
Henriette d’Oberkirch
Le mercredi 5 juin 1754
Naissance de Henriette-Louise de Waldner de Frundstein à Schweighouse-lès-Thann, en Haute-Alsace, dans le château paternel.
« Schweighausen est un grand bâtiment carré renfermant une vaste cour, et flanqué du côté du nord d’une tour à clocher mauresque. Il est entouré d’un large fossé plein d’eaux vives alimentées par un ruisseau et séparé d’un joli étang par des jardins fort bien entretenus. On entre par un pont d’architecture ancienne, précédé de communs assez considérables entourant la première cour.»
Elle est la fille de François-Louis, baron puis comte de Waldner (1710-1788), chef du régiment de Bouillon, commandeur de l’ordre de Saint-Jean, chevalier du Mérite militaire, et de Sophie Wilhelmine de Berckheim de Ribeauvillé (1732-1757). Elle appartient ainsi, comme elle le plaît à le souligner à deux des plus anciennes familles nobles d’Alsace.
Le 7 juin 1754
L’enfant est baptisée à l’église paroissiale de Mulhouse, dans la sainte foi évangélique; on lui donne les noms de Henriette-Louise.
« Il y eut, m’a-t-on dit, de fort belles fêtes à mon baptême ; on me traita comme un héritier. Plut au ciel que je le fusse au milieu des grands bouleversements qui se préparent et ne s’annoncent que trop clairement, je pourrais espérer d’être utile à mon pays, aux souverains qui m’ont comblée de bontés, à la cause de ma caste et de mes pères. Je ne suis point de ceux qui voient dans un nouvel ordre de choses un avenir de bonheur ; je crois au contraire à la perte de la monarchie, si elle s’engage dans cette voie dangereuse, et Thorizon me paraît gros de tempêtes. Puissé-je me tromper. »
En 1757
Naissance de son frère Godefroid de Waldner de Frundstein, son frère à Schweighouse-lès-Thann. Il sera baron d’Empire.
Le 4 septembre 1757
Sa mère, Sophie Wilhelmine de Berckheim de Ribeauvillé (née le 29 août 1732) meurt des suites de l’accouchement.
« Je n’ai jamais connu ma mère, et mon plus ancien souvenir est celui du fourreau noir que je portais à trois ou quatre ans. J’avais cet âge quand elle mourut. Pauvre mère! je l’ai souvent regrettée.»
Son père ne se remariera pas et il confie Henriette à une tante qui lui donne une solide formation religieuse et morale.
« Après la mort de ma mère, mon père se trouva fort empêché pour mon éducation ; il pria ma marraine, madame Ève de Wurmser , de vouloir bien se charger de remplacer ma mère, elle accepta.»
Il n’est pas question pour cette jeune luthérienne d’une éducation dans un couvent et c’est à la maison qu’elle acquiert une culture littéraire et artistique tout à fait supérieure à celle que recevaient alors les jeunes filles de son monde.
« Madame de Wurmser me fit donner une éducation sérieuse; c’était une femme d’un esprit supérieur et d’une raison puissante; elle m’apprit la science de la vie, elle m’apprit à ne rien lui demander de plus que ce qu’elle peut offrir, à repousser les espérances insensées et les rêves hors de la vérité.»
La jeune Henriette est un parfait exemple de cette éducation harmonieuse. Elle manie les pinceaux avec assez de talent pour réaliser les portraits de ses intimes. Elle touche assez bien du clavecin pour déchiffrer avec plaisir toutes les partitions musicales à la mode. Son goût pour la Littérature est bien décidé; à côté du français et de l’allemand qu’elle possède dès l’enfance, elle a étudié le latin et l’italien suffisamment pour pouvoir , dans la même journée , recevoir d’une amie quatre lettres différentes dans les quatre langues! L’anglais ne lui est pas étranger non plus. Toute jeune enfin, elle excelle dans l’art de la conversation qui est le plaisir le plus délicat et le plus apprécié d’une société qui pense toujours, depuis La Bruyère, qu’entre gens bien nés le silence est insupportable et «pire que les discours inutiles».
L’enfance d’Henriette de Waldner a été une enfance sérieuse ; ce n’est qu’à ses quinze ans que son père la présente à la Cour de Montbéliard et qu’elle devient l’amie de la princesse Dorothée (1759-1828), future épouse du tsar Paul Ier de Russie (qu’elle épousera en 1776) et mère des tsars Alexandre Ier et Nicolas Ier, pour laquelle elle va avoir un attachement très vif et durable .
Henriette est de toutes les réceptions.
« Je ne vous parle pas du bonheur des toilettes nouvelles. J’avais quitté les fourreaux, on m’avait donné des robes, et peut-être pour me rendre à la cour de Montbéliard, m’accorderait-on un habit et un panier ? Jugez quelle joie !»
Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832) qu’elle rencontre à Montbéliard et Strasbourg lui écrit quelques lettres.
Johann Wolfgang von Goethe
En 1770
Début mai 1770
Arrivée en France de l’Archiduchesse Marie-Antoinette qui est déjà Dauphine de France de par son mariage par procuration qui a déjà eu lieu .
« On avait élevé, pour recevoir l’archiduchesse, un pavillon composé de trois parties dans l’île du Rhin . Je ne sais qui imagina d’y placer de sottes tapisseries représentant Médée et Jason, avec leurs massacres et leurs querelles de ménage. La princesse en fut frappée et sa suite autant qu’elle.
— Ah! dit la jeune dauphine à sa femme de chambre allemande, voyez quel pronostic !
On lui retira, comme c’est d’usage, les personnes de sa maison; elle pleura beaucoup, et les chargea d’une infinité de choses pour l’impératrice, pour les archiduchesses ses sœurs et pour ses amies de Vienne. On l’habilla à la française des superbes atours envoyés de Paris, elle parut mille fois plus charmante.»
Henriette participe à l’âge de seize ans aux fêtes données en l’honneur du passage à Strasbourg de la petite Dauphine Marie-Antoinette, venue en France pour épouser le successeur de Louis XV et elle partage l’enthousiasme de la foule pour sa future souveraine.
« Madame la dauphine, aujourd’hui Marie-Antoinette, passa à Strasbourg, et mon père m’y conduisit pour avoir l’honneur de la saluer. Oh! je vivrais cent ans que je n’oublierais pas cette journée, ces fêtes, ces cris de joie poussés par un peuple ivre de bonheur à l’aspect de sa souveraine.»
La Dauphine est logée au palais épiscopal, où le vieux cardinal de Rohan a l’honneur de La recevoir. M. d’Antigny, comme chef du magistrat (préteur royal), L’avait reçue lorsqu’Elle avait mis le pied sur le territoire.
« On se crut obligé de la haranguer en allemand; elle interrompit l’orateur avec une présence d’esprit et un charme incroyables :
— Ne parlez point allemand, messieurs; à dater d’aujourd’hui je n’entends plus d’autre langue que le français.
L’accent qui accompagnait ces paroles les rendait encore plus touchantes; tout le monde les a retenues et répétées en ce temps-là. »
Le 16 mai 1770
Le Dauphin Louis-Auguste épouse l’Archiduchesse Marie-Antoinette d’Autriche.

Marie-Antoinette par Ducreux

Gravure du mariage de Marie-Antoinette avec le Dauphin, le 16 mai 1770
Le mariage vu par Sofia Coppola (2006)
« Madame la dauphine était, à cette époque, grande et bien faite, quoique un peu mince. Elle n’a que très-peu changé depuis; c’est toujours ce même visage allongé et régulier, ce nez aquilin bien que pointu du bout, ce front haut, ces yeux bleus et vifs. Sa bouche, très petite, semblait déjà légèrement dédaigneuse. Elle avait la lèvre autrichienne plus prononcée qu’aucun de ceux de son illustre maison. Rien ne peut donner une idée de l’éclat de son teint, mêlé, bien à la lettre, de lis et de roses. Ses cheveux, d’un blond cendré, n’avaient alors qu’un petit œil de poudre. Son port de tête, la majesté de sa taille, l’élégance et la grâce de toute sa personne étaient ce qu’ils sont aujourd’hui. Enfin tout en elle respirait la grandeur de sa race, la douceur et la noblesse de son âme; elle appelait les cœurs.»
Elle compte en ville de nombreux amis qui n’appartiennent pas forcément à la noblesse et chez lesquels la société est plus mélangée et par là-même plus amusante.
Le 10 mai 1774
Louis XV meurt de la petite vérole à Versailles vers quatre heures de l’après-midi. Il avait 64 ans.

Le Dauphin Louis-Auguste devient Roi sous le nom de Louis XVI.
La nouvelle Reine Marie-Antoinette soupire :
« Mon Dieu, guidez-nous, protégez-nous, nous régnons trop jeunes ! »


Louis XVI et Marie-Antoinette par Jean-Joseph Bernard
La naissance de la baronne d’Oberkirch ouvre à cette protestante les salons de l’évêché où le cardinal de Rohan , qui voit en elle «une des trois femmes les plus charmantes de conversation», qu’il connût, lui présente un personnage mystérieux dont il venait de s’enticher et qui allait faire beaucoup parler de lui, Cagliostro.

Le cardinal de Rohan
Dimanche 11 juin 1775
Louis XVI est sacré à Reims.
Louis XVI à Reims
Le lundi 1er mai 1776
Henriette-Louise de Waldner de Frundstein épouse le baron Charles-Siegfried d’Oberkirch, né le 4 mai 1735, et s’installe avec lui à Strasbourg. Il a quarante ans et si sa réputation d’élégance et de courage est bien établie , sa culture est légère et il ne réussira jamais à se défaire complètement de son accent , ce qui devait quelque peu agacer la jeune Henriette.

Henriette d’Oberkirch
Henriette partage les émotions et la fierté des princes de Wurtemberg. quand est rendu officiel le mariage de l’amie de cœur, la princesse Dorothée, avec le comte du Nord, le fils de la grande Catherine, Impératrice de toutes les Russies.
Le 6 septembre 1776
La princesse Dorothée épouse le Tsarévitch Paul Petrovitch (1754-1801), fils de Catherine II (1729-1796) et de Pierre III (1728-1762), à la chapelle du Palais d’Hiver de Saint-Petersbourg.

