Le 4 novembre 1731
Marie-Josèphe Caroline Éléonore Françoise Xavière de Saxe naît à Dresde.
Elle est le huitième des quatorze enfants d’Auguste III (1696-1763), Roi de Pologne (1733-1763) et électeur de Saxe (1733-1763) et de Marie-Josèphe d’Autriche (1699-1757), fille aînée de l’Empereur Joseph Ier du Saint-Empire et de Wilhelmine-Amélie de Brunswick-Lunebourg.


En 1733
À la mort de son père, Auguste II le Fort, électeur de Saxe et Roi de Pologne (de 1697 à 1704 puis de 1709 à 1733), Auguste III hérite de la Saxe et est élu roi de Pologne, en compétition avec Stanislas Ier Leszczynski, père de la Reine de France, ce qui déclenche la guerre de Succession de Pologne, dont il sort vainqueur.
Le maréchal de France Maurice de Saxe est son demi-frère adultérin.

Le maréchal de Saxe
«La cour de Saxe était » la plus brillante d’Europe après celle de Louis XIV « . Auguste II, dit Auguste le Fort (1670-1733), eut en effet une cour aussi fastueuse que raffinée. Fêtes, divertissements, joutes et jeux marquèrent son règne. Mais cet admirateur de Louis XIV et de Versailles était aussi un collectionneur exceptionnel : peintures, armes, pièces d’argenterie et d’orfèvrerie, ivoires et cristaux précieux ornaient à profusion son château de Dresde. Ce prince avait une passion particulière pour la porcelaine -c’est sous son impulsion que fut mis au point de procédé de fabrication de la porcelaine en Europe -qui inspira aux artistes de ce temps des pièces d’une fantaisie et d’un luxe éblouissants. L’exposition présentée au château de Versailles réunit les fleurons des Musées de Dresde, provenant notamment des splendides collections de la « Voûte verte », pour évoquer ces fastes ainsi que les échanges qui se développèrent alors entre la cour de Saxe et la cour de France, dans le cadre même où ils s’étaient noués.»
Voltaire

En 1747
Il semble que l’histoire de Marie-Josèphe de Saxe commence véritablement, lorsqu’elle a à peine quinze ans, elle épouse le Dauphin Louis-Ferdinand de France (1729-1765), fils de Louis XV (1710-1774), qui vient de perdre sa première épouse l’infante Marie-Thérèse, le 22 juillet 1746.
Cependant, le mariage du Dauphin Louis et de Marie-Josèphe pose un problème épineux :
le grand-père de Marie-Josèphe avait été élu Roi de Pologne en 1697 grâce au soutien de l’Empereur et du Tsar de Russie. Il avait été détrôné par le Roi Charles XII de Suède en 1704.
Le Roi de Suède avait remplacé le Roi saxon par un noble polonais à sa dévotion, Stanislas Leszczynski, père de la future Reine de France Marie Leszczynska (par conséquent grand-père du Dauphin Louis-Ferdinand). Stanislas fut rapidement chassé par les troupes russes ; le grand-père de Marie-Josèphe retrouva son trône et mourut en 1733. Stanislas, devenu entre temps le beau-père du Roi de France, revendiqua alors le trône polonais. Le fils du roi défunt, père de Marie-Josèphe, fit de même. Les deux prétendants furent élus par des factions rivales, ce qui déclencha la guerre de Succession de Pologne. Vaincu, poursuivi par les sbires du père de Marie-Josèphe qui tentèrent de l’assassiner, Stanislas regagna la France après une traversée épique du continent européen. De subtiles tractations diplomatiques mirent fin à la guerre en remodelant la carte de l’Europe. Stanislas reçut à titre de compensation et en viager les duchés de Lorraine et de Bar tandis que Frédéric-Auguste II de Saxe conservait sous le nom d’Auguste III le trône de Pologne qu’avait détenu son père sous le nom d’Auguste II. Il subsistait un sérieux contentieux entre la famille Leszczynski et la maison de Saxe.
Le 9 janvier 1747
Le contrat de mariage est signé. La dot de Marie-Josèphe s’élève à cent mille écus d’Allemagne et joyaux de la même valeur. Louis XV remet au Dauphin afin qu’il les remette à la Dauphine des bijoux d’une valeur de cinquante mille écus d’or sol(c’est-à-dire frappés d’un soleil), et accorde à la princesse «un douaire de vingt mille écus d’or sol chacun an». Les frais de Dresde à Strasbourg seront assumés par le Roi de Pologne.
L’ambassadeur extraordinaire reçoit une épée enrichie de diamants et un service de porcelaine de Saxe.
Le 10 janvier 1747
La cérémonie de mariage par procuration a lieu à Dresde, capitale de la Saxe.
Le palais royal de Dresde
« A cinq heures du soir, Richelieu se rend au palais en grand cortège. Le nonce Albéric des Archinto, archevêque de Nicée, officie, assisté de deux évêques. Il s’adresse en latin au prince Xavier et à la princesse qui lui répondent dans cette langue avec aisance.
A huit heures, la Dauphine, dûment mariée, pénètre dans la salle du festin où une table en forme de croissant a été dressée. Etiquette d’usage : elle a seule le droit de se laver les mains avec ses parents avant et après le festin, ses frères et sœurs n’ont droit qu’à une serviette mouillée. Marie-Josèphe occupe la place d’honneur surmontée d’un dais. Auguste III est à sa droite, et sa mère à sa gauche. Le Roi lève son verre à la santé de la Dauphine tandis que le canon tonne au-dehors. Dans la salle une joyeuse musique se fait entendre.»
Monique de Huertas
Voici le portrait que le comte de Vaugrémont fait de la jeune Marie-Josèphe :
« Elle est blonde, d’une couleur qui n’est pas suspecte ( ce qui peut signifier qu’aucun reflet roux n’est à suspecter comme c’était le cas pour la première Dauphine…). Elle a les yeux bleus, grands et ouverts, assez ordinairement battus ( veut-il parler de cernes?). Le nez un peu gros, la bouche et les dents ni bien ni mal ( les portraits suggèrent une bouche bien ourlée, joliment sensuelle, et le menton orné d’une charmante fossette). Le teint est assez blanc mais un peu brouillé, et quelques petites taches de rousseur. La taille m’a paru bien, le port assez noble et agréable, un bon maintien, assez de physionomie. C’est au total une figure qui, quoique point jolie, n’a rien de choquant, ni de rebutant, et ne déplaît pas… »
« Le repas, monstrueux, ne comporte pas moins de cent quarante plats divisés en trois services. Le menu comporte des oreilles de porc, des pis de vache sauce d’oranges, de la tête et de la langue de bœuf, des oreilles de veau en mortadelle, des profiteroles en salpicon, du ris de veau, du palais de bœuf, tous des plats qui surprennent les papilles gustatives françaises. Heureusement, il y a également de délicats filets de chapon veloutés au four, des perdrix en capilotade, des poulets désossés Choisy, dont les accommodements sont plus familiers.»
Monique de Huertas
Vers dix heures a lieu une danse aux flambeaux que Louis XV se fera décrire. Il s’agit de la Facheltanz, sorte de procession au son de trompettes et de timbales. Les couples brandissent «des flambeaux de poing» allumés. De ce fait, il arrive bien souvent que les habits soient constellés de gouttes de cire fondue, ce qui est moins fâcheux que l’incendie de quelques perruques. Ce défilé est de tradition pour tous les mariages princiers. Le Roi conduit le premier tour de piste avec Marie-Josèphe, qui est ensuite menée par les princes et les princesses de sa famille. Après quelques menues, une polonaise endiablée clôture le bal.
Les fêtes se succèdent pendant deux jours.
Le 13 janvier 1747
Marie-Josèphe fait ses adieux à sa famille.
Le 14 janvier 1747
Auguste III et Marie-Thérèse conduisent leur fille jusqu’à l’escalier du palais de Dresde. Si le Roi conserve une noble attitude, la Reine et les frères et sœurs de Marie-Josèphe pleurent abondamment.
La Dauphine descend les degrés, encadrés du duc de Richelieu et du prince Georges-Ignace Lubomirski, lieutenant-colonel des armées, qui doit l’accompagner jusqu’à Versailles.
La Dauphine est seule dans le carrosse de parade qui fait plusieurs fois le tour de la ville. Des gardes l’escortent ainsi que des timbaliers et des trompettes qui sonnent joyeusement. Un imposant cortège les suit. La comtesse de Marinitz, l’aya (la gouvernante), est, bien entendu, du voyage. La comtesse Przebendowska, la baronne de Thalenberg, le comte Bratowski et le comte de Base, son chambellan sont de sa suite également.
Le 23 janvier 1747
La Dauphine parvient à Francfort où l’Empereur François (1708-1765) a ordonné une réception solennelle en dépit des hostilités austro-française. Les magistrats de la ville lui offrent « une toilette en argent ». Il s’agit d’un petit meuble sur lequel on place tout ce qui est nécessaire à la parure.
Le 26 janvier 1747
Le comte de Loss rejoint la Dauphine. Il est chargé de la délicate mission de la conseiller habilement sur le comportement qu’elle devra adopter vis-à-vis de telle ou telle personne.
« Rien ne sera plus facile de gagner le cœur de Monsieur le Dauphin par la tendresse, lui assure-t-il, et en se conformant à ses volontés. C’est le meilleur des maris.»
Louis-Ferdinand avait épousé le 23 février 1745 sa cousine l’infante Marie-Thérèse (1726-1746), deuxième fille de Philippe V et sœur de l’infant Philippe qui avait épousé en 1739 Louise-Élisabeth, sa sœur aînée.

Marie-Josèphe de Saxe (1747) par Maurice Quentin de La Tour
Hélas ! La charmante princesse va avoir du mal à se concilier les bonnes grâces de son lourdaud de mari, qui semble ne s’intéresser à rien, alors que personnellement, elle déteste perdre son temps et craint par-dessus tout le désœuvrement.
Loss doit aborder le sujet épineux de Madame de Pompadour (1723-1754) « qui joue un grand rôle à la cour« . Il se garde de révéler à l’innocente jeune les raisons particulières de ce « grand rôle »… Croyant bien faire, Loss lui donne un conseil qui se révélera funeste.
Jeanne-Antoinette de Pompadour par Boucher
L’amitié dont le Roi l’honore, l’intérêt qu’elle a témoigné pour l’alliance du Dauphin avec une princesse de Saxe, les insinuations qu’elle a faites au Roi pour fixer son choix, tout cela obligera Marie-Josèphe à des attentions et à de bons procédés.
La marquise de Pompadour a un excellent caractère et s’attachera à plaire à la Dauphine qui devra faire sa cour au Roi en témoignant de l’amitié à une dame que la Reine comble de politesse.
Le 27 janvier 1747
Plusieurs compagnies de cavaliers strasbourgeois aux uniformes chatoyants viennent à la rencontre de la nouvelle Dauphine. Ils se joignent à l’escorte jusqu’à « la maison de la dame Lousteau », où doit avoir lieu la cérémonie de la remise. Là, Marie-Josèphe fait la connaissance d’une partie des gens qui composent sa maison : la duchesse de Brancas, sa dame d’honneur, la duchesse de Lauraguais, sa dame d’atour, le maréchal de La Force, son chevalier d’honneur, les marquis de Tessé et de Fodoas, les comtesses de Lorge et de Champagne, dames de compagnie, le comte de Rubenpré, premier écuyer, etc.
Le duc de Richelieu se charge des présentations et le prince de Lubomirsk remet la princesse à sa dame et à son chevalier d’honneur. Après quoi la Dauphine reçoit les lettres de bienvenue du Roi, de la Reine et du Dauphin.
La princesse n’a pas été mise nue comme le voulait autrefois la coutume. Cependant, Marie-Josèphe doit accepter de farder ses joues du rouge sans lequel une créature de sexe féminin ne saurait paraître à la Cour. Ses yeux paraissent d’un bleu plus intense et son teint encore plus laiteux.
Le 28 janvier 1747
La Dauphine prend place dans le carrosse envoyé par Louis XV, tiré par six chevaux. On l’a coiffée et habillée à la française, les pommettes avivées de rouge. Elle séduit les français qui l’acclament sur son passage. Du palais épiscopal de Strasbourg, où elle loge, elle se rend à la cathédrale pour entendre la messe. Puis elle déjeune, seule, servie, selon l’étiquette française, par le maréchal de La Force et le duc de Richelieu. C’est une épreuve pour la princesse élevée avec simplicité, de devoir déguster ses plats sous les yeux curieux du public admis à venir la dévisager.
Le 29 janvier 1747
Marie-Josèphe et sa suite quittent Strasbourg pour aller coucher à Colmar.
Le 30 janvier 1747
Le cortège fait escale à Belfort, où une danse villageoise lui est offerte en guise de divertissement.
Après un détour de quelques lieues afin d’éviter le Luxembourg, la suite delphinale passe par Vesoul, Langres, Chaumont-en-Bassigny, Bar-sur-Aube. Partout c’est le même enthousiasme à la vue de la nouvelle Dauphine.
Le 4 février 1747
La Dauphine arrive à Troyes.
Le 5 février 1747
Les carrosses roulent vers Nogent et Nangis.
Louis XV arrive à Choisy et s’engage sur la route de Corbeil jusqu’à Cromazel où est fixé le rendez-vous avec Marie-Josèphe.
Le 7 février 1747
La Dauphine rencontre le Roi Louis XV et son mari , le Dauphin Louis-Ferdinand de France.
Le 8 février 1747
Marie Leszczynska, accompagnée de Mesdames Henriette et Adélaïde, de la duchesse de Chartres, de la princesse de Conti et de mademoiselle de Charolais, quitte Versailles pour se rendre au-devant du cortège qu’elle rejoint près de la croisée du pavé de Choisy.
Marie-Josèphe s’avance, avec émoi, vers la Reine et s’incline profondément devant elle. La fille du Roi détrôné embrasse la fille du Roi détesté. C’est un baiser d’étiquette où le cœur n’a nulle part. La sensible Marie-Josèphe le ressent, mais n’en est pas surprise. Elle sait bien qu’il lui faudra conquérir la Reine et que ce ne sera pas chose aisée.
Le 9 février 1747
Un peu avant dix heures, le Roi et la Reine se portent au-devant de Marie-Josèphe qui vient d’arriver incognito à Versailles. Ils la laissent ensuite aux mains de ses femmes chargées de la parer pour ses noces. La toilette va durer trois heures !
D’abord le bain, auquel le Dauphin tenait tant. Puis dûment séchée et parfumée, la Dauphine revêt tous les atours qui lui permettront d’endosser le «grand habit». Ce grand habit, somptueux, couvert de diamants, que Louis XV fait soupeser au maréchal de Saxe. Le vêtement ne pèse pas moins de soixante livres, «autant qu’une cuirasse», auxquelles il faut ajouter le poids des bijoux qui ornent ses bras, son cou, son corsage, ses oreilles, ses doigts…
Le Dauphin porte aussi un costume magnifique rehaussé de broderies d’or et de pierreries. Il vient chercher la Dauphine pour la conduire chez la Reine. Tous trois, accompagnés par leurs suites, entrent chez le Roi, d’où le cortège se dirige vers la chapelle par la galerie des glaces. Le grand maître des cérémonies précède le cortège.
A une heure et demie
La cérémonie qui commence est une corvée. Le cardinal de Rohan, souffrant à Strasbourg, est remplacé par son coadjuteur, Monsieur de Ventadour, évêque de Ptolémaïde. Le jeune couple est agenouillé sur des carrés de velours cramoisi frangés d’or, l’évêque bénit les treize pièces d’or et les anneaux.
Avant de passer l’anneau au doigt de Marie-Josèphe, Louis-Ferdinand se tourne vers son père qui incline la tête puis va s’asseoir pour entendre la messe. La musique de Sa Majesté, rangée derrière l’autel, se fait alors entendre.

