Le 9 octobre 1757
à sept heures du matin
Naissance de Charles-Philippe, cinquième fils du Dauphin Louis-Ferdinand (1729-1765) de France et de Marie-Josèphe de Saxe (1731-1767).
Charles est ondoyé le jour-même par l’abbé de Bouillé
À sa naissance, Charles est au cinquième rang dans la succession au trône de France après son père, le Dauphin et ses frères, les ducs de Bourgogne, duc de Berry et comte de Provence.
Le petit prince est d’abord titré comte d’Artois, en mémoire de Robert de France, comte d’Artois, frère de Saint Louis, mais le choix de ce titre serait également lié aux conséquences de la tentative d’assassinat menée par Damiens contre Louis XV (5 janvier 1757). Damiens était né près d’ Arras, dans l’Artois. Il est donc décidé de lui donner le titre de comte d’Artois pour faire savoir aux habitants qu’on ne leur tiendrait pas rigueur de l’incident.
Le petit prince grandit dans une Cour en deuil. En effet, l’année 1759 inaugure une décennie de décès pour la maison royale de France. La duchesse de Parme, fille aînée du Roi, meurt à Versailles. En mars 1761, le duc de Bourgogne, âgé de neuf ans, meurt après une chute, l’Archiduchesse Marie-Isabelle, petite-fille de Louis XV meurt en 1763 à Vienne après avoir donné le jour à une fille qui ne survit pas, en 1765, le duc de Parme et le dauphin rendent leur âme à Dieu suivi en 1766 par leur grand-père le Roi Stanislas, en 1767 par la dauphine et en 1768 par la Reine.
Le 23 septembre 1759
Naissance de sa petite sœur Madame Clotilde (1759-1802) à Versailles.
En 1760
L’éducation de Charles-Philippe est assurée par cinq précepteurs, mais reste quelque peu délaissée du fait de ses maigres chances de régner. On ne lui enseigne pas moins l’histoire, la géographie, l’anglais et l’allemand, langue maternelle de sa mère. Il est d’abord confié à la comtesse de Marsan et en grandissant, quand il a sept ans, le petit-fils du Roi doit passer des jupons de sa gouvernante aux mains d’un gouverneur chargé de l’ensemble des activités éducatives.
Le Dauphin choisit pour ses enfants un homme plus proche des idées monarchiques : le duc de la Vauguyon ( 1706-1772).
Ce dernier appellera ses élèves les « Quatre F » : le Fin (le duc de Bourgogne), le Faible (le duc de Berry), le Faux ( le comte de Provence) et le Franc (le comte d’Artois).
En novembre 1760
L’état de santé du duc de Bourgogne, son frère aîné, s’aggrave néanmoins et on lui diagnostique une double tuberculose (pulmonaire et osseuse). La Cour doit se rendre à l’évidence : la mort du prince est aussi imminente qu’inéluctable. Ses parents se trouvent dans « un accablement de douleur qu’on ne peut se représenter».
Le 29 novembre 1760
Dans l’urgence, l’enfant est baptisé et il fait sa première communion le lendemain.
Le 16 mars 1761
Le duc de Bourgogne reçoit l’Extrême-onction.
Dans la nuit du 20 au 21 mars 1761
Le duc de Bourgogne meurt, en l’absence de son petit-frère, Louis-Auguste, alité lui aussi par une forte fièvre.
La mort du duc de Bourgogne est vécue comme un drame pour le Dauphin et la Dauphine.
Marie-Josèphe déclarera :
« rien ne peut arracher de mon cœur la douleur qui y est gravée à jamais ».
Le 19 octobre 1761
L’enfant est baptisé le 19 octobre 1761, le lendemain du baptême du futur Louis XVI et du futur Louis XVIII, avec les prénoms Charles Philippe par l’archevêque Charles Antoine de La Roche-Aymon dans la chapelle royale du château de Versailles, en présence de Jean-François Allart, curé de l’église Notre-Dame de Versailles. Sa marraine est sa tante Madame Sophie (1734-1782), et son parrain le Roi Charles III d’Espagne (1716-1788) -ce qui explique le choix de ses prénoms- représenté par Louis-Auguste de France, duc de Berry.
Le 3 mai 1764
Naissance de sa petite sœur Madame Élisabeth (1764-1794) au château de Versailles.
Le 11 août 1765
Le Dauphin Louis-Ferdinand, son père, fait une visite à l’abbaye de Royallieu et revient à Versailles sous la pluie. D’une santé déjà précaire et affublé d’un rhume, il est pris d’une violente fièvre.
Il parvient à faire transporter la Cour au château de Fontainebleau pour changer d’air, mais rien n’y fait, son état empire au fil des mois.
Le 19 octobre 1765
Le duc de Berry est prévenu du danger de mort où se trouve son père : on amène au Dauphin ses trois fils à qui on vient d’annoncer la mort imminente de leur père. En voyant la pâleur du duc de Berry et les larmes qu’il ne peut retenir, le Dauphin se met en devoir de le consoler avec une cruauté qu’on espère inconsciente :
« Dans la conversation, Louis-Ferdinand dit au duc de Berry:
«He bien, mon fils, vous pensiez donc que je n’étais qu’enrhumé? »
Puis en riant et en plaisantant:
« Sans doute, ajouta-t-il, que quand vous aurez appris mon état, vous aurez dit : tant mieux, il ne m’empêchera plus d’aller à la chasse.»
Marie-Josèphe de Saxe
Le 20 décembre 1765
Après une agonie de trente-cinq jours, le Dauphin , son père, meurt, à l’âge de trente-six ans.
Le 9 mars 1767
Marie-Josèphe fait appeler ses trois fils.
« Elle leur donna sa bénédictions en versant des larmes. Son confesseur (l’abbé Soldini) s’acquittant en son nom de devoir que son attendrissement ne lui permettait pas de remplir, leur dit :
« Monseigneur, Madame la Dauphine m’ordonne de vous dire qu’elle vous donne sa bénédiction de tout son cœur et qu’elle prie le Seigneur de vous combler de toutes les siennes. Elle vous recommande de marcher devant Dieu dans la droiture de votre cœur, d’honorer le Roi et la Reine, de les consoler en retraçant à leurs yeux les vertus de votre auguste père ; de ne vous écarter jamais des sages avis que vous donnent les personnes qui sont chargées de votre éducation, et de vous souvenir de Dieu pour elle.»
L’abbé Soldini
Les trois enfants sortent en larmes d’auprès de leur mère.
Le 10 mars 1767
Dans l’après-midi, Marie-Josèphe fait ses adieux à ses deux petites filles Madame Clotilde et Madame Elisabeth qui aura trois ans au mois de mai.
Le 11 mars 1767
Marie-Josèphe revoit ses fils pour la dernière fois.
Le 13 mars 1767
Mort de sa mère, Marie-Josèphe de Saxe ( née le 4 novembre 1731).
Le 24 juin 1768
Mort de sa grand-mère, la Reine Marie Leszczyńska (1703-1768).
Le 16 mai 1770
Louis-Auguste épouse l’Archiduchesse Marie-Antoinette d’Autriche.
En 1770
Le comte d’Artois fait édifier un jeu de paume par l’architecte François-Joseph Bélanger entre le boulevard du Temple et la rue de Vendôme (actuelle rue Béranger). C’est ce qui deviendra le théâtre Déjazet.
D’octobre à fin novembre 1770
Séjour de la Cour à Fontainebleau.
Le 24 décembre 1770
Le duc de Choiseul (1719-1785) est exilé à cause de son orientation libérale dont la pratique politique s’apparente à une cogestion implicite avec les adversaires de la monarchie absolue.
Louis XV nomme comme nouveau lieutenant général des Gardes suisse son petit-fils, le comte d’Artois. Il dirige le baron de Besenval (1721-1791) qui fait de lui ce portrait :
« Monsieur le comte d’Artois, à la figure la plus aimable, joint toutes les qualités. Ami solide et chaud, franc , loyal, toujours ému par ce qui est noble et juste, facile, sans hauteur, brave, en un mot la nature a tout fait pour lui et l’éducation rien, tellement la sienne a été négligée par M. de La Vauguyon. Au moyen de quoi il est venu dans la société, pour laquelle il avait un souverain attrait entièrement brut et dénué des notions les plus simples.»
Le 14 février 1771
Mariage de son frère, le comte de Provence et de Marie-Joséphine de Savoie.
Les 11, 12 et 13 mai 1771
Petit séjour à Fontainebleau pour accueillir Marie-Joséphine de Savoie.
Une éventuelle initiation à la franc-maçonnerie en compagnie de ses frères, dans la loge maçonnique dite des « Trois Frères » à Versailles, a parfois été suggérée mais jamais démontrée…
« M. le comte d’Artois tenait continuellement la bouche ouverte, ce qui donnait à sa physionomie un air peu spirituel ; mais à part ce défaut, sa tournure était leste et gracieuse, sa figure ouverte et agréable ; tout son extérieur, en un mot, contrastait avec la démarche un peu lourde du roi et celle plus que disgracieuse de Monsieur.»
Félix d’Hézecques
Du 7 octobre au 19 novembre 1771
Séjour de la Cour à Fontainebleau.
Le 28 mars 1772
Le comte d’Artois prête serment entre les mains du Roi pour la charge de Colonel Général des Suisses et Grisons. Il succède au duc de Choiseul qui a dû en démissionner.
Du 6 octobre au 17 novembre 1772
Séjour de la Cour à Fontainebleau.
En 1773
Cette pendule de bronze doré et patiné, au cadran signé Pinon, représente Annibal comptant, après la bataille de Zama, les anneaux d’or des chevaliers romains. Elle est livrée en 1773 pour le grand appartement du comte d’Artois au premier étage de l’Aile du Midi. Lors des saisies révolutionnaires, deux pendules au mouvement de Pinon provenant cet appartement seront portées à Paris. C’est ici l’une d’entre elles.
Déposée par le Mobilier national à Versailles en 1991, elle est aujourd’hui exposée sur la cheminée de la chambre privée du Roi.
Le tour à guillocher du comte d’Artois, exécuté par Antoine Wolff en 1773, déclaré trésor national en 2006. Ce tour mécanique permet de siceler des boîtiers de montres, des pièces d’orfevrerie, de fabriquer des serrures, des clés et des pièces d’horlogerie. Il porte les armes du comte d’Artois à qui il est destiné. Toutes ses pièces sont faites de fer forgé et de bronze doré au mercure à la feuille d’or et finement ornées de ciselures représentant des feuilles de laurier et de lys.
Le 16 novembre 1773
Charles d’Artois épouse Marie-Thérèse de Savoie (1756-1805), sœur de Marie-Joséphine, comtesse de Provence.
Aussi joli cœur et avide des plaisirs de la Cour et de la Ville que son épouse est timide et effacée, Charles montre sa déconvenue avant même la fin des noces. Marie-Thérèse reste muette et lasse durant toutes les fêtes.
Le comte et la comtesse d’Artois s’installent au premier étage de l’Aile du Midi en 1773. Ils y font aménager plusieurs cabinets. Ceux-ci comprennent une bibliothèque, un petit cabinet, un supplément de bibliothèque. La bibliothèque communique avec le cabinet intérieur. En 1774, le comte annexe deux pièces contiguës pour aménager une salle-à-manger.
Le 19 novembre 1773
Bal paré et feu d’artifices au château de Versailles.
Le 23 novembre 1773
Visite à Madame Louise à Saint-Denis : le Roi, accompagné de Mgr le Dauphin, de Mgr le comte de Provence, de Mgr le comte d’Artois, de Madame la comtesse d’Artois et de Mesdames, se rend au monastère des carmélites de Saint-Denis pour y voir Madame Louise.
Le 24 novembre 1773
Bal masqué au château de Versailles
Dans son portrait officiel que la Cour de Turin envoie à Versailles on remarque que la promise révèle des traits plus harmonieux que ceux de sa sœur, Marie Joséphine de Savoie, comtesse de Provence (1753-1810). Mais certains pronostics pessimistes sont confirmés à l’arrivée de la princesse, une jeune fille brune, de petite taille, le visage étroit et un nez trop long.
C’est ce que notait à ce propos Mercy :
« le visage maigre, le nez fort allongé et désagréablement terminé, les yeux mal tournés, la bouche grande, ce qui fait en tout une physionomie irrégulière et des plus communes ».
L’ambassadeur zélé de l’impérieuse Impératrice d’Autriche oubliait les beaux yeux noirs et malgré sa petite taille une excellent proportion de la nouvelle comtesse d’Artois.
« Ma petite sœur, dit le Prince , en lutinant avec quelque excès d’aisance Madame la Dauphine, n’allez pas vous placer trop haut si vous voulez apercevoir ma femme …Quatre pieds six pouces, pas une ligne de plus , une Altesse en miniature…
-Artois, taisez-vous, interrompit Marie-Antoinette…Vous parlez trop légèrement de ma future belle-sœur ; on la dit fort jolie et si l’on doit s’en rapporter à son portrait…»
Le coiffeur Léonard Autier
« Monsieur et madame la comtesse d’Artois occupaient, à Versailles, avec madame Élisabeth, tout le premier étage de l’aile droite du château qui donnait sur l’orangerie, dans la galerie appelée galerie des Princes. Ces appartements, quoique vastes, ne l’étaient pas tant que plusieurs cabinets ne tirassent leur jour de la galerie et ne fussent très-obscurs.»
Mémoires du comte d’Hézecques
La jeune princesse est, comme le dit spirituellement le comte d’Artois, une beauté en miniature : petits traits, petite taille, petit pied ; petit esprit , ajoutent quelques-uns de ces observateurs qui prétendent juger les gens au premier abord.
Charles-Philippe et Marie-Thérèse s’installent dans un sublime appartement à l’emplacement actuel de la Galerie des Batailles.
Peu de temps après les festivités, celui-ci part pour Paris rejoindre sa maîtresse Rosalie Duthé (1748-1830). Les courtisans auront alors ce mot :
« Le prince ayant eu une indigestion de gâteau de Savoie s’en va prendre le thé à Paris ».
Le 29 avril 1774
Les médecins font savoir que le Roi a contracté la variole. Pour éviter la contagion, le dauphin et ses deux frères sont maintenus à distance de la chambre royale.
Le 10 mai 1774
Mort de Louis XV.
« Dans la chambre abandonnée, le cadavre de Louis XV commençait à pourrir, se boursouflant par endroits de grosses cloques jaunes qui éclataient en dégageant une odeur qui avait fait fuir les moines Capucins chargés de veiller le corps. La porte s’ouvre pourtant laissant pénétrer un jeune homme mince et fier. Il s’approche du lit sans détacher ses yeux du masque hideux du souverain défunt, soulève le drap, prend la main droite, la porte à ses lèvres et tombe à genoux. Ainsi rend hommage le comte d’Artois à son grand père.»
Jean-Paul Clément et Daniel de Montplaisir
Aussitôt après la mort de Louis XV
La Cour se réfugie provisoirement au château de Choisy.
C’est à cette occasion que le nouveau Roi prend l’une de ses premières décisions : celle d’inoculer l’ensemble de la Famille Royale contre la variole.
L’enfance puis l’adolescence du comte d’Artois sont une succession d’aventures éphémères, de parties de chasse, de dettes contractées aux jeux d’argent, de courses de chevaux organisées avec son cousin le duc de Chartres, de pièces de théâtre partagées avec Marie-Antoinette
dont il est très proche, surtout à la fin dans les années 1770 et 1780.
« M. le comte d’Artois, affable à tout le monde, ayant dans le caractère cette gaieté qui est commune à sa nation, était adoré du peuple. Ses courses fréquentes à Paris, ses dépenses mêmes contribuaient à cette popularité. Seuls les partisans de la saine morale blâmaient ses égarements et ses prodigalités, qu’ils attribuaient à sa jeunesse. »
Félix d’Hézecques
Mai 1774
Séjour de la Cour au château de Compiègne.
Du 17 juin au 1er août 1774
Séjour de la Cour au château de Marly.
Le secrétaire « aux Enfants Marins »
Ce secrétaire en armoire, dit « aux enfants marins », à abattant dissimulant sept tiroirs en partie supérieure et comprenant deux étagères dans la partie inférieure fermée à deux vantaux, présente une grande richesse de matériaux.
Ornant les angles supérieurs, les deux figures d’enfants dont les corps se terminent en queue de dauphin sont particulièrement remarquables. Œuvre de Roger van der Cruse dit Lacroix, ce meuble est livré en 1774 pour le logement dévolu au frère cadet du Roi Louis XVI à Compiègne, le comte d’Artois, alors âgé de dix-sept ans.
Le 18 juin 1774
Le Roi reçoit cinq injections et ses frères seulement deux chacun.
