versailles et aux Tuileries…»

Charles-Eloi Vial

Après un splendide dîner servi dans l’ancien palais du comte d’Artois ( où la famille royale espère encore être logée) , la messe est dite dans un salon. Après avoir visité les lieux, Louis XVI commence à répartir les logements.

A onze heures du soir 

« Alors que le Dauphin est gagné par le sommeil et que madame de Tourzel est surprise d’être emmenée en direction de la Tour, le Roi  comprend qu’il a été joué par la Commune.
Pétion, qui estimait que la grande Tour était en trop mauvais état, a résolu de loger la famille royale dans la petite en attendant la fin des travaux ordonnés pour isoler la prison du monde extérieur.»

Charles-Eloi Vial

La Tour qui tant frémir Marie-Antoinette, autrefois,  qu’Elle avait demandé à Son beau-frère qu’il la détruise. Était-ce un pressentiment de Sa part?

La Tour du Temple

« Quittant les magnifiques salons du comte d’Artois, la famille royale est emmenée dans la petite tour pour être logés dans les appartements de Jacques-Albert Berthélemy, ancien avocat archiviste de l’ordre de Malte, détenteur de cette charge depuis 1774. Il avait obtenu ce logement de fonction en 1782, où il vivait , en vieux célibataire et il n’y avait véritablement de la place chez lui que pour loger un seul maître de maison. Pour des raisons de sécurité, les domestiques héritent des pièces du bas, les plus confortables, tandis que la famille royale loge dans les parties hautes de la tour, dans des pièces à l’abandon depuis des années. Du mobilier est apporté du Garde-Meuble et du palais du Temple afin de compléter celui de l’archiviste.»

Charles-Eloi Vial

La marquise est emprisonnée à la Tour du Temple. Le second étage est attribué à la Reine et Sa fille, Marie-Thérèse . Elles couchent dans l’ancienne chambre de Barthélémy. Au même étage, la princesse de Lamballe dort dans l’antichambre, la marquise de Tourzel et le Dauphin partagent à nouveau la même chambre.

« La Reine et Madame furent établies dans la même chambre, qui était séparée de celle de Monsieur le Dauphin et de celle de ma Mère par une petite antichambre dans laquelle couchait la princesse de Lamballe. Le Roi fut logé au second, et Madame Elisabeth, pour laquelle il n’y avait plus de chambre, fut établie près de celle du Roi, dans une cuisine d’une saleté épouvantable ; cette bonne Princesse dit à ma mère qu’elle se chargeait de moi. Effectivement elle fit mettre un lit de sangle auprès du sien, et nous passâmes la nuit sans dormir, la chambre dans laquelle donnait cette cuisine servant de corps-de-garde.
Le lendemain à huit heures nous descendîmes chez la Reine, qui était déjà levée et dont la chambre devait servir de salon ; depuis on y passa les journées entières et on ne remontait au second que pour se coucher. L’on n’était jamais seul dans cette chambre de la Reine : toujours un municipal était présent ; à toutes les heures il était changé.
Tous nos effets avaient été pillés dans notre appartement des Tuileries. Je ne possédais absolument que la robe que j’avais sur le corps lors de ma sortie du château. Madame Elisabeth, à qui l’on venait d’envoyer quelques effets, me donna une de ses robes ; elle ne pouvait aller à ma taille ; nous nous occupâmes de la découdre pour la refaire ; tous les jours, la Reine, Madame, Madame Élisabeth y travaillaient un peu ; c’était notre occupation. Mais nous ne pûmes la finir.»

Pauline de Tourzel

Cadeaux de Marie-Antoinette à Madame de Tourzel

« Madame, je confie à la vertu ce que j’avais confié à l’amitié mon bien le plus précieux : mes enfants».

– Une lyre en or :
Il s’agit d’une boite à musique qui joue «Bon voyage Monsieur Dumollet».

– un médaillon en ambre :
Il renferme une araignée focalisée qui était le seul seul bijou que Marie-Antoinette avait apporté à la prison du Temple.

Ces deux objets sont conservés au Château d’Ainay-le-Vieil en Centre-Loire.

Dans la nuit du 19 au 20 août 1792

On vient chercher tous ceux qui n’appartiennent pas à la Famille Royale stricto sensu. Madame de Tourzel est transférée avec la princesse de Lamballe et Pauline à la prison de la Force. La Marquise de Tourzel est sauvée par son sang froid et la compassion d’un membre de la convention, Monsieur Hardy. Louise-Elisabeth et Pauline survivent miraculeusement à cet épisode. Madame de Lamballe, Madame de Tourzel et sa fille Pauline sont réunies dans une seule cellule assez spacieuse.

Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola

« La nuit du 19 au 20 d’août, il était environ minuit, lorsque nous entendîmes frapper à travers la porte de notre chambre : on nous intima, de la part de la commune de Paris, l’ordre d’enlever du Temple la Princesse de Lamballe, ma Mère et moi.
Madame Elisabeth se leva sur-le-champ ; elle-même m’aida à m’habiller, m’embrassa et me conduisit chez la Reine. Nous trouvâmes tout le monde sur pied : la séparation d’avec la famille royale fut une peine cruelle ; et quoique on nous assurât que nous reviendrions après avoir subi un interrogatoire, un sentiment secret nous disait que nous la quittions pour longtemps.
Nous traversâmes les souterrains aux flambeaux ; à la porte du Temple nous montâmes en fiacre et on nous conduisit à l’Hôtel-de-Ville. On nous établit dans une grande salle ; et de peur que nous pussions causer ensemble, un municipal était assis entre chacune de nous et nous séparait. Nous restâmes ainsi sur des banquettes pendant plus de deux heures ; enfin, vers les trois heures du matin, on vint appeler la Princesse de Lamballe pour l’interroger ; ce fut l’affaire d’un quart d’heure après lequel on appela ma Mère ; je voulus la suivre, on s’y opposa, disant que j’aurais mon tour ; ma Mère, en arrivant dans la salle d’interrogation qui était publique, demanda que je fusse ramenée auprès d’elle, mais on la refusa très rudement, lui disant que je ne courais aucun danger étant sous la sauvegarde du peuple. On vint enfin me chercher et on me conduisit à la salle d’interrogatoire. Là, monté sur une estrade, on était en présence d’une foule immense de peuple qui remplissait la salle ; il y avait aussi des tribunes remplies d’hommes et de femmes. Billaud de Varennes debout faisait les questions, et un secrétaire écrivait les réponses sur un grand registre. On me demanda mon nom, mon âge, et on me questionna beaucoup sur la journée du 10 août, me disant de déclarer que j’avais vu et que j’avais entendu dire au Roi et à la famille royale. Ils ne surent que ce que je voulus bien ; car je n’avais nullement peur ; je me trouvais comme soutenue par une main invisible qui ne m’a jamais abandonnée et m’a toujours fait conserver ma tête avec beaucoup de sang-froid.
Je demandai très haut d’être réunie à ma mère et de ne la pas quitter. Plusieurs voix s’élevèrent pour dire oui, oui, d’autres murmurèrent, mais on me fit descendre les marches du gradin sur lequel on était élevé, et après avoir traversé plusieurs corridors, je me vis ramener à ma Mère, que je trouvai bien inquiète de moi ; elle était avec la Princesse de Lamballe, et nous fûmes toutes les trois réunies.
Nous restâmes dans le cabinet de Tallien jusqu’à midi. On vint alors nous chercher pour nous conduire à la prison de la Force. On nous fit monter dans un fiacre ; il était entouré de gendarmes, suivi d’un peuple immense : il y avait un officier de gendarmerie avec nous dans la voiture. C’est par le guichet donnant sur la rue des Ballays, près la rue Saint-Antoine, que nous entrâmes dans cette horrible prison. On nous fit d’abord passer dans l’appartement du concierge, afin d’inscrire nos noms sur le registre, et je n’oublierai jamais qu’un individu fort bien mis et qui se trouvait là, s’approchant de moi, qui étais restée seule dans la chambre, me dit : Mademoiselle, votre position m’intéresse ; je vous donne le conseil de quitter ici les airs de cour que vous avez, et d’être plus familière et plus affable.
Indignée de l’impertinence de ce monsieur, je le regardai fixement et lui répondis que telle j’avais été, telle je serais toujours ; que rien ne pourrait influer sur mes sentiments ni mon caractère, et que l’impression qu’il remarquait sur mon visage n’était autre chose que l’image de ce qui se passait dans mon cœur indigné des horreurs que nous voyions! Il se tut et se retira l’air fort mécontent.
Ma mère entra alors dans la chambre, mais, hélas! ce ne fut pas pour longtemps ; nous fûmes toutes les trois séparées. On conduisit maman dans un cachot, et moi dans un autre. Je suppliai d’être réunie à elle ; mais on fut inexorable.
Le guichetier vint m’apporter une cruche d’eau. C’était un très bon homme. Me voyant au désespoir d’être séparée de ma Mère et ne sollicitant au monde que d’être réunie à elle, cela le toucha, et ce pauvre homme cherchant à adoucir ma peine, me laissa son chien, afin, me disait-il, de me donner une distraction. Surtout ne me trahissez pas, me dit-il, j’aurai l’air de l’avoir oublié par mégarde.
A six heures du soir, il revint me voir et me trouvant toujours dans le même état de chagrin : je vais vous confier un secret. Votre Mère est dans le cabinet au-dessous du vôtre ; ainsi vous n’êtes pas loin d’elle. D’ailleurs, ajouta-t-il, vous allez avoir dans une heure la visite de Manuel, le procureur de la commune, qui viendra s’assurer si tout est dans l’ordre ; n’ayez pas l’air, je vous en prie, de savoir tout ce que je vous dis.
En effet, quelque temps après, j’entendis tirer les verrous de la chambre voisine, puis ceux de la mienne ; je vis entrer trois hommes dont un que je reconnus très bien pour être Manuel, le même qui avait conduit le Roi au Temple. Il trouva la chambre où j’étais très humide, et parla de m’en faire changer. Je saisis cette occasion de lui dire que tout m’était égal ; que la seule grâce que je sollicitais de lui particulièrement était de me réunir à ma Mère : je lui demandai avec une grande vivacité ; et je vis que ma demande le touchait ; puis il dit : Demain je dois revenir ici, et nous verrons ; je ne vous oublierai pas. Le pauvre guichetier en fermant la porte me dit à voix basse : Il est touché ; je lui ai vu des larmes dans les yeux, ayez courage ; à demain.
Ce bon François, car c’était le nom de ce guichetier, me donna de l’espoir et me fit un bien que je ne puis exprimer : je me mis à genoux, fis mes prières, et avec un calme et une tranquillité extrême je me jetai toute habillée sur l’horrible grabat qui servait de lit ; je dormis jusqu’au jour.
Le lendemain à sept heures du matin, ma porte s’ouvrit et je vis entrer Manuel qui me dit : J’ai obtenu de la commune la permission de vous réunir à votre Mère ; suivez-moi.
Nous descendîmes dans la chambre de ma mère, je me jetai dans ses bras, croyant tous ses malheurs finis puisque je me trouvais auprès d’elle. Elle remercia beaucoup Manuel, et lui demanda d’être réunie à la Princesse de Lamballe, puisque nous avions été transférées avec elle ; il réfléchit un moment, puis il dit : Je le veux bien, je prends cela sur moi, et je vais vous conduire dans sa chambre. Effectivement, à huit heures du matin nous étions réunies toutes les trois, seules, et nous éprouvâmes un moment de bonheur de pouvoir partager ensemble nos infortunes.