Après les félicitations d’usage chez le Roi et chez la Reine, le Dauphin et la Dauphine vont dîner dans l’intimité avec Mesdames Henriette et Adélaïde.

Allégorie du mariage du Dauphin et de la princesse Marie-Josèphe de Saxe
A six heures et demie
Dans l’ancien manège de la Grande Ecurie splendidement décoré de glaces, a lieu un bal. Marie-Josèphe, souffrant d’une engelure au pied due au froid éprouvé au cours du voyage, ne peut ouvrir le bal et c’est Madame Henriette qui la remplace au bras du Dauphin. Il danse une vingtaine de menuets, fort gracieusement malgré sa silhouette déjà alourdie.

Louis-Ferdinand en 1747 par Natoire

Marie-Josèphe par Nattier
A neuf heures
Le Roi se lève pour marquer la fin du bal et se dirige vers la salle du souper à travers une foule si dense à la porte qu’il a peine à entrer.
A table, Louis XV a à sa droite le Dauphin, la princesse de Conti, Mademoiselle, Madame de La Roche-sur-Yon. A la gauche de la Reine, Marie-Josèphe, Madame Adélaïde, madame de Molène , mademoiselle de Sens.

Océane Jubert incarne Marie-Josèphe de Saxe dans Nannerl, la Sœur de Mozart (2010) de René Féret
Le long repas terminé
La Dauphine s’entretient avec la duchesse de Brancas qui lui parle de sa nuit de noces.
Ensuite, vient la cérémonie de la remise de la chemise de nuit, toute ornée de dentelles et de rubans. La première femme de chambre, en s’inclinant, la donne à la duchesse de Chartres qui, à son tour, la présente à la Reine en une profonde révérence. La souveraine aide alors sa bru à passer la virginale chemise.
Chez le Dauphin, il en est de même, le Roi passe la chemise à son fils. Les deux groupes se dirigent alors vers la chambre nuptiale. L’évêque de Ventadour bénit la couche. Plus de cent personnes s’écrasent dans la pièce.
La Dauphine est trouvée «assez bien en bonnet de nuit».
Voici un descriptif de Marie-Josèphe de Saxe :
« Elle est blonde , elle a les yeux bleus , grands, vifs et doux en même temps et la physionomie très spirituelle . On ne peut pas dire qu’elle soit belle , mais on peut la regarder comme jolie et elle plaît généralement.
Portrait dressé par Vaulgrenant
Elle a beaucoup d’esprit et tout du meilleur , une grande pénétration. Elle a l’esprit juste et orné , le sens droit , le caractère excellent , beaucoup de douceur . Elle est remplie de sentiments de piété et de religion et elle a eu la meilleure éducation qu’on puisse donner.»
« Elle est bien faite : le teint est assez beau, le nez et la bouche mal… En tout, de visage , sans être belle, elle plaît infiniment, pouvant être appelée un joli laideron qui peut faire tourner la tête.»
Le duc de Croÿ
Etude pour le portrait de Marie-Josèphe par Nattier
Le Dauphin, revit une scène jouée si peu de mois auparavant, il a du mal à retenir ses larmes. Tous deux ayant escaladé le lit, les rideaux sont tirés afin que l’assistance puisse contempler le couple à loisir. Seule d’ailleurs la Dauphine est visible car le Dauphin ramène la couverture sur son visage «pour pouvoir pleurer à son aise».
Marie-Josèphe comprend les sanglots de son mari et , avec une délicatesse rare, elle lui murmure avec autant de compassion que d’intelligence de donner libre cours à ses pleurs, sans craindre qu’elle s’en offense car ils lui annoncent ce qu’elle a droit d’espérer elle-même.
« Jeudi, 9, jour du mariage de Monsieur le Dauphin, le corps de Ville de Paris a donné pour fête au peuple de Paris, cinq chars peints et dorés qui depuis dix heures du matin jusqu’au soir, ont fait le tour des différents quartiers de Paris.
Le premier, représentait le dieux Mars avec des guerriers, le second était rempli de musiciens, le troisième, représentait un vaisseau, qui sont les armes de la ville; le quatrième, Bacchus sur un tonneau, et le cinquième, la déesse Cérès. Ils étaient tous attelés de huit chevaux assez bien ornés, avec des gens à pied qui les conduisaient. Tous les habillements, dans chaque char, étaient de différentes couleurs et en galons d’or ou d’argent. Le tout faisait un coup d’œil assez réjouissant et assez magnifique, quoique tout en clinquant, mais les figures, dans les chars, étaient très-mal exécutées. Dans certaines places, ceux qui étaient dans les chars jetaient au peuple des morceaux de cervelas, du pain, des biscuits et des oranges. Il y avait dans ces places des tonneaux de vin pour le peuple, et le soir toute la ville a été illuminée.»
Quant à la favorite de Louis XV, elle avait pensé avec raison qu’en favorisant ce mariage, elle éviterait de la part de la nouvelle Dauphine les avanies que lui avait fait subir la précédente. La seconde Dauphine ne pourrait que lui être reconnaissante de son « élévation » et serait un appui dans cette Cour où la favorite rencontrait tant d’hostilité et… de concurrentes.

En raison de son chagrin, de la fatigue de la journée, de l’énervement, Louis-Ferdinand n’est pas en mesure de faire ce que l’on attend de lui :
« Il ne s’est rien passé cette nuit malgré les entreprises de Monsieur le Dauphin et tout a abouti à beaucoup se tracasser et à ne point dormir.»
Maurice de Saxe

Le remariage de son unique fils avec une princesse de Saxe ne pouvait qu’être ressenti comme une humiliation supplémentaire par la Reine de France qui se recroquevillait déjà sur les blessures causées par ses déboires conjugaux. Il ne pourrait qu’indisposer Stanislas, grand-père du Dauphin, qui, toujours gaillard à soixante-dix ans, passait des jours paisibles à Lunéville et Commercy.
Aussi le cortège qui mène Marie-Josèphe de Strasbourg à Versailles évite-t-il soigneusement la Lorraine et le Barrois, passant par la Franche-Comté ce qui rallonge d’autant le voyage.

La jeune princesse ne reçoit pas un accueil chaleureux de sa pieuse belle-mère ni de son très jeune mari.

Scène de désapprobation de la Reine Marie au mariage de son fils qui est l’œuvre politique de madame de Pompadour

Marie Leszczynska
À quinze ans, Marie-Josèphe devient après la Reine la femme la plus importante de la Cour la plus brillante mais aussi la plus cancanière d’Europe et intègre une famille déchirée.

Marie-Josèphe de Saxe en manteau d’apparat par Jean-Marc Nattier
Le 10 février 1747
« Il y eut le vendredi 10, un très-grand concours de masques de Paris, au bal dans les appartements de Versailles. Au retour, sur les huit heures du matin, il y avait, dit-on, une file de carrosses depuis Versailles jusqu’à Paris. Tous les appartements et la galerie étaient magnifiquement éclairés; mais on n’a pas été content des buffets. Il n’y avait que du vin, des brioches, du pain, quantité d’oranges et des paquets de sucreries, et point de pâtés de truites, de saumon et de poisson au bleu, comme à l’autre mariage. Il y avait eu aussi alors des gens qui s’étaient attablés sur les buffets, et qui avaient bu et mangé toute la nuit. On n’a pas plus mal fait de retrancher une pareille dépense.»

Le 13 février 1747
Quelques jours après le mariage , une «fête publique» est donnée par la Ville de Paris.
La Dauphine peut se reposer à la représentation du ballet-comédie : l’Année Galante, un joli succès du poète Roy.
Anne Dufour de Montlouis (1694-1758), qui fut la nourrice de son delphinal époux Louis-Ferdinand, est sa première femme de chambre, à l’instar de Madame de Ventadour, qui s’occupa de l’Infante Marie-Anne Victoire (première fiancée de Louis XV) comme elle s’était chargée de l’éducation du jeune Roi.

L’Amour présentant à Louis XV le portrait de l’Infante d’Espagne Marie-Anne Victoire
Le 14 février 1747
Jour du Mardi gras, son engelure au pied heureusement guérie, Marie-Josèphe peut faire admirer sa grâce en dansant au bal masqué.
Le 18 février 1747
Marie-Josèphe suit en calèche la chasse du Roi:
« Le temps est beau et d’une douceur étonnante, Madame la Dauphine, étant fort vive et enfant, para(ît) s’amuser de tout.»
Le duc de Croÿ
La chambre de la Dauphine
( texte et photographies de Christophe Duarte ; Versailles – passion )
Reconstitution de Philippe Le Pareux
Située au rez-de-chaussée donnant sur le Parterre du Midi, cette chambre a connu plusieurs destinations.
A l’origine, ce fut la Salle des Gardes de Monsieur, frère du Roi, puis de Monseigneur, le Grand Dauphin, elle devient une Antichambre en 1693.

En 1747, on en fait la Chambre de la Dauphine. C’est ici que Marie-Josèphe de Saxe, met au monde trois futurs Rois de France : Louis XVI, Louis XVIII et Charles X.

La menuiserie a été sculptée par Verberkt. La cheminée, livrée par Trouard, était en marbre Sarrancolin sculpté par Verberkt, enrichie de bronzes dorés par Caffieri.
La cheminée fut celle de Marie Leszczynska dans la chambre de la Reine au premier étage. Changée en 1786 par Marie-Antoinette,
elle est aujourd’hui présentée dans cette chambre à titre d’équivalence.
Cette pièce possède plusieurs portes sous tentures permettant d’accéder au grand cabinet du Dauphin, aux cabinets intérieurs et aux pièces de service.

Totalement détruite en 1837 par la construction du Musée, il ne reste plus rien d’origine dans cette pièce à part les dessus de portes.
Etat actuel de la chambre de la Dauphine
Le lit aurait été donné par Louis XV à Marie-Marguerite-Adélaïde de Bullioud, Comtesse de Séran, dame d’atours de Mesdames puis de Madame Elisabeth. Il est entré dans les collections du château en 1962 grâce au don du comte Guy du Boisrouvray.

Livrée en 1745 par BVRB pour la chambre de la première Dauphine Marie-Raphaëlle d’Espagne, c’est la seconde femme du Dauphin, Marie-Josèphe de Saxe qui en profitera le plus. C’est encore cette commode que Marie-Antoinette pourra contempler lors de son arrivée à la Cour de France logeant provisoirement dans les Appartements du rez-de-chaussée. C’est enfin celle que s’appropriera la comtesse de Provence lorsqu’elle s’installera à son tour dans l’Appartement de la Dauphine. En 1787, la commode y est toujours inventoriée. On la retrouve en 1792 dans le Cabinet des Jeux de la comtesse de Provence au premier étage de l’Aile du Midi. Elle ne sort de Versailles qu’au moment des ventes révolutionnaire. Conservée dans une collection privée, elle a pu être acquise en 2019.
Les deux dessus de porte sont peints par Jean Restout et étaient dans cette pièce. Ils représentent La toilette d’Hermine et Psyché implorant le pardon de Vénus.
La toilette d’Hermine
Psyché fuyant la colère de Vénus

Le tapis de 9m X 9.50m, a été commandé pour cette chambre pour Marie-Josèphe de Saxe. Il a coûté la somme de 13 700 livres et plus de trois années ont été nécessaires à sa réalisation. Il n’a été livré qu‘en juillet 1757. Par la suite, le tapis a été en usage dans le Salon des jeux de Marie-Antoinette, l’actuel salon de la Paix.

L’alcôve était tendu du Le repas d’Esther. Il était partagé en deux parties et disposé de chaque côté du lit.

Volet de la chambre de la Dauphine

La nouvelle Dauphine, surnommée Pepa, sait se concilier à la fois Madame de Pompadour, son beau-père Louis XV et sa belle-mère la Reine Marie Leszczynska mais elle doit aussi compter avec la haine de son mari et de ses belles-sœurs pour la favorite.

