Le 22 septembre 1601
Naissance d’Anne d’Autriche (en espagnol Ana María Mauricia de Austria y Austria-Estiria), infante d’Espagne, infante du Portugal, Archiduchesse d’Autriche, princesse de Bourgogne et princesse des Pays-Bas, à Valladolid en Espagne.
Anne est la fille aînée du Roi Philippe III (1578-1621), Roi d’Espagne (1598-1621), et de l’Archiduchesse Marguerite d’Autriche-Styrie (1584-1611).
Contrairement à l’usage du temps qui prônait une séparation des enfants de leurs parents, Anne mène une vie calme et ordonnée, entourée de l’affection de sa famille. Elle reçoit le prénom Anne en souvenir de sa grand-mère, la Reine Anne d’Autriche (1549-1580), quatrième épouse du Roi Philippe II (1527-1598), ceux de Marie en l’honneur de la Vierge et Mauricia car elle est née le jour de la saint Maurice.
Le 7 octobre 1601
Elle est baptisée par l’archevêque de Tolède. Son parrain est Ranuce Ier Farnèse (1569-1622), duc de Parme et sa marraine est Catalina de la Cerda, épouse du duc de Lerma, favori du Roi Philippe III. Elle grandit au palais royal d’Alcázar à Madrid où ses parents, très pieux, lui donnent une forte éducation religieuse.
La jeune Anne visite des couvents et passe des journées entières penchée sur des reliques. Elle s’attache à ses frères et sœurs et plus particulièrement à Philippe, futur Philippe IV d’Espagne (1605-1665) et à Marie-Anne (1606-1646).
En 1611
La famille royale espagnole subit un drame : la Reine Marguerite, la mère d’Anne, meurt à l’âge de vingt-sept ans en mettant au monde son huitième enfant. Malgré son chagrin, la jeune infante s’occupe de ses frères et sœurs, qui l’appellent « Maman ». Elle peut tout de même se reposer sur l’attention que lui porte le Roi, son père.
La Cour espagnole prend l’initiative de proposer le double mariage franco-espagnol. Henri IV, considérant les Habsbourg comme les ennemis héréditaires du royaume de France, tergiverse et songe plutôt à marier son héritier à Nicole de Lorraine (1608-1657), héritière des duchés de Lorraine et de Bar, ce qui donnerait naturellement pour frontières à la France le massif Vosgien (sans parler de la riche production de sel). Mais à sa mort, sa veuve, Marie de Médicis, soutenue par le parti dévot, assume un retournement de politique, faisant de l’alliance espagnole un gage de paix entre les deux grandes puissances catholiques. De son côté Philippe III espère que la présence de sa fille à la Cour de France peut constituer un atout pour soutenir les intérêts de l’Espagne et donne à sa fille des instructions secrètes.
Le 27 mars 1615
Décès de Marguerite de Valois, née en 1553, première épouse d’Henri IV, qui a eu un contact très maternel avec le jeune Louis XIII.
Le 27 septembre 1614
Louis XIII atteint enfin sa majorité à l’âge de treize ans, mais Marie de Médicis continue de prendre les reines du pouvoir, en le lui faisant sentir parfois de façon humiliante. Un jour par exemple, dans la salle du conseil, elle le prend fermement par le bras et lui conseille d’aller jouer dehors. Concini, le favoris de Marie montre également de façon cruelle au jeune monarque qu’il n’est pas grand chose dans la sphère gouvernementale. Tout comme la femme de Concini, Léonora Dori, qui se permet de faire signifier au Roi qui fait du bruit dans sa chambre que cela l’incommode parce qu’elle a la migraine. Ce à quoi Louis répondra excédé :
« Si elle n’est pas satisfaite du Louvre, qu’elle cherche une chambre ailleurs.»
« Louis XIII […] ne parlait jamais beaucoup, et il bégayait tellement que parfois il tenait assez longtemps sa langue hors de la bouche avant de pouvoir prononcer un seul mot ; il avait, de plus, une double rangée de dents, et on ne le voyait presque jamais cracher ni se moucher.»
Mémoires de lord Herbert de Cherbury
Le 18 octobre 1615
Fiancée à l’âge de dix ans, Anne épouse par procuration à Burgos, Louis XIII (1601-1643), Roi de France et de Navarre. Le même jour, à Bordeaux, Elisabeth de France (1602-1644), sœur de Louis XIII, épouse par procuration l’infant Philippe, représenté par le duc de Guise (1571-1640).
Les princesses sont ensuite « échangées » à côté de l’île des Faisans, située sur la Bidassoa, près d’Hendaye.
Le 21 novembre 1615
Le mariage en France d’Anne d’Autriche et Louis XIII, fils d’Henri IV (1553-1610) et de Marie de Médicis, est célébré à Bordeaux.
« Mon prix n’est pas dans ma couronne », telle est la devise d’Anne d’Autriche. Louis XIII ne peut malheureusement pas trouver du réconfort auprès de sa mère.
Marie de Médicis (1575-1642) est préoccupée par la régence qu’elle doit assurer et qui n’est pas des plus glorieuses. Les Français ne veulent pas d’une étrangère au pouvoir, et les opposants d’Henri IV profitent de la situation politique bancale.
Marie de Médicis ne mène pas une politique en faveur du jeune Roi, et pour cause, elle fait rentrer au conseil ses favoris Concini et Galigaï, écartant totalement son royal fils. Contrairement à Henri IV, elle a une politique pro espagnole ce qui horrifie le jeune Louis, élevé par son père dans la détestation de ces derniers. Les deux époux ont quinze ans à peine mais leur union, bien que célébrée sous d’excellents auspices, va se révéler désastreuse et longtemps stérile. Marie de Médicis ne veut pas qu’on puisse remettre en question cette union et s’ingénie à ce que ce mariage soit immédiatement consommé, pour des raisons politiques. Cependant, du fait de l’inexpérience des mariés la nuit de noces semble s’être assez mal passée. La Reine-mère dit à sa bru « Ma fille, voici votre mari que je vous amène ; recevez-le auprès de vous et l’aimez bien, je vous prie. » puis on met les époux au lit. Tout le monde sort sauf les nourrices. Deux heures plus tard, le Roi regagne sa chambre et dit à Héroard, son médecin depuis la plus tendre enfance, que le mariage a été consommé. En fait on n’est sûr de rien sauf que la nuit de noce s’est fort mal passée. Louis XIII, bien plus tard, l’avouera à son confesseur. Le jeune Roi, ayant vécu cette nuit comme une véritable humiliation, en gardera longtemps rancune à sa mère, et n’entretiendra plus avec son épouse de rapports charnels pendant les quatre années suivantes, lui rendant néanmoins visite matin et soir, comme le veut la coutume de l’époque.
Stéphanie Gil interprète la jeune Anne d’Autriche dans la série Une Amitié Dangereuse (2024) d’Alain Tasma
Installée dans les appartements du Louvre avec sa suite, Anne d’Autriche, délaissée reçoit cependant tous les égards dus à son rang. D’une part, Marie de Médicis continue à porter avec hauteur le titre de Reine de France, sans la moindre déférence à l’égard de sa belle-fille. D’autre part, Louis XIII continue de se désintéresser d’elle, bien qu’elle soit considérée comme une belle femme. Le Roi, de nature complexe, est timide, ce qui l’empêche de s’accorder avec elle. Entourée par une petite Cour peuplée d’une centaine de dames espagnoles, elle continue à vivre à la mode espagnole et son français est encore très hésitant. Anne éprouve ainsi des difficultés à communiquer avec sa nouvelle famille. Enfin, Anne d’Autriche partage avec son époux une timidité et une inexpérience qui n’arrangent pas la situation.
Louis XIII souffre de la maladie de Crohn depuis son enfance. C’était un bambin colérique, qui piquait des crises sans prévenir pour un oui ou pour un non. Ces sautes d’humeur font partie de son caractère : très fier et imbu de sa naissance, il méprise (gentiment mais fermement) les bâtards nés des amours d’Henri IV avec ses favorites successives, et ne supporte pas qu’on lui manque de respect. Mais ces phases d’emportement ont aussi pour cause une maladie chronique intestinale dont les premiers symptômes se manifestent dès ses plus jeunes années. Les crises se déroulent toujours de la même façon. Les jours précédents, il est d’humeur sombre, ne parle à personne où avec aigreur, est pris de nausées. Puis les douleurs se localisent dans le ventre et s’aggravent de jour en jour.
« C’est alors qu’il se montrait le plus violent et le plus détestable. Puis, brusquement, une forte évacuation naturelle le soulageait, affaissait son ventre gonflé, et son irritabilité s’évanouissait.»
Louis XIII – Jean-Christian Petitfils
C’est un sérieux handicap à l’exercice du pouvoir.
En novembre 1615
Marie de Médicis fait nommer Richelieu (1585-1642) grand aumônier d’Anne.
Le 25 novembre 1616
Marie de Médicis fait nommer Richelieu ministre des Affaires étrangères au Conseil du Roi. Il fait partie des principaux ministres au service de Concino Concini, favori de la Reine mère. Ce premier ministériat ne durera que six mois.