Le lendemain matin nous reçûmes un paquet venant du Temple. C’étaient nos effets que nous renvoyait la Reine. Elle-même, avec cette bonté qui ne se dément point, avait pris soin de les réunir. Parmi eux se trouvait cette robe de Madame Élisabeth dont je vous ai parlé plus haut. Elle devient pour moi un gage d’un éternel souvenir, d’un éternel attachement, et je la conserverai toute ma vie.
L’incommodité de notre logement, l’horreur de la prison, le chagrin d’être séparées du Roi et de sa famille, la sévérité avec laquelle cette séparation semblait nous promettre d’être traitées, tout cela m’attristait fort, je l’avoue, et effrayait extrêmement cette malheureuse Princesse de Lamballe. Quant à ma Mère, elle montrait cet admirable courage que vous lui avez vu dans de tristes circonstances de sa vie, ce courage qui, n’ôtant rien à sa sensibilité, laisse cependant à son âme toute la tranquillité nécessaire pour que son esprit puisse lui être d’usage. Elle travaillait, elle lisait, elle causait d’une manière aussi calme, que si elle n’eût rien craint ; elle paraissait affligée, mais ne semblait pas même inquiète.
Nous étions depuis près de quinze jours dans ce triste séjour, lorsqu’une nuit, vers une heure du matin, étant toutes trois couchées et endormies comme on dort dans une telle prison, de ce sommeil qui laisse encore de la place à l’inquiétude, nous entendîmes tirer les verrous de notre porte ; elle s’ouvrit, un homme parut et me dit :
« Mlle de Tourzel, levez-vous promptement et suivez-moi. Je tremblais et ne répondais ni remuais.
— Que voulez-vous faire de ma fille, dit ma Mère à cet homme ?
— Que vous importe? répondit-il, d’une manière qui me parut bien dure ; il faut qu’elle se lève et qu’elle me suive.
— Levez-vous, Pauline, me dit ma mère et suivez-le, il n’y a rien à faire ici que d’obéir. Je me levai lentement, et cet homme restait toujours dans la chambre ; dépêchez-vous, dit-il deux ou trois fois ; dépêchez-vous, Pauline, me dit aussi ma Mère.
J’étais habillée, mais je n’avais pas changé de place ; j’allai à son lit et je pris sa main ; mais l’homme ayant vu que j’étais levée, s’approcha, me prit par le bras et m’entraîna malgré moi. Adieu, Pauline, que le bon Dieu vous bénisse et vous protège! cria ma Mère. Je ne pouvais lui répondre ; deux grosses portes étaient déjà entre elle et moi, et cet homme m’entraînait toujours.
Comme nous descendions l’escalier, il entendit du bruit ; avec l’air fort inquiet, il me fit entrer précipitamment dans un petit cachot, ferma la porte, prit la clé et disparut.
Ce cachot était éclairé par un bout de chandelle ; en moins d’un quart d’heure, cette chandelle finit, et je ne puis vous exprimer ce que je ressentis et les réflexions sinistres que m’inspirait cette lueur tantôt forte, tantôt mourante : elle me représentait mon agonie, et me disposait à faire le sacrifice de ma vie, mieux que n’auraient pu faire les discours les plus touchants.
Je restai alors dans une profonde obscurité, puis j’entendis ouvrir doucement la porte ; on m’appela, et à la lueur d’une petite lanterne je reconnus l’homme qui m’avait enfermée une heure auparavant, pour être celui qui était dans la chambre du concierge lors de notre arrivée à la Force, et qui avait voulu me donner des conseils. Il me fit marcher doucement ; au bas de l’escalier, il me fit entrer dans une chambre, me montra un paquet et me dit de m’habiller avec ce que je trouverais là dedans ; il renferma la porte et je restai immobile, sans agir ni presque penser ; je ne sais combien de temps je restai dans cet état ; j’en fus tirée par le bruit de la porte qui se rouvrit et le même homme parut : Quoi ! vous n’êtes pas encore habillée! me dit-il d’un air inquiet ; il y a de votre vie, si vous ne sortez promptement d’ici. Je regardai alors les habits qui étaient dans le paquet, c’étaient des habits de paysanne ; ils me parurent assez larges pour aller par-dessus les miens ; je les eus passés dans un instant. Cet homme me prit par le bras et me fit sortir de la chambre ; je me laissais entraîner sans faire aucune question, presque même aucune réflexion, et je voyais à peine ce qui se passait autour de moi.
Lorsque nous fûmes hors des portes de la prison, j’aperçus, à la clarté du plus beau clair de lune, une prodigieuse multitude de peuple, et j’en fus entourée dans le moment. Tous ces hommes avaient l’air féroce : ils étaient armés de sabres et semblaient attendre quelque victime pour la sacrifier. Voici une prisonnière qu’on sauve, crièrent-ils tous à la fois en me menaçant de leurs sabres. L’homme qui me conduisait faisait l’impossible pour les écarter de moi et pour se faire entendre ; je vis alors qu’il portait la marque qui distingue les représentants de la communauté de Paris ; cette marque étant un droit pour se faire écouter, on le laissa parler.
Il dit que je n’étais pas prisonnière, qu’une circonstance m’ayant fait me trouver à la prison de la Force, il m’en venait tirer par ordre supérieur, les innocents ne devant pas périr comme les coupables. Cette phrase me fit frémir pour ma mère qui était restée enfermée ; les discours de mon libérateur, car je commençais à voir que c’était le rôle qu’avait entrepris cet homme dont les manières m’avaient semblé si dures ; ses discours, dis-je, faisaient effet sur la multitude, et l’on allait enfin me laisser passer, lorsqu’un soldat, en uniforme de garde national, s’avança et dit au peuple qu’on le trompait, que j’étais Mlle de Tourzel, qu’il me connaissait fort bien pour m’avoir vu mille fois aux Tuileries chez le Dauphin, lorsqu’il y était de garde, et que mon sort ne devait pas être différent de celui des autres prisonniers. Alors la fureur redoubla tellement contre moi et contre mon protecteur que je crus bien certainement que le seul service qu’il m’aurait rendre serait de me conduire à ma mort, au lieu de me la laisser attendre. Enfin, ou son adresse, ou son éloquence, ou mon bonheur me tira encore de là, et nous nous trouvâmes libres de poursuivre notre chemin. Il pouvait cependant s’y rencontrer encore mille obstacles ; nous avions à passer des rues dans lesquelles nous devions trouver beaucoup de peuple ; je pouvais encore être reconnue et pouvais encore être arrêtée ; cette crainte détermina mon guide à me laisser dans une petite cour fort sombre, et par laquelle il ne pouvait venir personne, pour aller voir ce qui se passait aux environs, et s’il pouvait sans danger me mener avec lui. Il revint au bout d’une demi-heure, me dit qu’il croyait plus prudent de changer de costume, et il m’apportait un habit, un pantalon et une redingote, dont il voulait que je me vêtisse. Je n’étais guère tentée de ce déguisement qu’il pensait nécessaire ; il me répugnait de périr sous des habits qui ne devaient pas être les miens ; je m’aperçus qu’il ne m’avait apporté ni chapeau, ni souliers ; j’avais sur la tête un bonnet de nuit et aux pieds des souliers de couleur ; le déguisement devenait impossible, et je restai comme j’étais.
