
Ce portrait anonyme n’est pas celui d’Antoinette Brunyer
C’est une miniature de François Dumont qui doit ressembler à l’allure qu’elle avait.
En 1734
Naissance d’Antoinette Chappuis à Trévoux dans l’Ain, Rhône-Alpes. Elle est la fille de Claude Chappuis et Jeanne Grace. Sa famille est originaire de Lyon.
La petite Antoinette passe son enfance dans un couvent d’Ursulines, où elle apprend les bases qui lui permettront sa carrière.
Le 9 février 1747
Mariage du Dauphin Louis-Ferdinand (1729-1765) et de Marie-Josèphe de Saxe (1731-1767)
En 1752
Décès de son père, Claude Chappuis.
En 1757
Antoinette épouse Zacharie Rabut de Varenne, un bourgeois, qui est avocat.
De ce mariage naissent deux filles : Madeleine Rabut et Claudine-Jeanne Marie Rabut de Varenne.
Le mariage doit se solder d’un divorce puisqu’Antoinette n’est pas veuve (Zacharie Rabut de Varennes mourra en 1774) lorsqu’elle se remarie à vingt-huit ans.
En 1762
Antoinette Chappuis épouse Louis Dufour de Montlouis, seigneur de Montlouis, écuyer, fils de Pierre Dufour de Montlouis (1697-1777) et d’Anne Françoise Gonet (1694-1758), nourrice du Dauphin Louis-Ferdinand de France, puis première femme de chambre de la Dauphine Marie Josèphe de Saxe, lorsqu’elle épouse Louis-Ferdinand, à l’instar de Madame de Ventadour, qui s’occupa de l’Infante Marie-Anne Victoire (première fiancée de Louis XV) comme elle s’était chargée de l’éducation du jeune Roi.
Toute la famille est au service du Roi et des siens.

L’Amour présentant à Louis XV le portrait de l’Infante d’Espagne Marie-Anne Victoire
Le père de Louis XVI est donc le frère de lait de sa fille Anne Hyppolite Dufour. C’est par ses beaux-parents qu’Antoinette se rapprochera de Versailles.

La Reine Marie Leszczynska et le Dauphin, son fils
Le ménage Dufour de Montlouis vit dans les Dombes, à Fareins, près de Saint-Trivier-sur-Moignans.
Le 29 janvier 1763
Antoinette accouche de Christine Dufour de Montlouis (1763-1847).
En 1768
Décès du deuxième époux d’Antoinette Chappuis, Louis Dufour de Montlouis, seigneur de Montlouis, à l’hôpital de Villefranche-sur-Saône. Il laisse une petite fille de cinq ans, et son épouse enceinte. Un conseil de parents, amis, notables et voisins bienveillants confie à Antoinette la tutelle de sa fille mineure, tandis que l’enfant à naître est pris sous la protection d’un nommé Jacques Deschamps, châtelain de Fléchères.
L’inventaire dressé à Fareins après le décès de monsieur de Montlouis décrit une maison modestement meublée, mais où la bibliothèque, celle d’un homme très instruit, embrasse les principaux domaines du savoir. Antoinette possède, autour de Fareins, quelques « bicherées » (mesure agraire anciennement usitée à Lyon) de terre cultivable, elle en perçoit les modiques fermages. Courageusement, elle élève ses quatre enfants, établit les deux aînées et assure aux deux plus jeunes une éducation conforme à leur état. Christine, dès qu’elle sait lire, puise dans les livres paternels la culture que Marie-Antoinette lui reconnaîtra plus tard.
Le 16 février 1769
Antoinette accouche de Louis-François Dufour de Montlouis, fils posthume de son deuxième époux.

En 1774
Décès du premier époux d’Antoinette, Zacharie Rabut de Varennes.
Le 26 avril 1774
Sa plus jeune fille, Madeleine Rabut, épouse Louis Humblot, né en 1741, à Fareins dans l’Ain.
Le 13 juillet 1775
Sa fille aînée, Madeleine Rabut, épouse Antoine Chrétien Boudet (1715-1787) à Fareins dans l’Ain.
En 1777
Antoinette apparaît à Versailles, sous le nom de madame Dufour de Montlouis. Elle renoue avec une tradition familiale, car plusieurs Montlouis ont servi personnellement les souverains depuis le règne de Louis XIV ; trois parentes sont ou seront femmes de la Reine. Antoinette n’est pas une inconnue : elle conduit sa carrière en femme avisée, ambitieuse, engagée dans les intrigues, exposée aux jalousies. Par sa belle-famille de Montlouis, elle est alliée à Campan, secrétaire du Cabinet de la Reine, qui la pousse beaucoup.
Après l’édification de la cathédrale Saint Louis, l’entrepreneur Le Tellier (ou Letellier) fait construire un pavillon de style Louis XV,
avec le surplus de matériaux de la cathédrale.

Le vestibule du pavillon Le Tellier où Antoinette Dufour de Montlouis est locataire.
Antoinette est à Versailles paroissienne de Saint-Louis. Elle trouve du temps pour prier à l’église ou à la chapelle Saint-Roch du Grand commun : elle fait célébrer des messes pour le repos de l’âme des siens et distribue des aumônes.

Eglise Saint-Louis de Versailles

A Paris, Antoinette est reçue dans le milieu médical et celui des Invalides, où l’oncle Christophe de Fréminville exerce ses fonctions. Elle peut y rencontrer de ses parents et amis qui seront les témoins du mariage de sa fille, les époux de La Ponce, le major Gilibert, les d’Espagnac, le chevalier de Pauwlet, madame de La Rivière, les abbés Hérambourg et Thibault, messieurs de Saint-Paul, Léchevin, Augine et le fameux Parmentier, ami intime de l’oncle Christophe, qui est alors apothicaire des Invalides. Elle croise aussi les Sombreuil ou les Brongniart.
A Versailles, parmi d’autres invités, elle traite amicalement M. Crémoux, docteur de Montpelleir, M. Loustaunau, chirurgien du Roi, M. de Malézieux, administrateurr du Mont-de-Piété. Elle reçoit ses cousins, les Campan, ses cousines, mesdames Gonet de Vareilles et de Beauvert, qui sont femmes de la Reine, ses parents et amis venus de province, madame de Sépeaux-Pierre, monsieur de Laval. Elle utilise alors les flûtes de champagne qu’elle a trouvées chez Ducis, le fournisseur des Enfants royaux. Elle a pour sa table deux surtouts où elle dispose des fleurs.

Henriette Campan, première femme de chambre de la Reine
Le 19 décembre 1778
Après un accouchement difficile, Marie-Antoinette donne naissance de Marie-Thérèse Charlotte, dite Madame Royale, future duchesse d’Angoulême. L’enfant est surnommée «Mousseline» par la Reine.

Madame Royale bébé dit L’Enfant aux coussins par Clodion
Il y a du changement, lorsque Victoire de Guéménée prend en charge la nouvelle petite princesse, Madame Royale, tandis que la détestable et cupide comtesse Diane de Polignac prend en charge Élisabeth.

La princesse de Guéménée
La grande dame se préoccupe plus des prestiges de sa charge et de son rang que des véritables contraintes qu’exigent l’éducation d’un enfant royal.
On raconte qu’après l’accouchement de la Reine, Victoire de Guéménée, rayonnante de fierté comme si elle avait elle-même donné naissance à l’enfant royal, se serait fait porter dans une chaise de la chambre de Marie-Antoinette aux crèches royales du rez-de-chaussée de Versailles, le bébé sur ses genoux tandis que tout Versailles rendait hommage.

La comtesse Diane de Polignac (1746-1818)
Antoinette Chappuis est nommée première femme de chambre de Madame Royale. Elle prête son serment agenouillée devant la gouvernante des Enfants de France, qui a la haute main sur leur Maison.

Est-ce Antoinette Chappuis qui se trouve au côté du berceau et de Madame de Guéménée sur cette gravure?

Jacques Morel dans Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy
Madame Royale occupe avec sa Maison un vaste appartement au rez-de-chaussée de l’Aile du Midi, ouvrant sur la terrasse qui domine l’Orangerie. Outre les pièces officielles, l’appartement est considérablement agrandi depuis les règnes précédents. La jeune Madame Royale dispose de pas moins de dix pièces dont la fonction ne nous est pas connue, si ce n’est la chambre à coucher, l’ensemble doublé par l’entresolement de l’enfilade du rez-de-chaussée. Des retombes permettent de nombreux recoins où sont placés les cuves pour les bains, les passages pour le service, des espaces intimes, etc.

On peut sûrement deviner Antoinette Chappuis sur cette gravure….
Le 7 janvier 1781
Antoinette Chappuis épouse Edouard Brunyer (1729-1811), fils de Louis de Brunier et de Marie de Bevan, à Versailles. Le docteur Brunyer est le Premier médecin des Enfants de France.
Les Brunyer, d’origine dauphinoise, se partagèrent, au XVIe siècle entre le catholicisme et la Réforme. L’un d’ex, Abel, fut médecin des enfants d’Henri IV. Une partie de la famille, restée ou redevenue catholique, s’établit en Vendômois sous Louis XIV. En est issu notre Pierre-Édouard, né à Saint-Germain-en-Laye, en 1729. Il fut médecin militaire pendant la guerre de Sept ans puis dirigea l’hôpital de Metz. Dès 1775, avant même la naissance de ses enfants, Louis XVI le nomma leur médecin ordinaire. A cette époque, ses fonctions à l’Infirmerie royale , l’actuel hôpital civil de Versailles, confirmaient sa compétence et assuraient sa position. Bombelles le dit jovial, rassurant et brillant parleur.
Le marquis de Bombelles n’est pas sans se rendre compte de l’avantage qu’Antoinette Chappuis peut tirer de ces mariages :
« Cette Madame Brunier s’est mariée l’hiver dernier au médecin des Enfants de France, un intrigant de profession. Elle, de son côté, qui s’appelait ci-devant Montlouis, était par son premier mari parente de Campan, valet de garde-robe de la reine. Le sieur Campan jouit d’un crédit illimité sur sa maîtresse qui effraie souvent les favoris. Il a placé avantageusement sa famille, il dispose de bien des grâces, et Madame d’Aumale s’étaya de Madame Montlouis qui, par Campan, l’aida à obtenir la place dont elle vient de donner sa démission, et dont l’évince Madame Brunier, cette même femme qui sous le nom de Montlouis avait été un des ressorts de son intrigue. Cet exemple entre mille autres apprend à n’aller à la fortune que par des voies droites, ouvertes et convenables. Les ambitieux s’entraident par moments, pour travailler le lendemain à s’entre-détruire .»
Marc de Bombelles
Ce médecin doit être un drôle de personnage. Bombelles ne cache pas son antipathie au départ, le trouvant trop familier. Néanmoins, il s’agit avant tout d’une réaction de caste : la femme d’un médecin, une bourgeoise, ose prendre la place d’une dame de qualité, une sous-gouvernante !!! Mais par la suite, Bombelles se ravise : Brunier est un médecin qui fait rire ses patients, ce qu’il admet être le premier des remèdes.
Marie-Antoinette donne le même témoignage assez négatif pour la personnalité du médecin :
« Brunier, le médecin, a ma grande confiance toutes les fois que les enfants sont malades, mais hors de là il faut le tenir à sa place ; il est familier, humoriste et clabaudeur.»
Mais comme Elle le dit, Elle lui accorde toute confiance pour ses compétences professionnelles. Ce qui n’a pas empêché la mort de deux de ses enfants ! Jusqu’au bout, jusqu’à la Conciergerie, Marie-Antoinette conservera l’adresse du médecin. Et celui-ci sera d’une fidélité à toute épreuve car il n’hésitera pas à venir soigner ses patients une fois ceux-ci enfermés au Temple.