Cette illustre alliance signifie pour les deux amies de jeunesse une séparation qui semble devoir être définitive. Il s’établit dès lors une correspondance qui avait commencé dès l’enfance. Sans doute la vanité de la Baronne d’Oberkirch trouve-t-elle satisfaction dans cette amitié avec l’épouse du Tsarévitch.
« Depuis cette année 1769, je devins la commensale presque habituelle du château de Montbéliard. J’y restai tout le temps des absences de mon père, et souvent même avec lui.»
Le 23 janvier 1777
Henriette et Charles ont une fille, Marie-Philippine, Frédérique, Dorothée (1777-1827), leur seul enfant..
Plus tard, elle sera très fière de voir sa fille Marie danser, à un bal d’enfants, avec le Duc d’Enghien.

Henriette-Louise d’Oberkirch
Les époux vivent en plus ou moins bonne intelligence dans leur hôtel de Strasbourg, rue de la Nuée-Bleue, aujourd’hui disparu. La baronne est reçue régulièrement à Montbéliard comme la fille de la maison par les Princes de Wurtemberg.
Le 12 décembre 1777
Maria Feodorovna accouche de son premier enfant, Alexandre (1777-1825).
Le 19 décembre 1778
Après un accouchement difficile, Marie-Antoinette donne naissance de Marie-Thérèse-Charlotte, dite Madame Royale, future duchesse d’Angoulême. L’enfant est surnommée «Mousseline» par la Reine.

Le 27 avril 1779
Maria Feodorovna accouche de son deuxième enfant, Constantin (1779-1831).

La baronne d’Oberkirch
Henriette d’Oberkirch attrape la petite vérole.
« Mademoiselle de Cramm, qui, lorsque j’avais eu la petite vérole m’a admirablement soignée et montré une amitié sincère et dévouée. Cette charmante fille est si bonne et si aimable… »
Le 22 octobre 1781

Naissance du Dauphin, Louis-Joseph-Xavier-François premier Dauphin (1781-1789).
« Pendant ma maladie , un grand événement eut lieu à Versailles : la reine était accouchée de M. le dauphin. Il fut baptisé le lendemain de sa naissance par M. le cardinal-prince de Rohan , grand aumônier, évêque de Strasbourg, et tenu sur les fonts au nom de l’empereur et de madame de Piémont, par Monsieur, frère du roi, et par Madame, comtesse de Provence. La mode vint de porter des dauphins en or, ornés de brillants, comme on portait des jeannettes. A la suite de ses couches, les cheveux de la reine sont tombés; elle a adopté alors une coiffure dite à l’enfant. Cette coiffure basse a été prise successivement par la cour et par la ville. Ce fut une grande joie dans tout le royaume que la naissance de ce royal enfant.»
En 1782
Marie-Philippine d’Oberkirch demeure à Strasbourg alors que sa mère participe au périple de son amie, la grande duchesse de Bourbon, dans les Pays-Bas.
Le 17 mai 1782
Le comte et de la comtesse du Nord, c’est sous ce nom que voyage le grand-duc Paul et son épouse Sophie-Dorothée (devenue Maria Feodorovna après sa conversion à l’Église orthodoxe), arrivent à Fontainebleau, où les attendent les envoyés du Roi, et leur ambassadeur, le prince Baradinsky.
« La voiture s’arrêta, M. le comte du Nord sauta à terre et vint au-devant de moi ; il me reçut admirablement bien, avec une affabilité et une bonne grâce qui ressemblaient presque à de l’amitié. Mais ma chère princesse, elle me combla de caresses et d’affection ! Ce moment fut un des plus beaux de ma vie ; le cœur me battait avec une émotion que je ne puis rendre. Je restai presque cinq minutes serrée dans ses bras.
— Ma bonne, ma chère Lanele ! répétait-elle, que je suis aise de te revoir !
— Et moi donc !»
Henriette suit son amie d’enfance à la cour comme dame d’honneur. Plusieurs séjours à Paris et Versailles suivront.
« En 1782 tenu un journal exact et détaillé de mes voyages avec madame la comtesse du Nord, à Pariset de là en Bretagne, Normandie, Picardie, Flandre, Hollande et les électorats.»
Ses Mémoires montrent bien cette suprématie de Paris et le déclin de Versailles que les grands seigneurs abandonnent de plus en plus pour habiter leurs nouveaux hôtels du faubourg Saint-Germain, suivant l’exemple des Orléans qui, depuis la Régence, n’avaient plus quitté le Palais-Royal. Le baron et la baronnes d’Oberkirch s’étaient aussi logés à Paris, comme les Princes russes qui, de plus, disposaient à Versailles d’un appartement au rez-de-chaussée, sur le parterre de l’Orangerie.
« On logea fort magnifiquement la suite de madame la grande-duchesse. Madame de Benckendorf eut un joli appartement, et comme je m’y étais retirée un instant avant le souper, madame la marquise de Bombelles, dame pour accompagner madame Elisabeth de France, sœur du roi, vint m’y chercher. C’était une fort aimable personne que madame de Bombelles.»
Cependant, il faut bien se montrer à la Cour et Madame d’Oberkirch, comme tant d’autres courtisans, de ministres et d’ambassadeurs , fait souvent ce trajet de Paris à Versailles, si fatigant, avec la complication des toilettes imposées par l’Étiquette et la mode, qui rendait les voyages en carrosse bien inconfortables.
« Revenons maintenant aux illustres voyageurs. Ils étaient logés à l’hôtel de l’ambassade de Russie, autrefois hôtel de Lévis, au coin de la rue de Gramont et de l’ancien boulevard. Quand ils arrivèrent, une affluence choisie les attendait; ils furent couverts d’applaudissements, et saluèrent indistinctement tout le monde. Les jours suivants, un peuple immense s’y portait et criait :
— Vive M. le comte et Madame la comtesse du Nord ! aussitôt qu’ils paraissaient.»
Le 19 mai 1782
Le comte se rend incognito à Versailles pour assister à la procession des chevaliers des Ordres du Roi.
Le 20 mai 1782
Le comte et la comtesse du Nord font leur arrivée, cette fois-ci officielle, à Versailles.
« La reine fut charmante, pleine de bonne grâce et d’affabilité; elle traita madame la comtesse du Nord comme si elle l’eût connue toute sa vie, s’informa minutieusement de ses goûts, de tout ce qu’elle pourrait lui offrir d’agréable, et la pria de la voir souvent . Madame la grande-duchesse répondit comme elle le devait à ses prévenances, et sortit enchantée de notre souveraine.»

Le Grand Duc Paul de Russie (1754-1796-1801) et son épouse, Maria Féodorovna, née Sophie-Dorothée de Wurtemberg-Montbéliard (1759-1828),
alias le comte et la comtesse du Nord.
« M. le comte du Nord avait alors vingt-huit ans, étant né le premier octobre 1754. Il ne séduisait pas au premier abord : il était de fort petite taille, et ses traits étaient ceux des races du Nord dans ce qu’elles ont de moins régulier. Mais, en le regardant mieux, on découvrait dans sa physionomie tant d’intelligence et de finesse ; ses yeux étaient si vifs , si spirituels, si animés, son sourire si malin, qu’on ne comprenait pas comment ils conservaient néanmoins une grande expression de douceur et une dignité qui ne se démentait jamais, malgré l’aisance et le naturel de ses manières. Il a été élevé par le comte Panin qui était grand-gouverneur.»
Maria Féodorovna 
« Madame la grande-duchesse était devenue la plus belle personne du monde. Elle avait grandi encore, sa taille s’était développée; elle marchait avec une grâce et une majesté qui ne pouvaient être comparées qu’à celles de notre charmante reine. Je n’ai pas besoin de dire ce qu’elle était, du reste; elle est suffisamment connue de mes lecteurs.»
Marie-Antoinette par Gautier d’Agoty
« D’être l’amie intime de madame la grande-duchesse, mais que je ne pouvais lui être présentée par elle, n’étant pas Russe. Elle envoya sur-le-champ un de ses valets de chambre me prier à son concert. Pendant que nous étions à dîner, elle me fit encore dire, par une dame de palais, qu’elle me dispensait du cérémonial de la présentation.
— Je serais bien maladroite en vous privant de votre amie , madame , dit-elle à madame la comtesse du Nord; moi qui voudrais, au contraire, réunir autour de vous tout ce qui peut vous plaire.La reine me reçut, en effet, avec une bonté excessive, lorsque j’arrivai elle.
— Vous êtes bienheureuse, madame, de posséder une aussi illustre amitié : je vous l’envie; mais je ne puis m’empêcher d’envier aussi à madame la comtesse du Nord une amie telle qu’on m’a dit que vous êtes vous-même.Je n’oublierai jamais ces paroles, ni le regard qui les accompagna.
La reine me fit placer derrière elle et madame la comtesse du Nord, entre madame de Benckendorf et madame de Vergennes. Elle me fit l’honneur de m’adresser la parole cinq ou six fois pendant le concert.
— Vous êtes d’un pays que j’ai trouvé, à mon passage, bien beau et bien fidèle, madame la baronne; je me souviendrai toujours que j’y ai reçu les premiers vœux des Français. C’est là qu’ils ont commencé à m’appeler leur reine.»
Le 21 mai 1782
« Nous nous levâmes tard. Je trouvai à mon réveil une charmante attention de M. le comte du Nord, qui m’envoyait un panier de primeurs et de fruits magnifiques, choisis chez le verdurier du roi. J’avais dit la veille, devant lui, que je les aimais beaucoup. J’allai voir Leurs Altesses impériales, et je remerciai mille fois le grand-duc. La princesse rit beaucoup de l’excès de ma reconnaissance, qu’elle trouvait proportionnée à l’indigestion que toutes ces grosses fraises et ces bottées de cerises pouvaient causer.»
Aux fêtes de Paris, les plus belles du siècle, s’ajoutent les réceptions des princes du sang qui rivalisent de faste et de raffinement en l’honneur des altesses impériales qu’ils accueillent chez eux.
Le soir, il y théâtre ou bal , bal masqué de l’Opéra ou bal paré chez la Reine. L’énumération de tous les spectacles auxquels assistent à Paris les visiteurs princiers est stupéfiante et ces spectacles se répétaient à Versailles où à la Comédie-Française, la Comédie-Italienne et même à l’Opéra, se déplaçaient régulièrement , à jour fixe, pour distraire la famille royale et la Cour.
« Le soir de ce jour, je partis pour aller coucher à Versailles à l’hôtel des Ambassadeurs. Il y avait, le lendemain, grand spectacle à la cour, dans la salle du palais; la reine avait eu la nouvelle bonté de m’y faire donner une loge. Madame la grande-duchesse en fut touchée; c’était une manière si délicate de lui être agréable ! Cette salle de Versailles est féerique , tant par sa forme que par la richesse de ses ornements, ses dorures et la beauté des décorations. Je devais la voir le lendemain dans toute sa splendeur, aussi n’y entrâmes-nous point.»

