
1735
Naissance de Jean-Baptiste Michonis à Paris.
Jean-Baptiste Michonis est limonadier de la rue Dupuis à la Halle.

Le limonadier est vendeur de limonade (boisson rafraichissante composée d’eau sucrée et citronnée) puis d’autres types de boissons, notamment alcoolisées comme les vinaigriers (avant d’être limonadiers, ils avaient le droit de distiller des alcools). Certains limonadier opèrent dans des cafés et le terme cafetier serait issu de cette occupation.

Ces « manufactures de l’esprit tant bonnes que mauvaises» pour reprendre la formule de Diderot passent de 380 en 1723 à 2000 en 1789. De là à dire que l’apparition du café est l’un des engrenages de la minuterie qui allait conduire à 1789…


Le quartier des Halles à Paris
Les origines des halles de Paris remontent à 1135, date à laquelle Louis VI le Gros décide de créer un marché sur le lieu-dit des Champeaux, situé extra muros, à l’endroit d’anciens marécages. Bientôt intégrées au centre de Paris qui s’étend progressivement au-delà de la ceinture marécageuse, les halles deviennent un grand centre d’échanges prospère. Les halles, au cours des siècles, vont connaître des transformations majeures. En effet, en 1183, des halles en bois seront édifiées par Philippe Auguste mais également par Saint Louis en 1269. De plus, sous Louis XV, une nouvelle halle au blé va voir le jour entre 1763 et 1768. Elle est conçue par l’architecte Nicolas Le Camus de Mézières. Le cimetière des Innocents se verra vidé entre 1785 et 1786 au profit d’un marché aux fleurs, aux fruits et aux légumes. Henri III fera reconstruire la place principale, le Carreau, qui sera désormais bordée de maisons dotées de galerie marchande, les «piliers des halles» et procédera à un élargissement des voies attenantes. Cependant, ces mesures s’avèrent insuffisantes : à la fin de l’Ancien Régime, les halles souffrent de réels problèmes d’engorgement et d’hygiène.

Enjoué, jovial, accueillant, naturel et spontané, tout trait de caractère inhérent à son métier, Michonis est un pur produit de Paris. Il demeure rue de la Grande Friperie, section de la Halle, quartier populeux.
Le 11 juillet 1789
Renvoi de Necker
Dès le 13 juillet 1789
Michonis est un acteur actif de la Révolution.
Le 14 juillet 1789
Prise de la Bastille.

Il est probable qu’on compte Michonis parmi les assaillants de la forteresse royale.


La nuit du 4 août 1789
Abolition des privilèges.

Le 26 août 1789
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

Le 5 octobre 1789
Des femmes du peuple venues de Paris marchent sur Versailles pour demander du pain.

La famille royale se replie dans le château…
Le 6 octobre 1789
Vers cinq heures du matin, les appartements privés sont envahis. La Reine s’échappe en jupon par une porte dérobée. Plus tard, Sa présence est réclamée par la foule. Elle va au-devant du peuple, courageuse, au mépris de Sa vie.

La famille royale est ramenée de force à Paris.
Elle s’installe aux Tuileries et un semblant de vie de Cour se met en place.

Les Tuileries
Le 20 juin 1791
Le Roi et sa famille fuient la Révolution. …

Le 21 juin 1791
Le Roi et la Reine sont arrêtés à Varennes.

Chez l’épicier Sauce à Varennes, par Prieur
Le 25 juin 1791
La famille royale rentre à Paris sous escorte.
Le Roi est suspendu.
Jean-Baptiste Michonis fait partie des 144 citoyens élus par les 48 sections de Paris pour composer la Commune de la ville qui le nomme administrateur chargé des prisons, fonction sensible et de confiance.

En sa qualité de commissaire, Michonis peut être directement désigné pour être de service au Temple afin d’assurer la surveillance de la famille royale.

Le 22 juin 1793
Le baron de Batz, singulier personnage au cerveau débordant d’idées, royaliste fougueux, financier sans vergogne, s’il n’a pu sauver Louis XVI le 21 janvier, n’a pas renoncé a sauver sa famille.

A son tour, ce diable d’homme, aidé de Mîchonis et d’un épicier appelé Cortey, capitaine dans la garde nationale, s’introduit au Temple, le jour où Michonis est de service à la Tour.

Les princesses, revêtues de capotes d’uniforme, doivent sortir l’arme au bras avec le dauphin dans une patrouille conduite par Cortey.

A onze heures du soir
Le moment paraît venu.



Mais, avertie par une lettre anonyme (provenant sans doute des Tison, espions qu’elle a placés au Temple), la Commune envoie l’un de ses membres, le cordonnier Simon, inviter Michonis a lui remettre ses pouvoirs et a se rendre à l’Hôtel de ville.
Michonis ne peut qu’obéir, Batz s’enfuit; une fois de plus le complot a avorté.

Le 29 juin 1793
Prise de remords terribles, madame Tison sombre bientôt dans la folie . Il faut la retirer de la tour du Temple.
Dans la nuit du 1er au 2 août 1793
Marie-Antoinette est transférée de nuit à la Conciergerie.

Un fiacre où Elle prend place L’attend au perron du palais du Temple. Deux policiers et deux municipaux restent près d’elle. Une deuxième voiture transporte Michonis et les autres policiers. Les gendarmes escortent les voiture qui traversent les rues du Temple, de la Tixanderie, de la Coutellerie, Planche-Mibray, le pont Notre-Dame, les rues de la Lanterne et de la Vieille Draperie pour rejoindre l’île de la Cité et son Palais.
Thysbé, un épagneul offert aux Tuileries par la princesse de Lamballe, aurait suivi la voiture de la Reine jusqu’à la Conciergerie.
«(…) mais quand (Marie-Antoinette) a été transférée du Temple à la Conciergerie , le chien a trouvé moyen , en échappant à tous les yeux, de suivre de loin la voiture de l’infortunée princesse.
L’abbé Edgeworth de Firmont à Regnault Warin
Arrivé aux guichets de la prison , les redoutables geoliers l’en ont écarté. Chaque jour , depuis cette époque il est venu gémir et ramper sous ces voûtes sombres , où un porte-clefs , moins inhumain, l’a recueilli. Aujourd’hui , à l’instant même , ayant vu passer Michonis près de lui , il l’a reconnu , et lui a témoigné sa joie par ses transports. De son côté , le municipal satisfait de pouvoir causer une agréable surprise à la prisonnière, s’est empressé de lui rapporter Fédeltà. Rien de plus touchant que le premier moment de cette entrevue. L’animal , après avoir exprimé par ses aboiements d’allégresse, les mouvements de sa queue, ses sauts , ses bonds multipliés , tout le plaisir qu’il éprouve , succombant à l’excès même de son contentement , vient en soupirant se coucher aux pieds de sa maîtresse , dont les yeux pleins de larmes prouvent combien elle est sensible à cet attachement. « Vous le voyez, me dit-elle, ce n’est point la reine qu’il flatte, c’est une femme malheureuse qu’il chérit. Quelle leçon, quel exemple pour l’ingratitude des hommes ! » »
On conçoit l’angoisse de Marie-Antoinette, seule en pleine nuit au milieu de ces hommes qui pour la plupart La haïssent. La voiture pénètre enfin la cour de May, celle que Son propre époux avait entièrement remise à neuf.

Rougeville à l’annonce de l’incarcération de la Reine à la Conciergerie décide d’y monter le complot qui le rendra célèbre à jamais. Il utilisera les services de cet homme «simple et vrai» qu’est Michonis.

Rougeville apprend par Sophie Dutilleul, sa maîtresse, que les Bault, concierges en chef de la prison de La Force connaissent Michonis, puisqu’il est leur administrateur. Il l’incite à faire des approches par leur intermédiaires jusqu’à l’administrateur de police.
L’administrateur des prisons, Jean-Baptise Michonis (1735-1794), ancien limonadier résidant dans le quartier de la Halle, suivi des policiers Froidure, Marino et Michel se rendent à leur tour au Temple munis de l’arrêté pris la veille par le conseil général pour exécuter le décret de la Convention envoyant Marie-Antoinette devant le tribunal criminel extraordinaire et prescrivant sa translation immédiate à la prison de la Conciergerie.

qui inspirera à Alexandre Dumas son chevalier de Maison-Rouge
Dès ce moment, Rougeville envoie sa maîtresse Sophie Dutilleul s’approcher du couple Bault, concierges à la prison de la Force. Administrée elle aussi par Michonis, c’est un moyen jugé utile pour s’en approcher.
«...elle confia à mon mari le dessein où elle était d’engager cet administrateur à introduire auprès de la reine un chevalier de Saint-Louis qui désirait lui offrir ses services. Michonis était remplis d’honneur et de zèle, il reçut favorablement ces propositions.»
Récit exact de ce qui s’est passé lors des derniers moments de captivité de la Reine, depuis le 11 septembre 1793 jusqu’au 16 octobre suivant, par la dame Bault, veuve de son dernier concierge, Paris, C. Ballard, imprimeur du Roi, 1817, p. 2-4.
Ils sont accompagnés de vingt gendarmes. Le chevalier de Rougeville témoignera plus tard que :
«Michonis était porté de cœur pour la Reine.»
Michonis accepte les demandes de mesdames Richard et Larivière afin de fournir à la prisonnière le linge et quelques objets nécessaires. Rappelons qu’elle n’a plus qu’un mouchoir et un flacon de sel, ainsi que sa montre, la robe et son linge sur elle depuis la veille ! Elle conserve également sur elle deux bagues de diamant et son alliance. Le petit sac qu’elle s’était préparé lors de son transfert lui a été confisqué pour être remis au tribunal.
Marie-Antoinette est traitée avec une certaine bienveillance par une partie du personnel de la prison, dont surtout Rosalie Lamorlière (1768-1848).

Mais Fouquier-Tinville refuse tout contact entre le Temple et la Conciergerie. Michonis passe outre et envoie ses ordres au conseil du Temple.
«Michonis en pleurait de douleur.»
Le chevalier de Rougeville

Marie-Antoinette est la seule prisonnière de l’ensemble de la prison à qui il est interdit de sortir de Sa cellule, tous les autres prisonniers ayant le droit de se promener, soit dans la cour pour prendre l’air, soit à se rendre visite les uns les autres dans les cellules.

Les prisonniers, par la fenêtre qui donne sur la cellule de Marie-Antoinette peuvent ainsi L’observer, Lui parler. Soit à la soutenir car ils sont prisonniers pour leurs idées monarchiques, soit à L’insulter car La jugeant responsable de leur incarcération.
Quelques affaires réclamées parmi l’ensemble de la garde-robe de la Reine laissée au Temple arrivent enfin : une redingote, une jupe en basin, deux paires de bas de filoselle, une paire de chaussette, le tout renfermé dans une corbeille entourée d’une serviette de coton rouge marquée d’un M.

Des bas à tricoter et les aiguilles ne lui sont pas donnés : on craint que la Reine «se fasse mal» avec les aiguilles. Cela reste largement insuffisant pour les besoins quotidiens de Marie-Antoinette.
Les administrateurs de police, Michonis en tête, écrivent de nouveau au Conseil du Temple :
« Nous, administrateurs au département de la police, après en avoir conféré avec le citoyen Fouquier-Tinville, accusateur public du tribunal révolutionnaire, invitons nos collègues les membres du conseil général de la Commune formant le conseil du Temple, à faire porter chaque jour deux bouteilles d’eau de Ville d’Avray à la veuve Capet, détenue à la maison de Justice de la Conciergerie, et sur la provision qui vient tous les jours de cette eau au Temple.
Nous les invitons également à envoyer à la veuve Capet trois fichus pris dans la garde-robe qu’elle a au Temple, ainsi que tout ce qu’elle fera demander par la citoyenne Richard, concierge de la Conciergerie, et à faire cacheter chaque bouteille du cachet du conseil du Temple.»
En effet depuis des années, Marie-Antoinette ne boit que de l’eau provenant d’une source coulant dans le village de Ville d’Avray, près de son domaine de Saint-Cloud. L’eau commune, provenant de la Seine, La rendant malade, les membres de la Commune depuis Son incarcération au Temple, jugent préférables de continuer de Lui fournir cette eau, nécessaire à Sa santé.
Fouquier-Tinville tolère aussi l’envoi supplémentaire de quatre chemises et une paire de souliers.

Arrive enfin du Temple l’ensemble du linge réclamé par Michonis.
«(…) on apporta du donjon un paquet que la Reine ouvrit promptement. C’était de belles chemises de batiste, des mouchoirs de poche, des fichus, des bas de soie ou de filoselle noirs, un déshabillé blanc pour le matin, quelques bonnets de nuit et plusieurs rubans de largeur inégale. Madame s’attendrit en parcourant ce linge, et se retournant vers madame Richard et moi elle dit : « A la manière soignée de tout ceci, je reconnais les attentions et la main de ma pauvre sœur Elisabeth. »»
Rosalie Lamorlière
Marie-Antoinette connaît enfin une petite joie, due aux soins donnés par Sa belle-sœur.