Pour sortir d’où nous étions, il fallait repasser presqu’aux portes de la prison où étaient les assassins, ou traverser une église (le petit Saint-Antoine) dans laquelle se tenait une assemblée qui devait légaliser leurs crimes ; l’un ou l’autre de ces passages étaient également dangereux pour moi.
Nous choisîmes celui de l’église, et je fus obligée de la traverser me traînant presque à terre par les bas-côtés, afin de n’être pas aperçue de ceux qui formaient l’assemblée. Il me fit entrer dans une petite chapelle de côté, et me plaçant derrière les débris d’un autel renversé, il me recommanda bien de ne pas remuer, quelque bruit que j’entendisse, et d’attendre son retour qui serait le plus prochain qu’il pourrait. Je m’assis sur mes talons, entendant beaucoup de bruit, des cris mêmes ; mais je ne bougeai pas, bien résolue à attendre là mon sort, et remettant ma vie entre les mains de la Providence en laquelle je m’abandonnai avec confiance, résignée à recevoir la mort si tels étaient ses décrets.
Je fus très longtemps dans cette chapelle ; enfin je vis arriver mon guide, et nous sortîmes de l’église avec les mêmes précautions que nous avions prises pour y entrer. Très peu loin de là, mon libérateur s’arrêta à une maison qu’il me dit être la sienne ; il me fit entrer dans une chambre, et m’y ayant renfermée, il me quitta sur-le-champ. J’eus un moment de joie en me trouvant seule, mais je n’en jouis pas longtemps ; le souvenir des périls que j’avais courus ne me montrait que trop ceux auxquels ma Mère était livrée, et je restai tout entière à mes tristes craintes ; je m’y abandonnais depuis plus d’une heure, lorsque M. Hardy (car il est temps que je vous nomme celui auquel nous devons la vie) revint et me parut avoir un air plus effrayé que je ne l’avais vu de toute la matinée. Vous êtes connue, me dit-il, on sait que je vous ai sauvée, on veut vous ravoir, on croit que vous êtes ici, on peut vous y venir prendre ; il en faut sortir tout de suite, mais non pas avec moi, ce serait vous remettre dans un danger certain, prenez ceci, me dit-il en me montrant un chapeau avec un voile et un mantelet noir. Écoutez bien tout ce que je vais vous dire, et surtout n’oubliez pas la moindre chose.
En sortant de cette porte, vous tournerez à droit ; puis vous prendrez la première rue à gauche ; elle vous conduira sur une petite place dans laquelle donnent trois rues ; vous prendrez celle du milieu, puis auprès d’une fontaine, vous trouverez un passage qui vous conduira dans une autre grande rue ; vous y verrez un fiacre arrêté près d’une allée sombre ; cachez-vous dans cette allée, et vous n’y serez pas longtemps sans me voir paraître ; partez vite, et surtout, dit-il, après me l’avoir encore répété, tâchez de n’oublier rien de tout ce que je viens de vous dire ; car je ne saurais comment vous retrouver ; et alors que pourriez-vous devenir?
Je vis la crainte qu’il avait que je ne me souvinsse pas bien de tous les renseignements qu’il m’avait donnés ; cette crainte, en augmentant celle que j’avais moi-même, me troubla tellement qu’en sortant de la maison, je savais à peine si je devais tourner à droite ou à gauche. Comme il vit de la fenêtre que j’hésitais, il me fit un signe, et je me souvins alors de tout ce qu’il m’avait dit.
Mes deux habillements l’un sur l’autre me donnaient une figure étrange, mon air inquiet pouvait me faire paraître suspecte ; il me semblait que tout le monde me regardait avec étonnement. J’eus bien de la peine à arriver jusqu’où je devais trouver le fiacre, mais enfin je l’aperçus, et je ne puis vous dire la joie que j’en ressentis. Je me crus pour lors absolument sauvée. Je me retirai dans l’allée sombre en attendant que M. Hardy parût. Un quart d’heure s’était passé et il ne venait point. Alors mes craintes redoublèrent ; si je restais plus longtemps dans cette allée, je craignais de paraître suspecte aux gens du voisinage ; mais comment en sortir? je ne connaissais pas le quartier dans lequel je me trouvais ; si je faisais la moindre question, je pouvais me mettre dans un grand danger ; enfin comme je méditais tristement sur le parti que je devais prendre, je vis venir M. Hardy ; il était avec un autre homme. Ils me firent monter dans le fiacre et y montèrent avec moi. L’inconnu se plaça sur le devant de la voiture et me demanda si je le reconnaissais. Parfaitement, lui dis-je, vous êtes M. Billaud de Varennes qui m’avez interrogée à l’Hôtel-de-Ville. Il est vrai, dit-il, je vais vous conduire chez Danton, afin de prendre ses ordres à votre sujet. Arrivés à la porte de Danton, ces messieurs descendirent, montèrent chez lui et revinrent peu après me disant : Vous voilà sauvée ; il ne nous reste plus maintenant qu’à vous conduire dans un endroit où vous ne puissiez pas être connue, autrement il pourrait encore ne pas être sûr.
Je demandai à être menée chez Mme la Marquise de Lède, une de mes parentes. Elle était très âgée, et par conséquent je pensais ne pouvoir la compromettre. Billaud de Varennes s’y opposa à cause du nombre de ses domestiques dont plusieurs peut-être ne seraient pas discrets sur mon arrivée dans la maison, et me demanda d’indiquer une maison obscure. Je me souvins alors de la bonne Babet, notre fille de garde-robe ; je pensai que je ne pouvais être mieux que dans une maison pauvre et dans un quartier retiré. Billaud de Varennes, car c’était toujours lui qui entrait dans ce détail, me demanda le nom de la rue pour l’indiquer au cocher. Je nommai la rue du Sépulcre.
Ce nom dans un moment comme celui où nous étions lui fit une grande impression, et je vis sur son visage un sentiment d’horreur de ce rapprochement avec tous les événements qui se passaient. Il dit un mot tout bas à M. Hardy, lui recommanda de me conduire où je demandais à aller et disparut.
Pendant le chemin, je ne parlai que de ma mère ; je demandai si elle était encore en prison. Je voulais aller la rejoindre si elle y était encore ; je voulais aller moi-même plaider son innocence. Il me paraissait affreux que ma Mère fût exposée à la mort à laquelle on venait de m’arracher : moi sauvée, ma Mère périr! cette pensée me mettait hors de moi.
M. Hardy chercha à me calmer, me dit que j’avais pu voir que depuis le moment où il m’avait séparée d’elle, il n’avait été occupé que du soin de me sauver ; qu’il y avait malheureusement employé beaucoup de temps, mais qu’il se flattait qu’il lui en resterait encore assez pour servir ma Mère ; que ma présence ne pouvait que nuire à ses desseins ; qu’il allait sur-le-champ retourner à la prison et qu’il ne regarderait sa mission comme finie que lorsqu’il nous aurait réunies ; qu’il me demandait du calme, qu’il avait tout espoir.
Il me laissa remplie de reconnaissance pour le danger où il s’était mis à cause de moi, et avec l’espérance qu’il sauverait ma Mère de tous ceux que je craignais pour elle. Adieu, ma chère Joséphine ; je suis si fatiguée que je ne puis plus écrire, d’ailleurs ma mère me dit qu’elle veut vous raconter elle-même ce qui la regarde, et elle vous l’écrira demain.»