Le 29 août 1774
Le comte d’Artois est revenu de son voyage à La Fère et de Cambrai.
Il est accompagné du comte de Maillé, premier gentilhomme de sa chambre, du chevalier de Crussol, son capitaine des gardes, du marquis de Polignac, son premier écuyer, du comte d’Affry et de M. Devault.
Du 10 octobre au 10 novembre 1774
Séjour de la Cour à Fontainebleau.
En 1775
Un premier cabinet Turc du comte d’Artois est aménagé en 1775 au premier étage.
Le 6 août 1775
Naissance de Louis-Antoine, duc d’Angoulême, fils du comte et de la comtesse d’Artois.
Dimanche 11 juin 1775
C’est le jour de la Sainte Trinité
Louis XVI est sacré à Reims.
A six heures du matin
« La cérémonie commence à six heures du matin. Dès quatre heures du matin, on se rend à la grande église. A six heures et demie nos six princes arrivent en cérémonie représentant les trois anciens ducs et les trois anciens comtes du royaume, la couronne en tête. Cela est très beau et très imposant… Les deux frères du Roi représentent les deux premiers ducs, celui de Bourgogne et celui de Normandie, et les quatre princes de sang, les quatre autres. Monsieur et le comte d’Artois (sont) très jolis dans cet habillement qui (va) aussi à merveille au gros duc d’Orléans.»
Le duc de Croÿ
La cérémonie est présidée par l’archevêque de Reims, Mgr de La Roche-Aymon, celui-là même qui avait baptisé et marié le Dauphin. Les archevêques de Laon et de Beauvais l’assistent. Le chantre et le Grand Maître des Cérémonies les précèdent, lorsqu’ils arrivent devant la porte de la chambre de parade. Le chantre frappant à la porte avec son bâton, le Grand Chambellan répond sans ouvrir :
«Qui demandez-vous?»
L’évêque de Laon répond : « Le Roi».
Le Grand Chambellan dit « Le Roi dort.»
Il évoque alors Louis XV qui demeure Roi même après qu’il est mort tant que le sacre de Louis XVI n’est pas accompli. Deux fois le petit dialogue se répète. A la troisième fois, l’évêque de Laon répond :
« Nous demandons Louis XVI que Dieu nous a donné pour roi.»
Alors la porte s’ouvre à deux battants et Louis XVI apparaît étendu sur le lit de parade, où il figure non pas lui-même, personne distincte et définie, mais l’entité roi morte, endormie dans le Seigneur par la mort de Louis XV, et sur le point de ressusciter par le sacre. Il est en robe longue d’étoffe d’argent ; sur la tête un chapeau de velours gris garni d’un bouquet de plumes blanches surmontées d’une plume noire de héron, avec au retroussis du chapeau, sous le bouquet de plumes, une agrafe de diamants ; à ses pieds, des mules d’argent. Ses cheveux blonds ne sont pas noués en catogan, épars, tombant en boucles libres sur ses épaules et dans son dos.
L’évêque de Laon lui présente l’eau bénite, puis l’aide à se lever ; alors le rituel de la résurrection du Roi étant terminé, la procession s’organise et traverse la galerie couverte et la nef de la cathédrale en chantant l’antienne du sacre et le psaume Domine in virtute.
A sept heures et demie
« Le Roi arriv(e) … cette entrée où l’archevêque et le clergé vont au-devant, et que les fanfares militaires annoncent, est très noble. Le Connétable, que représent(e) le maréchal de Tonnerre, doyen du Tribunal, âgé de quatre-vingt-huit ans, le suit et se place seul, loin et en bas. Derrière lui, le Chancelier représenté par M. de Miromesnil, alors Garde des Sceaux, et le prince de Soubise représentant le Grand Maître, se placent seuls, l’un derrière l’autre. Ils ont leur grand habit et la couronne ; le Chancelier sa toque ou mortier doré. Cela est des plus majestueux. Le duc de Bouillon Grand Chambellan, le maréchal de Duras Premier Gentilhomme de la Chambre, et le duc de Liancourt Grand Maître (de la Garde Robe), ayant aussi la couronne, se placent dans le même rang, derrière vers le milieu du chœur. Cela fait en tout douze couronnes dont trois de ducs et le reste de comtes qui, avec de grands manteaux d’hermine sur la longue veste d’or fait un effet d’autant plus majestueux qu’on ne le voit que ce jour-là. Les capitaines des gardes qui sont en veste et en manteau de réseau d’or se tiennent à côté. De même plusieurs hoquetons, massiers et autres en manteau de satin blanc, et tout ce costume ancien est imposant. L’archevêque de Reims, successeur de Saint Rémi, assisté des évêques de Soissons et d’Amiens, et pour cette fois du coadjuteur, sont assis vis à vis le Roi, tournant le dos à l’autel, et de leurs grandes mitres, ainsi que leurs superbes ornements d’or éclatant, de même que tous les assistants qui les entourent, et la ligne des cardinaux et prélats qui sont tout du long du côté de l’Epître, se montrent là avec plus grand éclat des pompes de l’Eglise. Le Roi est seul, sur un fauteuil à bras, sous le grand dais élevé au milieu du sanctuaire. Chacun est à sa place, en silence. Le fond en rond-point, derrière le chœur, est une colonnade d’or, avec un amphithéâtre cintré , très élevé, qui fai(t) au mieux mais trop en spectacle d’Opéra. La tribune de la Reine en décoration théâtrale des plus brillantes, celle des ambassadeurs vis à vis, toutes les travées et entrecolonnements garnis, en amphithéâtre, de dames couvertes de diamants et de personnes richement habillées, fai(t) l’effet le plus majestueux, et la décoration (est) d’autant plus frappante qu’elle (est) réelle. L’archevêque donn(e) ensuite l’eau bénite, puis entonn(e) le Veni Creator.»
Le duc de Croÿ
La procession qui accompagne les quatre barons de la Sainte-Ampoule en satin noir et blanc fait alors son entrée. Les quatre otages sont vêtus d’étoffe d’or « légèrement rayée de noir » qui répondent sur leur vie de la sécurité de la Sainte-Ampoule, et sous son dais de moire d’argent bordée de franges unies aussi d’argent et surmonté de quatre fleurs de lys de cuivre argenté, monté sur une haquenée blanche couverte d’une housse de moire d’argent relevée d’une broderie très riche d’argent avec frange autour« , Dom Debar, Grand Prieur de l’abbaye bénédictine de Saint-Rémi, « en aube, étole pendante et chape« , portant dans un reliquaire suspendu à son cou la Sainte-Ampoule, la petite bouteille en forme de larme que Saint Rémi aurait reçue, d’après la légende de la main d’un ange pour le sacre de Clovis.
Après avoir été la recevoir des mains du Grand Prieur et s’être engagé à la lui remettre aussitôt après la cérémonie, tandis qu’on dit sexte, l’archevêque s’habille pour la messe avec les ornements d’argent dont François Ier (1494-1515-1547) a commandé le dessin à Raphaël (1483-1520). Le duc de Croÿ reprend :
« L’archevêque et tous ses assistants s’approchent du Roi qui est dans son fauteuil ; ils lui font les demandes de sûreté et de protection de l’Eglise. Le Roi prononce tout haut la promesse de continuer et de conserver les privilèges de l’Eglise. Alors les évêques de Laon et de Beauvais soulèvent le Roi qui regarde l’assistance. Ils demandent aux seigneurs assistants et au peuple s’ils acceptent Louis XVI pour leur roi, à quoi on acquiesce par un respectueux silence, le fait est qu’ils ne disent rien. Je les interrogeai ensuite ; ils me dirent que cela n’était pas dans leur instruction, et que ce soulèvement qu’ils font du Roi est ce qui reste de cet ancien usage. Ainsi, voilà le vrai, cette fameuse demande ne se fait plus.»
Selon la tradition, le prélat prononce la formule suivante en posant la couronne de Charlemagne sur la tête du souverain :
« Que Dieu vous couronne de la gloire et de la justice, et vous arriverez à la couronne éternelle »
Le Roi lit le serment haut et ferme, en latin, appuyant sur les mots avec respect et attention, comme s’il disait à chaque mot: Je m’engage à cela de bon cœur ! Et pendant toute la cérémonie, il conserve la même ferveur.
Ensuite, il prononce de même haut et ferme, et comme s’engageant bien, «le serment de l’Ordre du Saint-Esprit.»
Il prête aussi le serment de l’Ordre Militaire de Saint Louis et le serment de l’édit contre les duels. La Reine n’est qu’assistante lors de cette cérémonie :
Pendant que le Roi prêtait le serment
On a placé sur l’autel tous les ornements royaux. Les évêques de Laon et de Beauvais conduisent le Roi au pied de l’autel, le Premier Gentilhomme de la Chambre lui ôte sa robe, dessous «de satin cramoisi, garnie de petits galons d’or à jour sur toutes les coutures et ouverte, de même que la chemise, aux endroits ménagés pour les onctions, ces ouvertures fermées par des petits cordons d’or et de soie». Le Grand Chambellan lui met les «bottines de satin violet parsemé de fleurs de lys d’or», et les «éperons garnis en or » que Monsieur, représentant le duc de Bourgogne, lui retire aussitôt.
Et c’est la bénédiction de l’épée, dite de Charlemagne, mais en réalité beaucoup plus moderne, en forme de croix dans son fourreau de velours violet parsemé de fleurs de lys d’or.
« L’archevêque lui ceint l’épée de Charlemagne, apportée du trésor de Saint Denis, pour protéger l’Eglise, la veuve et l’orphelin. Le Roi tient l’épée élevée, l’offre à Dieu en la posant sur l’autel. L’archevêque la reprend, le Roi la reçoit à genoux et la remet au connétable qui la tient toujours de même, nue et la pointe haute.»
Le duc de Croÿ
Les préliminaires étant achevés
« L’archevêque met, sur le milieu de l’autel, la patène d’or de saint Rémi. Le Prieur de Saint Rémi, ayant ouvert la Sainte-Ampoule, la donne à l’archevêque lequel, avec une aiguille d’or, en tire la « grosseur d’un grain de froment, le met sur la patène, puis la remet au Prieur. Ensuite il y mêle le Saint Chrême. Après cela le Roi se prosterne à plat sur un long carreau de velours violet, et l’archevêque, malgré son grand âge et ses infirmités, se prosterne à côté. Les quatre évêques disent des litanies des saints : cette position et ce moment est touchant et imposant… La consécration du Roi se fait ensuite à genoux aux pieds de l’archevêque qui l’oint sur la tête avec ce qui a été mis sur la patène … (la robe et la chemise du Roi) sont ouvertes, et jusqu’à la chair, dans tous les endroits, et l’archevêque lui fait de même six onctions, de sorte que le Roi reçoit tous les premiers ordres de l’Eglise et les a presque tous hormis la prêtrise, tout cela dans l’esprit de l’Ancien Testament, dont l’origine est du temps de Saül.»
Le duc de Croÿ
A chaque onction, sur le front, sur le sein gauche, à la jointure des bras, l’archevêque répète la formule:
« Je vous sacre roi avec cette huile sanctifiée au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.»
Et les chanoines chantent l’antienne propre :
« Le prêtre Sadoch et le prophète Nathan sacrèrent Salomon dans Sion ; et s’approchant de lui, ils lui dirent avec joie : Vive le Roi éternellement!»
L’onction sur les mains, la plus sainte de toutes, se fait à part, et l’archevêque dit en même temps la prière spéciale :
« Que ces mains soient ointes de l’huile sanctifiée de laquelle les rois et les prophètes ont été oints, et de la même manière que Samuel sacra le roi David, afin que vous soyez béni et établi dans ce royaume que Dieu vous a donné à régir. Que Dieu qui vit et règne aux siècles des siècles vous accorde cette grâce.»
Un à un, les ornements royaux sont alors bénis, et le Roi en est revêtu :
- la tunique et la dalmatique «de satin violet, doublées de taffetas couleur de feu, parsemées de fleurs de lys d’or sans nombre», bordées «d’un galon d’or en broderie» ;
- le manteau ouvert sur le côté droit, en velours violet de fleurs de lys d’or sans nombre, doublé d’hermine et une agrafe en forme de fleur de lys d’or « chargée de rubis, de diamants et de grosses perles orientales» ;
- les gants que l’oraison compare à la peau de chevreau dont Jacob avait couvert ses mains le jour «où ayant offert à son père une nourriture et un breuvage qui lui furent agréables, il en reçut la bénédiction» ;
- l’anneau « qui est le signe de la foi et de la dignité royale, la marque de la puissance», cet anneau que Louis XVI ne quittera plus jamais, pas même pour mourir ;
- le Sceptre d’or de cinq pieds dix pouces, surmonté d’un lys d’or émaillé où est représenté Charlemagne sur son trône ;
- la main de justice «dont le bâton est d’or et la main faite d’ivoire», « verge de vertu et de justice».
Monsieur de Miromesnil, faisant office de Chancelier, monte à l’autel contre l’Evangile, et là, tourné vers l’assemblée, d’une voix très claire et haute, fait l’appel en criant avec emphase:
« Monsieur qui représentez le duc de Bourgogne, présentez-vous à cet acte! Il en dit de même aux cinq autres qui se lèvent à mesure et s’approchent du Roi. Il appelle ensuite les cinq pairs ecclésiastiques. L’archevêque prend, sur l’autel, la grande couronne de Charlemagne, il la soutient seul à deux mains sur la tête du Roi, en disant :
« Que Dieu vous couronne de la couronne de gloire et de justice.»
Ensuite, il met seul la couronne sur la tête du Roi, les pairs laïques et ecclésiastiques portent tous la main pour la soutenir à un doigt de la tête du Roi, et ce moment superbe fait la plus grande sensation.
L’archevêque couronne le Roi en disant :
« Recevez la couronne de votre royaume au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, afin que rejetant les prestiges de l’ancien ennemi des hommes, et vous gardant de la contagion de tous les vices, vous soyez si zélé pour la justice, si accessible à la compassion et si équitable dans vos jugements, que vous méritez de recevoir de N.S.J.C. la couronne du royaume éternel dans la société des Saints. Recevez dans cette couronne, et faites qu’elle porte les marques glorieuses et honorables de votre piété et de votre courage, et sachez que c’est par elle que vous participez à notre ministère ; et que de même qu’on nous regarde comme les pasteurs et les conducteurs des âmes dans les choses spirituelles, de même vous preniez notre défense contre les ennemis de l’Eglise, que par le ministère de notre bénédiction et tandis que nous faisons en cette partie la fonction des apôtres et de tous les saints, au milieu de nos cantiques, vous vous montriez le protecteur et le ministre fidèle du royaume qui est confié à vos soins ; afin qu’orné de toutes les vertus qui brilleront en vous comme autant de pierres précieuses et couronné comme un vaillant athlète de la récompense du bonheur éternel, vous régniez glorieusement avec Jésus-Christ notre rédempteur et notre sauveur dont vous êtes l’oint et dont vous êtes regardé comme l’intendant.»
L’archevêque, ôtant ensuite sa mitre, dit au Roi toujours à genoux , plusieurs prières et bénédictions.
L’intronisation
« L’archevêque prend le Roi par le bras droit… et il est mené ainsi majestueusement sur le beau trône qui est très élevé sur la décoration du jubé, où est un fauteuil semé de fleurs de lys, entre les quatre grandes colonnes qui supportent le grand pavillon royal, et d’où il peut être vu de partout. On ouvre la grande porte, le peuple entre en foule, on lâche les oiseaux, toutes les trompettes annoncent le Maître par leurs sons éclatants.»
Le duc de Croÿ
C’est à ce moment où l’émotion qui étreint le Roi est à son comble, où il est présenté à son peuple ayant reçu l’onction qui fait de lui, suivant l’expression du pape Grégoire IX, «l’évêque du dehors».
« Je sais que je n’ai jamais connu autant d’enthousiasme avant. J’ai été totalement surpris de me retrouver en larmes et de voir tous les autres dans le même état… Le Roi semblait vraiment ému par ce beau moment… Notre Roi habillé avec toute la brillance de la royauté, sur le vrai trône, était une vue Tellement impressionnant qu’il est difficile à décrire.»
Le duc de Croÿ
Charles-Philippe assiste au sacre de son frère, où il « tient lieu de duc de Normandie », pair du Royaume et est apanagé par lui du comté de Poitou et des duchés d’Angoulême et de Mercœur . Il est déjà à cette époque considéré comme le trublion de la famille royale et son attitude lors du sacre est très vivement critiquée ; il perd même sa couronne après la cérémonie et avant le banquet.
Le 12 juin 1775
Jour de repos pour le Roi qui n’assiste même pas à la revue du régiment d’Esterhazy.