Le Docteur Brunyer soignant Madame Royale au Temple
Cette confiance, Marie-Antoinette l’accorde aussi bien à l’épouse qu’à sa fille du premier lit, devenue Madame de Fréminville. La première sera de l’expédition pour Montmédy. Marie-Antoinette ne lui laisse visiblement pas trop longtemps sa fille, lui reprochant le même caractère qu’à son époux. Mais elle reste première femme de chambre et cette confiance mitigée ne connaîtra aucune restriction pour la fille de madame Brunier :
« Sa fille, madame Fréminville, est une personne d’un vrai mérite. Quoiqu’âgée seulement de vingt sept ans, elle a toutes les qualités d’un âge mûr. Elle est à ma fille depuis sa naissance, et je ne l’ai pas perdue de vue. Je l’ai mariée, et le temps qu’elle n’est pas avec ma fille, elle l’occupe en entier à l’éducation de ses trois petites filles. Elle a un caractère doux et liant, est fort instruite, et c’est elle que je désire charger de continuer les leçons à la place de l’abbé d’Avaux. Elle en est fort en état, et puis que j’ai le bonheur d’en être sûre, je trouve que c’est préférable à tout. Au reste, ma fille l’aime beaucoup, et y a confiance. »
Marie-Antoinette, Lettre à madame de Tourzel
D’après Marc de Bombelles, quelle que soit la personne chargée de l’éducation de la princesse, gouvernante, sous-gouvernante ou simple première femme de chambre :
« Cette éducation exigera bien du soin par rapport à tout ce que cette jeune princesse annonce d’esprit, de hauteur et de caractère d’un genre inquiétant.»
Marc de Bombelles
Antoinette lit peu car son niveau d’études n’a guère dépassé celui d’un couvent d’Ursulines, elle passe un certain nombre d’heures devant un rouet ou un métier à tapisser. Elle joue au trictrac, au piquet, au reversi, mais ne risque au jeu que de faibles sommes.
De temps en temps, elle va au théâtre. Pour les dames de la Cour, il s’agit de la salle établie provisoirement dans l’aile de la Chapelle, moins souvent du théâtre de mademoiselle de Montansier, récemment ouvert rue des Réservoirs, qui est resté le théâtre de Versailles. Pour ne pas gâter ses souliers coquelicot, elle s’y fait porter en chaise. Madame Brunyer loue des voitures de remise pour ses fréquents trajets entre Versailles et Paris, quand elle ne se fait pas prêter un carrosse.

Le théâtre Montansier de Versailles, inauguré le 18 novembre 1777 par le Roi et la Reine.
Il va de soi qu’une grande partie de ses dépenses couvre des frais de représentation.
Le 22 octobre 1781
Naissance de son petit frère, le Dauphin tant attendu Louis-Joseph. Malgré tout son amour pour ce fils tant espéré, Marie-Antoinette sait qu’il appartiendra encore plus que son aînée à l’Etat.

Dans ses fonctions, madame Brunyer capte si adroitement l’estime et la confiance de la Reine, qu’elle obtient pour sa fille Christine de Montlouis une place équivalente à la sienne. La jeune fille fait l’admiration de le Marie-Antoinette par sa maturité, son caractère charmant, sa douceur et son instruction.
Le 25 novembre 1781
Sa fille, Christine Dufour de Montlouis, qui a dix-neuf ans, épouse Claude Noël de la Poix de Fréminville (1757-1816), un jeune homme très prometteur: il doit hériter de la charge de trésorier de l’hôtel royal des Invalides possédée par un oncle. Sa belle-mère obtient en outre pour lui un poste dans les Etapes (c’est à dire l’acheminement des vivres dans les ports de guerre et les garnisons). Ils auront ensemble trois filles. Un clerc fait circuler dans le château la minute et les expéditions du contrat, que le Roi, la Reine, Madame Elisabeth et madame de Guéménée honorent de leurs signatures.

On croirait reconnaître Marie-Antoinette
Marie-Antoinette est en adoration devant elle :
« C’est une personne d’un vrai mérite et, quoique seulement âgée de vingt sept ans, elle à toutes les qualités d’un âge mur. Elle est à ma fille depuis sa naissance et je ne l’ai pas perdue de vue: je l’ai mariée, et le temps qu’elle n’est pas avec ma fille, elle l’occupe en entier à l’éducation de ses trois petites filles. Elle à un caractère doux et liant, est fort instruite, et c’est elle que je désire charger de continuer les leçons à la place de l’abbé d’Avaux. Elle en est fort en état, et, puisque j’ai le bonheur d’en être sure, je trouve que c’est préférable à tout. Au reste, ma fille l’aime beaucoup et y a confiance.»
Au long des mois, mère et fille exercent ensemble puis alternativement leur service auprès de Madame Royale. De leur temps, les Enfants de France déménageront plusieurs fois ; ils logent le plus souvent dans l’aile du Midi. Chacune de ces dames perçoit un traitement annuel de deux mille livres ; ces appointements sont presque doublés par des gratifications, les indemnités et les avantages en nature, que madame Brunyer ne dédaigne pas.
A chaque jour de l’an, madame Brunyer répand autour d’elle une pluie d’étrennes, de pourboires et de gratifications. Pour son propre service, elle se montre exigeante, prend à l’essai plusieurs filles de cuisine, puis les renvoie, se plaint d’un ménage paresseux, voue aux gémonies un cocher ivre qui l’a exaspérée ; mais elle habille la fille de son jardinier pour sa première communion.
Femme de conseiller d’Etat, madame Brunyer fait bénéficier sa famille de sa position.
On sent chez elle un grand amour de la vie.
Le 24 octobre 1782
Selon l’idée du baron de Besenval, la Reine donne à Madame de Polignac la place de Gouvernante des Enfants de France en remplacement de Madame de Guéménée, victime de la faillite de son mari ( d’un passif de trente-trois millions de livres).

Yolande de Polignac Au chapeau de paille par Élisabeth Vigée Le Brun (1783)
L’autorité lointaine et légère de madame de Polignac permet bientôt à Antoinette Brunyer de se montrer indispensable. Madame Brunyer, qui approche de la cinquantaine, est une femme équilibrée, active, entourée d’amitiés. Son temps est partagé entre son service et sa vie personnelle ; elle est de repos un mois sur deux.
Les époux Brunyer occupent un appartement de fonction au Grand Commun. Antoinette y complète le fond de maison qui remonte à ses précédents mariages. Les plans de l’appartements sont reproduits ci-dessous : ils évoquent ce qu’est l’espace quotidien des époux Brunyer pendant plus de sept ans : on pourrait y placer les meubles auxquels madame Brunyer fait allusion dans son journal. Elle court en effet les ébénistes et brocanteurs. Elle gouverne cinq à huit domestiques, les siens et ceux de son mari. Elle veille elle-même à l’approvisionnement de l’office, décore en femme de goût son intérieur, où elle reçoit, avec un certain apparat.

Une dame à sa toilette par Louis-Léopold Boilly, vers 1790
Beaucoup des dépenses d’Antoinette Brunyer révèlent son goût des beaux meubles, et le prix qu’elle attache à un intérieur élégant. Elle désigne avec précision les marbres, le bois d » rapport, la couleur des soieries et des tapisseries. Elle décrit avec jubilation et compétence le mobilier qu’elle achète chez les ébénistes, les menuisiers et les revendeurs qu’on appelle alors des m:archands-merciers. Deux de ses fournisseurs portent des noms connus dans ces professions : Boulard et Héricourt. Son ébéniste versaillais est Masson, son marchand-tapissier Boucher, A la Toison d’or, rue et place Dauphine. Un jour, elle trouve d’occasion une commode en vieux laque noir qui paraît d’époque Louis XV ; une autre fois, elle achète une « voyeuse » à la mode, au dossier en lyre. Masson exécute pour elle une commode Louis XVI à placer dans sa chambre, sous la fenêtre exposée au levant, et lui en prête une autre pendant la durée du travail. Le tourneur de l’atelier lui construit une chaise haute pour Constance, quand l’enfant vient déjeuner avec elle. Elle se réjouit d’avoir trouvé une table conçue pour un triple usage : l’écriture, la toilette et le jeu ; ce meuble reproduit un modèle créé pour la Reine par le mécanicien Mercklein, qui a conçu le cabinet des glaces mouvantes de Trianon.

Table de Marie-Antoinette par Jean-Gotfritt Mercklein (1733~18o8)
Elle fait recouvrir les bergères, renouvelle les rideaux, les tentures, les couvre-lit. Elle écrit autant par plaisir Que par devoir, moins pour contrôler sa dépense que pour garder mémoire de ses achats, étonnée de sa prospérité après tant d’années difficiles ; peut-être aussi pour bien distinguer son budget de celui de son mari.
Le Grand Commun
(texte et illustrations de Christophe Duarte – Versailles passion )

Dans les 189 logements particuliers mis à la disposition des «logeants» s’entassent les courtisans les plus chanceux, laissant aux “galopins” l’inconvénient des allers-et-retours des appartements en ville.

Pour les légions de domestiques indispensables au palais et à ses habitants, des appartements communautaires ont été aménagés dans le Grand Commun, mais beaucoup doivent se contenter d’un lit sous les combles.

Le logement des Brunyer, au premier étage du Grand Commun, est indiqué en rouge

Réfectoire du Grand Commun dans des images des Adieux à la Reine (2012) de Benoît Jacquot


Manque d’espace, fumée, obscurité rendent les lieux peu accueillants, sans compter les multiples dégradations dues aux changements incessants d’occupants. Néanmoins, des courtisans de plus grande qualité, qui n’ont pu trouver de place au Château, habitent le Grand Commun.

A force de cloisonnement, d’entresols, on peut dénombrer 1 500 personnes réparties dans 220 logements.


Les Brunyer disposent aussi d’un jardin et d’une petite ferme, avec étable, basse-cour et pigeonnier, situés vers Porchefontaine.
En 1783
Christine de Fréminville accouche de Constance Antoinette Christophorine (1783-1819).

Sa mère lui fait alors cadeau de deux cafetières d’argent, un col de fourrure en renard bleu, des rubans achetés tout neufs à la garde-robe de Madame Elisabeth.

A son autre fille, Madeleine Rabut, épouse de Louis Humblot, restée dans la région lyonnaise, Antoinette expédie via le coche d’eau de Villefranche-sur-Saône, maints articles de Paris : chapeaux à la mode, gants brodés, fichus, produits de beauté pour la faire briller dans sa province. Quand madame Humblot vient à Paris, elles font ensemble des courses. La mère offre à sa filles des coupons de taffetas rose et de taffetas lilas pour en faire des jupons.