Pauline de Tourzel

La Petite Force

« Manuel, qui ne négligeait aucune occasion de plaire au peuple souverain, voulut lui donner le plaisir de notre translation à la Force. Il nous y fit conduire à midi, dans trois fiacres escortés par la gendarmerie. Comme c’était un jour de dimanche, une foule de curieux se portèrent sur notre passage, et nous fûmes accablées d’injures pendant notre trajet de l’Hôtel de ville à la Force. Nous y entrâmes par la rue des Ballets, et nous restâmes tous dans la salle du conseil, pendant qu’on inscrivait nos noms sur le registre de madame de Hanère, concierge de cette prison. C’était une très bonne femme, qui avait avec elle une fille qui fut parfaite sous tous les rapports.
Quand nos noms furent inscrits, Pauline et moi fûmes conduites dans deux cachots de cette prison, séparés l’un de l’autre; et madame la princesse de Lamballe dans une chambre un peu meilleure. Je fis l’impossible pour ne point être séparée de ma chère Pauline; et voyant que je ne pouvais rien gagner sur le cœur endurci de nos municipaux, je leur reprochai avec la plus grande véhémence l’inconvenance de séparer de sa mère une jeune personne de son âge; et je me laissai aller à toute l’impétuosité de ma douleur sans ménager aucune de mes expressions. »

              Madame de Tourzel

Louise-Elisabeth, Pauline et Marie-Thérèse de Lamballe sont séparées et conduites dans des cachots différents. Pauline racontera la frayeur dans laquelle elle se trouve alors dans son horrible solitude. Mais on lui apprend vite que sa mère se trouve dans le cabinet au-dessus du sien, cela la rassure de n’être pas éloignée d’elle. Elle reçoit bien vite la visite de Manuel, élu procureur-syndic, qui trouve sa cellule très humide et envisage de l’en faire changer. Pauline demande expressément d’être réunie à sa mère.

Le 21 août 1792

A sept heures du matin, Pierre-Louis Manuel revient dans la cellule de Pauline :

« J’ai obtenu de la Commune la pemission de vous réunir à votre mère ; suivez-moi.»

Pauline monte dans la cellule de Louise-Elisabeth et se jette dans ses bras. Madame de Tourzel remercie Manuel et demande à être réunies à la princesse de Lamballe. Il hésite mais accepte :

« Je le veux bien ; je prends cela sur moi.»

Le 22 août 1792

Il conduit alors Madame et mademoiselle de Tourzel dans la chambre de Madame de Lamballe : à huit heures du matin les voilà toutes les trois seules.

« Nous éprouvâmes un moment de bonheur de pouvoir partager ensemble nos infortunes.»

Le 23 août 1792

Les trois prisonnières reçoivent un paquet venant du Temple : des effets que leur envoie la Reine, Madame Elisabeth y joint une robe à elle pour Pauline.

« Le séjour à la Force (est) affreux. Cette maison n'(est) remplie que de coquins et de coquines qui t(iennent) des propos abominables et chan(tent) des chansons détestables. Les oreilles les moins chastes (aurai)ent été blessés de tout ce qui s’y enten(d) sans discontinuer, la nuit comme le jour

            Madame de Tourzel

Les détenues ont obtenu de faire quelques pas, le soir, dans la cour.

Madame de Tourzel loue quelques effets pour assurer sa propreté et celle de sa fille, et toujours fait preuve de « cet admirable courage » qu’elle a montré dans les « tristes circonstances de sa vie ».

Images de Joséphine ou la Comédie des Ambitions (1979) de Robert Mazoyer

« Ce courage qui, n’ôtant rien à sa sensibilité, laisse cependant à son âme toute la tranquillité nécessaire pour que son bon esprit puisse lui être d’usage. Elle travaill(e), elle li(t), elle caus(e) d’une manière aussi calme que si elle n’eût rien craint : elle paraissait affligée, mais ne semblait pas même inquiète

            Pauline de Tourzel, alors comtesse de Béarn

Le 2 septembre 1792

« Nous étions depuis près de quinze jours dans ce triste séjour, lorsqu’une nuit, vers une heure du matin, étant toutes trois couchées et endormies comme on dort dans une telle prison *, de ce sommeil qui laisse encore place à l’inquiétude, nous entendîmes tirer les verrous de notre porte ; elle s’ouvrit ; un homme parut et dit :
Mademoiselle de Tourzel, levez-vous promptement et suivez-moi…
Je tremblais, je ne répondais ni ne remuais …
_ Que voulez-vous faire de ma fille ? dit ma mère à cet homme
_ Que vous importe ? répondit-il d’une manière qui me parut bien dure ; il faut qu’elle se lève et qu’elle me suive.
_ Levez-vous, Pauline, me dit ma mère, et suivez-le ; il n’y a rien à faire ici que d’obéir.
Je me levai lentement, et cet homme restait toujours dans la chambre.
_ Dépêchez-vous, dit-il deux ou trois fois.
_ Dépêchez-vous, Pauline, me dit aussi ma mère.
J’étais habillée, mais je n’avais pas changé de place ; j’allai alors à son lit, je prie sa main pour la baiser ; mais cet homme s’approcha, me prit par le bras et m’entraîna malgré moi.
«  Adieu, Pauline, Dieu vous bénisse et vous protège !  » cria ma mère … je ne pouvais lui répondre … deux grosses portes étaient déjà entre elle et moi, et cet homme m’entraînait encore.»

            Pauline de Tourzel, alors comtesse de Béarn

La princesse de Lamballe tente de raisonner madame de Tourzel qui, désespérée, s’est jetée à genoux :

« Ah, chère princesse, vous n’êtes pas mère ! »

Pauline, vêtue en paysanne, escortée de celui qu’elle appelle son « libérateur », parvient au clair de lune, à sortir de la prison de La Force. Malgré son déguisement elle est alors reconnue par un garde national qui prononce pourtant sa libération étant donné son jeune âge. Pauline s’éclipse avec son libérateur, M. Hardy, chez lequel elle se réfugie un temps.