Le 13 juin 1775
Après son sacre, Louis XVI reçoit à Reims l’hommage des chevaliers de l’ordre du Saint-Esprit. À leur baptême, les fils de France (et même les infants d’Espagne) recevaient le cordon et la plaque de l’ordre, mais n’étaient reçus chevaliers qu’après leur première communion. Chef et souverain, grand maître des ordres de Saint-Michel et du Saint-Esprit, le Roi n’avait le droit de conférer le Saint-Esprit qu’après son sacre, mais Henri IV, Louis XIV et Louis XV, ainsi que Louis XVIII passèrent outre .
« Le matin, le roi portait un habit gris jusqu’à l’heure de son lever ou de sa toilette. Alors, il prenait un habit habillé de drap uni, avec une épée d’acier ou d’argent.»
La marquise de La Tour du Pin décrit ainsi le nouveau Roi :
« Il était très magnifique dans ses habits, dont à vrai dire il ne s’occupait guère, car il prenait celui qu’on lui donnait sans seulement le regarder.»
La marquise poursuit son descriptif en lui trouvant mauvaise tournure, rien de royal dans le maintien, myope comme une taupe, embarrassé de son épée et de son chapeau, marchant comme un paysan …
Le 14 juin 1775
Spectacle de cavalcade : les mousquetaires noirs, dont les chevaux sont beaux, puis les gris, les chevau-légers à cheval, les gardes de la Prévôté à pied, à part monsieur de Tourzel (Grand Prévôt de France) à cheval, très peu de seigneurs à cheval, parce qu’on n’a pas été avertis, sans quoi il aurait dû y en avoir davantage, quatre chevaux de main du Roi, superbement caparaçonnés, douze pages à cheval, les trompettes, les Cent-Suisses de garde à pied, ayant le duc de Cossé à cheval, en habit de Cent-Suisse, d’argent avec un manteau, quelques chevaliers de l’Ordre pêle-mêle_ et pas assez, n’ayant pas été avertis_ les maréchaux du Muy, de Broglie et de Nicolaï, sans garder le rang et en uniformes de lieutenants-généraux, mais brodés de même sur toutes les tailles, le Grand Ecuyer Monsieur de Lambesc, le Roi, superbement habillé, en bas de soie comme les autres et sur un magnifique cheval où il est fort bien, les deux capitaines des gardes à ses côtés, des écuyers à pied, les six gardes écossais en hoqueton, à pied, sur les ailes, tout cela faisant très bien mais un peu trop serré et confondu, comme dans toutes les cérémonies. Derrière le Grand Chambellan, le Premier Gentilhomme de la Chambre et le Premier Ecuyer de front, les deux frères du Roi, puis les princes du sang. Leurs habits, chevaux et harnais sont des plus beaux. On remarque surtout le cheval de Monsieur qui a coûté quatre mille francs, celui du duc de Chartres avec un grand panache, et le harnais de beaux diamants du comte d’Artois. Viennent ensuite les officiers des gardes du corps et les gendarmes de la garde ferment la marche. Le Roi ôte son chapeau, il est mieux à cheval qu’à pied, s’y tenant mieux et menant bien son cheval.
Une fois arrivé
Le Roi va près de la sacristie prendre le manteau et le petit habit de l’Ordre du Saint Esprit, pour suivre à la lettre les statuts qui prescrivent de l’avoir quand on fait ses dévotions. Le Roi doit être en état de grâce pour toucher les malades. Il communie encore. Il entend ensuite une seconde messe basse. Après la seconde messe, le Roi, toujours en petit habit, va dans le parc devant l’église, à droite, toucher les malades. Les malades, dont beaucoup sont jeunes, sont en deux rangées, à genoux, sous les arbres. Il y en a plus de deux mille quatre cents, tous écrouelleux vérifiés et qui en montrent bien les marques. A cause de la chaleur, tout cela pue et est d’une infection très marquée, de sorte qu’il faut du courage et de la force d’âme au jeune Roi pour se prêter à cette cérémonie.
Le Roi, dans le petit manteau de l’Ordre et couvert du chapeau à plumes, touche réellement chaque malade, avec les doigts et la main ouverte, sur les joues, puis de l’autre sens du front au menton, en disant:
« Dieu te guérisse, le Roi te touche!»
Cela va assez vite, il touche chacun rapidement, mais avec attention et un air de bonté remarquables. Le premier médecin met , par derrière, la main sur la tête de chacun pour la tenir ferme, et Monsieur de Beauvau, le capitaines des gardes de quartiers, prend des gants, pour la sûreté, entre ses deux mains les mains jointes de chacun.
Quand le Roi a fini
Ses deux frères et le duc d’Orléans lui donnent à laver, suivant l’usage, d’abord avec du vinaigre, puis de l’au, puis de l’eau de fleur d’oranger.
Après cette cérémonie
Le Roi va à Saint Rémi reprendre son habit riche, voir la Sainte Ampoule et le trésor. Puis il remonte à cheval, et la cavalcade repasse dans le même ordre. Il salue de bonne grâce. Le soir, le Roi va se promener sur le Mail.
Le 20 août 1775
Mariage de Madame Clotilde (1759-1802), Gros Madame, et du prince de Piémont, futur Charles-Emmanuel IV de Sardaigne (1751-1819), frère des comtesses de Provence et d’Artois.
Du reste, cette réputation sulfureuse fait de Charles d’Artois un coureur de jupons pour les courtisans. Bon vivant et léger, il entraîne dans un tourbillon de fêtes mondaines sa belle-sœur, la Reine Marie-Antoinette. Il est considéré comme un prince frivole, futile, surnommé « Galaor » par la cour, en référence au personnage d’Amadis de Gaule, archétype du chevalier à la prestance remarquable.
« Un jour, pour éviter d’avoir à assister à une cérémonie ennuyeuse mais importante de la Cour, Artois dit qu’il a un mal de tête insupportable et qu’il est donc obligé de se retirer dans ses appartements privées. Il s’esquive, en fait, en calèche à Paris, où une fête l’attend. À L’entrée de la capitale, le comte est surpris par un coup de canon d’un coup de canon dont il demande la motivation aux gardes de tour :
« Monsieur, le canon annonce, par ordre du roi, l’entrée à Paris du comte d’Artois !».
En somme, il est démasqué !
Obligé de renoncer à l’agréable programme, le prince revient donc à Versailles, où l’attend un Louis XVI plus ironique et souriant que jamais, qui lui dit :« Je vois avec plaisir que le mal de tête vous est passé. Ne suis-je pas un bon médecin, moi ?»
Le 6 juin 1776
Le comte d’Artois souffre de la rougeole.
« On nous a gâché nos charmantes et innocentes nuits de la terrasse de Versailles. Nous écoutions des conversations, nous faisions et essuyions des méprises. Je donnais le bras à la Reine. Elle était d’une gaieté charmante. Nous avions quelquefois de la musique dans les bosquets et à l’Orangerie où il y a, pas bien haut, dans une niche, un buste de Louis XIV. M. le comte d’Artois lui disait quelquefois :
« Bonjour, Grand-Papa ! »
Un soir, de concert avec la Reine, je devais me placer derrière la statue pour lui répondre, mais la crainte que l’on ne me donnât point d’échelle pour redescendre et qu’on m’y laissât toute la nuit, me fit abandonner le projet .»
Le prince de Ligne
Le 5 août 1776
Naissance de Sophie, dite Mademoiselle d’Artois, fille du comte et de la comtesse d’Artois.
Le 1er janvier 1777
Le comte d’Artois paraît avec un habit superbissime, brodé en perles et diamants. Il fait alors une tache à cet habit qu’il faut envoyer à Paris, chez un fameux dégraisseur qui l’a gardé plusieurs jours. L’habit de retour, le prince y trouve dans une poche un pampier contenant le rôle de L’Homme du Jour dans la comédie de ce nom. On en déduit que le dégraisseur a loué cet habit à quelqu’un pour jouer la comédie dans l’un de nos théâtre de société. Le Roi a beaucoup ri et plaisanté à cet incident.
Le 26 avril 1777
Joseph II participe à une course de chevaux donnée par le comte d’Artois.
Charles est le prince pour lequel l’Empereur témoigne le plus de penchant. Il lui dit :
« Vous avez de l’esprit, des grâces et de la figure. Si l’amitié que je me sens pour vous ne m’aveugle pas, je crois apercevoir en vous tout ce qu’il faut pour devenir un grand homme ; mais permettez-moi de vous le dire, mon amitié, le bien que je vous veux, mon âge, et même mon expérience déjà bien exercée, m’en donnent le droit, avec tant de qualités brillantes, il vous faudrait peu de travail pour en acquérir de plus solides. Si mes affaires me permettaient de rester plus longtemps avec vous, je crois pouvoir me flatter que je ne tarderais pas à obtenir toute votre confiance ; nous nous aiderions réciproquement pour devenir des hommes vraiment grands.»
Artois est sensible à cette effusion de cœur et il a beaucoup d’empressement à se trouver en présence de l’Empereur.
Le jeune et insolent comte d’Artois est interprété par Max Libert dans la série Franklin (2024) de Kirk Ellis et Howard Korder
En octobre 1777
Sa belle-sœur, la Reine Marie-Antoinette, le met au défi de réaliser un pavillon de plaisance, ou «folie» (ou folia , c‘est-à-dire maison dans les feuilles ) en soixante-quatre jours, pour le retour de la cour à Fontainebleau, Artois fait construire Bagatelle.
Le château de Bagatelle est , construit par l’architecte François-Joseph Bélanger dans le bois de Boulogne. Neuf cents ouvriers travaillent jour et nuit et les Parisiens suivent avec curiosité l’évolution du chantier du «palais des fées»…
Réussira-t-il à faire construire La Bagatelle en deux mois? Le pari entre le comte d’Artois et Marie-Antoinette de 100 000 écus est tenu.
Un soir, Artois se lance dans une longue diatribe contre ces vieilles bâtisses qui se désagrègent de toutes parts. Les mœurs ont changé, affirme-t-il et on ne rêve plus que de petits châteaux faciles à chauffer, confortables et gracieux. Par plaisanterie, la Reine suggère :
– Construisez donc votre propre Trianon, je viendrai volontiers y souper à l’automne.
– Vous y souperez, Madame – assure Artois d’un ton léger –, je vais faire commencer les travaux dès la semaine prochaine. Le vieux rendez-vous de chasse de Bagatelle sera détruit et mon castelet vous attendra.
– Vous être un fanfaron, monsieur mon beau-frère ! – se moque la Reine.
– Seriez-vous prête à prendre un pari de cent mille écus, Madame ?
Marie-Antoinette hésite. Ce diable d’Artois est capable de tout, mais comment reculer ?
– Pari tenu ! – lance-t-Elle.
Bagatelle,
La «folie d’Artois»
( texte de Christophe Duarte ; photographies de Matthieu Nègre – Versailles passion )
Autour de 1716, un petit domaine composé de deux pavillons fut attribué à Louis-Paul Bellanger, avocat à la Cour des Aides, par le Roi. Il le cède en 1720 au duc d’Estrées, Maréchal de France, qui en fit alors cadeau après l’avoir fait transformer et amélioré le bâtiment d’origine, à son épouse, amie de Louise-Anne de Bourbon, dite Mademoiselle de Charolais, fille naturelle légitimée de Louis XIV et de Madame de Montespan, les deux femmes utilisèrent le pavillon pour des réunions galantes destinées au Régent, puis au jeune Louis XV. Pour cette raison, le domaine aurait alors été surnommé «Bagatelle».
A sa mort, Bagatelle passe entre plusieurs mains et finalement, le 20 août 1775, Charles-Philippe, comte d’Artois, acquiert l’usufruit de la propriété, afin de disposer d’une retraite tranquille pour recevoir ses conquêtes.
L’arrière du bâtiment
En 1777 cette maison délabrée est jugée peu digne des fêtes que le comte projette d’y organiser. Sa belle-sœur, la Reine Marie-Antoinette, le met alors au défi de réaliser cette construction en cent jours pour le retour de la cour à Fontainebleau. Le pari consiste pour le jeune prince à faire raser l’ ancienne construction du maréchal d’Estrées et de faire rebâtir, achever et meubler un pavillon de fantaisie, que l’on appelle alors une folie.
Le comte d’Artois relève le défi et parie la somme de 100 000 livres. Commencé le 21 septembre 1777, le chantier, qui emploie pendant soixante-quatre jours et nuits près de neuf cents ouvriers, est achevé à temps pour l’inauguration le 26 novembre 1777, le prix de la construction de la décoration et du mobilier s’élevant à environ trois millions et le nouveau château est alors surnommé «la Folie d’Artois». Prévue initialement pour la fin 1777, la fête d’inauguration n’a finalement lieu que le 23 mai 1778 en raison d’un deuil à la Cour d’Autriche.
En dépit de la difficulté de l’entreprise, en trente-cinq jours, le gros œuvre est terminé et le pavillon achevé le 26 novembre, soit soixante-quatre jours après le pari du prince. La décoration intérieure et l’ameublement ne sont toutefois achevés que plusieurs mois plus tard.
A la Révolution, le domaine sera confisqué et la Convention décide qu’il sera conservé. Bagatelle devient alors un bal musette mais tout son mobilier sera vendu.
Mis en location par Louis-Philippe, Bagatelle sera acheté en 1835 par Lord Hertford qui accueille la Reine Victoria en 1855. Il remettra en état le jardin, fera construire une fruiterie et une orangerie et place sur l’une des pelouses un pavillon chinois.
En 1777
Charles acquiert le château de Maisons où il s’en va chasser en galante compagnie, dont la jeune vicomtesse de Beauharnais (1763-1814), la future Impératrice Joséphine …
A partir des années 1640
René de Longueil consacre une partie de sa fortune, dont la conséquente dot reçue de son épouse Madeleine Boulenc de Crèvecoeur, à la construction d’une demeure fastueuse, à même de recevoir le Roi. La construction du château proprement dit s’achève vers l’année 1650, mais plusieurs autres structures et aménagements (grandes écuries, jardins, entrées du parc…) seront achevés durant les deux décennies suivantes. Sur la foi des témoignages des contemporains, le bâtiment est attribué à l’architecte François Mansart. Aucun document ne corrobore cette attribution, en dehors d’un paiement de 26 000 livres effectué par René de Longueil au profit de François Mansart en 1657, a priori après l’achèvement du château. Néanmoins, elle est affirmée par un pamphlet intitulé « La Mansarade » qui accuse l’architecte de s’être rendu compte, après avoir fait élever le premier étage, qu’il avait commis une erreur dans ses plans et d’avoir fait abattre tout ce qui avait été construit pour tout recommencer. Le 18 avril 1651, Louis XIV, alors âgé de treize ans, profite de l’occasion d’une chasse en forêt de Saint-Germain pour rendre visite à René de Longueil qui le reçoit à diner en son château de Maisons. Cette visite est rendue par le souverain au seigneur de Maisons, qui est aussi capitaine des domaines de chasse de Versailles et Saint-Germain-en-Laye, à l’occasion de son accession à la surintendance des finances du royaume de France. Le Roi reviendra le 20 avril, pour une fête somptueuse, accompagné de son frère et de leur mère Anne d’Autriche, alors reine-régente. Après s’être vu retirer son poste de surintendant, rené de Longueil est condamné à l’exil à Maisons-sur-Seine, dont il augmente le domaine par l’achat de petites seigneuries voisines. Revenu en grâce auprès du Roi en 1656, rené de Longueil voit sa terre de Maisons-sur-Seine être érigée en marquisat en 1658.
En mai 1747
Le château est visité par Louis XV. La marquise de Pompadour cherche une demeure en bordure de seine, elle est alors tentée d’acheter le domaine. Le château est alors en fort mauvais état, surtout depuis l’incendie survenu en 1723 dans un des pavillons latéraux. Le roi confie le projet de restauration et de modification du château à l’arrière-petit-neveu de François Mansart, Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne. Mais soucieux de ne pas engager trop de dépenses, le Roi écarte l’idée de cette acquisition. La marquise jettera finalement son dévolu sur Bellevue, près de Meudon.
En 1777
Les Belleforières-Soyécourt vendent finalement le château au comte d’Artois qui se voit offrir la même année le château de Saint-Germain-en-Laye. Il décide d’installer sa résidence au château de Maisons-sur-Seine, et de réunir les deux domaines afin de se constituer un immense parc. Le château étant en mauvais état et distribué selon d’anciens usages, le comte fait réaliser d’importantes transformations intérieures par son premier architecte, François-Joseph Bélanger. Ces travaux sont interrompus en 1784 par manque d’argent. Le château, peu entretenu et laissé en chantier, entre dans une nouvelle phase d’abandon et de délabrement.
