Marie-Joséphine Louise Bénédicte de Savoie est fille aînée de Victor-Amédée III de Savoie (1726-1796), Roi de Sardaigne et de Marie-Antoinette Ferdinande de Bourbon (1729-1785), infante d’Espagne de ce fait la sœur aînée de la comtesse d’Artois.
Le 2 septembre 1753
Naissance de Marie-Joséphine Louise Bénédicte de Savoie.
Le 31 janvier 1756
Naissance de sa petite sœur, Marie-Thérèse de Savoie.
Sur l’enfance de Marie-Joséphine, on ne sait pratiquement rien. Cette princesse voit le jour dans l’une des cours les plus fermées d’Europe. L’étiquette et les exercices de piété suppléent au naturel. Les enfants royaux sont abandonnés aux mains des gouvernantes. Deux femmes supervisent la vie quotidienne des princesses, la comtesse Radicata, dame du palais et la comtesse Maffei, dame en titre. A l’évidence, on ne s’amuse guère…
C’est son grand-père, Charles-Emmanuel III qui règne au moment de sa naissance. Elle a un frère aîné, Charles-Emmanuel, trois sœurs cadettes et quatre frères cadets. La Cour de Piémont-Sardaigne est très stricte, et la princesse y reçoit une éducation sévère et pieuse, sous la houlette de gouvernantes, car sa mère n’est pas une femme très chaleureuse.
Si l’on copie les manières françaises, on n’a pas une once d’esprit français. Tout est codifié, réglé, minuté à l’extrême. Si l’on a beaucoup d’enfants, on ne les caresse pas beaucoup pour autant. On peut imaginer le résultat d’une telle éducation vouée uniquement au devoir et à l’obéissance : les petits princes ne s’épanouissent pas et ressemblent à de petites figures de cire.
Le 5 octobre 1766
Naissance à Turin du benjamin de la fratrie, Joseph-Benoît de Savoie, comte de Maurienne (1766-1802).
Le résultat de cette éducation quasi carcérale, ultra sévère, sans nulle fantaisie ne permet pas aux enfants de Victor-Amédée III et de Maria-Antonia de s’épanouir. De fait, la Cour de France, lieu de vie des futures comtesses de Provence et d’Artois représentera un rude écueil pour les princesses Marie-Joséphine et Marie-Thérèse.
Leur adaptation à Versailles ne pourra qu’être lente, difficile, complexe, semée d’embûches.
« Je crois que vous aurez reçu l’empereur comme il le désire. L’on dit qu’il doit pousser son voyage jusqu’à Turin pour y voir l’aînée des princesses de Savoie pour l’épouser s’il la trouve à son gré. J’ai son portrait qui me plaît tout à fait. Je ne sais si au naturel il la trouvera de même.»
Le 19 juin 1769, le Roi de France écrit au duc de Parme :
« C’est le onze que l’empereur a dû arriver à Turin, j’espère en avoir des nouvelles jeudi prochain et je vous avoue que je suis curieux de ce voyage, car nous en avons besoin aussi de ce pays là.»
«… Ce nest pas sa seule commission, et je suis aussi très intéressé, c’est de bien examiner les princesses de Savoie et de m’en rendre un compte exact pour savoir laquelle je pourrais demander pour le comte de Provence.»
Elle est choisie à l’âge de dix-sept ans pour devenir l’épouse de Louis Stanislas Xavier , comte de Provence frère de Louis XVI.
Un document rédigé à la veille du mariage de Marie-Joséphine de Savoie intitulé «Règles de conduite pour une princesse épouse» qui ne laisse aucune place à une quelconque liberté pour une jeune fille.
Les principes déclinés dans cet ouvrage sont terribles ; la femme doit être soumise en tout point : «Quelque sujet de plainte qu’une femme puisse recevoir de son mari, la femme ne doit jamais s’abandonner à la tristesse, ni au chagrin, elle ne se permettra ni murmures, ni reproches.»
On déconseille à la future mariée le luxe, la vanité. Les principes d’obéissance et de soumission sont récurrents sans compter un appel à une trop grande familiarité car une trop grande intimité peut provoquer «des sentiments de froideur et de dégoûts» !
Manifestement, les jeunes princesses piémontaises sont bien mal préparées aux mentalités françaises et aux usages de la Cour de Versailles.
Le 3 novembre 1770
Adresse officielle de demande en mariage le 3 novembre 1770 et envoi du baron de Choiseul à Turin pour représenter les intérêts du Roi de France. C’est à cette époque que Marie-Joséphine reçoit le portrait de son futur époux en miniature monté en bracelet.
Le 16 avril 1771
Le contrat nuptial est signé, parmi les quatorze articles un attire particulièrement l’attention : Louis XV lui donne pour 300 000 livres de bijoux. Il est vrai que la cour de France a depuis toujours la réputation de couvrir ses princesses de joyaux chatoyants.
Pour marier les deux jeunes gens, Louis XV a voulu un éclat identique au mariage qui avait été donné pour le Dauphin un an plus tôt. Après des années de fronde parlementaire et le désastreux traité de Paris de 1763, le Roi veut rehausser le prestige de la monarchie en donnant un apparat vraiment royal pour les alliances de ses petits-enfants.
Comme Marie-Antoinette, l’année précédente, elle a remarqué une femme éblouissante aux côtés de Louis XV. C’est la favorite du Roi, elle est toute-puissante, elle a pour nom la comtesse du Barry. Jeanne du Barry espère beaucoup de la princesse de Savoie.
Les 11, 12 et 13 mai 1771
Petit séjour à Fontainebleau pour accueillir Marie-Joséphine.
Le 11 Mai 1771
Louis XV quitte Versailles à la rencontre de Marie-Joséphine, future Comtesse de Provence.
Le Roi quitte le château vers les deux heures et demie, avec Monseigneur le Dauphin , Madame la Dauphine, le comte de Provence et Mesdames Adélaïde, Victoire et Sophie pour se rendre à Fontainebleau , où ils retrouvent le marquis de Chauvelin , Maître de la Garde-robe du Roi, que Sa Majesté a envoyé pour complimenter Madame la comtesse de Provence. Lorsque Madame la comtesse de Provence aperçoit le Roi, elle descend de son carrosse, elle marche au-devant de Sa Majesté, ayant auprès d’elle le comte de Berrenger, son chevalier d’Honneur et le marquis de Nesle, son premier écuyer , qui lui donnent la main. Elle est accompagnée de la duchesse de Brancas , sa dame d’honneur, de la comtesse de Valentinois, sa dame d’Atours et des Dames que le Roi a nommées. La princesse se jette aux pieds du Roi qui la relève et après l’avoir embrassée avec beaucoup de tendresse, lui présente Monseigneur le comte de Provence qui l’embrasse.
Après cette entrevue, le Roi remonte en carrosse pour retourner à Fontainebleau : il fait placer madame la comtesse de Provence auprès de lui. Au château, elle rencontre le comte et la comtesse de la Marche, le comte d’Eu, le duc de Penthièvre et la princesse de Lamballe.
Le 12 mai 1771
La princesse rencontre sa nouvelle famille et la Cour en forêt de Saint-Herem près de Fontainebleau. Lors de l’entrevue de Saint-Herem, une personne ne cache pas sa satisfaction. La Dauphine Marie-Antoinette, dès qu’elle a vue Marie-Joséphine, s’est convaincue que Sa belle-sœur disgraciée par la nature ne Lui ferait pas d’ombre. Car autant la Dauphine paraît spontanée et gracieuse, autant la comtesse de Provence se tient sur son quant-à-soi et paraît revêche.
Marie-Antoinette aurait écrit, selon Lescure :
«…On a rencontré la Comtesse assez loin de Fontainebleau. Le roi l’a reçue avec une tendresse toute paternelle, et tout de suite il l’a présentée à M. de Provence, qui l’a saluée à la joue, puis M. le Dauphin, moi et mes tantes en avons fait autant; elle paraissait ravie et très-émue de notre accueil; elle a eu pour moi une attention particulière et m’a embrassée deux fois. La terrible épreuve de la première vue ne paraît pas lui avoir été défavorable du côté de M. de Provence; c’est l’essentiel; il n’en est pas de même du côté de M. le Dauphin, qui ne la trouve pas bien du tout…Elle a de bien beaux yeux, mais avec des sourcils très épais et un front bas, chargé d’une forêt de cheveux qui lui donnent un air dur dont elle n’a pas le caractère, car elle est, au contraire, douce et timide. Décidément M. de Provence en a l’air très épris…
On est rentré à Fontainebleau, et les présentations ont commencé. Je plains la pauvre enfant, car je me rappelle l’année dernière; en arrivant, elle m’a dit à part qu’elle comptait beaucoup sur mon amitié et mes conseils…Du reste, elle se tire à merveille des difficultés.»
D’emblée, dès l’instant ou la princesse savoyarde descend de carrosse, la déception voire la consternation se lisent sur presque tous les visages. La comtesse de Provence ne plaît pas.
« Sa contenance est froide, embarrassée, elle parle peu, sans grâce et elle n’a rien de ce qui est nécessaire pour plaire à cette nation.»
Le comte de Mercy
« Cette princesse est très brune : elle a d’assez beaux yeux mais ombragés de sourcils très épais ; un front petit ; un nez long et retroussé ; un duvet déjà très marqué aux lèvres.»
Pisandat de Meirobert dans les Mémoires Secrets
Les autres décrivent avec complaisance ses sourcils en broussaille, ses moustaches ou son air emprunté. Un fait parait certain : la princesse est affligée d’un système pileux développé.
Le 14 février 1771
Mariage du comte de Provence ( né le 17 novembre 1755) , frère du Dauphin et de Marie-Joséphine de Savoie.
Le 15 février 1771
Le lendemain, Louis Stanislas du haut de ses quinze ans déclare à son grand-père qu’il a été «heureux quatre fois !». Ce qui veut dire en langage moderne qu’il a honoré quatre fois sa femme. Pourtant, d’après la correspondance de Marie-Joséphine à sa famille, il semble que le mariage n’ait jamais été consommé.
Marie-Joséphine confiera pourtant «je ne m’en suis pas aperçue».
Troublant.
Si Louis XV a fait mine de le croire de bonne foi, un silence de plomb entoure la nuit de noces. Contemporains, échotiers et gazetiers ne disent mot. C’est le contraste parfait avec les rumeurs de non-consommation du Dauphin et de Marie-Antoinette en 1770. La thèse la plus admise aujourd’hui réside dans le fait que l’union des Provence ne fut pas consommée le soir du 14 mai 1771. Louis-Stanislas a préféré mentir plutôt que d’endurer les bruits malveillants dont son frère aîné était l’objet.
La réputation de son physique décrit par ses contemporains en laisse un portrait peu flatteur et comme un malheur ne vient pas seul, on ne lui prêtera guère d’esprit. Voici le portrait qu’aurait fait le coiffeur Léonard Autier de la comtesse de Provence :
« Madame était une bonne grosse créature de dix-huit ans, fort commune, que l’on paraissait avoir échangée dans les Alpes contre la Princesse amenée de Turin. En langage d’officier de dragons, Son Altesse Royale se fût appelée une bête à tous crins d’une puissante espèce…Tête couronnée d’une épaisse forêt de cheveux noirs, front couvert, sourcils touffus ombrageant des yeux assez beaux, nez retroussé, lèvres épaisses et surmontées de moustaches passablement prononcées ; le tout se produisant sur un teint fort brun et haut en couleur. Voilà pour le visage.
La taille de Son Altesse Royale, plus développée en épaisseur qu’en élévation, était surmontée d’une gorge tellement volumineuse, qu’il fallait, à l’aide d’un déplacement, heureusement assez facile, en faire disparaître la moitié, pour sauver à Son Altesse Royale l’embarras d’une surabondance monstrueuse de charmes… Mais ce que tout l’art des femmes de chambre ne pouvait dissimuler, c’était un double hémisphère autrement situé, et tel que les brasseur de Paris se plaisent à l’entretenir sur la croupe de leurs chevaux…Lorsque Madame marchait , il y avait un frémissement de cette partie qui achevait de rendre sensible la comparaison.
Les cheveux de Madame, gras, durs et rebelles à la frisure, annonçaient, comme toutes les parties de son illustre personne, une abondance de vitalité que le Comte de Provence devait être peu propre à seconder, si les rapports de la chronique secrète n’outraient pas les défauts de Son Altesse.»
Elle consentira à se faire épiler les sourcils, mais elle n’usera qu’avec parcimonie des parfums et des fards. Elle n’a pourtant que l’embarras du choix sur sa table de toilette.
« J’arrive de recevoir la comtesse de Provence. Elle est très bien faite, pas grande, de très beaux yeux, un vilain nez, la bouche mieux qu’elle n’était, fort brune de cheveux et de sourcils, et la peau parfaite pour une brune. Ses dames la disent très aimable, c’est ce que nous verrons. »
Lettre de Louis XV à son petit-fils l’Infant Ferdinand de Parme du 12 mai 1771
C’est l’un des rares témoignages physiques en faveur de la comtesse de Provence. Louis XV dit-il la vérité ou se montre t-il indulgent ? Peut être un mélange des deux. A tout le moins, le Roi pense sans doute qu’il ne peut se permettre de dire des choses désobligeantes à l’égard de sa nouvelle petite-fille par alliance.
Le premier appartement du comte et de la comtesse de Provence au château de Versailles
Cet appartement double, occupé par le couple princier, de 1771 à 1774, est souvent oublié car il n’existe plus à proprement parler car une partie était aménagé dans la galerie basse alors cloisonnée par diverses pièces pour l’usage de Madame Louise, le service de Mesdames de France sur l’emprise où plus tard, Madame Sophie, tante du Roi, disposera d’un appartement «simple».