C’est dans ce contexte difficile que la Dauphine parvient à se faire aimer de tous, tant elle est intelligente, douce et aimante.

Il était de tradition que trois jours après les noces, la Dauphine porte un bracelet à l’effigie de son père. La Reine, souvent humiliée par les maîtresses de son mari, devrait-elle subir cet affront imposé grâce au protocole par sa belle-fille ? Le jour dit, avisant le bracelet, elle demande à sa jeune belle-fille si c’est bien là le portrait de son père. La jeune fille acquiesce et lui montre le bijou : il représente le portrait de Stanislas qui, depuis le mariage, est devenu le grand-père par alliance de la princesse. La Reine et la Cour sont fortement impressionnées par le tact de cette jeune fille de quinze ans.
Dans Jeanne Poisson, marquise de Pompadour, téléfilm de Robin Davis (2006),
c’est Jennifer Decker qui interprète de Marie-Josèphe de Saxe.
Son mari, déjà veuf à dix-sept ans, adolescent immature et d’une moralité des plus exigeantes héritée de sa défunte épouse qu’il ne peut oublier, traite la seconde Dauphine imposée par la raison d’État avec froideur.
Madame Henriette par Jean-Marc Nattier
À force de tact, de douceur et soutenue par sa belle-sœur Madame Henriette, elle conquiert peu à peu son époux et son couple est un des plus solides de l’histoire de France.
La Dauphine et le Dauphin à la chasse
Le 19 mars 1747
Décès de la mère de Marie Leszczynska, Marie Opalinska (1680-1747) à Lunéville. Elle est inhumée à Nancy.

Marie Opalinska par Lemercier
Une fois de plus, les appartements sont tendus de noir.
La Reine, le Dauphin et la Dauphine dans Jeanne Poisson, Marquise de Pompadour (2006)
Le cabinet Intérieur de la Dauphine
( texte et photographies de Christophe Duarte ; Versailles-passion )

Cette petite pièce et la suivante n’en formèrent longtemps qu’une seule. Elle fut d’abord l’Antichambre de Monsieur, frère de Louis XIV, puis celle du Grand Dauphin, avant de devenir, en 1693, la chambre de ce dernier. Elle fut également la Chambre du Régent, puis celle de Louis-Ferdinand.

En 1747, elle est divisée pour former un cabinet intérieur pour la Dauphine et un cabinet de retraite pour son époux : les appartements du jeune couple communiquent donc par leurs pièces les plus retirées, ce qui préserve, dans une certaine mesure, leur intimité conjugale.

Le décor de boiseries au naturel en vernis Martin subsiste en partie. Il a été complété et l’on a pu également replacer les dessus-de-porte représentant les Quatre Saisons que Jean-Baptiste Oudry avait peints pour cette pièce en 1749.



A côté de la niche, qui abritait autrefois un sofa, des portes vitrées donnent accès à une suite de petites pièces prenant jour sur les cours intérieures : arrière-cabinet, oratoire et pièce des bains.





Le 27 juin 1747
Marie-Josèphe fait sa «joyeuse entrée» dans Paris. Les Parisiens l’acclament avec enthousiasme. Les canons de l’Arsenal et de la Bastille tonnent à intervalles réguliers. La compagnie du guet et les brigades font la haie tout au long du parcours. Le corps de la ville en grand apparat vient souhaiter la bienvenue à l’«auguste princesse».
Le couple assiste d’abord à une messe solennelle en musique à Notre-Dame, puis ils se rendent à la très ancienne abbaye de Sainte-Geneviève.
Ensuite, ils vont déjeuner à deux heures aux Tuileries.
Après le repas, la Dauphine fait une promenade digestive à pied dans le jardin où la foule l’escorte et l’ovationne longuement.
Le 27 avril 1748
La petite Marie-Thérèse de France, fille du premier mariage de Louis-Ferdinand, suit bientôt sa mère dans la tombe. Elle meurt âgée de vingt-et-un mois.

Marie-Josèphe par Jean-Marc Nattier
On voit alors Marie-Josèphe pleurer sincèrement. Elle fait faire un portrait posthume de la petite Madame, mais il a aujourd’hui disparu.

Marie-Josèphe par Jean-Marc Nattier (étude)
En janvier 1749
Marie-Josèphe fait une fausse couche.
En avril 1749
Nouvelle fausse alerte. Le Roi convoque alors les trois plus fameux accoucheurs de Paris. La Faculté préconise pour la Dauphine les eaux de Forges, près de Rouen. Ces eaux ont la réputation de guérir la stérilité. Anne d’Autriche y avait eu recours…
Le 25 juin 1749
Marie-Josèphe prend le départ. Le couple se sépare les larmes aux yeux. Le Dauphin semble maintenant bien attaché à son épouse. Le Roi lui-même paraît ému. La veille il a remis à sa bru une bourse contenant cinq cents louis d’or pour ses menus plaisirs. Il a créé une pension de deux mille livres destinée à une charge de lectrice auprès d’elle. Mademoiselle Sylvestre, amie d’enfance de Pépa, en bénéficie.
Le 26 juin 1749
Marie-Josèphe atteint Forges où elle s’installe Grande Rue par un temps abominable.
Le 2 juillet 1749
Le parlement de Rouen est reçu par la Dauphine.
Le 3 juillet 1749
Elle reçoit la délégation de la cour des Comptes, Aides et Finances de Normandie, sous la présidence de Lesdo de Vallerquerville.
Le 26 juillet 1749
Marie-Josèphe est de retour à Versailles.
En deux ans, Pépa est parvenue à transformer le grand adolescent maussade, boudeur, égoïste, gâté, imbu de son érudition livresque, en un homme amoureux, attentionné, gai, bien dans sa peau. Grâce au caractère égal de Marie-Josèphe, à sa douceur, à son sourire, à son amour attentif, son oubli total d’elle-même, elle a réussi à en faire un mari … et un bon mari.
Après trois années de stérilité et d’espérances trompées (et de critiques de la Cour), la jeune Dauphine mettra au monde huit enfants entre 1750 à 1764 (et fait plusieurs fausses-couches).
Ses trois fils survivants monteront sur le trône de France ( ce sont les trois derniers Rois de France)
- Marie-Zéphyrine (1750-1755) dite Madame Royale
- Louis-Joseph Xavier, duc de Bourgogne (1751-1761)
- Louis-Xavier, duc d’Aquitaine (1753-1754)
- Louis-Auguste, duc de Berry,puis Dauphin, futur Louis XVI (1754-1793)
- Louis-Stanislas, comte de Provence, futur Louis XVI (1755-1824)
- Charles-Philippe, comte d’Artois, futur Charles X (1757-1836)
- Marie-Clotilde, dite Madame (1759-1802) future Reine de Sardaigne
- Élisabeth, dite Madame Élisabeth (1764-1794)

Marie-Zéphyrine par Nattier

Louis-Joseph Xavier par Frédou

Louis-Auguste par Frédou

Louis-Stanislas par Maurice Quentin de la Tour

Charles-Philippe et Clotilde par Drouais

Madame Elisabeth par Drouais
Son fils aîné, le duc de Bourgogne, enfant précoce, la comble de fierté. Elle déborde pour lui d’amour maternel. De même que le Dauphin, son mari, elle ne peut s’empêcher de le préférer à ses autres enfants (ce dont le futur Louis XVI souffrit).

Marie-Josèphe de Saxe, Dauphine de France, feuilletant un volume de l‘Histoire de France,
par Maurice Quentin de La Tour
Le 26 août 1750
Naissance de Marie-Zéphirine, qu’on appellera la Petite Madame.
« Elle est fort petite et encore plus délicate, elle est fort laide, on dit qu’elle me ressemble comme deux gouttes d’eau, du reste fort volontaire et méchante comme un petit dragon.»
Marie-Josèphe au comte Wackerharth-Salmour

Allégorie à la naissance de Marie-Zéphirine par Charles-Joseph Natoire
Dans ses mémoires, Dufort de Cheverny donne quelques indications sur la vie de couple du Dauphin et de la Dauphine:
« Madame la dauphine, née Saxe, était la femme la plus jalouse du royaume. Assez revêche dans son service, elle était peu aimée. Le dauphin, attaché alors aux jésuites, était fort surveillé par une femme tenant aux mœurs ; il avait voulu jeter son mouchoir à la marquise de Belsunce, jolie comme un ange ; il avait distingué la marquise de Tessé, née de Noailles, faite pour lui plaire ; mais dès ses premières démarches, il avait été dépisté par sa femme… Plusieurs fois introduit dans son intérieur, pour des éclaircissements qu’il me demandait, j’ai été porté à en juger. J’ai vu la dauphine assise devant un métier, travaillant au tambour, dans une petite pièce à une seule croisée dont le dauphin a fait sa bibliothèque, son bureau était couvert des meilleurs livres qui changeaient tous les huit jours. M. le comte de Lusace, frère de Mme la dauphine, l’air commun et très bourgeois, était assis sur un tabouret ou sur une chaise, le dauphin se promenant ou s’asseyant de même. Je me suis surpris plusieurs fois en causant comme si j’avais été dans une société bourgeoise. »
Le 30 novembre 1750
Mort du maréchal de Saxe oncle de Marie-Josèphe qui fut son mentor à la Cour.
Océane Jubert est Marie-Josèphe de Saxe dans Nannerl , la Sœur de Mozart de René Féret (2006)
Le 8 avril 1751
« Madame la Dauphine est dans un état de santé le plus désirable : un peu maigrie, mais gaie, fraîche, dormant bien, mangeant peu, mais avec appétit … Son esprit se forme et s’orne … L’union avec Mgr le Dauphin s’accroît de jour en jour. Ils savent réciproquement se rendre aussi heureux qu’ils méritent de l’être : leur piété modeste et profonde a édifié toute la cour et toute la maison … L’humilité de toute la famille royale prosternée devant son Dieu, les immenses charités qu’elle fait attireront, je l’espère, les bénédictions les plus désirées et nous verrons naître enfin cet enfant l’objet de tous nos vœux.»
Mademoiselle Sylvestre au comte de Wackerbarth-Salmour
Le 13 septembre 1751
Naissance de Louis-Joseph-Xavier, duc de Bourgogne, à quatre heures du matin à Versailles. Réveillée par les douleurs de l’accouchement, Marie-Josèphe accouche sans témoins, pourtant indispensables pour éviter les substitutions.

Le Dauphin attire alors dans la chambre de son épouse plusieurs domestiques pour constater la naissance du bébé, toujours attaché à sa mère par le cordon ombilical. L’enfant est titré duc de Bourgogne et est promis à régner un jour. Les cloches des églises de Paris se mettent à sonner et le Roi Louis XV décrète trois jours de chômage et d’illuminations, le nouveau-né étant héritier de la couronne de France.

Acte de naissance du duc de Bourgogne

Enfant intelligent, il sera adulé par ses parents.

Louis XV offre à sa bru une aigrette avec un nœud de diamants et de rubis assortis aux boucles d’oreilles. Comme elle se montre confuse d’un aussi magnifique présent, le Roi lui dit affectueusement :
« Le présent que vous venez de faire à la France est infiniment plus précieux.»
Le 29 novembre 1751
Mesdames, le Dauphin et son épouse soupent dans les délicieux petits appartements du Roi. C’est la première fois qu’il prend ce repas en ces lieux avec ses sept enfants réunis.
Image de Jeanne Poisson, Marquise de Pompadour (2006)
Le 30 novembre 1751
Maurice de Saxe, peu avant l’aube, déclare au docteur Sénac :
« Docteur, la vie n’est qu’un songe. Le mien a été beau, mais il est court !»
Il expire peu après. Il n’a que cinquante-quatre ans.
Le sculpteur Pigalle mit vingt-sept années pour réaliser son monument funéraire.
Le 10 février 1752
Décès de Madame Henriette, sa douce belle-sœur, à l’âge de vingt-quatre ans.

Madame Henriette par Jean-Marc Nattier
Le Roi, dont Henriette était la fille préférée, est anéanti comme toute la famille royale. Le peuple maugrée que le décès de la jeune princesse est une punition divine.
Le Dauphin et la Dauphine en prière dans Jeanne Poisson, Marquise de Pompadour (2006)
La Dauphine confie à sa mère, la Reine de Pologne :
« Outre la douleur où j’étais plongée par la perte de Madame, j’étais encore obligée d’en cacher la moitié pour ne pas augmenter celle du roi et de Monsieur le Dauphin… C’est moi malheureuse, que le roi a chargé de tout, si bien que j’ai été obligée d’ordonner tout pour le transport de son corps, et pour le deuil… Vous connaissez la tendresse et la sensibilité de mon cœur. Vous pouvez juger en quel état il est réduit… Depuis la mort de ma sœur j’ai des rages de tête affreuses… »
Peu après la mort d’Henriette, le Dauphin est atteint de la petite vérole, maladie fréquente et qui peut mener à la mort. Marie-Josèphe soigne son mari avec dévotion, le veille jour et nuit, négligeant de s’habiller et mangeant très peu, ne refusant pas les baisers du malade dont le visage et les mains sont couvert de pustules, et qui cherche, par ce stratagème, à connaître la nature de son mal.
« Je ne suis plus Dauphine, je suis garde-malade »
Le marquis de Souvré s’extasie:
« On ne doit plus prendre de femmes qu’en Saxe… » .

