Une journée de Marie-Antoinette à Versailles

Charlotte de Turckheim est Marie-Antoinette dans Jefferson à Paris (1995) de James Ivory

Sommaire :

  • Le réveil de la Reine
  • Le bain
  • La salle-de-bain de Marie-Antoinette
  • Le négligé du matin
  • Le petit déjeuner
  • Les petites entrées
  • Le lever de la Reine
  • La préparation de l’habillement : le grand négligé du matin
  • La toilette privée
  • Les robes et accessoires choisis pour la journée
  • Les grandes entrées
  • La toilette de présentation
  • L’habillement de la Reine
  • Les présentations
  • Le cortège royal pour la messe
  • La messe
  • L’antichambre du Grand Couvert : le dîner ou le Petit Couvert
  • Le cabinet de la Méridienne
  • Le cabinet doré
  • Le cabinet des bains du soir
  • Le dîner chez la comtesse de Provence
  • Promenades sur la terrasse du château
  • Le Jeu de la Reine : le salon de la Paix
  • Le coucher de la Reine
  • Le passage secret de Louis XVI

Le 12 juillet 1770

Marie-Antoinette, alors jeune Dauphine depuis le mois de mai précédent, conte à Sa mère, Marie-Thérèse, le déroulement de Ses journées :

 

« (…) je me lève à dix heures, ou à neuf heures, ou à neuf heures et demie, et, m’ayant habillée, je dis mes prières du matin, ensuite je déjeune, et de là je vais chez mes tantes, où je trouve ordinairement le roi. Cela dure jusqu’à dix heures et demie ; ensuite à onze heures, je vais me coiffer. (…) A midi est la messe : si le roi est à Versailles, je vais avec lui et mon mari et mes tantes à la messe ; s’il n’y est pas, je vais seule avec Monseigneur le Dauphin, mais toujours à la même heure. Après la messe, nous dînons à nous deux devant tout le monde, mais cela est fini à une heure et demie, car nous mangeons fort vite tous les deux. De là je vais chez Monseigneur le Dauphin, et s’il a affaires, je reviens chez moi, je lis, j’écris ou je travaille, car je fais une veste pour le roi, qui n’avance guère, mais j’espère qu’avec la grâce de Dieu elle sera finie dans quelques années. A trois heures je vais encore chez mes tantes où le roi vient à cette heure-là ; à quatre heures vient l’abbé (de Vermond) chez moi, à cinq heures tous les jours le maître de clavecin ou à chanter jusqu’à six heures. A six heures et demie je vais presque toujours chez mes tantes (…) A sept heures on joue jusqu’à neuf heures (…) A neuf heures nous soupons, (…) nous allons nous coucher à onze heures. Voilà toute notre journée.»

Marie-Antoinette            

Image du Versailles secret de Marie-Antoinette de Sylvie Faiveley et Mark Daniels (2018)
La Dauphine (Pauline Pollmann) dans Jeanne du Barry (2023) de Maïwenn

L’Etiquette réserve donc un emploi du temps à la fois strict et rébarbatif pour cette jeune fille de quatorze ans et demi. Une fois devenue Reine, Marie-Antoinette sera d’autant plus enfermée dans le carcan de cette Etiquette désirée par le Roi Henri III (1551-1589), mais poussée à l’extrême par Louis XIV (1638-1715) pour mieux diriger la Cour (qu’il redoute depuis la Fronde, dans son enfance) : il assuma donc de se mettre en scène de son lever à son coucher. Louis XV en a atténué la rigueur et Louis XVI va dans sa lignée, mais cette Etiquette participe au prestige de la personne royale. Il est à noter que sous le Roi Soleil, on se changeait plusieurs fois par jours par mesure d’hygiène, la leur n’étant pas formidable. Les habitudes de changements de tenues persistent alors que depuis Louis XV Versailles dispose de salles-de-bain.

Marie-Thérèse d’Autriche défend cette Etiquette que combattra sa fille :       

« Il faut rester à sa place, savoir jouer son rôle ; par là on se met soi et tout le monde à son aise. Toutes les complaisances et attentions pour vous, mais point de familiarité, ni jouer la commère ; vous éviterez par là les tracasseries.»

Marie-Thérèse à Marie-Antoinette, le 16 juillet 1774

Le réveil de la Reine

La première femme de chambre couche dans une chambre entresolée au-dessus du supplément de bibliothèque. Elle n’est là que pour l’Étiquette. Elle n’a presque nulle fonction pendant les toilettes, hormis la garde de l’écrin des bijoux et la direction les autres femmes. Elle remplace la dame d’honneur pendant les présentations subalternes faites pendant l’heure de la toilette.

Chambre de la Reine dans la pénombre

Le feutier allume le feu ou attise les flammes de la cheminée. Les garçons de la chambre ouvrent doucement les volets et rangent la pièce impeccablement. Ils ôtent la collation de la nuit dite « en-cas » à laquelle la Reine ne touche jamais.

Vers huit heures

La Reine se lève à l’heure qu’Elle a marquée le soir avant de se coucher.

Marie Antoinette se lève, généralement, entre huit et dix heures du matin. Son réveil est donc fort variable. Se couchant tard au début de son règne, Elle se lève tard le matin. La femme de garde-robe ouvre les rideaux, la première femme de chambre présente à la Reine un livre avec des échantillons des robes et Marie-Antoinette marquait avec des épingles les robes qu’Elle désire porter.

Marie Antoinette se lève, généralement, entre huit et dix heures du matin. Son réveil est donc fort variable. Se couchant tard au début de son règne, Elle se lève tard le matin. La femme de garde-robe ouvre les rideaux, la première femme de chambre présente à la Reine un livre avec des échantillons des robes et Marie-Antoinette marquait avec des épingles les robes qu’Elle désire porter.

 

 

En présence de la dame d’honneur, la dame d’atours présente un habit de jour et le rituel quotidien, haï par la reine, commence.

Judy Davis incarne la comtesse de Noailles dans Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola

 

 

Plus réglée avec les années, Marie-Antoinette se lève ensuite à huit heures.

Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola
Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola

La femme de garde-robe apporte une corbeille couverte, appelé « le prêt du jour », contenant chemise de baignoire, charlotte pour protéger les cheveux dans le bain, mouchoirs, frottoirs etc.

Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola

« La reine se levait, la femme de garde-robe était admise pour enlever les oreillers, et mettre le lit en état d’être fait par des valets de chambre. Elle en tirait les rideaux, et le lit n’était ordinairement fait que lorsque la reine allait à la messe. Cette femme avait de même été introduite, au premier réveil, pour enlever les tables de nuit, et remplir toutes les fonctions de sa place.»

Madame Campan     

 

Au début du règne on roule dans la chambre royale une baignoire en sabot, en 1782, Marie-Antoinette disposera de Sa salle-de-bains au rez-de-chaussée.

 

La baignoire en cuivre étamé des années 1780, agrémentée d'une paire de robinets
Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola

La première femme de chambre de la Reine se tient, dans la journée, prête aux ordres, dans une chambre de veille contiguë à la chambre à coucher et à l’antichambre de l’Œil-de-Bœuf.

Pour la nuit, Marie-Antoinette porte un corset à crevées de rubans, des manches de dentelles et un grand fichu. Ses femmes de chambres entrent chez la Reine à cette heure là. Elle dispose de douze femmes «ordinaires» servant par roulement : trois équipes de quatre, dont deux sont de service chaque jour pour vingt-quatre heures pendant une semaine. Elles ont des avantages en nature : à chaque réforme de la «garde-robe des atours », elles ont le droit de « s’emparer » des robes négligées.

À huit heures et quart

Le bain

Marie-Antoinette prend plusieurs bains par semaine mais pas tous les jours. Ce qui est déjà une grande avancée hygiénique par rapport à la toilette sèche traditionnelle.

Raphaëlle Agogué est Marie-Antoinette dans Louis XVI, l'Homme qui ne voulait pas être Roi (2011) de Thierry Binisti

Quand Elle ne se baigne pas entièrement, Elle se contente de bains de pieds. C’est la femme de garde-robe qui se charge de ces ablutions partielles.

Marie-Antoinette à Sa toilette par Benjamin Warlop
Marie-Antoinette par Adolf Wertmüller, vers 1785-1788

 

À huit heures et demie

Le négligé du matin

« A la sortie du bain, la Reine s’habille. Une femme de chambre s’agenouille et Lui passe une seconde paire de bas . Tous les vêtements et le linge, sont présentés par la femme de garde- robe des atours aux femmes de chambre. On L’habille ensuite du « grand négligé du matin » : les femmes de chambre La revêtent de la seconde «chemise du jour », faite de batiste ou de linon et ornée de dentelle, puis d’un jupon ou plusieurs selon la saison et le type de la robe d’intérieur et enfin d’un manteau de lit et d’un négligé de taffetas blanc qui fait office de peignoir.»

Henriette Campan    

« La lingerie de la Reine, contiguë aux salles des Atours renferme le linge du « négligé » : des chemises de mousseline, de toile de Hollande, de batiste ou de percale. La chemise, le plus ordinairement, est brodée au bas, garnie à la gorge et aux manches, de dentelles de Valenciennes, de Malines. La Reine se fournit chez les meilleurs marchands lingers de Paris. La Reine en a un bon nombre : rien d’étonnant à cela quand on sait qu’Elle en change plus de cinq fois par jour ainsi que de tout le linge. C’est à peine si elles suffisent…
On Lui chausse des bas de soie, d’ordinaire blancs, « extra fins, à jours de dentelles ; et riche de broderie ». Elle a dans Sa garde robe plus d’une centaine de paires. Il y a tout un assortiment, de qualités différentes : bas de coton blancs le plus souvent, bas de soie blanche brodée, bas noirs pour le demi-deuil.»

Henriette Campan    

Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola
Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola

« Les souliers, pour la matinée, sont le plus souvent de peau de couleur ou en étoffe : taffetas ou satin. Chaussée, Marie Antoinette passe un « corps ». Comme toutes les dames de son temps, la lingerie de la Reine conserve toute une collection de corps à baleine ordinaires de percale doublée de dentelles, de basin doublé de percale, de satin blanc doublé de taffetas. La dame d’atours a sous ses ordres un tailleur « pour les corps » qui fournit exclusivement la lingerie de la souveraine. Avec le corps, un simple jupon d’étoffe, de petit basin rayé garni d’un ou plusieurs rangs de dentelles ou d’un petit volant de mousseline brodée. L’hiver, quelquefois on Lui met des jupons de tricot de coton bordé de dentelles. Mais c’est une exception : on en trouve seulement six dans les placards des Atours. Rien d’autre ensuite : la Reine n’a dans Sa garde robe absolument point d’autres linges hormis des pantalons de soie de couleur ou de peau de daim pour monter à cheval. Elle endosse enfin un peignoir dit « manteau de lit » de percale, de mousseline, de petit basin ou de taffetas. La lingerie en possède à l’infini de toutes formes, de toutes broderies, et toutes garnitures. On Lui endosse enfin la « robe négligée » – que la Reine a sélectionnée la veille au soir à son coucher . Ces négligés sont fournis par les marchands ordinaires de soieries. Cette tenue pratique permet un accès facile partout, y compris dans les petites pièces, les escaliers dérobés ou les cabinets intérieurs, là les grands paniers ne peuvent pas passer à cause de leur circonférence. C’est une robe ample souple, battante et volante avec une veste d’intérieur. Au début de Son règne, la Reine le porte sur un petit panier dit de « considération ».»

Henriette Campan    

La salle de bain attenante à l’appartement du premier étage, aménagée sous Marie Leszczyńska (1703-1768), puis légèrement modifiée par Marie-Antoinette, n’a pas non plus été très souvent utilisée de par son étroitesse. C’est plus un lieu de stockage des différents éléments de Sa Toilette.

La Reine est coiffée d’une charlotte de coton afin de ne pas abîmer Sa chevelure.

Images de Marie-Antoinette, Reine d’un seul amour (1989) de Caroline Huppert
Images de Marie-Antoinette de Sofia Coppola

Marie-Antoinette dispose de tout ce qui se fait de mieux et de plus beau pour sa toilette. Elle a des objets d’orfèvrerie, de porcelaine des plus raffinés et les fait répliquer pour chacune de Ses résidences.

À neuf heures moins le quart

Marie-Antoinette retourne ensuite au lit comme le prescrivent alors les médecins. Elle en profite pour prendre un livre (le plus souvent une pièce de théâtre pour répéter un rôle), travailler à son ouvrage et prendre son petit déjeuner. Aucune princesse ne lit à proprement parler : elle dispose d’une lectrice, rôle que tient Henriette Campan (1752-1822) auprès de Mesdames de France, en plus de son service auprès de la Reine.

Marie-Antoinette pour son « petit déjeuner » (mais que l’on n’appelle pas encore ainsi) a l’habitude de prendre une tasse de chocolat ou de café, accompagnée de petits pains à la viennoise qui ressemble à un croissant ou une brioche ou d’un pain de seigle, et de crème double. Parfois, Elle prend du lait d’ânesse, de vache avec de l’eau d’orge, du petit-lait avec décoctions de laitue pour se fortifier. Elle dispose d’un service complet en porcelaine de Sèvres à son chiffre, orné de myosotis. Marie-Antoinette peut prendre son petit déjeuner au lit ou debout devant son canapé à une petite table volante.
                                                                     Aux dires de madame Campan, ce premier repas de la journée est celui que la souveraine préfère.

Image de La Guerre des Trônes (2022) de Vanessa Pontet et Eric Le Roux
Le petit déjeuner dans Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola
Isabelle Guiard est Marie-Antoinette dans La Comtesse de Charny (1989) de Marion Sarraut

 

 

Car très vite pénètrent dans la chambre les Petites Entrées.

La salle-de-bain de la Reine au rez-de-chaussée
Image de La Guerre des Trônes (2022) de Vanessa Pontet et Eric Le Roux

Dans le langage des courtisans, on dit alors qu’« il fait petit jour chez la Reine ».

Elle dispose d’un court moment de répit avant Sa véritable vie de représentation…

Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola

Voir cet article pour plus de détails :

À neuf heures

Les Petites Entrées

A neuf heures arrivent une douzaine de personnes, ayant toutes le droit de voir Sa Majesté à Son Lever.

Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola

La Faculté

En premier entrent Son premier médecin, le docteur Lassone depuis son arrivée en France, suivi du médecin ordinaire, le docteur Malouin. Le premier chirurgien, monsieur Chavignat (ou Chavignac) et le chirurgien ordinaire monsieur Léger père les accompagnent.

Le Docteur Lassone attend dans le salon des Nobles d'être reçu par la Reine par Benjamin Warlop

À neuf heures et demie

Vient alors Son secrétaire de cabinet, monsieur Campan (1722-1792), beau-père de la mémorialiste, qui est lui aussi un confident très important de la Reine, néanmoins rival de l’abbé de Vermond.

À dix heures moins le quart

Viennent ensuite les membres de la Maison du Roi ayant droit aux Petites Entrées chez la Reine, puis les charges d’honneur féminines de la Maison de la Reine : Sa surintendante, la princesse de Lamballe (1749-1792) et Ses dames d’honneur. Ces trois dames assistent aux Petites Entrées. En fonction de leur rang et de leur présence, c’est l’une d’elles qui apporte le plateau du petit déjeuner à la Reine dans Son lit ou sur Sa petite table. Le plus souvent, il s’agit de la princesse de Lamballe.

Ils vérifient évidemment l’état de santé de leur royale patiente.

À neuf heures et vingt minutes

Le lecteur et le secrétaire de cabinet

D’autres messieurs appartenant à la Maison de la Reine peuvent entrer à ce moment. Nous retrouvons Son lecteur, l’abbé de Vermond (1735-1806), Son ancien précepteur à Vienne qui jusqu’à son émigration durant l’été 1789, aura une grande influence sur Elle.