Cette installation est ce que l’on nomme un appartement double, soit un ensemble de deux logements distincts , se distribuant de part et d’autre d’antichambres communes. Trois pièces sont communes : la salle des gardes, la première antichambre et la seconde antichambre, qui correspondent aujourd’hui à celles de l’appartement du Dauphin. La salle des gardes primitive avait été diminuée par plusieurs retranchements : une salle des Suisses de Monsieur fut ajouté dans la salle des gardes au plus prés des marches montant à la cour de Marbre, pour trois petites pièces destinées aux valets et femmes de chambre, le restant , du côté de la cour intérieure sert de corps de garde et de vestibule proprement dit.
De la seconde antichambre, ayant vue sur le parterre d’eau, la porte à double battants de gauche donnent chez le comte de Provence, celle en vis à vis, à droite, donne chez la comtesse.
Le comte de Provence, jeune marié, est logé alors dans l’ancien appartement de son père, le Dauphin Louis Ferdinand, au rez-de-chaussée du corps central du château, sous le salon de la Paix et la chambre de la reine. Il a servi précédemment à loger Madame Louise avant son départ au carmel en 1770 puis provisoirement la Dauphine Marie Antoinette, avant Son installation définitive chez la Reine. La distribution du logement est conservée : chambre, grand cabinet d’angle, cabinet intérieur ( c’est la bibliothèque ) ainsi que les pièces intérieures ou « caveau » sur la cour intérieure : garde robe, cabinet de chaise, pièce des garçons de la chambre, entresols ). Monsieur possédera une bibliothèque dans l’ancien « caveau de Monseigneur ».
Les décors du Dauphin Louis Ferdinand seront conservés, probablement rafraîchis pour le prince.
Pour la mariée, le service des Bâtiments, crée « dans l’économie» , un nouvel appartement, dans l’extrémité sud de la galerie basse sur l’emprise de petites pièces de service ou retranchement qui devaient exister à la fin du règne de Louis XV sous la galerie des glaces. Les décors semblent être assez modestes, car Madame Sophie, l’occupante suivante des lieux, en demandera le renouvellement après le départ de la comtesse de Provence en 1774. Il s’agira probablement , comme à l’habitude, de bas lambris à simples moulures avec tentures, de boiseries de hauteur assez sobrement dorées ou peintes ( souvent du réemploi ) ou de la simple peinture à la détrempe.
Comme son mari, la princesse dispose de pièces intérieures dans cet appartement, probablement disposées dans les entresols du passage, de la garde-robe et peut être du cabinet intérieur. On sait aussi que le couple dispose – jusqu’en 1779 – d’une salle de bains commune, avec cabinet d’aisance , entresols de service, et escalier des baigneurs, installée sur la cour de marbre aménagée dans l’ancien retraite du premier valet de chambre du Dauphin Bine, à l’endroit où Marie Antoinette fera installer la grande salle de bains bleue et blanche de Son petit appartement en 1789.
Cette pièce des bains est utilisée avec parcimonie semble–t-il, par la comtesse de Provence, peu soucieuse par l’hygiène au début de son mariage.
Rappelons qu’à même époque, le Dauphin Louis-Auguste habite l’appartement de la Dauphine, contigu à celui de Monsieur. La Dauphine Marie-Antoinette loge alors dans l’appartement de la Reine. Ces deux logements sont reliés par un escalier intérieur, établi dans l’ancienne salle de bains de la Dauphine Marie-Josèphe, sur les emprises futures des méridiennes de la Reine et de Madame.
La mort de Louis XV mettra en question cette distribution du rez-de-chaussée du corps central. Le comte et la comtesse de Provence, devenus héritiers présomptifs de la Couronne, déménageront à nouveau.
Les 11, 12 et 13 mai 1771
Petit séjour à Fontainebleau pour accueillir Marie-Joséphine de Savoie.
Si Marie-Antoinette occupe la première place protocolaire, la Dauphine n’est pas sans inquiétudes depuis l’arrivée de Marie-Joséphine. Car si cette dernière ne peut la surpasser sur le terrain de l’esthétique, elle est assurément intelligente, prudente et fait preuve d’un grand sens de l’observation. La comtesse de Provence peut attirer l’intérêt du Roi, de quoi provoquer bien des jalousies.
Celle qui règne véritablement sur Versailles est la belle Madame du Barry, favorite de Louis XV. Justement la Dauphine déteste la Du Barry et la traite par le mépris, encouragée en cela par Ses tantes, Mesdames, filles de Louis XV, trois vieilles filles.
Le comte de Provence est faux, et louvoie entre les deux factions, imité par sa femme. Marie-Joséphine tente de se montrer solidaire d’un mari qu’elle méprise en secret.
Avec la Dauphine et le comte d’Artois, les Provence montent sur les planches, dans le secret d’un théâtre clandestin, ignoré du Roi.
C’est certain, Marie-Joséphine est laide, velue sur le front, sur la lèvre supérieure et, on l’apprendra plus tard, sur la poitrine mais cette petite brune a tout de même de beaux yeux, très grands, très vifs, fort heureusement serait-on tenté d’ajouter ! La princesse a également une certaine présence :
« (…) Elle avait un maintien grave qui contrastait avec l’enjouement de madame la Dauphine : on eût dit que l’une était Française, l’autre Espagnole.»
Patrick Daguenet, Les Séjours de Marie-Antoinette à Fontainebleau (1770-1786), 2004
Si Marie-Joséphine est loin d’être séduisante, Provence n’a rien d’un Adonis. Les portraits du petit-fils cadet de Louis XV nous montrent un jeune homme au visage trop plein rehaussé cependant de beaux yeux noirs expressifs. D’un embonpoint précoce, il se dandine pompeusement comme un coq de basse-cour. Sa santé n’est pas brillante : sujet à la gloutonnerie, il a de fréquentes indigestions et des poussées de fièvre. Au cours d’une maladie en 1772, il perd tous ses cheveux. Louis Stanislas est contraint de porter perruque. Marie-Joséphine ne trouvera rien de mieux en le surnommant «Prince Tignasse !».
A l’instar de Marie-Antoinette pour Sa famille, la comtesse de Provence est appelée à servir les intérêts de la maison de Savoie. Ses parents encouragés par son brillant mariage, nourrissent l’espoir le marier leurs autres enfants avec des princes français afin de renforcer l’alliance franco-savoyarde. Or, Marie-Joséphine éprouve une vive affection pour Clotilde qui lui rappelle peut-être ses petites sœurs Marie-Thérèse, Marie-Anne et Marie-Caroline restées à Turin. Sans même que l’innocente «Gros Madame» ne se doute de l’audacieuse ambition de sa belle-sœur, Marie-Joséphine avise personnellement son père du parti à prendre de la princesse Clotilde, le 17 mars 1773 :
« Si Madame épouse mon frère, j’en aurais grande joie, car outre que je l’aime beaucoup, c’est une excellente acquisition à faire. On a raconté ici que vous l’aviez promis à feu M. le dauphin, mon beau-père, se cela est, je ne doute pas que le mariage se fasse.
Pour la figure, elle est très bien, une belle physionomie, de beaux cheveux blonds, de belles dents, des yeux bleus bien taillés et un teint admirable. Elle est fort grandie depuis que je suis ici et même un peu maigrie, de plus elle est parfaitement réglée. Voila ce qui en est.
Elle est élevée dans la plus grande perfection, une humeur égale et toujours gaie, avec beaucoup de douceur et d’esprit. Enfin, on peut dire que c’est une princesse accomplie, et heureux qui la possédera ! Pour moi, je l’aime à la folie… Pardonnez mon impertinence de me mêler où je n’ai que faire, mais il me paraît que ce serait charmant et même plus commode, qu’il fut en même temps que l’autre, soit pour la dépense, soit pour tout. On avait dit, comme vous savez, que Madame était petite, je vous assure qu’il n’en est rien, au contraire, elle est plus grande que moi et elle est fort développée pour on âge, enfin elle a toute la raison possible...».
La Dauphine essaie d’initier Sa belle-sœur à l’étiquette versaillaise. La comtesse de Provence passe beaucoup de temps en Sa compagnie, mais au fond d’elle-même, elle ne peut pas L’apprécier ! Les deux jeunes femmes sont trop différentes : Marie-Antoinette aime le bruit, la fureur, les bals, les toilettes … Alors que Marie-Joséphine est très discrète et est beaucoup plus sérieuse. Mais elle se tait, et tente de garder des bonnes relations avec tout le monde, ce qui la fait taxer d’hypocrisie.
Le 16 octobre 1773
Accident de Pierre Grimpier, vigneron d’Archères, âgé de trente ans et père de trois enfants, lors d’une chasse du Roi : il est grièvement blessé à la cuisse et au corps par un cerf poursuivi par la meute.
« Madame, il vient d’arriver un malheur affreux ; le cerf a sauté dans le jardin d’un pauvre vigneron, qui a été effrayé ; il a voulu fuir, le cerf l’ a tué. C’est sa malheureuse femme qui vient par ses cris de m’apprendre ce malheur. J’ai envoyé sur-le-champ du monde pour la secourir, et j’ai envoyé au rendez-vous pour avoir le chirurgien. Il n’a que trente ans et trois enfants dont j’aurai soin ; mais la pauvre femme, cela ne lui rendra pas son homme. […]»
Louis XV à Marie-Antoinette
La Dauphine et la comtesse de Provence descendent de voiture pour porter assistance à l’homme et sa famille.
La scène va marquer les esprits.
En 1773
Louis XV sollicite encore une princesse de Savoie pour la main de son dernier petit-fils. Le Roi semblait pencher pour Marie-Anne, la troisième fille de Victor-Amédée III, mais Marie-Joséphine fait pencher la balance en faveur de Marie-Thérèse, la princesse qui arrive juste après elle.
Le 20 février 1773
Décès de son grand-père paternel, Charles-Emmanuel III (1701-1773), Roi de Sardaigne. Son père, Victor-Amédée III (1726-1796), devient Roi de Sardaigne.
Le 16 novembre 1773
Mariage du comte d’Artois, frère du Dauphin et de Marie-Thérèse de Savoie, sœur de Marie-Joséphine.
Elle devient ainsi la belle-sœur de sa sœur Marie-Joséphine et cela renforce le clan savoyard à la Cour de France. A la Cour de Turin, ces deux princesses se détestaient, mais la Cour de France et Marie-Antoinette vont les faire se rapprocher.
La nouvelle comtesse d’Artois n’est guère plus belle que son aînée, mais son mari est beaucoup plus entreprenant que ses frères aînés, si bien qu’elle se trouvera vite enceinte et mettra au monde quatre enfants. Mais sans esprit et sans beauté, elle ne saurait faire ombrage à la ravissante Dauphine ! Marie-Joséphine, dans les premiers temps, essaie de protéger sa jeune sœur des méchancetés de la Cour de France, mais très vite, leurs liens se distendent.
Printemps 1774
On assiste, pendant le carnaval, au début de la faveur de la princesse de Lamballe… qui est née Marie-Thérèse de Savoie-Carignan et est donc cousine de Marie-Joséphine.
Le 10 mai 1774
Mort de Louis XV.
Avec la montée sur le trône de Louis XVI, Marie-Joséphine prend le titre de Madame, qui ne lui donne pas pour autant d’influence réelle sur la Cour. Le faste de son opulente Maison atteint 256 personnes. Son mariage n’est pas des plus fructueux, mais elle trouve assez de complicité avec son mari pour mettre en place de véritables attaques sur la réputation de Marie-Antoinette.
A l’avènement de Louis XVI
Les Provence étendent leurs appartements en retour d’angle sur le Parterre du Midi dans l’ancien Appartement de la Dauphine, libéré par le nouveau Roi, abandonnant la partie sud de la Galerie Basse à Madame Sophie, fille de Louis XV.
Le deuxième appartement du comte et de la comtesse de Provence
1774 – 1787
Comme héritiers présomptifs de la Couronne, un seul appartement du château peut convenir au comte et à la comtesse de Provence, revêtus de cette nouvelle dignité : c’est l’appartement du Dauphin et de la Dauphine, au rez-de-chaussée du corps central sous le grand appartement de la Reine car il est traditionnellement octroyé de droit à l’héritier du trône. Ce vaste appartement double sera donc occupé par les princes de 1774 à 1787, jusqu’au moment où la Reine, désirant se rapprocher de Ses enfants, y fera installer Madame Royale, Sa fille et le Dauphin, Son fils aîné. En conséquence, le comte de Provence, devenu Monsieur, reviendra où il était depuis son mariage. Divers travaux, remaniements, projets sont effectués sous le règne de Louis XVI afin de donner le lustre protocolaire et du confort moderne à l’appartement du frère du Roi, son héritier jusqu’en 1781. On lui installe, par exemple, sous les arcades séparant les deux cours intérieures, une salle des suisses, derrière une porte de glaces de sa salle des gardes. C’est probablement de cette antichambre que parle le page de Monsieur, le comte de Liedekerke Beaufort, dans ses mémoires, évoquant les plaisanteries auxquelles s’adonne le Roi en rentrant chez lui, au sortir du souper de Madame, sur des domestiques endormis allongés sur des banquettes au pourtour de la pièce.