Antoinette va-t-elle jusqu’à s’offrir les services de Mademoiselle Bertin, le ministre de la Mode de la Reine ?
En avril 1783
Marie-Antoinette fait renvoyer plusieurs femmes de chambre au sein de la Maison de Sa fille, passant de onze à six femmes. Plusieurs raisons expliquent cette décision : d’une part on commence à parler d’économie au sein des maisons royales et princières, d’autre part, réduire son train peut être une solution pour casser l’orgueil de la fillette. Enfin, les intrigues au sein des maisons des enfants royaux ne cessent pas et il est compréhensible pour la Reine de s’assurer de la confiance du personnel chargé de l’éducation de Ses enfants. Ces différentes décisions, celle de s’occuper Elle-même de Sa fille, puis celle accordant la réelle éducation à Madame Brunyer (puis à la fille de celle-ci) peuvent faire craindre pour la place des sous-gouvernantes devenues de fait inutiles. Le service dans son ensemble prend peur, ce qui ne fait que redoubler les intrigues. Selon les rumeurs médisantes, les dames Brunyer gâtent Madame Royale avec excès, escomptant les bénéfices futurs de sa reconnaissance. Cependant, durant les quinze années qu’elles passeront à la Cour, Marie-Antoinette peut se reposer sur ces deux femmes, fortes de leur expérience maternelle et conseillées par le médecin.
Madame Brunyer est une maîtresse de maison pratique et fort économe. Elle veille au bon état des ustensiles de cuisine, qu’elle fait ressouder et rétamer, note le prix du moindre article de quincaillerie. Pour plus de confort et de commodité, elle achète une fontaine à filtrer l’eau, une cafetière mécanique. Dans sa cuisine, on fait des confitures, du vinaigre aromatique, on sale le cochon. Antoinette est assurément une femme gourmande. Il suffit de voir avec quelle délectation elle désigne les fruits, les gâteaux, les jambons, les fromages. Elle sait où trouver un très beau dindon, des marrons superbes, un pot de beurre de Bretagne «avec bien du sel blanc dessus» .
Elle est sévère avec la qualité des melons, des figues, de la volaille, du café. Elle achète à Versailles le v in de ses gens, mais se réserve en cave une pièce de Mâcon vieux. Les Brunyer font aussi venir par le coche d’eau d’Auxerre du vin de Joigny et en prennent livraison au quai Saint-Bernard. Antoinette apprécie les spécialités locales, les épices, les produits exotiques. Elle aime les fleurs et entretient de bons rapports avec les garçons de l’Orangerie, qui lui apportent pour son jardin cinq petits orangers, des giroflées, des pensées, du réséda.
Le 24 avril 1783
Toujours d’après Marc de Bombelles :
« Madame d’Aumale, voyant de jour en jour qu’elle était plus désagréable à la reine, a pris le parti de donner sa démission hier matin. Madame la duchesse de Polignac, après l’avoir reçue, a été la voir pour l’engager à ne pas se presser sur cette démarche. Mais le parti de Madame d’Aumale était sagement pris, et l’autorité confiée par la Reine à Madame Brunier, première femme de chambre, ne permettait plus à une femme de qualité de rester honnêtement dans une place dont cet ordre annulait les fonctions. Madame de Villefort, mère de quatre enfants et sans aucune fortune, ne savait hier quel parti prendre, voyant qu’elle ne serait plus, auprès de Madame, fille du Roi, que sous-gouvernante en titre tandis que Madame Brunier le serait de fait. La Reine, ayant ordonné que cette Madame Brunier ne quittât plus sa fille et réformant la seconde première femme de chambre pour laisser à l’objet de son choix un service permanent, elle a ajouté que ce serait Madame Brunier qui lui rendrait compte de tout.»
Il s’agit là d’une petite révolution au sein du personnel de l’éducation des Enfants de France. Les réseaux familiaux à la Cour sont tels, à chacun des niveaux de service qu’il est presque impossible pour les membres de la famille royale de choisir un serviteur de son choix. La démission de la princesse de Guéménée issue d’un clan très puissant de la Cour, celui des Rohan, nièce, petite-nièce, arrière-petite-nièce de Gouvernantes des Enfants de France permit l’impensable : choisir une Gouvernante selon les souhaits du couple royal. Charge inamovible, elle ne peut être renvoyée, malgré ses incompétences. Il faut un scandale pour que d’elle-même, la princesse de Guéménée donne sa démission.
Il en va de même pour les sous-gouvernantes : malgré leur antipathie pour madame d’Aumale, Louis XVI et Marie-Antoinette ne peuvent la renvoyer, ni refuser la survivancière qu’elle s’est choisie. Marie-Antoinette passe outre en accordant l’éducation effective de sa fille à sa première femme de chambre depuis 1781, madame Brunier, anciennement madame de Montlouis. Par son premier mariage, elle était unie par des liens familiaux aux Berthollet-Campan très puissants dans sa propre Maison. Son second époux est médecin des Enfants de France :
« Cette Madame Brunier s’est mariée l’hiver dernier au médecin des Enfants de France, un intrigant de profession. Elle, de son côté, qui s’appelait ci-devant Montlouis, était par son premier mari parente de Campan, valet de garde-robe de la reine. Le sieur Campan jouit d’un crédit illimité sur sa maîtresse qui effraie souvent les favoris. Il a placé avantageusement sa famille, il dispose de bien des grâces, et Madame d’Aumale s’étaya de Madame Montlouis qui, par Campan, l’aida à obtenir la place dont elle vient de donner sa démission, et dont l’évince Madame Brunier, cette même femme qui sous le nom de Montlouis avait été un des ressorts de son intrigue. Cet exemple entre mille autres apprend à n’aller à la fortune que par des voies droites, ouvertes et convenables. Les ambitieux s’entraident par moments, pour travailler le lendemain à s’entre-détruire .»
Ce médecin doit être un drôle de personnage. Bombelles ne cache pas son antipathie au départ, le trouvant trop familier. Néanmoins, il s’agit avant tout d’une réaction de caste : la femme d’un médecin, une bourgeoise, ose prendre la place d’une dame de qualité, une sous-gouvernante !!! Mais par la suite, Bombelles se ravise : Brunier est un médecin qui fait rire ses patients, ce qu’il admet être le premier des remèdes.
Marie-Antoinette donne le même témoignage assez négatif pour la personnalité du médecin :
« Brunier, le médecin, a ma grande confiance toutes les fois que les enfants sont malades, mais hors de là il faut le tenir à sa place ; il est familier, humoriste et clabaudeur.»
Mais comme Elle le dit, Elle lui accorde toute confiance pour ses compétences professionnelles. Ce qui n’a pas empêché la mort de deux de Ses enfants ! Jusqu’au bout, jusqu’à la Conciergerie, Marie-Antoinette conservera l’adresse du médecin. Et celui-ci sera d’une fidélité à toute épreuve car il n’hésitera pas à venir soigner ses patients une fois ceux-ci enfermés au Temple.
Du 2 au 7 juin 1783
Premier séjour de la Reine à Trianon avec Madame Royale.

La chambre à coucher de Madame Royale au Petit Trianon
( texte et illustrations de Christophe Duarte ; Versailles passion )
Cette chambre à coucher de suite, aux boiseries simplement moulurées et à la cheminée de pierre peinte en faux marbre gris, est consacrée à l’évocation de Marie-Thérèse, qui loge à l’étage d’Attique. La tenture de coton reproduit une toile de la manufacture de Jouy des années 1780.

Le modèle en fut donné par le sculpteur Clodion. Il s’agit d’un tirage du XIXe siècle. Dans l’angle de la cheminée est accrochée une petite étagère-encoignure en marqueterie de Gilles Joubert, livrée avec onze autres en mai 1768 pour le Petit Trianon. Elle porte la marque du Garde-meuble de la Reine.

Sur la commode est exposé un buste de Madame Royale en biscuit de Sèvres, daté vers 1820, alors qu’elle est devenue duchesse d’Angoulême.

La petite table à écrire placée au centre de la pièce, œuvre de Benneman, datant de 1790 en placage d’amarante et marqueterie de bois de rose et citronnier, provient du cabinet intérieur de Madame Elisabeth à Compiègne. Elle est entrée à Versailles en 1835.

Antoinette (de) Brunyer accompagne la petite Marie-Thérèse dans cette maison de la Reine.
Le 24 avril 1784
« La reine a décidé que ce serait madame Brunyer qui lui rendrait compte de tout.»
Marc de Bombelles
Première femmes de chambre, elle a autorité sur des servantes et des serviteurs plus modestes qui s’affairent autour de l’enfant. Sa fonction est importante et lourde de responsabilités.
« Elle consiste à habiller la princesse, la garder la nuit, coucher auprès d’elle, l’accompagner à la promenade quand elle n’est pas avec ses parents, assister à ses repas, la suivre toutes les fois qu’elle sort de Paris, quelque petit voyage qu’elle fasse.»
Antoinette Brunyer, interrogatoire effectué au retour de Varennes
En 1784
Le docteur Brunyer devient conseiller d’Etat.
Christine de Fréminville accouche d’Eulalie (Christophe Marguerite).
Il est temps de donner une véritable formation intellectuelle à Madame Royale. Son personnel d’éducation est fixé dès la création de sa Maison, avant même sa naissance, certaines charges restant inamovibles ou héritées dans une seule et unique famille depuis plusieurs générations comme les Rousseau, maîtres d’armes des Enfants de France.

Madame Royale par Alexander Kucharski
Une fois de plus, Louis XVI et Marie-Antoinette innovent. En plus de la gouvernante, des sous-gouvernantes, des femmes de chambre, auxquelles on rajoute différents maîtres, d’écriture, de dessin, de musique, de danse, de langues, etc., le couple royal décide qu’un instituteur sera chargé de l’éducation littéraire. Le premier est l’abbé de Montaigu, déjà en place pour Madame Elisabeth. Il est rapidement remplacé par l’abbé d’Avaux. Il semble qu’aucun des deux ne plaît réellement à Marie-Antoinette. Elle choisit plus tard dans ce rôle d’institutrice une femme de chambre, madame de Fréminville, la propre fille de madame Brunyer.

Marie-Thérèse et Louis-Joseph en 1784
En 1785
Christine de Fréminville accouche de Léa Christophorine Edouarde (1785-1809).
Le 27 mars 1785
Mousseline a un nouveau petit frère, Louis-Charles, duc de Normandie.

Louis-Charles, duc de Normandie par Élisabeth Vigée Le Brun
Le Docteur Brunyer cumule les deux titres de médecin du Dauphin et médecin des Enfants de France. Son traitement de quinze mille livre par an est exorbitant pour l’époque. On ne l’appelle que monsieur Brunyer car dans la hiérarchie médicale il a rang de professeur.
Du 10 octobre au 16 novembre 1785
Séjour de la Cour à Fontainebleau où Marie-Antoinette se rend en yacht par la Seine.
Madame Royale est, pour la seconde fois, du séjour à Fontainebleau. Durant ce séjour, elle est insupportable. Marie Antoinette lui passe tout.

Mousseline la Sérieuse par Adolf Ulrik Wertmüller
Le 25 novembre 1785
Son fils, Louis-François Dufour de Montlouis, administrateur colonial, et conduit par son beau-frère, Claude de Fréminville, embarque pour Tobago, une île de Petites Antilles récemment acquise à la France par la diplomatie de Vergennes.
En juin 1786
Marie-Antoinette de nouveau enceinte ne peut accompagner son époux lors de son voyage pour la Normandie. Son retour est d’après les témoins un moment très touchant, la Reine accourant malgré Son état avec Ses trois enfants afin de se jeter dans les bras du Roi. Le public est alors particulièrement friand de scènes « sensibles ». Néanmoins, la joie des enfants au retour de leur père ne peut être feinte et démontre une fois de plus les relations particulièrement affectueuses qui règnent au sein de la famille royale.
Images du Versailles Secret de Marie-Antoinette
Le 9 juillet 1786
Une petite sœur arrive, Sophie Hélène Béatrix.

Il semble que malgré son caractère difficile, Marie-Thérèse a beaucoup d’affection pour ses cadets.

Les quatre Enfants de France
A l’automne 1786
Lors du séjour de la Cour au château de Fontainebleau , saison théâtrale de la Cour, annonçant ce qui va être joué l’hiver à Paris, la fillette souhaite revoir la pièces Les Mystères du Caire jouée la semaine précédente où deux vrais chameaux apparaissaient sur scène. Les acteurs et tout le personnel des Menus-Plaisirs se préparant à jouer Phèdre durent céder au caprice de l’enfant sur ordre de la Reine. Comme quoi celle-ci gâte également outrageusement sa fille…

Nombreux sont ceux murmurant contre cette éducation qui permet à une enfant si jeune non seulement d’assister à des représentations théâtrales mais en plus d’imposer ses caprices ! Mais Marie-Antoinette a connu pareille éducation à Vienne et trouve normal que la vie de représentation de sa fille inclue également la vie artistique de la Cour.
Le 19 juin 1787
La petite Madame Sophie décède sans doute atteinte d’une tuberculose pulmonaire. La cause de son trépas est un peu mystérieuse mais il semble s’agir d’une grave infection pulmonaire.

Image de Marie-Antoinette de Sofia Coppola (2006)
Le 11 décembre 1787
« Ma santé et celle de mes enfants est très bonne. Ma fille vient d’avoir la rougeole, mais des plus heureuses. Elle commence à devenir un personnage, et, ces trois semaines où j’ai été enfermée avec elle, elle m’a réellement tenu compagnie.»
Marie-Antoinette à la princesse de Hesse-Darmstadt
Antoinette comble de cadeaux ses nombreux petits-enfants : des boucles de souliers en argent pour les deux petits Humblot, des boîtes de bonbons semblables pour Constance et Eulalie, une poupée pour Léa, les trois demoiselles de Fréminville.
En 1788
Madame Lambriquet, une des femmes de chambre de Madame Royale, meurt. Laissant plusieurs jeunes enfants, la deuxième, Marie-Philippine, renommée Ernestine, de quelques mois plus âgée que la princesse devient sa compagne d’éducation. Tout doit être fait à égalité entre les deux enfants, un jour sur deux la princesse devant servir la fille de sa femme de chambre. Cette nouvelle révolution dans l’éducation royale a pour conséquence les plus folles rumeurs, cette enfant du commun devenant chez certains amateurs d’Histoire une fille illégitime de Louis XVI, allant même jusqu’à penser qu’elle fut substituée à la princesse lors de sa libération du Temple.
Le 20 février 1788
En hiver, il paraît indispensable à Antoinette Brunyer de servir des huîtres ; à l’époque, on apprécie celles de Dieppe et d’Etretat. Elle en offre à monsieur Pierre, Premier peintre du Roi, qu’elle reçoit à déjeuner. Elle lui montre alors le portrait que Sicardi a peint d’elle quelques mois plus tôt. La description de la bordure et du montage suggère plutôt une miniature qu’une peinture à l’huile.