Le 24 janvier 1778
Naissance du duc de Berry, Charles-Ferdinand, second fils du comte et de la comtesse d’Artois. C’est lui qui aura la préférence de son père car il lui ressemblera beaucoup, au physique comme au moral.
Al Weaver (à droite puis à gauche) est le comte d’Artois dans Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola
Le 19 décembre 1778
La Reine met au monde Son premier enfant : Marie-Thérèse-Charlotte qu’on appelle Madame Royale.
En 1779
Au cours d’un bal, une altercation oppose la duchesse Bathilde d’Orléans au comte d’Artois.
Le comte d’Artois écrase son masque sur la figure de la dame qui avait arraché le masque du prince, vexée qu’il se présentât à l’ opéra de Paris en compagnie d’une femme qu’elle haïssait, madame de Canillac. Au mépris du scandale et de l’autorité du Roi, les deux jeunes princes du sang, Charles-Philippe et le duc de Bourbon, se battent en duel, ce qui n’empêche pas l’épouse bafouée d’écrire et de faire représenter deux ans plus tard une pièce dans laquelle elle se moque ouvertement de sa belle-famille. L’adultère de son mari éclate au grand jour en 1781, le scandale est immense et retombe entièrement sur la duchesse. Le duc demande la séparation de corps. Le duel se termine en une sympathique embrassade.
Composition de la Maison du comte d’Artois dans les années 1770-80 :
En 1780
Marie-Joséphine de Provence désire l’installation d’une petite salle-à-manger et d’un salon en hémicycle contigu pour servir au jeu et au billard nécessaire aux soupers qu’elle offre chaque soir à la famille royale . Cette salle-à-manger destinée aux « soupers des petits cabinets »- soupers intimes sans domestiques dont a parlé Pierre de Nolhac dans ses ouvrages – est installée dans les anciennes pièces de service de la Dauphine détruites situées sous le cabinet doré de la Reine, là on a installé provisoirement un billard avant 1779. Cette salle-à-manger paraît bien étroite car toute la famille royale est conviée par la princesse : à savoir le Roi, la Reine, Monsieur, le comte et la comtesse d’Artois, les trois Mesdames tantes et Madame Elisabeth quand elle sera en âge. Cette petite pièce ouvrant par une fenêtre sur la cour intérieure de la Reine, appelée dès lors « cour de Monsieur », est donc prolongée sur l’appentis, pris sur l’ancien oratoire de la Dauphine, sous la terrasse du cabinet doré de la Reine.
Chacun, sauf le Roi, apporte son repas qui est placé par le service sur des plats posés sur une grande table ovale dressée dans la seconde chambre de Madame. Les serviteurs se retirent alors et chaque convive compose son repas en se servant soi-même et en prenant assiettes et argenterie qui ont été placées sur des servantes. Là, on raconte les commérages de Cour, on discute les intérêts de famille, on est fort à son aise et souvent fort gai, car, une fois séparés des entours qui les obsédent, ces princes, il faut le dire, sont les meilleures gens du monde. Après le souper, chacun se sépare.
Le 8 juin 1780
Le comte d’Artois nomme, à la place de sous-gouvernante de ses enfants, la marquise de Sanzillon, qui faisait précédemment le service en qualité de surnuméraire.
À la fin de l’été 1780
Louise de Polastron tombe malade à tel point que l’on craint pour sa vie, et les présentations doivent être reportées. Marie-Antoinette, inquiète, vient souvent prendre de ses nouvelles. Le père de Louise écrit à son frère le comte de Lussan :
« La Reine a pris le plus tendre intérêt à elle, et quoiqu’elle fut logée hors du château, elle a été plusieurs fois passer des heures entières auprès de son lit avec le comte d’Artois.»
On remarque que le jeune frère du Roi Louis XVI se montre déjà soucieux de sa santé…
Le dimanche 3 décembre 1780
Louise de Polastron est présentée à la Cour . Vêtue d’une robe de drap d’or, elle porte des diamants que Marie-Antoinette lui a prêtés pour l’occasion !
En 1781
Le second Cabinet Turc du comte d’Artois
( texte et illustrations de Christophe Duarte – Versailles passion )
Il prend la place de la bibliothèque et du cabinet intérieur aménagés en 1773 dans les entresols. Il est éclairé par deux fenêtres. La pièce est doublée sur deux côtés d’un couloir où sont les armoires pour les livres. Une niche, recouverte de glaces, est encadrée de fausses portes de bibliothèque menant au couloir.
Le reste du décor se compose de «turquerie». Quatre portes et fausses portes sont peintes. Le meuble est un lampas bleu broché. Jacob livre une paire de guéridons, un écran de cheminée, une grande sultane pour l’alcôve, deux lits de repos, deux bergères, quatre fauteuils, six chaises et une console. Des candélabres et une pendule se trouvent sur les consoles.
Ce décor luxueux est aujourd’hui dispersé dans plusieurs lieux :
– Les boiseries, longtemps conservées à Versailles, sont aujourd’hui au Louvre,
– Les fauteuils, les bergères et les chaises, qui ont meublé pendant des années le cabinet de la Méridienne de la Reine à Versailles, sont à Fontainebleau,
– Les candélabres sont à Buckingham Palace,
– La console est au Louvre,
– Enfin, la pendule dans le salon des Nobles de la Reine à Versailles.
On y retrouve le luxe de la Reine dans Son cabinet doré :
Le 22 octobre 1781
Naissance du Dauphin, Louis-Joseph-Xavier-François (1781-1789).
L’arrivée du Dauphin éloigne davantage encore les frères du Roi du trône… ils ignorent l’un et l’autre qu’il l’occuperont pourtant un jour…
Le 11 Novembre 1781
« Les frères du Roi et les princesses leurs épouses ont eu une bonne contenance à la naissance du Dauphin; depuis cet événement on ne parle plus de la grossesse réelle ou non de Madame; cette circonstance devient indifférente. On présume qu’au bout d’un certain temps Monsieur et Madame songeront à s’établira Paris. Le Roi inclinerait fort à cette séparation, mais elle ne pourrait guère avoir lieu sans que M. le comte d’Artois ne prît le même parti, et l’affection que lui porte la Reine en retardera sans doute l’époque; rien n’est décidé encore pour le payement des dettes de ce prince.»
Mercy à Joseph II
« Plus amateur de plaisirs que d’études, il avait pourtant, selon le bruit général, cette aisance de grand monde, cette amabilité légère qui plaît aux femmes. Aussi, s’il en faut croire la chronique, peu de beautés lui furent cruelles.»
Mémoires du comte d’Hézecques
La bibliothèque du comte d’Artois
( texte et illustrations de Christophe Duarte – Versailles passion )
Cette bibliothèque est aménagée au-dessus de la chambre à coucher du comte. La bibliothèque et le cabinet Intérieur sont conçus et décorés ensemble. On connait peut de chose de ces deux pièces. Aucune élévation n’existe.
Cependant, l’Inspecteur Lécyer prévoyait 30 000 livres pour l’aménagement de ces deux pièces. La somme de 10 000 livres revenait à Dutems pour la peinture et la dorure. Quant aux glaces, elles consistaient en une glace au tain pour la cheminée, deux pour le côté de la niche, une grande glace blanche pour le fond de la niche, les armoires de bibliothèque au nombre de dix étaient sur deux registres avec une glace de plus grande hauteur sous une glace carrée. Grâce au plan conservé aux Archives Nationales et à la livraison des glaces, on peut se figurer la pièce avec précision : une niche face à la fenêtre, la cheminée en griotte d’Italie surmontée d’un trumeau de glace. Dix armoires de bibliothèques et deux autres portes de communication rythmaient la pièce.
Du mobilier de cette pièce, nous est parvenu le fauteuil de bureau livré par Jean-René Nadal.
Surmonté d’une couronne de fleurs et d’instruments de musique, le dossier cintré à médaillon ovale est sculpté d’un faisceau de baguettes feuillagées. La traverse supérieure se prolonge jusqu’aux accotoirs qui sont terminés par des feuilles d’acanthe. L’assise, le dossier, les joues et l’arrière du fauteuil sont couverts de quatre cuirs différents. Il porte la marque au feu «CDT» comme provenant du Garde-Meuble du comte d’Artois. Il est aujourd’hui conservé au Musée Nissim de Camondo à Paris.
En 1782
Une grossesse de la comtesse d’Artois paraît suspecte. Les rapports entre les époux sont de longue date inexistants.
L’on suspecte un garde du corps que Louis XVI envoie servir aux colonies, ce à quoi Madame Adélaïde rétorque qu’« il faudrait y envoyer toutes les compagnies ». Pardonnée par son époux mais encore davantage discréditée, la comtesse d’Artois met au monde à huit mois de grossesse une fille, Mademoiselle d’Angoulême, qui ne vivra que six mois.
« M. le comte d’Artois, affable à tout le monde, ayant dans le caractère cette gaieté qui est commune à sa nation, était adoré du peuple. Ses courses fréquentes à Paris, ses dépenses mêmes contribuaient à cette popularité. Seuls les partisans de la saine morale blâmaient ses égarements et ses prodigalités, qu’ils attribuaient à sa jeunesse. Je sais que ce prince n’a point reçu l’éducation nécessaire pour vivre dans des temps difficiles ; et toutes les fautes qu’on peut lui reprocher depuis sa sortie de France, sont la suite d’une qualité innée à toute la famille des Bourbons, d’une trop grande bonté, d’où provient une extrême facilité à se laisser conduire, et trop peu de discernement pour choisir ses conseillers. La conduite de M. le comte d’Artois, en Angleterre et en Allemagne, en est la preuve ; mais, jouet malheureux des puissances européennes, il n’a pu avoir de volonté.»
Mémoires du comte d’Hézecques
Le 6 janvier 1783
Naissance de Mademoiselle d’Angoulême. La petite fille paraît très chétive dès sa naissance…
Malgré le rythme soutenue des naissances successives, de celle du duc d’Angoulême, puis de Sophie (Mademoiselle d’Artois), celle de Charles Ferdinand duc de Berry, et enfin de la princesse Marie-Thérèse, la comtesse d’Artois sait très bien que son couple n’incarne en rien les vertus familiales. Le comte d’Artois continue d’honorer sa femme mais aussi les nombreuses autres. Lorsque la Comtesse d’Artois est enceinte et en pleine maternité, il est libre de faire ce que bon lui semble. L’Étiquette interdisant tout rapport dès le sixième mois et jusqu’au sixième mois après accouchement, il en profite allègrement pour courir les ballets, les fêtes, les demoiselles de l’Opéra, les actrices et les grandes dames de la bourgeoisie et de la Cour.
Souffrant de cette situation et de cet abandon, elle entretient dès 1780 une liaison avec un homme attaché a son service… un garde-chasse, Pierre Desgranges . Le mari volage mais offensé prit des sanctions si disproportionnées pour châtier l’imprudent qu’elles choquèrent l’opinion. Pourtant il était dans son bon droit à cette époque. Si les princes pouvaient entretenir de multiples relations, les princesses, elles, ne devaient en aucune façon s’oublier et oublier leur rang et ce qu’elles représentaient. Le scandale de sa sœur s’affichant avec une maîtresse, s’il portait atteinte à la morale de l’époque ne portait aucunement atteinte au principe de légitimité. La comtesse d’Artois avait pris le risque de donner naissance à un potentiel bâtard et cela ne se pouvait. Recluse qu’elle était, elle était désormais finie à la Cour de France, sous étroite surveillance, cantonnée à son rôle de mère et d’épouse.
De mi-juin au 12 juillet 1783
Séjour de la Cour au château de La Muette.
Le 22 juin 1783
Mort de la dernière née de la comtesse d’Artois ( oserait-on désigner le comte comme le père?), Mademoiselle d’Angoulême, qui avait six mois. Le Mercure de France relate :
«Mademoiselle d’Angoulême est morte à Choisy le 22 juin 1783 à 11 heures et demi du soir, âgée de 5 mois et 16 jours, d’un épanchement d’eau dans le cerveau. Le 24, le corps de cette princesse fut porté à Saint-Denis, ou elle a été inhumée.»
Le registre de la paroisse de Saint-Denis à Paris comprend la mention suivante affichée plus haut :
« L’an mille sept cent quatre vingt trois, le vingt quatre juin, a été transporté du château du Roi, de la paroisse en l’Eglise de l’abbaye Royale de Saint-Denis, le corps de la très haute et très puissante princesse N. de France, dite Mademoiselle d’Angoulême, décédée le 22 du premier (…??), château, âgée de cinq mois et quinze jours, fille de très haut et très puissant prince, Monseigneur Charles Philippe, Comte d’Artois, frère du Roi, et de très haute et près puissante princesse, Madame Marie-Thérèse de Savoie, Comtesse d’Artois.
Le transport a été fait en présence de Madame la duchesse de Lorge, dame d’honneur de Madame la Comtesse d’Artois, de Madame la Marquise de Montmorin, une des dames pour accompagner Madame la Comtesse d’Artois (…??).
Soussigné, Guillemin, Vicaire.»
* La mention N. de France signifie que l’enfant n’avait pas de prénoms, car il fut seulement ondoyé, et non baptisé à la naissance
Du 9 octobre au 24 novembre 1783
Long séjour de la Cour à Fontainebleau.
Le mardi 2 décembre 1783
Desgranges, escorté de trois inspecteurs de police est incarcéré à la Bastille.
Desgranges ne reste que quelques mois à la Bastille, son emprisonnement se termina au plus tard au début de l’été 1784 : ce premier constat souligne le fait que si le garde du corps du frère du Roi s’était rendu coupable d’une faute qui avait imposé l’injonction d’une lettre de cachet, force est de reconnaître que son emprisonnement fut court.
Le 5 décembre 1783
Décès de «Mademoiselle» Sophie d’Artois, née en 1776.
« Mademoiselle est morte hier, à dix heures du soir. M. le comte d’Artois en est dans le plus grand chagrin. Elle a souffert pour mourir autant qu’une grande personne et avec un courage étonnant; c’est ce qui la fait regretter encore davantage. Tout le château est dans une tristesse mortelle. La petite Madame a la fièvre tierce et hier le roi a été incommodé toute la journée. Comme c’est une chose qui ne lui est pas encore arrivée, on a craint qu’il ne tombât malade; mais ce matin il est très bien et ne souffre plus. Tu vois, ma chère, que tout était éclopé, sauf les personnes auxquelles tu t’intéresses le plus et qui se portent à merveille.
Je crois que les soupers de ma sœur vont commencer mardi; tu serais charmante d’y venir pendant ton séjour à Saint-Germain.»
Madame de Polastron à madame de Laage de Volude
Le 3 avril 1784
Le 27 mars 1785
Naissance de Louis-Charles, duc de Normandie, surnommé «Chou d’Amour» par Marie-Antoinette, Dauphin en 1789 et déclaré Roi de France en 1793 par les princes émigrés sous le nom de Louis XVII.
Le 28 août 1785
On célèbre la cérémonie de baptême du duc d’Angoulême, dix ans, et du duc de Berry, qui a sept ans et demi. Le Roi et la Reine sont les parrains du duc d’Angoulême. Les parrains du petit-duc de Berry sont Carlos III, Roi d’Espagne (représenté par le comte Provence) et sa marraine, Marie-Antoinette d’Espagne, Reine de Sardaigne (représentée par la comtesse de Provence).
A la chapelle royale de Versailles, la cérémonie est précédée par Armand de Roquelaure, évêque de Senlis. Aucun prince n’a le ruban bleu sur son costume. Les cent gardes suisses sont en grande tenue.
« Les deux enfants de M. le comte d’Artois étaient élevés sous les yeux du duc de Sérent, dans le château de Beauregard, situé au milieu des bois, du côté de Marly, et appartenant alors au marquis de Montaigu. Ces deux princes ne présentaient point de grands moyens ; et leur vie, depuis le renversement de leur dynastie, a toujours été assez obscure.»
Félix d’Hézecques
L’appartement commun des ducs d’Angoulême et de Berry,
Premier étage de l’Aile du nord (1785-1789)
( texte et illustrations de Christophe Duarte – Versailles passion )
Le comte d’Artois confie l’éducation de ses deux fils au duc de Serent, qui occupe l’appartement à l’extrémité de l’Appartement commun des deux frères.
Description de l’Appartement : après leur baptême, le duc de Berry et le duc d’Angoulême emménagent dans un appartement double au premier étage de l’Aile du Nord, donnant sur les jardins. Cet appartement était précédemment occupé par la duchesse de Civrac, dame d’Atour de Mesdames et la duchesse de Narbonne, dame d’Honneur de Madame Adélaïde. Cet appartement se compose de neuf pièces à l’étage noble, dont cinq à cheminées et onze pièces en entresols dont cinq à cheminées.