Le 24 avril 1617
Bien que le Roi soit en âge de prendre ses fonctions, Marie de Médicis fait tout pour ne pas lui rendre le pouvoir. Louis XIII doit donc procéder à un coup de force (pour ne pas dire d’état) pour récupérer la place qui est la sienne. Il fait assassiner les deux favoris, Concino Concini (1569-1617) et sa femme, Leonora Dori , dite Galigaï (1568-1617), qui siègent au conseil :
D’après La Relation exacte de tout ce qui s’est passé à la mort du Marechal d’Ancre, au moment où Concini franchit seul la porte d’accès du Louvre le 24 avril 1617, il est encerclé par les hommes du baron de Vitry, capitaine des gardes. Celui-ci lui saisit le bras et l’apostrophe de la sorte : « De par le roi, je vous arrête ! ».
Il n’est pas certain que le maréchal d’Ancre tente, instinctivement ou non, de dégainer son épée mais en tout état de cause, Vitry décharge son pistolet sur Concini, geste aussitôt imité par ses fidèles. Trois coups atteignent le favori de la régente au visage et à la gorge, les gardes l’achevant à coups d’épée. Louis XIII remercie les meurtriers : « Grand merci à vous, à cette heure, je suis roi ! ».
Léonora Dori dite Galigaï, maréchale d’Ancre, (vers 1571-1617) était la sœur de lait de Marie de Médicis sur laquelle elle avait une forte influence. Devenue l’une des femmes les plus puissantes de France, elle obtint de la Reine Marie de Médicis (alors régente après l’assassinat de Henri IV de France et pendant la minorité de Louis XIII) l’élévation de son mari, Concino Concini, à la dignité de maréchal de France (sous le nom de maréchal d’Ancre). Capricieuse et cupide selon ses détracteurs, atteinte d’épilepsie que la médecine de l’époque n’est pas en mesure de traiter (on parle de ses graves troubles nerveux qui lui font subir des crises d’hystérie et convulsions), Léonora Dori se tourne vers l’exorcisme et autres pratiques de désenvoûtement. D’origine modeste, sa fortune devient pourtant colossale puisqu’un ambassadeur vénitien l’évalue, en 1617, à quinze millions de livres ce qui équivaut aux trois quarts du budget annuel du royaume. La maréchale d’Ancre, accusée d’avoir ensorcelé Marie de Médicis, répond à ses juges :
« Je ne me suis jamais servi d’autre sortilège que de mon esprit. Est-il surprenant que j’aie gouverné la reine qui n’en a pas du tout ? »
Le 8 juillet 1617
«La Galigaï» est emportée dans la disgrâce de son mari, jugée et condamnée principalement pour crime de lèse-majesté divine (sorcellerie et «juiverie »), décapitée et son corps brûlé en place de Grève.
Louis XIII condamne sa mère à l’exil à Blois, d’où elle s’échappera trois ans plus tard. Malgré la sanction imposée par son fils, les ambitions de Marie de Médicis sont loin d’être terminées. Elle continue à fomenter de nombreux complots et élève même des armées pour renverser le Roi et donner le trône à Gaston d’Orléans (1608-1660).
Nuit du 21 au 22 février 1619
Marie de Médicis, en résidence surveillée au château de Blois, où son fils l’a exilée avec sa cour depuis le printemps 1617. Mais, après des mois d’une apparente soumission, elle a, cette fois, bien l’intention de s’en échapper. Tout est organisé. La Reine mère doit s’enfuir en passant par une fenêtre de son appartement qui donne sur le pavillon en chantier.
Une fois en bas, elle rejoindra un carrosse qui l’attend au bout du pont sur la Loire., s’en échappe avec la complicité du duc d’Epernon et prend la tête d’une rébellion aristocratique.
A trois heures du matin
En pleine nuit noire, voici la veuve d’Henri IV qui retrousse sa robe, dans laquelle elle a cousu ses bijoux. Enjambant la croisée après son premier écuyer, elle est suivie de sa servante, de deux policiers, d’une de ses naines et d’un ou deux valets italiens. «Jusqu’ici, un stratagème bien digne du XVIIe siècle… Marie de Médicis a beaucoup grossi et, le souffle court, elle peine à avancer, ralentissant tout le monde. Puis, arrivée sur la terrasse ouest, elle est prise de vertige. «Il faut enrouler Marie dans un manteau, l’attacher à la corde pour la descendre et atteindre le talus qui s’achève en pente sur une trentaine de mètres. La fugitive atterrit dans les gravats des travaux d’un mur. Des passants, certains qu’il s’agit d’une fuite d’amoureuse infidèle, lancent des commentaires grivois. Ils réjouissent Marie, enchantée qu’on la prenne « pour une bonne dame« », rapporte Jean des Cars.
Il reste alors à franchir le pont sur la Loire et embarquer dans le carrosse. Sauf que celui-ci n’est pas où il devait être. La petite troupe s’affole avant de trouver enfin son attelage, un peu plus loin, tous feux éteints. «Alors, au grand galop, la voiture roule vers Montrichard où une centaine de cavaliers l’attendent, puis la Reine mère gagne le château de Loches. L’équipée a pris presque trois heures…»
L’auteur explique que Marie de Médicis prétendit à Louis XIII, furieux de cette évasion, qu’on l’avait enlevée et qu’elle craignait pour sa vie. Suite à cette rocambolesque évasion, mère et fils se réconcilient. Attaché malgré tout à sa mère, il accepte une trêve et la fait revenir à la cour en lui interdisant toute fonction politique. Richelieu parvient à s’imposer comme médiateur pour réconcilier Louis XIII et Marie de Médicis.
Le 30 avril 1619
Richelieu aboutit à travers le traité d’Angoulême du , mais Louis XIII reste méfiant vis-à-vis de lui. À un Louis XIII ombrageux et soucieux d’affirmer l’autorité royale, Richelieu propose le programme suivant :
- détruire la puissance politique du protestantisme en France ;
- abattre l’orgueil et l’esprit factieux de la noblesse ;
- et abaisser la maison d’Autriche.
Louis XIII affirme nettement l’unité du Royaume, contre les protestants, les grands et l’Espagne, en général par l’usage de la force. Le Béarn et la Navarre sont rattachés à la couronne tandis que les protestants cessent de former un « État dans l’État ». Perpignan, le Roussillon, et la Catalogne en révolte contre l’Espagne sont annexés à la France, de même que l’ensemble de la Savoie et du Piémont, ainsi que la ville de Casale Monferrat. Au nord, une grande partie du Hainaut est conquise avec la prise d’Arras.
Le 29 avril 1624
Après de nombreuses tentatives, Marie de Médicis parvient enfin à imposer Richelieu au Conseil du Roi. D’abord méfiant, Louis XIII accorde ensuite sa confiance à Richelieu.
Louis XIII approuve, ainsi débute l’un des plus grands binôme politique que la France ait connu dans son histoire. Il durera près de vingt ans, jusqu’à la mort de Richelieu en 1642. À la tête du parti dévot, Marie de Médicis finit par s’offenser de la volonté de Richelieu de contrer l’hégémonie de la maison catholique des Habsbourg : il est prêt dans cet objectif à s’allier avec des États protestants La mésentente s’installe à nouveau entre les souverains. Tout d’abord, Anne fait plusieurs fausses couches, mécontentant le Roi.
Le 14 mars 1622
Enceinte sans le savoir, alors qu’elle joue avec ses dames d’atours dans les galeries du Louvre mal éclairées, Anne bute contre une estrade. Le soir, un médecin lui annonce qu’elle a accouché d’un embryon de quarante à quarante-deux jours. Louis XIII est furieux contre elle, mais plus encore contre Madame de Luynes (1600-1679) impardonnable à ses yeux d’avoir entraîné la Reine enceinte dans une telle imprudence.
À partir de cette époque, le Roi supporte de plus en plus mal l’influence déplorable que Madame de Luynes exerce sur son épouse. L’antipathie de la duchesse pour le Roi est réciproque et lourde de conséquences pour le couple royal. La situation se détériore d’autant plus que le duc de Luynes, responsable de l’entente conjugale, est mort l’année précédente et que le Roi est accaparé par la guerre contre les protestants. Le Roi écarte pour un temps Marie de Rohan en lui retirant les fonctions de surintendante auprès de la Reine. Mais son remariage avec le duc de Chevreuse, un membre de la puissante Maison de Lorraine, la rend intouchable. Anne continue de fréquenter la duchesse ou à correspondre avec elle lorsqu’elle en est réduite à l’exil. La duchesse qui n’aime pas le Roi exerce une influence pernicieuse sur Anne.
En 1625
Une alliance matrimoniale est conclue entre la France et l’Angleterre.
Le 11 mai 1625
Henriette-Marie de France (1609-1669), sœur de Louis XIII, épouse par procuration le nouveau Roi d’Angleterre Charles Ier (1600-1649). Le duc de Buckingham (1592-1628) , favori du feu Roi, est chargé d’escorter la princesse. Selon l’usage, la Cour de France accompagne Henriette jusqu’à la frontière. Anne d’Autriche est du voyage ainsi que la Reine mère (Louis XIII est resté à Paris). C’est au cours de ce voyage que Buckingham fait une cour pressante à Anne.
