Le manque de logement à la Cour du château de Versailles
L’exemple du Grand Commun

(Texte et certaines photographies de Christophe Duarte ; Versailles-passion)

En 1682
Lorsque Louis XIV emménage avec sa Cour, ce sont des milliers de personnes qui tentent tant bien que mal de s’installer dans ce que Saint-Simon appelle «le château de cartes».



Les deux ailes de l’avant cour, construites vingt ans plus tôt et dont l’une abrite les offices, ne suffisent plus à accueillir les domestiques. Louis XIV décide alors l’édification d’un important bâtiment pour loger les domestiques et officiers secondaires, à proximité directe du château sur l’emplacement de l’église Saint-Julien, le lieu abritera les cuisines et les tables des officiers qui servent la Cour du du château de Versailles et des chambres pour les courtisans.








Dessiné par Jules-Hardouin Mansart (1646-1708), le Grand Commun est achevé en 1684 et reprend l’harmonie de brique et de pierre que Louis Le Vau (1612-1670) avait choisie pour les premiers agrandissements du Château. Imposant quadrilatère de 82 mètres sur 76 mètres, le nouveau bâtiment a une superficie de 15 000 m², répartis sur six niveaux et combles.

L’utilité première du Grand Commun était la préparation de la nourriture des personnes ayant bouche à cour, à l’exception des tables du Roi et de la Reine préparées à l’intérieur du château pour des questions de sécurité.


Dans la cour intérieure se dressait une fontaine, source d’approvisionnement en eau.

Le rez-de-chaussée, remarquable par son plafond vouté de six mètres de hauteur, accueille des cuisines, une chapelle, des salles à manger et des bureaux. Les premiers et deuxième étages sont divisés en appartements, les plus spacieux et confortables étant au premier. Les derniers étages, l’attique et les combles, sont plus bas de plafond ; l’ajout progressif d’entresols crée des espaces toujours plus exigus.



Dans les 189 logements particuliers mis à la disposition des «logeants» s’entassent les courtisans les plus chanceux, laissant aux «galopins» l’inconvénient des allers-et-retours des appartements en ville.


Pour les légions de domestiques indispensables au palais et à ses habitants, des appartements communautaires sont aménagés dans le Grand Commun, mais beaucoup doivent se contenter d’un lit sous les combles.

Manque d’espace, fumée, obscurité rendent les lieux peu accueillants, sans compter les multiples dégradations dues aux changements incessants d’occupants.





Ce vaste bâtiment abrite les cuisines, les salles-à-manger au rez-de-chaussée et dans les quatre étages au-dessus, il y a des logements de toutes dimensions jusqu’aux soupentes. Les officiers ayant la même charge habitent souvent ensemble en se partageant l’antichambre et la salle de séjour, leurs domestiques étant logés à l’entresol. Dans les soupentes, les plafonds si bas, l’état de délabrement des lieux, la telle promiscuité ainsi que les différences d’âge des occupants, créent des problèmes entre eux (c’est ainsi qu’en 1778, tous les huissiers de la maison du Roi se « révolteront » à l’inspecteur général des bâtiments : les réparations urgentes mettront six années.







Néanmoins, des courtisans de plus grande qualité, qui n’ont pu trouver de place au Château, habitent au Grand Commun.

On y trouve par exemple André Le Nôtre (1613-1700) ou plusieurs membres de la famille de Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), contrôleur général des finances. Souvent, ces derniers étaient installés dans les spacieux appartements du premier étage, faute de place dans le Château. S’il était moins prestigieux de résider au Grand Commun, associé au personnel, il avait pour avantage d’être moins surveillé, laissant place à des agrandissements abusifs d’appartements. Entre ces nobles et courtisans, une réelle course au logement s’organisait dès la libération d’un logement au Château, puis pour chaque appartement de meilleure classe.


A force de cloisonnement, d’entresols, on peut dénombrer 1 500 personnes réparties dans 220 logements.