L’Appartement se compose d’une salle des gardes ouvrant dans la Galerie de Pierre, d’un cabinet des Nobles, de la chambre du duc d’Angoulême, d’un cabinet de travail et de la chambre du duc de Berry. Les pièces à l’entresol sont occupées par les valets de chambre.
Le duc de Serent, gouverneur des ducs, occupe l’extrémité de cet appartement. Il est composé de trois pièces à l’étage noble (antichambre, salle à manger et d’un salon). Par un escalier, on accède à l’entresol où l’on trouve la chambre, un cabinet et une garde-robe.
Le 16 juillet 1789, les deux princes quitteront Versailles pour partir en exil avec leur père.
Dans Le Barbier de Séville du sulfureux Beaumarchais, lors de la représentation du à laquelle assista l’auteur, Charles d’Artois tient le rôle de Figaro, aux côtés de la Reine qui interprète Rosine. La comédie Le Mariage de Figaro avait pourtant été interdite jusqu’en 1784.
La curiosité d’un Prince,
Le Cabinet de Curiosité du comte d’Artois
( texte et illustrations de Christophe Duarte ; Versailles – passion )
Entre 1785 et 1789, Charles-Philippe de France, comte d’Artois, acquiert divers fonds privés dans le but de constituer une bibliothèque et un cabinet de spécimens naturalistes et d’objets exotiques susceptibles de servir à l’éducation de ses fils, suivant une pratique répandue dans les familles royales et aristocratiques sous l’Ancien Régime.
La garde en est confiée à Denis-Jacques Fayolle, ancien commis au Bureau des Colonies d’Amérique et grand amateur de sciences naturelles.
Considérablement enrichie, la collection est installée peu de temps avant la Révolution à Versailles, dans l’Hôtel du Marquis de Sérent, gouverneur depuis 1780 des jeunes ducs d’Angoulême et de Berry, au 8 rue des réservoirs.
Le cabinet sera saisi en 1791 et son contenu inventorié l’année suivante par Fayolle : l’ensemble est d’une envergure impressionnante, comprenant 14 538 spécimens naturalistes issus en partie de sa collection personnelle.
Le château de Versailles qui le jouxte devient le dépôt des saisies de la Commission Temporaire des Arts chargée de superviser l’inventaire et la sauvegarde des objets d’arts et du mobilier d’intérêt public dans le département de Seine-et-Oise. Ce dépôt est transformé en musée central des Arts en 1796, puis en musée spécial de l’Ecole française en 1797, institution dédiée à la peinture et la sculpture française.
L’hôtel de Sérent est aujourd’hui la bibliothèque municipale de Versailles.
En 1786
Artois commence à s’intéresser à la politique à l’âge de vingt-neuf ans avec la première grande crise de la monarchie après laquelle il prend la tête de la faction réactionnaire à la cour de Louis XVI. Le comte d’Artois devient le chef de file des réformateurs de ce que Jean-Christian Petitfils appelle la « révolution royale », c’est-à-dire le projet radical de Calonne. Le comte d’Artois coûte un certain prix à l’État : ses menus plaisirs (2 400 000 de francs), ses achats de domaines et de propriétés (7 231 372 livres), ses écuries (1 million de livres), ses vêtements et ses dettes représentent un important coût dans le trésor de l’État.
En avril 1787
Depuis son déménagement, Madame dispose du palier du nouvel escalier de l’ancienne antichambre de la princesse de Lamballe devenue une première antichambre à une fenêtre où se tient sa sentinelle. La seconde salle est l’ancien petit salon où la princesse de Lamballe avait coutume de recevoir la Reine. C’est maintenant une seconde antichambre, plus grande a deux fenêtres, qui sert de salle-à- manger, où elle continue à convier la famille royale à souper «tous les soirs, à huit heures précises ». Les convives se régalent du traditionnel potage aux petits oiseaux, que la princesse prépare elle-même . Chaque membre de la famille fait apporter son dîner, auxquels on met la dernière main dans de petites cuisines à portée de l’appartement de Madame.
« Excepté les jours où il donnait à souper chez lui, le Roi n’y manquait pas un seul jour … »
Mémoires du comte d’Hézecques
Du 10 octobre au 16 novembre 1787
Dernier séjour de la Cour de Louis XVI à Fontainebleau.
Calonne se heurte aux notables réunis en assemblée : Charles accepte la suppression des privilèges financiers de l’aristocratie, mais non la réduction des privilèges sociaux dont jouissent l’Église et la noblesse. Il pense qu’on peut réformer les finances de la France sans renverser la monarchie. Selon ses propres mots, « le temps est venu de réparer mais non de démolir ». Il suscite la colère du tiers état en s’opposant à toute initiative d’accroître son droit de vote en 1789.
Le 5 mai 1789
Ouverture des États-Généraux.
Les souvenirs du marquis de Ferrières nous éclairent sur le rôle tenu par le salon de la duchesse de Polignac entre le moment où les Etats généraux se sont réunis et les événements du 14 juillet. On y perçoit la manœuvre qui s’y joue pour rallier à leurs idées l’ensemble des députés du second ordre et notamment les provinciaux moins acclimatés aux méandres de la politique parisienne et à ses intrigues de Cour : « Les grands ont soin d’entretenir notre résolution de ne point consentir au votement par tête. Ils disent ouvertement que la noblesse de province sauvera l’état.»
Si, dans ses activités de lobbying, la duchesse semble se cantonner à son rôle d’hôtesse aimable , mais assez passive, si le duc, à son habitude, s’y montre absent, on y voit par contre déployer tous leurs talents le comte d’Artois, Diane de Polignac et le comte de Vaudreuil.
Le 22 mai 1789
« Je dinai chez la duchesse de Polignac. Le comte d’Artois y vint dîner. Libre, familier, causant avec l’un, causant avec l’autre, de manières engageantes, il se mit à table. On me plaça entre la comtesse Diane de Polignac et le fameux comte de Vaudreuil. Grâce aux ressources que j’ai dans l’esprit, la conversation se soutint sans langueur entre nous trois. Ce fut même au point que je n’eus pas le temps de manger, quoique le dîner fût magnifique et délicat. Le comte et moi sommes devenus amis. Il est charmant, simple, rempli d’esprit et de finesse ; il aime les arts, cultive les lettres. Je ne suis point étonné de son succès ; c’est l’homme le plus aimable de la cour. La comtesse Diane a de l’esprit. C’est elle qui gouverne sa famille. Elle me fit un compliment fort honnête au sortir de la table et je m’aperçus bientôt qu’elle avait rendu un témoignage avantageux de moi. La duchesse m’adressa la parole et M. le comte d’Artois vint directement à moi et causa un moment […]. C’est une maison où l’on est libre, on y parle et comme le dit la duchesse, c’est l’Hôtel de la liberté.»
Le marquis de Ferrières
Le 29 mai 1789
« J’étais entre la comtesse Diane et le comte de Vaudreuil. La comtesse est, dit-on, l’esprit de la famille ; elle en a effectivement. Le comte est charmant ; je n’ai point vu d’homme plus aimable. […] La duchesse de Polignac ne parle pas et a l’air ennuyée. Sa jolie fille, la duchesse de Guiche ne dit pas non plus grand chose.»
Le marquis de Ferrières
Le 4 juin 1789
Mort du Dauphin, Louis-Joseph-Xavier-François, à Meudon.
Le 20 juin 1789
La salle de l’hôtel des Menus Plaisirs est fermée par ordre du Roi. Les députés du Tiers-Etat font le serment d’écrire une Constitution dans la Salle du Jeu de Paume.
Le 11 juillet 1789
En liaison avec le baron de Breteuil, Artois noue des alliances politiques pour chasser Necker. Ce plan échoue quand Charles essaie de le faire renvoyer, sans que Breteuil soit au courant, beaucoup plus tôt que prévu à l’origine. C’est le début d’une brouille qui se change en haine réciproque. Artois rencontre Talleyrand à la demande de ce dernier, qui propose de dissoudre l’assemblée et de convoquer de nouvelles élections avec un autre mode de scrutin. Si l’évêque d’Autun n’est pas suivi sur cette mesure, il semble avoir fait effet puisque Louis XVI rassemble des troupes dans et autour de Paris. Pour le comte d’Artois, il s’agit avant tout d’une démonstration de force plus que d’une nécessité…
Ce jour-là
Le comte d’Artois se trouve chez la duchesse de Polignac. Il aperçoit le comte des Cars sur la terrasse de l’Orangerie, il l’appelle et lui confie :
« Si tu promets le secret, je te dirai quelque chose qui te fera plaisir. Eh bien ce soir, il ne sera plus à ses fenêtres (me montrant celle de la Surintendance [où se trouvent installés les bureaux de Necker]). C’est enfin décidé entre le roi et la reine.»
Mémoires du duc des Cars
Le 13 juillet 1789
« J’avais cédé, mon cher frère, à vos sollicitations, aux représentations de quelques sujets fidèles; mais j’ai fait d’utiles réflexions. Résister en ce moment, ce serait s’exposer à perdre la monarchie; c’est nous perdre tous. J’ai rétracté les ordres que j’avais données ; mes troupes quitteront Paris ; j’emploierais des moyens plus doux. Ne me parlez plus d’un coup d’autorité, d’un acte de pouvoir ; je crois plus prudent de temporiser, de céder à l’orage, et de tout attendre du temps, du réveil des gens de bien, et de l’amour des français pour leur roi.
Louis »
Louis XVI au comte d’Artois
Le 14 juillet 1789
Prise de la Bastille.
Ce n’est pas tant la prise de la Bastille qui effraie, c’est avant tout la fureur du peuple qui dans son insurrection à publié la fameuse liste noire, la liste où sont inscrits toutes les personnes qu’il faut abattre. La Reine est un tête de la liste suivie de son beau-frère Artois.
Le 16 juillet 1789
Le comte et la comtesse d’Artois émigrent. Marie-Thérèse quitte la France dans ce premier fourgon d’émigrés, emportant le nécessaire, pensant surtout revenir. Pour preuve, elle avait commandé un service de porcelaine à Sèvres, identique à celui Riche en Or et en Couleur de Marie-Antoinette qui venait à peine de lui être livré et qu’elle laissa en France pensant le retrouver assez vite.
En trois jours Versailles et la Cour de France ne sont plus qu’un souvenir.
Artois parcourt les diverses cours de l’Europe pour chercher des défenseurs à la cause royale.
« Quand le roi vint à Paris, le 17 juillet 1789, le comte d’Artois voulait absolument y aller à sa place, quoiqu’il connût bien les dangers que la faction d’Orléans lui préparait. Mais il est dans la nature de l’homme généreux de braver un péril pour le détourner d’une tête chérie. C’est un des beaux traits de la vie du prince. Le roi s’opposa à son dessein, et fut si convaincu dans ce voyage des projets homicides des factieux, qu’il obligea son frère à quitter la France.»
Mémoires du comte d’Hézecques
Les dettes du comte d’Artois s’élèvent alors à 21 850 000 livres…
De Bruxelles, où il se réfugie d’abord, il demande à son beau-père l’autorisation de venir demeurer dans ses États, non seulement Victor-Amédée exige qu’il obtienne d’abord le consentement de Louis XVI, mais il charge encore un de ses conseillers de « sonder adroitement à ce sujet les dispositions des États Généraux», ce qui dénote chez lui, unie à tant de prudence, une assez forte dose d’ingénuité. Enfin le comte d’Artois est autorisé à s’établir en Piémont : mais c’e fu’est à la condition expresse « qu’il habiterait à la campagne, incognito, avec sa famille et les gentilshommes de sa suite », et qu’à aucun prix il « ne permettrait aux émigrés de conspirer sur le sol piémontais. »
De septembre 1789 à juillet 1791
Artois se trouve à Turin— chez son beau-père et son beau-frère — , où il porte alors le titre de « marquis de Maisons » (et où il crée le Comité de Turin qui a pour vocation essentielle d’organiser la contre-révolution depuis l’étranger), ainsi qu’à Bruxelles, résidence de son oncle maternel l’archevêque-électeur de Trêves et Liège.
A la Cour de Turin, en particulier, dès le premier jour, il n’y a personne qui ne soit gêné de sa présence ; et les nombreux documents extraits par M. Roberti des archives d’État de Turin sont tous remplis à son endroit de récriminations si amères, qu’on finit par se sentir plutôt entraîné à le plaindre, et à prendre son parti contre des hôtes vraiment trop désolés de leur hospitalité.
A son épouse effacée et morose, Charles préfère la compagnie distrayante de Louise de Polastron (1764-1804) et quitte sa femme pour ne plus la revoir qu’en de rares occasions.
Prétextant son devoir de rejoindre l’armée des Princes, il fausse compagnie à sa femme et à ses fils. Loin de son époux, c’est la comtesse d’Artois qui va prendre en charge, aidée de sa famille, l’éducation de ses fils.
La nuit du 4 août 1789
Abolition des privilèges.
Jour par jour, les agents de Victor-Amédée le tiennent au courant des moindres détails du voyage du comte d’Artois.
Dans les premiers jours d’août 1789
On attend le comte d’Artois à Bâle, où sont arrivés déjà Polignac et plusieurs de ses familiers.
Le 13 août 1789
Artois est à Berne, où le rejoint sa maîtresse bien-aimée, madame de Polastron. Il veut ensuite entrer en Savoie par Évian, où se trouve le duc de Chablais, frère de Victor-Amédée. Mais celui-ci, on ne sait trop pourquoi, se refuse à le voir : de telle sorte que le comte d’Artois est contraint de prendre un autre chemin, passant par Schaffhouse, le Tyrol, et Milan.
A Zurzach, près de Schaffhouse, la foule le reconnaît, et commence à le huer. « Il voulait continuer sa route sans s’arrêter, écrit à Victor-Amédée son ambassadeur d’Espines, mais le voiturier suisse qui le conduisait n’a pas voulu obéir, ayant, dit-il, à faire rafraîchir ses chevaux. Le prince est sorti de voiture et a marché, dit-on, plus de deux heures, avant qu’il ait été rejoint par ses voitures. »
Quelques jours après
A Milan, pendant une représentation au théâtre de la Scala, des courtisans ayant voulu l’acclamer, la plus grande partie de l’assistance se met à siffler ; et le tapage devient tel que le malheureux prince est forcé de quitter la salle.
Mais contrairement aux prévisions du Roi de Sardaigne, Marie-Thérèse, elle-même, abandonnée par son mari en France, avait entre-temps demandé à son beau-frère, Louis XVI, de quitter la France et de rejoindre son mari et ses enfants dans le royaume de son père ou elle était née et avait été élevée.
On suit toujours l’évolution des faits à travers la dense correspondance cryptée à Turin par le marquis de Cordon :
« 10 août 1789,
J’ai été informé du bruit public que madame la comtesse d’Artois doit se rendre à Turin et que dans la réforme qu’on projette de faire dans la maison du comte d’Artois, douze gardes du corps seront retenus pour accompagner la princesse au Pont-de-Beauvoisin.
De là découle l’hypothèse que le prince, son mari, doit également s’y rendre. Même si je n’en sais rien, et qu’aucune personne ne m’en a parlé comme d’une décision prise, je ne veux pas négliger de vous en faire part, non pas d’un projet réel, mais comme une proposition possible ».
« 14 août 1789,
Aujourd’hui, je ne vous raconte plus le voyage du comte d’Artois à cause des rumeurs de la rue, mais parce que la comtesse d’Artois, elle-même, me l’a raconté J’ai eu l’honneur de la rencontrer seule mardi. Elle me confia que son mari lui avait écrit qu’il voulait amener les enfants au roi et les lui confier, puisqu’il ne doutait pas qu’elle désirait vraiment faire ce voyage, elle le ferait.
Il l’aurait informé du moment où il pourrait le faire, afin qu’il puisse les atteindre et arriver tous ensemble.
Bien que je ne puisse douter de la satisfaction que ce projet apporte à la princesse, n’ayant aucun ordre du roi à cet égard, et ignorant ses intentions, je me suis néanmoins permis de lui dire que son départ pourrait lui nuire. Elle ne doit pas ignorer que les États généraux sont actuellement très soucieux des réformes, que l’estime personnelle qu’elle a méritée, pourrait les aider, à améliorer son traitement et ainsi influencer celui de ses enfants.
Qu’il est possible que ces réflexions aient échappé au comte d’Artois et j’ai cru devoir les lui présenter avant qu’il ne se décide.
Madame la duchesse de Lorges, sa dame d’honneur, me demanda alors de venir chez elle et me parla encore de manière plus positive de ce voyage, entrant comme moi dans tous les détails s’y rapportant.