Seul le linge a été jugé nécessaire, tout le reste des vêtements et accessoires est resté au Temple.
Régulièrement, différents administrateurs de la police visitent la prisonnière afin de constater son isolement. Mais le plus assidu reste Michonis qui vient la voir presque tous les jours.
Marie-Antoinette échappe à Sa solitude grâce à la lecture. On ne sait s’il s’agit de madame Richard, son mari ou Michonis qui la fournit en livres. La diversité des titres, et leurs sujets pour certains très complexes, montrent qu’elle a été beaucoup plus lectrice que ne le veut la tradition. En effet, les titres que nous conservons montrent de nouveaux aspects de la personnalité de Marie-Antoinette :
- Les révolutions d’Angleterre: du père jésuite Pierre-Joseph d’Orléans (1641-1698) puis par François-Henri Turpin (1709-1799). Marie-Antoinette s’intéresse donc à l’Histoire européenne et a peut-être cherché à comparer les drames historiques avec sa propre situation.
- Un voyage à Venise : contrairement à ce que ce titre indique, ce n’est pas du tout une visite de la cité lacustre, mais la découverte dans cette ville de textes anciens grecs, dont le plus vieux de l’Illiade, par son auteur Jean-Baptiste-Gaspard d’Ansse de Villoison (1750-1805) entre 1778-1782. Un livre fondamental pour la philologie moderne !
- Voyage du jeune Anacharsis en Grèce par Jean-Jacques Barthélemy, dit l’abbé Barthélemy (1716-1795), œuvre essentielle sur la connaissance de la Grèce ancienne, publiée en 1788.
On se rappelle le zèle de Michonis pour récupérer le linge de la prisonnière, mais en plus de nouvelles du Temple, il lui amène aussi livres, menus objets de nécessité et même nourriture. Car d’après le témoignage d’un gendarme elle préfère encore jeûner plutôt que de s’abaisser à faire la moindre demande aux autres administrateurs. Avec la complicité de Richard à qui ils doivent demander autorisation, Michonis, comme ses collègues n’hésitent pas à venir accompagner. Ainsi que le montre cet échange entre Marie-Antoinette et les enquêteurs de l’affaire de l’Œillet :
D. Ne voyez-vous personne dans la maison où vous êtes détenue?
Marie-Antoinette, Amar, J. Sëvestre, Cailleux, Bax, secrétaire commis.
R. Personne que ceux qu’on a placé auprès de moi, et des administrateurs qui sont venus avec des personnes que je ne connais pas.
D. N’avez-vous pas vu il y a quelques jours un ci-devant chevalier de Saint-Louis?
R. Il est possible que j’aie vu quelque visage connu, il en vient tant.
Premier interrogatoire du 3 septembre 1793
On ne peut que constater au mieux une terrible négligence de la part de ces hauts fonctionnaires, au pire de la corruption pure et simple.
Quand Marie-Antoinette affirme qu’Elle n’a vu «personne» puis ensuite dit «il en vient tant», cela signifie des personnes qu’Elle connaît. Mais il y a fort à parier que jamais elle n’aurait cité les noms des rares personnes de sa connaissance qui auraient réussi à L’approcher.
Les visiteurs donc défilent, de l’ennemi le plus farouche au fidèle le plus courageux, en passant par le simple curieux venu observé la Reine déchue. Et forcément les témoignages pleuvent au début du siècle suivant.

Michonis, responsable des prisons, n’a pas hésité depuis l’exécution de Louis XVI a emmené avec lui lors de ses inspections au Temple, de nombreux visiteurs dévoués à la Couronne : le médecin Brunyer, pédiatre des Enfants de France, venu soigner Madame Royale puis le jeune Roi ; les fournisseurs des trousseaux de deuil dont Jeanne Bertin ; le peintre Kurcharsky qui fait le portrait de la Reine en veuve ; le chevalier de Jarjayes (1745-1822) envoyé par la Reine auprès des comtes de Provence et d’Artois puis qui a tenté une évasion en avril toute prête à réussir ; Lady Atkyns (1757-1836) prête à échanger ses habits avec ceux de la Reine lui permettant ainsi de quitter la tour…

Marie-Antoinette n’envisage pas un instant de s’échapper de Sa prison sans Ses enfants, ni d’abandonner Sa belle-sœur qui a sacrifié sa liberté pour rester auprès de sa famille.
L’administrateur des prisons continue son manège à la Conciergerie. Comme madame Richard, il effectue avec zèle sa tâche que lui a accordé la Révolution, mais si par hasard, les choses changeaient, Marie-Antoinette saura lui témoigner Sa reconnaissance…

Michonis lors des divers interrogatoires subis cite quelques noms de visiteurs mais il y a fort à parier qu’il cache d’autres noms plus compromettants :
«1°Le citoyen Giroud maître de pension faubourg St-Denis :
Interrogatoire de Michonis du 3 septembre 1793
2° Le limonadier attenant la porte cochère faubourg St-Denis n° 10.
3° Un des commis qui demeure rue de la Juiverie et qui travaille à la comptabilité, dont j’ignore le nom.
4° Un autre; peintre dont je ne me rappelle pas le nom, et différentes autres personnes non connues qui me témoignant le désir de m’accompagner à la Conciergerie y sont venues avec moi parce qu’ils savaient que j’étais chargé de la partie des prisons et à plusieurs reprises différentes je les ai amenées.
D. En quel nombre les avez vous introduites?
R. Je n’en ai jamais amené qu’un seul à la fois, et toujours en la présence du concierge et de son épouse.»
Il est aberrant d’imaginer un administrateur de prisons amener des visiteurs auprès d’une prisonnière au caractère hautement politique et ignorer leur nom !
Cette fois-ci Marie-Antoinette peut/doit s’enfuir sans Ses enfants. Séparés, il est impossible d’organiser une évasion commune.
Lady Atkyns, vêtue d’un costume de garde national, réitère son offre d’échange. Elle aurait aussi laisser un billet dans un bouquet de fleurs, mais un municipal (Michonis lui-même ? un gendarme ?) tentant de s’en emparer, la courageuse actrice avale promptement le billet.
Ceci ressemble trop à l’affaire de l’Œillet pour paraître tout à fait crédible.
Par la suite, lady Atkyns fera son possible pour sortir Louis XVII du Temple, mais semble-t-il, encore en vain.

Aux environs du 20 août 1793
Dîner chez Pierre Fontaine, quarante-huit ans, à l’occasion de sa fête, au numéro 48 de la rue de l’Oseille, quartier du Marais. Il y convie bonne compagnie : «dix à douze personnes», tous de la Nièvre et compatriotes de l’hôte, Pierre Fontaine, lui-même né dans ce département à Corbigny, Jean Sautereau, député de la Nièvre à la Convention ; deux autres commissaires envoyés par les assemblées primaires de la Nièvre pour apporter leur acte d’acceptation à la Constitution ; Balendrot, curé de Beaumont dans la Nièvre ; le neveu de Pierre Fontaine, un certain François Paulmier du Doué, trente-neuf ans, marchand de bois à Château-Chinon avant la Révolution, puis, pour la provision de Paris, natif d’Aulnay dans la Nièvre, demeurant dans un appartement rue des Hommes libres, ci-devant rue Lenoir aux Halles. A l’instar de son oncle, Paulmier est un faux-monnayeur. Sophie Dutilleul est là. Elle a ramené Rougeville qu’elle présente comme son locataire et fait passer pour un étranger. Ce soir-là Rougeville porte «des boucles pendantes et un habit rayé boue de Paris». Et bien sûr, il y a le convive du guet-apens : Michonis.


Sophie Dutilleul avait rencontré Pierre Fontaine dès septembre 1792 lors d’une promenade sur le boulevard. Ils ont ensuite bu un café. Deux ans plus tard, le 13 mai 1795, le comité de sûreté général assurera qu’il fait commerce de faux assignats, passés par le jeu et dans les commerces.

Parmi les invités, un député (trois diront des interrogatoires ultérieurs), Jean Sautereau (1741-1809), député de la Nièvre ayant voté la mort de Louis XVI.
Pendant le dîner, la conversation ne roule pas sur la politique, Rougeville s’en garde bien.
Michonis déclarera plus tard :
« Jamais ne soupçonne au cours de la conversation que Rougeville puisse être ni un contre-révolutionnaire ni même une homme incivique. Je ne l’ai jamais entendu rien dire, et il n’a parlé que des choses générales, et s’il avait dit quelque chose de contraire à la Révolution, je ne l’aurais pas souffert.»
Jean-Baptiste Michonis
Michonis, qui n’a pas été renommé au Comité, s’en plaint, ce qui n’échappe pas à Rougeville ; un homme nourrissant de l’amertume, voire de l’aigreur, sera plus facilement enclin à s’écarter de sa mission.
Au moment de se séparer, l’ambiance est détendue et Rougeville saluant Pierre Fontaine et Jean-Baptiste Michonis les trouve «tous deux très disposés» à son encontre.

Sophie Dutilleul, vraisemblablement seul élément féminin de la compagnie, invite Pierre Fontaine pour la sainte Anne chez elle et joue de son charme pour inviter également Michonis qu’elle vient de rencontrer.

Le 26 juillet 1793
Michonis retrouve Rougeville et Pierre Fontaine chez Sophie Dutilleul dans sa maison de Vaugirard mais aussi le couple Bault qui selon les propos de la dame durant la Restauration, est dans la confidence. Michonis arrive tout content à la perspective de passer un bon moment sans se douter qu’au bout de tout cela la mort l’attend. Ilk est le seul à tout ignorer de la conspiration. Le repas avançant, la conversation tombe sur le chapitre des prisons.
Suivant les divers interrogatoires subis par Sophie Dutilleul, Michonis ou d’autres témoins plus ou moins directs, nous pouvons quelque peu reconstituer les moyens mis en place pour s’assurer de la complicité de Michonis :
« D. N’avez vous pas eu connaissance du complot formé entre Michonis et Rougeville d’aller chez la veuve Capet ?
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine
R. Je n’en ai jamais entendu parler.
D. N’étiez vous pas cependant à diner chez Fontaine ci-devant marchand de bois, où dînaient aussi Michonis et Rougeville?
D. Oui, j’y étais, ce fut moi qui y introduisis Rougeville que je ne connaissais pas, et qui demeurait chez moi comme locataire.
D. Ne fut ce pas à ce diner et en votre présence que Michonis promit à Rougeville de l’introduire chez la veuve Capet?
R. Non, je me rappelle bien qu’à ce diner quelqu’un dont j’ai dit le nom au comité de surveillance, à ce que je crois, a dit à Michonis : Marie-Antoinette doit être bien changée et doit bien fumer?»
A quoi Michonis a répondu : Mais elle est assez sans soucis, elle n’est guère changée, mais a les cheveux presque blancs. »
Et a signé avec nous
FEMME DUTILLEUL. –
(Arch. de l’emp., carton W 297, dossier 261, cote 2e.)
Ce qui contredit le témoignage de Michonis :
«D. Vous rappelez vous l’époque ou il vous fit la demande chez le citoyen Fontaine de venir avec vous ?
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine
R. Il y a environ quinze jours.
D. Vous fit-il cette demande tout haut ?
R. En présence de tout le monde, il y avait même trois députés à la Convention dont j’ignore le nom.»
(Arch. de l’emp., carton W 297, dossier 261.)
Rougeville saisit l’occasion et remarque négligemment :
«Ce doit être un étrange spectacle qu’une reine, et surtout une reine de France, enfermée dans un des cachots de la Conciergerie.
–Ne la connaissez-vous pas?, s’enquiert le municipal.
–Non, répond avec indifférence Rougeville mais excitant l’autre à parler.
–Voulez-vous la voir? répond Michonis, ravi de son importance, tous les regards de la tablées tournés vers lui, Je peux vous faire entrer dans sa prison»
Habile, Rougeville ne montre aqucun empressement et adroitement manifeste une simple curiosité de façon à amener le municipal à lui faire de soi-même la proposition de voir la Reine :
« Ce n’est pas lui qui m’a demandé à voir la veuve Capet, c’est moi qui le lui ai offert.»
Jean-Baptiste Michonis
Il est impossible de trouver la vérité parmi tous ces témoignages car par définition, les interrogés avaient intérêt à mentir. Ainsi, Michonis dans tous ses interrogatoires nie connaître le nom du chevalier de Rougeville, alors qu’il avoue avoir au moins dîner trois fois avec lui, notamment le trois septembre jour de l’enquête !

Le futur baron Hüe dit avoir reçu témoignage de François Paulmier, neveu de Pierre Fontaine, incarcérés l’un et l’autre à La Force quelques temps plus tard (Paulmier pour faux monnayage comme son oncle). Celui-ci se trouvait invité aux deux dîners :
« Ce doit être, dit monsieur de Rougeville, un étrange spectacle qu’une Reine et surtout une Reine de France, enfermée dans un cachot de la Conciergerie !
Souvenirs du Baron Hüe ([Reprod.]) / publiés par le baron de Maricourt, édition de 1903 en ligne, pp.150-151https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k46777r/f190.item
_Ne la connaissez-vous pas ? demanda le municipal.
_Non, répondit avec indifférence cet officier.
_Voulez-vous la voir ?, reprit le municipal, je peux vous faire entrer dans sa prison.
M. de Rougeville ne montra aucun empressement. Les convives, qui étaient dans le secret, l’invitèrent à accepter cette proposition ; il y consentit.
L’heure fut prise pour le jour même. Dans l’intervalle, sous le prétexte que ce jour était la fête de la dame du logis, M. de Rougeville fit acheter un bouquet et le donna à cet officier, qui s’absenta pendant quelques instants ; il plaça avec adresse dans le calice de la fleur un papier roulé sur lequel était écrit : « J’ai à votre disposition des hommes et de l’argent.»
Il est difficile de savoir jusqu’où peut-on prêter foi au texte de Hüe qui n’est qu’un témoin de deuxième main. En effet, la suite diffère du reste de l’enquête ou des propos de Sophie Dutilleul. Qu’il dit maîtresse de Michonis et non de Rougeville qu’elle ne fait que loger.

Sophie Dutilleul se contente à dire qu’il y a de nombreux œillets dans son jardin et que Rougeville a pu s’y servir.

Michonis, fier de son autorité, assure qu’il se charge sans problème du consentement de Toussaint Richard, le concierge de la prison.
Le mercredi 28 août 1793
Michonis et Rougeville se donnent rendez-vous à la Mairie (ancien hôtel du premier président du Parlement transformé en hôtel de police). Ils se rendent de là à la Conciergerie. On conçoit l’horreur de Rougeville qui tout en traversant les sombres corridors menant à sa cellule réalise ce que doit endurer la Reine.
Enfin quand Michonis pousse la porte, Rougeville peut voir les gendarmes à leur table, jouant, la dame Harel occupée à son ouvrage et enfin la Reine, toujours aussi haute, toujours aussi majestueuse, mais tellement vieillie, tellement amaigrie, les cheveux blanchis, les yeux délavés et les joues creusées par les larmes ! Il ne L’avait pas revue depuis le 10 août 1792.