Selon la description de Blondel en 1756, voici les occupants du premier étage du Grand Commun :

– Apt 35 et 36 : Magasins du Concierge du Grand Commun,
– Apt 37 : Logements des sous-gouvernantes des Enfants de Frances,
– Apt 38 : Logement des Secrétaires des Commandements du Roi,
– Apt 39 : Logement du Médecin Ordinaire du Roi,
– Apt 40 : Logement du Major des Gardes Françaises,
– Apt 41 : Logement de l’Aumônier de quartier de Madame la Dauphine,
– Apt 42 : Logement du Maître d’Hôtel Ordinaire du Roi,
– Apt 43 : Logement des Femmes de chambre de la Dauphine,
– Apt 44 : Logement du Maître d’Hôtel Ordinaire de la Reine,
– Apt 45 : Logement du premier chirurgien de la Dauphine,
– Apt 46 : Logements des Femmes de Chambre des Enfants de France,
– Apt 47 : Logement du Médecin des Enfants de France,
– Apt 48 : Logement du Confesseur,
– Apt 49 : Logement du Maître d’Hôtel par quartier du Roi,
– Apt 50 : Logement du Premier Chirurgien de la Reine,
– Apt 51 : Logement de l’Aumônier de la Reine.

L’abbé Placide Soldini (1719–1791), confesseur de la Dauphine Marie-Josèphe de Saxe, des filles de Louis XV et de Louis XVI, remplit la charge d’aumônier du Grand Commun, c’est-à-dire de l’église que fréquentent au château la plupart des serviteurs inférieurs.
Au début des années 1770
L’énorme édifice a grand besoin d’être rénové.


En mai 1770
Lorsqu’il revient en France, en même temps que Marie-Antoinette (dont il a été le précepteur, à Vienne, il deviendra ensuite Son lecteur, puis Son secrétaire du cabinet) qui vient épouser le Dauphin Louis-Auguste, en tant que membre de la Maison de la Dauphine, l’abbé Mathieu-Jacques de Vermond (1735-1806) est logé au Grand Commun.


Il habite dans le bâtiment qui se nomme «la petite cour» et qui est l’ancien hôpital militaire de Versailles sis le long des communs du château.

Son quartier est occupé aussi par les dames de la Reine ( comme Madame Thiebault …) et une partie Son secrétariat.
On le voit se déplacer dans les couloirs, très discret, comme une souris ! Ne se prêtant à aucun commérage : il n’est pas aimé !

En 1772
Le contrôleur des bâtiments du Roi chargé du département des Dehors de Versailles rappelle son délabrement lorsqu’on propose de loger au Grand Commun plusieurs membres maisons honorifiques :
« Les appartements (…) étant dans le plus grand délabrement, n’ayant pour la plupart pas été occupés depuis la création du Grand Commun, il est nécessaire d’y faire des grosses réparations et changements pour les rendre habitables.» Les logements sont , en effet, «dans un état affreux, sans portes, ni croisées». Pour six d’entre eux, il demande d’inscrire 6 000 livres au prochain budget, ajoutant :
« Il est absolument nécessaire de faire un fonds pour refaire tous les corridors du Grands Commun qui sont dans le plus mauvais état par la quantité de bois qui se décharge dans ce lieu. Je pense qu’il faudrait les refaire en bonnes dalles de pierre dure.»
Ce qui a été fait vu l’état de ces corridors aujourd’hui.


Les dames préfèrent le Grand Commun à un logement en ville qui leur aurait imposé de payer chaque jour des porteurs de chaises pour gagner le château.


Néanmoins, le mot «commun» les indispose d’autant plus que, traditionnellement, l’immeuble est affecté à des subalternes, sous-gouvernantes, femmes de chambre, valets ou huissiers. En revanche, le dernier des trous à rats du château vous fait voisiner avec ceux qui, s’ils ne sont vos égaux, sont du moins vos pairs: le Roi, sa famille et la noblesse.