Des plans conservés aux archives nationales peuvent nous renseigner sur la distribution établie pour le couple. C’est Madame qui bénéficie d’un appartement plus beau et plus vaste, digne de son rang de belle-sœur du Roi : elle hérite de l’appartement de la Dauphine en son entier. La distribution primitive du logement de sa belle-mère, la Dauphine Marie-Josèphe est rétablie pour elle : un vestibule pour la sentinelle, deux antichambres, un grand cabinet, une chambre-à-coucher, un cabinet intérieur à niche de glaces. Elle demande le percement d’une porte dérobée dans sa chambre, parallèle à celle qui existe depuis le Dauphin, ouvrant sur le corridor des chambres-à-coucher et qui donne accès à sa future méridienne. Comme chez la Reine, cette porte dérobée sous tenture permet d’accéder à son nouvel appartement des bains, à une garde-robe et à des commodités, sans pénétrer par son billard et sa salle-à-manger.
L’escalier privé du Dauphin est conservé, un temps, à l’usage de passage de la famille royale, qui déambule librement dans les intérieurs du château aux moyens de passe partout que chaque membre possède. Ainsi, la Reine l’utilise probablement pour aller chaque soir au souper de Madame où cette dernière régale son monde de cette fameuse « soupe aux petits oiseaux ». L’installation de ce degré en 1770 – dont le plafond et la corniche sculptée existent encore, cachés par le faux plafond de la méridienne – a fait disparaître la salle de bains du couple delphinal, décorée de marbres et de stucs ainsi que « le petit cabinet en entresol de la dauphine » décoré de vernis Martin, dont les boiseries seront ensuite remontées chez la Reine, dans le boudoir à côté du cabinet doré qui existe encore.
Pour l’usage de leur vie privée, Monsieur et Madame disposent, outre leurs cabinets intérieurs respectifs, contigus l’un de l’autre, d’autres pièces sur les cours intérieures. Comme aux règnes précédents ces pièces secondaires sont constamment remaniées, modifiées, entresolées, réduites, agrandies, avec des fonctions changées constamment selon les besoins du moment, les désirs et le confort de l’occupant et surtout la volonté du Roi et tout particulièrement ici de Marie-Antoinette. Elle utilisera, aussi à des fins temporaires, les premières pièces de l’appartement de Madame, quand on installe, sur ses ordres suivant les saisons, les fameuses baraques de bois, contre les façades du rez-de-chaussée pour les « bals de la Reine ». Les antichambres de Madame servent alors d’entrées et de dépendances à la salle de bal, à la salle-à-manger, à la salle-du-jeu et aux déambulatoires de cette installation somptueuse temporaire, plaquée contre les fenêtres de Madame.
Décrire les cabinets de Madame est plus difficile, car on dispose encore moins de précisions. Les distributions de cet espace ont souvent varié au cours du règne, l’appartement intérieur de la comtesse a été considérablement remanié dans la courte période qui sépara 1787 des journées d’octobre 1789 quant il est question d’y loger la petite princesse qui y dispose de sa garde robe, sa salle de bains et ses commodités et surtout des gouvernantes des Enfants de France, la duchesse de Polignac puis la marquise de Tourzel – pour qui la totalité des cabinets de Madame , serviront de logement de fonction. On sait, par exemple, que le réchauffoir et la salle-à-manger deviendront antichambres, le boudoir le cabinet intérieur de la gouvernante et que le cabinet de la Dauphine sur les jardins, sera converti en chambre-à-coucher personnelle pour madame de Tourzel, intercalée entre les chambres des enfants par des tambours de portes. Les cloisonnements de pièces ont bouleversé les cabinets de la princesse dont on a perdu le souvenir. Sous Louis XVIII, ce logement de fonction de la gouvernante sera encore remanié et décoré pour la duchesse d’Angoulême qui n’y viendra jamais. C’est ce dernier état qui est visible aujourd’hui.
En 1774, on trouve chez Madame, derrière la porte de l’alcôve de sa chambre, une garde robe de commodité ( sous la bibliothèque de la Reine ), deux anciens oratoires ( sous la terrasse du cabinet doré de la Reine ), un cabinet de garde robe à l’emplacement de l’ancien passage avec un escalier pour l’entresol de la Dauphine ( sous le supplément de bibliothèque de la Reine ), et trois pièces de services pour les garçons et les femmes de chambre sous les arcades de la salle et de la chambre des bains de la Reine. Il semble que Madame ordonne un certain nombre de remaniements et de changements dans cette distribution, notamment après 1779 et 1781 suites à la perte de la salle-de-bains de 1770, la destruction de l’escalier intérieur de la famille royale, l’aménagement de la Méridienne de la Reine. Les dernières pièces de service et les oratoires de la Dauphine sont transformés pour installer des pièces à son usage. Pour ne pas être en reste vis-à-vis de ce que fait faire la Reine au dessus de sa tête, Madame sollicite du service «des bâtiments du Roi », des installations sanitaires à la pointe de la technique et des cabinets élégamment décorés.
Intérieurs des maisons de bois de la Reine
Dès 1774, un premier cabinet de garde robe servant à la toilette, au plus près du corridor de la chambre, est installé à la place de l’ancien passage où est un escalier pour l’entresol de la Dauphine. Elle conserve, à son usage, le cabinet de chaise de cette dernière, qui se trouve dans l’angle. Elle semble inutilisée après 1780 lorsqu’on installe une seconde garde robe sur la cour du Dauphin. Cette pièce de passage sert d’armoires à bibliothèque à la princesse, quand on remplace les placards existants par des tablettes à livres. C’est l’actuelle petite pièce à boiseries chocolat, doublée d’un cabinet de chaise anglaise, dallées avec porte-fenêtre sur la cour où se trouve avec un portrait de Louis XVIII.
Une partie des oratoires de la Dauphine ont été démolis. Les panneaux et les tableaux religieux sont démontés. Le musée de Versailles en conserve un certains provenant de cette pièce – aujourd’hui accroché dans la chambre de la Dauphine. Une partie de l’appentis sera conservé pour agrandir la salle à manger voisine. Ces espaces ont été démolis au XIXe siècle. Elle s’éclairait, par une porte fenêtre sur un porche sous la terrasse de la reine, en vis à vis de l’appentis de la salle à manger. Ce porche qui ouvrait, par une autre porte-fenêtre sur le cabinet du billard, remplace la premier oratoire de la Dauphine Marie-Josèphe.
En 1779, afin de remplacer la salle de bains de 1770 qu’on lui reprend sur la cour de marbre pour loger les cabinets de son époux et le premier valet de chambre du prince, la princesse sollicite l’installation d’un nouveau cabinet de bains sous ceux de la Reine à cause des colonnes d’eau et des fosses – telle était l’habitude pour l’installation et l’évacuation des eaux pour ce type de pièces d’hygiène dans le château – dans une grande pièce avec des pans coupés où est d’un coté une petite cheminée. Pareillement à la Reine, la princesse l’utilise, avec un meuble de toilette approprié, comme une chambre-des-bains avec un sofa dans une niche de menuiserie où sont des placards. Un escalier, raide et étroit, permet d’accéder à l’entresol de service où sont chaudière, cuves, réservoirs, lingeries et placards de garde-robe aux habits.
Nous localisons cette salle de bains dans l’actuelle petite antichambre blanche où se trouve aujourd’hui un poêle de fonte à tuyaux et des volets moulurés et la petite pièce blanche voisine sous la chambre des bains de la Reine. Près de là, un tambour de portes donnait sur deux autres petites pièces, servant très certainement de commodités à l’anglaise et de seconde garde robe pour ranger la chaise d’affaire, la table roulante de la toilette, les pots et bassins de chambre, la table de l’en-cas utilisés par Madame et ses invités, s’éclairant sur la cour du Dauphin. Une petite porte dérobée sous la tenture de l’alcôve de la chambre permettait d’y accéder directement ainsi qu’à la pièce des bains.
L’autre pièce avec son côté sud en hémicycle, l’actuelle petite pièce bleue où se trouve des chaises aux dossiers sculptés aux monogrammes de Marie-Antoinette de J.-B. Demay et un guéridon XIXe siècle, sert de salon de billard à la famille royale dont c’est le jeu favori. La famille royale semble l’utiliser comme cabinet des jeux, avant ou après le souper. Cette minuscule salle d’assemblée comporta un meuble de salon composé certainement de plusieurs sièges : banquettes ou canapés, chaises, fauteuils et voyeuses pour le jeu ainsi qu’un nombre varié de tables de jeux et d’un billard demandé par la Reine. Comme chez le Roi, un plancher le recouvre et sert de buffet aux personnes qui ne sont pas assises à la table de la salle-à- manger voisine.
Tout cet appartement double, est meublé suivant l’étiquette mobilière en vigueur à Versailles depuis Louis XIV, les pièces sur jardin, sont meublée par le garde meuble du Roi. Dans les antichambres, on retrouve le mobilier ordinaire : banquettes, simples commodes et bas d’armoires, lits de veille, paravents etc… Meubles d’été et meuble d’hiver – plus somptueux mais moins riche que celui du Roi et de la Reine – se succèdent dans les grands cabinets et les chambres – où se retrouvent les traditionnels tabourets de présentation, quelques fauteuils dorés, consoles de trumeaux, commodes d’ébénisteries de qualité , lits à la duchesse, canapés, toilettes, écrans de cheminée etc. Les salons étant boisés et dorés, on ne retrouve les soieries que sur les alcôves des chambres, les garnitures des sièges et les rideaux et portières. Des tissus somptueux sont réemployés, commandés et renouvelés au cours du règne, dont quelques échantillons existent encore au musée des tissus de Lyon pour la chambre de Monsieur par exemple.
Les cabinets intérieurs, compris ceux sur jardin – sont meublés logiquement par un garde-meuble privé appartenant à Monsieur, qui se fournit par les achats personnels du prince, les commandes faites aux marchands merciers et ébénistes de renon de l’époque. On retrouve tout les petits meubles à la mode de l’époque : secrétaires, guéridons, encoignures, sièges divers et variés …
Le Musée de Versailles possède encore, depuis peu provenant du Mobilier National, le canapé à joues pleines en bois sculpté et doré, livré en 1771 pour le meuble d’été de la chambre à coucher de la comtesse de Provence à Versailles par NQ Foliot. Restauré et garni du « meuble aux paons » de Marie-Antoinette, ce canapé est aujourd’hui dans la chambre de la Reine. Ce siège a donc servi dans le premier appartement.
La comtesse de Provence change de chambre mais conserve son mobilier avec, en particulier, ce canapé dont les dimensions sont inférieures à celui que la nouvelle Reine, Marie-Antoinette, conserve dans Sa chambre jusqu’à la Révolution (2,15 mètres contre 2,75 mètres).
Les relations avec Marie Antoinette sont plus ambiguës, plus difficiles. Les deux princesses, et le plus souvent avec la comtesse d’Artois, sont presque toujours côte à côte lors de la plupart des cérémonies officielles. Elles partagent le même carrosse pour les entrées officielles, traversent ensemble la Grande Galerie pour se rendre à la messe, procèdent au rituel du lavement de pieds les Jeudis Saints… Le public les voit rarement l’une sans l’autre.
A la vérité, elles ont du mal à se supporter. Marie-Antoinette n’a pas oublié les compromissions de sa belle-sœur avec la comtesse du Barry. Mais ce sont des dissemblances de tempérament qui les opposent. Marie-Antoinette est vive, primesautière, impétueuse. Marie-Joséphine est discrète, impérieuse, réfléchie. En fait elles ont autant de caractère l’une que l’autre et c’est pourquoi leur incompréhension se rallume au moindre incident. De plus leurs goûts sont discordants, la Reine adore les fêtes, les bals masqués, le théâtre. Ce ne sont pas ceux de la comtesse de Provence, car si ce n’est pas une intellectuelle, elle a une haute idée des devoirs de son rang.
Une Reine ne va pas sans cesse au bal de l’Opéra, une Reine ne se présente pas sur une scène de théâtre en Rosine, bref une Reine ne se compromet pas.
Un jour Marie-Antoinette voulut que Sa belle-sœur se joigne à Sa troupe des seigneurs en lui disant que si elle la Reine prenait ce plaisir, Madame pouvait se sacrifier. Marie-Joséphine mit le holà en répondant :
« Mais si je ne suis pas reine, je suis du bois dont on les fait !»
Lorsque la vie de la Cour n’oblige pas à de Grands Couverts ou d’autres cérémonies importantes, la famille royale prend l’habitude de souper chez la comtesse de Provence. S’y réunissent le couple royal, le couple Provence, le couple Artois, pour un court moment Madame Clotilde puis lorsqu’elle fut en âge, Madame Elisabeth. C’était la première fois qu’on voyait la famille royale se réunir ainsi presque quotidiennement pour être entre soi. La comtesse de Provence sert très régulièrement des petits oiseaux en soupe qu’elle a elle-même attrapés… A l’occasion, chacun peut recevoir à dîner ou à souper sa famille à son tour dans ses propres appartements ou résidences de campagne mais la régularité est pour l’appartement de la comtesse de Provence alors au rez-de-chaussée, dans l’ancien appartement de la Dauphine.
Dimanche 11 juin 1775
Louis XVI est sacré à Reims.
Juillet 1775
Marie-Antoinette fait rétablir pour Madame de Lamballe la charge de Surintendante de la Maison de la Reine, qui avait été abolie par Louis XV en raison de son coût.
En juillet 1775
Départ de Monsieur et de Madame autorisés à suivre la nouvelle princesse de Piémont, Madame Clotilde, dans sa patrie d’adoption et le séjour «de quinze jours dans le plus grand incognito à Chambéry».
La Reine écrit «qu’il est affreux pour moi, de ne pouvoir espérer le même bonheur.»
Marie-Antoinette piquée au vif s’enferme dans Ses appartements pour pleurer à Son aise d’autant que le comte et la comtesse de Provence expriment bruyamment leur joie. Elle ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec Marie-Joséphine ravie de revoir sa famille, alors que Joseph II tarde à La visiter.