Ce portrait n’est pas celui d’Antoinette Brunyer,
il a seulement le mérite d’être de Sicardi …
En février 1788
Antoinette Brunyer ne se plaint jamais de sa santé, si l’on excepte, en février 1788, un refroidissement qui nécessite la pose de six sangsues.
Marc de Bombelles est ému par la princesse lorsqu’on vient lui annoncer la maladie de son frère Louis-Joseph. Pour la première fois la fillette semble touchée. L’enfant, par pudeur se cache derrière un écran afin de cacher ses larmes.

Louis-Joseph dans son fauteuil roulant
Car l’orgueil de la princesse est surtout avant tout de la pudeur. Habituée à vivre en représentation permanente, elle a appris à cacher ses sentiments, à ne se montrer telle qu’elle est réellement que très rarement. Cette armure sera sa force qui lui permettra de survivre aux terribles épreuves qu’elle ne va pas tarder à endurer. Du début de la Révolution, elle n’en connaît que des regards inquiets, ses parents de plus en plus accablés. Ce qu’elle vit le plus douloureusement est surtout la maladie de son frère.
Le 5 mai 1789
Ouverture des Etats Généraux le 5 mai 1789
Une inquiétude latente perce dans les pages du journal d’Antoinette Brunyer, qui d’année en année se font plus bavardes. Le livre de comptes d’Antoinette devient son confident. En ces temps critiques, il aide cette femme solide et optimiste à conjurer une situation qui la dépasse. Quelques signes avant-coureurs de l’orage s’y inscrivent à son insu.

On note l’enchérissement du prix du pain et du bois de chauffage ; des provisions s’accumulent dans l’office. Madame Brunyer concède à sa fille un jambon qu’elle a fait venir du Vendômois. Un moment, les comptes sont tenus au denier près.

En 1789
En 1789, l’oncle Christophe de Fréminville _on remarque que les trois demoiselles de Fréminville portent en son honneur les prénoms de Christophe ou Christophorine_ trésorier des Invalides, se retire : sa fonction passe donc au mari de Christine.

Christophe de Fréminville
Le 4 juin 1789
Mort du Dauphin, Louis-Joseph-Xavier-François, son frère, à Meudon.
Mort du Dauphin dans le film Les Années Lumières (1989)
Ses parents se retirent à Marly pour le pleurer. Il est enterré avec un cérémonial réduit à Saint-Denis compte tenu le contexte économique difficile.
Il n’existe pas de témoignage du chagrin de Marie-Thérèse. Elle vivait depuis longtemps séparée de lui, depuis son passage aux hommes en 1787 et surtout depuis son installation au château de Meudon, dont l’air plus sain que les marais versaillais, avait paru comme plus salubre pour l’enfant malade.
Aux premiers mois de la Révolution
Elle est encore protégée. La famille royale pleure le Dauphin lors d’un séjour prolongé à Marly. Mais qui est aussi l’occasion pour le Roi, son épouse, ses frères de discuter à propos des événements qui s’enchaînent et de déterminer des mesures à prendre.
Le 14 juillet 1789
Prise de la Bastille.

Le 16 juillet 1789
Madame de Polignac, sous laquelle Antoinette sert, émigre avec sa famille sous les conseils de la Reine: la duchesse est très impopulaire; on la juge débauchée et intéressée.

Une première inquiétude apparaît lors du départ forcé de sa gouvernante madame de Polignac. Celle-ci ne s’occupait pas de la princesse directement mais elle n’en avait pas moins une forte influence sur l’enfant.
La marquise de Tourzel (1749-1832) devient Gouvernante des Enfants de France en remplacement de madame de Polignac. C’est elle qui dirige désormais Antoinette… Les mérites de Louise-Elisabeth de Tourzel seront reconnus sous la Restauration par un titre de duchesse.

Marquise et duchesse de Tourzel
Elle est surtout en charge du jeune Dauphin, la princesse ayant son éducation déjà bien en place.
La nuit du 4 août 1789
Abolition des privilèges.

La Nuit du 4 août 1789, gravure de Isidore Stanislas Helman (BN)
Madame Caillot, la femme de chambre de madame Brunyer réclame une augmentation. Leurs relations ne vont pas cesser de s’aigrir jusqu’au jour où Antoinette se dira soulagée de son départ. On peut y deviner un signe du temps : à présent se relâchent les liens séculaires qui s’étaient fondés sur l’échange accepté des protections et des services. Cet épisode monte à quel point la position de madame Brunyer est fragile. Depuis 1780, la popularité de la Reine n’a pas cessé de faiblir, et Sa faveur n’est plus un avantage. Elle se retournera même contre ceux qui en ont bénéficié.
Le lundi 5 octobre 1789

Des Parisiennes qui n’en peuvent plus de faire la queue devant des boulangeries désespérément vides mais aussi des hommes déguisés en femmes, prêts à tout, armés, partent de Paris pour rejoindre le château de Versailles, malgré le temps exécrable.

Louis XVI est parti chasser à Meudon mais revient en trombes, à cheval, dès qu’il est averti du mouvement.

Marie-Antoinette se repose dans Sa grotte du Petit Trianon lorsqu’on la prévient. La foule entre Sèvres et Saint-Cloud pouvait encore être refoulée si les gardes du corps postés sur le chemin de Versailles avaient reçu les ordres de les contenir. Mais Louis XVI refuse de faire tirer sur des femmes. Des ordres contradictoires sont donnés aux domestiques du château. La voiture du Dauphin était prête pour la promenade et il suffit d’y installer les enfants royaux pour les envoyer au château de Rambouillet. Mais la Reine refuse de quitter son mari et le Roi de quitter Versailles. Les voitures royales sont néanmoins préparées, prêtes à attendre Louis XVI et Marie-Antoinette qui partiraient discrètement chacun de leur côté. Mais la garde nationale versaillaise aidée de quelques gens d’écurie bloque les voitures.
Louis XVI fait envoyer la majorité de ses gardes du corps à Rambouillet, pensant qu’ils pourront l’y réceptionner au plus tôt. Il n’en garde qu’une petite centaine, jugée suffisante. Personne n’envisage qu’on peut réellement s’attaquer à la famille royale…
A onze heures du soir
La Fayette, commandant de la garde nationale, assure qu’il tient la foule en mains et que tout le monde peut se coucher en sécurité. Marie-Antoinette n’en pense pas moins et convient avec madame de Tourzel d’amener ses enfants chez Elle à la moindre alerte. Elle se ravise ensuite et préfère qu’ils soient amenés chez leur père :
« Elle venait d’être avertie des dangers personnels qu’elle pouvait courir dans son appartement, et on l’avait engagée à passer la nuit dans celui du Roi ; mais elle s’y refusa positivement : « J’aime mieux, dit-elle m’exposer à quelque danger, s’il y en a à courir, et les éloigner de la personne du Roi et de mes enfants. » Ce fut le motif du changement de l’ordre qu’elle m’avait donné d’abord.»
Mémoires de madame la duchesse de Tourzel
Au petit matin, la réveil ut brutal :
https://www.marie-antoinette-antoinetthologie.com/les-journees-doctobre-1789/

Au moment où la Reine arrive enfin chez Son mari après avoir failli être assassinée, la gouvernante amène de toute urgence le petit Dauphin de quatre ans accompagnée du garde de corps attaché à sa personne, monsieur de Sainte-Aulaire. Madame de Tourzel n’a eu que le temps d’avertir la jeune princesse. Marie-Antoinette ne voyant pas sa fille, repart par des couloirs et escaliers dérobés communiquant entre les appartements du Roi, de la Reine et de leurs enfants.
La famille royale n’en est pas quitte avec la peur, notamment les enfants. La foule réclame la Reine au balcon. Celle-ci, malgré les conseils de prudence de la part de courtisans rassemblés dans la chambre de parade du Roi, fait preuve une fois de plus de courage et se montre entourée de Ses enfants, tous trois à peine habillés, tirés de leur lit de toute urgence.
Image de Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy
La foule est touchée par cette tendre image maternelle mais certains comprennent que la Reine va ainsi échapper à son assassinat prévu. On cria donc : «Point d’enfants !» La seule protection qui Lui restait pour ne pas se faire tirer dessus…

Jane Seymour est Marie-Antoinette dans Les Années Lumières de Robert Enrico (1988)
Que comprennent les enfants, particulièrement une fillette de onze ans, lorsque Marie-Antoinette leur demande de rentrer ?


En tout état de cause, leur mère en revient, non seulement vivante mais aussi acclamée.

Image de Louis XVI, l’homme qui ne voulait pas être Roi (2012) de Thierry Binisti
Louis XVI doit accepter de se rendre à Paris pour en faire désormais sa résidence ordinaire.

Départ du Roi de Versailles, par Joseph Navlet
A une heure et demi
La famille royale s’installe dans la voiture pour quitter le château de Versailles à jamais. Marie-Thérèse est installée au fond, entre ses deux parents. La route jusqu’à la capitale est longue. Et certainement terrible, surtout pour les enfants qui ne peuvent échapper à la vue des têtes coupées de leurs gardes du corps ou aux insultes obscènes contre leurs parents.

Exténués, ils doivent encore suivre leurs parents jusqu’à l’Hôtel de Ville, subir de longs discours. Le jeune Dauphin dort dans les bras de sa gouvernante et la pauvre Marie-Thérèse doit faire appel à toute son éducation pour tenir le choc.
La famille royale, hors le comte et la comtesse de Provence se rendent ensuite aux Tuileries qui ont été désertées depuis le départ de Louis XV en 1722. La famille royale s’y installe tant bien que mal, Madame de Tourzel se retrouvant obligée de barricader l’appartement du petit Dauphin avec des meubles car il n’y a ni gardes, ni portes fermables .
Les Tuileries
Aux Tuileries, madame Brunyer partage désormais l’installation précaire de la famille royale. Les conditions de la vie rapprochent madame Brunyer de l’intimité royale. Madame de Fréminville, plus lettrée que sa mère, donne en présence de Marie-Antoinette, des leçons journalières à Madame Royale qui a douze ans. La Reine la préfère à l’instituteur en titre, l’abbé d’Avaux, et l’enfant est fort attachée à Christine qui a soin d’elle depuis sa naissance. Des cochers des écuries royales, puis de simples fiacres vont chercher chaque jour madame de Fréminville aux Invalides pour la conduire auprès de sa royale élève.
« La reine croyait Madame fière et d’un esprit dissipé ; elle était au contraire bonne, affable, timide et avait même besoin qu’on lui inspirât de la confiance.»
Madame de Tourzel
Après une semaine chaotique
Madame Brunyer trouve un appartement acceptable au petit hôtel de La Vallière, place du Carrousel, dans le quartier vétuste qui sera détruit sous l’Empire. Elle peut y faire apporter une partie de son mobilier de Versailles. A Paris, Antoinette trouvera encore des occasions de déployer ses talents d’hôtesse.