En 1774
L’abbé Terray est nommé directeur général des bâtiments du Roi. Il demande des informations sur les sous-locations abusives de leurs appartements par certains officiers.
« Il peut y avoir certainement plus d’abus dans les logements du Grand Commun que dans le château parce qu’ils sont regardés de moins près et occupés par des personnes moins considérables, mais depuis la soustraction des logements que M. Gabriel nous a faite par la bâtisse de l’opéra et l’escalier, les soixante-dix-huit personnes à charge qui ont demandé à être au Grand Commun faute du Château. N’étant pas assez bien , Mesdames ont fait même souvent à leur dépens pour leurs dames un seul logement de trois. Le Roi y a consenti : il ne m’aurait pas convenu de m’y opposer. Les domestiques de Sa Majesté qui sont dans le Grand Commun ne pouvant presque obtenir la moindre réparation ni le plus simple entretien des bâtiments du Roi, l’ont fait à leurs dépens.»
Le comte de Noailles



Crédits : Julien Danielo Auteur Photographe, Deborah et Vincent Germain, Morgane Tual, Thierry Perrussel, Laure Auger, Guillaume Winisdorffer, Camille Chrétien et Sarah Kerleau
Ville de Vannes

En 1776
Marie-Louise Bidé, marquise de Bonac (1721-1794), dame de compagnie de Madame Adélaïde (1732-1800), tante du Roi, accepte un appartement au Grand Commun, à l’étage noble, il possède onze pièces, dont plusieurs petites garde-robes ou bas-entresols.
Elle y rejoint Louise Joséphine, marquise de Sorans (1766-1832), dame de compagnie de Mesdames Clotilde (1759-1802) et Elisabeth (1764-1794) qui dispose d’un appartement « très bien arrangé » , ayant « trois croisées dans l’angle du côté de la chapelle (…), deux grandes pièces à cheminée et deux autres petites et à entresol trois pièces et deux garde-robes… Il est au premier sur le balcon ». Les Bâtiments n’ont , lors de son installation, qu’à y mettre les glaces. Au bout de sept ans, la marquise exige plus de luxe, une alcôve en place d’une ancienne cheminée, de « plus grands carrés de verre et des double châssis ».
Au fil des années, plusieurs autres dames de compagnie daignent accepter des appartements au second étage du grand Commun et même dans l’attique, où la marquise d’Esterno ( dont le fils épousera la fille du duc de Brissac), dame de la comtesse d’Artois (1756-1805), doit se satisfaire de deux réduits précédemment occupés par des cuisiniers. Après rénovation l’endroit devient convenable.

En 1778
Dans les soupentes, les plafonds si bas, l’état de délabrement des lieux, la telle promiscuité ainsi que les différences d’âge des occupants, créent des problèmes entre eux : tous les huissiers de la maison du Roi se « révoltent » à l’inspecteur général des bâtiments : les réparations urgentes mettront six années.








Il est interprété par Michel Robin

Le second étage est occupé par des officiers ou des jeunes soldats, et l’attique réservé aux employés de bas niveaux tels que les cuisiniers, les lingers, les portes tables. Si l’aménagement des combles n’était pas prévu à l’origine, L’Etat des logements dressé en 1722 lors du retour de la Cour y fait état de nombreux logements. Plus que rudimentaires, ces chambres posent un réel problème de sécurité du fait des cheminées et poêles installés sans autorisation.







Ces mêmes couloirs vus en 1789 dans Les Adieux à la Reine (2012) de Benoît Jacquot
En 1727
Au retour de Louis XV à Versailles, près de 1 500 personnes vivent dans ce bâtiment, sans compter le personnel non-résident qui vient y travailler quotidiennement. Si les appartements des premier et deuxième étages sont divisés, ce sont les conditions de vie de l’attique et des combles qui s’aggravent.

En 1781
Les époux Brunyer occupent un appartement de fonction au Grand Commun. Antoinette Brunyer-Chappuis est la première femme de chambre de Madame Royale. Le docteur Brunyer est le Premier médecin des Enfants de France. Antoinette y complète le fond de maison qui remonte à ses précédents mariages. Les plans de l’appartements sont reproduits ci-dessous : ils évoquent ce qu’est l’espace quotidien des époux Brunyer pendant plus de sept ans : on pourrait y placer les meubles auxquels madame Brunyer fait allusion dans son journal. Elle court en effet les ébénistes et brocanteurs. Elle gouverne cinq à huit domestiques, les siens et ceux de son mari. Elle veille elle-même à l’approvisionnement de l’office, décore en femme de goût son intérieur, où elle reçoit, avec un certain apparat.