Monsieur est l’héritier du trône de France, puisque le Roi n’a pas d’enfants. Ce prince ambitieux et voltairien tient un salon ouvert aux idées nouvelles, où il joue au bel esprit : Provence adore les bons mots ! ll ourdit aussi des intrigues contre son frère et contre la Reine. Madame se tient à l’écart de son mari.
Le 6 août 1775
Naissance de Louis-Antoine, duc d’Angoulême, fils du comte et de la comtesse d’Artois.
Le 20 août 1775
Mariage de Madame Clotilde (1759-1802), dite Gros Madame, et du prince de Piémont, futur Charles-Emmanuel IV de Sardaigne (1751-1819), frère des comtesses de Provence et d’Artois.
Le 5 août 1776
Naissance de sa nièce, Sophie, dite Mademoiselle d’Artois, fille du comte et de la comtesse d’Artois.
Au milieu des années 1770 Madame s’est prise de sentiment pour une séduisante jeune femme, Anne de Caumont La Force.
Sans être régulièrement belle ou jolie, mademoiselle de Caumont possède une belle chevelure sombre, un nez mutin et des yeux malicieux. Elle est surtout fort intelligente et intéressée et fait fond d’un esprit d’intrigue à peine dissimulé.
Marie-Joséphine va user de toute son influence pour maintenir sa protégée à la Cour.
On lui cherche un mari bien né et fortuné. L’élu a pour nom François-Marie, comte de Balbi, comte et marquis du Saint-Empire, colonel en second au régiment de Bourbon-Infanterie.
Depuis longtemps déjà la comtesse de Balbi a remarqué les regards lourds de désir du comte de Provence.
Elle a compris qu’il la veut mais elle connaît les rumeurs persistantes qui touchent à l’impuissance de Monsieur.
Le réveil de Marie-Joséphine sera brutal.
Le 6 octobre 1776
Le Roi et la Reine se rendent au château de Brunoy où Monsieur organise une fête magnifique en l’honneur de Marie-Antoinette.
Le 24 janvier 1778
Naissance du duc de Berry, second fils du comte et de la comtesse d’Artois.
Du 7 au 28 octobre 1778
Séjour de la Cour au château de Marly où ont lieu de nombreuses fêtes offertes par Louis XVI pour la grossesse de la Reine. Madame Elisabeth est de tous les voyages. Mesdames Tantes ne sont plus mentionnées lors des séjours pour Marly, préférant leur château de Bellevue. Pendant ce séjour, un rouleau de louis faux a été substitué à un rouleau de louis véritable lors du jeu. Quelques dames de la Cour sont soupçonnées. Madame dit aux deux banquiers de la Reine, Messieurs de Chalabre et Poinsot, qu’on les « friponne ». Ils lui répondent qu’ils ne s’en sont pas aperçus, alors que ce n’est pas le cas mais ils n’osent pas le manifester.
Le 21 octobre 1779
Cette dépêche diplomatique du comte de Creutz à Gustave III de Suède indique la situation en Cour du couple des Provence assez inédite :
« Sire,Les dispositions dans la famille royale sont totalement changées. La reine est inséparable de Madame et de Monsieur. Elle leur est entièrement livrée et l’empire que Madame a pris sur l’esprit de la reine est d’autant plus absolu que cette princesse ne s’en doute pas et que c’est elle au contraire qui croit gouverner Madame.Le caractère de Madame est très décidé, elle ne perd jamais de vue son objet. Douce et tranquille en apparence, son âme est sans cesse agitée de la passion de tout dominer : son esprit fin, souple et delié se plie à toutes les formes. Malheureuse de n’avoir point d’enfants et d’avoir été longtemps un objet d’aversion pour la reine, l’habitude de son âme en est devenue triste. Mais aussi tôt que la reine paraît, son humeur devient radieuse. Elle a l’air de partager ses plaisirs, ses goûts, ses fantaisies même et de voler au devant de toutes les dissipations qu’elle cherche avec autant d’avidité. C’est par là qu’elle est devenue nécessaire à la reine qui vive dans toutes ses affections veut entraîner et être entraînée.Monsieur est si dévoué à sa femme qu’il ne pense, qu’il ne respire que par elle. Tant qu’il agira ainsi, il s’en trouvera toujours bien, car Madame, maîtresse de tous ses mouvements, ne lui fera pas faire un faux pas. Le roi est enchanté de la concorde établie dans sa famille, et comme naturellement il a du penchant pour sa belle sœur, il verse tous ses sentiments dans son sein et il se soulage par là de la méfiance que les autres lui inspirent. C’est par les conseils de Madame qu’il redouble sans cesse d’attentions pour la reine, qu’il fait de sa société, la sienne et qu’il a l’air d’accorder à ses amis une confiance qu’ils ne lui inspirent pas.»
En 1780
Marie-Joséphine désire l’installation d’une petite salle-à-manger et d’un salon en hémicycle contigu pour servir au jeu et au billard nécessaire aux soupers qu’elle offre chaque soir à la famille royale . Cette salle-à-manger destinée aux « soupers des petits cabinets »- soupers intimes sans domestiques dont a parlé Pierre de Nolhac dans ses ouvrages – est installée dans les anciennes pièces de service de la Dauphine détruites situées sous le cabinet doré de la Reine, là on a installé provisoirement un billard avant 1779. Cette salle-à-manger paraît bien étroite car toute la famille royale est conviée par la princesse : à savoir le Roi, la Reine, Monsieur, le comte et la comtesse d’Artois, les trois Mesdames tantes et Madame Elisabeth quand elle sera en âge. Cette petite pièce ouvrant par une fenêtre sur la cour intérieure de la Reine, appelée dès lors « cour de Monsieur », est donc prolongée sur l’appentis, pris sur l’ancien oratoire de la Dauphine, sous la terrasse du cabinet doré de la Reine. On place l’hiver, dans l’embrasure de la fenêtre, un poêle permettant de réchauffer la petite salle-à-manger que la petite cheminée du fond ne permet pas de chauffer complètement. Cette salle-à-manger comporte alors six angles où sont placées les encoignures commandées spécialement à JH Riesener, dont le musée conserve encore deux exemplaires. Outre des sièges et une table d’acajou à rallonge, elle est meublée également de deux dessertes d’acajou et de servantes, destinées aux convives qui se servaient seules sans aide. C’est aujourd’hui la pièce du fond entre cette salle-à-manger et le passage des cours, dans l’actuelle bibliothèque lilas à cheminée de glace, où sont actuellement exposées des chaises de Boulard livrées pour la garde-robe de Madame Royale.
Chacun, sauf le Roi, apporte son repas qui est placé par le service sur des plats posés sur une grande table ovale dressée dans la seconde chambre de Madame. Les serviteurs se retirent alors et chaque convive compose son repas en se servant soi-même et en prenant assiettes et argenterie qui ont été placées sur des servantes. Là, on raconte les commérages de Cour, on discute les intérêts de famille, on est fort à son aise et souvent fort gai, car, une fois séparés des entours qui les obsédent, ces princes, il faut le dire, sont les meilleures gens du monde. Après le souper, chacun se sépare.
En 1780
Marie-Joséphine s’installe à Montreuil dans le Pavillon Madame, qui sera son «Petit Trianon».
Le domaine a été morcelé, subsistent aujourd’hui le pavillon lui-même, qui fait partie depuis 1913 du lycée privé Sainte-Geneviève, ainsi qu’un remarquable pavillon de musique construit en 1784. Sa vie est de plus en plus isolée car délaissée par son époux, et ayant elle-même peut de goût pour ce dernier.
Le 15 mars 1781
Montreuil,
Le domaine de la comtesse de Provence
( texte et illustrations de Christophe Duarte – Versailles passion )
Le parc de Madame s’étend sur vingt hectares et forme une sorte de quadrilatère bordé par la rue de Ville d’Avray et la rue de la Vieille Église. Madame a fait bâtir une maison aux vastes proportions avec tout le confort moderne La propriété est agrémentée d’un pavillon de musique et d’un hameau de douze maisons, émule de Trianon, avec sa laiterie en marbre blanc, sa vacherie recouverte en chaume, son pressoir toujours prêt pour la vendange et son colombier rempli de palombes. Dans le parc que Madame a voulu tracer «dans le style libre ou à l’anglaise», les majestueuses futaies alternent avec les gracieuses charmilles.
Les lilas, les cytises et les aubépines forment d’odorants bosquets, les gazons s’émaillent de primevères, de narcisses et de violettes, et, nous dit le vicomte de Reiset, «le parfum des fleurs des champs se mêlait à celui des lys, des roses et des plantes rares qui peuplaient le jardin fleuriste». Enfin, Madame a fait édifier des petits temples allégoriques, l’un consacré à l’amitié, l’autre à l’amour, un belvédère, un ermitage et un portique italien qui se reflète sur un plan d’eau.
La comtesse de Provence achète au prince de Montbarrey une maison ( au 2 rue Vauban à Versailles) de six pièces au rez-de-chaussée, de sept pièces à l’étage, autant dans les combles, avec un jardin clos de murs à Versailles, pour la somme de 30 000 livres. Elle projette d’y installer sa résidence principale à l’écart du tumulte de la Cour. La princesse étend son domaine par l’acquisition de dix-sept jardins et divers. Le parc s’étend désormais sur plus d’une douzaine d’hectares. Le pavillon d’habitation, dit «Pavillon Madame», est agrandi et transformé intérieurement par l’architecte Jean-François-Thérèse Chalgrin, premier architecte et intendant des bâtiments du comte de Provence depuis 1775.
Une allée en sable conduit à la cour d’honneur du Pavillon. A droite se dressent les écuries, les remises, la melonnière et le potager. Derrière le pavillon s’étend un vaste parc paysager à l’anglaise aménagé sous la direction de Chalgrin. L’eau est acheminée depuis la butte Montbauron par une conduite en cuivre. On y trouve un bois de sycomores, d’ormes et de frênes, une rivière agrémentée de trois îles, une pelouse vallonnée, une montagne, ainsi que de nombreuses fabriques : chaumière, hameau, pavillon chinois, belvédère et temple de Diane, destinés à rivaliser avec le Hameau de la Reine où Madame prenait les mêmes divertissements que sa belle-sœur à Trianon.
Les goûts de la comtesse de Provence.
Contrairement à sa belle-sœur, Marie-Antoinette, Marie-Joséphine de Savoie, nous a laissé peu d’éléments matériels qui traduisent ses goûts et affinités. Toutefois, sa propriété de Montreuil, les constructions qu’elle promotione, les collections artistiques qu’elle chérit, les nombreux portraits pour lesquels elle accepte de poser, nous permettent de dresser quelques indications vraisemblables sur les inclinations de Madame.
Marie-Joséphine de Savoie nourrit avant tout, une passion pour la nature, la vie au grand air, les promenades, la botanique, les jardins d’agrément, autant de signes qui révèlent parfaitement cette fin du XVIIIe siècle et l’engouement pour le mouvement Rousseauiste.
L’amour de la nature de la comtesse de Provence est juxtaposé à un goût certain pour l’architecture.
Propriétaire de son pavillon dès 178I où elle peut enfin se libérer des contraintes de la Cour, elle confie l’édification des plans de ses pavillons d’habitation et de musique, ainsi que des nombreuses fabriques qui agrémentent son parc, à l’architecte Chalgrin, dans le style néo-classique en vogue. Elle fait également l’acquisition du château de Rocquencourt quelle fait entièrement reconstruire et transformer par les soins de l’architecte Charles de Wailly.
Dans ce parc, la comtesse fait construire par Chalgrin de nombreuses fabriques : un hameau, comme à Trianon, un temple de Diane, un pavillon chinois, une glacière, une tour en bois et son belvédère sont disséminés autour de la rivière artificielle.
Ce remarquable pavillon de musique de forme hexagonale est construit en 1784 par Chalgrin ainsi qu’une célèbre laiterie, qui existe encore où les colonnes sont en bois et les denticules en placage d’écorce, dont le rattachement au domaine est toutefois contesté. L’Ancienne laiterie a fait l’objet d’un classement au titre des monuments historiques depuis le 1er août 1957.
« Ce curieux temple en rondins est habituellement identifié avec une laiterie dépendant du domaine voisin de la comtesse de Provence. Il semble que le terrain sur lequel il est construit n’ait jamais appartenu à la comtesse. Cette fabrique qui illustre les origines de l’architecture selon Vitruve a probablement été construite au début du XIXe siècle pour un nommé Froment Champ-Lagard. »
Fabienne Cirio
La plupart des fabriques seront détruites pendant et après la Révolution, durant laquelle le domaine est saisi comme bien national.
Par l’intermédiaire d’Imbert de Lattes, la Princesse fait l’acquisition de la propriété pour la somme de 30 000 livres et étend son domaine par l’acquisition de dix-sept jardins et divers. Le parc s’étend désormais sur plus d’une douzaine d’hectares que la comtesse aménage en un parc à l’anglaise.
Le pavillon d’habitation, dit «Pavillon Madame», est agrandi et transformé intérieurement par l’architecte Jean-François-Thérèse Chalgrin, premier architecte et intendant des bâtiments du comte de Provence depuis 1775.
Le 22 octobre 1781
Naissance du Dauphin, Louis-Joseph-Xavier-François.
« La reine est accouchée d’un dauphin aujourd’hui (22 octobre) à une heure vingt-cinq minutes après midi… On avertit Mme la duchesse de Polignac à onze heures et demie. Le roi était au moment de partir pour la chasse avec Monsieur et M. le comte d’Artois. Les carrosses étaient déjà montés, et plusieurs personnes parties. Le Roi passa chez la Reine ; il la trouva souffrante, quoiqu’elle n’en voulut pas convenir. Sa majesté contre-manda aussitôt la chasse. Les carrosses s’en allèrent.