Elle m’a dit que l’intention de la princesse était de le mettre en œuvre le plus rapidement possible et avec le moins de suivi possible, en n’ayant que trois voitures à sa suite, pour ne pas être gênée. Je ne peux pas vous dire si c’est par peur des émeutes et en même temps par envie de fuite, mais cette dame m’a manifesté le même désir que la princesse d’aller à Turin, et bien qu’elle lui ait fait les mêmes observations, elle les refusa en se fondant sur la présence de Monsieur et de Madame, et sur la certitude que les États généraux ne traiteront jamais moins le comte et la comtesse d’Artois.»
Le marquis de Cordon
Le 26 août 1789
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.
Le 14 septembre 1789
A onze heures, le comte d’Artois est reçu officiellement au château de Moncalieri, résidence estivale de la Maison de Savoie.
« Victor-Amédée l’accueille comme un fils, venant à sa rencontre jusque dans le vestibule du château. »
Les registres officiels
« Le comte d’Artois, pour se rendre à Turin, auprès de son beau-père, Victor-Amédée III, aurait dû continuer jusqu’à Lausanne, puis traverser le Lac Leman jusqu’à Evian, mais par crainte d’éventuels désagréments près de Genève, côté français, il choisit une route beaucoup plus longue, mais plus sûre, la route du Tyrol, le lac de Constance, Innsbruck, Trente, Vérone et Milan. En réalité, Victor-Amédée III n’était pas très enclin à l’idée d’accueillir son gendre dans ses États, pour ne pas risquer de ruiner les bonnes relations qu’il souhaitait entretenir avec le gouvernement français et qu’il avait déja déja écrit à sa fille, la comtesse d’Artois, pour dissuader son époux de concrétiser ce projet.»
Le prince Charles-Felix a observé la scène des retrouvailles de Clotilde et de son frère :
« Le Roi le conduisit chez la princesse de Piémont et nous l’y avons suivi. Elle attendait dans son cabinet avec la duchesse d’Aoste et Madame Félicité, parce qu’elle ne se sentait pas la force de soutenir cette entrevue en présence de tout le monde. D’abord qu’elle l’aperçut, elle se jeta à son col et s’écria « Ha ! mon frère !». Ils restèrent tous les deux fort longtemps embrassés et se donnèrent les marques de la plus grande tendresse. » tandis que le prince Joseph-Benoit, comte de Maurienne, ajoutait :
« Ils s’embrassèrent si serrés qu’ils en devinrent cramoisis.» !
Louise de Polastron quitte la France avec son fils, ses parents, mesdames de Poulpry et de Laage. Elle est Installée à Berne, puis à Rome…
Parcourant les Cours européennes, loin de sa bien aimée, le comte d’Artois ne cesse de solliciter son ami le comte de Vaudreuil, qui doit lui raconter en détail les journées de Louise, et le tenir informé de ses moindres soucis de santé.
Il meurt d’envie de la rejoindre, mais ne faut pas qu’il paraisse dominé par ses passions amoureuses en ces temps troublés. Vaudreuil lui tient ce langage :
« Il faut que l’amour soit la récompense et le dédommagement des grandes peines ; mais il ne faut pas que quelques jours de bonheur et de jouissance l’emportent sur les devoirs les plus importants.»
Louise et Charles continuent, malgré tout, à vivre ensemble en exil. en
Bientôt sa femme, la douce et bonne Marie-Thérèse de Savoie, vient le rejoindre dans son exil.
« J’étais par hasard à Versailles quand elle en est partie, écrit le Florentin Filippo Mazzei ; presque tous les habitants de la ville, mais en particulier les dames, vinrent sur la grande place du château pour la voir une dernière fois. Quand elle parut, les dames se jetèrent à ses genoux, priant Dieu de lui donner un bon voyage, et de la faire vite revenir. » Hélas ! jamais plus cette « angélique princesse », comme l’appelle Mazzei, jamais elle ne reviendra à Versailles ; et l’on ne peut même pas dire que Dieu lui ait donné un bon voyage, si l’on songe que son mari, qu’elle allait rejoindre, se souciait moins que jamais de l’avoir près de lui, tout entier à sa folle passion pour Madame de Polastron.
Le 20 septembre 1789
La famille royale de Sardaigne accueille la comtesse d’Artois visiblement submergée d’émotion de retrouver ses parents après seize ans de séparation :
« Elle se précipita comme elle put, n’ayant plus ni jambes, ni voix, dans l’excès de sa joie. Elle embrassait tout le monde, sans les connaitre distinctement.»
Princesse à la santé physique et psychologique fragile, elle sollicite les conseils de Clotilde et puise chez sa belle-sœur la force qui lui manque dans une confiance sans malice.
Le 25 septembre 1789
La famille du comte d’Artois se trouve au complet dans le château de Moncalieri. « Le Roi, — écrit dans son journal Charles-Félix, alors duc de Gênes, — nous envoya ce jour-là, Montferrier, Maurienne et moi, au bas de l’escalier, pour recevoir les enfants d’Artois. Le comte d’Artois les conduisit lui-même ; nous les avons embrassés, et nous les avons conduits en haut. Quoiqu’ils fussent dans le plus grand déshabillé, ces deux enfants sont charmants. D’Angoulême, qui est l’aîné, a quatorze ans ; il n’est pas fort grand pour son âge, mais il est bien fait, il se présente bien, et parle, raisonne comme un homme fait. Berry, qui est le cadet, n’est âgé que de onze ans et demi ; il est fort petit, gras et très joli. Il est aussi bien aimable. »
Dès le 26 septembre 1789
Le prince héritier du trône de Sardaigne se plaint «de la trop grande familiarité du comte d’Artois» tandis que le duc de Genevois reconnaît «s’être horriblement emporté sur l’impertinence des Français»!
La Maison de Savoie supporte mal le ton et les manières du frère de Louis XVI qu’elle considère comme désinvolte, hautain, «étourdi et insolent.» D’ailleurs, la présence de sa maîtresse, la comtesse de Polastron, pose d’insolubles problèmes et le comte d’Espinchal prévient que « le prince doit user de beaucoup de ménagements. Il se trouve au milieu d’une Cour très sévère sur le chapitre des mœurs. Le séjour de Madame de Polastron ferait un mauvais effet s’il se prolongeait trop longtemps. Tout cela est très embarrassant.»
Quelques jours plus tard
Le malencontreux effet de l’arrivée du comte d’Artois se fait déjà sentir autour de lui. « Jusqu’à l’arrivée des Français, écrit le duc de Gênes, nous avons vécu en union et sans alarmes. Mais l’impertinence de cet étranger (le comte d’Artois), et le dessus qu’il prit d’abord sur l’esprit de Piémont (le prince de Piémont), nous choqua tout à fait et nous fit lever le masque. Nous n’avons plus témoigné de respect pour lui, en laissant même apercevoir que sa liaison avec cet étranger nous offensait beaucoup. Les Condés parurent pendant quelque temps humbles et respectueux ; aussi j’étois plutôt bien avec le duc d’Enghien ; mais voyant que le comte d’Artois, avec toute son effronterie, avait si bien réussi, ils voulurent l’imiter et devinrent aussi abandonnés ; et nous ne leur avons plus fait aucune politesse. »
Quel est donc le crime du comte d’Artois ? Sa liaison avec le prince de Piémont n’a rien que de fort naturel : n’est-il pas doublement son parent ? Mais on lui en veut surtout de « faire des cancans », de mettre en circulation des « bruits malveillants ». A tort ou à raison, on l’accuse d’avoir transporté à la Cour de Savoie les petites intrigues de ce Versailles, que les Piémontais paraissent d’ailleurs s’être figuré comme un lieu fantastique de délices et de dépravation : car à tout moment les documents officiels constatent que, « bien qu’il fût habitué au luxe de la cour de Versailles », le comte d’Artois a pris un grand plaisir aux fêtes où il a assisté.
Ces fêtes cependant, ni les intrigues de la cour, ne consolent le prince de l’absence de sa chère maîtresse. En vain le fidèle Vaudreuil, à la garde de qui est confiée Madame de Polastron, il l’engage à se conduire avec grande mesure « pour ne point achever de perdre à Turin sa considération personnelle. » Il se résigne, prend patience ; mais bientôt sa passion l’entraîne à de nouvelles folies. Deux fois Vaudreuil doit consentir à lui amener Madame de Polastron à Turin, où chacun est aussitôt informé du scandale.
Le 5 octobre 1789
Des milliers de femmes du peuple venues de Paris marchent sur Versailles pour demander du pain.
Le 6 octobre 1789
Vers cinq heures du matin, les appartements privés sont envahis. La Reine s’échappe en jupon par une porte dérobée. Plus tard, Sa présence est réclamée par la foule. Elle va au-devant du peuple, courageuse, au mépris de Sa vie.
L’entourage du comte d’Artois ne pense pas s’éterniser à Turin, mais malgré tout Victor-Amédée III se montre très généreux envers son gendre en lui assurant une pension, la disposition du palais Cavaglia, des serviteurs, des voitures et des chevaux.
Artois n’est pas homme non plus à garder longtemps l’incognito, que son beau-père lui avait d’abord imposé.
« Hors de la cour, il se faisait toujours appeler le marquis des Maisons ; mais il avait établi dans son palais un train tout à fait princier. Il avait l’attitude non d’un fugitif qui a trouvé un asile, mais d’un prince qui entend se faire respecter. »
Une petite Cour se constitue autour de lui, bruyante et impertinente, qui achève d’exaspérer tout le monde. Et l’on n’est qu’à demi enchanté d’apprendre l’échec de la tentative d’assassinat dirigée contre lui par un certain sergent Cornes, natif de Cailloux en Languedoc.
« Cet homme a juré de purger la terre d’un prince qui a fait beaucoup de mal à sa patrie ; ajoutant qu’il étoit encouragé dans son dessein par quelqu’un qui pourroit un jour faire la loi aux puissans mômes. »
L’ambassadeur d’Espines
Mais rien ne sort de ce mystérieux projet, non plus que de plusieurs autres également « dirigés contre le comte d’Artois par la faction orléaniste. »
Les princes de Condé et le comte d’Artois reçoivent habituellement à dîner les français et ceux qui viennent leur rendre visite, sans faire aucune distinction de rang. En hiver, les seules distractions consistent en représentations d’opéra et en quelques bals auxquels les émigrés français ne manquent jamais de participer.
Et le comte d’Artois reste toujours à Turin, détesté de la ville, détesté de la cour, où l’on avait même fini par l’exclure des fêtes officielles.
En 1790
Sous prétexte que la chaleur rend son séjour insupportable et que sa santé délicate s’en ressent, Louise de Polastron se rend à Venise où les Polignac passent l’été, puis se dirige vers Parme et enfin Turin.
En mars 1790
Le comte d’Artois préconise à son frère Louis XVI de protester, d’adjurer, de signer une protestation contre les décrets de l’Assemblée nationale. Il ne parvient pas à se faire entendre. Louis XVI refuse de protester et finit même par ne plus répondre que brièvement à des avis qu’il désapprouve.
Le 4 janvier 1791
Artois comprend que sa situation devient impossible, et part.
« Ce matin le royal comte d’Artois est parti pour Milan ; l’incertitude de son retour à notre cour royale a rendu bien amère à tous la séparation d’avec lui, mais particulièrement à sa royale épouse et à ses tendres fils. »
Le journal d’un courtisan
Il va à Venise, où l’attend madame de Polastron.
Le 20 février 1791
Départ de Mesdames Adélaïde et Victoire qui partent pour Rome.
Le 20 mars 1791
Marie-Antoinette écrit à Artois :
« J’espère, mon cher frère, que mes tantes vous ont parlé de moi et vous ont dit et bien prouvé que ce n’est ni manque d’amitié, ni manque de confiance, qui fait que nous avons été si longtemps sans vous écrire. Ma sœur a dû vous parler aussi pour moi du voyage que vous vouliez faire à Vienne. Si vous m’aviez consultée, je vous en aurais dissuadé. Mais, croyez que jamais je n’eusse écrit à d’autres que vous pour vous en empêcher. Votre frère, quoique se portant mieux, n’est pas encore en état de vous écrire (…)»
Fin mars 1791
On revoit encore Artois à Turin, mais pour une quinzaine de jours seulement. Et c’est dans tout le royaume une joie bien sincère quand on apprend qu’il s’est définitivement fixé à Coblence, devenue désormais la « capitale de l’émigration. »
Au printemps 1791
Le comte d’Artois prend définitivement congé de sa belle-famille, ce prince ne disposant plus des moyens politiques qu’il juge nécessaires dans ses visées contre-révolutionnaires. Il part s’installer à Coblence en Allemagne Rhénane, chez son oncle maternel, le prince Clément-Wencesclas de Saxe, Électeur de Trèves.
Le 16 juin 1791
La vicomtesse de Polastron arrive à Coblentz. Elle s’installe dans une maison louée pour elle. Dès ce moment, le comte d’Artois prendra l’habitude de la visiter quotidiennement, comme il le faisait avant d’émigrer.
Le 20 juin 1791
Évasion de la famille royale.
Départ de Monsieur et Madame qui prennent la route de Gand.
Le 21 juin 1791
Le Roi et la Reine sont arrêtés à Varennes.
Les Provence passent la frontière.
En juillet 1791
Le comte d’Artois gagne la Grande-Bretagne.
Du 24 au 27 août 1791
Une entrevue est décidée d’abord entre Frédéric-Guillaume II (1744-1797), Roi de Prusse, et Léopold II (1747-1792), Empereur des Romains ; elle a lieu le 24 août, au château électoral de Pillnitz, dans le Duché de Saxe. Là se rend aussi le marquis de Bouillé, avec un plan d’opérations des armées étrangères sur les différentes frontières de la France. On y voit également l’ex-ministre Calonne, présent partout où il y avait des intrigues à conduire.
Le comte d’Artois prend également contact avec les souverains ; mais il a beau les presser de tirer l’épée du fourreau, Bouillé a beau leur développer son plan d’invasion, Calonne a beau se montrer souple, hardi, persuasif : la perspective d’une guerre avec la France, d’une guerre avec un peuple révolutionnaire, une guerre de ce caractère ne plaît que médiocrement à l’Empereur Léopold II, dont l’esprit circonspect en redoute les suites. Aussi, les résolutions qui sont adoptées se ressentent de ces dispositions.
En dernière minute, le comte d’Artois, non invité, arrache la déclaration des deux monarques, après la fuite manquée de son frère Louis XVI arrêté à Varennes et ramené de force à Paris (juin 1791). Les souverains demandent le rétablissement du Roi sur son trône et de ne pas porter atteinte à ses droits. Ils attirent l’attention de tous les souverains européens et les invitant à «agir d’urgence au cas où ils sont prêts». L’Empereur Léopold menace, à titre personnel, la France d’une guerre.
Tout ce que purent obtenir le comte d’Artois, Bouillé et Calonne, dans cette conférence fameuse, est la déclaration suivante, datée de Pillnitz, 27 août 1791 et signée par l’Empereur Léopold II et Frédéric-Guillaume II :
« Sa Majesté l’empereur et Sa Majesté le roi de Prusse, ayant entendu les désirs et les représentations de Monsieur et de M. le comte d’Artois, déclarent conjointement qu’elles regardent la situation où se trouve actuellement Sa Majesté le roi de France comme un objet d’un intérêt commun à tous les souverains de l’Europe. Elles espèrent que cet intérêt ne peut manquer d’être reconnu par les puissances dont le secours est réclamé, et qu’en conséquence elles ne refuseront pas, conjointement avec leursdites Majestés, les moyens les plus efficaces relativement à leurs forces, pour mettre le roi de France en état d’affermir, dans la plus parfaite liberté, les bases d’un gouvernement monarchique également convenable aux droits des souverains et au bien-être des Français. Alors, et dans ce cas, leursdites Majestés sont décidées à agir promptement et d’un commun accord, avec les forces nécessaires pour obtenir le but proposé et commun. En attendant, elles donneront à leurs troupes les ordres convenables pour qu’elles soient à portée de se mettre en activité. »
Cette déclaration, assimilée à un traité, sera reprochée à Louis XVI, au cours de son procès dans la séance du 11 décembre 1792.
Charles et Louise de Polarstron ne peuvent résister bien longtemps, et lorsque le comte d’Artois et toute sa petite Cour se transportent à Coblence, devenue la capitale de l’émigration, madame de Polastron s’installe avec son fils dans une maison louée pour elle.
En juillet 1792
Le comte d’Artois quitte Turin pour Coblence.
A la Cour de Turin les mœurs étaient rigides et simples. Le comte d’Artois, habitué au laisser-aller de la Cour de Versailles, s’était difficilement accommodé d’une existence sévère et monotone.
Le Roi, son beau-père, par crainte des complications diplomatiques, était loin de le seconder dans ses entreprises contre la France Révolutionnaire.