L'abbé de Vermond par Benjamin Warlop
Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola

Toutes ces personnes tiennent à ce moment d’intimité avec la souveraine car le plus privilégié pour Lui faire sa cour, Lui demander des grâces ou Lui donner conseils. Ces dames de très haut rang ont droit de s’asseoir en présence de la Reine et les valets de la chambre leur préparent leurs pliants. Leur visite doit, semble-t-il, ne pas dépasser une demi-heure environ car très vite Marie-Antoinette doit se consacrer à Son habillement et à Sa toilette privée.

À dix heures

La préparation de l’habillement

Le prêt du jour et le grand négligé du matin

La Femme de Garde-Robe, pour la partie du linge, apporte une corbeille couverte contenant plusieurs chemises, , des mouchoirs, des frottoirs. Cette corbeille du matin s’appelle le prêt du jour. C’est le linge de corps, chemises, mouchoirs et autres utiles pour la journée. S’y trouve également le grand négligé du matin. Jusque-là en chemise et bas, la Reine revêt une deuxième chemise de batiste ou linon et un ou plusieurs jupons selon la saison. Par-dessus, un manteau de lit et un négligé de taffetas blanc Lui font office de peignoir.

Tableau de Heinrich Lossow

On Lui remet également de riches bas de soie blanche ornés. Le prêt du jour est du ressort de la Dame d’Honneur, le linge ne concernant point la Dame d’Atours. Les Femmes de Chambre de la Reine n’ont pas à s’en occuper, ni à plier, ni à ranger. Les souliers du matin sont de taffetas ou de satin. Marie-Antoinette en commande plus d’une centaine par an. Leur grande fragilité explique leur renouvellement régulier.

Marie-Antoinette en a une infinie quantité et des plus raffinés.

Chaussures de Marie Antoinette (2006) de Sofia Coppola, spécialement créées par le créateur espagnol Manolo Blahnik pour le cinéma

Une fois chaussée, le corps Lui est passé. Cette fois-ci, cet objet est du domaine de la dame d’atours.
Elle revêt ensuite Son grand négligé de soierie. Ce vêtement d’intérieur permet à la Reine de se déplacer facilement dans tout Son appartement, les escaliers et les corridors. Seulement durant les premières années du règne, le négligé est enfilé sur un petit panier, dit de considération.

À dix heures et vingt minutes

La toilette privée

       La coiffeuse de la Reine par Riesener

 

Dans Son cabinet de toilette du premier étage, Marie-Antoinette passe à Sa petite toilette de vermeil. Dans Ses autres résidences, pour Sa grande chambre ou Sa salle-de-bain du rez-de-chaussée, Marie-Antoinette dispose d’autres tables de toilette. Nous conservons aujourd’hui l’une d’elles, Sa coiffeuse conçue par Riesener  destinée à l’origine à son appartement des Tuileries lors de ses sorties parisiennes et aujourd’hui exposée dans la salle-de-bain du rez-de-chaussée du château de Versailles.

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Images des Liaisons Dangereuses (1989) de Stephen Frears

C’est devant l’une de ces tables, intitulées bonheurs du jour, et en général devant la petite de vermeil que la Reine s’apprête à proprement parler, assistée des deux Femmes de Chambre encore de service jusqu’à midi et dirigées par la Première. On ne dit pas alors « se maquiller » mais se farder. La première étape est l’application d’une lotion avant de passer le blanc. Très astringent, car mêlé de céruse, il permet, à l’instar de notre fond de teint moderne, de cacher tous les défauts du visage. Il fait également ressortir le rouge et les mouches. Le rouge est une obligation de Cour et chaque occasion a sa nuance. Très populaire encore dans les années 1780, les femmes peuvent difficilement s’en passer, malgré là encore les avertissements médicaux. Il rehausse leur teint, placé en haut des pommettes, il met en valeur leurs yeux. Très à la mode au XVIIe siècle et sous Louis XV, les mouches ne sont plus en faveur à l’époque de Marie-Antoinette qui n’en a certainement pas fait usage très longtemps.

Marie-Antoinette choisit Son parfum pour la matinée. Ses gants choisis pour la journée le sont également et la Reine dispose de plusieurs fragrances, comme de plusieurs parfumeurs (Élisabeth de Feydeau, Jean-Louis Fargeon, parfumeur de Marie-Antoinette).

Pour plus de détails sur les fragrances de la Reine :

À onze heures moins vingt

Les personnes non attachées à la Cour et les fournisseurs

Marie-Antoinette profite de ce moment assez long (entre dix heures environ et midi) pour recevoir des personnes non présentées à la Cour, c’est-à-dire des particuliers qui n’y ont aucun droit, comme des artistes ou des personnes que la Reine tient à honorer. Viennent aussi ses fournisseurs préférés venus présenter leurs nouvelles créations. Ces personnes sont reçues uniquement par la Première Femme de Chambre, même en présence de la Dame d’Honneur.

 

Ses portraitistes, les artistes qu’Elle tient à protéger, en particulier les musiciens et compositeurs se présentent à Elle durant ce temps de relative liberté. Les mémoires d’Élisabeth Vigée Le Brun comportent des anecdotes touchantes sur ce moment de la journée qu’elles partagent toutes deux (qui ne doit pas excéder une demi-heure si on considère l’emploi du temps auquel la Reine est soumise …) :

Marie-Antoinette posant pour Elisabeth Vigée Le Brun dans le cabinet doré par Benjamin Warlop

« Sa Majesté finissait sa toilette; elle tenait un livre à la main pour faire répéter une leçon à sa fille, la jeune Madame. Le cœur me battait; car j’avais d’autant plus peur que j’avais tort. La reine se tourna vers moi et me dit avec douceur:
-Je vous ai attendue hier toute la matinée, que vous est-il donc arrivé?
–Hélas! madame, répondis-je, j’étais si souffrante que je n’ai pu me rendre aux ordres de Votre Majesté. Je viens aujourd’hui pour les recevoir, et je repars à l’instant.
-Non! non! ne partez pas, reprit la reine; je ne veux pas que vous ayez fait cette course inutilement.
Elle décommanda sa calèche et me donna séance. Je me rappelle que dans l’empressement où j’étais de répondre à cette bonté, je saisis ma boîte à couleurs avec tant de vivacité qu’elle se renversa; mes brosses, mes pinceaux tombèrent sur le parquet; je me baissais pour réparer ma maladresse.
-Laissez, laissez, dit la reine, vous êtes trop avancée dans votre grossesse pour vous baisser; et, quoi que je pusse dire, elle releva tout elle-même.»

Elisabeth Vigée Le Brun, Mémoires       

Marie-Antoinette rassemblant les pinceaux de Madame Vigée Le Brun, Alexis-Joseph Pérignon, 1859
Léonard et Mademoiselle Bertin dans Marie-Antoinette, Reine d'un seul amour (1989) de Caroline Huppert
Image du Versailles secret de Marie-Antoinette de Sylvie Faiveley et Mark Daniels (2018)

Nous pouvons supposer que c’est aussi durant ces heures de la matinée que viennent Ses artisans préférés, tels que Riesener, Jacob, etc, sans oublier Son architecte Mique, afin de satisfaire les exigences de Marie-Antoinette concernant son goût pour la décoration. Mais ce n’est pas alors qu’ont lieu les fameuses conférences avec la Reine dont se vante Mademoiselle Bertin.

Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola

Tous collaborent, chacun dans son domaine,  à épanouir la beauté de la Reine de France.

Le temps le plus long est consacré à la coiffure.

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Les poufs aux sentiments, création conjointe de Léonard Autié et de mademoiselle Bertin, coiffure des premières années du règne, prennent un temps considérable de par la hauteur de la coiffure et les mille et un colifichets fixés dans la chevelure.

Léonard Autié par Benjamin Warlop

Pour plus de détails sur les coiffures de la Reine :

A onze heures

Il y a également les fournisseurs en cosmétiques :  Marie-Antoinette commande parfums et gants au sieur Fargeon et à la Veuve Huet. Il ne faut évidemment pas oublier les joailliers de la Couronne, Aubert, puis Boehmer et Bassenge, reçus régulièrement par la Reine. Tous ces fournisseurs tiennent boutique en ville et comptent une grande partie de la Cour, voire celles étrangères, comme clientèle. Nous pouvons donc imaginer tout ce petit monde bruissant autour de Marie-Antoinette lors de ce moment de détente pour Elle, tout entière consacrée à Sa beauté :

Image de Marie-Antoinette, Reine d'un seul amour (1989) de Caroline Huppert
L'Accord Parfait par Moreau le Jeune
Ce portrait de Gautier d'Agoty, certainement pris sur le vif, nous montre que la Reine, entourée de Son service de la Chambre, des petites entrées, de Ses fournisseurs et d'artistes, en profite aussi pour jouer ou écouter de la musique.

Les robes et accessoires choisis pour la journée

C’est durant ces quelques heures que sont apportées des diverses pièces dévolues à la Garde-Robe de la Reine toutes les tenues dont Elle aura besoin pour la journée, jusqu’à Son coucher.

Le Valet de Garde-Robe de service (M. Gallant ou M. Stevenot) présente tous les matins à la Première Femme de Chambre, un livre appelé La Gazette de Garde-Robe des Atours sur lequel sont disposés les échantillons de toutes les robes, grands habits, robes déshabillées, chapeaux dont dispose la souveraine pour chaque saison et classés selon diverses catégories du vêtement de Cour, du plus solennel au plus léger :
-Grands habits : ils servent lors des événements importants de la Cour, messes, mariages, baptêmes, jour de Pâques, Toussaint, fête du Roi ou aussi pour les portraits officiels ;
-Robes sur le grand et petit panier : ces robes sont utilisées pour le Jeu ou les soupers des Petits Appartements
-Lévites, robes anglaises et robes turques : dites robes de fantaisie

La marquise d'Ossun présente la gazette des Atours dans Les Adieux à la Reine de Benoît Jacquot

« Une petite portion de la garniture indiquait de quel genre elle était était ; la première femme présentait ce livre, au réveil de la reine, avec une pelote ; S. M. plaçait des épingles sur tout ce qu’elle désirait pour la journée : une sur le grand habit qu’elle voulait, une sur la robe déshabillée de l’après-midi, une sur la robe parée, pour l’heure du jeu ou le souper des Petits Appartements. La Garde-Robe de la Reine était renouvelée sur trois saisons : la Reine avait ordinairement, pour l’hiver, douze grands habits, douze petites robes dites de fantaisie, douze robes riches sur panier, servant pour son jeu ou pour les soupers des petits appartements. Autant pour l’été ; celles du printemps servaient en automne».

Henriette Campan          

Pour plus de détails sur la vêture de la Reine : 

Il en va donc de même pour la Gazette, reproduite en plusieurs exemplaires :
celle détaillée pour la Reine afin de faire son choix le matin, celui de sa Dame d’Atours qui dispose d’un seul registre pour une année entière (l’exemplaire conservé aux Archives nationales étant celui de l’année 1782) permettant également de gérer les comptes et ceux destinés au service de la Garde-Robe.

Gazette des Atours de 1782, probablement à destination de la marquise d'Ossun, Archives nationales

Ces robes de cour, au nombre de trente-six, nécessitent des échantillons : la Reine pour effectuer Ses choix journaliers, la Dame d’Atours pour sa fonction et le personnel pour retrouver les robes demandées par la Reine.

Geneviève d'Ossun, dame d'Atours de Marie-Antoinette par Benjamin Warlop

 

La Dame d’Honneur gère aussi tous les menus objets disposés sur un plateau de vermeil couvert d’un taffetas brodé appelé gantière que l’on lève pour présenter le plateau à la Reine : Ses boîtes, Ses étuis, Son éventail, Ses gants, Ses mouchoirs, Sa montre, Ses flacons de senteurs. C’est souvent la princesse de Lamballe qui remplit ces fonctions.

 

Gazette des atours de Marie-Antoinette. 1782 Marie-Antoinette affectionne les tissus fleuris sur fond unis et les motifs rayés dits « au zèbre » très à la mode

 

Évidemment, à chaque nouvelle personne, il faut repasser la salve (ainsi de la chemise, du verre d’eau, etc.) de main en main. La Dame d’Honneur est dispensée de présenter l’objet à une princesse du sang.

 

Marie-Antoinette n’est pas encore à proprement parlé habillée : encore en négligé, Elle est déjà coiffée pour l’essentiel et fardée. Elle porte déjà Son corps, Ses jupons, Ses bas, ainsi que le collier choisi pour la messe.

Image du Versailles secret de Marie-Antoinette de Sylvie Faiveley et Mark Daniels (2018)

« Plus tard, lorsque les coiffures deviendront si énormément hautes, qu’il faudra passer la chemise par le bas, lorsque Marie-Antoinette voudra avoir pour habilleuse Mademoiselle Bertin, avec qui la dame d’Honneur et la dame d’atours n’auraient certainement pas voulu faire leur service, l’habillement cessera d’avoir lieu dans la chambre. La Reine saluera et se retirera dans Ses cabinets pour s’habiller.»

Arthur-Léon Imbert de Saint-Amand     

Image du Versailles Secret de Marie-Antoinette (2019)
Image du Versailles Secret de Marie-Antoinette (2019)
Image du Versailles Secret de Marie-Antoinette (2019) : La dame d'atours passe le jupon du grand habit et tient le collier.

 

 

À onze heures et demie

Les Grandes Entrées entrent dans la chambre de la Reine. Voici enfin venue l’heure de la Toilette de représentation.

 

Marie-Antoinette et la princesse de Lamballe, tableau de Heinrich Lossow

La toilette de représentation

La toilette de représentation, c’est-à-dire publique, commence à midi.

« Les femmes se rendent, quelques minutes avant midi, dans le salon qui précède la chambre de la Reine. On ne s’assoie pas, à l’exception des dames âgées, fort respectées alors, et des jeunes femmes soupçonnées d’être grosses. Il y a toujours au moins quarante personnes et souvent beaucoup plus. Quelquefois nous sommes très pressées les unes contre les autres, à cause de ces grands paniers qui tiennent beaucoup de place. Ordinairement, Madame la princesse de Lamballe, surintendante de la Maison, arrive et entre immédiatement dans la chambre à coucher où la Reine fait sa toilette. Le plus souvent, elle est arrivée avant que Sa Majesté la commence. Au bout de quelques minutes, un huissier s’avance à la porte de la chambre et appelle à haute voix : « Le service ! » Alors les dames du palais de semaine, au nombre de quatre, celles venues pour faire leur cour dans l’intervalle de leurs semaines, ce qui est de coutume constante, et les jeunes dames appelées à faire plus tard partie du service du palais, comme la comtesse de Maillé, née Fitz-James, la comtesse Mathieu de Montmorency et moi, entrent également. Aussitôt que la Reine nous a dit bonjour à toutes individuellement avec beaucoup de grâce et de bienveillance, on ouvre la porte, et tout le monde est introduit. On se range à droite et à gauche de l’appartement, de manière que la porte reste libre et qu’il n’y ait personne dans le milieu de la chambre. Bien des fois, quand il y a beaucoup de dames, on est sur deux ou trois rangs. Mais les premières arrivées se retirent adroitement vers la porte du salon de jeu [Salon de la Paix], par où la Reine doit passer pour aller à la messe. Dans ce salon sont admis souvent quelques hommes privilégiés, déjà reçus en audience particulière auparavant ou qui présentent des étrangers… »

Le cérémonial de la cour du dimanche narré par la marquise de La Tour-du-Pin, cité par Pierre de Nolhac, Histoire du château de Versailles (1899)

Service de toilette anglais de la moitié du XVIIIe siècle
La table de toilette livrée par Riesener le 21 décembre 1784

À midi

Les Grandes Entrées

Comme le dit, Elle-même, Marie-Antoinette :

« A midi, on appelle la chambre et là tout le monde peut entrer, ce qui n’est point des communes gens

Marie-Antoinette, lettre à Sa mère du 12 juillet 1770 

Les plus grandes dames de la Cour
La chambre de la Reine

A midi arrivent les plus grandes dames de la Cour, à savoir la surintendante de la Maison de la Reine, sa dame d’honneur, sa dame d’atours, déjà présentes lors des Petites Entrées. Peut également entrer désormais la gouvernante des enfants de France. Même si Elle adore Ses enfants, Marie-Antoinette ne se permet pas de les utiliser pour échapper à l’Etiquette.

