« Je vous écris encore ces lignes pour vous annoncer la situation de nos troupes, qui est une chose qui peut vous intéresser, et comme ces coquins se trouvent sur le chemin, je n’ose l’envoyer ouverte. La recrutation avance infiniment et avec succès : il y a un bien bon esprit pour cela; mais on tâche de le détruire et de dégoûter les gens ; mais j’espère que grâce à Dieu cela ne leur réussira point et que de cette fatale abominable crise nous en sortirons avec honneur. Après je ne désire que trois grâces du Roi, dont une je suis sûre, car je l’y ai persuadé : c’est le testament pour ses enfants qu’il doit faire.
L’autre est pour moi : quelques avantages pécuniaires pour ne lui ni à personne être jamais plus à charge et vivre tranquillement le reste de mes jours.
Rempli cela, je donne adieu aux affaires à jamais. J’y ai passé dix-neuf années et y ai eu une abominable, scélérate intrigue espagnole pour détruire tout mon bonheur domestique et qui m’a causé des chagrins inouïs ; un tremblement de terre qui a mis à la misère deux provinces des plus florissantes et tué près de 50.000 personnes ; deux éruptions affreuses du Vésuve, dont une a ruiné un des plus riches pays; deux fois la famine, les banques à la faillite près et très près ; une conspiration de principes non encore ni éteinte ni toute connue, une attaque de mer menacée au moment du bombardement, mèche en main ; une opération sur la monnaie très dangereuse, mais de toute nécessité; actuellement une invasion de terre menacée qui n’est point encore évanouie, et avec tout cela aucune énergie, amour de la Patrie; un révoltant égoïsme, commodité : voilà mon cas. Pour ne dire pire, je laisse à part chagrins de famille, perte de mes enfants, la santé ruinée, une contradiction continuelle pour laquelle il paraît que le Ciel m’a destinée. Vous conviendrez qu’il y en a assez et que j’ai éprouvé plus de maux, chagrins qu’un siècle peut procurer. Aussi suis-je ruinée, perdue et il ne me faut plus calculer entre les êtres vivants.
Quand le soir arrive, je ne résiste plus à ma fatigue et je ne suis plus bonne à rien.
Ce moment-ci est une crise telle que par devoir, obligation, j’y tiendrai, ferai ce que je pourrai ou en mourrai, mais ne m’éloignerai de rien, même du plus dangereux; mais à paix faite, aucune considération, égards, ni puissance me retiendront. Je veux vivre, respirer un peu pour moi-même et mettre un intervalle, si Dieu veut, entre la vie et la mort.»
Marie-Caroline, Reine des Deux-Siciles au marquis de Grallo