Plan de l’hôtel de La Vallière au Carrousel du Louvre
Le 8 avril 1790
Madame Royale fait sa communion privée à Saint-Germain-l’Auxerrois, la paroisse de la famille royale à Paris.
Le 3 juin 1790
Malgré l’émoi provoqué et la crainte d’une probable évasion, Louis XVI fait savoir , par une lettre publique, qu’il souhaite durant la période estivale séjourner avec sa famille au château de Saint-Cloud, acquis par Marie-Antoinette depuis 1784 .
Tous les Parisiens, jusqu’aux fortunes les plus modestes, partent aux beaux jours se ressourcer à la campagne. Il est donc difficile de refuser au Roi ce que tout le monde s’accorde.
Le château de Saint-Cloud
La surveillance étant relâchée, le couple royal et Madame Elisabeth peuvent de nouveau monter à cheval pour de longues courses de plus en plus éloignées de la capitale. Des tentatives pour fuir définitivement la capitale sont évoquées, certaines plus sérieusement que d’autres, mais comme à chaque fois, Louis XVI s’y refuse.
C’est le dernier séjour, hors les Tuileries, autorisé à la famille royale.
Courant novembre jusqu’au 8 décembre 1790
Séjour de la famille royale au château de Saint-Cloud.
Le 1er janvier 1791
Projet d’évasion de la famille royale (plan de Fersen, Bouillé et Breteuil) …
Le 3 février 1791
Marie-Antoinette écrit à Mercy :
« Ce 3 février.
Enfin, voici l’occasion que je vous annonce depuis longtemps, Monsieur le comte. La cassette contient mes diamants. Le Roi aurait voulu y joindre les siens; mais, comme ils sont à la Couronne, nous n’avons pas osé, de peur qu’on ne les demande d’un moment à l’autre, sous prétexte qu’ils sont biens nationaux. Votre lettre du 24 ( janvier) m’a affligée et peinée. Malgré les contrariétés que nos idées éprouvent, par les nouvelles que vous m’y donnez, je veux profiter de cette occasion sûre pour vous détailler tout notre plan.
Nous sommes assurés des sentiments, de la discrétion et du zèle de M. de Bouillé; mais il croit comme nous qu’il serait impossible de rien faire sans le secours des puissances étrangères, lequel serait dangereux si nous n’étions hors de Paris. Après avoir réfléchi longuement sur les moyens de nous tirer d’ici, nous n’avons trouvé de sûr que celui de la fuite, M. de B. n’étant pas assez sûr de toutes les troupes de son commandement ni des municipalités pour garnir suffisamment la route par où nous devons passer. M. de B. a craint d’ailleurs qu’un grand mouvement de troupes ne donne des soupçons. Il ne nous a pas proposé Metz pour notre retraite: il trouve cette ville trop grande, trop mal peuplée, et d’un trop mauvais esprit pour que nous y soyons en sûreté. Elle est d’ailleurs trop éloignée de la frontière. Mais il nous propose Montmédy, qui n’en est éloigné que d’une lieue. C’est une petite place très forte, et d’où la communication avec le pays de Luxembourg est très aisée. Elle fournit encore d’autres avantages: celui que personne n’y pense, et celui de faciliter à M. de B. le moyen d’y rassembler des troupes et des munitions de guerre et de bouche, sous prétexte de précautions contre la terreur panique qu’inspirent les Autrichiens. Il a déjà commencé à s’en occuper. Toutes les troupes de ces environs sont bonnes et bien disposées. Il ne peut répondre, mais il croit être sûr que la présence du Roi en ramènera promptement d’autres. D’après toutes ces considérations, nous nous sommes décidés pour Montmédy ; et, si les circonstances que vous prévoyez nous forçaient de quitter cette frontière, nous pourrions toujours nous retirer avec nos troupes, par l’Alsace, sur celle de Suisse. Quant à notre fuite, elle s’exécutera de nuit. Nous irons de suite, avec nos deux enfants et notre seule voiture, jusqu’au lieu de notre retraite; M., Madame et Élisabeth partiront ensemble du Luxembourg et nous joindront par la route de Valenciennes. Mme de Tourzel, MM. de Brissac ou de Villequier nous accompagneront en voiture. M. de Briges nous servira de courrier. Comme la réussite de ce plan dépend du secret, personne n’en est instruit, pas même ces messieurs. Ils ne le seront qu’au moment du départ. Nous avons une voiture qui n’est point à nous et ignorée de tous nos gens: aucun ne sera dans la confidence.»
Une obligation familiale procure aux Brunyer l’occasion d’une agréable excursion en Touraine et en Vendômois. Edouard Brunyer peut alors évoquer l’un de ses arrière-grands-oncles, Abel Brunyer, auteur d’un ouvrage en latin sur le jardin botanique de Blois.
Le 18 avril 1791

Tableau de Joseph Navlet
La Famille Royale est empêchée de partir faire Ses Pâques à Saint-Cloud. Si Louis XVI hésitait encore à partir, cet épisode finit de le convaincre à suivre les plans de Fersen. Les Tuileries sont investies par des gardes nationaux qui s’infiltrent dans le château pour y espionner la famille royale.
Dans Paris, l’inquiétude et l’insécurité augmentent de jour en jour. Madame Brunyer se fait accompagner par sa fille aînée, Madeleine Boudet. Elle saisit toutes les occasions de prendre le large. Elle retourne fréquemment à Versailles, ce qui est pour elle un privilège, si elle compare son sort à celui de la Reine. Versailles est alors une ville hébétée, à demi déserte, vidée par l’exode de la Cour. Puisque le séjour à Paris se prolonge, elle rapporte à chacun de ses voyages quelques objets négligés lors du déménagement et quelques denrées introuvables dans la capitale. Elle commande du champagne chez les Récollets, dont le couvent est voisin du Grand Commun. A Versailles, elle se sent en sécurité, protégée par son mari, médecin des princes, mais aussi médecin du peuple et des hôpitaux. Il laissera dans la ville une réputation de dévouement et de générosité.

Image des Années Lumière (1989) de Robert Enrico
Dès le printemps, Antoinette doit s’interroger avec son mari sur les intentions du couple royal. Les chuchotements, les conciliabules, les mystérieuses allées et venues d’Axel de Fersen ne peuvent lui échapper.

Michèle Morgan et Richard Todd dans le film de Jean Delannoy ( 1956) :
la Reine et Fersen préparent l’évasion imminente de la famille royale.
En mai 1791
Marie-Antoinette cherche tous les moyens de sortir du château des Tuileries, avec le moins de risque possible. Elle découvre que l’une de Ses femmes de chambre a une petite chambre, où une porte donnant sur l’appartement du duc de Villequier, qui a une issue sur la cour royale. Celui-ci ayant émigré, son appartement se trouve donc inoccupé. La chambre de cette femme de chambre étant près de celle de Madame Royale, Marie-Antoinette, sous le prétexte d’agrandir l’appartement de Sa fille, récupère cette chambre, et reloge la femme de chambre ailleurs.
Pour détourner les soupçons, Elle procède à d’autres changements. Sous le même prétexte, la première femme de chambre de Madame Royale est déplacée et installée dans l’appartement de la princesse de Chimay, dame d’honneur de la Reine, qui vient aussi d’émigrer.
Le 29 mai 1791
Madame Élisabeth sera du voyage, ce qui portera à six personnes le nombre des voyageurs dans la berline. On emmènera en outre deux femmes de chambre qui voyageront dans un cabriolet.
Il faudra donc à chaque relais six limoniers pour la berline, trois chevaux pour le cabriolet et deux bidets de poste pour les courriers. De Paris à Châlons, il y a douze relais de poste : cela représente un total de cent trente-deux chevaux. On aura affaire à trente-six postillons (trois par poste) et à une foule de palefreniers curieux et bavards qui dételleront et attelleront les chevaux.
La date du départ évolue… on la recule… mais finalement on choisit la plus courte nuit de l’année… Il y a cependant une femme au service des bains et des petits appartements, madame de Rochereuil, dont Marie-Antoinette se méfie. Elle est d’autant plus à craindre dans cette nuit importante qu’il faut passer passer devant les fenêtres de sa chambre pour gagner l’appartement de Monsieur de Villequier par lequel chacun trouvera la sortie vers le Carrousel… Madame de Rochereuil a, en effet, une manière de voir qui appartient à la nouvelle école politique… C’est madame Campan qui l’accuse de trahison… ce que confirment les instincts de Fersen !

Le Roi essai son costume de monsieur Durand dans Marie-Antoinette (1975) de Guy-André Lefranc
Pierre-Jean de Bourcet (1752-1822), beau-frère du chevalier de Jarjayes (1745-1822), est un militaire, un magistrat et un diplomate français qui a été premier Valet de chambre du Dauphin Louis-Joseph (1781-1789), premier fils de Louis XVI et Marie-Antoinette. Il joue un rôle important dans l’organisation et la réalisation de ce voyage.
Lundi 20 juin 1791
A neuf heures du soir
Les Provence se présentent aux Tuileries pour le souper qui ne dure qu’une demi-heure. Le Roi « ordonne positivement » à son cadet de gagner Longwy par les les Pays-Bas autrichiens.
A dix heures
La Reine monte réveiller Ses enfants. C’est là qu’Elle met au courant Antoinette Brunyer qui dormait aux côtés de la petite Marie-Thérèse.
Image de Marie-Antoinette (1975) de Guy-André Lefranc
Au rez-de-chaussée, madame de Tourzel tient prête la robe d’indienne à fond « merde d’oie » qui doit faire passer la princesse pour mademoiselle de Korff. La Reine laisse à madame Brunyer le choix de La suivre ou de rester, puisqu’elle a mari et enfants. Les deux femmes ont alors un bref échange, un moment d’abandon. Antoinette n’hésite pas un instant. Elle accepte de partir sans même embrasser le médecin, qui loge pourtant à quelques pas. De son côté, la Première femme de chambre du Dauphin, madame de Neuville, est dans la confidence et prête à partager l’aventure. Ces deux dames obéissent aveuglément. Elles ont pour consigne de se rendre à Claye, sur la route de Champagne, et d’y attendre devant le relais de nouveaux ordres.

Madeleine Rousset est Madame de Tourzel dans Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy
Marie-Antoinette fait pénétrer Madame de Tourzel et ses pupilles dans l’appartement récemment déserté par le duc de Villequier, parvient à la partie vitrée donnant sur le Carrousel, où les attend Monsieur de Fersen, en manteau de cocher, depuis trois quarts d’heure.
A dix heures et demi du soir
Un inconnu, sorti soudain d’un placard, entraîne les deux caméristes, madame de Neuville et madame Brunyer à pied au bout du Pont-Royal, face à la rue du Bac, où les attendent un cabriolet jaune à trois chevaux et son postillon. L’inconnu les aident à monter en voiture et disparaît. Les Premières femmes de chambre quittent les Tuileries pour Claye-Souilly où elles doivent rejoindre la berline royale.

A onze heures moins dix
Axel de Fersen emmène des Tuileries le Dauphin, sa sœur, Marie-Thérèse et leur gouvernante, la marquise de Tourzel. Il fait un tour du Louvre par les quais et revient se positionner rue de l’Échelle à côté du Louvre en attendant le Roi, la Reine et Madame Élisabeth.

Axel de Fersen
Voici ce qu’en dit Fersen :
« L. 20 (Le début manque)… remarque et demanda ce qu’il voulait faire les deux me dirent qu’il n’y avait pas a hésiter et qu’il fallait toujours aller nous convînmes de l’heure etc. etc. que s’ils étaient arrêtés il fallait aller a Brux : et faire agir pour eux etc. etc. en me quittant le Roi me dit mr de F. quoi qu’il puisse m’arriver je n’oublierai tout ce que vous faites pour moi. La Reine pleura beaucoup a 6h : je la quittai elle alla avec les enfants a la promenade pour précautions extraordinaires je rentrai chez moi finir mes affaires à 7 h. chez Sullivan voir si on y avait mené la voit[ure] rentré chzs moi a 8 h. j’écrivis a la Reine pour changer le rendez vous des femmes de chambre et les bien instruire pour me faire dire l’heure exacte par les gardes du C… porté la lettre point de mouvement a 8 3/4 les gardes me joignirent ils me donnèrent la lettre pour Mercy les intruisa rentré faire partir ma chaise leur (les Craufurd) donner mon cocher et mes chevaux pour partir allé prendre la voiture, cru avoir perdu la lettre pour Mercy:a 10 1/4 h : dans la Cour des princes a 11 1/4 les enfants sortis emmenés sans difficulté. La Fayette passé deux fois, a 11 1/4 Me Elisabeth, puis le Roi puis la Reine a 12 h partis joint la voiture Barriere St Martin a 1 1/2 h : a Bondi pris la poste, moi la traverse a 3 h au Bourget et parti.
Le 21. beau tout allait bien retardé dans la traverse entre Maretz et Cateau, le commandant de milice demanda mon nom j’eus peur au Cateau installation d’Ev : passé le Quesnoy par St Vast.»
A onze heures et demi du soir
Louis XVI et Marie-Antoinette font semblant de se coucher selon le cérémonial habituel. La Fayette et Romeuf (1766-1812) sont venus faire la visite de courtoisie habituelle au Roi retardant ainsi la fin de la cérémonie du coucher.

Image de Marie-Antoinette de Jean Delannoy
A onze heures quarante
Le Roi quitte sa chambre d’apparat pour son logis ordinaire, se met au lit, puis , pendant que son valet Lemoine se dévêt en silence dans un cabinet voisin, il passe chez le Dauphin, s’habille d’un gilet brun, d’une redingote vert bouteille et se coiffe d’un chapeau rond.

Louis XVI sous le déguisement emprunté pour le voyage (Gravure de Maurin)
De Son côté, la Reine s’habille des vêtements qu’Elle a cachés dans un coffre fermé à clef.
Mardi 21 juin 1791
Minuit
Louis XVI, déguisé en valet de chambre, il tiendra le rôle de Durand, intendant, luttant contre sa propension à se dandiner_encore qu’on ait persuadé le comte de Coigny, qui a une physionomie comparable à celle du Roi, d’adopter la même démarche pour habituer les sentinelles…_sort des Tuileries et prend même le temps de reboucler son soulier.
A minuit dix
Louis XVI monte dans une « citadine » (voiture de ville) stationnée près des Tuileries, rue de l’Échelle, qui sera conduite par le marquis de Briges ( 1715-1795). Il y retrouve sa sœur et ses enfants.
A minuit trente-cinq
Marie-Antoinette qui s’était perdue dans les méandres des rues entourant le Louvre, retrouve enfin Sa famille !