Marie-Antoinette reste impassible à la vue de Michonis. Elle l’a tellement vu Lui ramener des voyeurs ou des exaltés dont les projets d’évasion ne sont que chimères… La prisonnière se lève et dit :
« Ah ! C’est vous , Monsieur Michonis.»
Et là Elle voit le nouveau visiteur. Elle sursaute, un cri manque de Lui échapper. Elle le reconnaît malgré son déguisement ! Elle tressaille, extrêmement saisie «jusqu’au point de s’en trouver mal» et tombe dans Son fauteuil.

Profitant que Michonis élève la voix pour donner des nouvelles du Temple, Rougeville montre d’un signe l’œillet à sa boutonnière, détache cette fleur et la jette derrière le poêle. Ni Michonis, ni les gendarmes, ni la dame Harel ne s’en aperçoivent. Rougeville reprend son air indifférent, faisant mine d’écouter les paroles de Michonis. Il sait que Marie-Antoinette n’a pas compris le message et tente de Lui parler discrètement. Il Lui dit de ramasser l’œillet tombé et Marie-Antoinette s’exécute aussitôt.
Personne dans la pièce n’a entendu l’échange. Les gendarmes ont seulement remarqué chez la Reine une vive émotion, des larmes Lui couler, Son visage changeant de couleur et Ses membres tremblants. Ils pensent alors que cela est dû aux nouvelles données de Ses enfants. La dame Harel affirme que c’est l’attitude habituelle de Marie-Antoinette lors de chaque visite, tant Elle a peur.
Lorsque les deux hommes sortent, d’une voix émue, Marie-Antoinette fait mine de s’adresser à Michonis :
« Je vous fais donc un adieu éternel.»
Michonis surpris tente de La rassurer :
«Point du tout, si je ne suis plus administrateur de la police, étant officier municipal, j’aurai le droit de venir et de vous faire visite tant qu’elle vous sera agréable.»
Mais Marie-Antoinette s’adresse en réalité à Rougeville, n’ayant pas encore pu regarder ce que contient l’œillet. Michonis part donc tout content et flatté.

Une fois sortis de la cellule, Rougeville ne doutant plus de la réussite de ses projets, doit continuer à suivre Michonis lui faire les honneurs de la prison. Dans la cour des Femmes, les deux hommes regardant les sombres bâtiments et les prisonniers inquiets, Gilbert appelle de la fenêtre l’administrateur des prisons. Il lui donne quelques réclamations faites par la prisonnière au sujet de la nourriture. Michonis donne ses ordres, puis dit au revoir à madame Richard et sort enfin.

Pendant ce temps, Marie-Antoinette se sachant observée par les gendarmes, doit trouver un moyen pour relever l’œillet. En entendant les voix de Michonis et Rougeville dans la cour des Femmes, Elle profite de l’occasion et parle à Gilbert de Ses réclamations concernant la nourriture. Le gendarme à la fenêtre, Elle se baisse, ramasse la fleur et voit qu’elle contient un billet.

Profitant ensuite que Marie Harel et les gendarmes jouent aux cartes, elle se cache derrière son paravent, déplie le papier et lit :
« Ma protectrice, je ne vous oublierai jamais, je chercherai toujours le moyen de vous marquer mon zèle ; si vous avez besoin de trois à quatre cents louis pour ce qui vous entoure, je vous les porterai vendredi prochain.»
Vite, Elle déchire en cent morceaux le billet de Rougeville et sur Sa toilette prend un bout de chiffon et une épingle et trace quelques mots qui pourraient être :
« Je suis gardée à vue, je ne parle à personne. Je me fie à vous, je viendrai.»
André Castelot rapporte que le billet piqué d’épingles aurait été «traduit» bien plus tard mais il est tellement perforé que la phrase transcrite en clair doit être prise avec la plus extrême circonspection …

grâce au procédé d’Adam-Joseph Pilinski (1810-1887)
La prisonnière demande ensuite à Sa femme de chambre de Lui apporter un verre d’eau. Aussitôt Marie Harel part aux cuisines.

Marie-Antoinette, gagnée par l’émotion, s’approche du gendarme Gilbert et lui dit :
« Voyez comme je suis tremblante ; ce particulier que vous venez de voir est un ci-devant chevalier de Saint-Louis, employée aux armées auquel je suis redevable de ne pas m’avoir abandonnée dans une affaire très périlleuse. Vous ne vous douteriez pas de la manière dont il s’y est pris pour me faire passer un billet ; il m’a fait signe de l’œil et, ne comprenant pas ce qu’il voulait exprimer, il s’est approché de moi et m’a dit à voix très basse : «Ramassez donc l’œillet qui est à terre et qui renferme mes vœux les plus ardents ; je viendrai vendredi.» Et vous savez le reste. Après m’avoir ainsi parlé, je me suis baissée et j’ai relevé l’œillet qui m’était indiqué, dans lequel j’ai trouvé le billet qui renfermait le désir sincère du particulier.»
Extrait de l’interrogatoire du gendarme Gilbert du 3 septembre 1793
Et Elle lui montre son chiffon piqué par l’épingle :
« Voyez, je n’ai pas besoin de plume pour écrire.»
Elle lui dit alors qu’il s’agit d’une réponse qu’Elle remettra au visiteur le 1er septembre et le supplie de ne rien dire ou faire afin de ne pas compromettre le visiteur.

Le second gendarme n’est au courant de rien.
Inquiet, Gilbert réussit à s’emparer du message écrit par Marie-Antoinette. Interloquée, Elle le laisse faire. C’est ce qu’il dira lors de son interrogatoire. Dans son premier rapport, le gendarme dit que c’est Marie-Antoinette qui le lui remet, afin de l’apporter au visiteur encore présent dans la prison. Marie-Antoinette lui précise-t-elle que ce visiteur a de l’argent, beaucoup d’argent, et que l’aider pourrait lui être utile ? Gilbert se garde bien de l’avouer plus tard. Il court jusqu’à madame Richard et lui raconte toute l’histoire. Elle prend à son tour le chiffon et l’enferme dans son portefeuille.
Il lui demande si Elle va prévenir Michonis. La concierge le rassure en disant qu’à l’avenir l’administrateur des prisons ne ramènera plus personne. Quand Gilbert revient dans la cellule, Marie-Antoinette lui réclame son message. Il refuse de répondre. Alors Marie-Antoinette insiste, montre de l’humeur. Elle a subi trop d’émotions aujourd’hui.
Cette version fonctionne si c’est Gilbert qui lui a arraché le chiffon. Par contre si elle le lui a remis volontaire, elle doit forcément lui demander si il a accompli sa mission. De guerre lasse, quelle que soit la version, il lui explique que par jeu madame Richard lui a pris tout ce qu’il avait dans les poches et qu’il n’y a rien à craindre. Gilbert raconte toute l’histoire à son collègue Dufresne.
Marie-Antoinette plongée dans l’incertitude mais aussi l’espoir, ne peut passer qu’une nuit encore plus difficile que les autres.

L’attente est longue pour Marie-Antoinette. Elle ne sait plus à qui se confier, certainement pas aux gendarmes, ne parle pas à madame Richard quand celle-ci lui apporte ses repas. La concierge de son côté, qui sait à peu près tout de l’affaire, ne dit rien pouvant la rassurer.

On peut imaginer une ambiance particulièrement pesante…
Le 30 août 1793
Michonis se présente à la Conciergerie. Seul, alors que Rougeville avait dit à Marie-Antoinette qu’il reviendrait ce vendredi.
Madame Richard, discrètement, lui explique la situation. La concierge est persuadée que l’administrateur a mis en contact un chevalier de Saint-Louis avec la Reine à son insu. Elle le rassure en lui disant que c’est elle qui conserve le billet écrit par Marie-Antoinette. Michonis ne s’alarme pas en regardant le chiffon piqué de trous : il est illisible. Il promet à madame Richard de ne plus ramener personne.
Il fait ensuite comme à son ordinaire sa tournée d’inspection, rasséréné.

Parle-t-il à Marie-Antoinette ? On l’ignore…
Est-Elle déçue de ne pas voir Rougeville ? Ceci si l’on se fie uniquement aux interrogatoires faits aux uns et aux autres protagonistes de l’affaire, Rougeville exclu. Or celui-ci affirme qu’il est bien retourné à la Conciergerie, cette fois-ci avec un autre administrateur gagné à sa cause, le nommé Jobert ou Jaubert.
Là il lui offre 400 louis en or et 10 000 livres en assignats. De quoi largement corrompre Marie Harel, les gendarmes et les Richard. Michonis ne recevra jamais rien et s’y refuse. Ses collègues de la police ne sont pas aussi scrupuleux.
Il demande surtout à la Reine si Elle est en capacité physique de sortir de Sa prison. Malgré Son état physique délabré, Elle se sent assez de force pour se libérer.
Cette deuxième visite n’existe que dans la version des faits donnée par Rougeville des années plus tard. Rien ne l’indique une seule fois dans les interrogatoires suivants. Sauf que les mesures prises par la suite montrent bien que les autorités ont réellement pris peur d’une possible évasion de « la veuve Capet » et pas d’une simple visite d’un ancien garde du corps venu lui apporter des fleurs, même avec un tendre billet.
C’est donc que Rougeville a fait bien plus.
Marie-Antoinette se trouve mal par deux fois. La crainte d’un échec ? La crainte de compromettre ceux auprès d’Elle ? La crainte que l’évasion réussisse et donc de laisser Ses enfants et Sa belle-sœur en otages ?
A dix heures du soir
Defresnes prévient son supérieur Louis-François de Busne, lieutenant de garde de la prison, précisant que la prisonnière a de la fièvre. Celui-ci avertit Fouquier-Tinville seul habilité à faire envoyer un médecin.
Nouveau dîner entre Rougeville et Pierre Fontaine à Vaugirard. Ils se retrouvent en charmante compagnie avec Henriette-Angélique-Laurence Garnotel, épouse Desguillot, lingère de vingt-six ans et Françoise-Adélaïde Provot, ouvrière de dix-sept ans, toutes deux logées près de la porte Saint-Denis.
Les deux jeunes filles ont-elles été conscientes qu’elles ont eu un rôle à jouer dans le sauvetage de la Reine ? Difficile de le savoir. Passer du bon temps est peut-être le meilleur moyen pour ces hommes de se donner du courage pour ce qui les attend le lendemain.

A la Conciergerie, le médecin Thierry examine Marie-Antoinette et Lui prescrit une :
« potion calmante, composée d’eau de tilleul, de fleurs d’oranger, de sirop de capillaire et de liqueur d’Hoffmann»
Archive nationale, W/151 dans SAPORI, Michelle, Rougeville de Marie-Antoinette à Alexandre Dumas, le vrai chevalier de Maison-Rouge, édition de la Bisquine,Paris, 2016, p. 134.
A quoi on Lui rajoute :
« un bouillon rafraîchissant avec maigre de veau, chair de poulet et plantes diverses.»
Archive nationale, F4/1319 dans SAPORI, Michelle, Rougeville de Marie-Antoinette à Alexandre Dumas, le vrai chevalier de Maison-Rouge, édition de la Bisquine,Paris, 2016, p. 134.

Le dimanche 1er septembre 1793
Pour la troisième et dernière fois, Michonis et Rougeville se retrouvent à dîner chez Pierre Fontaine. Au même moment, Rougeville et Michonis dînent de nouveau ensemble chez Pierre Fontaine. L’administrateur de police ne reverra plus le chevalier à qui il devra la mort, sa maîtresse non plus d’ailleurs.
La nuit du 2 au 3 septembre 1793
Selon Rougeville, c’est à ce moment que tout se joue.


Marie-Antoinette, accompagnée du chevalier, de Michonis et des gendarmes de garde dans Sa chambre, sort de Sa cellule.

« Nous avions déjà passé tous les guichets et n’avions plus que la porte de la rue, lorsqu’un des deux gardes, à qui j’avais donné 50 louis en or, s’opposa avec menace à la sortie de la reine.»
Souvenirs du chevalier de Rougeville dans SAPORI, Michelle, Rougeville de Marie-Antoinette à Alexandre Dumas, le vrai chevalier de Maison-Rouge, édition de la Bisquine,Paris, 2016, p. 135.

Alors que s’est-il passé ?
Lequel des deux gendarmes s’est finalement ravisé ? Dans quel état peut se trouver Marie-Antoinette après un tel espoir déçu ?
Et pourquoi ne pas le faire taire ? Sans aller au crime non plus, ce que n’aurait jamais pu accepter Marie-Antoinette, l’assommer, le ligoter aurait pu largement être possible ! Et pourquoi ne pas en alerter ses supérieurs aussitôt ?
Selon Rosalie Lamorlière et le porte-clefs Larivière, ou plutôt Lafont d’Aussonne, c’est Marie Harel qui dénonce le complot à Fouquier-Tinville.
Le mardi 3 septembre 1793
Le gendarme Gilbert constate que ni Michonis, ni les Richard ne préviennent les autorités, et en particulier Fouquier-Tinville qui en temps normal n’ignore rien de ce qui se passe dans «sa» prison.