Plus souvent à cheval qu’à l’étude, les fils de Charles et Marie-Thérèse se forment aux armes et à l’exercice dans l’espoir de rejoindre la vie trépidante de leur père, de l’armée et de quitter la sinistre ambiance de la Cour de Turin. D’ailleurs leur grand-père maternel, Victor Amédée III, Roi de Sardaigne, est las des émigrés français. Leur insolence les rend insupportables, et surtout leur manque de moyen les rend indésirables. Il pousse donc ses petits-fils à voler de leurs propres ailes et les envoie à Coblence rejoindre leur père.
Pour l’invasion de la France afin d’opérer une contre-révolution, on découpe l’armée en trois groupes. Celle de Provence et d’Artois prend le nom d’« armée des Princes ».
Le 10 août 1792
Abolition de la Monarchie française.
Le 2 septembre 1792
Massacre de la princesse de Lamballe, sa cousine par alliance, qui fut aussi sa partenaire de jeux et divertissements au début du règne de son frère.
Massacres dans les prisons de Paris et ses environs.
En septembre 1792
Il tente de rentrer en France à la tête d’une armée de 14 000 hommes mais doit rebrousser chemin après la bataille de Valmy (20 septembre) et se réfugie à Hamm en Westphalie.
À cela s’ajoute une autre mésaventure : l’empereur François arrête de financer l’armée, et ils ne sont sauvés que par les donations de Metternich (1773-1859), de Catherine II de Russie ( 1729-1769) et Frédéric-Guillaume de Prusse. Ce dernier accepte d’héberger le comte d’Artois à Hamm en Westphalie, où le jeune prince français apprend la décapitation de son frère Louis XVI.
Le 4 décembre 1792
Lettre du comte d’Artois, de Dusseldorf à sa femme Marie-Thérèse de Savoie, comtesse d’Artois (ancienne collection de Dominique de Villepin, vente Drouot du 19 mars 2008) :
Transcription :
« Je suis bien affligé des peines que vous éprouvez, je voudrais pouvoir les adoucir et rendre votre position plus heureuse, mais la situation particulière ou je me trouve dans ce moment ne m’en laisse malheureusement pas la possibilité. Elle me forcera vraisemblablement ainsi que mes enfants à voyager beauc oup pendant cet hiver sans pouvoir espérer une situation stable.
La vôtre ne peut être honorablement fixée pendant la durée de nos infortunes que chez le Roi, votre père. Je suis trop certain de sa tendresse pour vous et de la générosité de ses sentiments pour penser qu’il voulut pouvoir dans une circonstance semblable, imposer à votre séjour dans ses États, aucune condition qui vous fut pénible.
J’approuve fort que vous continuiez de demeurer avec le petit nombre de personnes qui vous sont restées fidèlement attachées dans la maison que le Roi vous a assignée lorsque nous nous sommes rendus près de lui.
Ce serait une barbarie dont le meilleur des pères est incapable s’il exigeait le sacrifice des bons et loyaux français qui ont mérité par leur dévouement, la protection la plus spéciale de tous les souverains qui ne veulent pas être un jour abandonnés de leurs plus fidèles serviteurs.
Je pense que vous ne devez dans aucun cas supporter qu’on les sépare de vous.
La modération, l’économie que vous mettez dans vos dépenses, les privations même que vous vous imposez, vous mettent dans le cas de vivre, vous, et le petit nombre de personnes qui composent maintenant votre maison, sans être aucunement à charge au Roi, votre père, ni à ses peuples.
Sous quel prétexte, donc, pourrait-on vouloir vous forcer à changer votre établissement et la vie qui vous convient. Non, cela n’est pas possible.
Le plus juste des Rois et le meilleur des pères n’en pourrait jamais concevoir la pensée : sa politique éclairée suffirait pour lui en faire rejeter l’idée, si jamais elle lui était présentée par des esprits bizarres ou malfaisants qui seraient envieux et jaloux de votre repos.
Tranquillisez vous donc, je vous en prie, ma chère amie, calmez votre esprit, et conservez votre courage, nous en avons encore besoin quelques temps pour atteindre au terme de nos malheurs, ils sont bien étendus, mais soyez certaine qu’ils ne doivent pas... »Il ajoute en fin de lettre :
« Nos enfants se portent bien, l’aîné grandit un peu, mais le cadet ne fait que grossir. »
Ancienne collection de Dominique de Villepin, vente Drouot du 19 mars 2008. Collection particulière
Le 21 janvier 1793
Exécution de son frère, Louis XVI.
Louis-Stanislas se proclame « régent » pour le Dauphin, lequel demeure prisonnier des révolutionnaires à Paris, et le proclame Roi de France sous le nom de jure de Louis XVII.
En mars et avril 1793
Artois reste six semaines à Saint-Petersbourg, en Russie, où il est reçu avec tous les honneurs par Catherine II. L’impératrice propose une alliance avec l’Angleterre à la condition qu’elle forme un corps de 12 000 hommes pour se jeter sur la Vendée et reprendre le pays en main. Mais Charles-Philippe n’est pas reçu par le Roi George III (1738-1820) et n’a pu mettre les pieds à terre faute de ses dettes contractées à Coblence. Il est donc contraint de rentrer à Hamm.
Dans la nuit du 2 au 3 août 1793
Marie-Antoinette est transférée de nuit à la Conciergerie.
Le 16 octobre 1793
Exécution de Marie-Antoinette, place de la Révolution.
Le 10 mai 1794
Madame Elisabeth est guillotinée à son tour.
Le 19 mai 1794
Le comte d’Artois apprend la mort de sa sœur, Madame Elisabeth.
Le 5 juin 1794
« Une députation de la commune de Sens annonce que les corps des père et mère de Capet ont été exhumés du temple où ils étaient déposés et rappelés, après leur mort, à une égalité qu’ils n’avaient pas pu connaître pendant leur vie ; la députation a présenté les plaques qui étaient sur les cercueil qui, converties en balles, serviront à détruire nos ennemis.»
Moniteur du septidi 17 prairial an II
Les pauvres restes ne sont heureusement pas dispersés. La commune de Sens les fait enfouir au cimetière.
En août 1794
Artois quitte Hamm comme « comte de Ponthieu ».
Le 8 juin 1795
L’annonce de la mort en prison du fils du défunt Roi Louis XVI âgé de dix ans, Louis XVII pour les royalistes, permet au comte de Provence de devenir le dépositaire légitime de la couronne de France et de se proclamer Roi sous le nom de Louis XVIII.
Artois est désormais appelé Monsieur.
En 1795
Charles veut opérer, avec le secours des Anglais, un débarquement à l’Île d’Yeu sur les côtes de la Vendée afin d’aider les insurgés vendéens, mais il n’y peut réussir. L’Angleterre se dit prête à envoyer 20 000 hommes en Vendée, demandant en contrepartie les cinq comptoirs des Indes et Saint-Domingue. Artois met les voiles sur les côtes françaises avec une flotte de 60 navires. L’expédition espère mettre le pied à Noirmoutier, mais la folle canonnade de la petite garnison républicaine du général Cambray les pousse à descendre plus bas, pour débarquer à l’Île d’yeu. Et là, l’armada reste bloquée. Elle perd ses communications avec Charette (1763-1796), elle doit aussi affronter les marées et les tempêtes, et dans le même temps les troupes meurent de faim. Le gouvernement anglais finit par demander le retour de la flotte, au grand dam de Provence qui nourrissait l’espoir de pouvoir régner sur son nouveau royaume depuis la mort de Louis XVII.
De 1795 à 1814
Artois se rend en Grande-Bretagne où il passe le reste de la révolution et du Premier Empire.
Le 19 décembre 1795
Marie-Thérèse, l’Orpheline du Temple, sa nièce, quitte sa prison vers quatre heures du matin le jour de ses dix-sept ans, escortée d’un détachement de cavalerie afin de se rendre à Bâle, où elle est remise aux envoyés de l’Empereur François II.
Le 16 octobre 1796
Mort de son beau-frère, le Roi Victor-Amédée III.
Le frère de la comtesse d’Artois, Charles-Emmanuel ( 1751-1819), qui est aussi l’époux de Madame Clotilde de France, qui s’était vu dépossédé de tout son royaume à l’exception de la Sardaigne estime qu’il est de sa dignité de ne pas rester à Turin.
A partir de 1799
Artois réside à Londres au 46 Baker Street.
Le 7 juin 1799
Sa tante Madame Victoire meurt à Trieste, d’un cancer du sein.
Le 10 juin 1799
Son fils, Louis-Antoine, duc d’Angoulême épouse au palais de Mittau en Russie sa cousine germaine Marie-Thérèse de France, fille de Louis XVI, en présence du comte de Provence et de son épouse. La cérémonie est célébrée par l’évêque de Metz, grand aumônier de France. Le couple n’aura pas d’enfants. Louis XVI et Marie-Antoinette ont péri sur l’échafaud six ans plus tôt, mais il n’y a pas non plus les parents du marié. Le comte d’Artois réside à Londres depuis un certain temps, et même la pauvre comtesse d’Artois qui réside depuis quelques mois à Klagenfurt, en Autriche, n’y assiste pas, peut-être à cause de sa mauvaise santé, ou bien encore peut-être encore une fois, on la considère comme quantité négligeable !!! Malgré la précarité de sa situation économique, elle envoie aux jeunes mariés un service de toilette en argent comme cadeau de mariage. Louis XVIII préside la cérémonie. Il a invité à cette occasion, sa femme, la Reine Marie-Joséphine, qui s’est déplacée spécialement de sa retraite en Bavière jusqu’en Courlande. Le duc de Berry, le frère cadet du duc d’Angoulême, n’est pas présent également et est resté à Londres auprès de son père.
A partir de la fin de l’année 1799
Napoléon Bonaparte (1769-1821) dirige la France.
Du 10 novembre 1799 au 18 mai 1804
Bonaparte est Premier consul.
Après le coup d’Etat du 18 Brumaire ( 9 novembre 1799) et la mise en place du Consulat, Louis XVIII entre en négociations avec Napoléon Bonaparte en vue du rétablissement de la monarchie.
Le 27 février 1800
Madame Adélaïde meurt à l’âge de soixante-huit ans, à Trieste.
Le 24 décembre 1800
Explosion de la machine infernale rue Saint-Nicaise ( visant à assassiner Bonaparte…) dont on découvre la culpabilité des royalistes : le Premier consul rompt définitivement toute négociation et adresse une réponse sans ambages au prétendant :
« Vous ne devez pas souhaiter votre retour en France ; il vous faudrait marcher sur cent mille cadavres… »
Le 7 mars 1802
Mort de sa sœur, la Reine de Sardaigne, Clotilde de France, qui sera reconnue «vénérable» par l’Eglise catholique en 1808.
En 1804
Il œuvre au retour du comte de Provence (futur Louis XVIII). Il fut accusé par Napoléon dans son testament d’avoir entretenu les hommes qui cherchèrent à l’assassiner, tentative qui fut l’origine de la mise à mort du duc d’Enghien (21 mars 1804).
Le 27 mars 1804
Louise de Polastron ( née d’Esparbès de Lussan) meurt précocement de la tuberculose à l’âge de trente-neufans.
Après cette mort, Charles d’Artois se tourne intensément vers la religion, un trait de caractère qui ne le quitte plus jusqu’à sa propre mort. Louise lui fait promettre en outre de lui rester fidèle.
Du 18 mai 1804 au 11 avril 1814
Napoléon Ier règne sur la France en tant qu’Empereur.
Le 2 décembre 1804
Sacre de Napoléon Ier à Notre-Dame de Paris.
De 1805 à 1814
Artois emménage au 72 South Audley Street à Londres, toujours.
Le 2 juin 1805
Après une quasi-inexistence à la Cour, Marie-Thérèse, comtesse d’Artois s’éteint à l’âge de quarante-neuf ans. Elle est enterrée à Graz, dans le mausolée impérial sis à côté de la cathédrale de la ville.
Le 13 novembre 1810
Marie-Joséphine, comtesse de Provence, décède en 1810 à Hartwell House dans le Buckinghamshire en Grande-Bretagne.
Le 6 avril 1814
Vaincu par les alliances étrangères, Napoléon abdique.
Louis-Stanislas, comte de Provence, est proclamé Roi sous le nom de Louis XVIII le Désiré.
Artois donne clairement le ton : reconnu par les « ultras », c’est-à-dire les royalistes les plus ardents, il approuve le rétablissement des anciennes mœurs et du précédent système (notamment les gardes suisses ), et s’oppose à la politique de pardon et d’oubli prônée par Louis XVIII, ce qui devient source de conflit entre les deux frères.
Pour cultiver le sentiment monarchiste, le comte d’Artois et ses fils se livrent à une tournée dans la France des provinces, parcourant les grandes villes où ils peuvent mesurer la diversité régnante des courants et la division profonde des pro- et anti-royalistes.
En 1814
Sous Louis XVIII, les corps de ses parents, Louis-Ferdinand et Marie-Josèphe, sont ramenés à la cathédrale de Sens, où l’abbé de La Tour, vicaire général du diocèse de Troyes, prononce l’éloge du prince et de la princesse en présence de Monsieur, comte d’Artois, leur dernier fils.
Le 20 décembre 1814
Le comte d’Artois vient assister au service anniversaire de la mort du Dauphin , son père.
« Monsieur l’évêque, puisqu’il y a tout lieu de croire, comme vous l’avez dit, que mes parents n’ont plus besoin de prières et qu’ils jouissent maintenant de la récompense qui était due à leurs grandes vertus, il est également doux de penser que c’est à leur protection et à leur intercession dans le ciel que nous devons tous les miracles dont nous avons été témoins, rétablissement de la monarchie, retour de l’ordre et de la paix, et la cessation de tous les maux qui affligeaient la France. N’oublions jamais que nous ne parviendrons au bonheur que nous désirons que quand nous nous montrerons bons Français et bons chrétiens.»
Charles d’Artois
Le 1er mars 1815
La Restauration ne dure pas. Napoléon quitte son exil de l’île d’Elbe et débarque à Golfe-Juan.
Lorsque Napoléon Bonaparte débarque dans le Sud de la France, prêt à remonter jusqu’à Paris pour recouvrer son pouvoir, Louis XVIII envoie des membres de sa famille pour mener les troupes et bloquer l’avancée.
Le comte d’Artois se rend à Lyon, seconde ville du Royaume, pour y préparer la résistance, mais il n’y trouve aucune munition alors que l’ex-Empereur a pu se procurer des armes à Grenoble. À l’approche de l’Aigle, Artois envoie des troupes à sa rencontre mais elles sympathisent avec l’ennemi, contraignant Artois à fuir comme le duc d’Orléans (Louis-Philippe) peu de temps auparavant.
Avant l’entrée de Napoléon à Paris, les Bourbons n’ont plus d’autres choix que de fuir les Tuileries :
Le 19 mars 1815
Napoléon est aux portes de Paris. Louis XVIII et sa cour prennent la fuite pour Gand.
Le 18 juin 1815
La défaite de Waterloo réinstalle Louis XVIII sur le trône de France.
Après le second retour de Louis XVIII, Artois affecte de se tenir éloigné des affaires et d’employer tout son temps soit à la chasse — qui est pour lui une passion —, soit à la religion. Il oublie la guerre. Mais, au-delà des apparences, sa résidence du pavillon de Marsan ( élément du palais du Louvre qui fait partie des Tuileries) devient le centre de l’opposition ultraroyaliste à la politique conciliante de son frère.
Le 17 juin 1816
Mariage de son fils cadet, Charles-Ferdinand, duc de Berry (1778-1820), avec Marie-Caroline de Bourbon-Sicile (1798-1870) à Notre-Dame de Paris.
Le 21 décembre 1819
Naissance de la fille des Berry, Louise Marie Thérèse d’Artois (1819-1864), future duchesse de Parme et de Plaisance, par son mariage en 1845.
Le 13 février 1820
Assassinat du duc de Berry, son fils préféré.
Le 14 février 1820
Mort du duc de Berry.
Le 29 septembre 1820
Naissance de Henri d’Artois (1820-1883), petit-fils de France, duc de Bordeaux, plus connu sous son titre de courtoisie, comte de Chambord. De 1844 à sa mort, il sera prétendant à la couronne de France, sous le nom d’Henri V.
Le 1er mai 1821
Le duc de Bordeaux est baptisé.
Le 16 septembre 1824
Louis XVIII (1755-1824) meurt à Paris.
Charles X monte sur le trône et décide de renouer avec la tradition du sacre ; Louis XVIII avait annoncé publiquement son intention de se faire sacrer mais on peut présumer qu’il y renonça pour des raisons physiques, sa mauvaise santé ne lui permettant pas d’en supporter les rites.