Henriette d’Oberkirch
Outre sa dame d’honneur et une autre de ses dames, madame la comtesse du Nord avait avec elle la baronne de Benckendorf, sa meilleure amie après moi.»
Le 23 mai 1782
« Je fus le matin de bonne heure visiter le Petit Trianon de la Reine. Mon Dieu , la charmante promenade ! que ces bosquets parfumés de lilas, peuplés de rossignols, étaient délicieux! Il faisait un temps magnifique, l’air était plein de vapeurs embaumées, des papillons étalaient leurs ailes d’or aux rayons de ce soleil printanier. Je n’ai de ma vie passé des moments plus enchanteurs que les trois heures employées à visiter cette retraite. La reine y restait la plus grande partie de la belle saison , et je le conçois à merveille.»
( … )
« Bien que le château ne soit pas grand, il est admirablement distribué et peut contenir beaucoup de monde. Les jardins sont délicieux, surtout la partie anglaise que la reine venait de faire arranger. Rien n’y manquait : les ruines, les chemins contournés, les nappes d’eau, les cascades, les montagnes, les temples, les statues, enfin tout ce qui peut les rendre variés et très-agréables. La partie française est dans le genre de Le Notre et des quinconces de Versailles. Au bout se trouve une mignonne salle de spectacle, où la reine aime à jouer elle-même la comédie avec M. le comte d’Artois et des amis intimes.»
( … )
« En revenant de Trianon, nous dînâmes à notre hôtel avec madame de Bombelles, puis nous nous habillâmes pour le spectacle. La reine avait eu la bonté extrême de me faire placer dans la petite loge grillée du roi,derrière la sienne. Elle me fit l’honneur de me parler encore plusieurs fois, et toujours avec une amabilité bien flatteuse.»
Au soir, grand spectacle à l’opéra du château de Versailles. On y donne l’Aline ou la reine de Golconde, livret du chevalier de Boufflers et musique de M. de Monsigny.
Le soir du 23 mai 1782
« Après l’opéra, je fus engagée à souper chez madame la princesse de Chimay, dame d’honneur de la reine.
Il y arriva une drôle d’aventure. Pendant que nous étions encore au théâtre , un singe de la plus mignonne espèce , et que la princesse aimait beaucoup, parvint à casser sa petite chaîne et à s’enfuir, sans que personne y prît garde. Il couchait dans un cabinet, derrière sa chambre, en compagnie d’une chienne bichonne aussi petite que lui. Ils vivaient en parfaite intelligence , ne se battaient jamais , à moins qu’il n’y eût quelque amande ou quelque pistache à partager. Le singe, tout heureux de sa liberté, en usa d’abord sobrement , à ce qu’il paraît ; car il se contenta de verser de l’eau dans l’écuelle de sa compagne et d’en inonder le tapis. Un peu plus hardi, sans doute, il risqua un pas dans la chambre voisine, et enfin dans le cabinet de toilette qu’il connaissait parfaitement; on l’y amenait tous les jours, et la belle toilette de vermeil de la princesse faisait, depuis longtemps, l’objet de sa convoitise. On juge s’il s’en donna. Ce fut un massacre de boîtes, de houppes à poudre, de peignes et d’épingles à friser. Il ouvrit tout, répandit toutes les essences, mais après avoir eu le soin de s’en couvrir. Il se roula après dans la poudre , se regarda au miroir, apparemment, et, satisfait de cette transformation, il la rendit complète en s’appliquant du rouge et des mouches, ainsi qu’il l’avait vu faire à sa maîtresse; seulement il se mit le rouge sur le nez, et la mouche au milieu du front. Ce ne fut pas tout; il se fit un pouf avec une manchette, et tout à coup, au moment où on s’y attendait le moins , au milieu du souper, il entra dans la salle à manger, sauta sur la table dans cet accoutrement, et courut vers sa maîtresse.
Les dames poussèrent des cris affreux et s’enfuirent ; elles crurent que c’était le diable en personne. La princesse elle-même eut de la peine à le reconnaître; mais, lorsqu’elle se fut assurée que c’était bien Almanzor, lorsqu’elle le montra, assis à côté d’elle, enchanté de sa parure et faisant le beau, les rires chassèrent les craintes ; ce fut à qui lui donnerait des gimblettes et des avelines. Quant à moi , je ne partageai pas l’engouement général Je trouve les singes fort drôles de loin, mais non pas dans les appartements, où ils commettent toutes sortes de dégâts et où ils apportent delà malpropreté. Cependant celui de madame la princesse de Chimay me sembla très-comique, ainsi accommodé.»
Le 24 mai 1782
« La comtesse du Nord alla ensuite visiter les nouvelles prisons de la rue des Ballets, à l ‘ancien hôtel de la Force. Elle prit en grande pitié ces pauvres prisonniers, et, de moitié avec son auguste époux, elle fit distribuer dix mille livres à ceux enfermés pour dettes.»
Le 25 mai 1782
« Je revins de Versailles à Paris, et je courus chez madame la comtesse du Nord. Elle me retint à dîner, me fit raconter tout ce que j’avais vu, et en fit autant pour moi de son côté:
Dieu, les malades et les malheureux eurent ses premières visites, car elle (était allée), à Notre-Dame et à l’Hôtel- Dieu ; elle y sema l’or, ainsi qu’elle le faisait partout.
Elle dépensa des trésors dans ce voyage , mais presque toujours en bienfaisance , en encouragements , en récompenses ; elle céda peu à ses fantaisies et donna beaucoup aux pauvres.»
Le 26 mai 1782
M. de Beaumarchais lit devant le comte et la comtesse du Nord le manuscrit du Mariage de Figaro, encore interdit à la scène.
« Après le dîner, madame la comtesse du Nord nous montra un magnifique éventail enrichi de diamants, que lui a donné la reine le jour du spectacle de Versailles. Il renferme une lorgnette qui servit de prétexte à Sa Majesté pour le lui offrir, et cela comme elle fait tout, avec cette grâce et ce tact exquis dont elle a le secret.
— Je sais, dit-elle à madame la comtesse du Nord, que vous avez comme moi la vue un peu basse; permettez-moi d’y remédier, et gardez ce simple bijou en mémoire de moi. Le voulez-vous bien. Madame ?
— Je le conserverai toute ma vie, répondit la princesse, car je lui devrai le bonheur de mieux voir Votre Majesté.»
Le 27 mai 1782
« Madame la comtesse du Nord avait eu la bonté de me demander une matinée pour examiner des toilettes et recevoir des marchands qui lui apportaient leurs chefs-d’œuvre. Elle acheta une superbe parure d’émaux entourés de marcassites. C’était une collection vraiment curieuse, et qu’elle paya aussi cher que des pierres précieuses. J’eus ensuite l’honneur de suivre Leurs Altesses impériales à l’Académie. Il y avait une séance en leur honneur. Cette réunion m’imposa beaucoup.
Madame la comtesse du Nord a étonné les académiciens par sa prodigieuse instruction. Elle a trouvé le moyen de citer à presque tous un passage de leurs ouvrages les plus renommés; ils en ont été ravis. Les augustes voyageurs ont daigné promettre à messieurs les quarante leurs portraits. On les placera à côté de celui de la fameuse Christine, reine de Suède.
Après le dîner, j’allai avec le général de Wurmser à l’Opéra, où on donnait Iphigénie en Tauride de M. Piccini, et le Devin du Village -paroles et musique du fameux Jean-Jacques Rousseau. Iphigénie en Tauride est le même sujet et presque le même poème que celui de Guimond de Latouche, déjà mis en musique par M. Gluck en 1779. Cette pièce eut alors un immense succès; le sujet était d’un intérêt soutenu, la musique en parfaite harmonie avec les paroles; enfin c’était un chef-d’œuvre de musique dramatique. Mademoiselle Levasseur jouait Iphigénie ; Larrivée, Oreste; Legros, Pylade; et Moreau,
ïhoas.»
Le 28 mai 1782
« Madame de Benckendorf vint me prendre de bonne heure, et nous courûmes toute la matinée les marchands.
Le 29 mai 1782
« Je fus obligée de partir seule pour Versailles, à ma grande contrariété, M. d’Oberkirch étant un peu incommodé depuis deux jours. Je ne pouvais faire autrement que de m’y rendre, la reine ayant daigné me le faire dire la veille, et madame la comtesse du Nord comptant absolument sur moi.»
Début juin 1782
« Je trouvai la comtesse du Nord fort choquée d’un propos indiscret tenu par la comtesse Diane de Polignac, chez Madame Elisabeth, dont elle était dame d’honneur. Madame la grande-duchesse ayant fait une visite à cette princesse, la comtesse Diane fut chargée de la reconduire, ainsi que cela se doit, jusqu’en dehors de l’appartement. Madame la comtesse du Nord loua beaucoup les grâces, l’amabilité et le charmant visage de Madame Elisabeth.
— Oui, répondit madame de Polignac, elle a de la beauté, mais l’embonpoint gâte tout.
Ce propos était doublement maladroit, car, s’il y avait quelque chose à critiquer dans ma princesse, ce serait justement cet embonpoint, que sa haute et riche taille dissimule heureusement. Il lui déplut, on le conçoit; aussi quitta-t-elle la comtesse en lui disant assez sèchement :
— J’ai trouvé madame Elisabeth on ne peut mieux, madame, et je n’ai pas été frappée du défaut dont vous parlez.»

Madame Elisabeth par Elisabeth Vigée Le Brun
Le 6 juin 1782
Fête à Trianon en l’honneur du comte et de la comtesse du Nord, souper, spectacle et illumination.

« Madame de Mackau eut ensuite la bonté de m’introduire chez les enfants de France. Je vis Madame Royale, qui est un miracle de beauté, d’esprit, de
dignité précoce; elle ressemble à son auguste mère. Elle me regarda avec attention, demanda mon nom; lorsqu’on le lui eut dit :
— Vous êtes donc Allemande, madame ? dit-elle.
— Non, madame, je suis Française; Alsacienne.
— Ah ! tant mieux ! car je ne voudrais pas aimer des étrangères.Cela n’est-il pas charmant à cet âge ?»