Peinture votive de Marie-Josèphe de Saxe. Anonyme (1753) Monastère Jasna Gora
Le 8 septembre 1753
Naissance de son fils, Xavier Marie Joseph de France, duc d’Aquitaine, à Versailles. Il n’est pas tout à fait aussi forts que ses aînés, «parce que ses os sont plus petits, écrit Mademoiselle Sylvestre. Il est gras, beau et plein de vie... »
Les souverains font régulièrement quatre visites à Marie-Josèphe par jour. On la comble de caresses, et elle se fait une joie de voir ses trois enfants sur son lit. «Nous la regardons ici comme notre ange tutélaire.»
La Dauphine et le Dauphin dans Jeanne Poisson, Marquise de Pompadour (2006)
Le 22 février 1754
Xavier Marie Joseph meurt d’une coqueluche.
Rapidement la dépouille de l’enfant quitte Versailles par l’escalier du Grand Commun sous le regard de Mesdames de Marsan et Butler, la gouvernante et la sous-gouvernante, ni l’une ni l’autre en grand habit car il n’était pas l’aîné. L’ouverture du corps se fait aux Tuileries. La gouvernante met le cœur dans une boîte de plomb puis la tête dans un autre cercueil. Le corps prend la direction de Saint-Denis accompagné par un détachement de toute la maison du Roi-Cavalerie. Le cœur est porté au Val-de-Grâce suivi de nombreux carrosses de la noblesse dans une Cour qui, normalement, ne prend pas « le deuil des maillots ». La famille royale en deuil s’abstient de jeux et de soirées jusqu’à la fin du mois de février.

Le Dauphin Louis-Ferdinand
Le 23 février 1754
Décès de son fils, Xavier-Marie-Joseph, duc d’Aquitaine.
Rapidement la dépouille de l’enfant quitte Versailles par l’escalier du Grand Commun sous le regard de Mesdames de Marsan et Butler, la gouvernante et la sous-gouvernante, ni l’une ni l’autre en grand habit car il n’était pas l’aîné. L’ouverture du corps se fait aux Tuileries. La gouvernante met le cœur dans une boîte de plomb puis la tête dans un autre cercueil. Le corps prend la direction de Saint-Denis accompagné par un détachement de toute la maison du Roi-Cavalerie. Le cœur est porté au Val-de-Grâce suivi de nombreux carrosses de la noblesse dans une Cour qui, normalement, ne prend pas « le deuil des maillots ». La famille royale en deuil s’abstient de jeux et de soirées jusqu’à la fin du mois de février.
Le 23 août 1754
Naissance de Louis-Auguste, duc de Berry, futur Louis XVI à six heures vingt-quatre du matin.


Marie-Josèphe de Saxe par Jean-Étienne Liotard
« Suivant le calcul qu’on avait fait, on ne comptait pas que la Dauphine accouchât avant le 1er septembre, et le Roi Très Chrétien avait arrangé ses voyages de façon à venir fixer son séjour à Versailles le 28 août ; ainsi il n’est arrivé ici que deux heures et un quart après les couches, ayant fallu tout ce temps pour lui faire savoir la nouvelle à Choisy où il était. Le Chancelier, le Garde des Sceaux, le Contrôleur général et M. de Puysieux sont les seuls ministres qui se sont trouvés présents à la naissance du prince. Ce fut à quatre heures du matin, la nuit du 22 au 23, que Madame la Dauphine sentant quelques petites tranchées, se leva doucement toute seule sans réveiller Monsieur le Dauphin et sans appeler personne … Après quoi, voulant se recoucher sans faire de bruit, Monsieur le Dauphin se réveilla ; il appela du monde, et comme les douleurs augmentaient, on fit chercher l’accoucheur, et à six heures et trois quarts, elle mit au jour Mgr le duc de Berry.»
Le comte de Bellegarde, ministre de Saxe
« Aujourd’hui (23 août) Madame la Dauphine est accouchée un peu avant six heures du matin… A la première douleur qu’elle sentit, Monsieur Binet, premier valet de chambre de Monsieur le Dauphin, a écrit par son ordre un petit mot au Roi et l’a fait partir sur-le-champ par un piqueur de la petite Ecurie ; il était quatre heures et demie ; le piqueur a fait une une chute en chemin qui l’a empêché d’aller plus loin. Aussitôt que Madame la Dauphine a été accouchée. Monsieur le Dauphin a fait partir Monsieur de Montfaucon, l’un de ses écuyers, pour aller rendre compte au Roi. Monsieur de Montfaucon a trouvé le piqueur, a pris le billet et l’a été porter au Roi à Choisy, de sorte que le Roi a appris en même temps le travail et l’accouchement … Le Roi a donné 10 louis (240 livres) de pension sur sa cassette au piqueur qui est allé à Choisy.»
Journal du duc de Luynes
Fin août 1755
La petite Madame se réveille un jour avec de violentes douleurs au ventre.
Le 13 août 1755
« Elle est grasse, blanche, belle et de la meilleure humeur du monde… Le plan de vie du dauphin et de la dauphine est si beau, leur union si tendre, que tous leurs bons serviteurs désireraient qu’il y eût sans cesse cent témoins… »
Mademoiselle Sylvestre
Le 21 août 1755
Le Dauphin tue accidentellement à la chasse le marquis Yves de Chambors, son écuyer. Il en est profondément bouleversé et jure de nue plus jamais se livrer à ce divertissement. Il préférera désormais s’adonner au jardinage et aux animaux de la ferme.
Le 31 août 1755
Malgré les soins du nouveau médecin des Enfants de France Lieutaud, la fièvre augmente considérablement.
Le Dauphin passe la soirée à ses côtés. Madame de Marsan qui l’avait veillée se trouve mal ; Madame Butler la remplace donc.
Le 2 septembre 1755
Mort de Marie-Zéphyrine : à l’âge de cinq ans, elle est atteinte d’une péritonite aiguë qui lui cause des convulsions. La maladie devient de plus en plus dangereuse si bien que, sur ordre de la Reine Chabannes, aumônier du Roi, supplée aux cérémonies du baptême. Elle est baptisée à la hâte Marie-Zéphyrine, du nom du Saint de son jour de naissance, avant de mourir. Enfant joyeuse, vive et douée pour la danse, elle était la compagne de jeux de son petit frère Louis-Joseph-Xavier, qui se montre très affecté par son décès.

Le 17 novembre 1755
Naissance de Louis-Stanislas Xavier de France, comte de Provence, futur Louis XVIII.

Louis-Stanislas par Maurice Quentin de la Tour

Marie-Josèphe «en marmotte» dans le style savoyard par Jean-Marc Nattier
En 1751, Jean-Marc Nattier exécute ce portrait ovale de Marie-Josèphe de Saxe, donné à la duchesse de Brancas, dame d’honneur de la Dauphine jusqu’en 1762. Il représente exactement le même visage peint par Nattier pour le grand portrait de la Dauphine en habit de cour.
Mais le costume est tout autre : la jeune Dauphine porte une « marmotte », c’est-à-dire une écharpe nouée sous le menton. C’était le style des Savoyardes , Parisiennes de Savoie, et c’était une mode en vogue dans les années 1740-1750. Après avoir été perçu comme un signe de pauvreté vertueuse, le style prend peu à peu une dimension plus coquine. À partir des années 1760, ce style est ambivalent : vertueuse montagnarde ou citadine délurée, la Savoyarde peut aussi être une mendiante ou qui, surtout si elle est jolie, est soupçonnée de vendre autre chose que ses chansons.
Le portrait de la Dauphine coiffée d’une « marmotte » est iconographiquement unique, car on ne connaît aucun autre portrait des dames de la famille royale dans ce style. La Dauphine a donc adopté cette mode et ce portrait semble avoir été peint alors qu’elle était enceinte de son troisième fils. Le costume savoyard évoque ainsi la fécondité vertueuse, bien que ce type de style puisse être perçu comme choquant. Donné à une dame d’honneur, ce petit portrait s’éloigne des représentations officielles et montre les liens étroits entre la Dauphine et les dames de sa maison.
De 1756 à 1763
La Guerre de Sept Ans
« La guerre de Sept Ans oppose la Prusse (alliée du Royaume-Uni ) à une coalition formée par la France, l’Autriche, la Russie, la Saxe, la Suède, la Pologne. La guerre se déroule surtout en Allemagne et en Bohême.»
Images de Barry Lyndon (1975) de Stanley Kubrick
Cette guerre est due à la volonté de Marie-Thérèse d’Autriche de récupérer la Silésie, qu’elle avait dû céder au Roi de Prusse Frédéric II en 1748, à la fin de la guerre de Succession d’Autriche.
Le Royaume-Uni s’unit à la Prusse afin que celle-ci l’aide à protéger le Hanovre (propriété personnelle du Roi d’Angleterre ). La France se trouve entraînée dans la guerre à la suite de son alliance avec l’Autriche, parce que la Prusse attaque la Saxe (l’Électeur de Saxe est le beau-père du dauphin de France) et parce qu’elle est en guerre contre le Royaume-Uni au Canada et en Inde.
Pendant les sept années de guerre, le Roi de Prusse (qui en fait se bat seul contre les autres pays européens) alterne les victoires (comme celle de Rossbach en 1757) et les défaites (comme celle de Kunesdorf en 1759). Très compétent pour les affaires militaires, Frédéric II a bénéficié aussi de la médiocrité du commandement des armées adverses (en 1759, alors qu’ils viennent de détruire l’armée prussienne, Russes et Autrichiens renoncent à marcher sur Berlin, la capitale prussienne, alors qu’elle est sans défense). En janvier 1762, le «second miracle » est l’arrivée au pouvoir en Russie de Pierre III (1728-1762) qui, grand admirateur de Frédéric, retire son pays de la coalition.

En 1763, ne pouvant vaincre Frédéric, la France et l’Autriche acceptent la paix. La Prusse conserve la Silésie.
En Europe, la guerre de Sept Ans a eu des conséquences très importantes. La Prusse devient une grande puissance avec qui l’Autriche doit composer en Allemagne. La France perd sa prépondérance militaire et diplomatique.
Parallèlement, la guerre se déroule aussi en Amérique du Nord, où les Français installés au Québec luttent contre les Britanniques, mais également en Inde, où ils se disputent le contrôle d’une partie du pays. Les Britanniques sont victorieux. La France perd son empire colonial pour le bénéfice des Britanniques et des Espagnols. Le Royaume-Uni devient la première puissance coloniale et maritime et prépare ainsi sa place de première puissance industrielle du XIXe siècle.
Le 30 janvier 1756
Marie-Josèphe écrit à Madame de Chambors :
« J’ai ressenti, Madame, une affection bien sensible en apprenant que vous étiez heureusement accouchée ; ses intérêts me seront toujours bien chers et je n’aurai rien de plus à cœur que de vous témoigner, dans toutes les occasions de ma vie, la sincère estime que j’ai pour vous.»
Du 17 mai au 27 septembre 1756
Louis-Joseph et Louis-Auguste sont envoyés au château de Bellevue sur les conseils du médecin genevois Théodore Tronchin, afin d’y respirer un air plus pur qu’à Versailles.