Le 14 juin 1625
À l’étape d’Amiens, l’amie de la Reine la duchesse de Chevreuse s’arrange pour isoler dans le jardin de l’archevêché Anne et Buckingham du reste de la Cour. Selon les Mémoires de Pierre de la Porte, valet de chambre de la Reine, le duc se montre entreprenant, Anne pousse un cri. La suite royale accourt alors que Buckingham s’éclipse.
Le 22 juin 1625
Finalement , le duc de Buckingham embarque à Boulogne avec la jeune épouse du Roi Charles. L’incident d’Amiens fait le tour des Cours européennes et touche fatalement l’amour-propre de Louis XIII, alors que les relations conjugales du couple sont déjà tendues. Buckingham se voit interdire le sol français. Plus tard, La Rochefoucauld (1613-1680) inventera dans ses mémoires cette histoire de ferrets offerts au duc, laquelle sera reprise par Alexandre Dumas (1802-1870) dans Les Trois Mousquetaires.
Or si la Reine n’a pas d’influence politique (elle ne participe pas au Grand Conseil), elle n’en reste pas moins proche de sa famille espagnole et ressent vis-à-vis du ministre une hostilité qu’elle partage avec le parti dévot et les Grands du royaume.
La santé de Louis XIII ne s’améliore pas. À partir de vingt-six ans, les crises deviennent plus sérieuses, et se répètent à intervalles réguliers. Fièvre et ballonnement abdominal, douleurs insupportables, qui durent plusieurs jours voire plusieurs semaines. Les années passent, et s’ajoutent à ces premiers symptômes un amaigrissement progressif et des « crises de goutte ». Louis XIII est en réalité atteint d’une maladie inflammatoire chronique du système digestif, qui touche directement le colon et les intestins. Les spécialistes penchent aujourd’hui pour la maladie de Crohn, qui alterne crises plus ou moins graves et phases de rémission plus ou moins longues, dont les véritables causes sont aujourd’hui encore mal connues et qui a été diagnostiquée pour la première fois au milieu du XXe siècle.
Cette pathologie qui contraint fréquemment le Roi à garder la chambre, combinée à un bégaiement dont il souffre depuis sa naissance, ne lui facilite pas la tâche alors même qu’il règne en des temps difficiles. Une année, son médecin Bouvard lui fait 47 saignées, lui administre 212 traitements et lui fait 215 lavements ! De quoi achever le plus robuste d’entre nous aujourd’hui… Cette affection qui lui vaut tant de tourments contribue à le renfermer sur lui-même, et à lui donner cette réputation de monarque nerveux et ombrageux !
Le 23 août 1628
Alors qu’il préparait une expédition à Portsmouth, George Villiers, duc de Buckingham y est assassiné par le fanatique John Felton, qui croyait, par ce meurtre, servir sa patrie.
En septembre 1630
A vingt-neuf ans, Louis XIII est pris d’une crise plus sérieuse que les autres, si terrible que l’on craint pour sa vie. A la fin du mois, il se met même à délirer et ne peut plus quitter son lit. Il est veillé en permanence par sa mère, Marie de Médicis, et par Richelieu, qui vit les heures les plus angoissantes de son existence ! Le ventre dur et tendu du Roi lui fait souffrir le martyre. On le prépare à la mort… Subitement, l’abcès intestinal se perce et s’évacue par les selles (ben oui). Louis XIII, immensément soulagé, se sent tout de suite mieux. Il est sauvé. Pour cette fois. D’autres crises sont à déplorer par la suite.
Le 11 novembre 1630
La trêve est de courte durée, quand Marie de Médicis tente lors de la journée des Dupes, d’écarter le cardinal Richelieu, fidèle ministre du Roi. Mais Louis XIII réitère contre toute attente sa confiance à son ministre Richelieu, élimine ses adversaires politiques et contraint la Reine Mère à l’exil.
Louis XIII est un roi-soldat comme son père, « le dernier grand roi de guerre à la manière médiévale , partageant la rude vie du soldat et des camps ». Depuis toujours, il est passionné par les chevaux et par les armes. Excellent cavalier, il se trouve fréquemment sur les champs de bataille, où il montre un grand courage. En temps de paix, la chasse est son passe-temps favori. Il ne craint pas de dormir sur la paille, quand ses chevauchées l’emmènent loin de la ville.
A partir de 1633, Louis XIII, victime d’une perte de cheveux précoce, fait appel aux services des perruquiers. Il adopte définitivement et sans honte le postiche. Les courtisans se hâtent alors d’arborer eux aussi la perruque. La coiffure « à la comète » est donc progressivement abandonnée, au profit d’une crinière lâchée sur les épaules : le frère du Roi, Gaston d’Orléans, n’est pas le dernier à adopter la nouvelle tendance !
L’absence d’héritier donne à Marie de Médicis une raison de comploter pour tenter de faire passer son second fils, Gaston d’Orléans au pouvoir. Louis XIII finira par envoyer définitivement sa mère en exil et ne la reverra plus jusqu’à la mort de cette dernière à Cologne dans la maison du peintre Rubens.
En 1635
La France déclare la guerre à l’Espagne, plaçant Anne d’Autriche dans une position encore plus délicate. En effet, la correspondance secrète qu’elle entretient avec le Roi d’Espagne Philippe IV (1605-1665), son frère, va au-delà des nécessités de la simple affection fraternelle.
En août 1637
Anne est suspectée. Sur l’ordre de Louis XIII, une enquête policière est menée sur les activités de la Reine. On perquisitionne l’abbaye du Val-de-Grâce où Anne a l’habitude de se réfugier. Comble de l’humiliation, Louis XIII l’oblige à signer des aveux concernant cette correspondance, et son courrier est désormais ouvert. Son entourage est épuré (la trop remuante duchesse de Chevreuse doit s’enfuir en Espagne) et ses sorties surveillées.
Malgré ce climat de méfiance, la Reine est enceinte peu après.
Le 5 septembre 1638
La Reine donne le jour au Dauphin Louis-Dieudonné (1638-1715), au château de Saint-Germain-en-Laye au bout de vingt-trois ans de mariage ! L’enfant est ondoyé le même jour.
C’est de cet enfant, le futur Louis XIV, que descend Louis XVI.
En signe de reconnaissance au ciel, Anne érige la très belle église baroque du Val-de-Grâce, sur le flanc sud de la montagne Sainte-Geneviève, à Paris.
Le 21 septembre 1640
Anne d’Autriche donne le jour à un deuxième garçon, Philippe, duc d’Anjou, futur duc d’Orléans (1640-1701). Est-ce pour éviter les conflits qui ont opposé son mari et Gaston d’Orléans, qu’Anne éduquera Philippe de façon assez féminine… On l’a dit. Et le frère du Roi aimera les hommes. Mais il n’en aura pas moins de descendance. C’est d’ailleurs de lui que descendra Marie-Antoinette.
Sur le plan économique, Louis XIII crée en 1640 le louis d’or, une nouvelle unité de compte complémentaire de la livre tournois, à la fois placement refuge et instrument de stabilisation financière, qui restera en vigueur jusqu’à la Révolution française.
En 1641
Marie de Médicis est exilée à Cologne chez le peintre Rubens qui l’a beaucoup représentée. Elle veut laisser d’elle l’image d’une Reine qui a toutes les qualités pour gouverner. Mais elle fut une Reine assoiffée de pouvoir, au point d’écraser de faire la guerre à son propre fils …
Le 3 juillet 1642
Réfugiée dans la maison prêtée par son ami Pierre-Paul Rubens à Cologne, Marie de Médicis était tombée malade en juin 1642, elle meurt d’une crise de pleurésie dans le dénuement.
Richelieu recommande au Roi celui qui sera son successeur, Jules Mazarin (1602-1661), dont la trajectoire sera similaire à la sienne. Les deux cardinaux auront passé le même temps au pouvoir ; Richelieu d’avril 1624 à décembre 1642, Mazarin de janvier 1643 à mars 1661.
Le 4 décembre 1642
Le cardinal de Richelieu meurt , probablement des suites d’une tuberculose pulmonaire.
Le 5 décembre 1642
Mazarin est nommé principal ministre d’Etat, comme l’avait recommandé Richelieu qui voyait en lui son digne successeur. Louis XIII le choisit comme parrain du Dauphin, futur Louis XIV.
Dès le 16 février 1643
Louis XIII tombe malade. Il se remet .
Le 21 février 1643
Louis XIII fait une grave rechute : fièvre, vomissements, douleurs abdominales effroyables, diarrhées… Les médecins ne trouvent rien de mieux à faire que de le purger, ce qui réveille ses hémorroïdes. L’agonie va durer presque trois mois…
A partir du 21 avril 1643
Le Roi ne quittera plus sa chambre.
Le 21 avril 1643
Le Dauphin reçoit la cérémonie complémentaire du baptême dans la chapelle du Château Vieux alors que son père est très malade. C’est alors qu’il reçoit le prénom de Louys (sic ; registre des baptêmes de Saint-Germain-en-Laye), son parrain étant le cardinal Jules Mazarini et sa marraine la princesse de Condé, née Charlotte Marguerite de Montmorency, qui rendit Henri IV fou d’amour.
Le 7 mai 1643
Commencent les véritables souffrances du Roi.