Marie-Antoinette entourée de Madame Royale et du Dauphin Louis-Joseph par Wertmüller
« Elle me conduisit aux appartements et petits cabinets du roi, que je ne connaissais point. Je les trouvai moins beaux et moins ornés que ceux de la reine. Louis XVI a des goûts simples, ils percent dans tout ce qui l’entoure. Nous montâmes par un escalier dérobé jusqu’à un réduit, qu’il s’est créé dans les combles, et où il travaille à la serrurerie, ce qui l’amuse infiniment. Il a plusieurs pièces remplies des outils nécessaires; je fus tout impressionnée en y entrant. Un si grand roi s’occuper de si petites choses !»
Le 30 mai 1782
« Il fallut me lever de fort bonne heure, car j’avais promis à madame la comtesse du Nord de la suivre à Notre-Dame; ce qui devait être d’ailleurs pour moi un foi t beau spectacle. La cérémonie fut en effet magnifique ; l’archevêque, M. Leclerc de Juigné, officia. On nous plaça dans le jubé. La musique était fort belle, et toute cette pompe catholique a réellement quelque chose d’imposant. M. le comte et madame la comtesse du Nord distribuèrent, ce jour-là, une somme considérable aux enfants trouvés et aux pauvres.
Leur bienfaisance était inépuisable; on ne se figure pas ce qu’ils donnèrent pendant ce voyage de Paris. Jamais une demande ne leur fut adressée en vain; ils sortaient avec des bourses pleines d’or, au retour il n’en restait plus.
L’impératrice le voulait ainsi, et ses augustes enfants, trop heureux de lui obéir, ne ménageaient pas sa cassette.»
Après la messe, nous dînâmes chez madame la comtesse du Nord, et fumes ensuite avec madame de Benckendorf aux Gobelins.
« Cette intéressante manufacture de tapisseries de haute et basse lisse est unique en Europe. On assure que l’eau de la petite rivière contribue à la beauté de la teinture des laines. Le roi fit présent à Leurs Altesses impériales de plusieurs tentures de ces magnifiques tapisseries.»
Le 31 mai 1782
« Je me rendis de bonne heure chez madame la comtesse du Nord, pour aller avec elle visiter les Invalides.
Après le dîner je repartis, toujours avec la comtesse. Nous nous rendîmes au Palais-Royal, on y montrait les tableaux de M. le duc de Chartres et la galerie de l’Encyclopédie naturelle en petit.
« Les tableaux me plurent infiniment; il s’y trouve quantité de chefs-d’œuvre. Quant au reste, je n’ai pas la prétention d’être savante. Ce qui nous amusa le plus, ce fut un vieux valet de chambre, sorte de chat de la maison, auquel on donne les invalides dans le palais, et qui n’en est pas sorti depuis nombre d’années. Il y est né, aux écuries de M. le régent, dont il a été jockey. 11 a vu passer tous les princes depuis, et seul il a survécu à ses maîtres. Il est fort âgé, plus de quatre-vingts ans, mais il est vert encore et il sait mille contes, milles choses qu’on ignore.
Son bonheur est de montrer le Palais-Royal; il vous promène partout, vous fait une histoire sur chaque
pièce, sur chaque corridor. Lorsqu’on veut lui donner une récompense, il la refuse fièrement.
— Monseigneur paye ses gens, nous dit-il, et le vieux Laplace mange le pain de la maison d’Orléans depuis qu’il est au monde.»
En sortant du Palais-Royal , nous allâmes voir la petite maison et le jardin de mademoiselle Dervieux, célèbre fille entretenue.
« C‘est une délicieuse bonbonnière. L’ameublement vaut la rançon d’un roi, La cour et la ville y ont apporté leur tribut.»
Le 1er Juin 1782
La comtesse du Nord se rend à Bagatelle où le comte d’Artois lui fait les honneurs.
« J’avais été le matin à Bagatelle avec madame la comtesse du Nord. C’est une charmante petite maison dans le bois de Boulogne, appartenant à M. le comte d’Artois, qui en fit les honneurs avec sa grâce accoutumée. On y entendit un concert magnifique exécuté par les meilleurs musiciens de Paris. Madame la comtesse du Nord en fut enchantée. La collation qui suivit fut des plus galantes. Il y avait les plus beaux fruits de primeur qui se puissent rencontrer. M. le comte d’Artois est le prince le plus aimable du monde. Il a infiniment d’esprit, non pas dans le genre de M. le comte de Provence, c’est-à-dire sérieux et savant, mais le véritable esprit français, l’esprit de saillie et d’à-propos. La grande-duchesse en était ravie. Au moment de partir, un homme de la cour lui remit l’impromptu suivant, écrit au crayon :
« Il suffit de vous approcher,
Couple auguste, pour vous connaître.
Si vous voulez tout à fait vous cacher,
Voilez donc les vertus que vous faites paraître.»
Le 2 juin 1782
Le couple impérial et la Reine assistent au bal de l’Opéra.
Le 3 juin 1782
« Madame la comtesse du Nord eut l’extrême bonté de venir me prendre dès huit heures du matin pour me conduire à Sceaux, chez M. le duc de Penthièvre. Elle devait y aller déjeuner, et elle exigea que j’y fusse avec elle. Je n’eus point à m’en repentir, car je visitai un endroit délicieux, et je vis le plus vertueux, le meilleur des princes et la plus charmante des princesses. M. le duc de Penthièvre, fils du comte de Toulouse et petit-fils de Louis XIV, est certainement l’homme le plus parfait qu’il y ait sur la terre. Il vit à Sceaux dans une retraite enchantée, loin de la cour, loin des intrigues.»
( … )
« Notre fête à Sceaux n’en fut pas moins charmante; madame la duchesse de Chartres en fit les honneurs avec une amabilité extrême. Les eaux jouèrent partout. On visita ce parc et ce lieu enchanteur en carliesses à six chevaux, c’est-à-dire deux calèches découvertes dans lesquelles presque toutes les dames se placèrent.»
Le 4 juin 1782
(…) « Nous allâmes aux Gobelins que j’avais déjà visités et que je retrouvai avec plaisir. Madame la comtesse du Nord donna cinquante louis aux ouvriers. De là, nous nous rendîmes aux établissements du curé de Saint-Sulpice, que madame la comtesse du Nord examina en détails. M. le curé nous montra tout lui-même.»
Le 5 juin 1782
« Nous avions une journée fort occupée; aussi fallut-il nous lever de bonne heure et nous faire habiller à la hâte.
Madame la comtesse du Nord m’avait déclaré qu’elle ne me tiendrait quitte de rien, et que je la suivrais partout. Je ne demandais pas mieux. Tout mon bonheur était de rester avec elle, de la voir le plus possible; ce bonheur devait m’échapper si vite !
Nous allâmes avant le déjeuner visiter le jardin de M. Boutin, receveur général des finances, puis conseiller d’État, puis trésorier de la marine et frère de l’intendant des finances, dont il a été question lors de la création de la Compagnie des Indes. Il a donné à son jardin le nom de Tivoli, mais l’appellation populaire est: la Folie-Boutin. Folie est le mot: il y a dépensé ou plutôt enfoui plusieurs millions.
C’est milieu de plaisance ravissant, les surprises s’y trouvent à chaque pas ; les grottes, les bosquets, les statues, un charmant pavillon meublé avec un luxe de prince. Il faut être roi ou financier pour se créer des fantaisies semblables. M. Boutin fait souvent en cet endroit des soupers fins qui ne sont pas moins somptueux que le local.Après Tivoli, où nous prîmes d’excellent lait des fruits dans de la vaisselle d’or, nous allâmes faire une autre visite, bien plus intéressante, selon moi, chez M. et Madame Necker à Saint-Ouen. Ils avaient là une campagne qui leur appartenait.»
Quelle que puisse être ma sympathie pour un protestant, il me faut avouer que M. Necker, après avoir tant parlé de la diminution des impôts, n’a fait que les augmenter. Ses ennemis semblent bien avoir quelque raison en l’accusant de charlatanerie.
« Quant à moi, M. Necker ne me plut point. Je fus frappée de sa ressemblance inouïe avec Cagliostro, mais sans son étincelant regard, sans sa physionomie étourdissante. C’était un Cagliostro guindé, aux formes roides et désagréables ; un vrai bourgeois de Genève.»

Jacques Necker
« Mademoiselle Necker me parut une toute autre personne que ses parents, bien qu’elle eût aussi son petit coin de genevois et son grand coin de thuriféraire. Ses yeux sont admirables ; à cela près, elle est laide ; elle a une belle taille, une belle peau et quelque chose de parfaitement intelligent dans le regard; c’est une flamme. Je portai d’elle un jugement qui s’est bien réalisé depuis; c’est et ce sera une femme remarquable.»