Ce fut le signal pour tout le monde de courir chez la reine, — les dames, la plupart dans le plus grand négligé, les hommes comme on était. Le roi cependant s’était habillé. Les portes des antichambres furent fermées, contre l’usage, pour ne pas embarrasser le service, ce qui a produit un bien infini. J’allai chez la duchesse de Polignac, elle était chez la reine ; mais j’y trouvai Mme la duchesse de Guiche, Mme de Polastron, Mme la comtesse de Grammont la jeune, Mme de Deux-Ponts et M. de Châlons. — Après un cruel quart d’heure, une femme de la reine tout échevelée, tout hors d’elle, entre et nous crie : « Un dauphin ! mais défense d’en parler encore. » Notre joie était trop grande pour être contenue. Nous nous précipitons hors de l’appartement, qui donne dans la salle des gardes de la reine. La première personne que j’y rencontre est Madame, qui courait chez la reine au grand galop. Je lui crie : « Un dauphin, madame ! quel bonheur ! » Ce n’était que l’effet du hasard et de mon excessive joie ; mais cela parut plaisant, et on le raconte de tant de manières que je crains bien que cela ne servira pas à me faire aimer par Madame… (…) »
Stedingk, ambassadeur de Suède en France à Gustave III
… Louis-Joseph représente en effet un obstacle supplémentaire entre son époux et la couronne…
Le 11 Novembre 1781
« Les frères du Roi et les princesses leurs épouses ont eu une bonne contenance à la naissance du Dauphin; depuis cet événement on ne parle plus de la grossesse réelle ou non de Madame; cette circonstance devient indifférente. On présume qu’au bout d’un certain temps Monsieur et Madame songeront à s’établira Paris. Le Roi inclinerait fort à cette séparation, mais elle ne pourrait guère avoir lieu sans que M. le comte d’Artois ne prît le même parti, et l’affection que lui porte la Reine en retardera sans doute l’époque; rien n’est décidé encore pour le payement des dettes de ce prince.»
Mercy à Joseph II
Après 1781
Au moment de l’aménagement de la Méridienne de la Reine à l’étage et de la démolition de l’escalier intérieur qui servait de passage privé à la famille royale, Madame obtient enfin l’installation, juste derrière sa chambre, d’un arrière cabinet supplémentaire pour lui servir de méridienne. Ce salon particulier a remplacé l’escalier privé de la famille royale, qui avait été construit pour le Dauphin Louis-Auguste quand il logeait chez sa mère . La Dauphine Marie-Antoinette logeait alors au-dessus chez la Reine. Ce boudoir octogonal possède, dès l’origine comme chez la Reine, une niche de glace pour placer une ottomane, destinée à donner un peu de lumière à ce petit salon très sombre. Il existe encore de nos jours, trop rarement ouvert à la visite, transformé en salle-de-bains pour la duchesse d’Angoulême au XIXe siècle. Les boiseries sculptées plus ordinaires que chez la Reine, étaient simplement peintes et non dorée. Comme chez Marie-Antoinette. Elles sont probablement un ouvrage des frères Rousseau. Sur des écussons suspendus, entre des branches d‘olivier, on lit en chiffres entrelacés les lettres MJLS , qui se rapportent au comte et à la comtesse de Provence.
Un petit mobilier est commandé pour ce boudoir: quelques chaises, un lit de repos, une grande table, un petit secrétaire, plusieurs petits meubles pour la couture, la musique, l’écriture, la peinture.
Le passage voûté voisin, probablement fermé et entresolé à cette époque, servait de réchauffoir. Cet office – bas de plafonds – servant de petite cuisine et de desserte pour la salle-à-manger de la princesse, comme cela avait été fait, coté Nord, dans les appartements de Mesdames ou les « petits cabinets» de Louis XV sous les combles, avec placards à argenterie, vaisselle, lavoir et fourneaux « potagers » dissimulés dans de profonds placards. On y accommode, chaque soir, les dîners de la famille royale en réunissant tous les repas des membres de la famille qui y sont apportés depuis les cuisines de la Bouche du rez-de-chaussée de l’aile du midi. Plus tard, ce sera l’entrée du logement de Madame de Tourzel. Le passage à air libre a été rétabli au XIXe siècle.
Tout comme son mari, délaissant ces cabinets si tristes, on suppose que Madame passe , de long moment d’intimité, dans sa résidence de Montreuil, où elle occupe invariablement tout ses après-midis.
De tous ces cabinets intérieurs, il nous reste de la comtesse de Provence, que ce délicieux boudoir bleu Weedgood qui ouvre par un porte-fenêtre sur la cour intérieure de la Reine et le corridor qui relie les chambres-à-coucher.
« Madame la comtesse de Provence n’était pas jolie , mais elle avait de fort beaux yeux, une conversation pétillante d’esprit, et de la gaieté sans malice, chose précieuse, à la cour surtout.»
Mémoires de la baronne d’Oberkirch concernant l’année 1782
Le 22 novembre 1782
« Le Roi a pris tant d’humeur contre sa belle-sœur Madame qu’il ne veut plus aller ni dîner ni souper chez elle; cela répand un peu de froid dans l’intérieur de la famille royale, mais il n’en résulte aucune conséquence qui soit de nature à intéresser la Reine.»
Mémoires de la baronne d’Oberkirch concernant l’année 1782
Comme toutes les grandes dames, la comtesse de Provence cède à la mode de la robe en gaulle pour poser devant Elisabeth Vigée Le Brun
En 1785
On prête à Marie-Joséphine de Provence une liaison avec sa lectrice madame de Gourbillon. Une beauté remarquable, qui sera peinte à Turin par madame Vigée le Brun. Marguerite Etiennette Gallois, ayant épousé un riche bourgeois, directeur de la poste à Lille Charles Florent de Gourbillon de Driancourt, la nouvelle madame de Gourbillon peut acquérir dans les formes une charge de lectrice de la comtesse de Provence.
Sapho sous Louis XVI
« L’amour entre femmes était alors aussi commun qu’aujourd’hui mais peu visible. A Versailles l’éloignement de Mme de Gourbillon, lectrice de la comtesse de Provence, fut l’événement qui, en 1788, donna une publicité définitive à l’amour indéfectible qui unissait la belle-sœur du roi à celle qui avait d’abord été sa femme de chambre. Cet amour lesbien avait remplacé l’attachement de Madame, comtesse de Provence, à sa dame d’atours, le comtesse de Balbi, née Anne de Caumont-Laforce. Cette dernière qui vivait à demeure au palais du Luxembourg, était d’une intelligence remarquable et d’une ambition folle, que le comte de Provence employa comme favorite ou plus exactement comme dame de compagnie pour donner le change sur ses propres goûts qui l’inclinaient vers les gentilshommes de son entourage, comme Gaston de Lévis. A la ville, c’est la duchesse de Villeroy qui donna une visibilité aux lesbiennes qu’elle recevait fastueusement dans son hôtel particulier de la rue de l’Université parisien. Parmi les habituées de ses « dîners de femmes », on remarquait les deux plus grandes tragédiennes de l’époque, Mesdemoiselles Clairon et Raucourt, et aussi un grand nombre de dames qui préféraient nettement l’ambiance du salon de la duchesse que les pesanteurs de l’étiquette versaillaise.»
Olivier Blanc, chez Perrin, L’amour a Paris sous Louis XVI, 2003 et Les libertines, 1997
Le 4 janvier 1785
Mariage Zoé-Anne-Louise-Joséphine du Bouchet de Sourches, fille de Madame de Tourzel, avec Pierre-François-Balthazar Genech de Sainte-Aldegonde (1758-1838). Zoé de Sainte-Aldegonde devient dame pour accompagner la comtesse de Provence, dame de compagnie de Marie Josèphe de Savoie, comtesse de Provence.
De plus en plus seule, la princesse donne toute son affection à sa lectrice qui a seize ans de plus qu’elle. La proximité visible de la princesse avec sa lectrice est attestée dans les mémoires de l’époque, et fait jaser.
Le 27 mars 1785
A sept heures et demi du matin, naissance de Louis-Charles, duc de Normandie, qui sera surnommé «Chou d’Amour» par Marie-Antoinette, Dauphin en 1789 et déclaré Roi de France en 1793 par les princes émigrés sous le nom de Louis XVII.
En avril 1785
Madame garde une grande partie de son ancien mobilier et spécialement ce canapé que l’on orne d’un nouveau couronnement : «Ordre du 6 avril 1785 : pour un couronnement fait au canapé représentant une couronne de fleurs et deux flèches». Les sculptures sont exécutées par Vassal et les ors par Chatard.
Cette commode a été livrée le 13 mai 1771, par Gilles Joubert (1689-1775), elle est inventoriée en 1776, 1785, 1788, puis en 1792, dans la Pièces des Nobles du comte de Provence au château de Versailles.
Le 28 août 1785
On célèbre la cérémonie de baptême du duc d’Angoulême, dix ans, et du duc de Berry, qui a sept ans et demi. Le Roi et la Reine sont les parrains du duc d’Angoulême. Les parrains du petit-duc de Berry sont Carlos III, Roi d’Espagne (représenté par le comte Provence) et sa marraine, Marie-Antoinette d’Espagne, Reine de Sardaigne (représentée par la comtesse de Provence). A la chapelle royale de Versailles, la cérémonie est précédée par Armand de Roquelaure, évêque de Senlis. Aucun prince n’a le ruban bleu sur son costume. Les cent gardes suisses sont en grande tenue.
Dans l’appartement de la comtesse de Provence :
Le serre-bijoux par Riesener
( texte et photographies de Christophe Duarte ; Versailles-passion )
En mai 1771
Les Menus-Plaisirs livrent un riche «cabinet des bijoux». Comme la Dauphine l’année précédente et avant sa sœur en 1773, la comtesse de Provence reçoit un serre-bijoux destiné à recevoir les présents de son mariage (boîtes en or, étuis et montres livrés par les joailliers Gaillard, Sageret, et l’horloger Leloutre), puis ses propres bijoux. Réalisé sous la direction du marchand Claude Delaroue, ce meuble coûte la somme importante de 19 155 livres dont le marchand doit se justifier. La forme du meuble, héritée des cabinets du Grand Siècle, a été remise au goût du jour avec le néoclassicisme : sur un piètement en bois sculpté et doré, dont le motif central représente «un vase richement orné de moulures et guirlandes de fleurs accompagné de deux génies représentant l’Hymen et l’Amour», repose le cabinet proprement dit, couvert de velours rouge, décoré de broderies et d’applications «en or de Paris de relief comme la sculpture la plus recherchée».
A ce serre-bijoux officiel, il convient d’ajouter un coffre à bijoux, plus personnel, d’un modèle attribué à Martin Carlin que la Princesse reçoit en cadeau.
En conséquence, on lui attribuera l’appartement du rez-de-chaussée du Corps Central. Le couple doit déménager dans l’Aile du Midi où de nouveaux appartements leur sont préparés. A la faveur de ce déménagement, un nouveau serre bijoux est commandé pour Madame. Toutefois, ce n’est pas l’administration royale qui en passe commande cette fois-ci mais le garde-meuble privé de Monsieur.
En voici la description :
« Un coffre à diamants de bois d’acajou, choisi ayant 4 pieds 6 pouces de large, sur 20 de profondeur et sept pieds et demie de haut, fermant à deux vantaux par de serrures de sureté, composé de plusieurs tiroirs, montant sur un pied à gaines, formant huit carquois, orné de flèches et tous les accessoires».
A l’origine, on pensait que ce meuble avait été réalisé pour le Petit Luxembourg, résidence parisienne du couple princier, où Monsieur et Madame habiteront entre octobre 1789 et leur départ en émigration en juin 1791, et où il est déménagé à une date indéterminée. C’est là qu’il est inventorié en l’an II avant d’être finalement proposé comme monnaie d’échange aux créanciers de la République.
Proposée pendant l’hiver 1809 au Garde Meuble Impérial, l’offre est déclinée au motif que l’Empereur «voulait faire du neuf et non acheter du vieux».
Le serre-bijoux est acquis par le Roi d’Angleterre George IV par l’intermédiaire du marchand Robert Fogg lors de la vente des collections de George Watson Taylor le 28 mai 1825, en vue de l’installer au château de Windsor alors en travaux. Il est depuis cette date dans les collections royales britanniques.
Le dépérissement moral de Marie-Joséphine paraît bien plus évident. Son humeur s’est beaucoup dégradée. Vraisemblablement vierge, délaissée par son mari, traitée avec condescendance au sein de la famille royale et de la Cour, elle a peu de motifs de se réjouir. Dépressive, elle se claquemure dans ses cabinets. Pour oublier son infortune, c’est là qu’elle se livre à son péché mignon, la boisson.
Le troisième appartement du comte et de la comtesse de Provence, dans le «Pavillon de Provence»
1787 – 1789
En novembre 1786, afin de se rapprocher de Ses enfants, la Reine installe Sa fille, Madame Royale et Son fils aîné, le Dauphin, dans l’appartement de Monsieur et de Madame. Le Dauphin et ses sous-gouverneurs s’installent chez Monsieur. La plupart des pièces de Madame, servent à loger d’une part, Madame Royale, d’autre part, le duc d’Harcour , gouverneur du Dauphin, et toute sa famille qui y restent jusqu’en 1789, remplacé ensuite par la duchesse de Polignac puis la marquise de Tourzel.