Dès le 11 mai 1643
Louis XIII cesse de s’alimenter. Les courtisans admirent le courage de leur maître au seuil de la mort. Torturé de douleur, il apparaît aussi décharné qu’un squelette, n’ayant plus que la peau sur les os. Pourtant, il ne ménage pas ses efforts et continue à gérer tant bien que mal, depuis son lit, les affaires du royaume. Le bien de l’État est sa constante préoccupation jusqu’à ce que ses dernières forces l’abandonnent. Il respire mal, ne dort quasiment plus mais reste couché, dans la chambre qui dégage à présent une odeur pestilentielle. Le prédicateur capucin, Baltazar de Riez, affirme que le monarque « souffrait de très grandes douleurs et incommodités en sa maladie, et que néanmoins il les souffrait avec une fermeté et une constance inconcevable, sans s’en plaindre ».
Le Roi se moque de son état physique. Ce n’est qu’une enveloppe charnelle qui n’aura bientôt plus aucune importance. Seul son salut désormais le préoccupe.
« Jamais personne n’a regardé la mort avec plus d’indifférence, ni ne s’est soumis avec une plus entière résignation à la volonté de Dieu.»
Jules Mazarin
Le 14 mai 1643
Parfaitement lucide jusqu’à la fin de son supplice, Louis XIII meurt en public, au château de Saint-Germain, et Anne d’Autriche devient régente.
Pourtant, Louis XIII, qui n’avait aucune confiance en la Reine et en son frère, a préalablement organisé auprès d’elle un Conseil de régence comprenant outre Monsieur, Gaston d’Orléans et Henri de Condé en tant que premier prince de sang, assistés des ministres de Richelieu, Mazarin, le Bouthiller (1581-1652), Chavigny (1608-1652) et le chancelier Séguier (1588-1672). Les décisions doivent être prises à la pluralité des votes.
A la mort de son père, fête de l’Ascension, et toujours Saint-Germain, le Dauphin devient Louis XIV Roi de France et de Navarre, sa mère Anne d’Autriche étant déjà régente de par une déclaration de Louis XIII en date du 20 avril, enregistrée au parlement le 21.
Mazarin crée la surprise en obtenant le soutien de la Régente. Longtemps opposée à Richelieu et estimée comme favorable à un rapprochement avec l’Espagne, Anne d’Autriche fait volte-face à la surprise de la plupart des observateurs de l’époque.
En réalité, le rapprochement entre Mazarin et la Régente est antérieur à la mort de Louis XIII et de son principal ministre. Le souci de préservation de la souveraineté de son fils et la conscience des dommages qu’aurait causés pour celle-ci un rapprochement avec Madrid, ont été des arguments de poids dans sa décision de poursuivre la politique du feu Roi et du cardinal de Richelieu – et donc d’appuyer Mazarin. Les inestimables compétences de ce dernier en politique extérieure sont un prétexte pour justifier ce soutien. Séducteur jusqu’à l’obséquiosité, Mazarin sait par la suite très vite se rendre indispensable à la Régente, se chargeant habilement de compléter son éducation politique et l’incitant à se décharger entièrement sur lui du poids des affaires.
A partir de 1643
Alors que Louis XIV n’est encore qu’un enfant, la Régente Anne nomme Mazarin Principal ministre d’Etat. La Régente Anne s’installe de 1643 à 1652 au Palais-Royal quittant les appartements incommodes du Louvre, pour profiter du jardin où peuvent jouer le jeune Louis XIV et son frère. Le Palais-Cardinal (il avait appartenu au cardinal de Richelieu) devient le Palais-Royal.
Anne mène la guerre contre l’Espagne, son pays natal, et simultanément, doit lutter contre la Fronde des parlementaire puis des Princes. Elle bénéficie dans ces tâches du concours efficace du cardinal Jules Mazarin, Principal ministre, parrain du jeune Roi.
En 1648
Les lourdes mesures fiscales de Mazarin de plus en plus impopulaires déclenchent la première Fronde, la Fronde parlementaire.
Le 8 janvier 1649
Dans un arrêté, le Parlement déclare Mazarin « auteur de tous les désordres de l’état et du mal présent » et lui « enjoint de se retirer […] dans huitaine hors du Royaume ».
Le 21 janvier 1649
Dans ses Remontrances au Roi et à la Reine Régente le Parlement dénonce celui qui a usurpé l’autorité aux dépens des souverains.
Paris est assiégée par l’armée royale, qui ravage les villages de la région parisienne : pillages, incendies, viols…
Le 11 mars 1649
Le prince Louis II de Bourbon-Condé (1621-1686), menant les troupes royales et soutenant la Reine mère Anne d’Autriche permet la signature de la paix de Rueil.
Le 1er avril 1649
N’obtenant pas la soumission de la capitale, les partis concluent la paix de Saint-Germain, qui ne sera qu’un répit.
En 1649
Par rivalité avec Mazarin qu’il considère comme un usurpateur étranger, Condé sympathise avec la cause de la Fronde. Remportant toutes les batailles entre 1643 et 1648, il réclame pour lui l’amirauté et pour ses amis tous les postes de responsabilité dans l’armée.
Durant ce long conflit, Anne d’Autriche accompagne son fils dans une vie itinérante, laissée aux hasards des campagnes. Elle s’appuie sur Mazarin qu’elle soutient, y compris pendant les deux exils volontaires de ce dernier, et ceci malgré les humiliations et les pamphlets perfides qui l’atteignent personnellement.
Le 6 février 1651
Mazarin s’enfuit de Paris et se réfugie provisoirement à Saint-Germain-en-Laye où Anne d’Autriche et le jeune Roi devaient le rejoindre. Un nouvel arrêt de bannissement du Parlement est promulgué. Le Roi et la Reine sont retenus prisonniers au Palais-Royal .
Dans la nuit du 9 au 10 février 1651
et pour faire taire les rumeurs d’une nouvelle fuite, Louis XIV (douze ans) est exhibé en train de dormir devant la foule.
Le 16 février 1651
Anne d’Autriche accepte de libérer Condé, Conti et Longueville (retour triomphal). Mazarin court au Havre et libère lui-même les trois prisonniers, geste dont il espère tirer un bénéfice. Mazarin continue à intervenir par d’intenses relations épistolaires avec Anne d’Autriche.
Le 15 mars 1651
L’assemblée des nobles et l’assemblée du clergé font une démarche commune auprès de la Reine pour obtenir la réunion des états généraux que la Reine accepte de convoquer pour le 1er octobre 1651 sur les conseils de Mazarin. Habilement la date choisie est postérieure à la prise de majorité de Louis XIV (anniversaire de ses treize ans) qui ne sera donc pas lié par la décision de la Régente.
Le 3 avril 1651
Le Parlement impose à la Reine une déclaration royale excluant les cardinaux des conseils du Roi.
Le 5 septembre 1651
Louis XIV a treize ans, et atteint la majorité royale.
Le 7 septembre 1651
La majorité du Roi est proclamée. Condé n’a pas assisté à la cérémonie et a quitté Paris la veille.
Deux jours plus tard devant le Parlement, Anne d’Autriche transmet officiellement les pouvoirs régaliens à son fils qui lui répond :
« Madame, je vous remercie du soin qu’il vous a plu de prendre de mon éducation et de l’administration de mon royaume. Je vous prie de continuer à me donner vos bons avis, et je désire qu’après moi vous soyez le chef de mon Conseil »
Anne continue à siéger auprès du Roi jusqu’à la mort de Mazarin en 1661.
Le 18 septembre 1651
Louis XIV appelle à son conseil Châteauneuf (1580-1653), La Vieuville (1583-1653) et Molé (1584-1656), tous opposés à Condé. La Fronde des Princes (1650-1652) lui succède, déclenchée par l’arrestation de Condé avide de récompenses, défiant ainsi la primauté naissante et fragile de l’autorité royale promue par Mazarin. Ce dernier fut obligé de s’exiler à deux reprises (1651 et 1652), tout en continuant de gouverner par l’intermédiaire d’Anne d’Autriche.
Lettre de Mazarin à la Reine du 11 mai 1651 :
« Mon Dieu, que je serais heureux et vous satisfaite si vous pouviez voir mon cœur, ou si je pouvais vous écrire ce qu’il en est, et seulement la moitié des choses que je me suis proposé. Vous n’auriez pas grand-peine, en ce cas, à tomber d’accord que jamais il n’y a eu une amitié approchante à celle que j’ai pour vous. Je vous avoue que je ne me fusse pu imaginer qu’elle allât jusqu’à m’ôter toute sorte de contentement lorsque j’emploie le temps à autre chose qu’à songer à vous : mais cela est, à tel point qu’il me serait impossible d’agir en quoi qui en pût être, si je ne croyais d’en devoir user ainsi pour votre service.
Je voudrais aussi vous pouvoir exprimer la haine que j’ai contre ces indiscrets qui travaillent sans relâche pour faire que vous m’oubliez et empêcher que nous ne nous voyions plus […] La peine qu’ils nous donnent ne sert qu’à échauffer l’amitié qui ne peut jamais finir.