Germaine Necker, future Madame de Staël
Le 6 juin 1782
« Mademoiselle Schneider vint me réveiller dès six heures du matin . Je devais me faire coiffer et mettre un grand habit pour aller à Versailles. La reine donnait la comédie à Trianon, pour madame la comtesse du Nord. Ces toilettes de cour sont éternelles, et le chemin de Paris à Versailles bien fatigant, lorsque l’on craint surtout de chiffonner sa jupe et ses falbalas. J’essayai pour la première fois une chose fort à la mode, mais assez gênante :
des petites bouteilles plates et courbées dans la forme de la tète, contenant un peu d’eau, pour y tremper la queue des fleurs naturelles et les entretenir fraîches dans la coiffure. Cela ne réussissait pas toujours, mais lorsqu’on en venait à bout, c’était charmant. Le printemps sur la tète, au milieu de la neige poudrée, produisait un effet sans pareil.»
Madame la comtesse du Nord était déjà dans son appartement au château lorsque j’y arrivai. Je rencontrai la reine dans son antichambre; elle sortait de chez ma princesse. Lorsque je lui fis mes révérences, elle eut la bonté de me remarquer, et me fit l’honneur de me dire avec sa grâce ordinaire qu’elle comptait bien me voir le soir à Trianon.
La Reine donne une représentation à Trianon pour Maria Feodorovna. Elle y chante Zémire et Azor de Grétry, la Jeune Française au sérail de Gardel.
« Madame la comtesse du Nord avait sur la tête un petit oiseau de pierreries qu’on ne pouvait pas regarder tant il était brillant. Il se balançait par un ressort, en battant des ailes, au-dessus d’une rose, au moindre de ses mouvements. La reine le trouva si joli qu’elle en voulut un pareil.»
Après le dîner de trois cents couvert, Trianon est illuminé.
« Je fis d’autres visites, dont plusieurs en blanc c’est-à-dire que je me suis fait écrire. Le jargon et le bel air de ce pays parisien ont été de tout temps éminemment fantasques, et il faut se remettre au courant, sous peine de passer pour des pecques provinciales ainsi que le disait madame de Villeroi dans sa colère contre des gens de province qui venaient la saluer à son château. Madame la comtesse du Nord, d’un esprit sérieux et juste, a bien souvent ri avec moi de ces petites grandes choses, auxquelles elle se conformait néanmoins. La mode ne régit-elle pas les rois eux-mêmes ?»
Le 7 juin 1782
« Je revins de Versailles juste à temps pour dîner. Je m’étais reposée des fatigues de la veille, et puis promenée un peu dans le parc.»
Le 8 juin 1782
« Madame la comtesse du Nord aimait beaucoup les excursions matinales; elle aimait surtout à les faire avec moi, cela lui rappelait notre cher Montbéliard. Nous fûmes au Luxembourg admirer la galerie des tableaux, une des plus belles qui soit au monde.»
Grand bal en l’honneur du comte et de la comtesse du Nord puis souper chez la princesse de Lamballe, «où le respect ne gêne pas le plaisir« . On y joue au loto, la Reine danse quelques contre-danse.
« Le bal était admirable; il y avait une profusion de bougies et de girandoles. Les salons que tout le monde connaît étaient étincelants, surtout la galerie. Toute la cour était habillée de sa plus grande parure ; les femmes qui dansaient étaient en domino de satin blanc, avec un petit panier et de petites queues. Le comte et la comtesse du Nord y furent très-remarqués comme à l’ordinaire : l’un par son aisance et son esprit d’à-propos, l’autre par sa grâce et sa beauté. La toilette de la princesse était magnifique; elle avait ces célèbres calcédoines dont on a tant parlé, les plus belles qui fussent en Europe. La reine ne pouvait se lasser de les admirer, et les princesses venaient à tour de rôle pour tâcher de les voir de plus près, tant elles éblouissaient de loin .
La reine dansa avec le grand-duc; il est impossible de déployer plus de grâce et de noblesse que notre auguste souveraine. Elle a une taille et un port merveilleux. Je me trouvai un instant derrière elle et derrière la grande-duchesse.
— Madame d’Oberkirch, me dit la reine, parlez- moi donc un peu allemand? que je sache si je m’en souviens. Je ne sais plus que la langue de ma nouvelle patrie.
Je lui dis plusieurs mots allemands; elle resta quelques secondes rêveuse et sans répondre.

— Ah! reprit-elle enfin, je suis pourtant charmée d’entendre ce vieux tudesque; vous parlez comme une Saxonne, madame, sans accent alsacien, ce qui m’étonne. C’est une belle langue que l’allemand; mais le français ! Il me semble, dans la bouche de mes enfants, l’idiome le plus doux de l’univers.»
Le 9 juin 1782
« Je dormis jusqu’à midi, et si l’on ne m’avait pas éveillée, je dormirais encore. Je devais aller, avec madame de Benckendorf, au Champ-de- Mars voir manœuvrer les gardes françaises.»
Le 10 juin 1782
« Il fallut encore se lever dès l’aube, pour faire ma toilette. Les grandes toilettes sont terribles et ennuyeuses, surtout aussi matin que cela. Nous devions aller à Chantilly chez M. le prince de Condé, et il fallait y être pour le dîner.»
Départ pour Chantilly, où tout est splendide et enchanteur.

L’Hallali au cerf dans le parc de Chantilly, offert au comte et à la comtesse du Nord. ( le 12 juin 1782)
Copie du tableau de Jean-Baptiste Le Paon, Musée Condé – Chantilly
Les appartements de Chantilly sont ornés de superbes tableaux, représentant des faits de guerre glorieux pour la maison de Condé. C’est un choix de batailles magnifiques et bien remarquables.
Le comte du Nord et le prince de Condé forment une véritable amitié.
Le 11 juin 1782
« On alla, après le déjeuner que chacun prit où et comme il le voulut, vers le cabinet d’histoire naturelle de M. le duc, père du prince de Condé actuel, qui fut ministre sous la régence. M. le prince de Condé est un homme d’esprit, d’un tact et d’un sens exquis; il n’aime pas les philosophes, et n’a jamais donné dans l’engouement de ces messieurs qui nous ont fait et nous ferons encore tant de mal .»
Le 13 juin 1782
« Nous avions tous besoin de repos. Cependant je me levai de bonne heure pour me faire coiffer et essayer les frisures à la mode. Madame la comtesse du Nord me l’avait fait promettre; elle prétendait qu’avec mon crêpé droit je ressemblais à madame Hendel, notre vieux joujou de Montbéliard. Il me fallut bien la satisfaire malgré ma répugnance. Du reste, je reçus des compliments de tout le monde; j’étais, à ce qu’il parait, réellement mieux ainsi.
Quand j’arrivai pour dîner, Son Altesse impériale lit un cri de joie et m’embrassa, en me disant que j’étais enfin moi-même, sa vraie Lane, et non plus s portrait de famille, selon l’expression de madame de Benckendorf. Après que nous eûmes bien ri, on se mit à table et l’on parla, bien entendu, des jours précédents ; chacun donna son avis, il fut unanime sur la beauté, la magnificence et l’agrément. Quelqu’un rapporta un mot qui courait déjà dans Paris, et qui était remarquablement vrai.— Le Roi a reçu M. le comte du Nord en ami,
M. le duc d’Orléans l’a reçu en bourgeois, et M. le
prince de Condé en souverain.»
Yolande de Polignac Au chapeau de paille par Élisabeth Vigée Le Brun (1783)
« Après ce dîner, où l’on causa si bien, quoique ce fut un dîner, je fis plusieurs visites ; une en particulier à la duchesse de Polignac, l’amie de la reine; madame de Polignac, dis-je, née de Polastron, était l’amie de cœur de la reine qui en a fait depuis la gouvernante de ses enfants. La reine l’aimait, en effet, si tendrement, que, lorsqu’elle fit ses couches à Passy, Sa Majesté alla s’établir à la Muette, afin de la voir plus à son aise et plus souvent.
— Elle est petite et mal faite, bien qu’elle soit très- droite, mais elle marche mal et n’a aucune grâce; son visage est parfait, à l’exception de son front trop brun et dont la forme est désagréable; elle a la physionomie la plus charmante, la plus douce, la plus naïve, la plus candide; son sourire est enchanteur. Loin d’être enivrée de la place qu’elle occupe, elle conserve toute sa simplicité, les manières les plus naturelles; ses faits sont d’un calme inaltérable, le calme d’une bonne conscience qui s’allie néanmoins avec une vive sensibilité.
— Quand je suis avec elle, dit Sa Majesté, je ne suis plus la reine; je suis moi-même.
Je restai longtemps chez elle; j’aime son esprit sans prétention. Beaucoup assurent qu’elle n’en a aucun. Il faut bien lui faire payer sa faveur par des calomnies ou des injures.»
Le 15 juin 1782
« Je voulus aller voir madame de Mackau à Versailles qu’elle ne quittait guère. Je passai la journée tout entière avec elle, et nous parlâmes de bien des choses que je voudrais raconter en détail.»
Le Roi et la Reine accompagnent les «Nord» en promenade à Marly.

« Je rentrai chez moi à une heure du matin. Ces courses étaient très- fatigantes; M. d’Oberkirch y mettait une complaisance infinie, mais sa santé n’y résistait pas aussi bien que la mienne.»
Le 16 juin 1782
« J’allai voir de bonne heure madame la comtesse du Nord dans son appartement ; elle était soucieuse et ennuyée de la santé de madame de Benckendorf. La faculté annonçait qu’elle ne pourrait la suivre dans son voyage sans faire une fausse couche.
C’était un véritable chagrin pour la princesse qui ne voulait pas l’exposer à un danger pareil, et qui cependant se trouverait bien isolée sans une amie dévouée.
Elle me proposa alors de l’accompagner dans ce voyage , et insista auprès de M. d’Oberkirch pour qu’il y consentît. Il le fît, et j’en fus à la fois heureuse et triste, car mon mari allait revoir ma fille avant moi. »
Le 17 juin 1782
« Le matin, je me rendis chez madame la comtesse du Nord pour aller avec elle au parlement. C’était une cérémonie fort imposante.»
Le 18 juin 1782
« Je suis allée voir cette pauvre madame de Benckendorf, si désolée et pourtant un peu consolée par ma présence.»
— Comme je vous envie, disait-elle.
« Après le dîner chez madame la comtesse du Nord, nous allâmes faire nos adieux à Champigny, M. d’Oberkirch et moi. Nous prîmes congé de mon oncle, toujours fort souffrant, et que nous n’avions pas pu voir autant que nous l’avions désiré. Nous revînmes à une heure après minuit.»
Le 19 juin 1782
La «cour russe» reprend son chemin. La famille royale fait ses adieux lors du dîner, à Choisy. On leur montre la table mouvante.
« Le comte et la comtesse du Nord quittèrent Paris avec bien du regret. Ils avaient eu l’un et l’autre, tant à la cour qu’à la ville, un succès infini. On les trouva aimables, pleins d’esprit et de connaissances, d’une bonté, d’une affabilité, d’une politesse admirables. Le comte du Nord fut surtout extrêmement goûté pour ses réponses fines et spirituelles, pour ses à-propos si bien saisis. Leur triomphe fut général, et le peuple de Paris comme la bonne compagnie furent extrêmement touchés de leur mérite et de la beauté de madame la comtesse du Nord. Applaudis par tout où on les vit, surtout aux spectacles, cet enthousiasme se soutint jusqu’au moment de leur départ.»
Au moment du départ, la Reine dit à Henriette d’Oberkirch :
« Madame d’Oberkirch, vous êtes celle de tous ceux qui partent que je regrette le moins, car nous nous reverrons, n’est-ce pas ? et bientôt ? Bon voyage pourtant, parlez de moi à nos bons Alsaciens; je ne les oublierai jamais.»
Les «Nord» se rendent à Orléans, Ménars, Blois, Amboise, Tours, Angers, Nantes, Lorient, Rouen …. pour finalement quitter Strasbourg, la France et Henriette d’Oberkirch, le 16 septembre 1782.
« Madame la comtesse du Nord avait encore retrouvé à Lyon sa famille, c’est-à-dire ses augustes père et mère et un de ses frères. Ils demeurèrent avec elle tout le temps qu’elle y resta et l’accompagnèrent jusqu’à Dijon, où ils la quittèrent pour retourner à Montbéliard. Madame la grande-duchesse me parlait sans cesse d’eux; elle ne les avait pas assez vus, et malgré les séductions de Paris, elle tournait souvent un œil de désir vers l’asile de son enfance.
Peut-on oublier les premières impressions de la vie !»
Le 20 juin 1782, à Tours
« Nous en riions encore , quand nous entrâmes dansla capitale de la Touraine, où l’on nous servit un mauvais souper et où l’on nous donna de mauvais lits mais nous étions montés en gaieté ce jour-là, et
nous plaisantâmes de nos infortunes, tout en nous endormant néanmoins.»
Le 8 juillet 1782
Arrivée à Ostende dans les Pays-Bas autrichiens.
« En débarquant, la première chose que nous apprîmes, ce fut l’arrivée de madame la gouvernante des Pays-Bas, l’archiduchesse Christine (1742-1798), duchesse de Saxe-Teschen, sœur de l’empereur Joseph II et par conséquent de notre bien-aimée reine Marie- Antoinette. Cette princesse avait alors quarante ans. Le duc de Saxe-Teschen, son mari, un peu plus âgé qu’elle, était gouverneur.»