Image de Jefferson à Paris (1995) de James Ivory

Ces  dames entrent les premières et ayant droit au « tabouret » s’asseyent sur des pliants préparés par les valets de la chambre.

Pliants de la chambre de la Reine

La Toilette de représentation

La Toilette peut commencer à l’arrivée de la surintendante. Dès son entrée qui sonne le début du cérémonial de la toilette, on procède à la coiffure de la Reine. Celle-ci est déjà coiffée durant son temps de toilette privée, auprès de l’un de ses coiffeurs mais la dame d’honneur, assistée de la première femme, tient symboliquement le peigne devant le public. Les deux femmes de chambre qui terminent leur service et bientôt relayées par deux autres arrangent quelques boucles ou rajoutent quelques petits colifichets.

Les dames du palais

Le cabinet des bains du soir
Le cabinet des bains du soir

Les armoires murales pour le nécessaire de toilette, les produits cosmétiques, les flacons d’essences, de fragrances d’amande douce, d’eau de rose et de lavande qui servent à parfumer les bains. A nouveau, la Reine change de tenue, qui dépend du programme du soir. C’est une robe sur le grand (en cas de bal) et petit panier (pour le jeu ou les soupers des petits appartements). Et ici point de cérémonie, Elle est servie par Sa première femme de chambre qui est assistée par deux femmes de chambre.

À neuf heures du soir

D’après la bienséance, pas toujours respectée par Louis XVI, qui mange parfois en privé, le dîner du soir se déroule dans l’antichambre du Roi ou de la Reine en présence de tous les courtisans qui le désirent à condition qu’ils portent une épée et une tenue décente : il s’agit du Souper ou Grand couvert. Le Roi et la Reine dîne en public, devant les princesses, duchesses (assises) et autres dames (debout) et en musique. Au moment de l’annonce du dîner, l’huissier de salle mobilise un garde du corps. Avec eux, le «chef du gobelet» apporte à table la nef (pièce d’orfèvrerie refermant des serviettes et des coussins de senteurs) et d’autres apportent le reste des couverts. L’huissier se rend ensuite à la « bouche» où sont cuisinés les plats. 

Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola

Il se rend ensuite à la salle de repas. Derrière lui, le maître d’hôtel, et les gentilshommes servant les plats entrent. Le plat est alors pris en charge par le gentilhomme «de prêt». Chaque plat est «protégé» par trois gardes armés. Les gentilshommes servants goûtent les plats qu’ils portent puis les déposent sur la table royale. Les membres de la famille royale peuvent alors se servir. Au cours de repas, d’autres gentilshommes apportent à leur boire lorsqu’ils le désirent. Les plats sont présentés à la Reine par Sa première dame d’honneur (la comtesse de Noailles), qui se met à genoux assistée par quatre dames du palais. Lors des grandes occasions, les membres de la famille royale mangent ensemble. Les discussions lors du repas sont quasi inexistantes et souvent entretenues par l’intarissable comte d’Artois. Lors de journées normales, chacun mange dans ses appartements privés.

Mais le soir, Elle dîne le plus souvent chez la comtesse de Provence ou Ses amies de la Cour :

En 1780, Marie-Joséphine de Provence désire l’installation d’une petite salle-à-manger et d’un salon en hémicycle contigu pour servir au jeu et au billard nécessaire aux soupers qu’elle offre chaque soir à la famille royale . Cette salle-à-manger destinée aux « soupers des petits cabinets »- soupers intimes sans domestiques dont a parlé Pierre de Nolhac dans ses ouvrages – est installée dans les anciennes pièces de service de la Dauphine détruites situées sous le cabinet doré de la Reine, là on a installé provisoirement un billard avant 1779. Cette salle-à-manger paraît bien étroite car toute la famille royale est conviée par la princesse : à savoir le Roi, la Reine, Monsieur, le comte et la comtesse d’Artois, les trois Mesdames tantes et Madame Elisabeth quand elle sera en âge. Cette petite pièce ouvrant par une fenêtre sur la cour intérieure de la Reine, appelée dès lors « cour de Monsieur », est donc prolongée sur l’appentis, pris sur l’ancien oratoire de la Dauphine, sous la terrasse du cabinet doré de la Reine. On place l’hiver, dans l’embrasure de la fenêtre, un poêle permettant de réchauffer la petite salle-à-manger que la petite cheminée du fond ne permet pas de chauffer complètement. Cette salle-à-manger comporte alors six angles où sont placées les encoignures commandées spécialement à Riesener.

Dîner familial chez la comtesse de Provence par Benjamin Warlop

Chacun, sauf le Roi, apporte son repas qui est placé par le service sur des plats posés sur une grande table ovale dressée dans la seconde chambre de Madame. Les serviteurs se retirent alors et chaque convive compose son repas en se servant soi-même et en prenant assiettes et argenterie qui ont été placées sur des servantes.

A partir de 1783, la Reine commence déjà à ne plus venir aussi familièrement qu’autrefois chez madame de Polignac :

« La reine s’éloign(e) insensiblement du salon de Madame de Polignac et pr(end) l’habitude d’aller souvent et familièrement chez Madame la comtesse d’Ossun, sa dame d’atours, dont le logement (est) très près de l’appartement de la reine ; elle y v(ient) dîner avec quatre ou cinq personnes ; elle y arrang(e) de petits concerts, dans lesquels elle chant(e) ; enfin, elle montr(e) là plus d’aisance et de gaîté qu’elle n’en (a) jamais laissé apercevoir chez Madame de Polignac. »

Le comte de La Marck      

Vers dix heures

Après le souper, en été, il est fréquent que la Reine se promène sur la terrasse du château en compagnie des comtesses de Provence et d’Artois, Ses belles-sœurs.

Promenade nocturne de la Reine, Madame et la comtesse d'Artois sur la terrasse de Versailles par Benjamin Warlop

 À onze heures du soir

Les courtisans se préparent à suivre le souverain dans sa chambre, il se couche pour pouvoir chasser le lendemain matin de bonne heure ou bien suivre la Reine à Sa table de jeux dans le Salon de la Paix :

Le salon de la Paix
( texte et illustrations de Christophe Duarte ; Versailles – passion )

Le salon de la Paix

Ce salon est, dès la fin du règne de Louis XIV, séparé de la galerie par une cloison mobile et considéré comme faisant partie de l’Appartement de la Reine dont il constitue la dernière pièce après la chambre.

Louis XV en figure mythologique de la Paix
Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola
Le salon de la Paix est le salon des jeux de la Reine
Le salon de la Paix
La Partie de Wisch par Jean-Michel Moreau le Jeune
Image des Années Lumière (1989) de Robert Enrico
Chenets de Boizot
Le jeu de la Reine dans Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola ... plus tard dans la nuit.

En 1779, le Reine fera installer un petit théâtre côté galerie. En 1786, au moment où la Reine refait faire son appartement, Elle veut faire détruire le décor de Louis XIV en faisant retirer les marbres et faire revêtir les murs de menuiserie et d’établir un faux plafond. Ce projet ne verra jamais le jour.

Le jeu de la Reine par Benjamin Warlop
Image des Années Lumière (1989) de Robert Enrico
Le Jeu de la Reine dans Les Années Lumière (1989) de Robert Enrico

L’image de Marie-Antoinette sacrifiant les intérêts de la nation sur Sa table de pharaon, imitée en cela par Son beau-frère, le comte d’Artois, doit beaucoup aux rumeurs populaires et aux pamphlets de l’époque révolutionnaire. Il est extrêmement délicat d’avancer des chiffres fiables, car les sources sont rares et les mémorialistes ou les contemporains ne sont pas souvent d’une grande aide, s’en tenant à des formules évasives.

Le salon de jeux de la Reine par Benjamin Warlop

Depuis le Salon de la Paix, la Reine se trouve à côté de Sa chambre officielle.

A partir de 1782, Elle récupère l’appartement du rez-de-chaussée de Madame Sophie (1734-1782), tante du Roi, et y installe Sa chambre intime qui donne sur la cour de marbre.

La chambre intime de la Reine

À une heure avancée de la nuit

La Reine va se coucher, le déshabillé s’organise selon un cérémonial moins contraignant que celui de l’habillement … La Reine garde dans Son lit un corset à crevés de ruban, des manches garnies de dentelles et un grand fichu.

Image de Marie-Antoinette (1975) de Guy-André Lefranc : madame Gougenot aide la Reine à monter dans Son lit
Marie-Antoinette dans Sa chambre intime par Benjamin Warlop

Avant d’aller se coucher, Marie-Antoinette indique l’heure à laquelle Elle veut se lever le lendemain matin.

Image de Marie-Antoinette de Jean Delannoy

D’un tempérament timide , Louis XVI souhaite donc rester très discret sur ses allées et venues chez Marie-Antoinette : il ne veut tout simplement pas que l’on sache qu’il va coucher chez Elle.     
Jusqu’en 1775, le trajet habituel pour se rendre de la chambre à coucher du Roi (qui correspond à l’actuelle chambre de Louis XV et Louis XVI) à celle de la Reine passe inévitablement par le cabinet du conseil, la grande chambre de parade (actuelle chambre de Louis XIV), l’antichambre de l’Œil-de-Bœuf où l’on emprunte alors un petit passage qui court dans la doublure de la galerie des Glaces.
Mais avant d’y parvenir, le Roi ne manque pas de rencontrer toutes sortes de gardes, de garçons de la chambre, et d’autres officiers dédiés à son service et à sa sécurité. La discrétion est donc loin d’être assurée…surtout lorsque la Reine a fermé Sa porte à clef et qu’il faut à Louis XVI rebrousser chemin…

Ce passage est donc un corridor biscornu qui s’étend sur près de soixante-dix mètres dans les entrailles invisibles du château…

Le passage secret de Louis XVI
( texte et illustrations de Christophe Duarte ; Versailles – passion )

Plans du passage du Roi

Beaucoup plus pudique que ces prédécesseurs, Louis XVI ne supportait pas de traverser toutes les antichambres pour rejoindre la Reine dans sa chambre. En 1775, il fait aménager un passage discret dans l’épaisseur des murs du château qui démarre depuis l’escalier semi-circulaire et qui arrive à l’arrière de la chambre de la Reine.

Départ du passage secret de Louis XVI

Il passe sous le Cabinet du Conseil, la grande chambre, l’antichambre de l’Œil-de-Bœuf et la galerie des Glaces.

Emprise du Passage du Roi sur la Cour du Dauphin
Passage du Roi : la fenêtre à droite donne sur l'Antichambre du Dauphin
La pièce de la femme de veille
Première antichambre du Dauphin, en 1782 celle du comte de Provence
La fenêtre éclaire sur la Cour du Dauphin
A droite, l'escalier menant à l'appartement de la Reine, à gauche l'escalier descendant à l'Appartement du Dauphin et à l’extrême gauche l'appartement de Madame de Tourzel

Le Roi prend l’escalier d’entresol pour arriver chez la Reine :

« Quand le Roi couche chez la Reine, toute une étiquette minutieuse doit être observée : la Reine se met au lit la première, la première femme de chambre reste assise au pied du lit jusqu’au moment où Louis XVI arrive, puis elle reconduit les personnes qui ont accompagné le Roi jusqu’au seuil de la chambre de la reine, et, après avoir mis le verrou à la porte, elle s’éloigne, pour ne rentrer dans la chambre que le lendemain matin, à l’heure indiquée par le Roi. A cette heure, elle se présente avec le premier valet de chambre de quartier et un garçon de la chambre. Tous les trois entrent en même temps, ouvrent les rideaux du lit du côté où est le Roi et lui présentent ses pantoufles. Le premier valet de chambre reprend alors une épée courte, qui est toujours placée dans l’intérieur de la balustrade du Roi, et que l’on apporte et pose sur le fauteuil du Roi quand il vient coucher chez la Reine.»

Henriette Campan     

Escalier montant des entresols chez la Reine

Le Roi se lève avant la Reine, qui attend le cérémonial habituel de Son côté.

« Les personnes qui forment la maison du Roi et de la Reine ont quelque ressemblance avec des geôliers. On trouve dans le château de Versailles la discipline d’une caserne et la gêne d’une prison.»

Arthur-Léon Imbert de Saint-Amand 

Le château de Versailles prête peu à l’intimité … C’est d’ailleurs à Fontainebleau, par exemple, que Madame Royale sera conçue.

« Sa Majesté s’ennuie du séjour de Versailles ; elle le trouve triste et désert ; je lui ai fait observer que cet inconvénient tenait beaucoup aux arrangements de la reine, parce que ses déplacements continuels, et qui remplissent des journées entières, mettent tout le monde dans l’incertitude du moment où l’on pourrait faire sa cour. Le soir, il n’y a que très rarement jeu chez la reine ; encore ces soirées ne sont-elles pas décidément marquées ; il n’y a que des soupers dans les cabinets ; mais c’est le hasard qui décide du choix des femmes qui y sont appelées, et cela ne procure point aux autres l’occasion de se montrer. Il s’ensuit de là que journellement il arrive moins de monde à Versailles, et que cela ira toujours empirant, à moins que la reine ne se décide à tenir sa cour d’une façon plus stable et plus réglée.»

Le comte de Mercy à Marie-Thérèse d’Autriche, le 16 mai 1776     

Derrière la chambre de la Reine : escalier descendant aux entresol

« Ce que rêve Marie-Antoinette c’est la simplicité sous le diadème, le roman de la royauté adoucie, égayée, rajeunie, l’idylle et la pastorale sur le trône. Illusion d’une belle âme ! Songe aimable et trompeur ! Les contes de fées nous parlent de bergères qui devenaient reines, mais les reines ne deviennent pas bergères. Le sceptre et la houlette ne peuvent aller ensemble, et c’est une imprudence d’échanger, ne fût-ce que pour un instant, la couronne d’or contre la couronne de fleurs.»   

On ne peut que comprendre l’attrait du Petit Trianon sur lequel Marie-Antoinette règne au point d’émettre le « Règlement de Trianon, par ordre de la Reine », en dix articles, le 13 juin 1780. Louis XVI ne s’y rend même pas sans s’annoncer. L’Etiquette s’y résume à la première femme de chambre et la dame d’Honneur qui ont une chambre à demeure. Marie-Antoinette y est comme une particulière qui peut jouir des plaisirs d’une vie faussement campagnarde :

« Ici je ne suis pas la reine, je suis moi -même… »

Marie-Antoinette

Arthur-Léon Imbert de Saint-Amand 

Maëlia Gentil est Marie-Antoinette dans Un peuple et son Roi de Pierre Schoeffer

Marie-Antoinette n’e n abusera pourtant pas, car en quinze années de règne versaillais (de 1774 à 1789), Elle ne fera que dix-neuf séjours dont le plus long dure un peu moins d’un mois (du 19 août au 24 septembre 1786), Elle se remet alors de la naissance de Son dernière enfant, Madame Sophie (1786-1787).