Image de L’Evasion de Louis XVI d’Arnaud Sélignac
A Minuit cinquante
Depuis la rue de l’Échelle, la famille royale rejoint la rue de Clichy et atteint la berline avec une heure et demie de retard sur l’horaire prévu par Choiseul et Goguelat (1746-1831), général de cavalerie. On imagine l’angoisse de mesdames Brunyer et Neuville !

Image de L’Evasion de Louis XVI d’Arnaud Sélignac
A une heure quarante
La Famille Royale passe, sans mettre pied à terre de la citadine à la berline.
Deux heures du matin
Départ de Paris.
A deux heures vingt du matin
Premier relais à Bondy: Axel de Fersen qui avait accompagné la Famille Royale La quitte en criant » Adieu, Madame de Korff!».
Image de l’Evasion de Louis XVI de Vincent Sélignac
A deux heures et demie du matin
Parvenues à Claye, mesdames de Neuville et Brunyer ont une contestation avec le postillon qui estime le pourboire trop faible pour une course de nuit. Ces dames se trouvent là sans argent et attendent près d’une heure et demie la berline royale, que plusieurs contre-temps ont déjà retardée. Elles se croient alors perdues et sans ressources.
A quatre heures du matin
Le cabriolet avec les deux femmes de chambre rejoint la berline royale à Claye-Souilly. L’un des trois anciens gardes du corps les fait monter dans une chaise de poste. Elles poursuivent le voyage, tantôt suivant leurs maîtres, tantôt les précédant.

Une chaise de poste
Elles ignorent la mise-en-scène et les déguisements qui, dans la berline, font de la famille royale une famille d’émigrés : madame de Tourzel est la baronne de Korff , la Reine est sa femme de chambre, Sophie Rochet, Louis XVI est l’intendant, Durand. Sa sœur, Madame Elisabeth est la dame de compagnie, Rosalie. Le Dauphin, habillé en fille, est Amélie et Madame Royale, Aglaé.
A six heures du matin
Les deux voitures pénètrent dans Meaux.
Image de Marie-Antoinette de Jean Delannoy
A onze heures
A Montmirail, le Roi se décontracte, et demande à Moustier, l’un des trois gardes-du-corps de ne plus le cacher aux regards des curieux car il ne croit plus cette précaution nécessaire, le voyage lui semblant à l’abri de tout incident… Les voitures royales ont pourtant trois heures de retard sur l’horaire prévu.
Images de L’Evasion de Louis XVI (2007) d’Arnaud Sélignac 
« Les princesses enlèvent leurs voilettes ; on mange, sans assiettes ni fourchettes, sur le pain, comme font les chasseurs ou les voyageurs économes.»
Relation de Moustier
La Reine appelle monsieur de Malden et lui offre à boire et à manger. Le Roi se dit alors que «monsieur de La Fayette est, en ce moment, bien embarrassé de sa personne.»
A deux heures de l’après-midi
Relais de Chaintrix. Le maître de poste, J-B de Lagny, et son gendre, Gabriel Vallet s’avancent et, stupéfaits, reconnaissent le Roi. La famille royale veut-elle descendre se rafraîchir? Ils insistent. On est en pleine chaleur – deux heures viennent de sonner – les enfants sont exténués.

Un bon quart d’heure plus tard – il est maintenant deux heures vingt – les voitures sont attelées et l’on reprend place dans la berline.
A la sortie de Chaintrix. La berline doit passer un pont bordé de douze bornes qui enjambe un ruisseau : la Somme-Tourbe. Mais une des roues de la berline bute contre l’une des bornes. les chevaux s’abattent et les traits se rompent.
A trois heures après midi
La berline repart après quarante minutes de réparations.
A huit heures moins dix
Au relais de Sainte-Menehould, on devait trouver quarante dragons du Régiment royal, commandés par M. d’Andoin, capitaine. En vain. Le cabriolet, suivi de la berline royale, s’arrête devant le relais de Sainte-Menehould. Le maître de poste, Jean-Baptiste Drouet, qui a séjourné à Versailles, reconnaît le Roi mais ne réagit pas.
Dans son témoignage devant l’Assemblée constituante, le 24 juin 1791, il affirme :
« Je crus reconnaître la reine ; et apercevant un homme dans le fond de la voiture à gauche, je fus frappé de la ressemblance de sa physionomie avec l’effigie d’un assignat de 50 livres. »

Il ne se lance à la poursuite de la berline royale que lorsque la municipalité le mandate après délibération.

A huit heures et demie
Les véhicules atteignent la forêt, gravissent au pas la côte et redescendent jusqu’à Clermont.
Dix heures cinquante du soir
Arrivée de la berline royale à Varennes où devaient les attendre soixante hussards du Régiment de Lauzun, commandés par M. de Rodewels, sous-lieutenant, de Bouillé fils et de Raigecourt.

Entrée de Varennes dans La Nuit de Varennes (1982) d’Etorre Scola
L’entrée dans Varennes
« Louis XVI trouve à onze heures du soir, le 21, la commune de Varennes en émoi. En ne rencontrant pas sur la hauteur de Varennes le relais attendu, il a compris le danger et envoyé chercher le commandant des hussards. Celui-ci ne vient pas. Il faut composer pour se faire ouvrir la porte de la ville, exhiber des passeports ; bien que ces papiers soient reconnus en règle, les jacobins de la commune ameutés par Drouet s’opposent au départ, le tocsin sonne. On connaît la ruse de Sauce, procureur de la commune, faisant entrer la famille royale dans sa maison, tandis que le conseil municipal délibère ; les passeports sont saisis, le Roi, reconnu officiellement, est arrêté. En ce moment accourent MM. de Choiseul, de Damas et de Goguelat à la tête d’un détachement de hussards. Ils tentent de dégager le Roi. Il est trop tard. La première parole de Louis XVI à Goguelat est :
« Eh bien! quand partons-nous?
— Sire, nous attendons vos ordres. »

Les deux voitures de la famille royale sont immobilisées à quelques encablures de la barricade, devant la voûte de l’église Saint-Gengoult qui enjambe la rue.
A dix heures cinquante-cinq du soir
Jean-Baptiste Drouet et Jean-Chrisosthome Guillaume arrivent à Varennes, passent devant la berline arrêtée et avertissent le procureur de la commune, Jean-Baptiste Sauce, épicier chandelier, qui oblige les voyageurs à descendre et les fait entrer dans sa maison qui est à quelques pas. Selon Drouet, le passeport de la baronne de Korff est transmis par madame Brunet (sic) à Sauce, procureur-syndic de Varennes qui le reconnaît valable ; mais le désarroi manifeste des deux femmes de chambre suffit à confirmer les soupçons divulgués par Drouet.

Monsieur et madame Sauce se démènent pour recevoir les voyageurs qui seraient la famille royale
dans leur modeste boutique. Image de La Nuit de Varennes (1982) d’Ettore Scola

Image des Années Lumières de Robert Enrico (1989)
Choiseul et Goguelat arrivent avec le détachement de Boudet, soit quarante hussards. Le tocsin commence tout juste à sonner et appeler la population de Varennes au branle-bas de combat … Les municipaux évaluent la foule à dix mille personnes.

Varennes, la berline royale, le peuple éveillé, dans le film d’Ettore Scola (1982)
Mercredi 22 juin 1791
A minuit et demi
Le juge Destez qui a vécu assez longtemps à Versailles (il est gendre d’un officier de bouche de la Reine), et que Jean-Baptiste Sauce est allé chercher, reconnaît formellement le Roi.
Il s’incline : « Bonjour, sire».
Louis XVI marque un temps , puis embrassant l’épicier Sauce : « Oui, mes amis, je suis votre roi : placé dans la capitale au milieu des poignards et des baïonnettes, je viens chercher en province et au milieu de mes fidèles sujets la liberté dont vous jouissez tous. Je ne puis plus rester à Paris sans y mourir, ma famille et moi.»
Les hussards de Lauzun, cantonnés au Couvent des Cordeliers, n’ayant pas été rassemblés par leurs officiers (dont le lieutenant Bouillé, fils du marquis de Bouillé), pactisent avec la foule. Le chirurgien Mangin monte à cheval pour porter la nouvelle à Paris.

Louis XVI et sa famille à Varennes par François-Marie-Isidore Queverdo
Vers une heure du matin
« Un cri retentit : « Les hussards ! ». Ce sont les hussards de Choiseul qui auraient dû escorter la berline au-delà de Pont-de-Somme-Vesle. Après avoir vainement attendu le passage de la voiture, Choiseul avait donné l’ordre à ses hommes de se replier. Il était, en effet, persuadé que l’évasion du roi était manquée. Pour éviter les troubles que risquaient de causer ces mouvements de troupes, il avait pris un autre itinéraire pour regagner Montmédy. Ameuté par les lumières et le tocsin de Varennes, il venait de deviner le drame qui s’y déroulait et avait foncé sans plus tarder sur la bourgade.
Demander des ordres à Louis XVI, c’était lui laisser le temps de l’indécision. Il eut peur du sang versé si la foule offrait quelque résistance au passage de la troupe royale… La populace commençait à gronder, on laissa le temps aux barricades de s’élever, plusieurs heures furent ainsi irrémédiablement perdues. Quand, à cinq heures du matin, le détachement de Dun commandé par M. Deslon demanda les ordres du Roi :
« Mes ordres? répond Louis XVI avec amertume, je suis prisonnier et n’en ai point à donner. »
Le capitaine Goguelat qui a ses hussards avec lui pense pouvoir sauver le Roi et sa famille en intimidant simplement les habitants de Varennes et surtout les gardes françaises qui occupent la ville. Il sort de chez Sauce pour annoncer le départ du Roi mais ne reçoit pas l’accueil qu’il espérait provoquer.
« M. de Goguelat ordonna aux hussards de mettre le sabre à la main, et leur demanda s’ils étaient pour le roi ou pour la nation : ils répondirent « Vive la nation ! nous serons et nous tiendrons toujours pour elle. » Cette réponse, qui ne laissait plis à M. de Goguelat l’espoir d’employer la force, le détermina à feindre d’entrer dans les mêmes sentiments, et dans les dispositions qu’on ferait contre les secours qui étaient annoncés, afin de donner au roi le temps de les recevoir. Les patriotes ne furent pas les dupes de cette feinte ; ils voulurent l’arrêter, il échappa de leurs mains, fut blessé d’un coup de pistolet, rentra dans la maison de Sausse, et après le départ du roi il gagna, déguisé, Mézières où il fut arrêté, et d’où il fut ensuite conduit à Orléans.»
Joseph Weber
Cela provoque du mouvement dans Varennes, Drouet et Guillaume célébreront l’exploit d’un pistolet posé sur la poitrine de Monsieur de Goguelat qui est blessé assez grièvement. Le baron est alors arrêté.
Vers quatre heures du matin
Le Roi et la Reine paraissent à la fenêtre de la maison Sauce. Il y a dans le peuple une acclamation générale, mais en sens divers: certaines gens crient «à Verdun!» d’autres «à Paris!».

A cinq heures et demie du matin
Le chef d’escadron Deslon, responsable du poste de Dun-sur-Meuse, ayant vu passer le chevalier de Bouillé vers trois heures du matin, puis le sous-lieutenant Röhrig, comprend ce qu’il se passe à Varennes, fait monter son escadron de hussards, et arrive à Varennes vers cinq heures et demie. S’il ne peut entrer dans le village mis en alerte avec sa troupe. Le baron de Goguelat a alors l’idée de faire évader les voyageurs à cheval : le Dauphin dans les bras de son père et les femmes en selle… Encore eut-il fallu qu’elles puissent monter en amazone car elles n’avaient pas la tenue adéquate pour monter en homme… Louis XVI répugne à exposer sa famille et refuse cette idée de fuir, il refuse donc et souhaite attendre l’arrivée des troupes du marquis de Bouillé.

Arrestation de Louis XVI chez l’épicier Sauce
À la Reine qui croyait abusivement pouvoir compter sur son soutien, la réplique de madame Sauce, épouse de l’aubergiste, montre clairement le changement des mentalités qui s’opérait chez les Français : « Madame, vous vous souciez des intérêts de votre mari, souffrez que je me soucie des intérêts du mien ».