L’Archiduchesse Marie-Christine, duchesse de Saxe-Teschen
Le 17 juillet 1782
Arrivée du couple impérial et de leur suite à Amsterdam.
Le 19 juillet 1782
Ils gagnent Utrecht.
Le 21 juillet 1782
Arrivée à Maastricht.
Le 22 juillet 1782
« Nous quittâmes Maastricht, toujours par une pluie battante, pour aller dîner à Liège, où nous attendait le comte de Romanzoff, ministre de l’impératrice de Russie aux cours électorales.»
Le 25 juillet 1782
« Nous partîmes d’Aix-la-Chapelle de bonne heure, pour aller dîner à Juliers et coucher à Dusseldorf. L’électeur a une des plus belles galeries de l’Europe ; nous ne manquâmes pas d’aller la voir.»
Le 26 juillet 1782
« Nous partîmes à cinq heures du matin, brûlâmes Cologne, dont nous n’aperçûmes que la cathédrale, dînâmes à Bonn et nous couchâmes à Cohlentz.»
Le 27 juillet 1782
« Nous partîmes encore à la même heure et passâmes le Rhin. Nous dînâmes à Seltzen.
Enfin nous arrivâmes à Francfort-sur-le-Mein, et nous y fûmes reçus par les princes Louis (1756-1817) et Eugène (1758-1822) de Wurtemberg, frères de madame la grande-duchesse, et par madame la landgrave de Hesse-Cassel, salante. C’est une princesse de Brandebourg-Schwedt , sœur de madame la princesse de Montbéliard. Elle est une des marraines de ma fille.
Ce fut une grande joie.
Nous retrouvâmes aussi le comte de Piomanzolf, dont Francfort est la résidence diplomatique, et nous fîmes le soir un délicieux souper.
Le prince Eugène, fort gai et fort amusant, nous fit un tableau à mourir de rire des visites qui arrivaient pour le lendemain. La nouvelle de la présence du grand-duc faisait sortir des châteaux toute la noblesse immédiate des environs.
— Il y a là des robes, des habits et des carrosses qui n’ont pas vu le jour depuis quarante ans. Je vous assure que ce sera la plus curieuse page de votre journal, ma sœur. J »en ai rencontré quelques- unes qui sont à peindre, et que je ne voudrais pas manquer demain pour tout au monde. Faites provision de sérieux, car les occasions de rire ne nous manqueront pas.»
Le 28 juillet 1782
« Cette journée amena encore plus de monde que le prince Eugène n’avait promis. D’abord il arriva une quantité de princes de Hesse-Darmstadt, Hanau, Hombourg, Mecklembourg, Saxe-Cobourg, Nassau-Usingen, etc. Ils dînèrent et soupèrent avec Leurs Altesses impériales.»
Le 29 juillet 1782
« Nous allâmes de Francfort dîner à Darmstadt, chez madame la princesse héréditaire de Hesse-Darmstadt.»
Le 30 juillet 1782
« En quittant Manheim nous nous arrêtâmes à Schwetzingen pour visiter un des plus charmants jardins du monde, dans le goût anglais et français.»
Le premier août 1782
« M. le comte et Madame la comtesse du Nord, ainsi que les princes Louis et Eugène de Wurtemberg, partirent de Colmar le matin, de très-bonne heure, pour arriver à Étupes pendant qu’on serait à table, et surprendre la famille, qui était réunie depuis quelque temps et les attendait avec toute l’impatience qu’on peut imaginer.
M. d’Oberkirch et moi, nous partîmes de notre côté, et nous allâmes dîner à Schweighausen chez mon père. Quant à moi, je respirais plus à mon aise dans cette chère Alsace, que les pompes de la cour et tous les plaisirs n’avaient pu me faire oublier.
Nous le quittâmes cependant après dîner, avec promesse de revenir bientôt. Nous tenions à arriver le soir à Étupes.
Dès qu’on aperçut notre voiture, toute cette illustre et excellente famille se précipita au-devant de nous, comme si nous en eussions fait partie. Madame la comtesse du Nord me prit par la tête, et m’embrassa en me conduisant à ses parents.
— Chère maman, voici mademoiselle Lane que je vous ramène, et qui se serait échappée sans cela. C’est une vagabonde ; elle ne veut plus revenir à
Montbéliard, n’est-il pas vrai?Madame la princesse de Montbéliard m’embrassa à plusieurs reprises, souriant avec bonté des plaisanteries de sa fille, mais cependant tout aussi émue que moi, et je l’étais beaucoup. Je fus ensuite embrassée, complimentée par tout le reste de la famille qui, père, mère, enfants, gendres et belles-filles, ne formait pas moins de dix-sept personnes.
Nous retrouvâmes aussi madame de Benckendorf ;elle nous avait précédés à Montbéliard et avançait dans sa grossesse.»
Au mois d’août 1782
« Nous passâmes un mois entier dans une intimité délicieuse. On inventait chaque jour de nouveaux
plaisirs ; c’étaient des promenades, des courses, de la musique. Nous jouâmes même des proverbes selon la mode de Paris. Madame la grande-duchesse se croyait encore la princesse Dorothée, avec un bonheur de plus, celui d’avoir un mari aussi parfait que le sien, qu’elle aimait à l’adoration et dont elle était chérie. Il avait les qualités les plus rares et les plus faites pour attacher; son seul défaut peut-être était une susceptibilité provenant de son excellent cœur.»
Le 2 septembre 1782
« M. le comte et madame la comtesse du Nord partirent avec le prince et la princesse de Holstein , sœur de la comtesse du Nord, pour faire une tournée en Suisse. Ils emmenèrent une suite très-peu nombreuse. Madame la princesse de Holstein était logée à Exincourt, petit village près d’Étupes. Ce départ me serra le cœur, c’était déjà une absence; elle précédait de bien près celle qui allait nous séparer pour toujours de cette princesse si chère et si parfaite.»
Le 8 septembre 1782
Il y a une vraie fête de famille à Étupes.
Le 10 septembre 1782
« Je partis d’Étupes pour aller passer quelques jours chez mon père à Schweigbausen. Il me fallait m’occuper de préparatifs, car le 13 nous devions avoir l’honneur de recevoir M. le prince et madame la princesse de Montbéliard, qui se rendaient à Strasbourg, où madame la grande-duchesse devait les rejoindre.»
Le 14 septembre 1782
« Nous allâmes dîner à Strasbourg, et le jour même, le comte et la comtesse du Nord, le prince et la princesse de Holstein y arrivèrent aussi de leur voyage de Suisse.»
Le 27 septembre 1782
« Ce jour fut un des plus cruels jours de ma vie. Je n’oublierai jamais ce triste jour de leur départ et d’une séparation déchirante. Je conduisis madame la comtesse du Nord jusqu’à son carrosse, où il fallut nous arracher l’une à l’autre.
— Ne quitte pas ma mère, ma bonne Lane, disait-elle au milieu de ses sanglots. Oh! ma mère, ma mère !
Monsieur le comte du Nord fit fermer la portière en m’adressant un adieu plein d’affabilité et de tristesse.
— Nous nous re\errons, madame d’Oberkirch ; vous viendrez nous chercher sous nos glaces.
— Adieu, chère Lane, répétait la princesse.
La voiture partit !… Je passai toute la journée en retraite avec ses parents désolés; nous donnâmes carrière à nos larmes. Madame la grande-duchesse envoya quatre courriers avec des lettres pour eux et pour moi. Elles étaient si tendres et si bonnes que nos sanglots en redoublaient. Elle emportait avec elle toute notre joie. Le duc régnant montra un intérêt véritable pour sa belle-sœur et pour sa nièce.
— Consolez-vous, disait-il; elle va au plus beau trône du monde.»
Oui, mais ce trône nous l’enlevait.
Le 28 septembre 1782
« Le prince et la princesse de Monthéliard partirent, ce qui fut encore une séparation pénible pour moi.
Le 29 septembre 1782
« Nous partîmes, mon père et moi, pour Strasbourg où nous devions passer l’hiver.
Ainsi se termina ce voyage, si plein d’agréments, si satisfaisant et si flatteur pour moi et pour les miens. Je restai quatre mois et demi dans l’intimité des personnes les plus haut placées qui toutes m’honoraient de leur bienveillance. Je ne quittai pas d’un instant ma chère princesse, ma première, ma meilleure amie; ce fut un brillant rêve que Dieu, malgré toute sa bonté, ne me rendra plus.»
Le 29 juillet 1783
Maria Feodorovna accouche de sa première fille, Alexandra (1783-1801), future épouse de l’Archiduc Joseph d’Autriche (1776-1847), palatin de Hongrie.

Maria Feodorovna
Le 13 juin 1784
La baronne d’Oberkirch est présentée au couple royal lors de son deuxième voyage dans la capitale. Si Louis XVI, timide et passionné de serrurerie, l’étonne et la scandalise un peu, elle est heureuse du moindre mot que lui adresse Marie-Antoinette et le consigne avec dévotion dans son journal.
Antichambre des Nobles, Château de Versailles
« J’ai raconté comment en 1782, lors de mon voyage avec madame la comtesse du Nord, la reine avait daigné me dispenser du cérémonial de la présentation. Il fallait donc cette année m’occuper de cette formalité indispensable. Mes preuves ayant été faites et examinées par le généalogiste de la cour, je fus prévenue que le roi et la famille royale avaient fixé ma présentation au dimanche 13 juin, à cinq heures et demie du soir. Je m’étais fait faire le grand habit avec un énorme panier, selon l’étiquette, et un bas de robe, c’est-à-dire une queue qui peut se détacher. J’avais acheté l’étoffe et fait faire l’habit chez Baujard, mademoiselle Bertin m’ayant trop fait attendre. L’étoffe était d’un brocard d’or, à fleurs naturelles, admirablement beau; j’en reçus mille compliments.
Je me fis coiffer tout de suite après diner, de la façon la plus élevée possible, suivant la mode, avec mes diamants et un bouquet de plumes.»