Je crois la vôtre à toute épreuve et telle que vous me dîtes ; mais j’ai meilleure opinion de la mienne, car elle me reproche à tout moment que je ne vous en donne pas assez de belles marques et me fait penser à des choses étranges pour cela et à des moyens hardis et hors du commun pour vous revoir […] Si mon malheur ne reçoit bientôt quelque remède je ne réponds pas d’être sage jusqu’au bout, car cette grande prudence ne s’accorde pas avec une passion telle qu’est la mienne […]
Ah ! que je suis injuste quand je dis que votre affection n’est pas comparable à la mienne ! Je vous en demande pardon et je proteste que vous faites plus pour moi en un moment que je ne saurais faire en cent ans : et si vous saviez à quel point me touchent les choses que vous m’écrivez, vous en retrancheriez quelqu’une par pitié, car je suis inconsolable de recevoir des marques si obligeantes d’une amitié si tendre et constante, et d’être éloigné.
Je songe quelquefois s’il ne serait pas mieux pour mon repos que vous ne m’écrivissiez pas, ou que, le faisant, ce fût froidement ; que vous dissiez […] que j’ai été bien fou à croire ce que vous m’avez mandé de votre amitié, et enfin que vous ne vous souvenez plus de moi comme si je n’étais au monde. Il me semble qu’un tel procédé, glorieux comme je suis, me guérirait de tant de peines et de l’inquiétude que je souffre et adoucirait le déplaisir de mon éloignement. Mais gardez-vous bien d’en user ainsi ! Je prie Dieu de m’envoyer la mort plutôt qu’un semblable malheur, qui me le donnerait mille fois le jour : et si je ne suis pas capable de recevoir tant de grâces, il est toujours plus agréable de mourir de joie que de douleur. »
A l’opposé de son père, le jeune Roi ne se détourne pas de la chose charnelle, bien au contraire. Pour le plus grand bonheur de sa mère, la régente Anne d’Autriche, qui ne veut en aucun cas voir un impuissant monté sur le trône. C’est d’ailleurs elle qui le pousse dans les bras d’une galante. Une femme de chambre de la Reine de trente-huit ans (Louis XIV en a alors treize) du nom de Catherine Bellier, baronne de Beauvais, connue de tous comme Cateau la Borgnesse (1614-1689).
Sa réputation la précède dans le Tout-Paris : on sait Cateau fort laide, mais terriblement douée. Saint-Simon (1607-1693) la décrit ainsi : « créature de beaucoup d’esprit, d’une grande intrigue, fort audacieuse, qui eut le grappin sur la reine-mère, et qui était plus que galante… On lui attribue la première d’avoir déniaisé le roi à son profit ».
Après ce premier coup d’essai, Louis XIV ne voudra plus jamais s’arrêter.
En 1652
Face à la Fronde, Mazarin a l’idée de transformer le château de Vincennes en résidence de Cour bien protégée aux portes de Paris, Louis Le Vau (1612-1670) érigeant pour Louis XIV l’aile de la Reine en 1658 et l’aile du Roi en 1661. Cette place forte est également susceptible d’abriter ses riches collections qui ont été en partie pillées en 1651 pendant la Fronde.
La région parisienne est à nouveau ravagée, par les armées et par une épidémie de typhoïde répandue par les soldats, lors d’un été torride qui entraîne au moins 20 % de pertes dans la population. Son épuisement facilite le retour du Roi, acclamé dans un Paris soumis, puis bientôt, celui de Mazarin.
Lettre d’Anne à Jules Mazarin :
« Ce dimanche au soir
Ce porteur m’ayant assuré qu’il ira fort sûrement, je me suis résolue de vous envoyer ces papiers et vous dire que, pour votre retour, que vous me remettez, je n’ai garde de vous en rien mander, puisque vous savez bien que le service du roi m’est bien plus cher que ma propre satisfaction ; mais je ne puis m’empêcher de vous dire que je crois que, quand l’on a de l’amitié, la vue de ceux que l’on aime n’est pas désagréable, quand ce ne serait que pour quelques heures. J’ai bien peur que l’amitié de l’armée ne soit plus grande que toutes les autres. Tout cela ne m’empêchera pas de vous prier d’embrasser de ma part notre ancien ami et de croire que je serai toujours telle que je dois, quoi qu’il arrive. »
Le 26 janvier, Mazarin n’étant pas encore revenu, Anne lui écrit :
« Je ne sais plus quand je dois attendre votre retour, puisqu’il se présente tous les jours des obstacles pour l’empêcher. Tout ce que je vous puis dire est que je m’en ennuie fort et supporte ce retardement avec beaucoup d’impatience, et si 16 [Mazarin] savait tout ce que 15 [elle] souffre sur ce sujet, je suis assurée qu’il en serait touché. Je le suis si fort en ce moment que je n’ai pas la force d’écrire longtemps ni ne sais pas trop bien ce que je dis. J’ai reçu de vos lettres tous les jours presque, et sans cela je ne sais ce qui arrivera. Continuez à m’en écrire aussi souvent puisque vous me donnez du soulagement en l’état où je suis. J’ai fait ce que vous m’avez mandé touchant [signes indéchiffrables] […]. Au pis aller, vous n’aurez qu’à rejeter la faute du retardement sur 15 [elle], qui est un million de fois ǂ et jusques au dernier soupir. L’Enfant Ondedei vous mandera toutes choses. Adieu, je n’en puis plus et lui [Mazarin] sait bien de quoi. »
Deux jours plus tard, le 28 janvier, Anne écrit encore à Mazarin. Elle a reçu de lui quelques reproches voilés pour avoir, sur l’instance de Molé, annulé une mesure de bannissement à l’encontre de quatre mauvais esprits du Parlement. Aussi s’excuse-t-elle en ces termes :
« Votre lettre, que j’ai reçue du 24, m’a mis bien en peine, puisque 15 [elle] a fait une chose que vous ne souhaitiez pas… [Suivent de longues explications, après lesquelles la reine conclut :] Voilà comme l’affaire s’est passée véritablement et, si elle vous a déplu, vous pouvez croire que ce n’a pas été nullement à ce dessein-là, puisque 15 [elle] n’a ni n’est capable d’en avoir d’autres que ceux de plaire à 16 [lui] et lui témoigner qu’il n’y a rien au monde pareil à l’amitié que 22 [elle] a pour 16, et 15 [elle] ne sera point en repos qu’il ne sache que 16 n’a pas trouvé mauvais ce qu’il a fait, puisque non seulement, en effet, il ne voudrait pas lui déplaire, même seulement de la pensée, qui n’est employée guère à autre chose qu’à songer à la chose du monde qui est la plus chère à * qui est *. J’en dirais davantage si je ne craignais de vous importuner par une si longue lettre et, quoique je sois bien aise de vous écrire, je m’ennuie si fort que cela dure que je voudrais fort vous entretenir autrement. Je ne dis rien là-dessus, car j’aurais peur de ne pas parler trop raisonnablement sur ce sujet. »
Gaston d’Orléans ne voulant pas se positionner dans ce conflit, il envoie sa fille, Anne Marie Louise d’Orléans (1627-1693), dite la Grande Mademoiselle (en raison du titre de « Grand Monsieur » porté par son père), à sa place. Celle-ci, espérant pouvoir enfin briller aux yeux de son père qui l’a négligée toute sa vie, se précipite à Orléans avec ses deux « maréchales de camp », la comtesse de Fiesque (1619-1699) et la comtesse de Frontenac (1632-1707).
Le 27 mars 1652
La Grande Mademoiselle arrive dans la ville pour convaincre les autorités municipales de ne pas ouvrir les portes de la ville aux troupes royales, son discours est un échec, cette action d’éclat n’empêche pas l’avancée des armées de Turenne après la bataille de Bléneau.
Le 2 juillet 1652
Lors de la bataille du faubourg Saint-Antoine, Anne-Marie-Louise fait tirer le canon de la Bastille (avec l’accord de son père) sur les troupes royales pour sauver son cousin, le prince de Condé, pour qui elle nourrit également des projets matrimoniaux. Ces deux épisodes ruinent sa réputation et sa faveur : le Roi exile sa cousine en Bourgogne pour trois ans.
Le mercredi 3 juin 1654
Le Roi entre dans la ville de Reims , et sans aucune cérémonie selon son vœu, écouta des discours et s’en fut au Te Deum dans la cathédrale. Fait curieux, le siège archiépiscopal est vacant et c’est Simon Le Gras, évêque de Soissons et premier suffragant de la province, qui le remplace.
Le jeudi 4 juin 1654
Le jour du Corpus Christi ou Fête-Dieu a lieu une grande procession dans la ville. Le Roi, sa famille et les courtisans y sont évidemment présents.
Le vendredi 5 juin 1654
Visite royale à l’abbaye de Saint-Rémi où Louis XIV peut voir la sainte ampoule, puis il règle en conseil les détails du sacre.
Le samedi 6 juin 1654
Visite de l’église de Saint-Nicaise suivie de la messe, mais les vêpres sont à la cathédrale, et on voit pour la première fois le cadeau du Roi à l’église de Reims, qui est un chef de saint Remi en argent. Dès la fin de la cérémonie le capitaine des gardes du corps est maître de l’édifice. Toutes les grandes portes sont closes, une seule petite reste ouverte et contrôlée.
Le dimanche 7 juin 1654
Louis XIV est sacré à Reims.