Sources :

  • Antoinetthologie
  • https://www.chartes.psl.eu/fr/positions-these/jeu-du-roi-jeu-reine-aux-xviie-xviiie-siecles
  • CAMPAN Henriette, Mémoires de Madame Campan, première femme de chambre de Marie-Antoinette
  • COPPOLA Sofia, Marie-Antoinette (2006)
  • DELANNOY Jean, Marie-Antoinette, Reine de France (1956)
  • DUARTE, Christophe, Versailles passion , groupe Facebook
  • ENRICO Robert, Les Années Lumières (1989)
  • GIRAULT DE COURSAC Paul et Pierrette, Louis XVI, un visage retrouvé (1990) , chez O.E.I.L. (1990)
  • IMBERT de SAINT-AMAND Arthur-Léon, Les Beaux Jours de Marie-Antoinette (1885) ; Paris E. DENTU, Editeur
  • IVORY James, Jefferson à Paris (1995)
  • LA TOUR DU PIN Henriette (de), Le cérémonial de la cour du dimanche narré par la marquise de La Tour-du-Pin, cité par Pierre de Nolhac, Histoire du château de Versailles (1899)
  • LE BRAS-CHAUVOT Sylvie, Marie-Antoinette l’Affranchie – Portrait inédit d’une icone de mode (février 2020), chez Armand Colin.
  • LEVER Evelyne, Marie-Antoinette (1991) ; chez Fayard
  • Marie-Antoinette … racontée par ceux qui l’ont connue (2016) Les Cahiers Rouges ; chez Grasset
  • NOLHAC Pierre (de), Le Château de Versailles au temps de Marie-Antoinette (1889)
  • NOLHAC Pierre (de), La Reine Marie-Antoinette (1889)
  • NOLHAC Pierre (de), Versailles au XVIIIe siècle (1918)
  • NOLHAC Pierre (de), Autour de la Reine (1929)
  • REISET comte (de), Modes et Usages au Temps de Marie-Antoinette , deux tomes (1885)
  • SAPORI Michelle, Rose Bertin, couturière de Marie Antoinette (2010) ; chez Paris, Perrin (2010)
  • SCHOEFFER Pierre, Un peuple et son Roi (2018)

L'Antichambre du Grand Couvert de la Reine

Alors commence une véritable course des courtisans pour aller faire leur cour aux princes et aux princesses de la famille royale, chez Monsieur, le comte d’Artois, Madame Elisabeth, chez Mesdames, tantes du Roi et même chez le petit Dauphin (quand il aura son gouverneur, le duc d’Harcourt), qui dînent beaucoup plus tard. C’est à qui arrivera le premier. Ces visites ne durent chacune que trois ou quatre minutes seulement, car les salons des princes sont si petits qu’ils se trouvent dans la nécessité de congédier les premiers venus pour faire place aux autres.

« Les huissiers laiss(ent) entrer tous les gens proprement mis ; ce spectacle (fait) le bonheur des provinciaux. A l’heure des dîners, on ne rencontr(e), dans les escaliers, que des braves gens, qui après avoir vu la dauphine manger sa soupe, allaient voir les princes manger leur bouillie, et qui cou(rent) ensuite à perdre haleine pour aller voir Mesdames manger leur dessert.»

Henriette Campan

À deux heures moins le quart

1 : escalier ; 2 : service de la Reine ; 3 : escalier à l’appartement de la Reine au rez-de-chaussée ; 4 : passage ; 5 : cabinet de la chaise ; 6 : cabinet de la Méridienne ; 7 : bibliothèque ; 8 : supplément de la bibliothèque ; 9 : le Cabinet Doré ; 10 : arrière cabinet ; 11 : pièce des bains ; 12 : chambre des bains ; 13 : antichambres ; 14 : escalier de la Reine

Marie-Antoinette retrouve Ses petits appartements où Elle retire Son panier et Son bas de robe, pour se reposer dans le cabinet de la Méridienne qu’on a construit au printemps 1781, lorsque la Reine est enceinte de Son deuxième enfant que tous espèrent être un mâle.. Puis Elle change de tenue selon Ses activités de l’après-midi.

Agacée par cet affairement autour d’Elle, Marie-Antoinette cherche à s’en retrancher et fait aménager à cette fin le petit cabinet de repos à l’arrière de Sa chambre officielle.

 

Premier meuble de la Méridienne mis en place en mai 1781
Marie-Antoinette posant dans la Méridienne pour Elisabeth Vigée Le Brun par Benjamin Warlop

Si Elle se rend à Trianon, Elle adopte une robe moins encombrante que la robe à la française dont le large panier permettrait mal de circuler dans le petit château.

Le Petit Trianon
Images de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola

Voir cet article :

Le hameau de la Reine à Trianon

Dans les années 1780, si Elle choisit de profiter du hameau du Petit Trianon, Elle revêt une chemise à la Reine…

 

Image du Versailles Secret de Marie-Antoinette (2018)
Marie-Antoinette en gaulle, madame Vigée Le Brun, 1783
Image du Versailles Secret de Marie-Antoinette (2018)

Si Elle reste au château, Elle peut rejoindre le Roi pour régler quelque question politique, dans le Cabinet du Conseil. Elle revêt alors une lévite, une robe anglaise ou une robe turque : une de ces robes dites robes de fantaisie.

« Au début du règne, la Reine doit toujours être suivie dans le palais de Versailles par deux de Ses femmes en habit de cour, aux heures de la journée où les dames ne sont plus auprès d’Elle. Marie-Antoinette changera tout cela. Elle ne dînera plus en public ; et prendra l’habitude de se faire accompagner par un seul valet de pied.»

Arthur-Léon Imbert de Saint-Amand     

Le Roi et la Reine dans le Cabinet du Conseil dans le film de Sofia Coppola

L’après-midi est surtout l’occasion pour la Reine de recevoir Ses artistes pour œuvrer à Son image tant par Sa vêture que par Ses portraits.
C’est alors que peuvent avoir lieu les entrevues particulière avec Mademoiselle Bertin qu’on intitule rapidement du titre officieux de « ministre des Modes ».

Mademoiselle Bertin et Marie-Antoinette en conférence privée dans le Cabinet doré par Benjamin Warlop

N’empêche que ce ministère aura des répercussions dans l’ensemble de l’Europe jusqu’en Russie…

À six heures du soir

Dauphine, Marie-Antoinette se rend chez Ses tantes pour le jeu jusqu’à neuf heures. Reine, Elle perpétue cette tradition. Encore dans Sa chambre, Elle trouve près de la porte un des deux curés de Versailles qui Lui remet une bourse, Elle fait alors la quête à chacun, hommes et femmes, en disant : « Pour les pauvres, s’il vous plaît.» Les femmes ont chacune leur écu de six francs dans la main et les hommes leur louis. La Reine perçoit ce petit impôt charitable, suivie du curé, qui rapporte souvent jusqu’à cent louis à ses pauvres, et jamais moins de cinquante, ce qui renseigne sur l’affluence en cette partie de la journée…

Emmanuelle Béart est Marie-Antoinette pour Caroline Huppert, en 1988. Léa Gabrielle est madame de Lamballe et Isabelle Gélinas madame de Polignac

C’est aussi à ce moment que la Reine gagne le salon d’une de Ses amies, Madame de Lamballe, Madame de Guéménée ou Madame de Polignac. Marie-Thérèse d’Autriche s’offusquera des rencontres peu fréquentables qu’Elle fera chez les deux dernières …

« La reine va moins fréquemment le soir chez la princesse de Guéménée que chez la princesse de Lamballe. Mais les séances chez cette dernière ne sont guère moins dangereuses, les intrigants s’y trouvent d’un genre un peu plus illustre, c’est la seule différence.»

Le comte de Mercy     

Les 30 octobre et 1er novembre 1776, Louis XVI concédant à sa femme le droit d’organiser une séance de jeu, celle-ci s’arrange pour la faire durer trois jours. La Reine laisse de fortes sommes sur le tapis vert.

Ce jeu de trois jours se déroulera chez Madame de Guéménée… Les jeux de hasards seront proscrits par le Roi en 1787.

Image de La Grande Cabriole (1989) de Nina Companeez

« Madame de Polignac recevra-t-elle toute la France ? interroge le prince de Ligne.
— Oui, répond le chevalier de l’Isle, trois jours de la semaine : mardi, mercredi, jeudi. Pendant ces soixante-douze heures, ballet général ; entre qui veut, dîne qui veut, soupe qui veut. Il faut voir comme la racaille des courtisans y foisonne. On habite, durant ces trois jours, outre le salon, toujours comble, la serre chaude, dont on a fait une galerie, au bout de laquelle est un billard. Les quatre jours de la semaine qui ne sont point ci-dessus dénommés, la porte n’est ouverte qu’à nous autres favoris. Vous y êtes attendu.»

Le duc de Lévis décrit ainsi les Polignac nouvellement installés :

« Tout le reste de la semaine, (Madame de Polignac) menait une véritable vie de château. Une douzaine de personnes formaient, avec sa famille, sa société ; il y régnait une aimable liberté. On y jouait et on faisait de la musique, on causait ; jamais il n’était question d’intrigues ou de tracasseries, pas plus que si l’on eût été à cent lieues de la capitale et de la Cour. Je me rappelle avec un plaisir mêlé de regrets les agréables soirées que j’y ai passées, pendant les deux hivers qui ont précédé la Révolution. »

A partir de 1783, la Reine commence déjà à ne plus venir aussi familièrement qu’autrefois chez madame de Polignac :

« La reine s’éloigna insensiblement du salon de Madame de Polignac et prit l’habitude d’aller souvent et familièrement chez Madame la comtesse d’Ossun, sa dame d’atours, dont le logement était très près de l’appartement de la reine ; elle y venait dîner avec quatre ou cinq personnes ; elle y arrangeait de petits concerts, dans lesquels elle chantait ; enfin, elle montrait là plus d’aisance et de gaîté qu’elle n’en avait jamais laissé apercevoir chez Madame de Polignac. »

Le comte de La Marck           

À huit heures du soir

Le cabinet des bains du soir
( Texte et illustrations de Christophe Duarte – Versailles passion)

Si la toilette reste attachée au service de la chambre, les pièces pour le bain jouxtant le Cabinet Doré sont un lieu de délassement et d’intimité. Le bain du soir devient une institution sous Marie-Antoinette. L’hiver, les cheminées apportent le confort nécessaire.

Le cabinet des bains du soir
Le cabinet des bains du soir

Les armoires murales pour le nécessaire de toilette, les produits cosmétiques, les flacons d’essences, de fragrances d’amande douce, d’eau de rose et de lavande qui servent à parfumer les bains. A nouveau, la Reine change de tenue, qui dépend du programme du soir. C’est une robe sur le grand (en cas de bal) et petit panier (pour le jeu ou les soupers des petits appartements). Et ici point de cérémonie, Elle est servie par Sa première femme de chambre qui est assistée par deux femmes de chambre.

À neuf heures du soir

D’après la bienséance, pas toujours respectée par Louis XVI, qui mange parfois en privé, le dîner du soir se déroule dans l’antichambre du Roi ou de la Reine en présence de tous les courtisans qui le désirent à condition qu’ils portent une épée et une tenue décente : il s’agit du Souper ou Grand couvert. Le Roi et la Reine dîne en public, devant les princesses, duchesses (assises) et autres dames (debout) et en musique. Au moment de l’annonce du dîner, l’huissier de salle mobilise un garde du corps. Avec eux, le «chef du gobelet» apporte à table la nef (pièce d’orfèvrerie refermant des serviettes et des coussins de senteurs) et d’autres apportent le reste des couverts. L’huissier se rend ensuite à la « bouche» où sont cuisinés les plats. 

Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola

Il se rend ensuite à la salle de repas. Derrière lui, le maître d’hôtel, et les gentilshommes servant les plats entrent. Le plat est alors pris en charge par le gentilhomme «de prêt». Chaque plat est «protégé» par trois gardes armés. Les gentilshommes servants goûtent les plats qu’ils portent puis les déposent sur la table royale. Les membres de la famille royale peuvent alors se servir. Au cours de repas, d’autres gentilshommes apportent à leur boire lorsqu’ils le désirent. Les plats sont présentés à la Reine par Sa première dame d’honneur (la comtesse de Noailles), qui se met à genoux assistée par quatre dames du palais. Lors des grandes occasions, les membres de la famille royale mangent ensemble. Les discussions lors du repas sont quasi inexistantes et souvent entretenues par l’intarissable comte d’Artois. Lors de journées normales, chacun mange dans ses appartements privés.

Mais le soir, Elle dîne le plus souvent chez la comtesse de Provence ou Ses amies de la Cour :

En 1780, Marie-Joséphine de Provence désire l’installation d’une petite salle-à-manger et d’un salon en hémicycle contigu pour servir au jeu et au billard nécessaire aux soupers qu’elle offre chaque soir à la famille royale . Cette salle-à-manger destinée aux « soupers des petits cabinets »- soupers intimes sans domestiques dont a parlé Pierre de Nolhac dans ses ouvrages – est installée dans les anciennes pièces de service de la Dauphine détruites situées sous le cabinet doré de la Reine, là on a installé provisoirement un billard avant 1779. Cette salle-à-manger paraît bien étroite car toute la famille royale est conviée par la princesse : à savoir le Roi, la Reine, Monsieur, le comte et la comtesse d’Artois, les trois Mesdames tantes et Madame Elisabeth quand elle sera en âge. Cette petite pièce ouvrant par une fenêtre sur la cour intérieure de la Reine, appelée dès lors « cour de Monsieur », est donc prolongée sur l’appentis, pris sur l’ancien oratoire de la Dauphine, sous la terrasse du cabinet doré de la Reine. On place l’hiver, dans l’embrasure de la fenêtre, un poêle permettant de réchauffer la petite salle-à-manger que la petite cheminée du fond ne permet pas de chauffer complètement. Cette salle-à-manger comporte alors six angles où sont placées les encoignures commandées spécialement à Riesener.

Dîner familial chez la comtesse de Provence par Benjamin Warlop

Chacun, sauf le Roi, apporte son repas qui est placé par le service sur des plats posés sur une grande table ovale dressée dans la seconde chambre de Madame. Les serviteurs se retirent alors et chaque convive compose son repas en se servant soi-même et en prenant assiettes et argenterie qui ont été placées sur des servantes.

A partir de 1783, la Reine commence déjà à ne plus venir aussi familièrement qu’autrefois chez madame de Polignac :

« La reine s’éloign(e) insensiblement du salon de Madame de Polignac et pr(end) l’habitude d’aller souvent et familièrement chez Madame la comtesse d’Ossun, sa dame d’atours, dont le logement (est) très près de l’appartement de la reine ; elle y v(ient) dîner avec quatre ou cinq personnes ; elle y arrang(e) de petits concerts, dans lesquels elle chant(e) ; enfin, elle montr(e) là plus d’aisance et de gaîté qu’elle n’en (a) jamais laissé apercevoir chez Madame de Polignac. »

Le comte de La Marck      

Vers dix heures

Après le souper, en été, il est fréquent que la Reine se promène sur la terrasse du château en compagnie des comtesses de Provence et d’Artois, Ses belles-sœurs.

Promenade nocturne de la Reine, Madame et la comtesse d'Artois sur la terrasse de Versailles par Benjamin Warlop

 À onze heures du soir

Les courtisans se préparent à suivre le souverain dans sa chambre, il se couche pour pouvoir chasser le lendemain matin de bonne heure ou bien suivre la Reine à Sa table de jeux dans le Salon de la Paix :

Le salon de la Paix
( texte et illustrations de Christophe Duarte ; Versailles – passion )

Le salon de la Paix sert de salon des jeux de la Reine.

Témoin, à travers ses multiples formes et dans tous ses aspects, d’une société où le jeu possède une grande importance, le jeu du Roi et de la Reine demande donc à être replacé dans un système social où le luxe et la consommation ostentatoire tiennent les premières places.

Au-delà des jeux plus traditionnels, comme le lansquenet, les membres de la Cour se sont tous passionnés pour le fameux jeu du pharaon. Jeu de hasard mais aussi de stratégie, il s’agissait de miser sur des cartes gagnantes ou perdantes, un peu sur le principe de la roulette moderne. C’était un vrai exercice de probabilités, qui a su conquérir toute la Cour de cette époque !