« Vous êtes connue, me dit-il ; on sait que je vous ai sauvée, on veut vous ravoir ; on croit que vous êtes ici, on peut vous y venir prendre : il en faut sortir tout de suite. »

Dissimulée sous un chapeau avec un voile et un mantelet noir, Pauline parvient à trouver un fiacre dans lequel elle attend son protecteur pendant une heure. Antoine-François Hardy (1748-1823) se présente enfin … accompagné de Billaud-Varenne, l’adjoint de Manuel. Il annonce à Pauline qu’il va la conduire chez Danton afin de prendre ses ordres à son sujet.

« Il ne nous reste plus maintenant qu’à vous conduire dans un endroit où vous puissiez ne pas être connue ; autrement vous seriez encore en danger.»

Pauline demande donc à être menée chez la marquise de Lède, une de ses parentes, très âgée, cette vieillesse pouvant éloigner les soupçons… Billaud-Varenne s’y oppose, à cause du nombre de domestiques. Pauline se souvient alors de la bonne Babet, leur fille de garde-robe …

« Je pensai que je ne pouvais être mieux quand dans une maison pauvre et dans un quartier retiré

Billaud-Varenne demande alors le nom de la rue à indiquer au cocher :

« Je nommai … la rue du Sépulcre».

Il semble que Manuel ait reçu du duc de Penthièvre, le beau-père de la princesse de Lamballe la somme de 150 000 livres pour la libérer ainsi que ses compagnes d’infortune.

Le 3 septembre 1792

A la mi-journées, après avoir reçu un en-cas de pain et de vin pris dans un escalier, les prisonnières sont conduites dans une petite cour où se trouvent rassemblés d’autres détenus. Madame de Tourzel a la surprise de retrouver Madame de Mackau ainsi que Mesdames Thibaud, Navarre et Basire, naguère au service des Enfants de France. Louise-Elisabeth est alors rassurée quant au sort de sa fille, par un homme qui se faufile jusqu’à elle.

« La certitude que Pauline était sauvée me rendit heureuse au milieu de tant de dangers.»

            Madame de Tourzel

Louise-Elisabeth entend alors que le tribunal improvisé relaxe une partie des prisonniers : ceux pour dettes de la Grande-Force et des femmes de la Petite-Force. La gouvernante nourrit peu d’espoir quant à la justice expéditive.
Le moment vient pour la princesse de Lamballe d’être entendue par le tribunal : « nous nous serrâmes la main pour la dernière fois et je puis certifier qu’elle montra beaucoup de courage et de présence d’esprit».

Elles ne se reverront pas.

Madame de Tourzel ne se laisse impressionner ni par les lieux ni par ses codétenus. Elle interroge les gens qui l’entourent qui lui répondent et la questionnent à leur tour. Son nom ils le connaissent : on la rassure car elle n’a « pas une très mauvaise réputation», on lui reproche d’avoir accompagné le Roi lors du voyage vers Montmédy : « cette action était inexcusable». Elle répond qu’elle n’en a aucun remords, s’appuyant sur son serment de fidélité : ils répondent « tous unanimement qu’il fallait mourir plutôt que d’y manquer».
Tous concluent qu’elle n’avait pas eu le choix dans cet épisode.

« Je parlai longtemps avec ces hommes ; ils me paraissaient frappés de tout ce qui était juste et raisonnable, et je ne pouvais m’empêcher de m’étonner que des gens qui ne semblaient pas avoir un mauvais naturel vinssent froidement commettre des crimes que l’intérêt et la vengeance auraient pu à peine expliquer

            Madame de Tourzel

A nouveau, Louise-Elisabeth fait preuve de cran face aux tentatives d’intimidation de ses juges :

« Pendant notre conversation, un de ces hommes aperç(oi)t un anneau que je portais à mon doigt et demand(e) ce qui (est) écrit : je la tir(e) et le lui présent(e) ; mais un de ses compagnons, qui commen(ce) apparemment, à s(intéresser à moi, et qui crai(nt) qu’on ne découvr(e) sur cet anneau quelque signe de royalisme, s’en saisit et me le ren(d) en me disant de lire moi-même ce quiu (est) écrit, et que l’on me croir(a) ; alors je l(is) :  » Domine salvum fac Regem et Reginam et Delphinum, cela veut dire en français : Dieu sauve le Roi, la Reine et le Dauphin.« »

            Madame de Tourzel

Cela soulève un mouvement d’indignation, Louise-Elisabeth manque de perdre la bienveillance qu’ils commençaient à lui montrer : « Jetez cet anneau à terre, crient-ils, foulez-le aux pieds !»

« C’est impossible, leur dis-je, tout ce que je puis faire, c’est de l’ôter de mon doigt et de le mettre dans ma poche, si vous êtes fâchés de le voir : je suis attachée au Roi parce qu’il est bon et que je connais particulièrement sa bonté ; je suis attachée à M. le Dauphin parce que, depuis plusieurs années, je prends soin de lui, et je l’aime comme mon enfant ; je porte cher dans mon cœur le vœu qui est exprimé sur cet anneau ; je ne puis le démentir en faisant ce que vous proposez : vous me mépriseriez, j’en suis sûre, si j’y consentais, et je veux mériter votre estime ; ainsi je m’y refuse.
_ Faites comme vous voudrez, disent quelques-uns. Et je mis l’anneau dans ma poche.»

             Madame de Tourzel

Image des Années Terribles de Richard Heffron

 

Tout le monde ne jouit pas d’un tel sang-froid, inspiré par la sécurité dans laquelle Louise-Elisabeth sait Pauline. Une femme s’évanouit et Madame de Tourzel l’aide à retrouver sa respiration. Un homme commente : « Dommage qu’elle soit mariée, elle aurait pu, pour se sauver, épouser l’un de nous.»