Estelle Skornik est Marie-Antoinette dans L’Evasion de Louis XVI d’Arnaud Sélignac
La Reine essaie d’émouvoir m:adame Sauce, née Marie-Jeanne Fournel, elle-même mère de cinq enfants, en parlant de Sa famille. Mais l’épicière est obligée de penser aux siens et à ce qui leur adviendra si elle empêche le cours de l’Histoire de se dérouler.

Goguelat face à Louis XVI chez Sauce dans Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy
Pour tenter de ralentir, voire empêcher, le départ, Madame de Neuville, la première femme du Dauphin, feint de souffrir d’une colique violente se jette sur un lit en pleurant et en demandant du secours. Le Roi et la Reine refusaient d’abandonner à ses souffrances une femme qui s’était dévouée à les suivre.
Le subterfuge ne fait pas effet longtemps…
A six heures du matin
La Reine en apercevant le capitaine d’Eslon pénétrer dans l’épicerie, reprend un moment espoir car avec l’officier, ce sont une soixantaine de hussards qui viennent d’entrer dans la ville. En effet ce dernier vient se présenter au Roi et attend ses ordres ; Marie-Antoinette lui demande d’aller expliquer sans tarder la situation à Bouillé qui ne tardera pas à venir elle en est certaine. Pour montrer un signe d’apaisement ce dernier va se poster à la Porte de Varennes et attendra.
A six heures et demie
Plus d’un millier de personnes a envahi le bourg, ce ne sont plus des cris mais des hurlements, la peur de l’arrivée des hommes de Bouillé décuple leurs forces. On commence à entendre « Nous les traînerons par les pieds dans la voiture – A Paris, A Paris ».
A sept heures du matin
Arrivée chez Sauce des gardes françaises venus de Paris, , Bayon et Romeuf, porteurs d’un décret d’arrestation concernant le Roi.

Arrivée de Bayon et Romeuf chez Sauce dans La Nuit de Varennes (1982) d’Ettore Scola
En voyant Romeuf, Marie-Antoinette reconnaît Son ancien écuyer : « Vous, Romeuf ? Je ne l’aurais pas cru ! »
« Epris de bonne foi des chimères constitutionnelles de son général, enthousiaste de lui et comme lui, le jeune Romeuf avait cependant conservé la candeur de son âge et la pureté d’un heureux naturel. Il répondit à la reine qu’il n’avait jamais cru l’atteindre, et que ç’avait été le premier mot que lui avait adressé M. de La Fayette en lui donnant l’ordre d’aller à la découverte ; mais que, dans tous les cas, ils avaient pensé, l’un et l’autre, qu’il serait moins douloureux pour la reine de voir auprès d’elle un homme sur le respect de qui elle devait compter. Il chercha ensuite à justifier son général, observant que, loin d’avoir été l’auteur de la catastrophe actuelle, M. de La Fayette avait été au moment de s’en trouver la victime ; que la fureur populaire l’avait rendu responsable de l’évasion du roi ; et que sur la place de Grève on avait descendu la lanterne fatale pour l’y attacher.»
Joseph Weber
Le Roi soupire : «Il n’y a plus de roi en France».

Image de Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy
Abasourdie, Marie-Antoinette lit à Son tour le décret. Le Roi le reprend, le relit et le dépose sur le lit. Aussitôt Marie-Antoinette s’en saisit et le jette. «Je ne veux pas qu’il souille mes enfants !»
A huit heures moins le quart
Les patriotes de Varennes, avec les envoyés de l’Assemblée législative, Bayon et Romeuf, officiers de la garde nationale de Paris, arrivés vers sept heures, décident de renvoyer la famille royale à Paris. Alertée par le tocsin qui sonne partout une foule énorme vient border la route suivie par le cortège des « prisonniers », encadré par la garde nationale varennoise et les dragons ralliés aux patriotes.
Louis XVI s’incline enfin, il accepte de partir mais pour Fontainebleau, puis avec l’espoir de gagner encore un peu de temps demande qu’on lui serve un repas. Les plats arrivent, la famille mange en silence et Louis XVI à la fin du repas feint de s’endormir ! Louis-Charles et sa sœur que la Reine a réveillés pour le repas se rendorment eux aussi.
La voiture vient se placer devant la porte de la maison Sauce et enfin la famille royale s’y engouffre. Choiseul en fermant la porte dira « Je crus voir Charles Ier livré par les Ecossais ! ».
A huit heures
La berline royale reprend la route de Paris. Marie-Antoinette et les siens reprennent la route qui les mènera à Paris, ils ont mis moins de vingt quatre heures pour se rendre à Varennes, il vont mettre quatre jours pour rentrer dans Paris, quatre jours durant lesquels ce ne seront qu’injures, insultes, menaces pour toute la famille, même la présence des représentants de la Nation venus à leur rencontre n’arrêteront pas cette folie qui a envahi les hommes. Encore aujourd’hui on se demande comment ils sont arrivés en vie à Paris.
À Paris, l’Assemblée constituante prévenue par Mangin de l’arrestation de la famille royale nomme trois commissaires, Antoine Barnave, Jérôme Pétion et Charles César de Fay de La Tour-Maubourg, pour ramener la famille royale à Paris. Pétion et Barnave montent dans la voiture de la famille royale. Aux abords de Paris, selon Michelet, Pétion (très populaire alors) se place entre le Roi et la Reine afin de décourager un éventuel tir de mousquet dans leur direction.
Sur le chemin du retour, madame Brunyer est témoin de scènes violentes et risque d’en être victime.

Image d’Un peuple et son Roi (2018) de Pierre Schoeller
Le comte de Dampierre, baron de Hans, chevalier de Saint-Louis, lieutenant-colonel d’infanterie (né en 1745), quand il s’entretient avec elle à la portière de son cabriolet, est assassiné sous ses yeux près de la voiture du Roi à Chaudefontaine, alors qu’il ne s’approchait que pour offrir ses hommages à son digne maître. Antoinette Brunyer, elle-même, prise un instant pour la Reine, échappe de justesse au même sort.

Jeudi 23 juin 1791
A dix heures
La Famille Royale assiste à la messe qui sera interrompue par une délégation du directoire.

Le passage de la berline royale devant l’Hôtel de ville de Châlons, tableau de Joseph Navlet
A quatre heures après midi
Le cortège arrive à Épernay où dîne la Famille Royale.
Vu le manque de place dans la berline La tour Maubourg (1756-1831) va s’installer avec mesdames de Neuville et Brunier quant à Pétion et Barnave ils s’installent dans la berline, pour gagner de la place Marie-Antoinette prend Charles sur Ses genoux afin que Barnave puisse s’asseoir à côté d’Elle quant à Pétion il s’installe à côté de Madame Elisabeth.
A cinq heure et demi après midi
Ils s’arrêtent à Dormans où ils vont dormir.
Vendredi 24 juin 1791
A six heures du matin
Le cortège part pour Paris et s’arrête à La Ferté-sous-Jouarre pour déjeuner puis à Meaux pour la nuit.
A onze heures du matin
Ils arrivent à Château-Thierry, en signe de bienvenue on entend « Toinette montre ta figure ».
Les habitants de cette ville prennent du plaisir à demander à Louis-Charles qui n’a que six ans, de crier «Vive la Nation » et l’enfant tout souriant, passe la tête par la portière et crie de bonne grâce !
Samedi 25 juin 1791
A sept heures
La famille royale quitte Meaux.
Durant ce voyage du retour, Antoine Barnave est étonné de la simplicité de la Famille Royale. Malgré Ses angoisses et Sa fatigue, le charme de la Reine opère et dès leur retour, Barnave entreprendra une correspondance secrète avec la Reine.
C’est dans la forêt de Bondy qu’a lieu le premier choc entre Paris et la famille royale, une foule de forcenés (l’expression est de Mathieu Dumas) sort du bois et se jette sur les gardes nationaux, vainement on essaie de les repousser mais il en vient de partout, cela eut pour effet de provoquer un immense nuage de poussière tel qu’on ne peut au delà de cent pas. Par contre les cris eux s’entendent, ils ont pour cible les gardes du corps et bien sûr la Reine : « la bougresse, la gueuse, la putain », et comme Marie Antoinette, pour apaiser cette horde sauvage soulève le Dauphin qui s’est mis à pleurer dans Ses bras, une voix vient La flageller : « Elle a beau nous montrer son enfant, on sait bien qu’il n’est pas du gros Louis.»
A deux heures après midi
Les premiers Parisiens rencontrent la Famille Royale à Villeparisis.

La Famille Royale termine ce retour de Varennes par un trajet long et difficile, ralenti ou interrompu par des manifestants qui lancent aux fugitifs injures et quolibets.
A Paris, on a affiché dans les rues : «Quiconque applaudira Louis XVI sera bâtonné ; quiconque l’insultera sera pendu».
C’est donc dans un lourd silence que le Roi retrouve la capitale dans la soirée du 25 juin. Le cortège passe au milieu d’une haie de gardes nationaux portant leurs crosses de fusils à l’envers, comme pour un enterrement.

La berline royale et la voiture de suite où voyagent les Premières femmes de chambre
sont entourées d’un peuple menaçant qui brandit des faux et des baïonnettes.
A dix heures du soir
Lorsque la voiture royale arrive aux Tuileries, la fureur de la foule éclate. Il s’en faut de peu que Marie-Antoinette ne soit écharpée. Le duc d’Aiguillon et Louis-Marie de Noailles La sauvent de justesse.
En arrivant dans Ses appartements des Tuileries, Marie-Antoinette se décoiffe de Son chapeau et Elle découvre l’outrage des angoisses intenses vécues pendant le retour de Varennes : Ses cheveux «sont devenus blancs comme ceux d’une femme de soixante-dix ans.»
Image de Marie-Antoinette (1975) de Guy-André Lefranc
Le 26 Juin 1791
Arrêtée , Antoinette Brunyer est écrouée à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Pendant dix jours, elle est tenue au secret.

L’abbaye de Saint-Germain-des-Près
Pour protéger tous ceux qui ont aidé la famille royale, Marie-Antoinette écrit à l’Assemblée Nationale cette déclaration qui les disculpent de toute décision puisqu’ils n’ont fait que servir le Roi et sa famille :
Déclaration de la Reine
« Je déclare que le roi, désirant partir avec ses enfants, rien dans la nature n’aurait pu m’empêcher de le suivre. J’ai assez prouvé, depuis deux ans, dans plusieurs circonstances, que je voulais ne le quitter jamais. Ce qui m’a encore plus déterminée, c’est l’assurance que j’avais que le roi ne voulait pas quitter le royaume : s’il en avait eu le désir, toute ma force eût été employée pour l’en empêcher.
La gouvernante de mon fils était malade depuis trois semaines, et n’a reçu les ordres que peu de temps avant le voyage ; elle en ignorait absolument la destination. Elle ,’a emporté avec elle aucune espèce de hardes, et j’ai été obligée moi-même de lui en prêter.
Les trois courriers n’ont pas su la destination ni le but de leur voyage. Sur le chemin on leur donnait de l’argent pour payer leurs chevaux ; ils recevaient l’ordre pour la route. Les deux femmes de chambre ont été averties dans l’instant même du départ, et l’une d’elles, qui a son mari dans le château, n’a pu le voir avant le départ.
Monsieur et Madame devaient venir nous joindre en France ; ils ne sont passés dans le pays étranger que pour ne pas nous embarrasser et ne pas faire manquer les chevaux sur la route.
Nous sommes sortis par l’appartement de M. de Villequier, en prenant la précaution de ne sortir que séparément et à plusieurs reprises.»
Signé, Marie-Antoinette.
Le 5 juillet 1791
Antoinette Brunyer est soumise à un interrogatoire éprouvant qui dure plus de quatre heures et dont le procès-verbal lui est refusé. Ce document nous est parvenus le voici :
Il nous permet d’admirer le sang-froid de madame Brunyer, son adresse et sa discrétion. Les questions qu’on lui pose lui paraissent «insidieuses et hors de vraisemblance.» Le juge fait référence à une idéologie, dont elle ignore les concepts: la Nation, la liberté, la chose publique sont pour elles inconnues.
Le 16 juillet 1791
Antoinette est libérée à dix heures du soir. La Brunyer ainsi qu’on la nomme alors est insultée par la foule.