Marie-Antoinette y tient Son jeu, et c’est Elle qui fait placer dans la cheminée le beau chenet en bronze ciselé et doré sur un modèle de Louis Simon Boizot.

Le salon de la Paix

Ce salon est, dès la fin du règne de Louis XIV, séparé de la galerie par une cloison mobile et considéré comme faisant partie de l’Appartement de la Reine dont il constitue la dernière pièce après la chambre.

Louis XV en figure mythologique de la Paix
Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola
Le salon de la Paix est le salon des jeux de la Reine
Le salon de la Paix
La Partie de Wisch par Jean-Michel Moreau le Jeune
Image des Années Lumière (1989) de Robert Enrico
Chenets de Boizot
Le jeu de la Reine dans Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola ... plus tard dans la nuit.

En 1779, le Reine fera installer un petit théâtre côté galerie. En 1786, au moment où la Reine refait faire son appartement, Elle veut faire détruire le décor de Louis XIV en faisant retirer les marbres et faire revêtir les murs de menuiserie et d’établir un faux plafond. Ce projet ne verra jamais le jour.

Le jeu de la Reine par Benjamin Warlop
Image des Années Lumière (1989) de Robert Enrico
Le Jeu de la Reine dans Les Années Lumière (1989) de Robert Enrico

L’image de Marie-Antoinette sacrifiant les intérêts de la nation sur Sa table de pharaon, imitée en cela par Son beau-frère, le comte d’Artois, doit beaucoup aux rumeurs populaires et aux pamphlets de l’époque révolutionnaire. Il est extrêmement délicat d’avancer des chiffres fiables, car les sources sont rares et les mémorialistes ou les contemporains ne sont pas souvent d’une grande aide, s’en tenant à des formules évasives.

Le salon de jeux de la Reine par Benjamin Warlop

Depuis le Salon de la Paix, la Reine se trouve à côté de Sa chambre officielle.

A partir de 1782, Elle récupère l’appartement du rez-de-chaussée de Madame Sophie (1734-1782), tante du Roi, et y installe Sa chambre intime qui donne sur la cour de marbre.

La chambre intime de la Reine

À une heure avancée de la nuit

La Reine va se coucher, le déshabillé s’organise selon un cérémonial moins contraignant que celui de l’habillement … La Reine garde dans Son lit un corset à crevés de ruban, des manches garnies de dentelles et un grand fichu.

Image de Marie-Antoinette (1975) de Guy-André Lefranc : madame Gougenot aide la Reine à monter dans Son lit
Marie-Antoinette dans Sa chambre intime par Benjamin Warlop

Avant d’aller se coucher, Marie-Antoinette indique l’heure à laquelle Elle veut se lever le lendemain matin.

Image de Marie-Antoinette de Jean Delannoy

D’un tempérament timide , Louis XVI souhaite donc rester très discret sur ses allées et venues chez Marie-Antoinette : il ne veut tout simplement pas que l’on sache qu’il va coucher chez Elle.     
Jusqu’en 1775, le trajet habituel pour se rendre de la chambre à coucher du Roi (qui correspond à l’actuelle chambre de Louis XV et Louis XVI) à celle de la Reine passe inévitablement par le cabinet du conseil, la grande chambre de parade (actuelle chambre de Louis XIV), l’antichambre de l’Œil-de-Bœuf où l’on emprunte alors un petit passage qui court dans la doublure de la galerie des Glaces.
Mais avant d’y parvenir, le Roi ne manque pas de rencontrer toutes sortes de gardes, de garçons de la chambre, et d’autres officiers dédiés à son service et à sa sécurité. La discrétion est donc loin d’être assurée…surtout lorsque la Reine a fermé Sa porte à clef et qu’il faut à Louis XVI rebrousser chemin…

Ce passage est donc un corridor biscornu qui s’étend sur près de soixante-dix mètres dans les entrailles invisibles du château…

Le passage secret de Louis XVI
( texte et illustrations de Christophe Duarte ; Versailles – passion )

Plans du passage du Roi

Beaucoup plus pudique que ces prédécesseurs, Louis XVI ne supportait pas de traverser toutes les antichambres pour rejoindre la Reine dans sa chambre. En 1775, il fait aménager un passage discret dans l’épaisseur des murs du château qui démarre depuis l’escalier semi-circulaire et qui arrive à l’arrière de la chambre de la Reine.

Départ du passage secret de Louis XVI

Il passe sous le Cabinet du Conseil, la grande chambre, l’antichambre de l’Œil-de-Bœuf et la galerie des Glaces.

Emprise du Passage du Roi sur la Cour du Dauphin
Passage du Roi : la fenêtre à droite donne sur l'Antichambre du Dauphin
La pièce de la femme de veille
Première antichambre du Dauphin, en 1782 celle du comte de Provence
La fenêtre éclaire sur la Cour du Dauphin
A droite, l'escalier menant à l'appartement de la Reine, à gauche l'escalier descendant à l'Appartement du Dauphin et à l’extrême gauche l'appartement de Madame de Tourzel

Le Roi prend l’escalier d’entresol pour arriver chez la Reine :

« Quand le Roi couche chez la Reine, toute une étiquette minutieuse doit être observée : la Reine se met au lit la première, la première femme de chambre reste assise au pied du lit jusqu’au moment où Louis XVI arrive, puis elle reconduit les personnes qui ont accompagné le Roi jusqu’au seuil de la chambre de la reine, et, après avoir mis le verrou à la porte, elle s’éloigne, pour ne rentrer dans la chambre que le lendemain matin, à l’heure indiquée par le Roi. A cette heure, elle se présente avec le premier valet de chambre de quartier et un garçon de la chambre. Tous les trois entrent en même temps, ouvrent les rideaux du lit du côté où est le Roi et lui présentent ses pantoufles. Le premier valet de chambre reprend alors une épée courte, qui est toujours placée dans l’intérieur de la balustrade du Roi, et que l’on apporte et pose sur le fauteuil du Roi quand il vient coucher chez la Reine.»

Henriette Campan     

Escalier montant des entresols chez la Reine

Le Roi se lève avant la Reine, qui attend le cérémonial habituel de Son côté.

« Les personnes qui forment la maison du Roi et de la Reine ont quelque ressemblance avec des geôliers. On trouve dans le château de Versailles la discipline d’une caserne et la gêne d’une prison.»

Arthur-Léon Imbert de Saint-Amand 

Le château de Versailles prête peu à l’intimité … C’est d’ailleurs à Fontainebleau, par exemple, que Madame Royale sera conçue.

« Sa Majesté s’ennuie du séjour de Versailles ; elle le trouve triste et désert ; je lui ai fait observer que cet inconvénient tenait beaucoup aux arrangements de la reine, parce que ses déplacements continuels, et qui remplissent des journées entières, mettent tout le monde dans l’incertitude du moment où l’on pourrait faire sa cour. Le soir, il n’y a que très rarement jeu chez la reine ; encore ces soirées ne sont-elles pas décidément marquées ; il n’y a que des soupers dans les cabinets ; mais c’est le hasard qui décide du choix des femmes qui y sont appelées, et cela ne procure point aux autres l’occasion de se montrer. Il s’ensuit de là que journellement il arrive moins de monde à Versailles, et que cela ira toujours empirant, à moins que la reine ne se décide à tenir sa cour d’une façon plus stable et plus réglée.»

Le comte de Mercy à Marie-Thérèse d’Autriche, le 16 mai 1776     

Derrière la chambre de la Reine : escalier descendant aux entresol

« Ce que rêve Marie-Antoinette c’est la simplicité sous le diadème, le roman de la royauté adoucie, égayée, rajeunie, l’idylle et la pastorale sur le trône. Illusion d’une belle âme ! Songe aimable et trompeur ! Les contes de fées nous parlent de bergères qui devenaient reines, mais les reines ne deviennent pas bergères. Le sceptre et la houlette ne peuvent aller ensemble, et c’est une imprudence d’échanger, ne fût-ce que pour un instant, la couronne d’or contre la couronne de fleurs.»   

On ne peut que comprendre l’attrait du Petit Trianon sur lequel Marie-Antoinette règne au point d’émettre le « Règlement de Trianon, par ordre de la Reine », en dix articles, le 13 juin 1780. Louis XVI ne s’y rend même pas sans s’annoncer. L’Etiquette s’y résume à la première femme de chambre et la dame d’Honneur qui ont une chambre à demeure. Marie-Antoinette y est comme une particulière qui peut jouir des plaisirs d’une vie faussement campagnarde :

« Ici je ne suis pas la reine, je suis moi -même… »

Marie-Antoinette

Arthur-Léon Imbert de Saint-Amand 

Maëlia Gentil est Marie-Antoinette dans Un peuple et son Roi de Pierre Schoeffer

Marie-Antoinette n’e n abusera pourtant pas, car en quinze années de règne versaillais (de 1774 à 1789), Elle ne fera que dix-neuf séjours dont le plus long dure un peu moins d’un mois (du 19 août au 24 septembre 1786), Elle se remet alors de la naissance de Son dernière enfant, Madame Sophie (1786-1787).

Sources :

  • Antoinetthologie
  • https://www.chartes.psl.eu/fr/positions-these/jeu-du-roi-jeu-reine-aux-xviie-xviiie-siecles
  • CAMPAN Henriette, Mémoires de Madame Campan, première femme de chambre de Marie-Antoinette
  • COPPOLA Sofia, Marie-Antoinette (2006)
  • DELANNOY Jean, Marie-Antoinette, Reine de France (1956)
  • DUARTE, Christophe, Versailles passion , groupe Facebook
  • ENRICO Robert, Les Années Lumières (1989)
  • GIRAULT DE COURSAC Paul et Pierrette, Louis XVI, un visage retrouvé (1990) , chez O.E.I.L. (1990)
  • IMBERT de SAINT-AMAND Arthur-Léon, Les Beaux Jours de Marie-Antoinette (1885) ; Paris E. DENTU, Editeur
  • IVORY James, Jefferson à Paris (1995)
  • LA TOUR DU PIN Henriette (de), Le cérémonial de la cour du dimanche narré par la marquise de La Tour-du-Pin, cité par Pierre de Nolhac, Histoire du château de Versailles (1899)
  • LE BRAS-CHAUVOT Sylvie, Marie-Antoinette l’Affranchie – Portrait inédit d’une icone de mode (février 2020), chez Armand Colin.
  • LEVER Evelyne, Marie-Antoinette (1991) ; chez Fayard
  • Marie-Antoinette … racontée par ceux qui l’ont connue (2016) Les Cahiers Rouges ; chez Grasset
  • NOLHAC Pierre (de), Le Château de Versailles au temps de Marie-Antoinette (1889)
  • NOLHAC Pierre (de), La Reine Marie-Antoinette (1889)
  • NOLHAC Pierre (de), Versailles au XVIIIe siècle (1918)
  • NOLHAC Pierre (de), Autour de la Reine (1929)
  • REISET comte (de), Modes et Usages au Temps de Marie-Antoinette , deux tomes (1885)
  • SAPORI Michelle, Rose Bertin, couturière de Marie Antoinette (2010) ; chez Paris, Perrin (2010)
  • SCHOEFFER Pierre, Un peuple et son Roi (2018)

Les dames du palais, au nombre de douze se relayent par équipe de quatre par semaine. Elles ne sont pas tenues à assister aux Petites Entrées depuis la réforme souhaitée par Marie-Antoinette qui reçoit à ce moment ses fournisseurs préférés et n’entrent qu’à l’arrivée des dames précédemment nommées, patientant dans le grand cabinet (salon des Nobles). Elles l’accompagnent ensuite à la messe. Elles servent de société à la Reine tout le reste de la journée. Une fois admises dans la chambre, les dames se placent à droite et à gauche sur deux ou trois rangs en laissant libre le milieu de la chambre et la porte d’entrée. Il y a un nombre égal de duchesses (qui ont donc droit au tabouret) et de femmes titrées, parfois d’extraction plus anciennes.

Dames du Palais de la Reine par Moreau le Jeune
Marie-Antoinette par Heinrich Lossow

Après la coiffure, la Reine procède à une sommaire toilette de propreté – qui n’est qu’un simulacre d’Étiquette : on lui lave les mains, on la poudre devant tout le monde. Elle achève cette toilette entourée de ses femmes, toutes en grand habit.
A ce moment peuvent entrer les membres de la famille royale et les princes et princesses du sang. Ils n’arrivent pas tous au même moment et entrent au fur et à mesure, selon leur propre lever et toilette, également publiques. Entrent également au moment de la coiffure, les capitaines des gardes et les autres grandes charges de cour : le capitaine des gardes, le Premier Aumônier de la Reine, etc…

L'amour maternel (vrs 1772) de Moreau le jeune
Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola

Il va de soi que tous n’assistent pas à la Toilette tous les jours. Notre propos est d’indiquer ceux susceptibles d’être présents. Certains se font un honneur d’y être présents le plus souvent possible, d’autres au gré des circonstances (journées de cérémonies, sollicitations particulières auprès de la Reine…).

Marie-Antoinette les reçoit ainsi :

« La reine salu(e) de la tête, ou par une inclination du corps, on en s’appuyant sur sa toilette, pour indiquer le mouvement de se lever : cette dernière manière de saluer (est) pour les princes du sang. Les frères du roi v(ienn)ent aussi assez habituellement faire leur cour à Sa Majesté pendant qu’on la coiff(e)

Madame Campan, Éclaircissements historiques    

Marie-Antoinette termine donc Sa coiffure, par un simulacre d’Étiquette se lave les mains et fait mine de mettre Son rouge, ce qui était fait depuis longtemps. C’est alors que l’Habillement peut enfin se faire.

L’Habillement de la Reine

Par bienséance, les hommes sortent :

« Je mets mon rouge et lave mes mains devant tout le monde, ensuite les hommes sortent et les dames restent et je m’habille devant elle.»

Marie-Antoinette, lettre à Sa mère du 12 juillet 1770    

C’est ici que nous pouvons enfin placer le célèbre extrait de madame Campan, ou l’interprétation qu’en fait Sofia Coppola :

« L’habillement de la princesse était un chef-d’œuvre d’Étiquette ; tout y était réglé. La dame d’honneur et la dame d’atours, toutes deux si elles s’y trouvaient ensemble, aidées de la première femme de chambre et de deux femmes ordinaires, faisaient le service principal ; mais il y avait entre elles des distinctions. La dame d’atours passait le jupon, présentait la robe. La dame d’honneur versait l’eau pour laver les mains et passait la chemise. Lorsqu’une princesse de la famille royale se trouvait à l’habillement, la dame d’honneur lui cédait cette dernière fonction, mais ne la cédait pas directement aux princesses du sang ; dans ce cas, la dame d’honneur remettait la chemise à la première femme qui la présentait à la princesse du sang. Chacune de ces dames observait scrupuleusement ces usages comme tenant à des droits. Un jour d’hiver, il arriva que la reine, déjà toute déshabillée, était au moment de passer sa chemise, je la tenais toute dépliée ; la dame d’honneur entre, se hâte d’ôter ses gants et prend la chemise. On gratte à la porte, on ouvre :  c’est madame la duchesse d’Orléans ; ses gants sont ôtés, elle s’avance pour prendre la chemise, mais la dame d’honneur ne doit pas la lui présenter ; elle me la rend, je la donne à la princesse ; on gratte de nouveau : c’est Madame, comtesse de Provence ; la duchesse lui présente la chemise. La reine tenait ses bras croisés sur sa poitrine et paraissait avoir froid. Madame voit son attitude pénible, se contente de jeter son mouchoir, garde ses gants et, en passant la chemise, décoiffe la reine, qui se met à rire pour déguiser son impatience, mais après avoir dit plusieurs fois entre ses dents : « C’est odieux !  Quelle importunité ! » ».

Comme nous l’avons constaté, la Reine à ce moment n’est ni à peine réveillée, ni nue ou même en légère chemise, bas et jupon. Il est déjà midi bien avancé.