On l’interroge pendant dix minutes :

« On me fit diverses questions sur ce qui s’était passé aux Tuileries. Je répondis avec simplicité et comme on allait me mettre en liberté, un de ces monstres, qui ne respirait que le carnage, m’interpella en me disant :
Vous étiez du voyage de Varennes ?
Nous ne sommes ici, dit le président, que pour juger les crimes commis le 10 août.
Je pris alors la parole et dis à cet homme :
Que voulez-vous savoir ? Je vous répondrai.
Honteux du peu d’effet que faisait sa question, il se tut et le président, voyant le moment favorable pour me sauver, se pressa de mettre aux voix la question de ma libération ou de ma mort et le cri de « Vive la Nation » que je savais être celui du salut m’apprit que j’étais sauvée.»

           Madame de Tourzel

L’infortunée princesse de Lamballe a disparu pendant que Madame de Tourzel répondait aux questions des gens qui l’entouraient. Louise-Elisabeth comprend que les prisonniers sont menés tour à tour et qu’après avoir subi une sorte de jugement, chacun et absout ou massacré. Malgré cela elle ose espérer qu’il ne lui arrivera rien.

« Après avoir passé dans cette cour quatre mortelles heures, qu’on pourrait appeler quatre heures d’agonie, je me présentai au tribunal l’air calme et tranquille

            Madame de Tourzel

La marquise est reconduite au guichet de la prison, du côté de la rue des Balais. Elle parvient à l’extérieur. Là elle découvre un amoncellement de corps mutilés et de débris humains des prisonniers qui ont été exécutés sommairement avant son passage, et leurs bourreaux improvisés, sabres au poing, sadiques.
Elle aperçoit alors un homme relativement bien mis, c’est M. Hardy (le sauveteur de Pauline), qui s’approche et la prend par le bras. Elle se trouve entourée par six hommes d’apparence misérable qui défendent qu’on l’approche et l’embarquent dans un fiacre dont on on a fait descendre la personne qui l’occupait. Escortée, toujours, elle est conduite faubourg Saint-Germain, à l’hôtel de la marquise de Lède, qu’elle leur indique.

Elle demande des nouvelles de la princesse de Lamballe. mais le silence répond à sa question…

Massacre de la princesse de Lamballe

La vieille marquise restaure sa nièce et lui prépare des vêtements de rechange. Mais Louise-Elisabeth a surtout l’heureuse surprise de retrouver là sa chère Pauline. Les protecteurs de la marquise se retirent en refusant toute récompense.

 

Pauline et sa mère restent deux jours chez Madame de Lède. M. Hardy recommande à Louise-Elisabeth de se mettre à l’abri hors de Paris. Le jeune marquis de Tourzel s’est réfugié en lieu sûr depuis le 10 août.

Le 7 septembre 1792

Les dames de Tourzel, accompagnées de leur vieille bonne et d’une femme de chambre, s’installent à Vincennes, dans une maison située dans une « rue écartée et étroite» dans laquelle elles se calfeutrent sans même ouvrir les fenêtres. Cette vie « de prison» dure six mois … « du moins notre prison était tranquille et nous n’avions pas de geôliers» rapportera Pauline.

 

Détail du  peuple en tumulte, avec la tête de la princesse de Lamballe

Louise-Elisabeth de Tourzel est enfermée quatre mois « dans la maison de santé du citoyen Montprin et Compagnie, destinée au soulagement et à la guérison des infirmes et malades des deux sexes, établie à Paris, sous l’autorisation de l’administration de police, rue Notre Dame des Champs no 1466,  section de Mucius Scaevola, Faubourg Germain ».

Au Temple

Une forme de vie familiale reprend son cours après les atrocités de septembre…

Repas de la famille royale au Temple entre le 13 août 1792 et le 11 décembre 1792 (film Marie-Antoinette de Jean Delannoy, 1956)

Peu à peu la Famille Royale adopte un rythme de vie régulier :

6 h : lever du Roi. Prière. Le reste de la famille se lève un peu plus tard.
9 h : petit-déjeuner, assez copieux, du moins au début puis instruction des enfants
12 h : promenade sur le chemin de ronde
13 h : retour dans les appartements
14 h : déjeuner puis jeux du type échecs et broderie
16 h : sieste du Roi puis, de nouveau, instruction des enfants
20 h : dîner et coucher des enfants
21 h : dîner des adultes
Vers minuit : coucher

Reconstitution d'une chambre du Temple avec du mobilier provenant de chacune, au musée Carnavalet. Paris
Image de Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy
Louis XVI et sa famille à la prison du Temple par Edward Ward
La famille royale en promenade dans l'enclos du Temple

Le 11 décembre 1792

Louis XVI comparaît devant la Convention pour la première fois. Il est autorisé à choisir un avocat. Il demandera l’aide de Tronchet, de Monsieur de Sèze et de Target. Celui-ci refuse. Monsieur de Malesherbes (1721-1794) se porte volontaire.

Du 16 au 18 janvier 1793

La Convention vote la mort du Roi. Philippe Égalité est l’un de ceux qui ont donné leur voix pour la peine capitale.

Le 20 janvier 1793

Louis XVI dit adieux à sa famille. Il ne les reverra pas le le ndemain matin comme il le promet pourtant à la Reine pour La rasséréner.

Les adieux de Louis XVI à sa famille par Benjamin Warlop

Le 21 janvier 1793

Exécution de Louis XVI , place de la Révolution.

Louise-Elisabeth et Pauline sont désespérées, dans leur retraite, comme ensevelies, où le seul moyen de vivre était de se faire oublier, ne recevant de visite que du fidèle monsieur Hardy.

Le 18 mai 1793

Sa fille, Joséphine de Sainte-Aldegonde donne naissance à une fille, Antoinette (1793-1874) à Bruxelles. Elle sera mariée le 24 novembre 1817 à Paris, à Passy, avec Arthus de Cossé-Brissac (1790 – 1857), courtisan (premier maître d’hôtel du Roi Louis XVIII, premier panetier de France).

Madame de Tourzel et sa fille quittent sans regret Vincennes, elles repassent à Paris avant de s’éclipser on ignore où. Elles doivent obtenir du département de Paris un certificat selon lequel elles ne sont pas portées sur la liste des émigrés. Elles ont surtout la consolation de rencontrer l’abbé Edgeworth, le prêtre qui a accompagné Louis XVI jusqu’à l’échafaud. Il leur évoque les derniers instants du Roi.

En juin 1793

Louise-Elisabeth et Pauline prennent la route de Nantes, travesties en habits de bourgeoises. Elles s’arrêtent au Mans où les attend un attelage. Elles retrouvent le jeune marquis de Tourzel à Sourches. C’est un grand soulagement pour celles qui n’ont connu que des prisons (contrainte puis volontaire, à Vincennes) depuis dix mois ! La fille aînée de Louise-Elisabeth, Madame de Charost, les y rejoint bientôt.