C’est bien avant l’aube que l’église fut remplie des assistants et des protagonistes du drame installés. Le Roi a en effet voulu que toute la longue cérémonie soit finie avant le festin.
Vers cinq heures et demi
Les évêques comtes de Beauvais et de Chalons (sur Marne et maintenant en Champagne) s’en vont «réveiller» le Roi, réputé dormir au palais de l’archevêque, dit dut Tau depuis le XIIe siècle. La scène a lieu en présence de la Reine mère, Anne d’Autriche, de Mazarini dit habituellement Mazarin par les Français, d’importants dignitaires comme le maréchal d’Estrées faisant fonction de connétable, et le chancelier Séguier. S’organise alors une procession vers la cathédrale. Le Roi en camisole de satin violet ouverte aux endroits destinés aux onctions, recouverte d’une robe de chambre de toile d’argent, et coiffé d’une toque de velours noir emplumée, arrive ainsi escorté dans le cathédrale et se place au trône avec prie-Dieu situé dans l’axe et proche de l’autel, donc à la croisée du transept.
Pendant ce temps est sortie de Saint-Rémi une autre procession où le grand prieur de l’abbaye apportait, à cheval et sous un dais, la sainte ampoule tirée du tombeau du saint, escortée de ses quatre barons (MM. De Coislin, de Biron, de Richelieu et Mancini, neveu du cardinal Mazarin) accompagnés de leurs gentilshommes portant leurs guidons aux armes du Roi sur une face et aux leurs sur l’autre face ; des unités de la maison militaire les accompagnant.
Le Roi salue l’arrivée de la « relique » déposée sur l’autel, puis vient le moment des serments. Il s’agit de conserver aux gens d’Église leurs libertés et immunités, puis d’accorder au peuple, paix, justice et miséricorde, et enfin de régler les lois sur les commandements de Dieu et le droit naturel. Ce serment, dit du royaume, comporte l’élimination totale des hérésies dénoncées par l’Église sur les terres du Roi, ce qui ne veut pas dire exterminer les hérétiques, mais le Roi s’en souviendra en révoquant l’édit de Nantes en 1685. Suit le serment de chef et souverain grand maître de l’ordre du Saint-Esprit.
Le Roi, debout, entend les évêques de Laon et de Beauvais demander aux seigneurs et au peuple s’ils l’acceptent comme Roi. Un silence universel est pris pour approbation, le Roi s’assoit, et les mains sur les Saints Évangiles il prononce les dits serments.
Le Roi quitte sa robe de chambre et le duc de Joyeuse, grand chambellan, lui met les bottines de velours bleu fleurdelisé d’or. Philippe de France, Monsieur, frère du Roi, duc d’Anjou (et futur duc d’Orléans) tenant lieu de duc de Bourgogne, lui met un court moment aux pieds les éperons d’or apportés de Saint-Denis.
L’évêque de Soissons bénit l’épée de Charlemagne, dite Joyeuse, dans son fourreau, en ceint le Roi, la reprend, la tire du fourreau, la donne au Roi qui la tient haute, la baise, la pose sur l’autel où l’officiant la reprend et la donne encore au Roi à genoux, lequel la confie enfin au maréchal d’Estrées qui la tiendra tout le temps nue et la pointe en haut, agissant comme le connétable, charge qui n’existe plus depuis 1627.
Cette cérémonie fort longue, entassant prières sur prières, voit même le Roi à plat ventre comme un prêtre allant être ordonné, écoutant les longues litanies où de nombreux saints sont appelés à l’aide.
Le chœur chante Gentem Francorum inclitam. L’évêque de Soissons prépare alors les onctions en tirant par trois fois de la Sainte ampoule, et avec une aiguille d’or, quelques petits fragments du baume solidifié qu’il pose sur une patène, les mélangeant au saint chrême habituel. Avec cette pâte il oint en croix le Roi sur le front (coutume qui n’est pas autorisé par Rome mais qui est continuée en France et en Angleterre), puis sur la poitrine, le haut du dos, les deux épaules, et les jointures des bras, prononçant chaque fois « Ungo te in regem de oleo sanctificato, in nomine Patris +, et Filio +, et Spir + itus Sancti », tout ceci avec un chant évoquant l’onction du Roi Salomon.
[Je note au passage que s’il reste du mélange dans la patène on racle celle-ci et on remet le surplus dans l’ampoule.]
Le grand chambellan se fait apporter les vêtements posés sur l’autel. Il passe la tunique au Roi resté à genoux devant le prélat, puis la dalmatique et enfin le manteau. Ces vêtements sont dits violets alors que les tableaux de Louis XIV « en tenue de sacre » les montrent bleus, et bien entendu semés de fleurs de lis d’or brodées, le manteau lui-même doublé d’hermine.
Les dalmatiques, tunique, chausse et bottines de Louis XIV sont cependant foncées, tirant sur le violet dans les peintures de la Collection Gaignières montrées dans la pl. XI de La Symbolique royale française. Dans les comptes du sacre c’est la couleur violette qui est donnée.
Le prélat oin ensuite les psaumes des mains du Roi, ce qui fait neuf onctions en tout, puis donne les gants et enfin l’anneau signe de Foi, mais aussi de mariage avec le royaume. Le long sceptre orné de la statuette de saint Charlemagne trônant au-dessus d’un blanc de lis des jardins, et la verge à main d’ivoire dite main de justice, lui sont donnés par le prélat. Le chancelier monte à l’autel et, tourné vers la nef, appelle les pairs pour le couronnement.
Après quelques chicanes entre des prélats et la décision du Roi, les pairs clercs sont donc :
- L’archevêque dur de Reims (représenté par Simon Le Gras),
- L’évêque duc de Laon (représenté par Nicolas Choart de Buzeval, évêque de Beauvais)
- L’évêque duc de Langres (représenté par Félix Vialart, évêque de Châlons),
- L’évêque comte de Beauvais (représenté par Henri de Baradat, évêque de Noyon),
- L’évêque comte de Châlons (représenté par Anne de Lévis de Ventadour, archevêque de Bourges),
- L’évêque comte de Noyon (représenté par François de Harlay, archevêque de Rouen).
Les pairs laïcs sont :
- Le duc de Bourgogne (Monsieur, duc d’Anjou),
- Le duc de Normandie (César, duc de Vendôme, bâtard d’Henri IV),
- Le duc d’Aquitaine (Charles de Lorraine, duc d’Elbeuf) ;
- Le comte de Toulouse (Louis de Nogaret, duc de Candale),
- Le comte de Flandre (Artus Gouffier, duc de Roannais),
- Le comte de Champagne (Ambroise-François duc de Bournonville).
Évidemment pas de prince de Condé, traître passé aux Espagnols et nous faisant activement la guerre dans le Nord. Un autre grand absent de cette cérémonie fut Gaston, duc d’Orléans, oncle du Roi. Sa fameuse fille aînée est aussi absente.
Un cercle se forme autour du Roi à genoux et devenu invisible, le haut de son long sceptre (un mètre quatre-vingts environ) émergeant seul de cet ensemble. Cet ensemble est composé de clercs chapés et mitrés d’une part ; et d’autre part d’hommes coiffés de leur couronne de titre, duc ou comte, comblée d’un bonnet de satin violet, vêtus d’une robe de toile d’or et d’argent, recouverts de manteaux violets, fleurdelisées et herminés. La couronne du duc d’Anjou est plus ornée que celles des autres.
Le prélat pose la couronne dite de Charlemagne sur la tête du Roi, et les pairs y portent la main. La couronne est lourde et l’officiant dit à Louis XIV de bien l’enfoncer sur sa tête, et il répond : « Elle y tient bien, et avec l’aide de Dieu, elle n’en tombera jamais. » De belles prières s’envolent vers la foule et le ciel.
[Cette couronne dite de Charlemagne fut faite sous Philippe II Auguste comme couronne de la reine, lais celle du roi, toute pareille et plus lourde, faite en même temps qu’elle, fut détruite par la Ligue ayant besoin d’argent.]
Ainsi équipé et mené par l’officiant, le Roi monte en cortège au jubé artificiel, qu’on appelait autrefois échafaud, et il y trôna sous un dais fleurdelisé.
[Les dais sont importants. Celui de la croisée de la nef et du transept, où le Roi est oint et couronné, est tout aussi bleu et fleurdelisé d’or. C’est un ciel mystique quand on sait ce que signifie le semé de ces fleurs dans les armes de Louis VII, leur premier utilisateur.]
Louis XIV écoute l’évêque de Soissons crier trois fois « Vivat rex in aeternum », et reçoit l’hommage des pairs. L’émotion est alors à son comble. Le portes de la cathédrale ouvertes, le peuple entre, on cria : « Vive le Roi ! », des grands officiers de la Couronne distribuant des médailles d’or et d’argent relatives au sacre. Les canons tonnent au loin, les musiques des gardes françaises et suisses, ainsi que celles des bourgeois se mettant de la partie. Des centaines d’oiseaux sont lâchés et tourbillonnent dans la nef avant de prendre la sortie… Le Te Deum éclate.