Le gendarme n’est pas à l’aise. Il souhaite se couvrir. Sait-il quelque chose sur le projet de la prise du corps entier de la gendarmerie du Palais ? Il doit un rapport hebdomadaire à son supérieur. Il avoue. Tout ou cache-t-il d’autres choses ?
Le colonel Du Mesnil envoie le rapport au greffe du tribunal. Aussitôt le complot sort de la prison.
A quatre heures de l’après-midi, un représentant du comité de sûreté générale Jean-Pierre André Amar (1755-1816), accompagné du policier Cailleux et Sevestre viennent à la Conciergerie mener l’enquête.
A la Conciergerie, six gendarmes entrent avec les enquêteurs dans la cellule de Marie-Antoinette. On imagine Son angoisse. Ni les deux gendarmes en poste habituellement, ni Marie Harel ne peuvent communiquer.
Marie-Antoinette est tout de suite amenée au tribunal criminel lui-même si l’on se fie à la suite des interrogatoires :

« Comité de sûreté générale et de surveillance de la Convention nationale.
Premier interrogatoire de Marie-Antoinette, le 3 septembre 1793
Du trois septembre 1793, l’an second de la République française une et indivisible, quatre heures après-midi. Nous, Représentants du peuple, députés à la Convention nationale, chargés par le Comité de sûreté générale de nous transporter à la Conciergerie pour y prendre des renseignements relatifs à la dénonciation faite ce jour d’hui par le citoyen Dumessin (Dusmesnil), lieutenant-colonel de la gendarmerie près les tribunaux, nous sommes arrivés dans ladite maison accompagnés du citoyen Aigron, aide de camp de la force armée de Paris, que nous avons requis de nous accompagner et du citoyen François Bax, secrétaire commis du Comité de sûreté générale.
En entrant nous avons appelé l’officier de poste, et l’avons requis de nous donner six gendarmes, l’un desquels nous avons fait placer dans la pièce où se trouve en arrestation la veuve de Louis Capet, avec ordre donné audit gendarme de ne laisser entrer ni sortir personne, et nous étant retirés dans une pièce particulière de ladite maison, nous avons envoyé appeler auprès de nous le citoyen Michonis, ensuite d’un arrêté que nous avons pris en conséquence et que nous lui avons fait porter par un gendarme; ensuite nous avons donné ordre que l’on conduisit près de nous la veuve de Louis Capet.
Entrée, nous lui avons fait les interrogations suivantes :
D. Est-ce vous qui vous nommez la veuve Capet?
R. Oui.
D. Ne voyez-vous personne dans la maison où vous êtes détenue?
R. Personne que ceux qu’on a placé auprès de moi, et des administrateurs qui sont venus avec des personnes que je ne connais pas.
D. N’avez-vous pas vu il y a quelques jours un ci-devant chevalier de Saint-Louis?
R. Il est possible que j’aie vu quelque visage connu, il en vient tant.
D. Ne sauriez-vous le nom d’aucun de ceux qui sont venus avec les administrateurs?
R. Je ne me rappelle pas le nom d’aucun d’eux.
D. Parmi ceux qui sont entrés dans votre appartement, n’en avez-vous pas reconnu aucun particulièrement?
R. Non.
D. N’y a-t-il pas quelque jour que vous en avez vu un que vous avez reconnu ?
R. Je ne m’en rappelle pas.
D. Ce même homme ne vous aurait-il pas fait tenir un œillet ?
R. Il y en a dans ma chambre.
D. Ne vous aurait-on point remis un billet?
R. Comment pourrais-je en recevoir, avec les personnes qui sont dans ma chambre, et la femme qui est avec moi ne quitte pas la fenêtre.
D. N’est-il pas possible qu’en vous présentant un œillet, il y eut quelque chose dedans et qu’en l’acceptant un billet soit tombé, ou qu’on ait pu le
ramasser ?
R. Personne ne m’a présenté d’œillet, aucun billet n’est tombé par terre que j’aie vu ; il a pu tomber quelque chose mais je n’ai rien vu; mais j’en doute, parce que la femme qui est avec moi aurait pu le voir, et elle ne m’en a rien dit.
D. N’avez vous rien écrit depuis quelque jour?
R. Je n’ai pas même de quoi écrire.
D. Ne vous seriez-vous servie d’aucun instrument ou d’aucun moyen pour transmettre vos idées ?
R. N’étant pas seule, même un moment, je ne le pourrais pas.
D. Il y a quelque jour qu’un chevalier de Saint-Louis est entré dans votre logement, vous avez tressailli en le voyant ; nous vous demandons de répondre si vous le connaissez ?
R. Il est possible que j’aie vu des visages connus, comme je l’ai dit plus haut, et que dans l’état de crispation de nerfs où je me trouve j’ai tressailli sans savoir ni quel jour, ni pour qui, ni pour quoi.
D. Nous vous observons cependant qu’il a été déclaré que vous connaissiez le ci-devant chevalier de Saint-Louis, et que vous trembliez qu’il ne fut reconnu, ce sont les expressions dont on dépose que vous vous êtes servie ?
R. Il est à croire que si j’avais tremblé qu’il ne fut reconnu je n’en aurais pas parlé, ou j’aurais eu un intérêt à le cacher.
D. N’avez-vous pas déclaré que ce même chevalier de Saint-Louis qui vous avait présenté un œillet devait revenir un vendredi?
R. J’ai déclaré au commencement que personne ne m’avait rien présenté, si je devais croire que quelqu’un dut revenir je ne l’aurais pas dit.
D. N’avez-vous pas profité du moment que votre femme de chambre était à jouer une partie de cartes pour écrire avec une épingle à ce même particulier qui avait présenté l’œillet dans lequel devait être le billet, afin qu’il fut remis à ce particulier ?
R. J’ai commencé à dire et je répète que je n’ai écrit d’aucune manière. Si je voulais faire quelque chose et m’en cacher je ne le pourrai pas, parce que je suis toujours vue par les personnes qui sont avec moi, même pendant la partie de cartes; pour avoir à faire une réponse à ce particulier il faudrait le connaître, avoir reçu quelque chose de lui, et les personnes qui sont avec moi, je ne les chargerais pas de la commission, parce que je crois qu’elles remplissent assez leur devoir pour ne pas s’en charger.
D. Dans la position où vous êtes, il serait naturel de profiter de tous les moyens qui vous seraient offerts pour vous échapper et pour transmettre vos idées à ceux dans lesquels vous croiriez avoir confiance. Il ne serait donc pas étonnant que ce chevalier de Saint-Louis fut une personne qui pourrait vous être affidée et dont par là même, vous auriez intérêt de ne pas parler?
R. Il serait bien malheureux que les gens qui m’intéressent m’eussent frappée aussi peu ; si j’étais seule je ne balancerai pas à tenter tous les moyens pour me réunir à ma famille, mais ayant trois personnes dans ma chambre, quoique je ne les connusse pas avant de venir ici, je ne les compromettrai jamais sur rien.
D. N’avez-vous aucune connaissance des événements actuels et de la situation des affaires politiques ?
R. Vous devez savoir qu’au Temple nous ne savions rien, et que je n’en sais pas d’avantage ici (1).
D. Vous avez eu connaissance sans doute de l’affaire de Custine. Ne connaissiez-vous rien de relatif à ses projets?
R. J’ai su qu’il était dans la même prison que moi, et je n’en connais les raisons ni les causes.
D. Ne vous est-il venu aucune relation par voie indirecte, de ce qui se passe dans votre famille ?
R. Aucunement, je sais que mes enfants se portent bien, voilà tout ce que j’en ai su.
D. Par qui avez-vous eu des nouvelles de vos enfants ?
R. Par les administrateurs qui me l’ont dit.
D. N’avez-vous rien appris particulièrement des avantages que nous avions remportés sur les Autrichiens ?
R. J’ai entendu souvent au Temple les colporteurs crier « Grande victoire ! » tantôt d’un côté, tantôt d’un autre ; je n’en ai pas su d’avantage.
D. Ne s’est-il présenté aucune occasion de faire connaître à votre famille, votre position et de profiter des dispositions de vos amis ?
R. Jamais, depuis un an la position dont nous étions au Temple rendait la chose impossible.
D. Est-il bien vrai que vous n’ayez conservé aucune relation en dehors, par des moyens cachés ?
R. Aucune, il aurait fallu le pouvoir.
D. Vous intéressez vous au succès des armes des ennemis ?
R. Je m’intéresse au succès de celles de la nation de mon fils ; quand on est mère c’est la première parenté.
D. Quel est la nation de votre fils ?
R. Pouvez-vous en douter, n’est-il pas Français?
D. Votre fils n’étant qu’un simple particulier, vous déclarez donc avoir renoncé à tous les privilèges que lui donna jadis les vains titres de Roi ?
R. Il n’en a pas de plus beau et nous non plus que le bonheur de la France.
D. Vous êtes donc bien aise qu’il n’y ait plus ni Roi, ni royauté?
R. Que la France soit grande et heureuse, c’est tout ce qu’il nous faut.
D. Vous devez donc désirer que les peuples n’aient plus d’oppresseurs, et que tous ceux de votre famille qui jouissent d’une autorité arbitraire subissent le sort qu’ont subi les oppresseurs de la France ?
R. Je réponds de mon fils, de moi ; je ne suis point chargée des autres.
D. Vous n’avez donc jamais partagé les opinions de votre mari ?
R. J’ai rempli toujours mes devoirs.
D. Vous ne pouvez pas cependant vous dissimuler qu’à la cour il n’existât des hommes dont les interêts étaient en sens inverse de ceux du peuple ?
R. J’ai rempli mes devoirs en tout ce que j’ai fait, dans ces temps-là comme à présent.
D. Comment vos devoirs s’arrangeaient-ils donc avec la fuite que vous avez préméditée et qui s’exécutait du côté de Varennes ?
R. Si on nous eut laissé achever notre course, et que nous eussions pu faire ce que nous méditions, on nous aurait rendu justice.
D. Quel était donc votre objet en quittant le centre de la France ?
R. De nous donner une espèce de liberté que nous n’avions pas depuis le mois d’octobre 1789, mais jamais de quitter la France.
D. Pourquoi promettiez-vous donc au peuple à votre retour de Versailles de lui rester attaché et de vous plaire à vivre au milieu du peuple de Paris?
R. C’était pour revenir plus librement au milieu de lui que nous faisions notre course.
D. Comment cette fuite s’accordait-elle avec la question que vous faisiez à la municipalité la veille de votre fuite : « Eh bien, dit-on toujours que nous voulons quitter Paris ? »
R. Ce n’est pas à la municipalité de Paris que j’ai fait cette question, c’est à un aide de camp de Lafayette, et devant suivre les personnes qui partaient ; jamais je n’ai dû en avoir l’air.
D. Comment, ayant tout préparé pour votre fuite du vingt et un, avez-vous pu répondre à ceux qui vous invitaient d’assister à la cérémonie de la Fête-Dieu, que vous y auriez assisté et que vous y assisteriez?
R. Je ne me rappelle pas moi personnellement avoir fait cette réponse, je devais suivre mon époux et mes enfants, je n’avais rien à dire. J’observe que je tiens beaucoup à ce qu’on ne croit pas à ce que c’est à un corps que j’ai fait l’interpellation relative à notre fuite. Ca toujours été nous qui avons donné dans tous les temps l’exemple du respect dû aux autorités.
D. Comment, ayant avoué que vous ne désirez que la prospérité et la grandeur de la nation française, avez-vous pu manifester un désir aussi vif d’employer tous les moyens pour vous réunir à votre famille en guerre avec la nation française ?
R. Ma famille, c’est mes enfants, je ne peux qu’être bien qu’avec eux, et sans eux, nulle part.
D. Vous regardez donc comme vos ennemis ceux qui font la guerre à la France?
R. Je regarde comme mes ennemis tous ceux qui peuvent faire du tort à mes enfants.
D. De quelle nature sont les torts que l’on peut faire à vos enfants?
R. Toute espèce de torts quelconque.
D. Il est impossible que vous ne regardiez pas plus particulièrement comme tort, ceux qui auraient pu être faits d’après vos idées à votre fils relativement à l’abolition de la royauté; que répondez-vous ?
R. Si la France doit être heureuse avec un roi, je désire que ce soit mon fils, si elle doit l’être sans roi, j’en partagerai avec lui le bonheur.
D. La France étant constituée en république par le vœu prononcé par vingt-cinq millions d’hommes et par toutes les sections du peuple, vous déclarez donc désirer que vous et votre fils vous existiez comme de simples particuliers dans la république, et qu’elle repousse loin de son territoire tous les ennemis qui l’ont attaquée ?
R. Je n’ai d’autre réponse à faire que celle que j’ai faite à la question précédente.
Lecture faite de l’interrogatoire et des réponses actuelles, la veuve de Louis Capet y a persisté, elle a approuvé la radiation et l’apostille faite à la fin de la seconde page, celles faites à la seconde ligne de la troisième page, deux interlignes à la troisième page, plusieurs mots rayés à la quatrième page, plusieurs mots à la septième et à la huitième, et elle a signé avec nous et avec le citoyen Cailleux, membre du corps municipal et administrateur de police présent à l’interrogatoire.
Marie-Antoinette, Amar, J. Sëvestre, Cailleux, Bax, secrétaire commis.
(1) On lit en marge, de la main de Fouquier-Tinville : « Le contraire est prouvé par la déclaration de Capet fils. »
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863