Le Grand Commun restera en l’état jusqu’à la Révolution Française et le départ de la famille royale en 1789.


Si l’extérieur du Grand Commun nous est parvenu pratiquement intact, peu de choses demeurent de son aménagement du XVIIe siècle. Après la Révolution Française, le bâtiment reçut plusieurs affectations qui bouleversèrent son plan intérieur.



De 1793 à 1810
Il est occupé par la manufacture d’armes dirigée par Nicolas-Noël Boutet, arquebusier de Napoléon Bonaparte (1769-1824).
Pendant la Restauration
Le Grand Commun devient le siège de plusieurs écoles.

A partir de 1832
Le Grand Commun est transformé en hôpital militaire, désigné par la suite hôpital Dominique Larrey. Il occupera cette fonction jusqu’en 1986.



En 1996
L’Armée restitue le Grand Commun au domaine national de Versailles. S’opère alors un immense chantier de restauration et de réaménagement, sous la direction des architectes Frédéric Didier et Bernard Desmoulin.
En 2006 et 2007
Dans la cour, des fouilles archéologiques sont menées, permettant d’identifier l’emplacement du jeu de paume de Louis XIII (1605-1643) ainsi qu’un cimetière du haut Moyen Âge. L’objectif de ce chantier est de regrouper, sur un site unique, les services administratifs et techniques de l’Etablissement public du château, du musée et domaine national de Versailles, le Centre de Recherches du château de Versailles, les archives, des réserves, et un pôle technique.


La restauration du Grand Commun permet de dégager les structures du XVIIe siècle et de retrouver la substance patrimoniale du bâtiment. Outre la restauration des pièces maîtresses de la charpente et la consolidation des plafonds moulurés, la remise en valeur la plus spectaculaire a concerné les six escaliers monumentaux.
Les matériaux modernes, comme le métal et le verre, sont associés aux matériaux d’origine : sol en pierre et terre cuite, murs en pierre de taille. Tout l’enjeu de cette restauration a été de créer un espace de travail fonctionnel dans le respect de ce bâtiment, classé Monument historique depuis 1929.

Aujourd’hui, le Grand Commun accueille une partie du personnel du château de Versailles, retrouvant en un sens sa fonction d’origine. Chaque jour, près de trois cents personnes œuvrent à la vie du Domaine dans ce bâtiment dessiné par Jules Hardouin-Mansart et rénové pour être un véritable espace de vie et de travail.
En 2018
Le Grand Commun a ouvert ses portes au public à l’occasion des Journées Européennes du Patrimoine.

Héritage au XIXe siècle
Jean-Baptiste André Godin, un industriel français, inspiré par le socialisme utopique et acteur du mouvement associationniste, créateur de la société des poêles en fonte Godin et du familistère de Guise, pour lequel il semble s’être inspiré du Grand Commun de Versailles. Son œuvre est d’ailleurs appelée le Versailles de Guise, en référence au château, dont il reprend le plan … mais aussi au Grand Commun, assurément, surtout pour l’utopie sociale qu’il respecte.
« Familistère » est le nom donné par Jean-Baptiste Godin (1817-1888) aux bâtiments d’habitation qu’il fait construire pour ses ouvriers et leurs familles, à partir de 1858 et jusqu’en 1883, probablement à partir de plans établis par l’architecte fouriériste Victor Calland. Godin s’inspire directement du phalanstère de Fourier, mais, comme il le fera toujours, effectue un tri dans la théorie pour l’adapter à ses propres idées et, surtout, pour la rendre plus réalisable.




par rapport au «château», se trouve un bâtiment qui ressemble au Grand Commun
de Sources :
- http://www.chateauversailles.fr/decouvrir/domaine/chateau/grand-commun#la-vie-au-grand-commun
- Versailles-passion, Connaissances et Curiosités du Domaine de Versailles, groupe FB de Christophe Duarte: Le manque de logement à la Cour du Château de Versailles
- L’exemple du Grand Commun.
- Les Adieux à la Reine (2012) film de Benoît Jacquot
- Derrière la Façade, vivre au Château de Versailles au XVIIIe Siècle (2009), de William Ritchey Newton