Puis c’est la messe. Le Roi ôte sa couronne à l’Évangile et à l’élévation, accompagne les offrandes apportées par quatre chevaliers du Saint-Esprit en grande costume de l’Ordre. Il va se confesser sous un pavillon placé dans le chœur, communie couronne ôtée et sous les deux espèces, le vin dans le fameux calice dit de saint Remi. Le Roi est ensuite coiffé par l’officiant d’une couronne plus légère, archée et enrichie de diamants. Il porte cet insigne sur son trône élevé, archée et assister à la fin de la messe. Puis a lieu la procession de sortie. La couronne médiévale, fort lourde, est portée par les mains du maréchal de l’Hôpital, précédant le souverain, lequel fut suivi du maréchal faisant fonction de connétable avec l’épée haute. Suit encore le supérieur des bénédictins de Saint-Denis portant sur sa poitrine le fourreau de la dite épée, montrant ainsi qu’il va au Tau pour reprendre les insignes et récupérer les vêtements.
Cette cérémonie dure sans doute plus de cinq heures.
Au Palais du Tau le Roi abandonne sa tunique et ses gants qui, ayant touché les onctions, furent brûlés. La Reine veut que la camisole soit laissée à Saint-Denis. Louis XIV se rend alors dans la grande salle qui existe encore. Il porte un costume allégé : sans tunique ni dalmatique, ni même de bottines fleurdelisées, mais probablement avec un costume de chevalier novice du Saint-Esprit, qu’il est finalement, donc tout blanc, mais recouvert du manteau fleurdelisé et herminé. Le sceptre et la main de justice sont encore confiés aux maréchaux du Plessis Praslin et d’Aumont qui ont déjà officié lorsque le Roi a eu besoin d’avoir les mains libres. Le festin solennel de tradition voit Monsieur, frère du Roi, seul à manger avec lui, la table étant placée contre la grande cheminée, et elle est couverte des insignes royaux posés sur des coussins. Le maréchal remplaçant de connétable continue à porter son épée haute. Des princes, des ambassadeurs, des gens de la plus haute importance déjeunent à des tables séparées. Ils sont servis par des bourgeois notables de la ville. Le cardinal Antoine Barberin, évêque de Poitiers, grand aumônier de France, étant absent pour dire les prières, il est remplacé par le cardinal Jérôme Grimaldi qui était nonce du pape en France. La musique donne l’ambiance. La Reine avec des dames observe la scène d’une tribune. Les grâces sont rehaussées de musique.
Le soir le Roi donne à souper aux princesses.
Le sacre était prévu pour le 31 mai et c’est cette date qui figure sur les médailles frappées à cette occasion. Personne ne sait pourquoi la cérémonie est retardée, et le prélat consécrateur avoue dans son livre qu’il n’en sait rien.
Le lendemain, lundi 8 juin 1654
Une messe basse a lieu à Saint-Rémi où le Roi communie sous les deux espèces, et l’après-midi, dans la cathédrale, c’est la fête de l’ordre du Saint-Esprit après l’audition des vêpres. Cette fête a lieu en présence de la Reine, mais aussi des dynasties britanniques vivant en exil, Charles II n’ayant pu retrouver Londres qu’en 1660. Sont donc présents la Reine de Grande-Bretagne (Henriette, fille d’Henri IV et veuve de Charles Ier), de ses fils les ducs d’York – futur Jacques II – et de Gloucester. Figurent encore la princesse de Conti, nièce de Mazarin. Le Roi chef et souverain, grand maître de l’Ordre, signe le serment voulu, reçoit des mains de l’évêque de Soissons le cordon bleu, puis des mains des grands officiers de l’Ordre le manteau, le collier, le dizain, le livre de prières, puis est enfin installé en tant que tel. Le Roi en profite pour recevoir immédiatement le chevalier des Ordres, son frère Philippe, duc d’Anjou, qui porte lui aussi le cordon depuis son ondoiement. Il n’y a pas eu de réception depuis celle du prince de Monaco par Louis XIII du côté de Perpignan en 1633, et il faut attendre 1661 pour qu’enfin ait lieu une grande promotion dans l’Ordre. Mais en 1653 le jeune Roi a nommé, bien que non sacré, le cardinal Antoine Barberin comme commandeur du seul d’ordre du Saint-Esprit, office lié à la grande aumônerie de France.
Le mardi 9 juin 1654
Le Roi écoute la messe à Saint-Rémi et, dans le parc de l’abbaye, il touche les écrouelles, autrement dit les malades de la tuberculose des ganglions du cou. Ces malades sont plus de 2500 à genoux. Un officier leur tient la tête et un autre les deux mains. Le Roi étant debout, orné du collier du Saint-Esprit, et probablement en manteau de l’Ordre, trace sur la tête du scrofuleux une croix en lui disant : « Le Roi te touche, Dieu te guérit. Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit », et on lui donne une pièce de monnaie. Besogne pénible, les malades ayant parfois des plaies suintantes et malodorantes. On admire ce Roi qui se comporte avec gentillesse, car il fait fort chaud et l’affaire dure longtemps. Louis XIV ne se repose que deux fois pour avaler un verre d’eau. Le Roi touchera durant tout son règne.
Le même mardi, les religieux de Saint-Denis repartent en leur carrosse, emportant les insignes, les vêtements neufs, et les deux couronnes archées faites la même année.
En 1658
Nièce de Mazarin qui l’a faite venir de Rome à la cour de France, Marie Mancini (1639-1715) est réputée pour avoir été le premier véritable amour du jeune Louis XIV.
La mode des perruques
Louis XIV avait de très beaux cheveux mais il tomba malade alors qu’il se trouvait à Calais, il sera traité pendant deux mois pour le typhus, par des médecins qui le soignent par ingestion d’antimoine et autres médicaments qui ont raison de la maladie puisqu’il guérit miraculeusement mais en y laissant ses cheveux car deviendra chauve à vingt ans. Il dut se résoudre à porter une perruque. Néanmoins, il refusa qu’on lui coupe les cheveux entièrement. Des fenêtres pratiquées dans les perruques permettaient de mêler les vrais des faux cheveux sans qu’il n’y paraisse. Monsieur Binet, perruquier du roi en créa de si extravagantes que naquit expression «avoir une drôle de binette !».«Vous avez une bien jolie binette !» Disait-on lorsqu’on voulait complimenter quelqu’un sur la beauté de sa perruque. En peu de temps, les perruques s’établirent sur toutes les têtes.« Louis XIV et sa cour en portaient qui pesaient plusieurs livres, et coûtaient plus de mille écus; les tresses descendaient sur les hanches, et le toupet dominait sur le front à une hauteur de cinq à six pouces ».Les perruquiers avaient des escouades de coupeurs de cheveux qui sillonnaient les provinces, de préférence les cheveux des femmes des campagnes ou des villages car ils étaient protégés par un bonnet à l’inverse des femmes des villes. Les plus estimés venaient du Nord, des Flandres étant de meilleure qualité.« Je prélèverais toutes les têtes du royaume pour parer celle de sa majesté » disait Binet.
En juillet 1658
Après le siège de Dunkerque, Louis XIV tombe gravement malade et Marie, pensant que la fin est proche, manifeste l’intérêt qu’elle a pour lui en versant des larmes qui ont fait date dans l’Histoire. Ce sont ses pleurs qui attirent sur elle l’attention du jeune Roi, attention qu’elle conserve ensuite par son esprit et sa culture, littéraire notamment. En effet, alors que Marie venait à peine de s’attirer l’attention du Roi par son esprit brillant, elle apprend qu’il peut mourir d’une minute à l’autre. Elle qui avait tout misé sur l’amour de Louis, effleurant même le projet de monter un jour sur le trône de France, voit ses aspirations se dissiper. Si elle était devenue reine, quelle revanche aurait-elle prise sur ses sœurs, sur son oncle, le cardinal Mazarin, et sur toute la Cour qui ne la prend pas au sérieux.
La Reine Anne d’Autriche, et le Cardinal Jules Mazarin s’opposent à une éventuelle union des deux jeunes gens, qui représenterait une mésalliance inacceptable.
C’est la même raison que son père qui décide Louis XIV à coiffer la perruque. En juillet 1658, le jeune souverain, âgé de presque vingt ans, inspecte ses troupes en guerre contre les Pays-Bas espagnols cantonnées à Calais. Il contracte la fièvre. Un temps donné pour mort, il finit par se remettre, mais doit dire adieu à ses belles boucles brunes, héritées de son père et emportées par la maladie. Qu’à cela ne tienne, il portera la perruque !
Au début, le souverain ne revêt que des « perruques à fenêtres », c’est à dire des perruques laissant passer des mèches de ses véritables cheveux. Il se plaint constamment de cette calotte peut hygiénique, malsaine, nid de vermine, qui le fait transpirer. Mais à partir de 1673, il portera la perruque complète. C’est que de sensibles progrès ont été réalisés !
Le 7 novembre 1659
Signature du traité des Pyrénées qui stipule une paix conclue entre la couronne d’Espagne et la France à l’issue de la guerre franco-espagnole, commencée en 1635 dans le cadre de la guerre de Trente Ans (1618-1648), et ayant continué durant la Fronde. Cela se conclue avec :
Le 6 juin 1660
Louis XIV épouse sa cousine doublement germaine, Marie-Thérèse d’Autriche (1638-1683), infante d’Espagne. Son père, Philippe IV d’Espagne (1605-1665), est le frère d’Anne d’Autriche, sa mère, Elisabeth de France (1602-1644), était la sœur de Louis XIII. Le mariage se déroule le 9 juin en l’église Saint-Jean-Baptiste à Saint-Jean-de-Luz, dont les travaux d’agrandissement en cours sont masqués par de larges tentures. L’acte et le tableau célèbrent la paix retrouvée entre les deux plus grandes monarchies catholiques d’Europe.