En conséquence, le couple princier doit céder la place et prendre possession des nouveaux appartements que le Roi leur octroie au rez-de-chaussée et au premier étage du Pavillon de la Surintendance, à l’extrémité de l’aile des Princes, coté ville. Ce pavillon de pierre, briques et ardoises, prend, dès lors, le nom de « Pavillon de Provence ». Madame prend possession d’un grand appartement qui a été celui de la princesse de Lamballe, sa cousine, en tant que surintendante de la Reine. Il a vue sur la rue et la petite cour intérieure de la Surintendance, appelée désormais « Cour de Monsieur ». Il est situé, au premier étage de ce pavillon, à un niveau plus bas que celui du parterre qui correspond au rez-de-chaussée de l’aile du midi. Voisin de l’appartement des enfants de France et de madame de Polignac, il communique au château, par l’escalier de Provence et quelques marches, à la galerie basse des Princes.
Un autre grand appartement est réservé à Monsieur juste au-dessus, au second étage du Pavillon, communiquant par le second palier de l’escalier de Provence à la galerie haute des Princes, voisin de l’appartement de Madame Elisabeth. C’est l’appartement dans lequel on avait logé les enfants du comte d’Artois, les petits ducs d’Angoulême et de Berry et leurs gouverneurs jusqu’en 1786. On les envoie dans un autre appartement dans l’aile du nord.
De plus l’annexion de petits logements de courtisans contigus, au-delà d’un corridor noir, bien pratique pour la circulation du service, leur offre de véritables appartements intérieurs , bien mieux distribués que les tristes petits cabinets sur cour de l’appartement du Dauphin.
De gros travaux sont entrepris afin d’adapter les locaux. De nombreuses boiseries sculptées à la dernière mode ainsi que de nombreuses commandes de tentures sont exécutées pour orner les murs comme par exemple , les délicieuses boiseries du cabinet de la comtesse de Provence qui existent encore, démontées dans les réserves du musée . L’ancien grand escalier de la Surintendance, qui datait de Colbert, construit en 1679, désormais appelé « Escalier de Provence » est refait partiellement en 1788 d’après les dessins de Louis XVI qui s’y intéresse de très près, fournissant des plans de ses mains et dirigeant son élaboration et son exécution. Elargi et reconstruit en demi-palier, il permet de relier les appartements à la cour basse de la rue de la Surintendance qui prend le nom de « Cour de Monsieur ». Il permet, depuis un grand vestibule de pierre, aménagé à même époque, d’accéder officiellement aux « nouveaux appartements de Monsieur et de Madame ». Le couple princier y gagne en confort, en comparaison à la petitesse du premier appartement, aux pièces assez basses, humides et sombres du second appartement, car les pièces de ces nouveaux appartements sont bien plus grandes , les plafonds plus élevés, et surtout plus lumineuses, puisque exposée au midi.
De plus l’annexion de petits logements de courtisans contigus, au-delà d’un corridor noir, bien pratique pour la circulation du service, leur offre de véritables appartements intérieurs , bien mieux distribués que les tristes petits cabinets sur cour de l’appartement du Dauphin.
On retrouve, après travaux d’aménagement, la distribution traditionnelle des appartements des membres de la famille royale, quasi similaire à celle de l’appartement du Dauphin et de la Dauphine. Chaque appartement comporte six grandes pièces principales sur cour et rue, doublées, sur la « cour de l’apothicairerie », d’un appartement intérieur indépendant , séparé de pièces donnant sur la rue par un corridor noir en coude. Cette distribution est identifiable sur un plan antérieur dans « l’architecture française » de J.-F. Blondel.
Madame dispose le palier du nouvel escalier de l’ancienne antichambre de la princesse de Lamballe devenue une première antichambre à une fenêtre où se tient sa sentinelle. La seconde salle est l’ancien petit salon où la princesse de Lamballe avait coutume de recevoir la Reine. C’est maintenant une seconde antichambre, plus grande a deux fenêtres – qui sert de salle-à- manger où elle continue à convier, chaque soir, la famille royale à souper «tous les soirs, à huit heures précises » La famille royale y soupe toujours chaque soir , se régalant du traditionnel potage aux petits oiseaux, que la princesse prépare elle-même . Chaque membre de la famille fait apporter son dîner, auxquels on met la dernière main dans de petites cuisines à portée de l’appartement de Madame.
« Excepté les jours où il donnait à souper chez lui, le Roi n’y manquait pas un seul jour … »
Mémoires du comte d’Hézecques
C’est pour cette antichambre, que Madame demande la pose d’un poêle en remplacement de la pose d’une cheminée – qui semble incommoder la Reine.
Vient ensuite une pièce similaire – ancien grand salon de réception de la princesse de Lamballe – servant alternativement de grand cabinet et de salle des nobles, qui ouvre ensuite sur la chambre-à-coucher de la princesse, belle pièce carrée a deux fenêtres sur la cour de Monsieur. Cette chambre donne sur deux cabinets intérieurs aux plafonds assez hauts, dont le premier a une fenêtre sur la cour et une autre sur la rue, le second servant de boudoir a deux fenêtres sur la rue. Du temps de la princesse de Lamballe, on y trouvait là successivement «un petit cabinet, un boudoir, une bibliothèque, une garde robe, des bains et une chambre pour la dame d’honneur» écrit madame de Laage de Volude.
La princesse dispose encore, dans cette enfilade, de deux grandes pièces– probablement entresolées -, destinées à sa toilette. Elles servent de garde-robe ou cabinet-de-toilette dont une est retranchée pour les commodités à l’anglaise à cause de leur proximité de la chambre-à-coucher. L’ancienne chambre de la dame d’honneur de la princesse de Lamballe voisine , au débouché de l’escalier intérieur, est probablement convertie en chambre de veille pour la première femme de chambre de service.
Suite de six chaises de l’appartement de la comtesse de Provence par Jean-Baptiste Claude Sené
( texte et illustrations de Christophe Duarte ; Versailles – passion )
Une étiquette au dessous de l’une de ces six chaises indique «Pour le Service de Madame à Versailles N°89».
Ces six chaises sont livrées par Jean-Baptiste Claude Séné le 24 mars 1787 pour la bibliothèque de Madame à Versailles.
Si l’on consulte les Comptes, mémoires, relevés, factures de Jean-Baptiste Claude Séné pour le premier semestre 1787, on trouve sous le numéro 89, daté du 24 mars, un commande passée pour le Service de Madame à Versailles :
«Six chaises en lyre en bois d’acajou, les pieds tournés et cannés à 12 cannelures. Les dossiers orné d’un riche profil ainsi que la ceinture, la lyre ornée d’un pied douche profilé le dossier assemblé d’angle et d’avoir poly… à la cire».
Constitué de cinq pièces entresolées, on y a placé principalement les bains et la petite chambre des bains de la princesse. L’entresol abrite vraisemblablement , outre les pièces de services des femmes de chambre, la chaudière des bains, la garde robe aux habits de la princesse. Monsieur et Madame disposent au rez-de-chaussée sur les cours des cuisines particulières pour ces appartements ainsi que d’autres destinées aux « petits appartements de Monsieur ».
Le 19 septembre 1785
Décès de sa mère, Marie-Antoinette d’Espagne (née en 1729), au château de Moncalieri, près de Turin.
En 1787
Après avoir agité la Cour de Louis XVI en facilitant la chute des ministres réformateurs Turgot, Necker, Calonne, puis bloqué les réformes proposées par Calonne en les déclarant inconstitutionnelles en tant que président de l’un des bureaux de l’Assemblée des notables, il réclame, à l’instar de la Reine, pour le tiers-état le doublement du nombre de députés aux Etats généraux.
Du 10 octobre au 16 novembre 1787
Dernier séjour de la Cour de Louis XVI à Fontainebleau.
« La passion amoureuse de Madame pour Marguerite de Gourbillon, qui la rend enfin heureuse, est intolérable à certains courtisans à l’origine des rumeurs, entre autres celle selon laquelle la lectrice pousse Madame à abuser des liqueurs. Cette liaison indispose en effet les bégueules de la Cour au point que le comte de Provence fait exiler Marguerite par lettre de cachet à Lille en 1788 .»
Lescure, Correspondance secrète de Louis XVI, I
En 1789
Désirant éviter un scandale et à la demande de son frère, Louis XVI éloigne madame de Gourbillon de la Cour. prétextant qu’elle encourage le penchant de sa belle-sœur à la boisson en la lui livrant en cachette. Madame ne supporte pas cet éloignement, et réclame sans cesse sa présence. Les deux femmes réussissent à correspondre en secret.
« De par le Roy, il est ordonné à la dame Gourbillon de se retirer aussitôt après la notification du présent ordre de la ville de Versailles et de se retirer incontinent en celle de Lille en Flandre auprès de son mari, faisant Sa Majesté défense à ladite dame Gourbillon de désemparer de ladite ville de Lille jusqu’à nouvel ordre de sa part à peine de désobéissance.
Versailles, 19 février 1789.»
L’une de ses premières lettres commence ainsi :
« Figurez-vous un visage maigre, jaune, couvert de plus de cent boutons rouges. J’ai passé dix nuits de suite sans fermer l’œil. Qu’elles étaient longues ! Je ne pensais qu’à vous et je pleurais. » Peu après, elle lui révèle son infortune capillaire : « Tous mes cheveux sont restés dans mon bonnet de nuit. Je fais horreur.»Puis de clamer son désespoir : « Je ne peux vivre que pour vous et pour vous aimer.»
Lettre de la comtesse de Provence à Marguerite de Gourbillon, sa favorite et lectrice. Marguerite de Gourbillon a été exilée sur lettre de cachet le 19 février 1789 à Lille, lieu de résidence de son mari qui occupe les fonctions de directeur des Postes.
Transcription de la lettre à partir de la neuvième ligne :
« Je viens de voir l’ambassadeur qui a eu son audience.
Monsieur a paru très embarrassé, il a commencé par dire qu’il avait eu des raisons pour demander votre démission. A quoi, a répondu l’ambassadeur, qu’il n’était pas chargé de se mêler de l’intérieur du ménage, que sa mission se portait sur un acte public d’autorité qui était injurieux pour moi.
Monsieur a dit qu’il ne le comprenait pas. Monsieur de Cordon s’est expliqué plus clairement et a demandé la main levée de l’ordre qui vous exile sur le champ.
Monsieur a balbutié et dit :
– Je n’y suis pour rien, j’ignore ce qui a pu lui procurer, mais c’est le Roy qui l’a voulu.
– On ne dit pas cela dans le monde a répondu Monsieur de Cordon et ce détour n’est pas digne d’un aussi grand prince. Je vais m’expliquer plus clairement : c’est de la part du Roy, mon maître et votre beau-père que je suis chargé de demander une satisfaction publique et pour fermer la bouche à des propos injurieux pour Madame et qui rejaillissent sur vous.
– Monsieur, vous vous oubliez a repris Monsieur en colère.
– Non, je ne suis pas M. de Cordon en ce moment, je parle au nom d’un Roy et d’un père. Je le représente, il est Roy, vous ne l’êtes pas, ainsi je ne peux pas m’oublier.
Un ton si nouveau l’a pétrifié.
M. de Cordon a dit :
– Est-ce Monsieur ou le Roy qui l’on voulu, il faut que je sache ?
– C’est le Roy a répondu Monsieur.
– Eh bien, dit l’ambassadeur, je vais demander une audience au Roy et promettez moi de ne pas mettre d’obstacle à mes démarches.
– Je vous en donne ma parole d’honneur a répondu Monsieur.»
Lettre de la comtesse de Provence à Marguerite de Gourbillon, conservée aux Archives Nationales de France
Le 12 avril 1789
Madame écrit à sa lectrice:
« Je vous vois partout, je ne pense qu’à vous, je ne rêve qu’à vous.»
Si la comtesse de Provence a trouvé le chemin de l’amour, elle n’a pas renoncé pour autant au vin. D’année en année sa santé se délabre. Les médecins de plus en plus sollicités à son chevet savent de quoi il en retourne. Toutefois si le vice de Madame paraît clandestin, les domestiques ont probablement remarqué l’inquiétante consommation de liqueurs de Tokay et de Malvoisie au constat des bouteilles vides qui s’accumulent…
Évidemment on ne dit rien, on fait son service comme si de rien n’était mais sitôt sorti des appartements de Madame, les commérages vont bon train. La rumeur enfle, sort du cercle étroit de la famille royale et de la Cour et gagne Paris. En janvier 1789 le marquis de Bombelles écrit dans son journal le ridicule qui éclabousse la belle-sœur du Roi. Le salon de la comtesse de Brionne qui rassemble « tout ce que Paris renferme de plus élégant» fait des gorges chaudes d’une chanson qui ridiculise Marie-Joséphine dans ses penchants pour les femmes et la boisson.
Le marquis de Cordon, ambassadeur de Sardaigne en France, a un grave entretien avec le comte de Provence à propos de la comtesse de Provence et de Madame de Gourbillon. Le Roi de Sardaigne a demandé à avoir un rapport des faits sur les causes de la lettre de cachet de la favorite de Madame et le traitement de sa fille gravement malade.
L’ambassadeur et le prince ont des propos amers, mais c’est le marquis de Cordon qui a gain de cause en faisant valoir la voix de son maître, un Roi à l’encontre de la voix d’un mari, un prince.
Le 22 Février 1789
« Madame donne, de son côté, matière à beaucoup de propos. Cette princesse, depuis quelque temps, se livre à la boisson et il en est résulté quelques scènes dégoûtantes. Tout cela réuni prive la Reine des ressources qu’Elle pourrait trouver dans une manière d’être mieux réglée parmi la famille royale. Le danger bien reconnu des sociétés favorites ne permet pas d’y avoir recours, de façon que la Reine se trouve plus isolée.»