L’abbaye de Saint-Germain-des-Près
Le 17 juillet 1791
Antoinette donne un déjeuner, à l’hôtel de La Vallière, qui réunit quatorze personnes et amis, dont les Neuville, tandis que Paris est ensanglantée par la fusillade du Champs-de-Mars

Fusillade du Champ-de-Mars de Juillet 1791 : La Fayette fait tirer sur les manifestants.
Jusqu’au 20 juillet 1791
Madame Brunyer se repose trois jours dans une proche campagne et revient chez elle.
Le 1er août 1791
Antoinette reprend son service aux Tuileries, où la gratitude lui et témoignée.
Dans son journal, elle écrit simplement « j’ai été du voyage » mais ne dit rien de ces journées dramatiques où s’est joué le sort de la monarchie. En revanche elle s’étend longuement sur son incarcération, son interrogatoire et sa libération. Dans ce monologue avec elle-même, elle s’avoue à quel point elle a été touchée à son retour par l’attitude de la Reine et de Son entourage : « J’ai éprouvé, écrit-elle pudiquement, ce qu’il est plus aisé de sentir que d’exprimer».
Elle a été fidèle au serment qu’elle a prêté douze plus tôt. La Reine lui en rendra témoignage au cours de Son procès, et à son tour Madame Royale, lors de son arrivée à Vienne en 1796.
A l’automne 1791
Madame Brunyer s’accorde trois jours de retraite spirituelle, en compagnie de madame de Ruffec, à la Visitation de Saint-Denis. Au retour, elle fait encadrer deux portraits gravés de Madame Royale, dont elle offre l’un à son amie.
En novembre 1791
Son mari, Edouard Brunyer, lui fait présent d’une berline pour lui éviter d’être reconnue et la soustraire aux insultes populaires dont le souvenir la poursuit.
En février 1792
A parcourir les feuillets qui suivent, on a peine à imaginer les conditions dans lesquelles se déroule sa vie parisienne. Elle assiste, sans la comprendre, à une actualité pour elle inconcevable. Tout est inattendu, en suspens, rempli d’incertitudes. Pour le moment, Antoinette Brunyer liquide toutes les dettes qu’elle peut avoir envers ses domestiques ; elle fait renforcer les ports et les fenêtres de l’hôtel de La Vallière, se procure des cadenas, des clefs, des barres de fer, des serrures de sûreté ; mais elle achète des fleurs à un passant.
Au printemps de 1792
Christine de Fréminville s’en va prendre les eaux à Aix-les-Bains, dans les Etats du Roi de Sardaigne, ce qui est plus une manière de se mettre à l’abri, puisque dans quelques mois, une armée française annexera la Savoie sans coup férir. En l’absence de Christine, Madeleine Boudet, sa demi-sœur, est agréée par la Reine pour la remplacer.
Le 20 juin 1792
Le peuple des faubourgs, encadré par des gardes nationaux et ses représentants, comme le brasseur Santerre (10 à 20 000 manifestants selon Roederer), pénètre dans l’assemblée, où Huguenin lit une pétition. Puis elle envahit le palais des Tuileries.
La foule envahit les Tuileries pour faire lever le veto.

Le peuple de Paris pénétrant dans le palais des Tuileries le 20 juin 1792 par Jan Bulthuis, vers 1800

Escalier monumental des Tuileries (avant sa destruction)

Le dévouement de Madame Élisabeth, prise par la foule pour la Reine,
elle ne les détrompe pas pour donner à sa belle-sœur la possibilité de se réfugier et de sauver Sa vie.
La Reine n’a pu parvenir jusqu’au Roi ; elle est dans la salle du conseil et on avait eu de même l’idée de la placer derrière la grande table, pour la garantir autant que possible de l’approche de ces barbares … les révolutionnaires passent devant Elle afin de L’observer :


On voit bien que l’auteur de cette peinture s’est inspiré d’un buste de Marie-Antoinette (celui de Lecomte) pour La représenter
Vers dix heures du soir
Pétion et les officiers municipaux font évacuer le château.
Pas un mot dans les pages d’Antoinette sur l’envahissement du château. Le journal de madame Brunyer s’arrête à la date du 1er juillet 1792.
Le 10 août 1792
Sac des Tuileries.

On craint pour la vie de la Reine. Le Roi décide alors de gagner l’Assemblée nationale. Il est accompagné par sa famille, Madame Élisabeth, la princesse de Lamballe, la marquise de Tourzel, ainsi que des ministres, dont Étienne de Joly, et quelques nobles restés fidèles.

Image des Années Lumière (1989) de Robert Enrico

La famille royale juste avant le départ des Tuileries : à l’arrière-plan on devine le combat des soldats contre les émeutiers…
Roederer, le «procureur syndic du département» convainc le Roi de se réfugier à l’assemblée Nationale avec sa famille. Ceux qui ne font pas partie de la famille royale ne sont pas autorisés à les accompagner.

Images du film Un peuple et son Roi 
Traversant le jardin des Tuileries, et marchant sur des feuilles tombées des arbres, Louis XVI aurait dit : « L’hiver arrive vite, cette année ».

Lise Delamare est Marie-Antoinette dans La Marseillaise (1938) de Jean Renoir

Louis XVI et sa famille sont conduits jusque dans la loge du greffier de l’Assemblée nationale (ou loge du logographe) , où la famille royale reste toute la journée. Louis XVI. en proie à la plus vive anxiété, se réfugie avec sa famille au sein de l’assemblée, où il entre en disant :
« Je suis venu ici pour éviter un grand crime qui allait se commettre. »

Image des Années Lumières (1989) de Robert Enrico

Madame Brunyer est alors aux Tuileries, réfugiée dans la chambre du Roi.

Images du film Un peuple et son Roi

Le Roi est suspendu de ses fonctions.
Le soir du 10 août 1792
La famille royale est logée temporairement aux Feuillants dans des conditions difficiles: quatre pièces du couvent seulement leur sont dédiées… pendant trois jours.
Le 13 août 1792
La Commune décide de transférer la famille royale au Temple…

Antoinette Brunyer est dispensée de servir à la prison du Temple, où madame Bazire prend sa suite.

Repas de la famille royale au Temple (film Marie-Antoinette de Jean Delannoy, 1956)

La Tour du Temple
Le 21 janvier 1793
Exécution de Louis XVI qui a pu prendre congé de sa famille la veille et être accompagné à l’échafaud par un prêtre insermenté, l’abbé Edgeworth de Firmont (1745-1807).

Le 24 janvier 1793
Madame Royale est soignée par le Docteur Brunyer:
Gouache de Jean-Baptiste Mallet: au centre, assise sur une chaise, se tient Marie-Antoinette, à Sa gauche, Madame Royale, vêtue de blanc sur un fauteuil, et le jeune Louis XVII qui se tient debout. Entre eux Madame Elisabeth. A droite de la composition, deux » municipaux » surveillent la scène.

Marie-Thérèse souffre d’une grave infection . Pour remercier le docteur Brunyer, la Reine lui offre pour sa femme un voile aujourd’hui conservé dans la descendance de Christine de Fréminville.

Le 20 avril 1793
Toulan est arrêté en même temps que plusieurs élus de la Commune, suite à une dénonciation de la femme Tison, qui désigne les authentiques conspirateurs, Toulan et Lepître, mais aussi Quelques messagers occasionnels comme Moelle, Bruneau et Vincent, et même le médecin Brunyer qui a soigné Marie-Thérèse.
Hébert et plusieurs collègues perquisitionnent le Temple jusqu’à quatre heures du matin.
Le 14 octobre 1793
Lors du procès de la Reine, le docteur Brunyer montre une dernière fois sa fidélité et soin courage.
Le 16 octobre 1793
Exécution de Marie-Antoinette, place de la Révolution .

Dès lors
Les époux Brunyer sont obligés de se cacher pendant les temps opaques de la Terreur. Désormais, le destin de madame Brunyer cesse d’appartenir à l’Histoire.
Le 8 juin 1795
Mort de Louis XVII à l’âge de dix ans. Il était atteint de tuberculose osseuse.

En 1795
En 1795, Christine de Fréminville, qui apprend que l’on cherche une « dame de compagnie » pour l’Orpheline du Temple, écrit en vain au Comité de Sureté Générale :
« Aux représentants composant le Comité de Sûreté générale Citoyens représentants,
Attachée depuis sa naissance à la fille de Louis Capet, uniquement occupée d’abord des soins de son enfance, puis de son éducation, j’ai vécu dans la retraite au milieu du monde, quoique très jeune alors, partageant tout mon temps entre elles et mes trois filles. Je vous demande avec confiance la permission de voir cette jeune personne persuadée qu’on peut attendre d’un gouvernement juste tous les adoucissements au malheur, et sûre que ce sera une grande consolation pour elle que de revoir une personne qui, tendrement attachée à elle, le sent encore plus depuis ses malheurs. Si ma demande ne vous paraissait pas susceptible d’être accordée en ce moment, j’aurais toujours eu la satisfaction de profiter de la liberté de manifester des sentiments d’une généreuse sensibilité. Je vous prie d’observer que toutes les personnes qui ont donné leurs soins à l’enfance et à la jeunesse de la fille de Louis Capet, aucune ne s’est trouvée comme moi par sa place et les circonstances dans le cas de ne la pas quitter pendant treize ans et par conséquent d’en être autant aimée.
Fréminville. Rue de la Michaudière n°8. »
Christine de Fréminville, selon ses propres dires, reste la dernière personne qui a pris soin de Marie-Thérèse Charlotte depuis sa naissance. Elle omet de mentionner sa mère… Elle n’obtient pas du Comité de Sûreté générale la permission de rendre visite à «l’orpheline du Temple» avant son départ pour l’Autriche; mais plus tard, sa petite fille Marie Dufour de Montlouis, madame de Sainte-Preuve, sera lectrice de Madame Royale, devenue duchesse d’Angoulême, puis Dauphine à l’avènement de Charles X. En 1830, Marie la suivra en exil et l’assistera dans ses derniers moments, à Froshdorf, le 19 octobre 1851.
Ainsi, pendant quatre générations des femmes de la même famille auront servi la fille de Louis XVI.
Le 18 décembre 1795

Madame Royale quitte la prison du Temple pour être remise à sa famille autrichienne… en échange des commissaires français livrés aux Autrichiens par Dumouriez, dont fait partie Jean-Baptiste Drouet (1763-1824), le sinistre responsable de l’arrestation de la famille royale à Varennes, qu’Antoinette Brunyer avait croisé en cette sinistre nuit de Varennes …
Le 20 mai 1800
Constance épouse… son oncle maternel, Louis Dufour de Montlouis, qui a dix-huit ans de plus qu’elle.
Sa fille aînée, Louise-Marie Dufour de Montlouis, née en 1808, sera prise sous la protection de la duchesse d’Angoulême qui lui fera épouser le baron de Sainte-Preuve.
Le 16 avril 1801
Son fils, Louis-François Dufour de Montlouis, épouse Antoinette Christophe Constance de Lapoix Fréminville (1783-1919), la fille de sa demi-sœur.

Louis-François Dufour de Montlouis
En 1801
Décès d’Antoinette Brunyer à l’âge de soixante-sept ans.
Le docteur Brunyer envisage de rejoindre Marie-Thérèse d’Angoulême à Vienne, mais il se retire à Versailles, 10 rue Saint-Louis, où il vit entouré de considération jusqu’à l’âge de quatre-vingt-un ans.
Le 3 mai 1811
Décès du docteur Brunyer. Il est veuf depuis si longtemps que ses voisins ont oublié le nom de sa femme.
«Le livre de raison inédit d’Antoinette Chappuis, épouse du docteur Brunyer, est un document inattendu sur la vie domestique et les relations familiales, en marge de la Cour de France, pendant les dix premières années de l’Ancien régime. De Versailles à Paris, Mme Brunyer a été pour la famille royale une suivante discrète et fidèle. Elle a partagé avec Marie-Antoinette et ses enfants des instants tragiques auxquels elle-même n’a pas survécu ; mais son manuscrit oublié délivre un témoignage intime sur les derniers moments de la monarchie. Au XIXe siècle, les descendants du docteur ont évoqué madame Brunyer comme «une personne de grand mérite ».
Sources :
- Dans l’ombre de Marie-Antoinette. Le journal de Madame Brunyer (1783-1792) de Danielle Gallet
Honoré Champion , 2003 - Le Drame De Varennes d’André Castelot
- Varennes, la mort de la Royauté (2009) de Mona Ozouf ; Gallimard
- L’Evasion de Louis XVI (2009) d’Arnaud Sélignac
- La Nuit de Varennes (1982) d’Etorre Scola