Madame la duchesse de La Vallière par Louis Carrogis, dit Carmontelle
« Madame la duchesse de La Vallière ayant bien voulu se charger de me présenter à Leurs Majestés, je me rendis chez elle, accompagnée de la baronne de Mackau, à quatre heures et demie, et nous allâmes ensemble au château. Je fus d’abord présentée au roi; ce moment est très solennel, tant de personnes vous regardent! on a si peur d’être gauche ! Il faut se rappeler les leçons qu’on a prises pour marcher à reculons, pour donner un coup de pied dans sa queue, afin de ne point embarrasser ses mules et ne pas tomber, ce qui serait le comble de l’insolence et de la désolation.»

Image de Jefferson à Paris (1996) de James Ivory
« Je fis les trois révérences, une à la porte, une seconde au milieu, une troisième près de la reine qui se leva pour saluer. J’ôtai mon gant droit et fis la démonstration de baiser le bas de la robe. La reine retira sa jupe avec beaucoup de grâce, par un coup d’éventail pour m’empêcher de la prendre.»

Jessica Atkins en Madame de Pompadour dans un épisode de Doctor Who : La fille dans la cheminée (2006)
« Je suis charmée de vous voir, madame la baronne, me dit-elle, mais cette présentation n’est qu’une formalité, il y a longtemps que nous nous connaissons. Je m’inclinai respectueusement.
– Avez-vous des nouvelles de votre illustre amie?Son Altesse impériale me fait l’honneur de m’écrire souvent.»
Image de Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy
« Ne nous a-t-elle point oubliés ? – La mémoire de madame la grande-duchesse est aussi heureuse que celle de Votre Majesté; il est impossible que vous ne vous souveniez pas l’une de l’autre.
La reine me sourit, puis elle me parla de l’Alsace, de Strasbourg et du Rhin qu’elle trouvait superbe.
-Je le préfère au Danube, ajouta-t-elle, mais la Seine me les a presque fait oublier tous les deux.
Après quelques mots encore, Sa Majesté fit une inclination, et nous nous retirâmes à reculons avec les trois révérences d’adieu. On nous avait présenté des tabourets, je n’eus garde de m’asseoir n’en ayant pas les honneurs. Madame la duchesse de la Vallière s’assit et eut la courtoisie de se relever aussitôt.
Je fus ensuite présentée à toute la famille royale avec le même cérémonial. Le roi ne m’a rien dit, mais il m’a fait un sourire gracieux. Sa Majesté parle peu aux présentés ; on assure qu’elle est d’une grande timidité avec les femmes. Le roi ne m’embrassa pas comme de juste; il n’embrasse que les duchesses et les femmes des cousins du roi, je l’ai dit.»
Mémoires de la baronne d’Oberkirch
« J’allai, en quittant madame de la Salle, faire une visite de femme chez mademoiselle Bertin, fameuse marchande de modes de la reine, selon Tordre que j’en avais reçu de madame la grande-duchesse, afin de m’informer si ses robes étaient prêtes.»

Marie-Jeanne Bertin
« Nous entrâmes d’abord dans une antichambre où se tenaient deux commis aux écritures ; puis ce fut le grand salon de réception où officie Rose Bertin. Ses prix sont élevés. Il est vrai qu’elle a la manière d’arranger les paniers de cinq mètres de tour, couverts de nœuds, de coques, de bouquets, de bouillons de gaze, de guirlandes, de perles et de pierreries.
Nous lui demandâmes ce qu’était un «pouf”. Elle nous répondit : «J’appelle cette coiffure un pouf à cause de la confusion d’objets qu’elle peut contenir, et je le nomme «au sentiment” parce que ces objets doivent être relatifs à ce qu’on aime le plus”. C’est ainsi qu’elle créa récemment pour la duchesse de Chartres le pouf le plus étrange : on y voit le perroquet préféré de la duchesse, le bébé de la duchesse dans les bras de sa nourrice et des cheveux appartenant au duc de Chartres, au duc de Penthièvre et au duc d’Orléans.
Voulez-vous des poufs ? Voyez le pouf à l’inoculation, le pouf de la consolation dans la douleur, le bonnet attristé, le bonnet des sentiments repliés, le bonnet de l’esclavage brisé… Voulez-vous des robes ? Voyez la «robe des soupirs étouffés» en satin broché orné de «regrets superflus» ou de «plaintes indiscrètes»… Voyez le pet-en-l’air du matin avec son caraco «à l’innocence reconnue» dont les basques courtes retombent sur de petits paniers dits «considération». Sur les cheveux, portez un joli bonnet de linon et dentelle, le fameux «bonnet des sentiments repliés». Pour l’après-dînée, la polonaise s’impose, avec sa jupe retroussée sur le jupon grâce à deux coulisses qui, partant de la taille, forment trois grosses coques. Sur le devant du caraco, un détail piquant : le «nœud du parfait consentement». Le soir, vous triompherez dans la grande robe à la «Française», avec des flottants et paniers de cinq mètres de tour. Prévoyez trois sièges pour vous asseoir.»
La baronne ajoute : «Le jargon de cette demoiselle est fort divertissant ; c’est un singulier mélange de hauteur et de bassesse qui frise l’impertinence quand on ne le tient pas de très court, et qui devient insolent pour peu qu’on ne la cloue pas à sa place.»

Mademoiselle Bertin
« Toute la boutique travaillait pour elle; on ne voyait de tous côtés que des damas, des dauphines, des satins bruches, des brocards et des dentelles. Les dames de la cour se les faisaient montrer par curiosité ; mais jusqu’à ce que la princesse les eût portées, il était défendu d’en donner les modèles. Mademoiselle Bertin me sembla une singulière personne , gonflée de son importance, traitant d’égale à égale avec les princesses.
On raconte qu’une dame de province vint un jour lui demander une coiffure pour sa présentation; elle voulait du nouveau. La marchande la toisa des pieds à la tête, et, satisfaite sans doute de cet examen, elle se retourna d’un air majestueux vers une de ses demoiselles en disant :
— Montrez à madame, dit-elle, le résultat de mon dernier travail avec Sa Majesté.»
Le 24 décembre 1784
Maria Feodorovna accouche d’une fille, Hélène (1784-1803) qui épousera le grand-duc Frédéric-Louis de Mecklembourg-Schwerin (1778-1819).
Le 27 mars 1785
Naissance de Louis-Charles, duc de Normandie, Dauphin en 1789 et déclaré Roi de France en 1793 par les princes émigrés sous le nom de Louis XVII.

Louis-Charles, duc de Normandie par Élisabeth Vigée Le Brun
Le 15 août 1785
Le cardinal de Rohan (1734-1803) est arrêté à Versailles devant toute la Cour dans le cadre de l’Affaire du Collier: on le soupçonne d’avoir voulu flétrir l’honneur de Marie-Antoinette. Les proches des Rohan et les ecclésiastiques sont outrés.
En 1786
Henriette revient à Paris et avec plus de fantaisie et de liberté qu’en 1782, elle retrouve la capitale , ses monuments, ses théâtres, ses salons et aussi les derniers faits divers et les scandales du jour : les ascensions de ballon, les grandes banqueroutes, l’affaire du Collier. Marie-Philippine séjourne, cette fois, à Paris avec ses parents.
A Versailles, Marie-Antoinette l’accueille toujours avec la même bienveillance , en souvenir de son amitié avec la grande-Duchesse de Russie qui ne voyage plus car à Saint-Petersbourg les naissances se succèdent…
S’il n’y a pas de mysticisme chez Henriette d’Oberkirch, il existe en revanche chez elle, un goût du mystère et un penchant pour les sciences occultes qui est bien de son temps.
A Strasbourg, Cagliostro (1743-1795) lui inspire une méfiance insurmontable ; elle subit cependant la fascination du mage , s’étonne de sa science du passé et rapporte avec crainte certaines de ses prédictions.

Joseph Balsamo alias Cagliostro
A Paris, en compagnie de la duchesse de Bourbon (1750-1822), elle donne à plein dans les séances de somnambulisme où elle est tour à tour spectatrice ou actrice.

Bathilde d’Orléans, duchesse de Bourbon

Image de Jefferson à Paris (1995) de James Ivory : Mesmer ( Daniel Mesguich) et Marie-Antoinette ( Charlotte de Turckheim)
Le baquet de Mesmer et le système du magnétiseur n’ont point de secret pour elle.

Franz-Anton Mesmer
Elle reprendra ses expériences à Strasbourg jusqu’à la veille de la révolution, notamment avec le Marquis de Puységur, adepte fervent de Cagliostro et de Mesmer (1734-1815).
Le baquet de Mesmer

Le 16 février 1786
Maria Feodorovna accouche d’une fille, Marie (1786-1859), qui épousera le grand-duc Frédéric-Charles de Saxe-Weimar-Eisenach (1783-1853.
Le 31 mai 1786
Le Parlement acquitte le cardinal de Rohan dans l’Affaire du Collier mais Madame de La Motte est condamnée à être marquée au fer rouge et détenue à perpétuité.

Le 9 juillet 1786
Naissance de la princesse Sophie-Hélène-Béatrix, dite Madame Sophie, dernier enfant de Marie-Antoinette.

Sophie-Hélène-Béatrix de France par Élisabeth Vigée Le Brun
Le 18 juin 1787
La mort de Madame Sophie avant son premier anniversaire.

Le 10 mai 1788
Maria Feodorovna accouche d’une fille, Catherine (1788-1819) qui épousera Georges d’Oldenbourg (+1812) puis en , 1816) Guillaume Ier, le second roi de Wurtemberg (1781-1864).
Le 24 novembre 1788
Décès de son père, François Louis de Waldner de Freundstein (1710-1788).

François Louis de Waldner de Freundstein
Le 5 mai 1789
Ouverture des États-Généraux.

Procession des trois ordres, du Roi et de la Reine qui se rendent dans la Salle des Menus Plaisirs de Versailles.


Y sont réunis tous les protagonistes de la Révolution future…
Le 4 juin 1789
Mort du Dauphin Louis-Joseph-Xavier-François à Meudon.
Mort du Dauphin dans les Années Lumières de Robert Enrico (1989)
Le 20 juin 1789
















Serment du Jeu de paume
Tableau de Jacques-Louis David
Le 11 juillet 1789
Renvoi de Necker
Le 14 juillet 1789
Prise de la Bastille.