Les princesses de la famille royale ou du sang qui participent à l’Habillement de la Reine ont vécu peu ou prou le même cérémonial depuis leur lever. La Reine doit revêtir les jours de cérémonie une troisième chemise de jour, un corps plus orné que celui du matin, et le «Grand Habit», c’est à dire une robe de Cour particulièrement somptueuse, d’étoffe précieuse, de plusieurs pièces ajustées sur sa personne avec des rubans ou des épingles.

Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola
Images des Liaisons Dangereuses de Stephen Frears

Les dames sont donc assistées de la femme de la Garde-Robe des Atours qui ajustent les divers éléments.
D’abord un grand corps lacé par devant, une paire de manchettes de dentelles piquées sur celles du corps, une immense jupe posé sur un grand panier de plus de cinq mètres de tour et un bas de robe formant une queue que l’on agrafe à la taille, sans oublier les gants de peau et les souliers assortis.

Images des Liaisons Dangereuses (1988) de Stephen Frears
La fameuse robe de Karl Lagerfeld qui s'inspire directement de Marie-Antoinette
Tilda Swinton dans Orlando (1992) de Sally Potter : on lui revêt un panier pour accueillir une robe conçue par Karl Lagerfeld

Les étoffes utilisées dans la confection des grands habits sont d’une très grande richesse. On distingue les grands habits de cérémonie, de ceux à utilisation courante, moins ornés. Les premiers, obligatoirement de brocart d’or ou d’argent, de soie brodée à fond colombin, de soie blanche ou noire relevée de broderies d’or ou d’argent, de velours semé de pierreries, sont utilisés seulement pour les très grandes cérémonies officielles et les fêtes religieuses.

Les autres moins ornés – confectionnés souvent par l’atelier de  Mademoiselle Bertin – sont faits de taffetas violet, chiné or, chiné blanc. Ils sont d’un usage courant et journalier.

Rappelons que le grand habit qui est un véritable harnachement pesant entre vingt et quarante kilogrammes selon les tissus et pierreries employés, nécessite l’aide du « porte-manteau » pour soutenir la longueur de la queue, de pages et d’écuyers de main pour se mouvoir sans tomber à la renverse.

La Petite Reine par Benjamin Warlop

On comprend aisément ce pour quoi la Reine, les princesses et les dames de la Cour se déshabillent rapidement, la représentation terminée, pour soulager leurs corps de ce poids énorme. La robe est passée par le bas afin d’éviter d’abîmer la coiffure, particulièrement haute et sophistiquée en début de règne. Une fois habillée, les portes sont de nouveau ouvertes pour les hommes.
Marie-Antoinette doit encore s’acquitter d’une nouvelle cérémonie avant de partir pour la messe.

Pour plus de détails sur la toilette de représentation : pour préparer les nouvelles entrées, les dames qui viennent d’accomplir leur fonction se rangent sur les côtés de la chambre afin d’en libérer l’accès.

 « Bien des fois, quand il y (a) beaucoup de dames, on (est) sur deux ou trois rangs Mais les premières arrivées se retir(ent) adroitement vers la porte du salon de jeu (le salon de la Paix), par où la reine d(oit) passer pour aller à la messe.»

La baronne d’Oberkirch     

Les présentations

A la fin de la Toilette, se déroulent différentes présentations. La Reine se place debout au centre de Sa chambre, entourée de Sa Dame d’Honneur, Sa Dame d’Atours, des quatre Dames du Palais de semaine, de Son Chevalier d’Honneur, de Son Premier Écuyer, Son personnel ecclésiastique, les princesses de la famille royale, tous prêts à l’accompagner pour la messe en traversant la grande galerie y rejoindre le Roi puis le grand appartement, jusqu’au vestibule de la tribune de la famille royale.

C’est durant ce moment avant de sortir que la Reine accueille ceux qui lui sont présentés :

« Son secrétaire des commandements présent(e) la plume à la Reine qui signe divers contrats notamment les mariages concernant les membres de sa Maison ou de grandes familles de la Cour. Les colonels (ont) obligation de se présenter à la Reine afin de prendre congé avant de rejoindre leurs régiments. Les ambassadeurs (sont) introduits chez la Reine, tous les mardis matin, accompagnés de l’Introducteur des Ambassadeurs de service et du secrétaire des ambassadeurs. L’Introducteur v(ient) ordinairement, à la Toilette de la Reine, la prévenir des présentations d’étrangers qui (auront) lieu.»

Henriette Campan    

Présentations au Roi et à la Reine dans le salon des Nobles dans Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy
Le salon des Nobles : la tapisserie représentant Louis XV en costume royal occupe le même emplacement au temps de Marie-Antoinette.

Lorsque ces réceptions sont plus officielles, elles ont lieu dans le salon des Nobles, qui jouxte la chambre officielle : le Grand Appartement est le lieu de vie officiel de Marie-Antoinette, il Lui sert à accomplir toutes les obligations royales, qu’elles soient politiques ou religieuses, ou bien qu’elles relèvent de l’Étiquette.

Présentations au Roi et à la Reine dans le salon des Nobles dans Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy
Plan du premier étage du corps central du château de Versailles : en bleu le Salon des Nobles de la Reine
Le salon des Nobles : en 1785, Marie-Antoinette renouvelle complètement la décoration murale et le mobilier de ce salon pour les mettre au goût du jour. Les murs sont alors tendus d'un damas «vert pomme» bordé d'un large galon d'or.

La pièce suivante du grand appartement de la Reine et l’antichambre du grand couvert de la Reine, dans laquelle nous reviendrons … après la messe !

Pour plus de détails sur la toilette de représentation :

La toilette de représentation

À midi et demi

Le cortège pour la messe peut enfin se mettre en route. La porte s’ouvre alors et l’huissier annonce :
« Le Roi ! »

« L’audience du dimanche matin se prolonge jusqu’à midi quarante minutes. La porte s’ouvre alors et l’huissier annonce : « Le Roi ! ». La Reine, toujours vêtue d’un habit de cour, s’avance vers lui avec un air charmant, bienveillant et respectueux. Le Roi fait des signes de tête à droite et à gauche, parle à quelques femmes qu’il connaît, mais jamais aux jeunes…. A une heure moins un quart, on se met en mouvement pour aller à la messe. Le Premier gentilhomme de la Chambre d’année, le capitaine des gardes de quartier et plusieurs autres officiers des gardes prennent les devants, le capitaine des gardes le plus près du Roi. Puis viennent le Roi et la Reine marchant l’un à côté de l’autre, et assez lentement pour dire un mot en passant aux nombreux courtisans qui font la haie tout le long de la Galerie. Souvent la Reine parle à des étrangères qui lui ont été présentées en particulier, à des artistes, à des gens de lettres. Un signe de tête ou un sourire gracieux est compté et ménagé avec discernement. Derrière, viennent les dames selon leur rang. C’est un grand art que de savoir marcher dans ce vaste appartement, sans accrocher la longue queue de la robe de la dame qui vous précède. Il ne faut pas lever les pieds une seule fois, mais les glisser sur le parquet, toujours très luisant, jusqu’à ce qu’on eût traversé le Salon d’Hercule.»

Le cérémonial de la cour du dimanche narré par la marquise de La Tour-du-Pin, cité par Pierre de Nolhac, Histoire du château de Versailles (1899)

Images de Jefferson à Paris (1995) de James Ivory

Laissons la parole à la marquise de La Tour-du-Pin qui nous conte ce moment de la journée :

Le Roi Louis XVI et la Reine Marie-Antoinette se rendent à la messe.

« Les femmes se rendent, quelques minutes avant midi, dans le salon qui précède la chambre de la Reine. On ne s’assoie pas, à l’exception des dames âgées, fort respectées alors, et des jeunes femmes soupçonnées d’être grosses. Il y a toujours au moins quarante personnes et souvent beaucoup plus. Quelquefois nous sommes très pressées les unes contre les autres, à cause de ces grands paniers qui tiennent beaucoup de place. Ordinairement, Madame la princesse de Lamballe, surintendante de la Maison, arrive et entre immédiatement dans la chambre à coucher où la Reine fait sa toilette. Le plus souvent, elle arrive avant que Sa Majesté la commence…. Au bout de quelques minutes, un huissier s’avance à la porte de la chambre et appelle à haute voix : « Le service ! » Alors les dames du palais de semaine, au nombre de quatre, celles venues pour faire leur cour dans l’intervalle de leurs semaines, ce qui est de coutume constante, et les jeunes dames appelées à faire plus tard partie du service du palais, comme la comtesse de Maillé, née Fitz-James, la comtesse Mathieu de Montmorency et moi, entrent également. Aussitôt que la Reine nous a dit bonjour à toutes individuellement avec beaucoup de grâce et de bienveillance, on ouvre la porte, et tout le monde est introduit. On se range à droite et à gauche de l’appartement, de manière que la porte reste libre et qu’il n’y ait personne dans le milieu de la chambre. Bien des fois, quand il y a beaucoup de dames, on est sur deux ou trois rangs. Mais les premières arrivées se retirent adroitement vers la porte du salon de jeu [Salon de la Paix], par où la Reine doit passer pour aller à la messe. Dans ce salon sont admis souvent quelques hommes privilégiés, déjà reçus en audience particulière auparavant ou qui présentent des étrangers. .. L’audience du dimanche matin se prolonge jusqu’à midi quarante minutes. La porte s’ouvre alors et l’huissier annonce : « Le Roi ! ». La Reine, toujours vêtue d’un habit de cour, s’avance vers lui avec un air charmant, bienveillant et respectueux. Le Roi fait des signes de tête à droite et à gauche, parle à quelques femmes qu’il connaît, mais jamais aux jeunes…. A une heure moins un quart, on se met en mouvement pour aller à la messe. Le Premier gentilhomme de la Chambre d’année, le capitaine des gardes de quartier et plusieurs autres officiers des gardes prennent les devants, le capitaine des gardes le plus près du Roi. Puis viennent le Roi et la Reine marchant l’un à côté de l’autre, et assez lentement pour dire un mot en passant aux nombreux courtisans qui font la haie tout le long de la Galerie. Souvent la Reine parle à des étrangères qui lui ont été présentées en particulier, à des artistes, à des gens de lettres. Un signe de tête ou un sourire gracieux est compté et ménagé avec discernement. Derrière, viennent les dames selon leur rang. C’était un grand art que de savoir marcher dans ce vaste appartement, sans accrocher la longue queue de la robe de la dame qui vous précède. Il ne faut pas lever les pieds une seule fois, mais les glisser sur le parquet, toujours très luisant, jusqu’à ce qu’on ait traversé le Salon d’Hercule.»

Le cérémonial de la cour du dimanche narré par la marquise de La Tour-du-Pin, cité par Pierre de Nolhac, Histoire du château de Versailles (1899)     

Marie-Antoinette par Benjamin Warlop
Charlotte de Turckheim  dans Jefferson à Paris (1996) de James Ivory
Image des Adieux à la Reine (2012) de Benoît Jacquot
La famille royale se rendant à la messe dans Jefferson à Paris de James Ivory (1995)
Entrée de la tribune royale de la chapelle de Versailles

La messe célébrée par un des aumôniers de la Cour et chantée par la musique du Roi ne doit pas dépasser quinze minutes.

La tribune royale de la chapelle de Versailles

« La chapelle n’est pas plus que la chambre-à-coucher un refuge contre l’étiquette. Au moment où la Reine communie, il y a une symétrie de tabourets, de carreaux et de tapis à observer, des rangs à distribuer, des prétentions à concilier entre les assistants titrés qui ont le droit de tenir les quatre coins de la nappe.»

Arthur-Léon Imbert de Saint-Amand   

Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola : en réalité le Roi et la Reine entendent la messe depuis la tribune royale, à l'exception des jours de grandes cérémonies, où leurs fauteuils sont placés en bas, sur des tapis de velours à franges d'or.

C’est la Reine qui désigne la quêteuse, souvent choisie parmi les nouvelles présentées, et le lui fait dire par Sa dame d’honneur qui lui procure la bourse.
Après la messe, la Reine fait une profonde révérence au Roi et l’on se remet en marche dans l’ordre même où l’on est venu. Seulement le Roi et la Reine s’arrêtent plus longtemps à parler à quelques personnes dans la Galerie des Glaces. La Reine regagne Sa chambre et les habitués restent dans le salon de la Paix en attendant le dîner.

À une heure après midi

L’antichambre du Grand Couvert

Durant la journée, les valets de pieds stationnent dans l’Antichambre et prétendent être les seuls à avoir le droit de se chauffer à la cheminée. C’est devant celle-ci qu’est placée la table et les fauteuils du Roi et de la Reine. On dresse alors la table devant la cheminée. C’est le maître d’hôtel qui couvre la table : il y place des assiettes en or, un couteau et une fourchette, puis des assiettes de vermeil sur les places des invités et une fourchette et un couteau.

L'Antichambre du Grand Couvert de la Reine

Louis XIV s’astreignait à cette représentation presque tous les soirs ; Louis XV lui préfère bien souvent les soupers intimes ; quant à Louis XVI et Marie-Antoinette, un témoignage du temps nous rapporte que « la Reine se mettait à la gauche du Roi. Ils tournaient le dos à la cheminée. […] Le Roi mangeait de bon appétit, mais la Reine n’ôtait pas ses gants et ne déployait pas sa serviette, en quoi elle avait grand tort ». Les souverains siègent sur de grands fauteuils verts placés l’un à côté de l’autre.

«Après la messe, nous dînons à nous deux devant tout le monde, mais cela est fini à une heure et demi, car nous mangeons fort vite tous les deux»

Marie-Antoinette, lettre du 12 juillet 1770 à Sa mère

Situation de l'Antichambre du Grand Couvert, château de Versailles, Versailles Passion, plan de Christophe Duarte

 

Le déjeuner du midi, appelé Petit Couvert, est servi à une heure, après la messe. Les souverains déjeunent ensemble, en public. Le grand chambellan présente et énumère les plats et ceux-ci sont servis en même temps. Il y a trois services, qui comptent chacun cinq à sept plats avec viandes, poissons, légumes, gâteaux et confiseries. Les souverains marquent leur différence : Louis XVI mange avec appétit tandis que Marie-Antoinette touche à peine aux plats. Elle préfère déjeuner en privé dans Ses appartements. Elle apprécie en particulier les volailles bouillies ou rôties, ainsi que les poissons (sauf le maigre) et pâtés. Son plat préféré était d’ailleurs la canette. Elle apprécie également les fruits (fraises…), les oeufs, le fromage (notamment ceux de Trianon). Elle avait un petit faible pour les sucreries : chocolat sous différentes formes (à la vanille, au cassis…), biscuits, verres d’eau sucrée, fleur d’oranger… La Reine ne boit que de l’eau apportée de la ville d’Avray par des voitures et dans des bouteilles en étain. Elle ne supporte pas celle de la Seine.

Voici le menu d’un repas servi au Roi à Trianon en 1788 :

QUATRE POTAGES
Le riz
Le Scheiber
Les croutons aux laitues
Les croutons unis pour Madame.

DEUX GRANDES ENTRÉES
La pièce de bœuf aux choux
La longe de veau à la broche.

SEIZE ENTRÉES
Les pâtés à l’espagnol
Les côtelettes de mouton grillées
Les hâtelets de lapereaux
Les ailes de poulardes à la maréchale
Les abatis de dindon au consommé
Les carrés de mouton piqués à la chicorée
Le dindon poêlé à la ravigote
Le ris de veau au papillote,
La tête de veau sauce pointue
Les poulets à la tartare
Le cochon de lait à la broche
La poule de Caux au consommé
Le caneton de Rouen à l’orange
Les filets de poularde en casserole au riz
Le poulet froid
La blanquette de poularde aux concombres.

QUATRE HORS-D’ŒUVRE
Les filets de lapereaux
Le carré de veau à la broche
Le jarret de veau au consommé
Le dindonneau froid.