Les enquêteurs semblent tout ignorer de ce qui s’est passé la veille, pourtant bien plus grave que tout le reste. Ne les intéresse que cette histoire d’œillet. Marie-Antoinette nie tout. Sa seule préoccupation est le sort de Ses enfants et de ne compromettre ni Rougeville, ni Michonis, ni les gendarmes ni Marie Harel, ces derniers étant surveillés et tenus au silence dans Sa cellule.
Suit l’interrogatoire de la femme de chambre à son tour amenée :
Interrogatoire de la citoyenne qui est auprès de la femme veuve Louis Capet, ensuite des ordres de l’administration de police.
Interrogatoire de Marie Harel, le 3 septembre 1793
D. Comment vous appelez-vous?
R. Marie, femme Harel.
D. N’avez vous point vu venir un ci-devant chevalier de Saint Louis, accompagné d’un officier municipal ?
R. Je n’ai vu personne.
D. Ne connaissez-vous pas le citoyen Michonis?
R. Oui, je le connais.
D. Vous rappelez-vous le jour où il est venu ici ?
R. Non.
D. N’était-il pas accompagné de quelqu’un?
R. Il était seul.
D. Le citoyen Michonis n’est-il point venu, il y a quelques jours, accompagné de quelqu’un?
R. Oui, il y est venu accompagné d’un jeune homme que je ne connais pas.
D. Cet homme a-t-il parlé à la veuve Capet?
R. Il a resté à côté du gendarme et il n’a pas soufflé.
D. Le particulier qui était avec Michaudis (sic) a-t-il parlé à la femme Capet ?
R. Non.
D. Ne vous êtes-vous point aperçu que la présence de ce particulier avait causé de l’émotion à la veuve Capet?
R. Non : tous ceux qui entrent lui font de l’effroi : mais je ne m’en suis pas aperçue pour la personne dont il est question.
D. Comment était vêtu ce jeune homme?
R. Je ne peux pas bien dire comment.
D. Ne vous êtes-vous point aperçu que le même jour que ce jeune homme a été introduit avec Michonis, on ait fait parvenir un œillet à la femme Capet ?
R. Je n’ai pas vu ça.
D. Ne reçoit-elle pas des fleurs?
R. Oui.
D. Qui est ce qui les lui apporte?
R. Ce sont les gendarmes qui sont commis à sa garde.
D. Est-ce elle qui a demandé des fleurs?
R. Non.
D. Parmi les fleurs qui lui ont été présenté, y avait-il des œillets?
R. La plupart sont des œillets ; il y a de la tubéreuse et des juliennes.
D. Après que le jeune homme est sorti avec Michonis, la veuve de Louis Capet n’a-t-elle rien dit ?
R. Non, et les gendarmes m’ont demandé si ce n’était pas le fils de Michonis, et j’ai répondu que je n’en savais rien.
D. Pendant que Michaunis (sic) et ce particulier étaient dans l’appartement, n’étiez-vous pas occupée à faire une partie de cartes ?
R. Non.
D. N’avez vous jamais joué aux cartes avec aucun gendarme?
R. Oui, deux fois aux cartes avec des gendarmes dans l’appartement de la veuve Capet ?
D. Quels sont les gendarmes avec qui vous avez joué?
R. Avec le citoyen Gilbert.
D. Tandis que vous faisiez ces parties, ne vous êtes-vous point aperçue de quelque signe ou de quelque rapport entre Michonis et le particulier qui
l’accompagnait et la veuve Capet ?
R. Ce n’était pas ce jour là; car le jour où Michonis et le particulier dont vous me parlez sont venus, je ne jouais pas, j’étais à travailler.
D. Tandis que vous étiez à jouer aux cartes, n’est-il entré personne?
R. Les citoyens Jaubert et Michonis sont entrés.
D. Depuis que vous êtes avec la veuve Capet, n’êtes-vous point sortie de la maison ?
R. Non.
D. Ne vous êtes vous jamais apperçue qu’il y eut quelque intelligence entre quelque particulier que ce fut et la veuve Capet ?
R. Non.
D. Depuis que vous êtes avec la veuve Capet, ne vous a-t-elle pas parlé de sa position ?
R. Elle m’a parlé de ses enfants, et qu’on l’avait mortifiée au Temple.
D. N’avez vous jamais aperçu, se servir d’une épingle ou de quelque autre chose pour écrire?
R. Non, jamais.
D. Connaissez-vous tous ceux qui se sont présentés devant la veuve Capet ?
R. Non.
D. En connaissez-vous quelques-uns?
R. Je ne connais que les administrateurs et les secrétaires.
D. Est-il venu quelquefois avec les administrateurs et les secrétaires d’autres personnes qu’eux ?
R. Oui, une fois ou deux ; mais je ne connais pas les personnes et je ne peux pas dire quelles sont ces personnes.
Lecture faite de l’interrogatoire, a déclaré contenir vérité et a signé avec nous.
Harel, Amar, Cailleux, J. Sévestre, Bax, secrétaire commis.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p. 13-17.
Le moins que l’on puisse dire c’est que « la mouche » envoyée par Fouquier-Tinville n’est pas prête à enfoncer «l’Autrichienne ». Passer ses jours et ses nuits près d’Elle ont eu un sacré impact sur ses opinions.
Faut-il croire que Rosalie Lamorlière et à travers elle Lafont d’Aussonne ont menti sur le personnage ?
Arrive enfin le tour de Michonis, appréhendé lors d’un dîner en compagnie de Rougeville !
Interrogatoire du citoyen Jean-Baptiste Michonis.
Interrogatoire de Jean-Baptiste Michonis le 3 septembre 1793
D. Comment vous appelez-vous?
R. Jean-Baptiste Michonis.
D. Quel est votre état?
R. Limonadier, rue Dupuis, à la Halle.
D. Etes-vous venu quelquefois dans cette maison, auprès de la femme Capet ?
R. Tous les jours, ou presque tous les jours.
D. Quelles sont les fonctions qui vous ont amené dans cette maison ?
R. Administrateur de police, chargé de la partie des prisons.
D. N’y a t-il pas quelque jour que vous y êtes venu avec un chevalier de Saint Louis ?
R. Je n’en connais pas ; mais j’observe que différentes fois je suis venu avec plusieurs personnes que la curiosité avait amenées, et auxquelles je
n’aurais pas refusé de venir avec moi.
D. Parmi ces particuliers que vous y avez introduits, ne vous êtes vous point aperçu qu’il y en avait qu’un autre intérêt que la curiosité amenait?
R. Je vous assure que je n’en connais pas d’autres que ceux que la curiosité amenait.
D. Ces particuliers n’ont-ils jamais parlé à la veuve Capet ?
R. Non, jamais, à ma connaissance.
D. Quelques uns de ces particuliers n’ont-ils pas occasionné de l’émotion à la femme Capet?
R. Je ne m’en suis pas apperçu.
D. La femme Capet faisait-elle beaucoup d’attention aux personnes qui sont venues?
R. Je ne m’en suis pas aperçu.
D. Connaissez-vous tous ceux qui vous ont témoigné le désir d’être admis avec vous à visiter la femme Capet?
R. Oui je les connais et je vais tâcher de dire leurs noms, autant que je pourrai m’en souvenir.
1°Le citoyen Giroud maître de pension faubourg St-Denis ;
2° Le limonadier attenant la porte cochère faubourg St-Denis n° 10 ;
3° Un des commis qui demeure rue de la Juiverie et qui travaille à la comptabilité, dont j’ignore le nom ;
4° Un autre; peintre dont je ne me rappelle pas le nom, et différentes autres personnes non connues qui me témoignant le désir de m’accompagner à la Conciergerie y sont venues avec moi parce qu’ils savaient que j’étais chargé de la partie des prisons et à plusieurs reprises différentes je les ai
amenées.
D. En quel nombre les avez-vous introduites?
R. Je n’en ai jamais amené qu’un seul à la fois, et toujours en la présence du concierge et de son épouse.
D. Combien y a-t-il de temps que vous venez dans cette maison voir la veuve Capet ?
R. Depuis sa sortie du Temple.
D. L’avant-dernière fois que vous êtes venu n’étiez-vous pas accompagné d’un particulier à vous inconnu?
R. Oui, il m’était inconnu.
D. Pouvez-vous dépeindre la tournure, l’habit, la taille et la figure de ce particulier ?
R. Il avait un habit gris, un visage grêlé, âgé de 30 à 40 ans, de la taille de 5 pieds un ou deux pouces.
D. Où avez vous trouvé ce particulier?
R. Chez le citoyen Fontaine ci-devant marchand de bois, rue de l’Oseille au Marais.
D. Ce particulier vous fit-il beaucoup d’instances pour venir avec vous ?
R. Il me dit qu’il aurait un plaisir infini de la voir.
D. Quel est l’état de ce particulier?
R. Il vit de son bien.
D. Savez-vous son nom ?
R. Non, mais je me charge de vous le dire.
D. Quel jour ce particulier s’est-il rendu à la Mairie pour venir avec vous voir la veuve Capet ?
R. Jeudi ou vendredi dernier.
D. Vous rappelez-vous l’époque ou il vous fit la demande chez le citoyen Fontaine de venir avec vous ?
R. Il y a environ quinze jours.
D. Vous fit-il cette demande tout haut ?
R. En présence de tout le monde, il y avait même trois députés à la Convention dont j’ignore le nom.
Fait et après lui avoir fait lecture de l’interrogatoire et des réponses, a déclaré contenir vérité, et a signé avec nous.
Michonis, Amar, Cailleux, J. Sévestre, Bax, secrétaire commis.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p. 17-21.
Jusqu’où est allée la complicité de Michonis ? Est-ce lui qui a signalé à Rougeville que les gendarmes de garde auprès de Marie-Antoinette ont l’habitude de Lui offrir de nombreuses fleurs, dont des œillets ?
Il est impossible de penser qu’il ne connaissait pas son nom après trois dîners en sa compagnie !
Les enquêteurs continuent leur mission :
« Et de suite avons donné, l’ordre signé de nous avec l’empreinte du sceau du comité, à un des gendarmes de service d’amener le citoyen Fontaine, rue de l’Oseille au Marais, pour répondre sur les interrogatoires qui lui seront faits, et en attendant qu’il paraisse , nous avons continué nos interrogatoires ainsi qu’il suit.»
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p. 22.

Le gendarme Gilbert est à son tour interrogé.
Interrogatoire du citoyen Gilbert gendarme national.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p. 22-26.
D. Comment vous appelez-vous, et quelle est votre profession ?
R. Gilbert, gendarme national auprès des tribunaux.
D. Est-ce vous qui avez écrit au citoyen Dumesnil votre lieutenant colonel pour lui dénoncer l’entrevue d’un particulier avec la veuve Louis Capet à laquelle il a du remettre un œillet dans lequel était un billet?
R. Oui.
D. Récitez-nous les circonstances particulières de ce fait, telles que vous les avez vues ?
R. Le citoyen Michonis est venu avec un particulier il y a quelque jour et c’est son avant-dernière visite auprès de la veuve Capet ; le citoyen Michonis lui a donné des nouvelles de sa famille, et pendant ce temps le particulier s’est approché de la femme de chambre qui était en face de la veuve Capet, à laquelle il a fait signe qu’il laissait tomber un œillet, laquelle veuve Capet n’ayant pas paru comprendre le signe, il s’approcha d’elle, et lui dit à voix basse de ramasser l’œillet qu’il avait laissé tomber à côté du poële derrière la femme de chambre, et elle l’a ramassé aussitôt. Je déclare que la veuve Capet m’a elle même avoué ce que je viens de dénoncer, ne m’étant aperçu ni du signe, ni entendu les propos du particulier.
Michonis et ce particulier étant sortis, la veuve Capet me dit à moi : « Voyez comme je suis tremblante; ce particulier que vous venez de voir est un ci-devant chevalier de St-Louis, employé aux armées, auquel je suis redevable de ne m’avoir pas abandonné dans une affaire : Vous ne vous douteriez pas de la manière dont il s’y est pris pour me faire passer un billet ; il m’a fait signe de l’œil et ne comprenant pas ce qu’il voulait exprimer, il s’est approché de moi, et m’a dit à voix très basse : «Ramassez donc l’œillet qui est à terre et qui renferme mes vœux les plus ardents, je reviendrai vendredi. Après m’avoir ainsi parlé, je me suis baissée et j’ai relevé l’œillet qui m’était indiqué, dans lequel, j’ai trouvé le billet qui renfermait le désir sincère du particulier. »
Le déposant ajoute qu’il a vu en effet la veuve Capet se baisser, mais que ne prévoyant pas quelle en était la cause ni le motif, il ne vit rien en elle qu’une très vive émotion, son visage changé de couleur et ses membres tremblants ; un instant après Michonis et le particulier qui était venu avec
lui se disposant à sortir, la veuve Capet lui dit : « Je vous fais donc un adieu éternel », à cela Michaunis (sic) répondit : _Point du tout, si je ne suis plus administrateur de la police, étant officier municipal, j’aurai le droit de venir et de vous faire visite tant qu’elle vous sera agréable. »
Michaunis (sic) sortit avec le particulier et ce fut alors qu’elle me montra un billet qu’elle avait piqué et dont les pointes formaient deux ou trois lignes d’écriture ; elle me dit : « Voyez je n’ai pas besoin de plume pour écrire. »
Elle ajouta que c’était une réponse pour remettre le vendredi suivant à celui qui avait donné le billet inséré dans l’œillet. La femme de chambre qui était sortie quelque temps auparavant pour aller chercher de l’eau, étant rentrée pendant que la veuve Capet achevait sa phrase. Je pris le billet qu’elle avait pointé et je le mis dans ma veste, et je sortis sur le champ pour aller trouver la femme du concierge à qui je dis que j’avais quelque chose à lui confier, et la tirant à l’écart je lui remis le billet piqué en lui racontant ce qui venait de se passer comme je viens de le déclarer ci dessus, en lui recommandant de ne pas égarer ce billet et elle le ferma sur le champ dans son portefeuille.
Je lui recommandai encore d’en instruire le citoyen Michonis et elle m’a dit l’avoir fait et que Michonis lui avait répondu de laisser cela, que désormais il n’amènerait plus personne avec lui.
Le déposant ajoute que le lendemain du jour où il fit la remise du billet à la femme du concierge, la veuve Capet continua comme elle l’avait fait la veille de lui redemander son billet et qu’il lui répondit, qu’il était tombé entre les mains de la femme du concierge qui le lui avait pris dans sa poche avec plusieurs autres papiers, afin de me débarrasser de ses persécutions.
D. Les officiers municipaux ou administrateurs de police ont-ils amené beaucoup de monde avec eux dans la chambre de la veuve Capet toutes les fois qu’ils sont venus ?
R. Plusieurs sont venus à différentes reprises avec une quelquefois et même trois personnes que je présume être des fonctionnaires publics.
Lecture faite du présent interrogatoire a déclaré contenir vérité et a signé avec nous.
Et avant de signer, ayant demandé au déposant si la veuve Capet ne lui avait point fait part du con- tenu du billet qui lui avait été remis par le citoyen qui était venu avec le citoyen Michaunis (sic)?
Le déposant a répondu que la veuve Capet lui avait déclaré à lui et à son maréchal des logis que le billet était conçu à peu près en ces termes : « Ma protectrice, je ne vous oublierai jamais, je chercherai toujours les moyens de pouvoir vous marquer mon zèle, si vous aviez besoin de trois cents louis, je suis prêt à vous les offrir.»
Telles sont les dépositions du citoyen Gilbert qui a signé avec nous.
Gilbert, Amar, Caillieux, J. Sévestre , Bax, secrétaire commis.
S’il s’agit de ce gendarme, pourquoi ne pas se donner le beau rôle en disant qu’il a évité un drame la veille ? Il se contente juste de relater les faits du 28 août.
L’enquête se poursuit.
Nous, commissaires, après avoir pris les réponses de la veuve Louis Capet, de sa femme de chambre, du citoyen Michaunis [sic] nous les avons fait passer chacun séparément dans un appartement voisin, sans aucune communication entre eux.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p. 26-28.
Interrogatoire du citoyen Fontaine.
D. Comment vous appelez-vous?
R. Pierre Fontaine, demeurant rue de l’Oseille au Marais comparaissant ensuite de la réquisition que vous m’avez faite de me rendre auprès de vous.
D. N’avez-vous pas eu à diner chez vous, il y a environ quinze jours, dix à douze citoyens, au nombre desquels était le citoyen Michonis ?
R. Oui.
D. Connaissez-vous le nom de tous les particuliers qui étaient à diner chez vous et surtout d’un ci-devant chevalier de Saint Louis?
R. J’ai connu un particulier qui m’a été amené par une femme nommée Dutilleul qui a dîné chez moi deux ou trois fois avec ce particulier lequel elle m’a dit se nommer de Rougeville demeurant avec elle à Vaugirard presque vis-à-vis l’église à droite en y allant par les boulevards.
D. Avez-vous quelque relation avec ce particulier?
R. Aucune.
D. Combien avez-vous diné de fois chez lui?
R. J’y ai diné trois fois, et la dernière dimanche dernier avec deux femmes, l’une marchande, près la Porte Saint Denis, et l’autre dont je ne sais pas également le nom, et qui demeure rue Philipaux.
D. Avez-vous parlé de nouvelles et d’affaires relatives à la Révolution ?
R. Nous en avons parlé indifféremment.
D. Savez-vous dans quel corps a servi le nommé Rougeville et en quelle qualité?
R. Je n’en sais rien du tout.
D. Comment aves vous su qu’il était chevalier de Saint Louis?
R. Par la citoyenne Dutilleul.
D. La maison où demeure le nommé Rougeville avec la citoyenne Dutilleul est-elle toute entière occupée par eux?
R. Oui, ils occupent toute la maison et un jardin.
D. Y a-t-il plusieurs domestiques dans cette maison?
R. Je ni ai vu la dernière fois qu’une femme pour servir et une autre vieille employée au jardin.
D. Y a-t-il longtemps que le citoyen Michaunis et le particulier nommé Rougeville se sont trouvés ensemble chez vous ?
R. Ils y ont diné aujourd’hui.
D. Savez vous si ce particulier est actuellement à Paris?
R. Je le présume sans l’assurer qu’il doit coucher cette nuit à Paris, ayant déclaré en ma présence ainsi que la femme Dutilleul qu’ils avaient des affaires à Paris et qu’ils feraient aussi bien d’y rester.
Telles sont les réponses qu’il nous a déclaré contenir vérité et a signé avec nous après lui avoir lu son interrogatoire.
Fontaine, Amar, Caillieux, J. Sévestre , Bax, secrétaire commis.
Les enquêteurs ont donc appréhendé deux hommes, à plusieurs minutes d’intervalle, qui tous deux dînaient avec l’âme du complot, Rougeville !