Mercy au prince de Kaunitz
Toutefois Marie-Joséphine assiste vaille que vaille à toutes les cérémonies officielles.
Le 5 mai 1789
Ouverture des États-Généraux.
La Reine et les princesses ne sauraient manquer à leur premier devoir en matière de représentation, soigner leur parure. Lorsque la Reine est souffletée par le cri de «Vive le duc d’Orléans», la souveraine vacille. On craint un malaise. Marie-Joséphine ne se précipite pas pour La secourir. Ce sont Madame Elisabeth et la princesse de Lamballe qui se sont offertes. Satisfaction éphémère de Marie-Joséphine. Décidément ces deux femmes ne s’aiment pas.
Le 4 juin 1789
Mort du Dauphin, Louis-Joseph-Xavier-François, à Meudon.
Le 14 juillet 1789
Prise de la Bastille.
Ce n’est pas tant la prise de la Bastille qui effraie, c’est avant tout la fureur du peuple qui dans son insurrection à publié la fameuse liste noire, la liste où sont inscrits toutes les personnes qu’il faut abattre. La Reine est un tête de la liste suivie de son beau-frère Artois.
Le 16 juillet 1789
Le comte d’Artois émigre avec ses deux fils, les ducs d’Angoulême et de Berry.
Pour des raisons de sécurité en juillet 1789, les soupers cessent chez Madame comme c’était l’usage parce qu’on trouve l’appartement de Madame trop éloigné, donnant sur la rue et loin des secours. La famille royale mangera désormais chez la Reine.
En septembre 1789
L’insignifiante comtesse d’Artois rejoint sa famille piémontaise à Turin. Marie-Thérèse quitte la France dans ce fourgon d’émigrés, emportant le nécessaire, pensant surtout revenir.
En trois jours Versailles et la Cour de France ne sont plus qu’un souvenir.
Le 5 octobre 1789
Des milliers de femmes du peuple venues de Paris marchent sur Versailles pour demander du pain.
Marie-Joséphine se tient aux cotés de Marie-Antoinette et de Madame Elisabeth pendant la soirée du 5.
Le 6 octobre 1789
Vers cinq heures du matin, les appartements privés sont envahis. La Reine s’échappe en jupon par une porte dérobée. Plus tard, Sa présence est réclamée par la foule. Elle va au-devant du peuple, courageuse, au mépris de Sa vie.
Les Provence rejoignent la famille royale dans la chambre d’apparat du Roi à huit heures et demie, après tous les événements face à la populace… Leurs appartements à l’extrémité de l’aile du Midi où ils logent depuis 1787 ne se trouvent pas dans le point de mire des émeutiers. De plus , ils ne sont pas impopulaires…
Les Provence suivent la famille royale ( dans le même carrosse que le Roi ) à Paris et résident au Palais du Luxembourg résidence parisienne de Monsieur (actuel Sénat).
Monsieur a dépensé des fortunes pour redonner à ce palais tout le lustre voulu. Le prince a ses appartements au rez-de-chaussée. C’est aujourd’hui le restaurant du Sénat. Ceux de Marie-Joséphine, dans l’aile adjacente du palais. La somptuosité et la table du Luxembourg étaient célèbres. Quel contraste avec les tristes Tuileries réservées à Louis XVI et Marie-Antoinette.
En 1790
La condition d’otages dont sont victimes Louis XVI et Marie-Antoinette finit par émouvoir Marie-Joséphine. La campagne de libelles, chansons et brochures pornographiques orchestrée contre les souverains révolte la princesse. Elle est passée bien vite du camp démocrate pour renouer des sentiments authentiquement monarchistes. Rien d’étonnant à cela. Son éducation et le monde des palais dans lequel elle a toujours vécue la conduit à des opinions conservatrices. Elle-même n’est pas à l’abri de la vindicte populaire. Un pamphlet la fustige.
« Madame aime le vin, les hommes, les femmes, les jardins, les meubles, l’argent et obéit à ces goûts divers coûte que coûte, que le roi jure, que son mari boude, que le ministre refuse, qu’il y ait une révolution, que les États généraux apportent la réforme, elle s’en fout. Elle veut jouir, elle jouira.»
Le 14 juillet 1790
Fête de la Fédération.
Courant novembre jusqu’au 8 décembre 1790
Séjour de la famille royale au château de Saint-Cloud.
« Je ne veux vivre que pour vous et pour vous aimer »
Lettre de Marie-Joséphine à Marguerite de Gourbillon, 1791
Madame Gourbillon revient à Paris et parvient à revoir Madame en cachette.
Dans la semaine du 14 au 20 février 1791
Marie Antoinette va voir Madame au Luxembourg, malgré l’antipathie qui a toujours régné entre elles deux, et qu’elles n’ont pas cherché à cacher. Elles ont ensemble et seules un entretien de deux heures.
En février 1791
La Correspondance Secrète de Lescure évoque une entrevue entre la Reine Marie-Antoinette et Madame, comtesse de Provence au Petit Luxembourg pour évoquer des sujets graves et particuliers. On a parlé de réconciliation. Dans le contexte du moment, Marie-Antoinette est prise à partie par les libelles et vit un enfer aux Tuileries à Paris. On sait que les relations antérieures entre les deux femmes n’étaient pas au beau fixe. Néanmoins, la comtesse de Provence, lorsque la Révolution devient de plus en plus hostile envers la famille royale, s’émeut du sort du couple royal. Peu à peu, ses sentiments changent, la compassion la gagne.
Le 20 février 1791
Départ de Mesdames Adélaïde et Victoire qui partent pour Rome.
Le Roi doit intervenir pour qu’elles soient autorisées à quitter le territoire français.
En juin 1791
La révolution gronde et Jeanne Marguerite de Gourbillon est rappelée en 1791 par le comte de Provence pour organiser sa fuite hors de France, lui-même désirant partir seul. Marguerite, avec beaucoup d’adresse, aide la comtesse de Provence à émigrer dans la clandestinité le 20 juin 1791, lui sauvant ainsi la vie.
Le 19 juin 1791
« L’après-midi de la veille de son départ, elle était tranquillement dans sa chambre, ne se doutant pas de tout ce qui allait arriver, lorsqu’elle vit avancer une de ses femmes, qui s’appelle madame de Gourbillon, qui lui présenta un billet de Monsieur, lequel il lui disait d’ajouter foi à tout ce que cette femme lui dirait puisque c’était sa propre volonté, qu’il connaissait la fidélité et la résolution de madame de Gourbillon et que c’était pour cela qu’il s’était confié à elle.
Celle-ci apprit alors que Monsieur lui avait annoncé que le Roi s’en allait et qu’elle devait aussi partir dans la nuit, mais que Monsieur partait seul avec M. d’Avaray, pour moins de soupçons.
Ma sœur ne fit semblant de rien, elle soupa à son ordinaire, et après souper, elle feignit d’avoir un grand mal de dents, elle se coucha, renvoya ses femmes, et lorsque toutes furent retirées, se leva sans bruit, prit le peu de nippes quelle avait dans sa chambre, et sortit toute seule de son appartement par un petit escalier qui donne dans un jardin ou elle trouva madame de Gourbillon.»
Récit du prince Charles-Félix, duc de Genevois, à propos de la fuite de sa sœur Marie-Joséphine de Provence
Le 20 juin 1791
Comme le Roi et sa famille, les Provence fuient la Révolution , mais leur périple ne finira pas aussi mal et ils vont donc parcourir l’Europe… La veille du départ, Provence remet à la lectrice un billet à l’intention de Marie-Joséphine :
« Croyez ce que madame de Gourbillon vous dira comme si c’était moi-même qui vous parlait.»
Marie-Joséphine
« Elles passèrent devant plusieurs gardes nationaux, qui ne les reconnurent point, puis elles montèrent dans un fiacre, avec la seule escorte, du domestique de madame de Gourbillon. Elles allèrent descendre à la maison de de la femme et là elles trouvèrent une mauvaise diligence à trois chevaux.
Elle passa par Lille et arriva heureusement à Mons ou Monsieur vint les rejoindre. A présent, ils sont à Bruxelles, avec le comte d’Artois et les princes de Condé.»* le comte de Criminil, écuyer ordinaire de la comtesse de Provence, fit office de garde du corps le long du trajet.
Récit du prince Charles-Félix, duc de Genevois, à propos de la fuite de sa sœur Marie-Joséphine de Provence
« Le Roi et toute sa famille quittent Paris, heureusement (sans problème), le 20 à minuit. Je les ai conduits au premier poste. Dieu veuille que la suite de leur voyage soit tout aussi heureuse. J’attends ici Monsieur en ce moment. Je poursuivrai ensuite ma route le long de la frontière, pour rejoindre le Roi à Montmédy, s’il a la chance d’y arriver.»
Axel de Fersen dans une lettre à son père, 22 juin 1791, depuis Mons où Fersen a rencontré le comte de Provence et d’autres, dont la maîtresse de Provence qui vient de quitter Bruxelles pour Mons au même moment afin de rencontrer la comtesse de Provence.
Accompagnée de Marguerite, Madame réussit à rejoindre Monsieur. Provence joue les régents, sans aucune légitimité. Madame se tient à l’écart des intrigues. Les Provence se réfugient à Cologne, puis à Turin. Mais la présence de Marguerite est une source de tensions avec Monsieur et même avec la famille royale de Piémont. Très vite, Marie-Joséphine et Marguerite se réfugient en Europe centrale.
Le 21 juin 1791
Le Roi et la Reine sont arrêtés à Varennes.
Le 22 juin 1791
Axel von Fersen dans une lettre à son père, écrit à Mons, où (pour des raisons inconnues) il a rencontré le comte de Provence (qui n’avait aucune raison d’être là) et d’autres, dont la maîtresse de Provence (qui vient de quitter Bruxelles pour Mons au même moment afin de rencontrer Provence).
Les Provence passent la frontière.
D’après les mémoires de Louis de Bouillé, sur le comte de Provence étant informé de la capture de la famille royale après leur fuite de Paris :
« Il écoutait avec un calme imperturbable, une froideur impassible, dont il ne sortait que pour me poser quelques vagues questions et dont je ne fus pas moins révolté que surpris. Je ne sais si, comme il le dit dans sa Relation, ses larmes « qui n’avaient pas pu couler au premier instant étaient venues le soulager » avant mon arrivée, mais ce que je peux vous assurer c’est que nous n’avons vu aucune trace de cela dans ses yeux, parfaitement secs comme son cœur, et qu’on ne remarquait que leur habituelle expression de fausseté, par laquelle s’échappaient quelques bouffées de satisfaction traîtresse.»
Le palais du Luxembourg est alors déclaré « propriété nationale ».
Le « Luxembourg » devient une prison en juin 1793 pendant la Terreur avant d’être affecté au Directoire par décision du 18 septembre 1795. Les cinq directeurs s’y installent le 3 novembre 1795. Bonaparte, Premier consul, s’installe au palais du Luxembourg le 15 novembre 1799. Le Sénat conservateur, assemblée créée par la Constitution de l’an VIII, s’y installe le 28 décembre 1799.
Marie-Joséphine et Madame de Gourbillon émigrent toutes deux en Allemagne puis dans plusieurs pays d’Europe. Elles restent huit ans ensemble à parcourir le continent.
Le frère de Marguerite Etiennette de Gourbillon de Driancourt, l’abbé Gallois, qui participa aux intrigues contre-révolutionnaires sera arrêté suite à son dévouement pour la famille royale et il périra massacré en septembre 1792
A cette époque l’ancienne comtesse de Provence mène une vie bourgeoise dépourvue de luxe superflu. Elle se débat dans des difficultés financières de plus en plus chroniques. Bien que pensionnée de 10000 livres tournois par le Roi Charles IV d’Espagne, elle est souvent à court d’argent et Marie-Joséphine demande encore et toujours.
Image de La Grande Cabriole (1789) de Nina Companeez qui évoquent la vie en exil des aristocrates français d’alors….
Le 10 août 1792
Abolition de la Monarchie française.
Le 2 septembre 1792
Massacre de la princesse de Lamballe, sa cousine.
Massacres dans les prisons.
Le 21 janvier 1793
Exécution de Louis XVI, Louis-Stanislas se proclame « régent » pour le Dauphin, lequel demeure prisonnier des révolutionnaires à Paris, et le proclame Roi de France sous le nom de jure de Louis XVII.
Même son beau-père refuse de le reconnaître !
C’est à cette époque que le comte de Provence, gendre de Victor-Amédée III, parvient à Turin . L’accueil de la Maison de Savoie est correct, mais sans chaleur marquée, le Roi de Piémont-Sardaigne préférant éviter l’hospitalité à un prince aussi politiquement gênant que l’est Monsieur.
Sans doute le Roi ne désire-t-il pas le retour dans sa capitale d’une coterie d’émigrés comme celle du comte d’Artois quelques années plus tôt. Mais en 1793, la situation des princes émigrés est diamétralement opposée à celle de 1789 : le comte de Provence n’a plus d’argent, compte ses soutiens politiques sur les doigts d’une main et ne parvient pas à imposer son titre fictif de «Régent de France» auprès des souverains de l’Europe.
Dans la nuit du 2 au 3 août 1793
Marie-Antoinette est transférée de nuit à la Conciergerie.
Le 16 octobre 1793
Exécution de Marie-Antoinette.
Le 10 mai 1794
Madame Elisabeth est guillotinée à son tour.
En 1795
Les français conquièrent la côte ouest de la Ligurie. L’année suivante, le général Bonaparte, nommé commandant en chef de l’armée d’Italie, accélère l’avancée française.