Le 26 août 1660
Louis XIV et de Marie-Thérèse font leur entrée à Paris.
À son mariage, Marie-Thérèse ne parle pas un mot de français mais elle introduit à la Cour de France le chocolat et la première orange. Par la suite, bien qu’elle gardera toute sa vie un fort accent espagnol, la Reine Marie-Thérèse comprendra très bien le français et en saisira toutes les subtilités. À son arrivée au Louvre, sa belle-mère et tante Anne d’Autriche la prend sous sa protection.
Anne tente de lui enseigner le « métier » de Reine, mais Marie-Thérèse ne se montrera jamais réellement à la hauteur. La princesse n’est pas une femme des mondanités. Elle n’a pas les capacités requises, et les représentations publiques ne sont pour elle que des occasions de laisser paraître sa gaucherie. Anne d’Autriche ne voit plus en sa bru que la femme devant lui donner des petits-enfants. Marie-Thérèse prend Anne comme modèle et cultivera sa ressemblance avec elle ainsi que le montrent ses portraits.
Le 9 mars 1661
Mort du cardinal Mazarin au château de Vincennes, dans un petit appartement aménagé provisoirement au rez-de-chaussée du pavillon du Roi. Dans ses derniers jours, il parcourait ses collections (achetées ou volées dans plusieurs pays européens) en disant: «dire qu’il va falloir quitter tout cela»
« Dieu merci, il est crevé. »
Hortense Mancini (1646-1699), Mémoires (posthume)
C’est le cri du cœur de la famille à la nouvelle de la mort du cardinal Mazarin, leur oncle. La belle et spirituelle mazarinette ajoute :
« À vrai dire, je n’en fus guère plus affligée ; et c’est une chose remarquable qu’un homme de ce mérite, après avoir travaillé toute sa vie pour élever et enrichir sa famille, n’en ait reçu que des marques d’aversion, même après sa mort. »
Le règne personnel de Louis XIV commence alors.
À la mort de Mazarin, Louis XIV se réapproprie les prérogatives royales et décide de gouverner sans premier ministre. Au conseil d’en-haut, se prennent les décisions importantes avec les ministres – le contrôleur général des finances, le secrétaire d’État de la Guerre, le secrétaire d’État des Affaires étrangères. L’administration proprement dite dépend des quatre secrétaires d’État. Le chancelier scelle les ordres du Roi. Dans la première partie du règne, la famille Colbert et la famille Le Tellier se partagent les plus hautes fonctions.
Le 31 mars 1661
Son second fils, Philippe d’Orléans épouse sa cousine, Henriette d’Angleterre (1644-1670). Cette union est une des premières grandes décisions du Roi-Soleil.
Ce mariage est important : il fallait en effet marier Monsieur, dont les penchants homosexuels très déclarés créaient quelques désordres à la Cour de France. Mais il fallait lui trouver une épouse d’un rang élevé, impérativement de sang royal. Par ailleurs, ce mariage avait un intérêt diplomatique : il renforçait les liens entre la France et l’Angleterre, entre la maison des Bourbons et celle des Stuart récemment remontée sur son trône.
À partir de son mariage, Henriette porte le titre de « Madame », qui était dévolu à l’épouse de « Monsieur ». A seize ans, elle était avec la Reine et la Reine-mère, une des trois femmes les plus importantes de la Cour, c’est-à-dire de la France, le pays le plus puissant d’Europe. Le couple aura cinq enfants, car Monsieur, d’un naturel jaloux et par peur de devoir endosser une paternité illégitime, consentait quelquefois à délaisser ses amants pour faire un enfant à Henriette : seules survivent l’aînée, Marie-Louise d’Orléans ( 1662-1689 ), future Reine d’Espagne et des Indes en épousant en 1679 Charles II de Habsbourg (1661-1700) et la dernière, Anne-Marie d’Orléans (1669-1728), future Reine de Sardaigne, par son mariage en 1684 avec Victor-Amédée II de Savoie… elle est la grand-mère maternelle de Louis XV.
Ayant surmonté ces obstacles, Anne d’Autriche a la satisfaction de voir son fils assumer le gouvernement du royaume avec un professionnalisme sans égal. Elle n’a à lui reprocher que ses écarts de conduite, elle-même se réfugiant dans la religion. Contre Molière et son Tartuffe, elle anime à la cour le « parti des dévots ».
En 1661
Après le décès de Mazarin, Anne d’Autriche s’affirme comme le principal soutien de la Compagnie du Saint-Sacrement, et se retire régulièrement dans l’abbaye du Val-de-Grâce, bien que toujours tenue en vénération par son fils.
De plus, Anne, contrairement à sa belle-mère envers Louis XIII, n’accapare pas le pouvoir. Lorsque son fils devient un homme, elle lui laisse l’entière responsabilité des affaires, avec l’aide de Mazarin. Elle n’avait plus le goût de la politique, et Louis XIV la remercie pour avoir su se retirer au bon moment.
Le 1er novembre 1661
La Reine Marie-Thérèse donne naissance à son premier enfant, le Dauphin Louis (1661-1711).
Le 18 novembre 1662
La Reine Marie-Thérèse accouche d’une fille, Anne-Elisabeth de France, qui meurt le 30 décembre suivant.
Le 16 novembre 1664
Marie-Thérèse accouche d’une fille, Marie-Anne de France, qui meurt le 26 décembre suivant.
Pourtant, elle continue à se préoccuper des mœurs de son fils aîné, et de la rapidité avec laquelle il délaisse son épouse. Il s’ensuit de grandes querelles entre Anne et Louis. Parfois, de moins en moins consultée, elle souffre également d’être peu écoutée par le Roi. Cet éloignement est plus du fait d’un « fossé des générations », que d’un manque d’affection. Louis XIV dans la force de sa jeunesse, en dehors des affaires, ne pense qu’aux fêtes et aux plaisirs de toutes sortes, charnels, danse, théâtre… Tandis qu’Anne sentant sa fin arriver devient très pieuse. Elle aime aussi s’amuser, écouter la musique, apprécie la comédie (quand celle-ci n’entre pas en conflit avec la religion) et protège les arts. Malgré les brouilles, les liens entre Anne et ses deux fils sont toujours solides.
Anne, qui a toujours joui d’une bonne santé, est atteinte d’un cancer du sein à soixante-quatre ans.
Le 20 janvier 1666
Anne d’Autriche s’éteint au Louvre, à soixante-cinq ans ans.
Le Roi, qui attendait dans l’antichambre pendant l’agonie de sa mère, s’évanouit en l’apprenant.
Alors qu’un conseiller tente de réconforter Louis XIV en lui disant « Ce fut une grande Reine ! », Louis répond solennellement :
« Non monsieur, plus qu’une grande Reine, elle fut un grand Roi ».
Le bassin de Latone
De 1668 à 1670, un premier bassin de Latone apparaît ; Latone est alors au même niveau que les autres figures et tournée vers le château de Versailles. De 1687 à 1689, Jules Hardouin-Mansart crée le bassin actuel, en faisant faire un demi-tour à Latone et en la hissant au sommet d’une pyramide de marbre. L’histoire du bassin de Latone prend sa source avant Louis XIV, sous le règne de Louis XIII, lorsque celui-ci fait creuser un bassin de forme ovale dans le jardin de son petit pavillon de chasse.
Latone, mère d’Apollon, représenterait Anne d’Autriche
Sources :
- BERTIERE, Simone, Les Reines de France au temps des Bourbons, tome 1 : Les deux régentes, éditions de Fallois, Paris, 1996, 543 p. + 16 p. de planches illustrées
- BERTIERE, Simone, Les Reines de France au temps des Bourbons, tome 2 : Les femmes du Roi-Soleil, éditions de Fallois, Paris, 1998, 527 p. + 16 p. de planches illustrées
- BERTIERE, Simone, Mazarin, le maître du jeu, éditions de Fallois, Paris, 2007, 697 p. + 24 p. de planches illustrées
- CORAILLON Cédric, Les deux morts de Louis XIII
- CORTEQUISSE Bruno, Madame Louis XIV, éditions Perrin, Paris, 1992, 193 p. 2-ISBN 262-00876-0
- KLEINMAN, Ruth (trad. Ania Ciechanowska), Anne d’Autriche [« Ann of Austria, Queen of France »], Fayard, Paris, 1993, 605 p.
- LA VARENDE, Jean de, Anne d’Autriche, Paris, Flammarion, coll. « Visage de l’Histoire », 1938.
- PETITFILS, Jean-Christian, Louis XIII, Perrin, Paris
- PETITFILS, Jean-Christian, Louis XIV, Perrin, Paris, 2002, 775 p.
- PINOTEAU, Hervé , de l’Académie internationale d’Héraldique, Vice-président de la Société des amis du Musée national de la Légion d’honneur et des ordres de chevalerie, Le sacre de Louis XIV