Marie-Josèphe de Saxe par Anne Baptiste Nivelon, d’après Maurice Quentin de La Tour
Marie-Josèphe souffre énormément de la guerre de Sept Ans (1756-1763). La Saxe alors occupée par l’armée prussienne voit cette dernière commettre des exactions envers la famille régnante qui seront fatales à la Reine de Pologne, mère de Marie-Josèphe.
Le 28 août 1756
Le Roi de Prusse Frédéric II quitte Potsdam et se dirige vers la frontière saxonne, suivi de soixante-dix mille hommes. L’Electorat est envahi et pillé sans retenue. Cela ne l’empêche pas d’accabler Auguste III de protestations d’amitié, et d’assurer «ce grand prince» de son estime. Il prétend n’en vouloir qu’à l’Autriche. Ce n’est que pour la combattre qu’il se fraie un passage à travers la Saxe.
«Ce n’est ni la cupidité ni l’ambition qui dirige ma démarche, mais la protection que je dois à mes peuples » déclare Frédéric II avec la plus parfaite mauvaise foi.
Auguste III, un peu lâche, veut sauver les apparences «en accordant à Frédéric II ce qu’il a oublié de demander« . Le Roi de Pologne offre spontanément un passage déjà pris d’autorité. Toutefois, avant d’aller s’enfermer dans la forteresse de Koenigstein, Auguste III proteste :
« Les troupes de Votre Majesté font des exactions, s’emparent de mes caisses, viennent de démolir une partie de ma forteresse de Wittenberg et arrêtent mes officiers généraux … J’en appelle aux sentiments de justice et de probité de Votre Majesté … »
Le Roi de Prusse fait comme s’il n’avait pas compris et va bloquer l’armée saxonne à Pirna. Le comte de Bruhl tente des « finasseries épistolaires » pour gagner du temps, ce qui fait dire avec mépris à Frédéric II :
« Il est plus aisé pour les Saxons d’écrire que de se battre !»
A Vienne, il est traité de «violateur des lois de l’Empire». A Saint-Pétersbourg et à Stockholm, de «prince factieux qui déchire le traité de Westphalie», et aussi de «perturbateur de la paix».
La Reine de Pologne est restée seule à Dresde avec ses filles d’honneur.
Le 9 septembre 1757
Le chef des grenadiers de Frédéric II, Wangenheim, chargé de s’emparer de certains documents, n’hésite pas, devant le refus de la Reine de lui confier la clef du cabinet secret, à faire enfoncer la porte après avoir brisé les scellés. Une fois dans la pièce, les Prussiens s’emparent de trois sacs pleins de papiers d’Etat.
Le 13 septembre 1757
Le général de Fontenay arrive à Paris et fait un tableau des malheurs survenus à son pays. Il implore le secours de la France. Il s’adresse d’abors à Rouillé, ministre des Affaires étrangères qui lui fait part « de la douleur dont Madame la Dauphine est accablée ». Rouillé s’étend longuement sur « les justes éloges que méritent le caractère, la conduite et les vertus » de Marie-Josèphe. Il se récrie sur « l’indécence » et «l’irrégularité » des procédés du Roi de Prusse, mais avoue qu’il est difficile d’y remédier.
Après cette entrevue négative, Fontenay demande à être reçu par la Dauphine. L’abattement de Marie-Josèphe le touche.
« Elle ne cesse d’être occupée des malheurs de sa Maison … Mgr le Dauphin partage sa douleur, et a l’attention la plus tendre et la plus soutenue à chercher ce qui peut contribuer à sa consolation … »
Durant l’audience très longue, Marie-Josèphe s’informe avec passion de tout et de tous. Le Roi de Prusse, «indépendamment des titres qu’il avait fait enlever, s’était approprié les diamants de la Reine et les deniers qui se trouvaient dans les caisses et trésors ». La malheureuse épouse d’Auguste III avait lancé avec indignation :
« Et cela sans nous déclarer la guerre et en se disant notre ami ! »
Mais apprenant que le Premier ministre a laissé des dettes énormes, elle gémit avec désespoir :
« Donc, la chemise que je porte et le pain que je mange ne sont pas payés ! »
Le 16 septembre 1757
Fontenay apprend par Rouillé que quatre-vingt mille hommes sont prêts à marcher … mais ces troupes ne peuvent peser lourd face aux forces de Frédéric II.
Tous plaignent sincèrement la Dauphine, la famille royale est désolée, mais dans les milieux politiques, on reste froid ; ni Auguste III ni Bruhl, son ministre, n’inspirent la pitié.
Le 1er octobre 1757
La bataille de Lowositz contraint Auguste III à capituler. Il part pour Varsovie, abandonnant la Reine à Dresde.
Le 25 novembre 1756
« Le désir de pouvoir être utile en quelque chose à mon cher papa, à maman et à mon pays fait que je passe mes journées à parler, à écrire, ou à réfléchir au moyen de leur servir : s’il ne fallait que mon sang pour les retirer des malheurs, je le verserais avec plaisir. Vous me connaissez … aussi vous pouvez juger de ce que je sens , de ce que je souffre… »
Marie-Josèphe au comte Wackerbarth Salmour
Le 5 janvier 1757
Attentat de Damiens contre Louis XV.
Depuis le 5 janvier au soir, le Dauphin est traité en Roi et préside tous les conseils de ministres. Il y fait preuve d’une «intelligence », d’une dignité et d’une éloquence qu’on ne lui soupçonnait pas.
Le 15 janvier 1757
Tout étant rentré dans l’ordre, Marie-Josèphe invite à dîner Mesdames de France qui doivent l’escorter à Saint-Cyr. A l’issue de la représentation de la tragédie biblique Esther de Racine, interprétée par les élèves de l’institution, la Dauphine demande que l’on veille bien à accorder six jours de vacances aux actrices ingénues qui acclament Marie-Josèphe joyeusement.
Le 9 octobre 1757
Naissance de Charles-Philippe, comte d’Artois, futur Charles X.
La Dauphine parle de visites dans les cabinets de son époux qui lui déplaisent (lettre de 1757 au général de Fontenay):
« Il y a longtemps que je suis informée de la mauvaise conduite de M. le Dauphin et des visites matinales qu’il reçoit ; cela est scandaleux, et j’en suis tout à fait inquiète. Je ne l’en recevrai cependant pas plus mal demain, car il faut dissimuler.»
Le 17 novembre 1757
Mort de Marie-Josèphe d’Autriche, mère de Marie-Josèphe de Saxe, est victime des mauvais traitements reçus de l’armée prussienne.

Dimanche 11 décembre 1757
Les princes et les princesses du sang se rendent, en cérémonie, à l’occasion de la mort, survenue le 17 novembre, de Marie-Josèphe d’Autriche, épouse du Roi Auguste III de Pologne, Electeur de Saxe, leurs respects au Dauphin et à la Dauphine, fille de la défunte.
Les seigneurs et dames de la Cour, en habits de grand deuil, s’acquittent du même devoir.

Le 14 juin 1758
Marie-Josèphe reçoit son frère Xavier (1730-1806). Elle le conduit personnellement chez le Roi, après quoi elle lui présente ses neveux. Le duc de Bourgogne vient de passer aux hommes et exhibe fièrement ses premières culottes. Il a grand regret de n’avoir pas l’âge de suivre son oncle à la guerre. Le prince Xavier est ensuite reçu chez la Reine, Madame Infante et Mesdames. Partout le prince fait une excellente impression. On le trouve aimable.
Xavier est invité à dîner par Bernis avec sa suite ainsi que Fontenay. Marie-Josèphe s’en désole car le repas s’éternise et elle sait que son frère ne restera pas plus d’un jour. Enfin peut-elle s’enfermer avec lui jusqu’à dix heures :
« La tendre amitié qui les unit forme un tableau très touchant. Monseigneur le Dauphin les laissait de temps en temps, passant dans la chambre de lit de Madame la Dauphine où il voulut bien me faire venir le retrouver... »
Fontenay

Xavier de Saxe en costume de cour, avec insignes de l’Ordre de l’Aigle blanc
Le 16 juin 1758
Départ de Xavier de Saxe.
Le 26 juin 1758
La défaite de Crevelt, située dans le land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie que résume le comte de Martanges (1722-1806) dans son style pittoresque :
« Chef imbécile – le comte de Clermont -, conseillers ignorants, troupes valeureuses sacrifiées sans rime ni raison, elles se retirent sans être battues ; ignorance, paresses, insensibilité … On perd l’honneur, on ruine les troupes et on risque l’Etat si le maréchal d’Estrées ne revient bien vite … La France est pour l’Allemagne comme ce seigneur qui, pour délivrer ce paysan du lièvre qui mange quelques choux, vient avec quarante chasseurs ruiner la métairie entière, boire le vin et coucher avec sa femme … »
Le comte de Clermont est rapidement remplacé par le marquis de Contades, autre protégé de Madame de Pompadour, qui hérite d’une «ombre d’armée».
« Il a la tête froide et le cœur chaud … Aujourd’hui, il a la réputation d’avoir tout froid. Il y a une zizanie affreuse dans toute la généralité… Des mécontents dans tous les ordres, et c’est grand dommage, car jamais peut-être il n’y eut d’armes dont on peut et doit le plus attendre. Tout cela est à vomir ... »
Le comte de Martanges
Le 9 juillet 1758
Le maréchal de Broglie (1718-1804) prend Minday ; à Paris c’est la consternation tant les pertes sont lourdes :
« On parle de douze mille hommes tués ou blessés, douze mille officiers. Les carabiniers, la gendarmerie, la cavalerie abîmés ; les régiments de Champagne, de Condé, de Conti et autres écharpés … »
Barbier
Le 17 août 1758
Le prince Xavier de Saxe est nommé lieutenant général et placé à la tête de dix mille Saxons à la solde de Louis XV. Le frère de Pépa sait se faire apprécier des troupes françaises et c’est en vain que les princes de sang se piquent de ce qu’ils considèrent comme une faveur. La Dauphine sait défendre ardemment son cher frère qui désormais mène la joyeuse vie.

Xavier de Saxe lieutenant-général en 1758
Il est si pris par ses amours qu’il ne trouve pas le temps de rassurer Marie-Josèphe que l’angoisse empêche de dormir.
Le 31 août 1758
Xavier fait savoir à Morisson :
« Nous sommes peut-être les les seuls qui puissions nous vanter d’avoir repoussé l’ennemi ; mais, à la fin, n’étant plus soutenus, il a bien fallu céder au nombre.»
Xavier de Saxe est porté aux nues en raison de sa valeureuse conduite. Il lui faut à présent recruter des troupes fraîches pour reconstituer le corps des Saxons dont les rangs sont clairsemés.
Les Autrichiens ont envahi la Saxe pendant que le Roi de Prusse était occupé par les Russes à Zorndorf.
« Fasse le ciel que vos prédictions sur l’évacuation de la pauvre Saxe soient vraies ! Où avez-vous pris que j’aie jamais dit qu’après Dieu ce sera à moi qu’elle devra sa délivrance ? Je ne suis pas assez présomptueuse pour imaginer qu’elle ne doive jamais rien.»
Marie-Josèphe à Fontenay
Elle sent que la guerre est loin d’être terminée et redoute un retour en force de Frédéric II :
« Je tremble des nouvelles que nous aurons de ce malheureux pays.»

Les logements de Xavier de Saxe à Versailles
Son appartement à Versailles Bien que n’ayant pas de charges à la cour, il a l’occasion de vivre quelques temps à Versailles mais dans des logements prêtés. En septembre 1758, lors d’un voyage à la cour, on lui prête, au premier étage de l’aile des Princes, l‘appartement du duc de Lauraguais, côté cour de l’apothicairerie. En septembre 1759, il occupe le logement de la duchesse de Broglie dans les attiques de l’aile des princes. Entre octobre 1760 et avril 1761, il occupe temporairement l’ancien appartement de Madame de Maintenon au premier étage du corps central alors attribué au comte de Clermont. A cette date, Monsieur de Noailles écrit au Roi :
« M. le comte de Clermont ne voulant pas reprendre son logement tant que M. le Comte de Lusac fera des voyages à la cour, le comte de Noailles propose à Votre Majesté au départ de ce prince au mois d’avril d’y placer la garde-robe de Votre Majesté jusqu’à ce que l’endroit où elle est placée puisse être arrangé. »
En 1762, on lui réserve une partie d’appartement dans le premier pavillon au premier étage de l’aile gauche des Ministres. En 1764, sa sœur la Dauphine tente en vain de le loger dans les attiques de la vieille aile sur la cour royale dans l’appartement du marquis de Courtenvaux, capitaine des cent-suisses. Il n’est plus fait mention d’appartement après cette date. Il vit en Saxe jusqu’en 1768 en tant que régent. Revenu en France, il s’installe au château de Pont sur Seine en Champagne. Il pouvait alors probablement aller et venir sans souci de logement à la cour. A moins que les décès consécutifs du Dauphin et de la Dauphine, sa sœur, ne lui a fait perdre le peu de crédit qu’il avait à la cour.
Source : W. R. Newton, L’Espace du Roi, Fayard

Agathe Mourier est Marie-Josèphe de Saxe et Arnaud Agnel Louis-Ferdinand
En octobre 1758
Marie-Josèphe s’inquiète à l’idée que Xavier marche avec l’armée de Soubise :
« Les jambes m’ont manqué. Je ne sais pourquoi, je n’ai pas eu un moment de tranquillité depuis ; je crains également qu’il soit et qu’il ne soit pas à la bataille. J’attends. Je ne sais ce que je veux mais je me meurs. Gardez-moi le secret de toutes mes folies, ou, une autre fois, je les garderai pour moi seule. »
Marie-Josèphe au cardinal de Luynes
Mi octobre 1758
Soubise remporte la bataille de Lutterberg entre Cassel et Munden. La Dauphine «nage dans la joie» !

Son frère lui écrit le soir même.
« Et voilà qui me met le comble à mon bonheur, c’est que mon frère s’y soit trouvé et s’en soit tiré heureusement … »
Marie-Josèphe
Marie-Josèphe attribue cette victoire à l’intercession de la Sainte Vierge et de Saint Joseph sous la protection desquels elle a mis son frère et qu’elle a «tant priés».
Louis XV accorde une pension de dix mille livres par mois au prince de Saxe, nommé commandant effectif du corps saxon.

Marie-Josèphe par Marie-Victoire Jaquotot (1772-1855)
Le 11 avril 1759
Xavier de Saxe quitte Versailles trop tard pour prendre part à la bataille de Bergen, que le duc de Broglie a remportée sur le prince Ferdinand de Brunswick. Avec le printemps, la guerre a repris partout en Europe et dans les colonies.
Frédéric II, pour se venger de ses récentes défaites, donne l’ordre d’incendier les faubourgs de Dresde. Seule une guerre victorieuse pourrait délivrer la Saxe de son envahisseur.
A Versailles, Marie-Josèphe n’a plus «la triste satisfaction de partager ses chagrins» avec son frère qui a été couvert d’éloges, et s’est distingué durant les fêtes du Carnaval «autant qu’à la tête du corps saxon» !
En 1759
Louis-Joseph est victime d’une mauvaise chute dont il tait la cause sans doute pour éviter au coupable d’être châtié (chute de cheval ou chahut avec un camarade dont on aurait rendu responsable son entourage), les chirurgiens l’opèrent pour extirper la tumeur qui s’est installée sur le fémur. Le manque d’asepsie de l’époque entraîne une tuberculose osseuse qui sera la cause du décès de l’enfant de neuf ans.

Dans la nuit du 22 au 23 septembre 1759
Il s’en faut de peu que Marie-Josèphe accouche sans l’aide de personne. Ressentant quelques petits douleurs, elle se lève tout doucement pour ne pas réveiller Louis-Ferdinand. La contraction passée, elle se recouche, et quelques instants plus tard, elle consent à éveiller son époux et ses femmes.

Roman Williams est le duc de Bourgogne
Le 23 septembre 1759
A cinq heures quarante-cinq du matin
Naissance de Marie-Clotilde de France (1759-1802), qu’on appellera Madame Clotilde, ou plus trivialement Gros Madame, future Reine de Sardaigne.
L’enfant est ondoyé par l’évêque d’Autun et remis à sa nourrice, la comtesse de Marsan (1720-1803), de sa nourrice et de ses femmes de chambre, avant tout chargées de bien la conserver en vie, en un temps ou la mortalité infantile est encore forte. Il n’y a ni Te Deum ni fête, ce qui «n’est pas étonnant pour une fille qui a quatre frères vivants! » note Barbier.
La montée de lait est enrayée sans incident .
« Jamais elle n’a eu de couches si heureuses … »
Louis-Ferdinand
Quatre jeunes princes contemplent leur nouvelle petite sœur : Louis-Joseph, huit ans, duc de Bourgogne, Louis-Auguste, cinq ans, duc de Berry, Louis-Stanislas-Xavier, trois ans et demi, comte de Provence, et Charles-Philippe, un an et demi, comte d’Artois.
Une semaine plus tard
« Pépa se porte à merveille, elle a changé aujourd’hui de linge de lit et reçoit la visite de sa fille qui est une petite miniature très élégante.»
Louis-Ferdinand

Agathe Mourier est Marie-Josèphe de Saxe
Le 27 septembre 1760
Mort de sa sœur, Marie-Amélie de Saxe, née en 1724, Reine d’Espagne depuis 1759, en mettant au monde son quatorzième enfant.