Celui-ci a sûrement dû bien s’amuser en voyant par deux fois défiler les gendarmes et ne jamais s’en inquiéter. Constatons aussi que les enquêteurs n’ont pas l’air de s’émouvoir le moins du monde en s’apercevant que Rougeville leur a échappé de bien peu !
Ils préfèrent s’occuper des gendarmes en poste dans la prison prêts à déposer ce qu’ils ont vu ou entendu.
Le premier d’entre eux est le gendarme Lebrasse, trente et un ans, en poste à la Conciergerie et qui fut de ceux accompagnant Louis XVI à l’échafaud.
Interrogatoire du citoyen Jean Alaurice François Lebrasse, officier de la gendarmerie nationale et commandant de poste à la Conciergerie.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p.28-30.
D. Comment vous nommez-vous ?
R. Jean Maurice François Lebrasse.
D. N’avez-vous aucune connaissance de faits relatifs à l’entrevue d’un particulier qui a été introduit par le citoyen Michonis dans l’appartement de la veuve Capet?
R. Qu’il a eu connaissance de l’affaire dont il est question que par un officier de son corps nommé Adené, que le citoyen Gilbert avait chargé d’aller chez le colonel pour l’engager à se rendre à la Conciergerie, et qu’il ne s’y était pas rendu ; que l’importance de l’affaire ayant paru mériter le plus grand intérêt, et craignant que si le peuple en avait connaissance, il pourrait avec raison être alarmé qu’on n’y donnat pas plus de suite, il s’était déterminé à se présenter chez le citoyen Chabot accompagné de deux de ses camarades pour lui découvrir ce qu’il savait d’une conspiration qui pouvait avoir les suites les plus sérieuses, puisque ce particulier avait trouvé le moyen de parler à la veuve Capet et de lui remettre un billet ; que la négligence de ceux qui avaient connaissance de cette affaire lui a paru
inexcusable.
Tel (sic) est sa déposition et a signé
Lebrasse, Amar, Caillieux, J. Sévestre , Bax, secrétaire commis.
Là encore, rien de rien sur la veille.
Il était temps de se préoccuper des gendarmes ayant eu ordre de récupérer Fontaine et Michonis :
Déposition du citoyen Perrey, gendarme national, qui déclare qu’étant allé conformément à nos ordres chercher le citoyen Fontaine, ce particulier étant dans la voiture avec lui, lui a dit qu’il se doutait bien pourquoi il était mandé, que c’était relativement à la veuve Capet, mais qu’il n’avait rien à dire et a signé.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p.30-31.
Perrey, Amar, Caillieux, J. Sévestre , Bax, secrétaire commis.
Du coup, Fontaine est de nouveau entendu, les enquêteurs pouvant à juste titre estimer qu’il ne leur a pas tout dit.
Second interrogatoire du citoyen Fontaine.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p.31-32.
D. Ayant été appelé auprès de nous, comment avez-vous pu soupçonner de quelle affaire il était question en disant : « Ah ! je sais bien ce que c’est. » ?
R. Parce que vous m’avez parlé de chevalier de Saint Louis et que cela m’a mis sur la voie.
D. Avez-vous quelque connaissance que le nommé Rougeville ait eu des relations avec la veuve Capet ?
R. Aucune du tout.
D. Pourquoi donc venant ici accompagné d’un gendarme, avez-vous dit : « Je sais bien de quoi il est question; c’est relativement à la veuve Capet; mais je n’ai rien à dire. » ?
R. Qu’il n’a entendu parler que de la citation de la veuve Capet au tribunal criminel.
D. Quel est le signalement du nommé de Rougeville ?
R. C’est un petit homme de cinq pieds un pouce, marqué de petite vérole, ayant peu de cheveux sur le haut de la tète, portant des boucles pendantes, un habit rayé boue de Paris, cheveux châtains, pale, teint clair, visage un peu rond.
Et a signé avec nous.
Fontaine, Amar, Caillieux, J. Sévestre , Bax, secrétaire commis.
C’est ensuite le tour du deuxième gendarme de garde chez Marie-Antoinette.
Déclaration du citoyen François Defraisne maréchal des logis de la gendarmerie nationale près les tribunaux, de garde dans l’appartement de la veuve Capet.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p. 33-35.
D. Avez-vous connaissance d’une visite rendue il y a quelque jour par le citoyen Michonis accompagné d’un autre à la veuve de Louis Capet ?
R. Oui.
D. Pourriez-vous nous raconter les circonstances particulières de cette entrevue et ce qui vous a été dit à ce sujet par la veuve de Louis Capet?
R. Le citoyen Michonis est venu avec un particulier à moi inconnu ils se sont approchés tous les deux de la table qui était devant elle, elle a demandé à Michaunis des nouvelles de ses enfants, il lui a répondu qu’ils se portaient bien ; alors j’ai remarqué une grande agitation sur le visage et dans les membres de la veuve Capet, les larmes lui ont tombé des yeux, un grand feu lui était monté au visage, dans cet état, elle s’est retirée un peu en dedans du paravent; elle a parlé à Michonis, et l’autre particulier était derrière Michaunis. Je n’ai pu entendre bien distinctement ce qu’ils disaient. Après cette conversation, Michaunis s’est retiré avec le particulier.
Mon camarade m’ayant déclaré que la veuve Capet lui avait fait un aveu relatif à l’entrevue du particulier introduit dans son appartement par Michaunis, j’en ai eu moi-même la preuve, parce que je lui ai entendu faire le même aveu qu’elle avait fait à mon camarade, savoir que ce particulier était un chevalier de Saint Louis qui lors de l’affaire du vingt juin, ne l’avait pas quittée, qu’il avait laissé tomber un œillet dans lequel était renfermé un billet et qu’elle ne s’en serait pas aperçue sans le signe qu’il lui fit de le relever; que ce billet contenait une offre en louis qu’il avait à son service, et qu’elle avait répondu en piquant un papier avec une épingle ce qui formait des lettres.
Mon camarade m’a dit devant la veuve Capet qu’il avait mis ce billet dans sa poche au moment où la femme de chambre rentrait, et qu’étant sorti, la femme du concierge lui avait mis la main dans ses poches et lui avait pris ses papiers parmi lesquels se trouvait ce billet ; moyen dont il m’a avoué s’être servi pour empêcher la veuve Capet de continuer ses instances pour le réavoir, et qu’il l’avait remis à la femme du concierge.
J’ajoute que ce soir où la veuve Capet s’est retirée après avoir été interrogée, elle a dit devant mon camarade et devant moi qu’elle avait craint que le particulier ne fut aperçu par nous. Versant des larmes elle nous a engagé de ne pas répéter ce qu’elle nous avait confié à cet égard.
Tels sont les dépositions qu’il a déclaré contenir vérité, et a signé avec nous.
Desfresnes, Caillieux, J. Sévestre , Bax, secrétaire commis.
Lui non plus ne dit rien de ce qui s’est passé la veille. Il pourrait très bien être ce gendarme qui a empêché de mener à bien l’action envisagée. Pourquoi se taire ? Crainte d’avouer avoir été corrompu par Rougeville ? Cependant sa récompense d’avoir probablement sauver la république mérite tous les sacrifices !
Les supposés complices continuent à être interrogés.
Interrogatoire de la citoyenne Richard, femme du concierge de la maison où nous sommes.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p. 35-37.
D. Comment vous nommez-vous?
R. Marie Richard, femme du concierge.
D. Avez vous quelque rapport avec la veuve de Louis Capet?
R. Non.
D. Savez vous des moyens qu’on employé pour
lui parler ?
R. Je n’en connais aucun.
D. N’avez vous pas connaissance qu’un particulier l’aie vue avec le citoyen Michaunis?
R. Je ne m’en suis pas aperçue.
D. N’êtes vous pas dépositaire d’un papier qui vous a été remis par un gendarme, lequel était piqué et venait de la veuve Capet?
R. Que Gilbert, l’un des gendarmes commis à la garde de la veuve Capet, m’a remis ce papier et qu’il m’a recommandé de le remettre au citoyen Michaunis, en m’avertissant que les personnes qu’il amenait ici, pouvaient me compromettre, et de suite j’ai remis le papier au citoyen Michaunys qui est venu ici le même jour et presque dans le même moment.
Lecture faite de l’interrogatoire et des réponses, a signé :
Femme Richard, Amar, Caillieux, J. Sévestre , Bax, secrétaire commis.
Il est temps de réécouter Michonis qui continue à endosser son rôle d’idiot de service mais pour qui Marie-Antoinette semble porter une grande estime.
Second interrogatoire du citoyen Michaunis.
D. Avez vous connaissance du billet qui a été remis par Gilbert gendarme à la concierge?
R. Oui.
R. Où est ce billet?
R. Le voici tel que la citoyenne Richard me l’a remis.
D. Savez-vous d’où venait ce billet?
R. J’ai l’honneur de vous observer que c’est madame Richard qui me l’a remis, je n’en sais pas d’avantage.
D. Quel jour vous a-t-on remis ce billet?
R. Le lendemain ou le surlendemain du jour où je suis entré avec un particulier dont il a été déjà parlé dans mon précédent interrogatoire.
D. Vous avez déclaré que vous n’étiez jamais venu ici qu’avec une seule personne à la fois, et cependant il est établi que vous avez introduit deux ou trois personnes à la fois?
R. Cela peut être.
D. Vous avez déclarez que vous ne connaissiez pas particulièrement celui que vous avez introduit dans l’appartement de la veuve Capet, et il est appris que vous vous trouvez assez fréquemment avec lui,
et qu’aujourd’hui encore vous avez diné ensemble chez le citoyen Fontaine?
R. J’ai été à trois heures chez le citoyen Fontaine, et j’ai trouvé le particulier dont il est question à table.
D. Comment est-il possible que vous ignoriez le nom, tandis que vous l’avez vu plusieurs fois?
R. Je vous jure que je ne le sais pas.
D. N’avez vous point eu de relation particulière avec lui ou des conversations particulières pendant le temps où vous l’avez vu chez le citoyen Fontaine?
R. Je n’ai jamais eu de conversation particulière et secrète avec lui, car je ne le connais pas et nous nous sommes vus que publiquement que devant tout le monde qui était là.
D. Dans les discours qu’a pu tenir ce particulier n’avez vous pas soupçonné que c’était un contre révolutionnaire ou un homme incivique?
R. Je ne l’ai jamais entendu rien dire, et il n’a parlé que des choses générales, et s’il avait dit quelque chose de contraire à la révolution, je ne l’aurais pas souffert.
D. Comment donc, ne connaissant pas le caractère de cet homme, avez-vous commis l’imprudence de le mener aussi légèrement dans un lieu où il ne doit entrer que les fonctionnaires publics à qui la surveillance de la veuve Louis Capet spéciale est confiée ?
R. J’ai fait la même chose pour lui, comme j’ai fait pour les autres, et je ni ai pas mis de difficulté attendu que la surveillance est fort bien établie auprès de la veuve Capet.
D. Vous venez de dire que vous avez reproché à ce citoyen de vous avoir compromis, comment et de quelle manière avez vous su qu’il vous avait compromis?
R. Parce que madame Richard m’a dit que c’était un chevalier, qu’il y avait eu un billet qu’elle avait déposé entre mes mains.
D. Comment, sachant que ce particulier vous avait compromis et vous étant trouvé avec lui, vous fonctionnaire public, ne vous êtes vous pas informé du nom et de la demeure de celui qu’on vous avait dit être un chevalier?
R. Comme je ‘n’ai pas mis d’importance à la chose, et que j’ai cru que c’était une affaire finie, je n’ai mis aucune suite à cet objet parce qu’il ne m’a pas paru en mériter.
D. Nous vous observons que lorsque la citoyenne Richard vous remit le billet qui venait de la veuve Louis Capet, vous lui répondîtes qu’il fallait laisser cela, et n’en point parler ; désavouez-vous ce fait ?
R. Je conviens lui avoir dit ce que vous répétez, parce que en effet je n’y attachais aucune importance.
D. La citoyenne Richard, en vous déposant ce billet qu’elle était chargée de vous remettre, ne vous a-t-elle point dit que ce billet venait de la femme Capet et qu’il était destiné à ce chevalier dont il est question?
R. Elle ne m’a pas dit qu’il était destiné à ce chevalier.
D. N’était-il pas de votre devoir, sachant que ce billet venait de la femme Capet et qu’il était écrit avec une épingle, de vous informer à qui il était destiné et de ce qu’il contenait, et n’était-il pas bien probable qu’en se plaignant de l’entrée ici de ce particulier, à l’instant même où on vous remettait ce billet vous deviez soupçonner que c’était à lui qu’il pouvait être adressé et qu’il y avait là nécessairement une intrigue et qu’il importait à l’intérêt public de la dévoiler. Comment donc, vous trouvant avec ce particulier n’avez-vous pas fait toutes les poursuites qu’une affaire aussi sérieuse exigeait d’un fonctionnaire public ?
R. Je vous réitère que j’ai mis si peu d’importance à la chose, et que j’ai cru qu’elle était finie.
D. Vous convenez que madame Richard vous a prévenu que l’homme que vous aviez amené avec vous auprès de la veuve Capet était une chevalier, vous avez senti l’inconvénient et le danger de l’avoir admis, vous lui en avez fait des reproches aujourd’hui, donc vous avez senti qu’un homme pareil était suspect, il faut donc être ou bien aveuglé ou bien indifférent sur ses devoirs pour n’avoir pas fait arrêter cet homme immédiatement après la rémission du billet que vous a fait madame Richard?
R. Je vous observe que j’ai regardé la chose comme non avenue et comme finie et ne devant pas avoir de suites, et la chose en est si vraie que je me suis trouvé aujourd’hui sans le savoir puisqu’il est vrai que je ne lui ai pas remis le billet.
D. Sur notre interpellation qui vous a d’abord été faite de déclarer si vous n’avez pas demandé à ce particulier si c’était à lui qu’était destiné le billet, vous avez répondu négativement, et cependant vous venez de nous dire que parmi les reproches que vous lui avez adressés vous n’avez pas oublié celui que ce billet pouvait être pour lui ?
R. J’ai reproché à ce particulier qu’il avait manqué de me mettre dans le plus grand embarras et qu’il était assez à présumer que le billet qu’on m’avait remis pouvait être destiné pour lui.
D. Quelles ont été les réponses de ce particulier à vos reproches ?
R. Il m’a dit qu’il en était bien fâché et qu’il ne l’avait pas fait dans cette vue là.
D. Connaissez-vous le domicile de cet homme ?
R. Oui, citoyen, il demeure à Vaugirard, chez la citoyenne Dutilleul.
D. Savez-vous son nom ?
R. Je ne le sais pas et je ne l’ai jamais su.
D. Nous vous observons qu’ayant mangé plusieurs fois avec lui chez le citoyen Fontaine que vous connaissez; que sachant le nom et la demeure de la femme chez laquelle il est logé il est bien étonnant que vous ne sachiez pas son nom que toutes les probabilités annoncent devoir vous être connu.
R. Je réponds que je ne le sais pas.
D. Vous n’avez donc pas entendu prononcer son nom chez le citoyen Fontaine, et malgré l’intérêt que vous deviez avoir à le connaitre, puisque cet homme vous avait compromis, comment n’avez-vous pas cherché à le savoir ?
R. Je fais la même réponse que j’ai faite auparavant, et je ne croyais pas qu’il fut important pour moi de l’apprendre, puisque je n’attachais aucune importance à cette affaire.CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p.37-43.
Lecture faite du présent interrogatoire et des réponses, a déclaré contenir vérité et y persister, et nous commissaires avons annexé le billet piqué avec une épingle au présent interrogatoire, observant qu’il ne nous parait présenter aucune lettre, ni liaison d’aucun mot, et que nous nous réservons de vérifier par preuve et autres témoignages, si c’est le même billet qui a été remis successivement par la veuve de Louis Capet au gendarme Gilbert, par celui-ci à la femme du concierge, et enfin par cette dernière au déposant qui a signé avec nous.
Michonis, Amar, Caillieux, J. Sévestre , Bax, secrétaire commis.
Nous avons fait appeler la citoyenne Richard, lui avons présenté le billet, et elle a reconnu que c’était le même qu’elle a remis au citoyen Michonis et a signé avec nous.
Femme Richard
Le citoyen Gilbert appelé pour reconnaitre le billet, l’a également reconnu et a signé, il a déclaré que la veuve Capet vient de lui demander si le chevalier de Saint Louis dont il a été question dans toutes les dépositions ci- dessus a été arrêté, il lui a répondu qu’il n’en savait rien et a signé.
Gilbert »
Marie-Antoinette n’a qu’un seul souci lors de cette journée terriblement éprouvante pour Elle : espérer que le chevalier de Rougeville n’a pas été arrêter à cause d’Elle. Marie-Antoinette est prête à se sacrifier pour les personnes qui Lui sont dévouées. Même pour celui qui ne fut finalement pour Elle qu’un simple garde du corps particulièrement zélé.