SIX PLATS DE ROTS
Les poulets
Le chapon pané
Le levraut
Le dindonneau
Les perdreaux,
Les lapreaux

SEIZE PETITS ENTREMETS

 

Le Grand Couvert dure quarante-cinq minutes, se déroule en public. Tout le monde peut y assister à la seule condition, mais sine qua non, d’être correctement habillé. A la table du Roi ne peuvent s’asseoir que la Reine et les enfants du souverain. A force d’être entourés de serviteurs et de servantes, le Roi et la Reine finissaient quelquefois par n’être point servis du tout.

Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola «Le maître d'hôtel de la Reine tient un grand bâton de six à sept pieds de hauteur, orné de fleurs de lys en or et surmonté de fleurs de lys en couronne. »
Le grand couvert dans Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola
Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola
Le Dauphin Louis-Auguste et la Dauphine Marie-Antoinette, Sofia Coppola

« La Reine n’est entourée que de femmes. L’éloignements de serviteurs de l’autre sexe existe même aux heures des repas pour le service de table ; et bien que le Roi mange publiquement avec la Reine, il est lui-même servi par des femmes pour tous les objets qui lui sont directement présentés à table. La dame d’honneur, à genoux pour sa commodité sur un pliant très bas, une serviette posée sur le bras, présente les assiettes au Roi. Des femmes en charges, ayant prêté serment et vêtues en grand habit de cour, peuvent seules rester dans la chambre de la Reine, et servir conjointement avec la dame d’Honneur et la dame d’atours.»

Arthur-Léon Imbert de Saint-Amand     

Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola

Au premier rang de l’assistance, des tabourets sont disposés pour les duchesses. Les autres courtisans se tiennent debout.

Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola
L'antichambre du Grand Couvert

« Si la Reine demand(e) un verre d’eau, le garçon de la chambre présent(e) à la première femme une soucoupe de vermeil, sur laquelle (sont) placés un gobelet couvert et une petite carafe. Si la dame d’Honneur v(ient) à entrer, la première femme (est) obligée de lui remettre la soucoupe ; si une princesse du sang para(ît), la soucoupe pass(e) encore des mains de la dame d’Honneur dans celles de la princesse, avant d’arriver à la Reine.»

Henriette Campan    

 

« Le capitaine des gardes et le premier gentilhomme de la chambre (sont) derrière le fauteuil du Roi ; derrière celui de la Reine, son premier maître d’hôtel, son chevalier d’honneur et le premier écuyer. Le maître d’hôtel de la Reine t(ient) un grand bâton de six à sept pieds de hauteur, orné de fleurs de lys en or et surmonté de fleurs de lys en couronne. Il entr(e) dans la chambre, avec ce signe de sa charge, pour annoncer que la Reine (est) servie. Le contrôleur lui reme(t) le menu du dîner qu’il présente lui-même à la Reine, en cas d’absence du premier maître d’hôtel. Le maître d’hôtel ne quitt(e) point sa place. Il ordonne seulement de servir et de desservir.; les contrôleurs et gentilshommes servants mett(ent) sur table, et re(çoivent) les plats des garçons servants.»

Henriette Campan    

Image de Jefferson à Paris (1995) de James Ivory qui laisse à penser que le Grand Couvert était servi dans le salon de la Guerre

Contre cet ennui, Marie-Antoinette demande qu’il y ait toujours musique au Grand Couvert et à cette fin, une tribune pour les musiciens est aménagée dans la pièce. Le Roi rejoint aussi très souvent la Reine pour dîner ou souper dans Sa chambre, face à un public bien plus restreint, englobant de fait la Maison de la Reine. On parle alors de Petit Couvert.

Le Petit Couvert est dressé dans la chambre de la Reine. A ce Petit Couvert, la Reine prend seule Son repas.

La table de prêt est dressée dans la pièce attenante à la chambre par les officiers du Gobelet. À la porte de la chambre, les officiers du Gobelet présente à la première femme de chambre qui les apporte à la table de la Reine : serviettes, soucoupes et assiettes. Cette dernière, qui effectue la majorité du service auprès de la Reine durant le petit couvert, les présente à la Reine.

Les plats sont présentés à la Reine par Ses femmes de chambre. Elles les reçoivent des mains des officiers qui n’ont pas les entrées de la chambre de la Reine. Elles présentent chacune à leur tour les différents plats à la Reine pour qu’e cette dernièr’Elle fasse son choix. La seule exception est faite pour les lourds plats de fruits qui sont apportés par le contrôleur ordinaire de la Bouche.

Antichambre du Grand Couvert, château de Versailles, la Tribune de l'Art
Image des Années Lumière (1989) de Robert Enrico
Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola

 

La Reine choisit les plats qu’Elle souhaite manger. Les officiers du Gobelet préparent l’assiette de la Reine contenant le plat choisi. La première femme de chambre pose devant la Reine l’assiette. Une fois que la Reine a mangé, la première femme de chambre rend l’assiette aux officiers du Gobelet.

La première femme de chambre remplit le même office lorsque la Reine souhaite boire.

 

Image des Années Lumière (1989) de Robert Enrico

Joseph II exprime des idées analogues à celles de sa mère :

 

« Vous avez, comme reine, un emploi lumineux. La politesse et l’affabilité ont leurs bornes. Il faut penser à votre situation et à votre nation, qui est trop encline à se familiariser et à manger dans la main.»

Joseph II à Marie-Antoinette   

La chambre de la Reine, château de Versailles

Le comte de Mercy ne désapprouve pas toutes les dérogations que la Reine fera subir à l’ancien cérémonial, il en conseille même certaines :

« Jusqu’à présent, l’étiquette de cette cour à toujours interdit aux reines et princesses royales de manger avec des hommes. Cela a causé de grands maux : de là sont venus ces soupers de chasseurs, qui ont tant contribué à plonger le feu roi (Louis XV) dans le désordre dans lequel il a vécu. Le roi d’aujourd’hui aime la chasse ; il voudra certainement souper quelquefois avec ceux qui le suivent. Je n’ai pas hésité à proposer à la reine de tâcher de faire abolir une étiquette qui n’aboutit qu’à la séparer du roi, et, connaissant à fond ce pays-ci, je regarde ce point comme un objet de la dernière importance.»

Le comte de Mercy à Marie-Thérèse d’Autriche, le 7 juin 1774               

Ainsi Louis XVI et Marie-Antoinette ne soupent bientôt plus dans le cabinet du Grand Couvert que les dimanches.

L'Antichambre du Grand Couvert de la Reine

Alors commence une véritable course des courtisans pour aller faire leur cour aux princes et aux princesses de la famille royale, chez Monsieur, le comte d’Artois, Madame Elisabeth, chez Mesdames, tantes du Roi et même chez le petit Dauphin (quand il aura son gouverneur, le duc d’Harcourt), qui dînent beaucoup plus tard. C’est à qui arrivera le premier. Ces visites ne durent chacune que trois ou quatre minutes seulement, car les salons des princes sont si petits qu’ils se trouvent dans la nécessité de congédier les premiers venus pour faire place aux autres.

« Les huissiers laiss(ent) entrer tous les gens proprement mis ; ce spectacle (fait) le bonheur des provinciaux. A l’heure des dîners, on ne rencontr(e), dans les escaliers, que des braves gens, qui après avoir vu la dauphine manger sa soupe, allaient voir les princes manger leur bouillie, et qui cou(rent) ensuite à perdre haleine pour aller voir Mesdames manger leur dessert.»

Henriette Campan

À deux heures moins le quart

1 : escalier ; 2 : service de la Reine ; 3 : escalier à l’appartement de la Reine au rez-de-chaussée ; 4 : passage ; 5 : cabinet de la chaise ; 6 : cabinet de la Méridienne ; 7 : bibliothèque ; 8 : supplément de la bibliothèque ; 9 : le Cabinet Doré ; 10 : arrière cabinet ; 11 : pièce des bains ; 12 : chambre des bains ; 13 : antichambres ; 14 : escalier de la Reine

Marie-Antoinette retrouve Ses petits appartements où Elle retire Son panier et Son bas de robe, pour se reposer dans le cabinet de la Méridienne qu’on a construit au printemps 1781, lorsque la Reine est enceinte de Son deuxième enfant que tous espèrent être un mâle.. Puis Elle change de tenue selon Ses activités de l’après-midi.

Agacée par cet affairement autour d’Elle, Marie-Antoinette cherche à s’en retrancher et fait aménager à cette fin le petit cabinet de repos à l’arrière de Sa chambre officielle.

 

Premier meuble de la Méridienne mis en place en mai 1781
Marie-Antoinette posant dans la Méridienne pour Elisabeth Vigée Le Brun par Benjamin Warlop

Si Elle se rend à Trianon, Elle adopte une robe moins encombrante que la robe à la française dont le large panier permettrait mal de circuler dans le petit château.

Le Petit Trianon
Images de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola

Voir cet article :

Le hameau de la Reine à Trianon

Dans les années 1780, si Elle choisit de profiter du hameau du Petit Trianon, Elle revêt une chemise à la Reine…

 

Image du Versailles Secret de Marie-Antoinette (2018)
Marie-Antoinette en gaulle, madame Vigée Le Brun, 1783

Voir cet article : 

Image du Versailles Secret de Marie-Antoinette (2018)

Si Elle reste au château, Elle peut rejoindre le Roi pour régler quelque question politique, dans le Cabinet du Conseil. Elle revêt alors une lévite, une robe anglaise ou une robe turque : une de ces robes dites robes de fantaisie.

« Au début du règne, la Reine doit toujours être suivie dans le palais de Versailles par deux de Ses femmes en habit de cour, aux heures de la journée où les dames ne sont plus auprès d’Elle. Marie-Antoinette changera tout cela. Elle ne dînera plus en public ; et prendra l’habitude de se faire accompagner par un seul valet de pied.»

Arthur-Léon Imbert de Saint-Amand     

Le Roi et la Reine dans le Cabinet du Conseil dans le film de Sofia Coppola

L’après-midi est surtout l’occasion pour la Reine de recevoir Ses artistes pour œuvrer à Son image tant par Sa vêture que par Ses portraits.
C’est alors que peuvent avoir lieu les entrevues particulière avec Mademoiselle Bertin qu’on intitule rapidement du titre officieux de « ministre des Modes ».

Mademoiselle Bertin et Marie-Antoinette en conférence privée dans le Cabinet doré par Benjamin Warlop

N’empêche que ce ministère aura des répercussions dans l’ensemble de l’Europe jusqu’en Russie…

À six heures du soir

Dauphine, Marie-Antoinette se rend chez Ses tantes pour le jeu jusqu’à neuf heures. Reine, Elle perpétue cette tradition. Encore dans Sa chambre, Elle trouve près de la porte un des deux curés de Versailles qui Lui remet une bourse, Elle fait alors la quête à chacun, hommes et femmes, en disant : « Pour les pauvres, s’il vous plaît.» Les femmes ont chacune leur écu de six francs dans la main et les hommes leur louis. La Reine perçoit ce petit impôt charitable, suivie du curé, qui rapporte souvent jusqu’à cent louis à ses pauvres, et jamais moins de cinquante, ce qui renseigne sur l’affluence en cette partie de la journée…

Emmanuelle Béart est Marie-Antoinette pour Caroline Huppert, en 1988. Léa Gabrielle est madame de Lamballe et Isabelle Gélinas madame de Polignac

C’est aussi à ce moment que la Reine gagne le salon d’une de Ses amies, Madame de Lamballe, Madame de Guéménée ou Madame de Polignac. Marie-Thérèse d’Autriche s’offusquera des rencontres peu fréquentables qu’Elle fera chez les deux dernières …

« La reine va moins fréquemment le soir chez la princesse de Guéménée que chez la princesse de Lamballe. Mais les séances chez cette dernière ne sont guère moins dangereuses, les intrigants s’y trouvent d’un genre un peu plus illustre, c’est la seule différence.»

Le comte de Mercy     

Les 30 octobre et 1er novembre 1776, Louis XVI concédant à sa femme le droit d’organiser une séance de jeu, celle-ci s’arrange pour la faire durer trois jours. La Reine laisse de fortes sommes sur le tapis vert.

Ce jeu de trois jours se déroulera chez Madame de Guéménée… Les jeux de hasards seront proscrits par le Roi en 1787.

Image de La Grande Cabriole (1989) de Nina Companeez

« Madame de Polignac recevra-t-elle toute la France ? interroge le prince de Ligne.
— Oui, répond le chevalier de l’Isle, trois jours de la semaine : mardi, mercredi, jeudi. Pendant ces soixante-douze heures, ballet général ; entre qui veut, dîne qui veut, soupe qui veut. Il faut voir comme la racaille des courtisans y foisonne. On habite, durant ces trois jours, outre le salon, toujours comble, la serre chaude, dont on a fait une galerie, au bout de laquelle est un billard. Les quatre jours de la semaine qui ne sont point ci-dessus dénommés, la porte n’est ouverte qu’à nous autres favoris. Vous y êtes attendu.»

Le duc de Lévis décrit ainsi les Polignac nouvellement installés :

« Tout le reste de la semaine, (Madame de Polignac) menait une véritable vie de château. Une douzaine de personnes formaient, avec sa famille, sa société ; il y régnait une aimable liberté. On y jouait et on faisait de la musique, on causait ; jamais il n’était question d’intrigues ou de tracasseries, pas plus que si l’on eût été à cent lieues de la capitale et de la Cour. Je me rappelle avec un plaisir mêlé de regrets les agréables soirées que j’y ai passées, pendant les deux hivers qui ont précédé la Révolution. »

A partir de 1783, la Reine commence déjà à ne plus venir aussi familièrement qu’autrefois chez madame de Polignac :

« La reine s’éloigna insensiblement du salon de Madame de Polignac et prit l’habitude d’aller souvent et familièrement chez Madame la comtesse d’Ossun, sa dame d’atours, dont le logement était très près de l’appartement de la reine ; elle y venait dîner avec quatre ou cinq personnes ; elle y arrangeait de petits concerts, dans lesquels elle chantait ; enfin, elle montrait là plus d’aisance et de gaîté qu’elle n’en avait jamais laissé apercevoir chez Madame de Polignac. »

Le comte de La Marck           

À huit heures du soir

Le cabinet des bains du soir
( Texte et illustrations de Christophe Duarte – Versailles passion)

Si la toilette reste attachée au service de la chambre, les pièces pour le bain jouxtant le Cabinet Doré sont un lieu de délassement et d’intimité. Le bain du soir devient une institution sous Marie-Antoinette. L’hiver, les cheminées apportent le confort nécessaire.

Le cabinet des bains du soir
Le cabinet des bains du soir

Les armoires murales pour le nécessaire de toilette, les produits cosmétiques, les flacons d’essences, de fragrances d’amande douce, d’eau de rose et de lavande qui servent à parfumer les bains. A nouveau, la Reine change de tenue, qui dépend du programme du soir. C’est une robe sur le grand (en cas de bal) et petit panier (pour le jeu ou les soupers des petits appartements). Et ici point de cérémonie, Elle est servie par Sa première femme de chambre qui est assistée par deux femmes de chambre.

À neuf heures du soir

D’après la bienséance, pas toujours respectée par Louis XVI, qui mange parfois en privé, le dîner du soir se déroule dans l’antichambre du Roi ou de la Reine en présence de tous les courtisans qui le désirent à condition qu’ils portent une épée et une tenue décente : il s’agit du Souper ou Grand couvert. Le Roi et la Reine dîne en public, devant les princesses, duchesses (assises) et autres dames (debout) et en musique. Au moment de l’annonce du dîner, l’huissier de salle mobilise un garde du corps. Avec eux, le «chef du gobelet» apporte à table la nef (pièce d’orfèvrerie refermant des serviettes et des coussins de senteurs) et d’autres apportent le reste des couverts. L’huissier se rend ensuite à la « bouche» où sont cuisinés les plats. 

Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola

Il se rend ensuite à la salle de repas. Derrière lui, le maître d’hôtel, et les gentilshommes servant les plats entrent. Le plat est alors pris en charge par le gentilhomme «de prêt». Chaque plat est «protégé» par trois gardes armés. Les gentilshommes servants goûtent les plats qu’ils portent puis les déposent sur la table royale. Les membres de la famille royale peuvent alors se servir. Au cours de repas, d’autres gentilshommes apportent à leur boire lorsqu’ils le désirent. Les plats sont présentés à la Reine par Sa première dame d’honneur (la comtesse de Noailles), qui se met à genoux assistée par quatre dames du palais. Lors des grandes occasions, les membres de la famille royale mangent ensemble. Les discussions lors du repas sont quasi inexistantes et souvent entretenues par l’intarissable comte d’Artois. Lors de journées normales, chacun mange dans ses appartements privés.

Mais le soir, Elle dîne le plus souvent chez la comtesse de Provence ou Ses amies de la Cour :

En 1780, Marie-Joséphine de Provence désire l’installation d’une petite salle-à-manger et d’un salon en hémicycle contigu pour servir au jeu et au billard nécessaire aux soupers qu’elle offre chaque soir à la famille royale . Cette salle-à-manger destinée aux « soupers des petits cabinets »- soupers intimes sans domestiques dont a parlé Pierre de Nolhac dans ses ouvrages – est installée dans les anciennes pièces de service de la Dauphine détruites situées sous le cabinet doré de la Reine, là on a installé provisoirement un billard avant 1779. Cette salle-à-manger paraît bien étroite car toute la famille royale est conviée par la princesse : à savoir le Roi, la Reine, Monsieur, le comte et la comtesse d’Artois, les trois Mesdames tantes et Madame Elisabeth quand elle sera en âge. Cette petite pièce ouvrant par une fenêtre sur la cour intérieure de la Reine, appelée dès lors « cour de Monsieur », est donc prolongée sur l’appentis, pris sur l’ancien oratoire de la Dauphine, sous la terrasse du cabinet doré de la Reine. On place l’hiver, dans l’embrasure de la fenêtre, un poêle permettant de réchauffer la petite salle-à-manger que la petite cheminée du fond ne permet pas de chauffer complètement. Cette salle-à-manger comporte alors six angles où sont placées les encoignures commandées spécialement à Riesener.

Dîner familial chez la comtesse de Provence par Benjamin Warlop

Chacun, sauf le Roi, apporte son repas qui est placé par le service sur des plats posés sur une grande table ovale dressée dans la seconde chambre de Madame. Les serviteurs se retirent alors et chaque convive compose son repas en se servant soi-même et en prenant assiettes et argenterie qui ont été placées sur des servantes.

A partir de 1783, la Reine commence déjà à ne plus venir aussi familièrement qu’autrefois chez madame de Polignac :

« La reine s’éloign(e) insensiblement du salon de Madame de Polignac et pr(end) l’habitude d’aller souvent et familièrement chez Madame la comtesse d’Ossun, sa dame d’atours, dont le logement (est) très près de l’appartement de la reine ; elle y v(ient) dîner avec quatre ou cinq personnes ; elle y arrang(e) de petits concerts, dans lesquels elle chant(e) ; enfin, elle montr(e) là plus d’aisance et de gaîté qu’elle n’en (a) jamais laissé apercevoir chez Madame de Polignac. »

Le comte de La Marck      

Vers dix heures

Après le souper, en été, il est fréquent que la Reine se promène sur la terrasse du château en compagnie des comtesses de Provence et d’Artois, Ses belles-sœurs.

Promenade nocturne de la Reine, Madame et la comtesse d'Artois sur la terrasse de Versailles par Benjamin Warlop

 À onze heures du soir

Les courtisans se préparent à suivre le souverain dans sa chambre, il se couche pour pouvoir chasser le lendemain matin de bonne heure ou bien suivre la Reine à Sa table de jeux dans le Salon de la Paix :

Le salon de la Paix
( texte et illustrations de Christophe Duarte ; Versailles – passion )

Le salon de la Paix sert de salon des jeux de la Reine.

Témoin, à travers ses multiples formes et dans tous ses aspects, d’une société où le jeu possède une grande importance, le jeu du Roi et de la Reine demande donc à être replacé dans un système social où le luxe et la consommation ostentatoire tiennent les premières places.

Au-delà des jeux plus traditionnels, comme le lansquenet, les membres de la Cour se sont tous passionnés pour le fameux jeu du pharaon. Jeu de hasard mais aussi de stratégie, il s’agissait de miser sur des cartes gagnantes ou perdantes, un peu sur le principe de la roulette moderne. C’était un vrai exercice de probabilités, qui a su conquérir toute la Cour de cette époque !

Marie-Antoinette y tient Son jeu, et c’est Elle qui fait placer dans la cheminée le beau chenet en bronze ciselé et doré sur un modèle de Louis Simon Boizot.

Le salon de la Paix

Ce salon est, dès la fin du règne de Louis XIV, séparé de la galerie par une cloison mobile et considéré comme faisant partie de l’Appartement de la Reine dont il constitue la dernière pièce après la chambre.

Louis XV en figure mythologique de la Paix
Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola
Le salon de la Paix est le salon des jeux de la Reine
Le salon de la Paix
La Partie de Wisch par Jean-Michel Moreau le Jeune
Image des Années Lumière (1989) de Robert Enrico
Chenets de Boizot
Le jeu de la Reine dans Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola ... plus tard dans la nuit.

En 1779, le Reine fera installer un petit théâtre côté galerie. En 1786, au moment où la Reine refait faire son appartement, Elle veut faire détruire le décor de Louis XIV en faisant retirer les marbres et faire revêtir les murs de menuiserie et d’établir un faux plafond. Ce projet ne verra jamais le jour.

Le jeu de la Reine par Benjamin Warlop
Image des Années Lumière (1989) de Robert Enrico
Le Jeu de la Reine dans Les Années Lumière (1989) de Robert Enrico

L’image de Marie-Antoinette sacrifiant les intérêts de la nation sur Sa table de pharaon, imitée en cela par Son beau-frère, le comte d’Artois, doit beaucoup aux rumeurs populaires et aux pamphlets de l’époque révolutionnaire. Il est extrêmement délicat d’avancer des chiffres fiables, car les sources sont rares et les mémorialistes ou les contemporains ne sont pas souvent d’une grande aide, s’en tenant à des formules évasives.

Le salon de jeux de la Reine par Benjamin Warlop

Depuis le Salon de la Paix, la Reine se trouve à côté de Sa chambre officielle.

A partir de 1782, Elle récupère l’appartement du rez-de-chaussée de Madame Sophie (1734-1782), tante du Roi, et y installe Sa chambre intime qui donne sur la cour de marbre.

La chambre intime de la Reine

À une heure avancée de la nuit

La Reine va se coucher, le déshabillé s’organise selon un cérémonial moins contraignant que celui de l’habillement … La Reine garde dans Son lit un corset à crevés de ruban, des manches garnies de dentelles et un grand fichu.

Image de Marie-Antoinette (1975) de Guy-André Lefranc : madame Gougenot aide la Reine à monter dans Son lit
Marie-Antoinette dans Sa chambre intime par Benjamin Warlop

Avant d’aller se coucher, Marie-Antoinette indique l’heure à laquelle Elle veut se lever le lendemain matin.

Image de Marie-Antoinette de Jean Delannoy

D’un tempérament timide , Louis XVI souhaite donc rester très discret sur ses allées et venues chez Marie-Antoinette : il ne veut tout simplement pas que l’on sache qu’il va coucher chez Elle.     
Jusqu’en 1775, le trajet habituel pour se rendre de la chambre à coucher du Roi (qui correspond à l’actuelle chambre de Louis XV et Louis XVI) à celle de la Reine passe inévitablement par le cabinet du conseil, la grande chambre de parade (actuelle chambre de Louis XIV), l’antichambre de l’Œil-de-Bœuf où l’on emprunte alors un petit passage qui court dans la doublure de la galerie des Glaces.
Mais avant d’y parvenir, le Roi ne manque pas de rencontrer toutes sortes de gardes, de garçons de la chambre, et d’autres officiers dédiés à son service et à sa sécurité. La discrétion est donc loin d’être assurée…surtout lorsque la Reine a fermé Sa porte à clef et qu’il faut à Louis XVI rebrousser chemin…

Ce passage est donc un corridor biscornu qui s’étend sur près de soixante-dix mètres dans les entrailles invisibles du château…

Le passage secret de Louis XVI
( texte et illustrations de Christophe Duarte ; Versailles – passion )

Plans du passage du Roi

Beaucoup plus pudique que ces prédécesseurs, Louis XVI ne supportait pas de traverser toutes les antichambres pour rejoindre la Reine dans sa chambre. En 1775, il fait aménager un passage discret dans l’épaisseur des murs du château qui démarre depuis l’escalier semi-circulaire et qui arrive à l’arrière de la chambre de la Reine.

Départ du passage secret de Louis XVI

Il passe sous le Cabinet du Conseil, la grande chambre, l’antichambre de l’Œil-de-Bœuf et la galerie des Glaces.

Emprise du Passage du Roi sur la Cour du Dauphin
Passage du Roi : la fenêtre à droite donne sur l'Antichambre du Dauphin
La pièce de la femme de veille
Première antichambre du Dauphin, en 1782 celle du comte de Provence
La fenêtre éclaire sur la Cour du Dauphin
A droite, l'escalier menant à l'appartement de la Reine, à gauche l'escalier descendant à l'Appartement du Dauphin et à l’extrême gauche l'appartement de Madame de Tourzel

Le Roi prend l’escalier d’entresol pour arriver chez la Reine :

« Quand le Roi couche chez la Reine, toute une étiquette minutieuse doit être observée : la Reine se met au lit la première, la première femme de chambre reste assise au pied du lit jusqu’au moment où Louis XVI arrive, puis elle reconduit les personnes qui ont accompagné le Roi jusqu’au seuil de la chambre de la reine, et, après avoir mis le verrou à la porte, elle s’éloigne, pour ne rentrer dans la chambre que le lendemain matin, à l’heure indiquée par le Roi. A cette heure, elle se présente avec le premier valet de chambre de quartier et un garçon de la chambre. Tous les trois entrent en même temps, ouvrent les rideaux du lit du côté où est le Roi et lui présentent ses pantoufles. Le premier valet de chambre reprend alors une épée courte, qui est toujours placée dans l’intérieur de la balustrade du Roi, et que l’on apporte et pose sur le fauteuil du Roi quand il vient coucher chez la Reine.»

Henriette Campan     

Escalier montant des entresols chez la Reine

Le Roi se lève avant la Reine, qui attend le cérémonial habituel de Son côté.

« Les personnes qui forment la maison du Roi et de la Reine ont quelque ressemblance avec des geôliers. On trouve dans le château de Versailles la discipline d’une caserne et la gêne d’une prison.»

Arthur-Léon Imbert de Saint-Amand 

Le château de Versailles prête peu à l’intimité … C’est d’ailleurs à Fontainebleau, par exemple, que Madame Royale sera conçue.

« Sa Majesté s’ennuie du séjour de Versailles ; elle le trouve triste et désert ; je lui ai fait observer que cet inconvénient tenait beaucoup aux arrangements de la reine, parce que ses déplacements continuels, et qui remplissent des journées entières, mettent tout le monde dans l’incertitude du moment où l’on pourrait faire sa cour. Le soir, il n’y a que très rarement jeu chez la reine ; encore ces soirées ne sont-elles pas décidément marquées ; il n’y a que des soupers dans les cabinets ; mais c’est le hasard qui décide du choix des femmes qui y sont appelées, et cela ne procure point aux autres l’occasion de se montrer. Il s’ensuit de là que journellement il arrive moins de monde à Versailles, et que cela ira toujours empirant, à moins que la reine ne se décide à tenir sa cour d’une façon plus stable et plus réglée.»

Le comte de Mercy à Marie-Thérèse d’Autriche, le 16 mai 1776     

Derrière la chambre de la Reine : escalier descendant aux entresol

« Ce que rêve Marie-Antoinette c’est la simplicité sous le diadème, le roman de la royauté adoucie, égayée, rajeunie, l’idylle et la pastorale sur le trône. Illusion d’une belle âme ! Songe aimable et trompeur ! Les contes de fées nous parlent de bergères qui devenaient reines, mais les reines ne deviennent pas bergères. Le sceptre et la houlette ne peuvent aller ensemble, et c’est une imprudence d’échanger, ne fût-ce que pour un instant, la couronne d’or contre la couronne de fleurs.»   

On ne peut que comprendre l’attrait du Petit Trianon sur lequel Marie-Antoinette règne au point d’émettre le « Règlement de Trianon, par ordre de la Reine », en dix articles, le 13 juin 1780. Louis XVI ne s’y rend même pas sans s’annoncer. L’Etiquette s’y résume à la première femme de chambre et la dame d’Honneur qui ont une chambre à demeure. Marie-Antoinette y est comme une particulière qui peut jouir des plaisirs d’une vie faussement campagnarde :

« Ici je ne suis pas la reine, je suis moi -même… »

Marie-Antoinette

Arthur-Léon Imbert de Saint-Amand 

Maëlia Gentil est Marie-Antoinette dans Un peuple et son Roi de Pierre Schoeffer

Marie-Antoinette n’e n abusera pourtant pas, car en quinze années de règne versaillais (de 1774 à 1789), Elle ne fera que dix-neuf séjours dont le plus long dure un peu moins d’un mois (du 19 août au 24 septembre 1786), Elle se remet alors de la naissance de Son dernière enfant, Madame Sophie (1786-1787).

Sources :

  • Antoinetthologie
  • https://www.chartes.psl.eu/fr/positions-these/jeu-du-roi-jeu-reine-aux-xviie-xviiie-siecles
  • CAMPAN Henriette, Mémoires de Madame Campan, première femme de chambre de Marie-Antoinette
  • COPPOLA Sofia, Marie-Antoinette (2006)
  • DELANNOY Jean, Marie-Antoinette, Reine de France (1956)
  • DUARTE, Christophe, Versailles passion , groupe Facebook
  • ENRICO Robert, Les Années Lumières (1989)
  • GIRAULT DE COURSAC Paul et Pierrette, Louis XVI, un visage retrouvé (1990) , chez O.E.I.L. (1990)
  • IMBERT de SAINT-AMAND Arthur-Léon, Les Beaux Jours de Marie-Antoinette (1885) ; Paris E. DENTU, Editeur
  • IVORY James, Jefferson à Paris (1995)
  • LA TOUR DU PIN Henriette (de), Le cérémonial de la cour du dimanche narré par la marquise de La Tour-du-Pin, cité par Pierre de Nolhac, Histoire du château de Versailles (1899)
  • LE BRAS-CHAUVOT Sylvie, Marie-Antoinette l’Affranchie – Portrait inédit d’une icone de mode (février 2020), chez Armand Colin.
  • LEVER Evelyne, Marie-Antoinette (1991) ; chez Fayard
  • Marie-Antoinette … racontée par ceux qui l’ont connue (2016) Les Cahiers Rouges ; chez Grasset
  • NOLHAC Pierre (de), Le Château de Versailles au temps de Marie-Antoinette (1889)
  • NOLHAC Pierre (de), La Reine Marie-Antoinette (1889)
  • NOLHAC Pierre (de), Versailles au XVIIIe siècle (1918)
  • NOLHAC Pierre (de), Autour de la Reine (1929)
  • REISET comte (de), Modes et Usages au Temps de Marie-Antoinette , deux tomes (1885)
  • SAPORI Michelle, Rose Bertin, couturière de Marie Antoinette (2010) ; chez Paris, Perrin (2010)
  • SCHOEFFER Pierre, Un peuple et son Roi (2018)

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