Marie-Josèphe de Saxe par Frédou
Le 22 mars 1761
Mort de Louis-Joseph.
Son fils aîné comblait Marie-Josèphe de fierté. Elle débordait pour lui d’amour maternel. De même que le Dauphin, son mari, elle n’avait pu s’empêcher de le préférer à ses autres enfants. Sa mort est pour elle une épreuve que, seule, sa piété lui permet d’accepter.

Philippe d’Artois et Madame Clotilde par François Hubert Drouais, 1763

Agathe Mourier est Marie-Josèphe de Saxe
D’une foi profonde, Marie-Josèphe, soutenue par son premier aumônier, Aymar de Nicolaï, est, comme Louis-Ferdinand, proche du parti des dévots.
Cabinet intérieur de Marie-Josèphe à Versailles

Le 10 octobre 1761
Xavier de Saxe, à la tête de neuf mille hommes, s’empare de Wolfenhuttel et en fait la garnison prisonnière. Ce n’est pas un grand exploit car la ville s’est rendue sans opposer ou presque de résistance.
Le 15 octobre 1761
Marie-Josèphe reçoit la visite de son plus jeune frère, Clément de Saxe (1739-1812), qui se destine à l’Eglise et a déjà reçu les ordres mineurs. Pépa redoute qu’il se présente en costume ridicule :
« Je veux qu’il soit aussi élégant que les abbés de Versailles, on dit qu’il a de grands cheveux et qu’il est fait comme un fol … »
Marie-Josèphe à Fontenay
Clément est chaleureusement accueilli par la famille royale. Marie-Josèphe est fort surprise de son extrême ressemblance avec Xavier, «à la belle couleur de cheveux près (Xavier est blond). Je vous assure que l’habit ecclésiastique vous sied bien ! Ainsi vous pouvez le prendre quand il vous plaira. J’aime bien l’abbé, mais rien n’égale la tendresse que j’ai pour le frère par excellence.»
Il semble que la Dauphine retrouve une certaine gaieté.
L’abbé Clément passe agréablement son temps , il visite Paris et- le peintre La Tour exécute son portrait ainsi que celui de la Dauphine :
« Il m’en coûte cher. Je ne puis assez me louer de toutes les marques d’amitié qu’il me donne, et si mon cœur n’était pas pris, il serait celui de la famille qui aurait la première place… »
Marie-Josèphe à Fontenay


Marie-Josèphe par La Tour (étude)
Le 19 octobre 1761
L’abbé Clément assiste aux baptême de ses neveux Louis-Auguste de Berry, Louis-Stanislas-Xavier de Provence et la petite Marie-Adélaïde-Clotilde-Xavière.
La venue de Clément de Saxe est quelque peu intéressée car il pense déjà au jour où il pourra devenir prélat.
Début janvier 1762
Clément de Saxe prend le départ de Versailles.
Le 5 octobre 1763
Mort de son père, le Roi Auguste III de Pologne, également Électeur de Saxe ; son frère François-Xavier de Saxe ne peut lutter face à la Russie, l’Autriche et la Prusse.

Marie-Josèphe par Maurice Quentin de la Tour
Le Grand Cabinet de la Dauphine
( texte et illustrations de Christophe Duarte ; Versailles – passion )
Etat actuel du grand cabinet de la Dauphine
Il servit de salle des gardes au Régent, puis au Dauphin, fils de Louis XV, de 1736 à 1744, avant de devenir le grand cabinet de son épouse Marie-Josèphe de Saxe.

Il est alors décoré de boiseries sculptées et dorées, qui ont malheureusement disparu. Mais on a pu restituer, d’après les dessins originaux de Gabriel, la bordure d’un des cinq miroirs et replacer, sous ce miroir, la console d’origine.

Sur cette console est présenté le baromètre exécuté pour le Dauphin, futur Louis XVI, qui occupa jusqu’à son avènement, cet appartement qui avait été celui de sa mère.

État du Grand Cabinet de la Dauphine avant restauration
Les dessus-de-porte illustrent Psyché et l’Amour dans un char et L’Amour quittant Psyché par Carle Van Loo. Ils ont été commandés pour le Grand Cabinet de la Dauphine Marie-Thérèse Raphaëlle d’Espagne dans l’Aile du Midi en 1744.

La tenture cramoisi évoque celle signalée par les inventaires sur les sièges, les murs étant recouverts de tapisseries des Gobelins.



Le 1er avril 1762
Marie-Josèphe et Louis-Ferdinand sont bouleversés par l’obligation des jésuites de fermer leurs quatre-vingt-quatre maisons et collèges et les établissements sont mis sous séquestre. Les vœux prononcés par les jésuites sont déclarés nuls : ils n’ont plus droit à aucune charge civile ou municipale, ils doivent prêter un serment spécial garantissant leur fidélité au Roi et leur répudiation de la doctrine de saint Ignace de Loyola. Le Parlement met le Roi devant le fait accompli. C’est une grave défaite de l’autorité royale.
Les jésuites sont contraints d’abandonner leurs habits et ont l’ordre de se disperser.
« Je ne vous en parle pas, cela me fait trop de mal »
Marie-Josèphe à Xavier de Saxe
« Il serait difficile dans les temps malheureux où nous vivons que notre âme pût jouir de quelques calme… L’avenir ne nous promet que de plus grands malheurs. Dieu veuille les détourner de dessus ce royaume… »
Marie-Josèphe au cardinal de Luynes
Des pamphlets accusent les jésuites de tous les crimes imaginables et de toutes les hérésies. Voltaire lui-même en est choqué et n’hésite pas à prendre leur défense. D’Alembert, défenseur de la tolérance écrit :
« Si l’on était forcé de choisir entre ces deux sectes ( les jésuites et les jansénistes), en leur supposant le même degré de pouvoir, la Société de Jésus qu’on vient d’expulser serait la moins tyrannique… Les jansénistes, sans égard comme sans lumières, veulent qu’on pense comme eux ; s’ils étaient les maîtres, ils exerceraient sur les ouvrages, les esprits, les discours, les mœurs, l’inquisition la plus violente.»
Au Conseil du Roi, le Dauphin plaide la cause des jésuites sans succès.

En 1763
L’année 1763 commence mal pour Pépa. Non seulement Louis-Ferdinand perd du poids à vue d’œil, mais la santé d’Auguste III décline.

Le 26 février 1763
Auguste III est opéré et semble bien se remettre.

Auguste III
Xavier se hâte de rentrer en Saxe avec une belle pension de cent cinquante mille livres accordées par Louis XV auquel la famille royale de Saxe revient cher. Le prince s’imagine déjà sur le trône de Pologne.
Le 20 juin 1763
Souper à Saint-Hubert.
Fin juin 1763
La Cour se rend à Compiègne que Marie-Josèphe n’apprécie pas.

« On peut voir à l’église la reine, le dauphin et son épouse, ainsi que Mesdames, assis dans les stalles, à la messe et aux prônes de la grand-messe, comme de bons seigneurs particuliers.»
Le 21 août 1763
Retour de la Cour à Versailles que Marie-Josèphe ne quittera plus avant quelques mois : elle n’est enceinte que de quelques semaines, mais la Faculté lui défend même quelques promenades en carrosse.
Le 5 octobre 1763
Décès du Roi Auguste III (1696-1763), son père, qui a succombé à une congestion pulmonaire.

Auguste III
Il laisse le trône à Frédéric-Auguste III (1750-1827), âgé de treize ans seulement.
Le 17 décembre 1763
Mort de son frère l’Électeur Frédéric-Christian de Saxe, laissant un héritier de treize ans, François-Xavier, régent de l’ Électorat qui doit renoncer à la Pologne.
Le 9 avril 1764
Marie-Josèphe apprend avec horreur l’exil du père Berthier puisqu’il n’est plus permis aux jésuites de demeurer en France.
Le 15 avril 1764
Mort de la marquise de Pompadour, emportée par la tuberculose.

« Nous avons perdu la pauvre marquise. Les miséricordes de Dieu sont infinies et il faut espérer qu’elle les a éprouvées, puisqu’Il lui a fait la grâce de communier et de recevoir l’extrême-onction. Il ne nous reste plus qu’à prier pour elle. Le roi est fort affligé… Il se contraint avec tout le monde et avec nous. Notre plus grand désir est qu’il puisse se plaire avec nous. Le moment exige un redoublement de prières. Adieu ; ne me répondez pas ; ne me parlez même pas de la marquise que par des voies sûres.»
Marie-Josèphe à Mgr Nicolay, évêque de Verdun
Marie-Josèphe et Louis-Ferdinand instruisant leurs trois fils, les futurs Louis XVI, Louis XVIII et Charles X

Dessin de Charles Monnet (1732-1816) représentant Louis XV et son fils Louis, le Dauphin, instruisant ses trois enfants – qui seront tous les futurs rois de France: Louis XVI, Louis XVIII et Charles X. Il s’agissait d’une préparation étude pour un tableau qui appartenait au duc de la Vauguyon, gouverneur des enfants de France. La peinture actuelle est maintenant perdue
Le 21 avril 1764
« Je suis lasse comme un chien, je ne suis pas accoutumée à me trouver si avancée dans une grossesse dans la semaine sainte et la longueur des offices, quoique je sois presque toujours assise, me fatigue horriblement. Enfin, il n’y a plus que ce soir et demain, mais j’aurais été bien affligée d’accoucher avant, car j’aime les offices de cette semaine sainte à la folie.»
Marie-Josèphe à son nouveau confesseur, l’abbé Soldini
Le 3 mai 1764
A deux heures du matin, Marie-Josèphe donne naissance à Madame Élisabeth, future martyre de la révolution.

Agathe Mourier est Marie-Josèphe

Madame Elisabeth par Drouais

Fin juin 1764
La Cour s’installe à Compiègne.
Portrait de la famille delphinale

Marie-Josèphe et ses enfants par Benjamin Warlop
Seule la Cour de Saxe pratique la religion catholique alors que la population est luthérienne.
Le 26 juillet 1764
« On dit que depuis la mort de mon père et de mon frère, c’est les luthériens qui sont les seuls en faveur… Je sais que vous êtes en colère contre moi, mais si ma liberté vous déplaît, songez qu’elle est un effet de la plus tendre amitié… »
Marie-Josèphe à Xavier de Saxe
Le 8 décembre 1764
Marie-Josèphe n’oublie pas que sa sœur aînée a été Reine d’Espagne, qu’elle-même est destinée à régner sur la France. Elle repousse l’idée pour Cunégonde (1740-1826) d’un mariage avec un prince autre qu’un futur roi. Il a vaguement été question du duc de Chartres, fils du duc d’Orléans et futur Philippe-Egalité :
« Je dois vous prévenir que ce mariage ne ferait le bonheur ni de l’un ni de l’autre. Elle est trop laide et trop âgée pour lui… De plus, la différence énorme de son rang au mien ne lui serait pas agréable.»

Cunégonde de Saxe, abbesse de Thorn et d’Essen
Été 1765
Jusqu’au printemps 1765, la santé du Dauphin ne donne pas de signe d’inquiétude.
En juillet 1765
La Cour se rend à Compiègne pour assister aux manœuvres militaires annuelles. Le prince chevauche avec prestance à la tête du régiment Dragons-Dauphin dont il est colonel.
Le Dauphin par Roslin
Louis-Ferdinand a beaucoup minci et cela lui va bien. Tous attribuent cette minceur à sa stricte observance du carême : un cœur de laitue nature et quatre ou cinq verres d’eau. Et maintenant il se surmène. Levé à l’aube, tous les jours, pour aller ranger ses troupes en ordre de bataille.
« Il n’a manqué à Monsieur le Dauphin que l’occasion pour se montrer un des plus grands héros de sa race.»
Le duc de Broglie

Arnaud Agnel est Louis-Ferdinand
Marie-Josèphe, accompagnée de Mesdames de France, vient voir l’armée en bataille pour la petite guerre. Toutes cinq pénètrent dans la tente du duc de Coigny où se trouve le Dauphin. Il les accueille avec joie, prend sa femme par le bras et lui présente ses officiers en les nommant tous par leur nom. Puis il sort de la tente avec Pépa, toujours à son bras, et lance aux troupes rassemblées :
« Approchez-vous, mes enfants. Voilà ma femme !»
Un tonnerre d’acclamations salue le couple si visiblement uni.