A une heure certainement avancée de la nuit (les enquêteurs sont arrivés à quatre heures de l’après-midi à la Conciergerie), Marie-Antoinette est de nouveau écoutée.
Second interrogatoire de Marie Antoinette veuve Capet.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p.43-49.
Nous avons acquis par les dépositions et par les pièces de conviction qui sont entre nos mains, que dans les faits sur lesquels nous vous avons interrogée et que vous avez niés, vous avez dit faux?
R. Donnez-moi la preuve.
D. On vous a demandé s’il n’y avait pas quelque jour que vous aviez vu un ci-devant chevalier de Saint Louis que vous aviez reconnu, vous avez dit non ?
R. Me rappelant le jour qu’il est venu, je l’ai connu.
D. Nous vous avons demandé si le même homme ne vous avait pas fait tenir un œillet, vous avez répondu non, le contraire a déposé que oui ?
R. Je réponds que la seconde fois qu’il est rentré dans ma chambre, j’ai appris qu’il y avait un œillet, je ni avais pas fait assez d’attention pour m’en être aperçue.
D. Vous convenez donc qu’il y en avait un?
R. Oui.
D. Vous avez nié d’avoir pris et ramassé un billet qui était dans l’œillet?
R. Je l’ai pris et ramassé.
D. Que contenait ce billet?
R. Des phrases vagues : « Que prétendez-vous faire, que comptez-vous faire, j’ai été en prison, je m’en suis tiré par un miracle; je viendrai vendredi. »
D. Etait-ce la première ou la seconde fois que vous l’avez vu?
R. Je ne l’ai reconnu que cette seule fois, et s’il y était venu auparavant, je ne l’aurais pas reconnu.
D. Ce billet ne contenait-il pas autre chose et ni avait-il point d’offre ?
R. Il y avait un offre d’argent ; mais je n’en ai pas besoin et je n’en accepterai de personne.
D. Il paraît que vous avez reconnu cet homme ; savez-vous son nom?
R. Je me rappelle dé l’avoir vu souvent, mais je ne sais pas son nom ?
D. Dans quelle occasion l’avez-vous connu?
R. Je l’ai vu aux Tuileries.
D. N’y a-t-il pas une époque remarquable où vous avez fait plus d’attention de lui ?
R. Oui, à l’époque du 20 juin 1792, il était dans la même chambre où j’étais.
D. Y resta-t-il longtemps ?
R. Tout le temps que j’y ai été.
D. D’où venaient les craintes que vous avez eues qu’il ne fut reconnu ?
R. Que tout homme qui vient ici peut se compromettre.
D. Ce même homme vous parla-t-il à l’époque du 20 juin?
R. Il me parla comme tout le monde ; il y avait huit à dix personnes : c’était dans le moment où j’étais encore renfermée.
D. Que vous dit-il alors ? Ne vous parla-t-il point des événements?
R. Je ne m’en rappelle pas du tout; je n’étais occupée que de mes enfants et de ce qui m’était cher dans le château.
D. Cet homme vous a-t-il demandé quelque faveur, quelque grâce?
R. Du tout.
D. Pourquoi vous appelle-t-il sa protectrice dans le billet qu’il vous a écrit?
R. Cela n’y était pas.
D. Qu’est devenu ce billet ?
R. Je l’ai déchiré en mille petits morceaux.
D. Avez-vous répondu à ce billet?
R. Répondu, non.
D. Si vous n’avez pas répondu, vous avez écrit, du moins. Que contenait cet écrit ?
R. Avec une épingle, j’ai essayé de marquer : « Je suis gardée à vue, je ne parle ni n’écris. »
D. Reconnaitriez-vous le papier s’il vous était présenté ?
R. Oui.
D. Est-ce ce billet là ?
R. (Après l’avoir considéré.) Oui, c’est le même.
D. Cet homme vous adressa-t-il quelque parole?
R. Des mots vagues.
D. Vous rappelez-vous de ces mots?
R. Dans le moment ou je parlais de sensibilité, il me dit : « Le cœur vous manqua-t-il » ? et je répondis : «Il ne me manque jamais, mais il est profondément affligé. »
D. Cet homme ne versa-t-il pas des larmes?
R. Il pouvait être touché, il pouvait en faire semblant.
D. L’administrateur Michaunis vous a-t-il fait quelque proposition?
R. Jamais.
D. Pourquoi témoignez-vous tant d’intérêt de le revoir ?
R. Parce que son honnêteté et son humanité vis-à-vis de ceux même qui sont malheureux m’avait touchée.
D. Cet intérêt semblerait cependant avoir un autre motif et provenir de ce qu’il avait introduit dans votre appartement un homme qui vous offrait des services ?
R. Il est à croire que Michaunis ne le connaissait pas lui-même ; quant au même l’intérêt, je le lui avais témoigné à l’époque de sa nomination à la municipalité.
D. Ce même homme n’était-il point un de ceux qui a servi dans la journée du dix août?
R. Non, je ne l’y ai pas vu.
D. Ne l’aviez-vous point vu du temps que vous étiez au Temple ?
R Du tout, il n’y venait que des membres de la commune.
D. N’y avez-vous pas vu Manuel?
R. Il y est venu trois fois à ce que je crois.
D. N’avez vous eu aucune relation à l’époque du dix août avec des députés de l’Assemblée législative ?
R. Non.
D. Etiez-vous instruite à l’époque d’avant le dix août des affaires politiques ?
R. Je n’en savais que ce que m’en disait la personne à laquelle j’étais uniquement attachée ?
D. Vous faisait-elle part de ses projets?
R. Elle me disait ce que sa confiance lui faisait dire.
D. Approuviez-vous ces projets?
R. Tout ce qui pouvait tendre à la tranquillité de tous était son vœu et le mien.
D. Si tels étaient vos sentiments, pourquoi n’avez-vous pas puni de la manière la plus exemplaire ceux qui en votre nom et pour vous, ont insulté dans le château des Tuileries des soldats fédérés qui chantaient Veillons au salut de l’Empire?
R. Je ne connais pas ce détail là : je jouissais de sa confiance, je partageais vivement ses peines et je ne pressais ni ne demandais de punition.
D. Comment se peut-il que si tout le bonheur du peuple était l’unique objet de vos vœux, le peuple était si malheureux, si constamment vexé et tyrannisé par les perfidies de la cour et les trahisons du ministère ?
R. Il y a eu beaucoup de trahison ; je ne suis pas à même de les connaître ni de les dire ; ce que je sais, c’est que son cœur ne voulait que le bonheur.
Avant de terminer nos interrogatoires, la déposante déclare que si d’abord elle n’a pas dit la vérité, c’est qu’elle n’a pas voulu compromettre ce particulier, et qu’elle préférait de se nuire à elle- même; mais que voyant la chose découverte, elle n’a pas alors balancé à déclarer ce qu’elle savait.
Telles sont les dépositions et déclarations, et a signé avec nous.
Marie-Antoinette, Amar, Caillieux, J. Sévestre , Bax, secrétaire commis.

