
Aux attraits de la vêture se joignent ceux de la cosmétique pour lesquels le sieur Jean-Louis Fargeon s’est montré un expert…
Il ne suffit plus d’être belle pour plaire, ni même jolie.Il faut être « intéressante » : inventer, intriguer, surprendre, piquer , être vive, mutine, se battre continûment dans une société plus mobile, où circule plus nombreuse la fausse monnaie des prétentions subalternes.

Au saut du lit, dans le désordre du lever, le corps «défait», les chairs amollies ou le teint brouillé ne sont plus visibles. De fait, «une jolie femme fait régulièrement chaque matin deux toilettes. La première est fort secrète et jamais les amants n’y sont admis ; ils n’entrent qu’à l’heure indiquée. On peut tromper les femmes, mais on ne doit jamais les surprendre : voilà la règle».
Louis-Sébastien Mercier

Au petit Matin de Joseph Caraud
Ainsi après les prosaïques préparations de coulisse _ablutions, aspersions, immersions, lavements et frottements_, après l’office intime des eaux astringentes, des laits adoucissants et de la pâte épilatoire, place au spectacle , place à la seconde toilette , à la toilette officielle, version intimiste du lever royal. Toilette de simulacre , où, «si l’on grimace devant un miroir, c’est avec une grâce étudiée(…). Si l’on tresse de longs cheveux flottants, ils ont déjà leur pli et reçu leurs parfums(…). Si l’on plonge un bras dans l’albâtre dans une eau odoriférante, on ne peut ajouter à son poli et à sa blancheur.»

Une dame à sa toilette par Michel Garnier (vers 1780)
Toilette de prétexte aussi , «qui favorise le développement de mille attraits cachés ou non encore aperçus. Un peignoir qui se dérange, une jambe demi-nue qu’on laisse entrevoir, une mule légère qui échappe du pied mignon qu’elle renferme à peine , un déshabillé voluptueux où la taille paraît plus riche et plus élégante , donnent mille instants flatteurs à la vanité des femmes.»
« Une toilette est une résurrection qui ranime des squelettes, qui embellit des cadavres et qui leur donne un éclat surprenant : des dents y naissent, des yeux morts s’y réveillent, des cheveux s’y colorent, des sourcils s’y noircissent, des fronts s’y dérident, des peaux s’y blanchissent...»
C’est bien dans le cabinet de toilette que se fait « l’assemblage de toute les poudres, de toutes les essences, de tous les fards propres à dénaturer une personne et rendre la laideur même , jeune et jolie.»
« Il n’y a rien de plus aisé à Paris que d’avoir de la beauté ; il suffit d’avoir une tête pour se donner un joli visage. Chaque femme conserve le sien dans un petit pot : l’âge ne le détruit pas, parce que le pot se renouvelle toujours.»
Pommadées, emperruquées, poudrées, toutes les têtes paraissent avoir le même âge : « il n’y a qu’à Paris, où les femmes de soixante ans se parent encore comme à vingt, offrent un visage fardé et moucheté.»
L’épiderme n’est qu’un support, peu importent ses rides!

Un service de toilette du XVIIIe siècle anglais
Et obligée donc : le cabinet de toilette et sa table d’opérations cosmétiques, pour d’étranges avatars. Le premier consiste à se couvrir le visage d’un mastic blanc, très délié mais d’une intensité lumineuse inégalable :
« Le blanc du front, plus éclatant que partout ailleurs, brunit tant soit peu en s’approchant des tempes où il paraîtra légèrement teint de bleu», tandis que «le tour de la bouche doit être blanc comme l’albâtre». Il s’agit surtout d’unifier, de lisser, de laquer la peau pour effacer les morsures de ses agresseurs que sont le soleil et la maladie. Pour le visage il s’agit d’un mélange de «bland de Meudon» ( qui est une poudre à base de calcaire et fait un vrai masque blanc!) qui donnait un aspect presque caricatural, pour nos contemporains, à la physionomie des gens d’alors…
J’ai cependant du mal à imaginer Marie-Antoinette maquillée avec tant d’outrance…
Par Joseph II, qui L’a critiquée, on sait qu’Elle usait parfois de trop de rouge, mais trop de blanc et trop de rouge me paraît plus convenir à la fin du règne de Louis XIV qu’à celui de Louis XVI…

Charlotte de Turckheim est Marie-Antoinette dans Jefferson à Paris de James Ivory
Venons à la seconde application circulaire, localisée aux joues qui s’enflamment sur fond de neige et prend une intensité furieuse. Le contraste de la couleur doit être violent , la tache brutale.
Le rouge prééminent , celui de la cour, s’étale dans un désordre calculé. «On ne veut pas que ce rouge paraisse naturel».
Après l’étalement du blanc, puis du rouge, puis du noir marquant les yeux ; après la pommade aux lèvres, aux sourcils «pour les rendre luisants» (gloss!), aux cils mêmes, qu’un petit peigne doit rendre «exactement droit de manière que chaque poil puisse pour ainsi dire se compter, voilà enfin l’application du bleu, légère et circonscrite, surlignant une ou deux veines de la poitrine et des bras afin d’en faire ressortir la délicate et aristocratique blancheur.»

Cette fonction, les «mouches» la remplissent également. Plus les femmes sont noires plus elles ont soin de se moucheter.
Assassine près de l’œil,
baiseuse au coin de la bouche,
friponne sur les lèvres,
effrontée sur le nez,
majestueuse sur le front,
galante sur la joue,
enjouée sur le pli que forme le rire,
discrète sous la lèvre inférieure,
receleuse sur un bouton :
le nom même que prennent les mouches selon leur emplacement indique combien elles animent la physionomie et lui offre l’expression désirée. Une expression de convention, choisie dans un répertoire de figures remarquables ; des «grains de beauté » factices, en taffetas gommé, taillés en cœur, en carré, en lune, en étoile ou en comète.

François Boucher, La Mouche ou Une dame à sa toilette (1738) collection particulière
Curieusement , les ongles que l’on doit simplement «couper en rond», échappent aux expansions de cet art de faux-semblant.
Quant à la chevelure, elle atteint son comble d’affectation. C’est un monument d’extravagance, de complexité, de démesure, que le coiffeur ou la chambrière saupoudrent d’un nuage de farine tandis que la patiente se protège par un peignoir et un cornet couvrant le visage.

Œuvres de Heinrich Lossow

Blanchir et parfumer la chevelure est l’office de la poudre. Elle est à base de farine de bulbes d’iris ( entre autres) et c’est cela qui donnait un reflet bleuté…

Marie-Antoinette par Heinrich Lossow
L’éclair des yeux en ressort davantage , tandis que le cheveu ainsi décoloré loge le vieillard et l’enfant à la même enseigne du temps suspendu.
Un cheveu extraordinairement papilloté, crêpé, frisé, gonflé de crin, hérissé d’épingles et baigné de pommade ; un échafaudage de fleurs, d’oiseaux, d’aigrettes, de gazes, de dentelles et de diamants, captivés par la frisure…