Le 15 juillet 1789
Rappel de Necker sous la pression populaire.
Le 16 juillet 1789
Le comte d’Artois et les Polignac émigrent sous les conseils de la Reine: la duchesse est très impopulaire; on la juge débauchée et intéressée.
Madame de Tourzel (1749-1832) devient Gouvernante des Enfants de France.
Le 17 juillet 1789
Réception de Louis XVI à l’Hôtel de Ville de Paris.
Peinture monumentale de Jean-Paul Laurens (vers 1887)
La nuit du 4 août 1789
Abolition des privilèges.

La Nuit du 4 août 1789, gravure de Isidore Stanislas Helman (BN)
Le 26 août 1789
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

Le 1er octobre 1789
Fête des gardes du corps du Roi en l’honneur du régiment de Flandres à l’Opéra de Versailles en présence de la famille royale.
Eau-forte, vers 1817, de Paul Jakob Laminit (1773-1831)
Le 1er octobre 1789 dans Les Années Lumières (1989)
Le peuple croit à une orgie antidémocratique…
Le 5 octobre 1789
Des femmes du peuple venues de Paris marchent sur Versailles pour demander du pain.

La famille royale se replie dans le château…
Le 6 octobre 1789
Vers cinq heures du matin, les appartements privés sont envahis. La Reine s’échappe en jupon par une porte dérobée. Plus tard, Sa présence est réclamée par la foule. Elle va au-devant du peuple, courageuse, au mépris de Sa vie.
La famille royale est ramenée de force à Paris.
Elle s’installe aux Tuileries et un semblant de vie de Cour se met en place.

Après 1789
Henriette ne quittera plus l’Alsace, résidant soit dans son hôtel de Strasbourg, soit dans sa propriété de Stotzheim. C’est alors qu’elle commence à rédiger ses mémoires dans lesquelles elle évoque ses souvenirs de la cour de Montbéliard et de Versailles, ses rencontres strasbourgeoises avec Goethe, le cardinal de Rohan…, des mémoires émaillées d’anecdotes ou de petites phrases car, comme elle le souligne,
« L’histoire se compose aussi de ces détails ; ils peignent l’époque».
Ce qui suit « m’arrache la plume des mains ». Ce qui précède constitue l’un des plus suggestifs témoignages sur la fin de l’Ancien Régime. A mi-chemin de l’ Allemagne et de la France, entre Lumières et romantisme, raison et prémonition, elle laisse entrevoir ce qu’il y avait déjà de roman noir dans La Douceur de vivre…
Ses Mémoires s’arrêtent en 1789.
Le 12 juillet 1790
Constitution civile du clergé.
Le 14 juillet 1790
Fête de la Fédération.
Jean-François Balmer dans Les Années Lumières de Robert Enrico (1989)
Le 4 septembre 1790
Démission de Necker
Le 1er janvier 1791
Projet d’évasion de la famille royale (plan de Fersen, Bouillé et Breteuil) …
Le 20 février 1791
Départ de Mesdames Adélaïde et Victoire, les tantes de Louis XVI, qui partent pour Rome.

Le Roi doit intervenir pour qu’elles soient autorisées à quitter le territoire français.
Le 18 avril 1791
La Famille Royale est empêchée de partir faire Ses Pâques à Saint-Cloud.
Les projets d’évasion se concrétisent grâce, en particulier, à l’entremise d’Axel de Fersen.

Le 20 juin 1791
Évasion de la famille royale.

Le 21 juin 1791
Le Roi et la Reine sont arrêtés à Varennes.

Le 25 juin 1791
La famille royale rentre à Paris sous escorte.
Le Roi est suspendu.
Le 14 septembre 1791
Le Roi prête serment à la Constitution.
Louis XVI, roi de France en roi citoyen (1791), par Jean-Baptiste-François Carteaux (1751 – 1813)
Le 1er octobre 1791
Première séance de l’Assemblée législative.
Le 31 octobre 1791
Décret contre les émigrés, invités à revenir en France sous peine de confiscation de leurs biens.
Le 29 novembre 1791
Décret faisant des prêtres réfractaires à la Constitution civile du clergé des “suspects”.
Le 19 décembre 1791
Le Roi oppose son veto au décret sur les prêtres insermentés.
Le 13 février 1792
Visite clandestine de Fersen aux Tuileries : il rencontre le Roi et la Reine.
Le 25 mars 1792
Ultimatum de la France sur l’Autriche.
Le 20 avril 1792
Déclaration de guerre au Roi de Bohême et de Hongrie, François II.
Le 29 mai 1792
Décret supprimant la garde constitutionnelle du Roi.
Le 20 juin 1792

La foule envahit les Tuileries pour faire lever le veto.

pour donner à sa belle-sœur la possibilité de se réfugier et de sauver Sa vie.
Le Roi refuse.
Le 11 juillet 1792
«La patrie en danger».
A Saint-Petersbourg
Maria Feodorovna accouche d’une fille, Olga qui mourra en 1795.
Le 25 juillet 1792
Signature du manifeste de Brunswick, une mise en demeure de la France, sommée de respecter la famille royale. Les Parisiens sont outrés par le ton belliqueux du texte lorsqu’il est connu en France quelques jours plus tard.
Le 3 août 1792
Une majorité de sections de Paris demande la déchéance de Louis XVI.
Le 10 août 1792
Les Tuileries sont envahies par la foule. On craint pour la vie de la Reine. Le Roi décide de gagner l’Assemblée nationale. Il est accompagné par sa famille, Madame Élisabeth, la princesse de Lamballe, la marquise de Tourzel, ainsi que des ministres, dont Étienne de Joly, et quelques nobles restés fidèles.

Traversant le jardin des Tuileries, Louis XVI et sa famille sont conduits jusque dans la loge grillagée du greffier de l’Assemblée nationale (ou loge du logotachygraphe) , où ils restent toute la journée.
Le 10 août 1792, le dernier acte de Louis XVI, Roi des Français, est l’ordre donné aux Suisses «de déposer à l’instant leurs armes».

La position de la Garde devient de plus en plus difficile à tenir, leurs munitions diminuant tandis que les pertes augmentent. La note du Roi est alors exécutée et l’on ordonne aux défenseurs de se désengager. Le Roi sacrifie les Suisses en leur ordonnant de rendre les armes en plein combat.

Des 950 Gardes suisses présents aux Tuileries, environ 300 sont tués au combat ou massacrés en tentant de se rendre aux attaquants après avoir reçu l’ordre du roi de rendre les armes en plein combat.

Le Roi est suspendu de ses fonctions.
Le 13 août 1792
La famille royale est transférée au Temple après avoir été logée temporairement aux Feuillants dans des conditions difficiles. Quatre pièces du couvent leur avaient été assignées pendant trois jours.


Le 3 septembre 1792
Massacres dans les prisons.
Assassinat de la princesse de Lamballe (1749-1792) dont la tête, fichée sur une pique, est promenée sous les fenêtres de Marie-Antoinette au Temple.
Massacre de la princesse de Lamballe
Henriette doit frémir d’entendre le sort que la populace en furie a réservé à la princesse de Lamballe qu’elle avait côtoyée dans les salons de Versailles.
Le 21 septembre 1792
Abolition de la royauté.
Le 3 décembre 1792
Pétion (1756-1794) renforce la décision de faire juger Louis XVI par la Convention.
Le 11 décembre 1792
Louis comparaît devant la Convention pour la première fois. Il est autorisé à choisir un avocat. Il demandera l’aide de Tronchet, de De Sèze et de Target. Celui-ci refusera. M. de Malesherbes (1721-1794) se portera volontaire.
Le 26 décembre 1792
Seconde comparution de Louis XVI devant la Convention.
Le 21 janvier 1793
Exécution de Louis XVI

Dans la nuit du 2 au 3 août 1793
Marie-Antoinette est transférée de nuit à la Conciergerie. Elle y est traitée avec une certaine bienveillance par une partie du personnel de la prison, dont surtout Rosalie Lamorlière (1768-1848).


La Veuve Capet par Jean-Louis Prieur
Le 16 octobre 1793
Exécution de Marie-Antoinette.

Nous ne savons rien par Henriette d’Oberkirch de la révolution en Alsace, ni des épreuves personnelles qu’elle endure : séparations, ruines, mort tragique de tant d’êtres qu’elle a aimés ou approchés ; pour elle-même une arrestation, puis une incarcération qui aurait pu mal finir, sans l’intervention de sa fille qui parvient à attendrir le représentant Foussedoire et obtient sa libération.
Le 18 janvier 1795
Maria Feodorovna accouche d’une fille, Anne (1795-1865), qui épousera le Roi Guillaume II des Pays-Bas (1792-1849).
Le 6 juillet 1796
Maria Feodorovna accouche d’un fils, Nicolas Ier (1796-1855), futur Empereur de Russie, qui épousera Charlotte de Prusse (1798-1860) en 1816.
Le 6 novembre 1796
Mort de Catherine II, Maria Féodorovna devient Tsarine aux côtés de son époux le Tsar Paul Ier de Russie.
La mésentente entre les époux Oberkirch, latente depuis longtemps , s’aggrave au point que Henriette envisage un divorce que la révolution aurait rendu possible mais que la mort du mari ,en 1797, rend inutile…
Le 19 mars 1797
Décès de son époux, Charles-Siegfried d’Oberkirch (1735-1797).

Le baron Charles Siegfried d’Oberkirch
Le 8 février 1798
Maria Feodorovna accouche de son dernier enfant, un fils, Michel (1798-1849) qui épousera, en 1824, Charlotte de Wurtemberg (1807-1873).

Maria Feodorovna par Elisabeth Vigée Le Brun (1798)
Le 27 mars 1798
Sa fille Marie-Philippine d’Oberkirch (1777-1827) épouse le comte Louis Simon de Bernard de Montbrison (1768-1841), président du Conseil général du Bas-Rhin, distingué et cultivé, qui deviendra, sous l’Empire, recteur de l’Université de Strasbourg. Ils auront deux filles et deux garçons.

Portrait de la Tsarine Marie Féodorovna (1801)
Le 10 juin 1803
Henriette Louise d’Oberkirch décède à Strasbourg.
Devergranne Gabrielle
Bonjour, très intéressante publication. Pouvez vous donner des précisions sur le portrait dit de la baronne en médaillon avec un noeud sur la poitrine.
L’autre est conservé au Musée Historique de Mulhouse.
Merci