Le 8 juin 1795
L’annonce de la mort en prison du fils du défunt Roi Louis XVI âgé de dix ans, Louis XVII pour les royalistes, permet au comte de Provence de devenir le dépositaire légitime de la couronne de France et de se proclamer Roi sous le nom de Louis XVIII. Pour ses partisans, il est le légitime Roi de France.
Clotilde appelle «Mon bon, cher et adorable frère» celui qui devient en 1795, «Roi de France» en exil sous le nom de Louis XVIII.
A Turin, son embonpoint colossal le fait paraître «gros comme un ballon» et accablé par les crises de goutte, il rend visite à sa belle-famille en chaise à porteurs.
Pour ses partisans, il est le légitime Roi de France dont Marie-Joséphine est la Reine.
Marie-Joséphine s’est donc réveillée Reine de France.
Le 19 décembre 1795
Marie-Thérèse, l’Orpheline du Temple, sa nièce, quitte sa prison vers quatre heures du matin le jour de ses dix-sept ans, escortée d’un détachement de cavalerie afin de se rendre à Bâle, où elle est remise aux envoyés de l’Empereur François II.
Son séjour forcé à Vienne la rend froide et maussade tandis que le comte de Provence, alors en exil à Vérone, ne se résout pas à la voir entre les mains de l’Empereur.
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Le 11 avril 1796
L’offensive française débute en seulement quinze jours, malgré l’inferiorité numérique de son armée, Bonaparte remporte les victoires de Montenotte, Dego et Mondovi.
Après la défaite de Mondovi, le 22 avril 1796, alors que les français se rapprochent de Turin, Victor-Amédée III juge opportun que ses deux filles quittent immédiatement la capitale menacée pour se replier à Novare.
Les défaites conduisent Victor-Amédée III à signer le 27 avril 1796, l’armistice de Cherasco, sur la base duquel le Piémont renonce à Nice et à la Savoie et la concession à la France des débouchés intérieurs des Alpes et les forteresses de Cuneo, Ceva et Tortone, ainsi que le libre passage des soldats français pour la guerre contre l’Autriche et la libération des prisonniers politiques.
Le 15 Mai 1796
La campagne du Piémont aboutit à la défaite de Mondovi. Victor-Amédée conclut avec Bonaparte le traité par lequel il cède la plus belle moitié de son royaume. Dans le trouble de la défaite , la comtesse de Provence quitte Turin pour se réfugier à Novare avec sa sœur, la comtesse d’Artois.
Le 16 octobre 1796
Mort de son père, Victor-Amédée III.
Le frère de la comtesse de Provence, Charles-Emmanuel ( 1751-1819), qui est aussi l’époux de Madame Clotilde de France, qui s’était vu dépossédé de tout son royaume à l’exception de la Sardaigne estime qu’il est de sa dignité de ne pas rester à Turin.
En 1798
Provence arrive à Mittau (en Lettonie), où il reçoit l’asile du Tsar Paul Ier.
Le 2 juin 1799
Des impératifs familiaux contraignent Marie-Joséphine à rejoindre son époux installé sur le territoire russe. Elle entre à Mittau, résidence de Courlande généreusement prêté par le tsar au prétendant du trône de France. Au château, Louis XVIII fait un accueil très aimable à son épouse.
Le 4 juin 1799
La Reine assiste boudeuse et passive à l’arrivée de Madame Royale, la fille rescapée de Louis XVI.
Le 31 mai 1799
Une lettre de Louis XVIII à son épouse venue le rejoindre en Russie, indique qu’il supporte toujours mal la présence de la lectrice auprès de sa femme qui, contre vents et marées, ne renonça jamais à l’amour de sa vie :
« Si mes instances, lui dit-il, si notre amitié ne peuvent rien sur vous, si vous pouvez vous résoudre à me compromettre vis-à-vis de l’empereur de Russie, qui ne pourra, d’après votre résistance, que prendre la plus étrange idée de nous deux, madame Gourbillon pourra arriver à Mittau; mais je vous jure qu’elle ne mettra pas les pieds au château. Encore une fois, ma chère amie, rendez-vous à notre amitié, et que la joie que j’éprouverai en vous revoyant soit, s’il est possible, augmentée par cette condescendance de votre part. Je ne suis pas embarrassé de vous en supplier, car c’est votre intérêt seul qui me fait parler »
(Archives du ministère des Affaires étrangères, Fonds Bourbon Ms. vol. 595, f° 245, du 31 mai 1799)
Si Madame, reconnue comme la Reine de France par les émigrés tient son amie à proximité du château de Mittau où elle reste peu, elle cherche dès qu’elle le peut à rejoindre Marguerite qui l’accompagne dans la plupart de ses déplacements jusqu’à ce qu’elles se retrouvent enfin à Londres où la mort les séparera.
Le 10 juin 1799
Louis-Antoine, duc d’Angoulême, fils de sa sœur Marie-Thérèse, épouse au palais de Mittau en Russie sa cousine germaine Marie-Thérèse de France, fille de Louis XVI. Le couple n’aura pas d’enfants.
La comtesse d’Artois est absente au mariage de son fils. Provence exige que sa femme le rejoigne à Mittau, en Russie. Le Tsar, à la demande de son «cousin», le Roi de France, interdit l’entrée du territoire russe à madame de Gourbillon. Marie-Joséphine en fait une crise d’hystérie mais impose sa lectrice.
C’est à ce moment que le prince de Ligne surnomme Marie-Joséphine Notre-Dame de Mittau.
Dorothée de Courlande, future duchesse de Dino dépeint la vieille Reine ainsi :
« Je n’ai jamais vu une femme ni plus laide, ni plus sale. La reine grelotte de fièvre. Ses yeux sont à moitié collés. »
Marguerite est chassée de Mittau, au grand scandale de la Reine exilée ! Les deux «amantes» ne se reverront plus, mais ne cesseront pas de correspondre. Marguerite essayera de soutirer de l’argent à la princesse.
Très vite Louis XVIII est chassé de Mittau par le Tsar Paul Ier : il va errer en Europe à la recherche d’un asile.
En 1801
Le comte d’Artois fait venir Aglaé de Guiche, la fille de madame de Polignac, en Angleterre où elle entre au service de Marie-Joséphine de Savoie, épouse du comte de Provence. Missionnée pour user de ses charmes auprès du Premier consul et le convaincre de rétablir les Bourbons, Joséphine voit en elle une rivale dangereuse et Aglaé quitte Paris sans avoir rencontré Bonaparte.
Le 7 mars 1802
Mort de sa belle-sœur, la Reine de Sardaigne, Clotilde de France, qui sera reconnue «vénérable» par l’Eglise catholique en 1808.
Le 2 juin 1805
Après une quasi-inexistence à la Cour, sa sœur Marie-Thérèse, comtesse d’Artois s’éteint à l’âge de quarante-neuf ans. Elle est enterrée à Graz, dans le mausolée impérial sis à côté de la cathédrale de la ville.
Marie-Josephine n’apprendra la mort de sa sœur que trois semaines plus tard, à Mittau en Courlande, où elle est revenue s’installer fin avril, alors qu’elle est à table.
En 1807
Louis XVIII se réfugie en Angleterre, bientôt rejoint par sa femme. Marie-Joséphine est très malade.
Le 27 septembre 1807
La comtesse de Provence écrit à la comtesse Diane de Polignac (1746-1818), depuis Mitau, en Courlande, actuelle Lettonie.
Alors que son exil à Mitau prend fin, la comtesse de Provence, résignée, attend que son sort se décide. Elle espère qu’Aglaé (1787-1842), petite-fille de la duchesse de Polignac (non pas sa fille également prénommée Aglaé, mais morte en 1803), à laquelle elle était très attachée, la rejoigne rapidement.
Aglaé, devint comtesse Davydov, en Russie.
Transcription :
« J’ai appris avec beaucoup d’inquiétude votre maladie et ensuite avec une grande joie, votre rétablissement : mon sort est encore très incertain ici, mais de quelque manière, que cela tourne, je vous verrai dans le courant de l’année prochaine quand je devrais vous aller chercher, mais de quelque moment que cela soit, j’attendrai cependant qu’Aglaé revienne ici promptement pour prendre les bains de mer ensuite (….). J’ai bien du chagrin de voir partir mon enfant, qui est si charmante, mais si souffrante, guérissez là moi, par charité, vous me rendrez la vie (…), je vous prie de dire à Betsy mille choses de ma part (…).»
En 1808
A cinquante-cinq ans, la laideur de Marie-Joséphine est occultée par les ravages de la maladie. Une cirrhose du foie consécutive à ses débordements de boisson depuis sa jeunesse, les progrès lancinants de l’hydropisie et une décalcification sévère minent ses dernières forces et elle a considérablement maigri. Lucide sur son état, elle avouera à madame de Gourbillon :
« Autrefois, j’étais un cheval, à présent je ne suis plus qu’une vielle rosse.»
En mars 1809
La Cour en exil s’installe au château d’Hartwell, non loin de Londres. Marie-Joséphine est physiquement très diminuée, éprouvée par ses années d’errance et par la maladie.
« Elle marche courbée en deux, les poings sur les hanches, les coudes en dehors et, lorsqu’elle est assise, elle est toute pliée, avec ses mains tenant ses genoux et un tabouret sous ses pieds »
Lady Jerningham
En 1810
L’année 1810 commence très mal, la Reine est la proie d’une attaque d’ophtalmie, puis au cours de l’été elle fait une chute et se casse le poignet droit. Elle sait qu’elle va bientôt mourir et décrit à Marguerite l’état effrayant des ravages de son mal :
« Je souffre de douleurs abdominales, mes dents d’en bas ont été disloquées par les convulsions. Je ne suis plus ni gourmande, ni intempérante . On me donne des lavements d’huile de camomille et de camphre, mes urines sont infectes ainsi que mes sueurs. »
Le 13 novembre 1810
En fin de matinée
Marie-Joséphine décède en 1810 à Hartwell House dans le Buckinghamshire en Grande-Bretagne.
« Tout permet de penser que la comtesse de Provence est décédée des suite d’une cyrrhose du foie. Marie-Joséphine était intempérante depuois sa jeunesse. Elle était sujette à de graves crises de vomissements accompagnés de crises nerveuses, symptômes d’une hypocondrie marquée. L’hydropisie qui s’est manifestée à la fin de sa vie est la conséquence d’un foie insuffisant sur le plan protidique, ce qui explique la fuite d’eau vers les tissus et l’oedème des membres inférieurs qui en résulte. En outre, vraisemblablement après sa ménopause, la princesse a été victime d’une sérieuse décalcification qui s’est manifestée pat un tassement et la déformation de la silhouette (ostéoporose massive).»
Evelyne Lever , Louis XVIII (1988), Fayard
C’est dans la prestigieuse abbaye de Westminster, nécropole des rois d’Angleterre, que le corps de Marie-Joséphine est inhumé. Marie-Joséphine ne devait pourtant reposer qu’un an à Westminster.
En 1811
Louis XVIII fait transporter son cercueil à Cagliari, en Sardaigne. Cette démarche représente le dernier souhait de la Reine qui aurait interdit que sa dépouille soit déposée à Saint-Denis au cas où la monarchie serait restaurée en France.
Le 13 Avril 1811
Elle est placée dans la chapelle Saint-Lucifer de la cathédrale de Cagliari – le tombeau date de 1830 :
La monarchie n’est rétablie en France qu’en 1814. Marie-Joséphine n’aura donc jamais vraiment été Reine de France et ne figure pas dans la liste des souveraines. Louis XVIII, dans ses mémoires, édités à Bruxelles en 1833 par Louis Hauman et Compagnie, libraires, raconte :
« Cette année 1810 devait (…) m’être défavorable. Elle (…) se termina par (…) la mort de la reine ma femme, expirée à Goldfield-Hall7 le 13 novembre 1810. Cette excellente princesse, à laquelle nos infortunes m’avaient doublement attaché, les avait supportées avec une magnanimité peu ordinaire : tranquille, lorsque les amis vulgaires s’abandonnaient à leur désespoir, jamais elle ne fit un de ces actes de faiblesse qui abaissent la dignité d’un prince. Jamais non plus elle ne me donna aucune peine d’intérieur, et elle se montra reine dans l’exil comme elle l’aurait été sur le trône. Sa gaieté douce me convenait ; son courage que rien ne pouvait abattre, retrempait le mien ; en un mot, je puis dire de la reine ma femme ce que mon aïeul Louis XIV dit de la sienne quand il la perdit : « Sa mort est le premier chagrin qu’elle m’ait donné ». (…)
La reine, âgée de cinquante-sept ans, eut non seulement tous mes regrets, mais encore ceux de mes proches et de nos serviteurs. La famille royale me prodigua dans cette circonstance une foule d’attentions délicates et soutenues. Elle voulut que les restes de Sa Majesté fussent ensevelies à Londres avec tous les honneurs rendus aux reines de France dans la plénitude de leur puissance. C’est à Westminster que reposent ces chères dépouilles ; puisse la terre leur être légère ! Je suis convaincu que l’âme qui y logeait habite aujourd’hui les régions célestes où elle prie avec les bienheureux de notre famille, pour son époux et pour la France. »
Jeanne-Marguerite de Gourbillon retrouve sa Franche-Comté natale.
Elle meurt en 1817, à Gray à l’âge de quatre-vingts ans.
Sur ordre de Louis XVIII, la police confisque la correspondance de la défunte
Le 6 avril 1814
Louis-Stanislas, comte de Provence, est proclamé Roi sous le nom de Louis XVIII.
Le 16 septembre 1824
Son mari, devenu Louis XVIII, meurt à Paris.