Bientôt la princesse est à nouveau confrontée à la maladie de son mari.
Au mois d’août 1765
Le Dauphin s’enrhume après s’être échauffé au cours d’un de ces exercices guerriers alors qu’il rejoint le Conseil sans avoir pris le temps d’ôter ses habits mouillés. Pris de fièvre, il doit s’aliter. Guéri quelques jours plus tard, il ne cesse cependant de tousser.
Dans la nuit du 8 au 9 août 1765
Louis-Ferdinand a un accès de fièvre. Pépa est de nouveau aux petits soins pour son époux.
Le 15 août 1765
Elle écrit à son frère Xavier :
« Vous me pardonnerez si je ne vous écris qu’un mot, mais je suis garde-malade. Monsieur le Dauphin a un peu de fièvre depuis trois jours, d’une transpiration arrêtée. Il est infiniment mieux aujourd’hui, mais comme je ne sors pas d’auprès de lui, je n’ai que le temps de vous embrasser de tout mon cœur.»
Le 18 août 1765
Sauf une petite toux qui le secoue parfois, le Dauphin se porte mieux et supporte le voyage de retour à Versailles sans fatigue.
En septembre 1765
De retour à Versailles, le Dauphin est en proie à une crise de dysenterie et toujours sujet à une forte toux. Louis XV lui envoie son premier médecin, le docteur Sénac, mais ce dernier est éconduit par le prince.
Pendant des manœuvres militaires, le Dauphin prend froid et contracte la tuberculose. Louis-Ferdinand tousse sans arrêt, crache du sang, respire avec une difficulté croissante. Il semble condamné à court terme.
Marie-Josèphe soigne et veille elle-même son mari jusqu’à la fin.
Le 4 octobre 1765
Louis-Ferdinand s’affaiblit mais il tient à suivre la Cour pour le séjour à Fontainebleau.
Le 10 octobre 1765
Louis-Ferdinand est suffisamment bien pour que sa femme se rende à une chasse où le cerf passe si près d’elle qu’elle pourrait le caresser, «mais n’en a pas eu la moindre tentation car, quoiqu’ (elle) ne soi(t) pas poltronne, le danger était si gros qi’ (elle) a eu une frayeur horrible. »
Le 18 octobre 1765
Louis-Ferdinand communie en viatique pour la première fois. Il demande qu’on élève un autel dans sa chambre.
« La messe est de tous les actes de la religion le plus sacré, le plus agréable à Dieu. C’est en communiant souvent qu’on apprendra à communier plus dignement.»
Le 12 novembre 1765
Le Dauphin va être administré : Marie-Josèphe éclate en sanglot.

Le Dauphin par Roslin
Le 13 novembre 1765
Le Dauphin est au plus mal et demande à recevoir les derniers sacrements. Il ne sera délivré de ses souffrances que plus d’un mois après.
L’abbé Collet entend le Dauphin en confession le matin.
Le 2 décembre 1765
Louis-Ferdinand se plaint d’hémorroïdes. Le mal augmente rapidement. Il se forme une tumeur qui grossit et le fait beaucoup souffrir, sans qu’il veuille en convenir. Pourtant, il ne peut rester totalement allongé sur le dos, ni sur le côté gauche, et , au bout d’un moment qu’il est tourné du côté droit, il en est fatigué. En dormant, il lui arrive de gémir et même de pousser des cris.
Le 13 décembre 1765
Louis-Ferdinand consent à ce que son abcès soit ouvert. L’incision d’un coup de lancette a lieu le soir ; le seul soulagement de l’opération : il peut à nouveau se tenir assis dans son lit.
Le 14 décembre 1765
Il demande à Pépa de lui lire des canons du bréviaire. Les paroles sacramentelles qui vont de la Préface au Pater. Souvent elle lui arrange ses oreillers.
Le 15 décembre 1765
Il étouffe, a du mal à respirer.
Louis-Ferdinand se fait souvent prendre le pouls, c’est la coutume, et tous les médecins le tâtent à tour de rôle.
Dans la nuit, il s’enquiert de Marie-Josèphe qui est montée chez elle se reposer quelques heures, car elle s’est blessée à la jambe, et est exténuée.
Le 19 décembre 1765
En raison de l’Etiquette, la chambre du Dauphin n’est plus autorisée à Marie-Josèphe. L’agonie de Louis-Ferdinand dure encore vingt-quatre heures. Il cesse enfin de souffrir…
Le 20 décembre 1765
A huit heures du matin, Louis-Ferdinand meurt à Fontainebleau.
Marie-Josèphe est chez Madame Adélaïde quand le cardinal de Luynes se fait annoncer :
« Madame, bénissez le Seigneur, nous avons un saint de plus dans le ciel.»
Marie-Josèphe défaille …
Allégorie de la mort du Dauphin de Lagrenée l’Aîné (1766): le petit duc de Bourgogne, décédé en 1761, lui présente la couronne de l’immortalité. On le voit entouré dans ses derniers instants par son épouse, Marie-Josèphe de Saxe et par ses fils , le duc de Berry (futur Louis XVI, agenouillé), le comte de Provence (futur Louis XVIII) et le comte d’Artois (futur Charles X).
Le 20 décembre même, Marie-Josèphe quitte Fontainebleau, accablée de chagrin, dans le même carrosse que le Roi.
Les idées noires ne la quittent plus ; elle a contracté la maladie de son mari et l’idée de sa propre mort tourne à l’obsession.
Louis-Ferdinand a demandé que ses funérailles soient les plus simples que possible et non pas à Saint-Denis mais à Sens.
Maintenant un tombeau que couvre un peu d’argile
De l’espoir des Français est le dernier asile,
Et la mort elle-même en voyant tant de gloire
Pour la première fois a pleuré sa victoire.
Le 29 décembre 1765
« Le Bon Dieu a voulu que survive à celui pour lequel j’aurais donné mille vies. J’espère qu’Il me fera la grâce d’employer le reste de mon pèlerinage à me préparer par une sincère pénitence, à rejoindre son âme dans le ciel, où je ne doute pas qu’il demande la même grâce pour moi .»
Marie-Josèphe à Xavier de Saxe
Le 11 janvier 1766
Marie-Josèphe écrit à Xavier de Saxe :
« Mon âme adore la main qui l’a frappée, elle est la plus amère douleur , tout la déchire, elle ne peut s’occuper que de ce qu’elle a aimé, qu’elle aime et qu’elle aimera tant qu’elle animera mon corps, qu’elle espère aimer encore plus parfaitement après, dans le sein de Dieu … Elle se transporte sans cesse dans le lieu que renferme l’objet de son amour … Ce caveau lui paraît plus beau que tous les palais de l’univers … Elle ne demande que la mort … »
Marie-Josèphe a coupé ses beaux cheveux blonds ; elle a renoncé au fard.
« Je me suis, Dieu merci, débarbouillée. Puisse mon âme être aussi nette du pêché que mon visage le sera désormais de rouge.»
Marie-Josèphe à l’abbé Soldini
Le clan Choiseul trouve le chagrin de Marie-Josèphe excessif. Ils prétendent que ses larmes ne coulent qu’en raison du regret d’avoir perdu la couronne. Si elle avait manifesté moins de peine, ils auraient tout aussi bien prétendu qu’il lui importait peu de perdre un époux devenu un grand malade. Quoi qu’elle dise ou fasse, ils vont tenter de la discréditer tant ils craignent qu’elle prenne de l’influence sur Louis XV.
Elle n’ose plus se livrer à sa distraction favorite, la musique. Il faudra une véritable conspiration entre ses belles-sœurs pour qu’elle se remette au clavecin. Madame Adélaïde confie à l’abbé Soldini :
« Elle croyait que c’était manquer à la mémoire de mon frère.»
Le temps du grand deuil écoulé, Marie-Josèphe n’en conserve pas moins son habit de veuve. Son appartement est tendu de noir, éclairé de bougies jaunes comme un catafalque. Le principal ornement en est un modèle en relief du caveau et du mausolée que l’on construit pour feu le Dauphin dans la cathédrale de Sens. Veuve, Marie-Josèphe suit scrupuleusement les consignes maritales en matière d’éducation de leurs enfants, ce qui n’est pas forcément judicieux dans la mesure où elle a elle-même de très bonnes idées qu’elle sacrifie.
Louis XV adore sa belle-fille, en qui il avait grande confiance.
Opposée au rapprochement entre la France et l’Autriche, la Dauphine n’est pas favorable au projet de mariage de son fils aîné avec l’Archiduchesse Marie-Antoinette d’Autriche.
Marie-Josèphe possède une immense et magnifique chevelure ondoyante, qui réjouissait les yeux de Louis-Ferdinand. Elle donne l’ordre à ses femmes de la lui couper :
« Je ne conservais ma chevelure que parce que mon époux la voyait avec plaisir ; je n’ai plus besoin de cette complaisance.»
Le 8 février 1766
Pour éviter à sa bru de continuer à vivre dans le décor où elle avait connu de si bons moments avec son époux, le Roi lui propose d’emménager dans l’ancien appartement du comte de Toulouse, fils de Louis XIV et de Madame de Montespan, qui était devenu le logis de Madame de Pompadour. Après la mort de cette dernière, Louis XV avait déclaré qu’il n’y remettrait plus jamais les pieds. Un escalier le faisait communiquer avec les pièces qu’il occupait lui-même.

1) Première antichambre
2) Seconde antichambre
3) Grand salon de compagnie
4) Chambre
5) Cabinet
6) Salle-de-bains et cabinet de la chaise
La chambre de Marie-Josèphe de Saxe,
( texte et photographies de Christophe Duarte ; Versailles-passion )

L’appartement donne sur le parterre Nord, au deuxième étage du château, avec un petit balcon et une jolie vue sur les bassins, l’avenue de Feuillage qui descend au bassin de Neptune et au loin la forêt de Marly.

Cette pièce est aujourd’hui connue comme la salle-à-manger de l’appartement de Madame du Barry.

Cette salle à manger est créée en 1738. De cette date, il reste le décor des voussures des fenêtres : elle servait alors de salle à manger d’hiver à Louis XV, qui en avait une autre pour l’été à l’étage supérieur.


A partir de 1751, cette pièce servait d’antichambre à la salle à manger voisine, avant de devenir, en 1763, la Chambre des Bains du Roi.

La Dauphine, Marie-Josèphe de Saxe, en fait sa chambre et elle y mourra.




Les mûrs sont des décors en vernis Martin blanc réchampi émeraude et sa cheminée en brocatelle d’Espagne.





Louis-Auguste, jusqu’alors duc de Berry, éclate en sanglots lorsque les Suisses crient sur son passage :
« Monsieur le Dauphin! »
Louis-Ferdinand a recommandée sa femme au Roi dans son testament. Il a demandé également une augmentation de ses rentes. Elles passeront à cent mille livres.
« Ce sera de l’argent bien employé… J’aime l’argent …. pour le répandre !» s’exclame alors Marie-Josèphe !

Bureau de la chambre de Marie-Josèphe de Saxe 
« Secrétaire à cylindre provenant de l’appartement de la Dauphine Marie-Josèphe de Saxe à Versailles, vers 1763-1765- Secrétaire à cylindre, cinq tiroirs en ceinture ; rideau en partie supérieure s’ouvrant sur un plateau coulissant et découvrant deux niches centrales coulissantes et quatre petits tiroirs, le dextre inférieur présentant un encrier en bronze argenté ; une galerie bois (restitution 2006), à la partie supérieure ; panneaux de marqueterie, sur toutes les faces, composés de compartiments à encadrement de bois de rose à décor de bouquets et tiges de fleurs sur fond de sycomore ; le compartiment central du cylindre orné d’un trophée de musique et littérature ; anneaux sur patère de tirage des tiroirs, boutons de manipulation du cylindre et sabots, le tout en bronze doré».



Le 23 février 1766
Mort accidentelle du Roi Stanislas Leszczynski, son grand-père par alliance.

Marie-Josèphe ne se remettra jamais de la mort du Dauphin qu’elle a soigné elle-même jusqu’à la fin.
Elle a contracté son mal…

Marie-Josèphe de Saxe
Le 1er mars 1766
Service solennel célébré à Notre-Dame de Paris pour le repos de l’âme de Louis-Ferdinand, avec messe de Requiem «chantée en musique à grande symphonie» et oraison funèbre.
En octobre 1766
Au bout de dix mois de grand deuil, pour complaire au Roi, Marie-Josèphe fait partie du déplacement à Compiègne. La Dauphine doit remplir les devoirs de son rang. Elle tient sa cour les jours de chasse. Les affaires de l’Etat, dont Louis XV l’entretient quotidiennement, sont préoccupantes.
Le procureur général du parlement de Rennes, La Chalotais (1701-1785), a pris la tête de l’opposition des états de Bretagne contre le représentant du souverain. De plus, impliqué dans une sombre histoire de lettres anonymes adressées au Roi, il a été incarcéré à Saint-Malo, en 1765. Il est aussitôt considéré comme un martyr. Toute la Bretagne s’insurge contre ce qu’elle appelle «le despotisme royal», et les parements se refusent à faire le procès de La Chalotais. Louis XV est obligé de céder devant l’agitation qui s’amplifie. Le procureur général et son fils sont simplement exilés à Saintes.