Le 15 janvier 1825
Le retour à la monarchie en 1815 impose de refaire le lieu symbolique du pouvoir royal. Une commande est bientôt passée pour disposer d’un vaste ensemble : le trône (détruit lors de la Révolution de 1848), deux grands trophées d’armes, deux fauteuils (au Mobilier national, mutilés en 1848), deux tabourets de pieds (Musée de Versailles), quarante-huit pliants (détruits en 1871), un paravent (Mobilier national) et un écran. La salle du trône est habillée en outre de quatre grandes torchères en bois dorés surmontés de girandoles de Thomire (Mobilier national), ce tapis de la Savonnerie (partie centrale au Mobilier national, partie latérales aujourd’hui à Fontainebleau). Le programme magnifiant royauté et l’histoire des Capétiens et Bourbon prévoyait enfin la création de tapisseries des Gobelins à la gloire des grands rois de la dynastie. La conception de l’extraordinaire mobilier est l’œuvre de Jean-Démosthène Dugourc, Jacob-Desmalter réalisa les bois, Jean-François Lèbe leur dorure. Les tissus sont tissés à Lyon chez Grand frère.
La salle du trône est habillée en outre de quatre grandes torchères en bois dorés surmontés de girandoles de Thomire (Mobilier national), ce tapis de la Savonnerie (partie centrale au Mobilier national, partie latérales aujourd’hui à Fontainebleau). Le programme magnifiant royauté et l’histoire des Capétiens et Bourbon prévoyait enfin la création de tapisseries des Gobelins à la gloire des grands rois de la dynastie. La conception de l’extraordinaire mobilier est l’œuvre de Jean-Démosthène Dugourc, Jacob-Desmalter réalisa les bois, Jean-François Lèbe leur dorure. Les tissus sont tissés à Lyon chez Grand frère.
Le 29 mai 1825
Le sacre se tient en la cathédrale de Reims et marque le retour d’une cérémonie caractéristique de la logique d’Ancien Régime, ce qui peut être perçu comme une volonté d’ignorer les changements de la société française depuis la révolution française et l’empire napoléonien. Ce sacre reprend les phases principales du cérémonial traditionnel comme les sept onctions ou les serments sur les Évangiles.
Dans la Galerie des Carrosses :
Le carrosse du sacre de Charles X
A peine commencée pour Louis XVIII, la construction de ce carrosse avait été abandonnée lorsque le Roi, prudent politiquement, avait renoncé à se faire sacrer. Dès l’avènement de Charles X, le marquis de Vernon, écuyer commandant les écuries, le remet en chantier. En moins de six mois, il est achevé sous la direction de Daldringen, carrossier virtuose.
Afin d’épargner ses magnifiques roues de gala, le carrosse fait le voyage Paris/Reims sur de puissantes et robustes roues en bois bandés d’acier. La voiture est partiellement démontée et soigneusement enveloppée dans une housse de toile qui la protège et la dissimule aux yeux des badauds massés sur son passage.
Charles X arrive le 28 mai à Tinqueux où l’attend le carrosse, remonté pour l’entrée en ville du Souverain. Le Roi monte dans la voiture en compagnie des Princes, du Dauphin, le duc d’Orléans et le duc de Bourbon.
Le carrosse ressert le lendemain pour le cortège se rendant à la cathédrale où est célébré le sacre, puis de nouveau le 6 juin 1825 pour l’entrée de Charles X dans Paris. Il sera réutilisé en 1856 pour le baptême du Prince Impérial, fils de Napoléon III : pour lors, le décor est modifié et les insignes royaux remplacés par les emblèmes impériaux.
Le 6 juin 1825
Retour de Charles X à Paris après son couronnement.
Le règne de Charles X débute par quelques mesures libérales comme l’abolition de la censure des journaux, mais le Roi ne tarde pas à se jeter dans les bras des ultraroyalistes, et il s’aliène l’opinion par la loi sur le sacrilège, la concession d’indemnités aux émigrés, le licenciement de la garde nationale, le rétablissement de la censure (1825-1827). Son règne est marqué par la domination des « ultras », la frange revancharde des royalistes opposée à la Charte de 1814.
Des lois ou des projets de lois, votés ou discutés sous son règne, accentuent dans l’opinion l’impression d’une volonté de retour à l’Ancien Régime.
Son catholicisme dévot indispose une partie du peuple de Paris, volontiers anticlérical sinon anticatholique. Comme à l’enterrement de Louis XVIII, il est habillé de violet, couleur de deuil des rois de France, le bruit court qu’il est évêque ; des caricatures le montrent en train de célébrer la messe devant les membres de sa famille.
Charles X est un Roi mécène ; une aide importante, aux alentours de 30 % du budget, est absorbée par l’achèvement des constructions publiques engagées sous le Premier Empire. La part consacrée aux commandes de tableaux et d’œuvres d’art, aux pensions et subventions aux artistes, savants, écrivains est de l’ordre de 1 à 1,5 million. La maison du Roi encourage les arts, de même que le Ministère de l’Intérieur ; cette politique de mécénat n’implique pas le contrôle des œuvres littéraires.
Le Roi s’investit personnellement pour enrichir le jardin des plantes de nombreuses espèces nouvelles, il fait pensionner de nombreux artistes. Les artistes œuvrent aux Tuileries ou dans les autres palais royaux et vivent un long moment en harmonie avec la Restauration. La période de la Restauration est une période riche de musique et d’opéra ; la vie intellectuelle, littéraire et artistique est animée de nombreux débats beaucoup plus libres que sous les régimes précédents. Charles X aime chasser à Rambouillet.
En 1826
Charles X est intéressé par les Antiquités et veut créer un musée royal. Le Roi décide de créer une division égyptienne au Louvre confiée à Champollion (1790-1832), qui parvient à l’installer au rez-de-chaussée de la cour carrée.
Le 23 octobre 1826
Arrivée à Marseille de la girafe, cadeau de Méhémet Ali d’Egypte qui a appris que Charles X cherchait à peupler la Ménagerie royale, et qui décide de lui offrir un animal exotique pour entrer dans ses bonnes grâces. Arrivé sous le règne du dernier Bourbon Charles X, le premier spécimen vivant de girafe foulant le sol français sera la star du pays pendant près de vingt ans. Dans l’histoire de France, cet animal fait figure d’exception : aucun cadeau diplomatique ne provoqua autant d’enthousiasme !
Le 30 juin 1827
La belle girafe arrive enfin à Paris.
Le 9 juillet 1827
La girafe, logée dans l’Orangerie, avec plusieurs autres animaux égyptiens envoyés avec elle, est présentée à Charles X à Saint-Cloud en présence des professeurs du Museum. Morte le 12 janvier 1845, celle que l’on nommera bien plus tard Zarafa était appelée, du temps de Charles X, « le bel animal du Roi ».
En 1827
La Rochefoucauld décide que le salon des Beaux-Arts, événement majeur où les œuvres sont présentées au roi après une sélection sévère d’un jury, aurait lieu tous les ans. La maison du Roi, sur proposition du directeur des Musées, favorise deux catégories d’artiste : ceux dont la réputation est établie depuis l’Empire, et ceux qui débutent avec succès.
En janvier 1828
Pour calmer les mécontents, il forme un ministère modéré.
Fin 1828
Une des dernières soirées données à Trianon est gâchée par le Dauphin duc d’Angoulême totalement ivre, ce qui accentue officiellement sa «profonde médiocrité» et joue en sa défaveur pour la succession au trône…..
En 1829
La politique étrangère de Charles X vise à la restauration du prestige international et de la puissance de la France, l’armée russe marche sur Andrinople (Turquie), car il est envisagé d’étendre la France dans le cadre d’une réorganisation européenne consécutive à l’effondrement de l’Empire ottoman.
Le 8 août 1829
Le ministère réparateur est brusquement congédié et remplacé par le ministère de Jules de Polignac (1780-1847) qui fait renaître toutes les défiances.
Jules de Polignac est le fils de la célèbre Yolande de Polignac (1749-1793), favorite de la Marie-Antoinette. Aide de camp du comte d’Artois. Il fut pair de France et ambassadeur de France à Londres. Ministre des Affaires étrangères et président du Conseil des ministres du 8 août 1729 au 3 juillet 1830, impopulaire, il joue un rôle crucial dans le déclenchement de la révolution de juillet 1830.
En mai 1830
Le duc d’Angoulême est nommé grand amiral de France par Charles X pour diriger les opérations en Algérie. Si la population y voit l’espérance d’acquérir de la gloire, la Dauphine quant à elle y voit un mauvais présage…
Le 7 juillet 1830
Charles X ne veut plus avoir la Dauphine dans ses pattes et lui demande de partir à Vichy. La Dauphine a un pressentiment et demande au Roi de ne rien faire d’important pendant son absence…Le même jour, le conseil valide les ordonnances qui mèneront à la révolution de juillet et à la chute de la monarchie.
Le 25 juillet 1830
Charles X promulgue les « ordonnances de Saint-Cloud » qui dissolvent les chambres, convoquent les collèges électoraux en changeant de mode d’élection, et suspendent la liberté de la presse.
Sous le règne de Charles X, la France, vaincue sous Napoléon et pansant ses plaies sous Louis XVIII, reprend pleinement sa place dans le concert des nations, jouant après la campagne victorieuse en Espagne de 1823 un rôle décisif dans l’indépendance de la Grèce et mettant fin, par la prise d’Alger à la piraterie barbaresque et à la traite des Blancs qui sévissaient depuis des siècles. La politique étrangère du Roi suscite l’admiration de Metternich et son incompréhension face aux événements de 1830.
Les 27, 28 et 29 juillet 1830
Les opposants aux ordonnances de Saint-Cloud soulèvent Paris : ce sont les Trois Glorieuses de 1830, ou « révolution de Juillet », qui renversent finalement Charles X.
Le 30 juillet 1830
Louis-Philippe duc d’Orléans, est nommé lieutenant général du Royaume par les députés insurgés.
Le 31 juillet 1830
Charles X préside son dernier conseil des ministres le 31 juillet 1830 dans le cabinet Frais du Grand Trianon.
Louis-Philippe accepte ce poste. Il s’enveloppe alors d’un drapeau tricolore avec La Fayette et paraît ainsi à son balcon.
Le 2 août 1830
Charles X, retiré à Rambouillet, abdique et convainc son fils aîné le Dauphin Louis-Antoine de contresigner l’abdication.
Il confie à son cousin le duc d’Orléans la tâche d’annoncer que son abdication se fait au profit de son petit-fils Henri, duc de Bordeaux, âgé de neuf ans, faisant du duc d’Orléans le régent.
Leur résolution est annoncée dans une lettre du Roi déchu au duc d’Orléans :
« Rambouillet, ce 2 août 1830.
Mon cousin, je suis trop profondément peiné des maux qui affligent ou qui pourraient menacer mes peuples pour n’avoir pas cherché un moyen de les prévenir. J’ai donc pris la résolution d’abdiquer la couronne en faveur de mon petit-fils le Duc de Bordeaux. Le Dauphin, qui partage mes sentimens, renonce aussi à ses droits en faveur de son neveu.
Vous aurez donc, en votre qualité de lieutenant général du Royaume, à faire proclamer l’avènement de Henri V à la couronne. Vous prendrez d’ailleurs toutes les mesures qui vous concernent pour régler les formes du gouvernement pendant la minorité du nouveau Roi. Ici je me borne à faire connaître ces dispositions ; c’est un moyen d’éviter encore bien des maux.
Vous communiquerez mes intentions au corps diplomatique, et vous me ferez connaître le plus tôt possible la proclamation par laquelle mon petit-fils sera reconnu Roi sous le nom d’Henri V.
Je charge le lieutenant général vicomte de Foissac-Latour de vous remettre cette lettre. Il a ordre de s’entendre avec vous pour les arrangemens à prendre en faveur des personnes qui m’ont accompagné, ainsi que pour les arrangemens convenables pour ce qui me concerne et le reste de ma famille.
Nous réglerons ensuite les autres mesures qui seront la conséquence du changement de règne.
Je vous renouvelle, mon cousin, l’assurance des sentimens avec lesquels je suis votre affectionné cousin,
Charles
Louis Antoine »
L’abdication est contresignée par Louis Antoine de France qui déclare renoncer à ses droits en faveur de son neveu. Charles X a eu du mal à convaincre son fils de signer et, le court instant entre l’abdication de son père et sa propre abdication, le duc d’Angoulême est Roi de France. Il aurait règné sous le nom de Louis XIX.
Cette abdication, contraire aux lois fondamentales du royaume, est de toute façon sans effet, car Louis Philippe d’Orléans se fait proclamer Roi des Français par les chambres le 7 août.
Cherbourg, la famille royale, autour de l’ex Roi Charles X, embarque sur le Great Britain pour un exil sans retour.
La Dauphine s’écrit :
« Ah qu’il est cruel de quitter la France !»
Le 9 août 1830
Alors que la Cour de Charles X est en route vers l’exil en direction de Maintenon, le duc d’Orléans devient roi des français.
En exil
Charles X porte le titre de courtoisie de « comte de Ponthieu ».
Le 23 août 1830
Charles X et la cour s’installent au château féodal de Lulworth près de Plymouth.
En octobre 1830
Le Roi et sa Cour sont accueillis à nouveau au château d’Holyrood en Ecosse mais à la condition de s’y installer en tant que simple particuliers. Ainsi, Charles X devient le comte de Ponthieu, le duc et la duchesse d’Angoulême prennent le titre de comte et comtesse de Marnes.
La Cour d’Holyrood est gouvernée par l’austère et peu aimé duc de Blacas (1771-1839), ancien favori de Louis XVIII ( il a obtenu les charges de grand maître de la garde-robe et d’intendant général des bâtiments de la Couronne en 1814) et confident de Charles X. Il est le grand défenseur du musée du Louvre et de Champollion.
Grâce à ses bonnes relations avec les Habsbourg-Lorraine, il s’installe au château de Prague, où il reçoit des visites de Chateaubriand.
Charles part ensuite à Budweis (actuelle république Tchèque) puis doit fuir une épidémie de choléra et arrive enfin à Görz (alors en Autriche ), actuelle Gorizia qui est désormais italienne et Nova Gorica en Slovénie (ville qui sera divisée en 1947 par la ligne militaire Morgan).
À la fin du mois d’octobre 1836
La famille royale s’installe à Göritz, ville autrichienne entre Trieste et Udine. Le Roi et son petit-fils logent au château du Graffenberg, qui domine la ville, loué au comte Coronini tandis que le Dauphin, son épouse et la sœur d’Henri habitent l’hôtel du comte Strasoldo, la Cour se retrouvant dans diverses maisons alentour.
Le 6 novembre 1835
Charles X meurt à Görz du choléra après s’être confessé et avoir pardonné « de grand cœur » à ses ennemis.
Dès que le souverain souffle son dernier soupir, son conseiller, le duc de Blacas ne salue pas le successeur et héritier Louis duc d’Angoulême avec l’expression traditionnelle « Le Roi est mort ! Vive le Roi ! »
mais avec des mots plus adaptés à la réalité de l’exil : « c’est maintenant à Votre Majesté de donner des ordres ».
Il est inhumé à Kostanjevica (Nova Gorica, Slovénie) aux côtés de son fils Louis XIX ( il a été Roi pendant quelques instants…) et de sa bru Marie-Thérèse, fille aînée de Louis XVI et de Marie-Antoinette.
« […] Madame Adélaïde [sœur de Louis-Philippe] mande à M. de Talleyrand que la Cour ne prendra pas le deuil à l’occasion de la mort de Charles X, faute de notification […] (la mort) divise, à Paris, sur tous les points. Chacun y porte le deuil à sa façon, depuis la couleur jusqu’à la laine noire, avec des gradations infinies, et des aigreurs nouvelles à chaque aune de crêpe en moins. Puis, les uns disent le comte de Marnes et Henri V, les autres Louis XIX. Enfin, c’est la tour de Babel ; on n’est même pas d’accord sur la maladie dont Charles X est mort ! […] Il y a eu division sur la question du deuil jusque dans la famille royale actuelle : la Reine, qui l’avait pris spontanément le premier jour, a été très peinée que le Ministère le lui ait fait quitter. Le Cabinet a craint la controverse des journaux […]. »
Duchesse de Dino, de Rochecotte, dans Chronique de 1831 à 1862, Plon, 1909
À la mort de Charles X, une partie des légitimistes reconnaît pour « roi » son fils le « comte de Marnes », sous le nom de « Louis XIX », mais les henriquinquistes, en contradiction avec les lois fondamentales, continuent de soutenir le « comte de Chambord », sous le nom d’« Henri V », se basant sur l’abdication du 2 août 1830
Talleyrand dira de Charles d’Artois :
« L’homme le plus loyal et le meilleur que j’ai connu.»