 

Le 3 juillet 1793

Louis-Charles, Louis XVII, est enlevé à sa mère et confié au cordonnier Antoine Simon (1736-1794).

Madame de Tourzel est effondrée en apprenant cela.

 

Le 2 août 1793

Marie-Antoinette est transférée de nuit à la Conciergerie.

Nul n’ignore que la Conciergerie est l’antichambre de la mort …

Le lundi 14 octobre 1793

Marie-Antoinette comparaît devant le président Herman(1759-1795).

Image de L'Autrichienne (1990) de Pierre Granier-Deferre

Le 16 octobre 1793

Exécution de Marie-Antoinette, place de la Révolution .

Les dames de Tourzel apprennent par la rue l’exécution de la Reine, qui leur déchire le cœur. Elles savent Son attitude courageuse devant le tribunal révolutionnaire, Son appel à toutes les mères, Sa sortie de la Conciergerie en déshabillé blanc…

Le 14 novembre 1793

Pierre-Louis Manuel (1751-1793), l’ancien procureur syndic de Paris qui , avec Billaud-Varenne et Tallien, leur a permis de s’exfiltrer de la prison de La Force, est guillotiné à son tour.

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En Décembre 1793

Elles se rendent à Abondant., chez le fils de Louise-Elisabeth, à une lieue et demie de Dreux. De là, elles ne sont qu’à dix-neuf lieues de Paris. La marquise y retrouve après quatre d’absence ses salons et le confort de sa chambre.

Pierre-Louis Manuel

En avril 1794

L’arrestation de la famille, avec conduite dans une prison de Paris en deux voitures, la première Madame de Charost et Charles-Louis Tourzel, Pauline et sa Mère dans la seconde ….  Madame de Tourzel peut opter pour la prison de son choix, elle demande donc l’ancien couvent des Anglaises, rue Saint-Jacques, mais le Commissaire qui les conduit, conseille plutôt les Bénédictins Anglais où elles seraient plus au calme… d’accord pour les Bénédictins Anglais, rue Saint-Jacques.

Cour du couvent des Bénédictins Anglais, rue Saint-Jacques

Toutes trois, Louise-Elisabeth, Henriette et Pauline, sont installées dans une petite chambre au troisième étage sous les toits : trois lits de sangle ne laissant pas grand place pour se retourner, mais grâce à la mansarde, une vue étendue et de l’air …

Le 10 mai 1794

Madame Élisabeth est exécutée à son tour après un procès factice.

Madame Royale reste seule au Temple.

Le 7 juillet 1794

Son cousin, Louis-Joachim, duc de Guesvres, gouverneur de la province d’Île-de-France, est exécuté.

Le 26 juillet 1794

La marquise d’Armentières, née Sennectère, belle-mère de sa nièce, la jeune Amélie d’Havré, monte à l’échafaud

Le 27 juillet 1794 (ou le 9 thermidor)

La dernière charrette, emportant cinquante-trois personnes, dont la princesse de Monaco, née Choiseul-Stainville, est plusieurs fois arrêtée lors de son parcours jusqu’à la place du Trône renversé :                                                                                                 en effet, au même moment se déroule le complot mettant fin au pouvoir de Robespierre.

Mais ce n’est pas suffisant. Ces dernières victimes de la Terreur n’échapperont pas à leur sort.

Image du film de Benoît Jacquot Sade (2000) : l'arrestation de Robespierre

Robespierre, blessé par balle au visage et gisant sur un brancard, rejoint ses compagnons à la Conciergerie emprisonnés dans la nuit ou en début de matinée.

Arrestation de Robespierre

Cinq cent détenus forment une haie, explosant de joie.

La chute de Robespierre ramène l’attention sur les deux enfants prisonniers, dont on améliore peu à peu les conditions de détention.

L'exécution de Robespierre

En août 1794

Madame et mademoiselle de Tourzel sont transférées dans la prison de Port-Libre, où chacun a peur d’être dénoncé par un codétenu. Elles n’ont «de rapports qu’avec Mesdames de Lambert et de la Rochefoucauld et Monsieur d’Aubusson, dont la société (leur) est une consolation.»

Image du film de Benoît Jacquot Sade (2000) : les lieux figurent la maison de santé du couvent de Picpus dont l'apparence ressemble à la prison de Port-Libre
Image du film de Benoît Jacquot Sade (2000) : arrivée des nouveaux détenus : la vicomtesse de Lancris (rôle tenu ici par Dominique Reymond) n'a rien à voir avec madame de Tourzel, sauf l'allure ... de «dame au chapeau» comme on qualifiera Louise-Elisabeth ...
La prison de Port-Libre (Port-Royal)
Image du film de Benoît Jacquot Sade (2000) : la façade de la maison de détention
Image du film de Benoît Jacquot Sade (2000) : la consolation dans la société d'honnêtes gens.

La prison de Port-Libre dit aussi «prison de la bourbe» ou «prison de la suspicion» désigne le couvent de Port-Royal fermé en 1790 et réquisitionné en maison d’arrêt de 1790 à 1795. La plupart des détenus n’en sortent que pour aller à l’échafaud : des charrettes conduisent ces prisonniers vers la Conciergerie, l’antichambre de la mort.

« Rien ne ressemblait moins à une prison ; point de grilles, point de verrou ; les portes n’étaient fermées que par un loquet. De la bonne société, excellente compagnie, des égards, des attentions pour les femmes; on aurait dit qu’on n’était qu’une même famille réunie dans un vaste château.» 

            Honoré-Jean Riouffe (1764-1813)

Il y a cinq cents détenus à Port-Libre.

Image du film de Benoît Jacquot Sade (2000) : attente des nominations des condamnés à mort
Image du film de Benoît Jacquot Sade (2000) : appel des condamnés à mort
Image du film de Benoît Jacquot Sade (2000) : les couloirs qui mènent aux chambres qui sont d'anciennes cellules monacales.
Images du film de Benoît Jacquot Sade (2000) : le réfectoire dans la salle communale

Le 3 août 1794

Une affreuse nouvelle parvient de Nimègue : il s’agit de l’exécution de sa fille, Zoé, comtesse de Sainte-Aldegonde (1767-1794), victime de la révolution français, à l’âge de vingt-sept ans, à Nimègues.

Le 6 septembre 1794