Louis-René de Caradeuc de La Chalotais
Le Roi peut confier ses soucis et ses inquiétudes à Marie-Josèphe.
Partout autour d’elle on ne voit que des portraits du Dauphin en uniforme. Ses bracelets, ses bagues, ses tabatières portent l’effigie de Louis-Ferdinand en miniature.
Le 25 mars 1766
Toute de noir vêtue, enveloppée dans ses voiles de veuve, Marie-Josèphe fait ses pâques à l’église paroissiale de Versailles. C’est la première fois qu’elle se montre en public depuis la mort de Louis-Ferdinand. Elle est accompagnée de ses dames d’honneur.
Le 25 avril 1766
« Madame la Dauphine a été attaquée ces jours derniers par une toux opiniâtre à la suite de laquelle est survenu un crachement de sang. Cette princesse a été saignée deux fois... » lit-on dans la Gazette de France.
Le 11 mai 1766
Marie-Josèphe se porte mieux.
« Je suis au lait pour toute nourriture et j’en suis très aise, l’aimant beaucoup mieux que tout autre aliment dont j’étais entièrement dégoûtée.»
Marie-Josèphe à Xavier de Saxe
«Les tendres attentions du roi pour Madame la Dauphine sont toujours les mêmes.»
Fontenay
Son crédit aurait pu remplacer celui de la marquise de Pompadour. Les Choiseul redoutent plus que jamais qu’elle ne prenne de l’influence sur le Roi.
Le 27 septembre 1766
Marie-Josèphe prend possession de l’ancien appartement de Madame de Pompadour. La faction Choiseul avait pourtant inventé une intrigue afin de l’éloigner de Louis XV : l’architecte Gabriel persuade le Roi que les poutres de cet appartement sont en mauvais état et qu’il court un danger certain en s’y rendant.
Le 29 novembre 1766
« Mon nouveau rhume va toujours son chemin, et comme il fait aujourd’hui fort vilain et humide, on a jugé que je ferais mieux de rester dans ma chambre, et comme je suis d’une soumission extrême, je me suis tenue claquemurée.»
Marie-Josèphe à Xavier de Saxe
L’hiver devient de plus en plus rigoureux : la Seine est prise par les glaces et le restera pendant un mois.
Le 20 décembre 1766
« Services du bout de l’an de mon père à Saint-Denis.»
Le Dauphin Louis-Auguste
Au début de 1767
Marie-Josèphe, agacée, se plaint au docteur de Bréville:
« Eh bien, monsieur, je fais tout ce qu’on veut et avec cela je dépéris de jour en jour, cela va de mal en pis. A quoi donc me servent vos remèdes?»
Le célèbre médecin genevois Tronchin, établi depuis peu à Paris, est appelé au chevet de la malade. A peine pénètre-t-il dans la chambre de la Dauphine que, suffoqué par la puanteur de l’air, il s’écrie :
« Mais la Princesse est empoisonnée ! »
Il donne l’ordre d’ouvrir les fenêtres. Mais ces fenêtres sont hermétiquement collées. La chambre de Marie-Josèphe est très vaste et froide. Pour la chauffer plus facilement, on ferme et on colle toutes les fenêtres à la Toussaint. On ne les décolle et ne les rouvre qu’à Pâques.
Le manque d’hygiène des princes à Versailles et l’air usé de cette chambre trop bien close, où deux personnes de service couchent non loin de la Dauphine ont raison de sa santé.
En janvier 1767
Le Roi autorise le docteur Tronchin à rester le seul praticien au chevet de la Dauphine. Il assiste au repas de la malade : une panade.
–Vous mangez trop vite, Madame, remarque-t-il.
–Mon dîner ne dure habituellement que sept minutes.
-Il faut qu’il soit de quinze, insiste Tronchin.
-Je suis accoutumée à manger vite, et je ne pourrai pas faire autrement.
-Il faut l’apprendre, Madame, parce que la bonne digestion en dépend.
Tronchin soigne sa malade par rhubarbe torréfiée, des lapins au gratin et des pigeons au grill.
En février 1767
Comme le temps s’est bien radouci, Marie-Josèphe sort en carrosse sur les conseils du docteur Tronchin. Elle fait quelques pas à Trianon.
« Elle est pâle à faire saigner le cœur.»
Martanges
Seuls ses yeux animés par la fièvre lui donnent une apparence de vie.
Pépa reste cloîtrée et les visites du Roi ne se raréfient pas.
La maigreur de Marie-Josèphe est devenue telle que pour parler sa bouche se contracte en une grimace. Son frère Xavier lui a fait parvenir du vin de Hongrie et de la farine de gruau qui, paraît-il, engraisse. C’était une envie, un souvenir de son enfance.
« Après Dieu, ce vin est la seule chose qui me soutienne. Excepté les forces, cela va bien. Je profite du peu que j’en ai pour vous embrasser de tout mon cœur .»
Marie-Josèphe à Xavier de Saxe
Le 7 mars 1767
Marie-Josèphe rabat à jamais le couvercle de son clavecin et se fait laver les pieds en vue de l’onction des malades qui doit avoir lieu le lendemain.
Le 8 mars 1767
Le Roi et la famille royale se rendent ensemble à la chapelle afin d’y chercher le saint sacrement que le cardinal de Luynes porte sous un dais jusque dans la chambre de la Dauphine. La pièce est remplie de monde.
«Elle sourit avec calme et une tranquillité d’âme incomparable. Sa préparation à recevoir le saint Viatique a duré deux heures. Son action de grâce l’occupe toute la journée.» Son visage a la même expression de bonheur qui transfigurait celui de Louis-Ferdinand. Elle se dit «en paix».
Le 9 mars 1767
Marie-Josèphe fait appeler ses trois fils.
« Elle leur donna sa bénédictions en versant des larmes. Son confesseur (l’abbé Soldini) s’acquittant en son nom de devoir que son attendrissement ne lui permettait pas de remplir, leur dit :
_Monseigneur, Madame la Dauphine m’ordonne de vous dire qu’elle vous donne sa bénédiction de tout son cœur et qu’elle prie le Seigneur de vous combler de toutes les siennes. Elle vous recommande de marcher devant Dieu dans la droiture de votre cœur, d’honorer le Roi et la Reine, de les consoler en retraçant à leurs yeux les vertus de votre auguste père ; de ne vous écarter jamais des sages avis que vous donnent les personnes qui sont chargées de votre éducation, et de vous souvenir de Dieu pour elle.»
L’abbé Soldini
Les trois enfants sortent en larmes d’auprès de leur mère.
Le 10 mars 1767
Dans l’après-midi, Marie-Josèphe fait ses adieux à ses deux petites filles Madame Clotilde et Madame Elisabeth qui aura trois ans au mois de mai. Peut-être leur dit-elle qu’elle ne pourra plus les voir, car Clotilde qui approche de ses huit ans, perçoit intuitivement le drame et remplit la chambre de ses cris. On doit l’arracher à sa mère pou ne pas augmenter au déchirement des adieux.

Le 11 mars 1767
Marie-Josèphe revoit ses fils pour la dernière fois. Elle confie ses enfants à Madame Adélaïde:
« Voilà mes orphelins, soyez, pour eux le père et la mère… »
Le 12 mars 1767
Marie-Josèphe fait ses adieux au Roi qui pleure sans retenue, au point qu’il ne peut prononcer aucun mot.
« A vous aussi, Madame, je recommande mes enfants, dit-elle à Marie Leszczynska, mais surtout mon âme avec prière de me pardonner les chagrins que je vous ai causés.»
Dans la nuit du 12 au 13 mars 1767
« Elle dort six heures d’une seule traite. Elle a un peu d’appétit et le retour d’un peu de force est sensible pour les personnes qui ont l’honneur de lui donner la main», écrit Fontenay.
Le 13 mars 1767
Elle sollicite encore d’entendre la messe dans sa chambre. Le cardinal de Luynes est à son chevet :
« Réjouissez-vous, Madame, vous allez, en échange d’une vie passée dans la tristesse et les larmes, commencer un règne éternellement heureux.»

Paul d’Albert de Luynes (1703-1788)
Pendant une visite du Roi et de la Reine, Marie-Josèphe est prise d’une sueur froide, l’abbé Soldini la prévient que c’est la fin :
« A ces paroles, la pensée du prochain jugement de Dieu causa encore à la princesse un mouvement de frayeur assez violent mais qui dura peu.»
A huit heures du soir, Marie-Josèphe meurt de tuberculose, âgée de trente-six ans, laissant orphelins ses enfants.
Le 21 mars 1767
Les restes de Marie-Josèphe de Saxe sont ramenés à Fontainebleau, où il sont exposés dans la chapelle du château.

Détail d’une allégorie pour le deuil Marie-Josèphe de Saxe, Dauphine de France ; 1767
Le 22 mars 1767
Le convoi funèbre pend le chemin de Sens. En dépit du désir de Marie-Josèphe d’avoir des obsèques aussi simples que celles de Louis-Ferdinand, le Roi a ordonné qu’elles eussent un caractère grandiose.
Soixante pauvres ouvrent la marche, suivis par cent mousquetaires, cinquante chevau-légers, les pages de Marie-Josèphe et ceux de la Reine, les vingt-quatre pages de Louis XV, de nombreux écuyers, quatre trompettes des écuries, les carrosses des dignitaires, le Roi et les hérauts d’armes, cent Suisses de la garde de Sa Majesté, cinquante gens d’armes, tous portant flambeaux.
Le service solennel est célébré par le cardinal de Luynes, qui doit interrompre deux fois, vaincu par l’émotion.

Le cardinal de Luynes
Le roi d’armes prononce alors ces paroles :
« Très haute et très puissante et excellente princesse, Madame, Marie-Josèphe de Saxe, veuve de haut et très puissant et excellent prince Monseigneur Louis, dauphin de France, est morte !»
Marie-Josèphe est inhumée avec son mari dans la cathédrale Saint-Etienne de Sens, dans l’Yonne.


Mausolée de Louis-Ferdinand et Marie Josèphe en la cathédrale Saint Etienne de Sens,
que l’on doit à Guillaume Coustou (fils)


Testament de la Dauphine Marie-Josèphe de Saxe
« Je supplie le roi de ne pas refuser une marque de mon respect et de ma tendresse filiale en acceptant la petite boîte où est le portrait du roi son père, et le tableau en miniature de La Nuit du Cortège … Je prie aussi la reine d’accepter la relique de la vraie Croix de la Sainte-Chapelle et celle de saint Ambroise, qui sont dans mon oratoire…
A Louis-Auguste, elle laisse aussi un morceau de la vraie Croix contenu dans un reliquaire de cristal monté en or et pierres précieuses, ainsi que la relique de saint Louis dans un reliquaire de vermeil doré, ayant appartenu au Dauphin dont elle lui lègue tous les papiers «écrits de sa main, pour qu’il profite de ses réflexions et de son exemple pour en faire lui-même qui tendent au bien de la Religion et de l’Etat.»
A Louis-Stanislas revient un reliquaire de vermeil doré contenant un morceau de la vraie Croix.
A Charles-Philippe, elle lègue une relique de saint Louis de Gonzague dans un reliquaire de filigrane d’argent, que le pape avait envoyé au Dauphin lors de sa maladie.
A Clotilde, elle laisse une relique de saint Jean Népomucène, ainsi qu’un tableau représentant la Sainte Vierge tenant l’enfant Jésus, exécuté par la Reine.
A Elisabeth, elle donne une croix de cristal contenant une relique de la vraie Croix, ainsi qu’une Vierge d’ivoire, que le Dauphin avait dans son oratoire.
A Madame Adélaïde, elle lègue une boîte bleue émaillée ornée du portrait du Dauphin, une boîte de ses cheveux également avec son effigie, et la cassette où est contenu le « trésor », c’est-à-dire tous les papiers de Louis-Ferdinand.
A Madame Victoire, elle donne une boîte ayant appartenu à Louis-Ferdinand, de même qu’à Madame Sophie.
A Madame Louise, elle donne son livre de prières « écrit à la main », le portrait de Roger de La Motte, évêque d’Amiens, et également une boîte.
A son frère Xavier, elle destine une boîte de porcelaine où sont représentées des vues de Dresde et des maisons de campagne où elle s’est souvent trouvée avec lui. Le tableau de saint Xavier en émail sur une pierre précieuse, et le tableau de l’Entrevue de Neuhaus, de Louis Silvestre, où Auguste III est représenté entouré de toute sa famille.
A son frère Charles, elle lègue le portrait de leur père serti de diamants et monté en bague, et le tableau de fruits en mosaïque que le cardinal de Luynes lui avait apporté de Rome.
A son frère Albert, elle donne une autre bague avec un portrait de leur père entouré de diamants, et le coffret de laque contenant le nécessaire d’aquarelliste, ainsi que les portraits de Xavier, de Clément exécutés par Carmontel.
Et le testament s’achève par ces mots, après de nombreux autres legs à ses proches:
« Je prie tous ceux à qui je fais ces legs de vouloir bien se souvenir de ma pauvre âme dans leurs saintes prières.»
Le 23 mars 1767
« Elle n’existe donc plus cette petite sœur chérie… Quelle perte irréparable pour moi et comment remplacer une amie si solide et si respectable … De quel côté je me tourne, je ne vois que des sujets de pleurs : ses enfants, la France, la Saxe… Tout accable mon cœur de tristesse ... »
Xavier de Saxe au général de Fontenay
Le 5 juin 1794
« Une députation de la commune de Sens annonce que les corps des père et mère de Capet ont été exhumés du temple où ils étaient déposés et rappelés, après leur mort, à une égalité qu’ils n’avaient pas pu connaître pendant leur vie ; la députation a présenté les plaques qui étaient sur les cercueil qui, converties en balles, serviront à détruire nos ennemis.»
Moniteur du septidi 17 prairial an II
Les pauvres restes ne sont heureusement pas dispersés. La commune de Sens les fait enfouir au cimetière.
En 1814
Sous Louis XVIII, leurs corps sont ramenés à la cathédrale de Sens, où l’abbé de La Tour, vicaire général du diocèse de Troyes, prononce l’éloge du prince et de la princesse en présence de Monsieur, comte d’Artois, leur dernier fils.
Le 20 décembre 1814
Le futur Charles X vient assister au service anniversaire de la mort du Dauphin , son père.
« Monsieur l’évêque, puisqu’il y a tout lieu de croire, comme vous l’avez dit, que mes parents n’ont plus besoin de prières et qu’ils jouissent maintenant de la récompense qui était due à leurs grandes vertus, il est également doux de penser que c’est à leur protection et à leur intercession dans le ciel que nous devons tous les miracles dont nous avons été témoins, rétablissement de la monarchie, retour de l’ordre et de la paix, et la cessation de tous les maux qui affligeaient la France. N’oublions jamais que nous ne parviendrons au bonheur que nous désirons que quand nous nous montrerons bons Français et bons chrétiens.»
Charles d’Artois
Sources :
- Marie-Josèphe de Saxe, de François Bluche, Hachette, 1970.
- L’Education du Roi _ Louis XVI (1995), de Pierrette Girault de Coursac , chez François-Xavier de Guibert.
- Marie-Josèphe de Saxe, l’émouvante et dévouée mère de Louis XVI, de Monique de Huertas, Pygmalion, 2000.
- La vie quotidienne sous Louis XV par Charles Kunstler