Le 4 septembre 1793
Les interrogatoires ont duré si longtemps que nous sommes déjà le lendemain lorsque les enquêteurs écrivent :
« Et attendu les faits résultant et réponses dont aux interrogatoires ci-dessus, avons arrêté provisoirement, sauf l’approbation, pour la réformation, du Comité de Sûreté Générale : Le citoyen Michaunis sera conduit à la Conciergerie pour y demeurer jusqu’à ce qu’autrement soit ordonné.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p. 49-50.
Fait et arrêté à la Conciergerie, ce 4 septembre, à sept heures et demi du matin, l’an deux de la République une et indivisible.
Et nous avons fait expédier un double du présent arrêté.
Amar, Caillieux, J. Sévestre , Bax, secrétaire commis.»
Le même jour Sophie Dutilleul est à son tour arrêtée. Elle passe par le comité de sûreté général de la Convention avant de se retrouver devant le tribunal révolutionnaire.
Du 5 septembre 1793, l’an second de la République française, une et indivisible.
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p.50-53.
D. Comment vous nommez-vous?
R. Sophie Le Bon, veuve Dutilleul.
D. Quel âge avez-vous ?
R. Vingt-trois ans, je suis née à Paris, paroisse Saint-Eustache.
D. Quel est votre état?
R. Je n’en ai pas.
D. Y a-t-il longtemps que vous connaissez le nommé Rougeville ?
R. Environ huit mois.
D. Quel âge a Rougeville, d’où est-il, quel est son état, et que faisait-il dans l’ancien régime ?
R. Il a trente-trois ans, il est d’Arras, il était dans la maison militaire du ci-devant Monsieur, aujourd’hui il n’a plus d’état.
D. Connaissez-vous le nommé Fontaine, y a-t-il longtemps que vous le connaissez et Rougeville est-il très lié avec lui?
R. Je connais Fontaine depuis un an à peu près, et Rougeville ne le connait que depuis qu’il a été mis aux Madelonnettes. J’ai connu Fontaine chez la citoyenne Étienne qui tient l’hôtel, ci-devant Dauphin, des Quatre-Fils, rue des Quatre-Fils, près l’hôtel Soubise.
D. Y a-t-il longtemps que vous n’avez vu le nommé Paumier neveu de Fontaine?
R. Je ne le connais pas.
D. Connaissez vous la citoyenne Bridau maitresse de Paumier?
R. Non.
D. Rougeville vous a-t-il parlé quelquefois de la ci-devant reine?
R. Indifféremment.
D. Vous a-t-il témoigné le désir de voir la ci-devant reine dans sa prison ?
R. Jamais.
D. Rougeville avait-il de grandes liaisons avec Michonis ?
R. Je ne lui en connais pas, il n’a vu Michonis que chez moi le jour de la Sainte-Anne, chez Fontaine le jour de la Saint-Pierre et mardi dernier quand nous y avons diné ensemble.
D. Quels étaient les convives qui étaient au diner de mardi dernier chez Fontaine?
R. Moi, Rougeville, Fontaine, Michonis, et un citoyen dont je ne connais pas le nom.
D. Avez-vous connu le citoyen Auger?
R. Non.
D. De quoi parla-t-on pendant le diner, parla-t-on d’affaires?
R. Non, Michonis se plaignit seulement de n’avoir pas été renommé du comité.
D. Savez-vous si Michonis a accompagné Rougeville à la Conciergerie pour voir la ci-devant reine?
R. Je n’en sais rien.
D. Rougeville est-il riche?
R. Rougeville est fils d’un négociant d’Arras qui dit on est fort riche ; son père s’appelle Gouse de Rougeville, il porte aussi le nom de Visamarle.
D. Je vous observe qu’il est invraisemblable que Rougeville ne vous ait pas parlé soit du projet de voir la ci-devant reine, soit de l’entrevue qu’il a eue
avec elle par l’entremise de Michonis ?
R. Je vous réponds qu’il ne m’en a jamais parlé, il était trop dissimulé pour cela et je lui ai fait souvent des reproches de sa dissimulation.
D. Lui avez-vous vu préparer quelque fleur, et y placer un billet ?
R. Non, il a pu prendre des fleurs dans le jardin parce qu’il y a des œillets.
D. Avec qui Rougeville est-il en correspondance chez l’étranger ?
R. Je ne lui connais pas de correspondance chez l’étranger.
D. Avez-vous quelquefois des rassemblements chez vous à Vaugirard ?
R. Jamais.
D. Reconnaissez-vous ce paquet et le cachet qui y est apposé?
R. Oui je le reconnais, c’est mon cachet.
D. Rougeville avait-il beaucoup d’or et beaucoup d’assignats ?
R. Je ne lui en ai pas vu.
D. Rougeville allait-il quelquefois à la campagne et où va-t-il?
R. Je n’en sais rien.
D. Savez-vous où est actuellement Rougeville?
R. Non, lorsque nous sommes partis ensemble mardi matin, il a pris deux chemises et quelques paires de bas : nous avons diné ensemble chez Fontaine et nous nous sommes séparés. Je ne l’ai pas vu depuis..
Fait et clos ledit jour, et a signé
DUTILLEUL.
(En marge : à remettre au tribunal révolutionnaire).
Sophie Dutilleul est à sa grande surprise remise en liberté. Les policiers pensent peut-être en faire un leurre : et si Rougeville voulait rejoindre sa maîtresse ?
Pendant ce temps les journaux sans-culottes se déchaînent contre la ci-devant reine toujours et encore à la tête des complots contre la patrie… Néanmoins, rien de l’enquête ne fait ressortir un instant que Marie-Antoinette ait entraperçu un tant soit peu la liberté…
Le 8 septembre 1793
Transfert de Jean-Baptiste Michonis à la prison de l’Abbaye.

Le 9 septembre 1793
Les gendarmes Gilbert et Dufresnes doivent quitter la chambre de Marie-Antoinette. Ils ne sont apparemment pas remplacés. Marie-Antoinette est mise au secret jusqu’à l’ouverture de Son procès.
Par décret de la Convention, la Reine est déférée au Tribunal révolutionnaire.

Le 4 octobre 1793
Marie-Antoinette est entendue par Fouquier-Tinville et les représentants du tribunal révolutionnaire en vue de Son prochain procès qui se déroulera les 14 et 15 octobre…
Le 16 octobre 1793
Jean-Baptiste Michonis est appelé en tant que trente-quatrième témoin lors de ce deuxième jour du procès de la Reine.
Trente-quatrième témoin. Jean Baptiste Michonis, âgé de cinquante-huit ans limonadier et administrateur de police demeurant à Paris rue de la Grande Friperie, lequel a déclaré qu’il connaissait l’accusée, que c’est d’elle qu’il entend parler, qu’il n’est son parent, allié, serviteur ni domestique, non plus que de l’accusateur public, après quoi il a fait sa déclaration.
Jean-Baptiste Michonis, limonadier, membre de la Commune du 10 août et administrateur de police, dépose qu’il connaît l’accusée pour l’avoir, avec ses collègues, transférée le 2 août dernier du Temple à la Conciergerie.
Le président, au témoin. — N’avez-vous pas procuré à quelqu’un l’entrée de la chambre de l’accusée depuis qu’elle est à cette prison ?
— Pardonnez-moi, je l’ai procurée à un nommé Giroux, maître de pension, faubourg Saint-Denis, à un autre de mes amis, peintre, au citoyen administrateur du domaine, et à un autre de mes amis.
— Vous l’avez sans doute procurée à d’autres personnes ?
— Voici le fait, car je dois et veux dire ici toute la vérité : le jour de la Saint-Pierre, m’étant trouvé chez un sieur Fontaine, où il y avait bonne compagnie, notamment trois ou quatre députés à la Convention, parmi les
autres convives se trouvait la citoyenne Tilleul, laquelle invita le citoyen Fontaine à venir faire la Madeleine chez elle, à Vaugirard; elle ajouta : « Le citoyen Michonis ne sera pas de trop. » Lui ayant demandé d’où elle pouvait
me connaître, elle répondit qu’elle m’avait vu à la mairie où des affaires l’appelaient. Le jour indiqué était arrivé, je me rendis à Vaugirard ; je trouvai une compagnie nombreuse. Après le repas, la conversation étant tombée sur le chapitre des prisons, on parla de la Conciergerie, en disant : La veuve Capet est là, on dit qu’elle est bien changée; que ses cheveux sont tout blancs. Je répondis qu’à la vérité ses cheveux commençaient à grisonner, niais qu’elle se portait bien. Un citoyen qui se trouvait là manifesta le désir de la voir ; je lui promis de le contenter, ce que je fis. Le lendemain, la Richard me dit : « Connaissez-vous la personne que vous avez amenée hier ? » Lui ayant répondu que je ne la connaissais que pour l’avoir vue chez un de mes amis : « Eh bien, me dit-elle, c’est un ci-devant chevalier de Saint-Louis ; » en même temps elle me remit un petit morceau de papier écrit ou plutôt piqué avec la pointe d’une épingle.
Alors je lui répondis : «Je vous jure que jamais je n’y mènerai personne. »
Le président, au témoin. — N’avez-vous point fait part à l’accusée que vos fonctions venaient de finir à la la Commune?
— Oui, je lui ai tenu ce discours-là.
— Que vous a répondu l’accusée?
— Elle m’a dit : « On ne vous verra donc plus; » je répondis : « Madame, je reste municipal, et pourrai vous voir de temps en temps. »
— Comment avez-vous pu, vous, administrateur de police, au mépris des règlements, introduire un inconnu auprès de l’accusée; vous ignoriez donc qu’un grand nombre d’intrigants mettent tout en usage pour séduire
les administrateurs ?
— Ce n’est pas lui qui m’a demandé à voir la veuve Capet, c’est moi qui le lui ai offert.
— Combien de fois avez-vous dîné avec lui?
— Deux fois.
— Quel est le nom de ce particulier ?
— Je l’ignore.
— Combien vous a-t-il promis ou donné pour avoir la satisfaction de voir Antoinette ?
— Je n’ai jamais reçu aucune rétribution.
— Pendant qu’il était dans la chambre de l’accusée, ne lui avez-vous vu faire aucun geste?
— Non.
— Ne l’avez-vous pas revu depuis?
— Je ne l’ai revu qu’une seule fois.
— Pourquoi ne l’avez-vous pas fait arrêter ?
— J’avoue que c’est une double faute que j’ai faite à cet endroit.
Un juré. — Citoyen président, je dois vous observer que la femme Tilleul vient d’être arrêtée comme suspecte et contre-révolutionnaire.
On est confondu devant tant de naïveté de la part de Michonis.

Marie-Antoinette est condamnée à mort.
Le 16 octobre 1793
Exécution de Marie-Antoinette.

Si Herman, président du tribunal révolutionnaire, refuse d’évoquer l’affaire de l’Œillet durant le procès qualifiée par lui «d’intrigue de prison», huit témoins sur les quarante-et-un sont liés à l’affaire : le couple Richard, Michonis et Fontaine sortis de leurs prisons respectives, Marie Harel, les gendarmes Dufresne, Gilbert et Lebrasse libres mais convoqués à la barre.
Michonis est acquitté mais sur décision de Fouquier-Tinville, il reste emprisonné jusqu’à la paix.

« Du 1er frimaire, l’an deux de la République française, une et indivisible
CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793) : pièces originales conservées aux Archives de l’Empire, suivies de notes historiques et du procès imprimé de la reine, Paris, 1863, p-35-36.
Le Comité de Sûreté Générale, vu la lettre du citoyen accusateur public près le tribunal révolutionnaire arrête que le citoyen Richard, concierge, sa femme et leur fils, seront mis en liberté, ne s’étant trouvé aucune charge contre eux dans l’affaire de Michonis et autres officiers municipaux.
« Les membres du comité de sûreté générale de la Convention nationale,
« Signé : M. Bayle, Guiffroy Vadier, David, Louis (du Bas-Rhin), Panis et La Vicomterie »
Le 18 novembre 1793
Le tribunal révolutionnaire passe en jugement les protagonistes de l’affaire de l’Œillet. Devant Fouquier-Tinville, comparaissent Lepître, Jobert et Dangé qui redoutent de voir paraître Tison à la barre. Le servile dénonciateur est écarté comme témoin et l’accusation ne peut fournir aucune pièce décisive. Après deux jours de procès, tous les prévenus sont acquittés, à l’exception de Jean-Baptiste Michonis (1735-1794) qui a succédé à Toulan dans le projet de sauver la famille royale avec le chevalier de Rougeville. Michonis est alors jeté en prison.
Image de L’Autrichienne (1990) de Pierre Granier-Deferre
On l’emprisonne à la Conciergerie .

Le chef d’accusation retenu contre Rougeville (qui est absent), Michonis, Sophie Dutilleul et Pierre Fontaine est d’avoir conspiré «en fournissant à la veuve Capet les moyens d’entretenir des correspondances avec ses complices, pendant le temps qu’elle a été à la Conciergerie.»
Lors des débats, madame Harel reparaît , citée comme témoin à charge par Fouquier-Tinville. Pourtant, après sa déposition, elle est consignée «pour motif apparent de dissimulation dans son exposition» et mise sous surveillance du gendarme François Antoine.

Le 19 novembre 1793
Le verdict tombe. Michonis est déclaré «complice» de la conspiration. Cependant, il est admis qu’il «ne l’a pas fait méchamment et avec des intentions contre-révolutionnaires». Sa complicité est même si peu prouvée que le tribunal prononce son acquittement. Toutefois, il n’est «acquitté que sur la question d’intention». Il est déclaré «coupable de prévarication de négligence répréhensibles dans ses fonctions, en introduisant diverses personnes dans la prison de la veuve Capet», également coupable «d’une négligence répréhensible de n’avoir point fait arrêter Rougeville avec lequel il a dîné postérieurement à l’avis qui lui a été donné par la femme Richard, ce qui le rend infiniment suspect».
Michonis est condamné «à être détenu … jusqu’à la paix», conformément à la loi des suspects du 17 septembre 1793 ainsi conçue :
« Les tribunaux civils et criminels pourront s’il y a lieu, faire revenir en état d’arrestation, comme gens suspects, et envoyer dans les maisons de détention les prévenus de délits, à l’égard desquels il serait déclaré n’y avoir pas lieu à accusation ou qui seraient acquittés des accusations portées contre eux.»

Jean-Baptiste Michonis reste sous les verrous de la Conciergerie, de Port libre et de La Force jusqu’au 8 juin 1794, date à laquelle, il est à nouveau traduit au Tribunal révolutionnaire. Ce jour-là, ils sont une fournée de cinquante-quatre à être jugés. Tous ceux dont la tête était restée en suspens mais qu’il fallait occire sont regroupés dans l’affaire dite de la «Conspiration des cardinaux» du nom de François Cardinal, instituteur soupçonné d’être lié aux tentatives d’assassinat contre Robespierre notamment. Fouquier-Tinville les empile pêle-mêle dans un acte d’accusation fourre-tout pour être en phase avec la loi du 22 prairial an II (10 juin 1794) à juste titre célèbre puisqu’elle institue la Grande Terreur, période de mai à juillet 1794 laissant les souvenirs les plus sanglants.

Michonis, qui «lors du procès de la veuve Capet ne fut pas assez convaincu pour être condamné à la peine de mort» est cette fois condamné à la peine capitale. Il est accusé par Fouquier-Tinville d’avoir «sûrement été instruit de tout ce qui devait se passer dans cette entrevue» et d’avoir «fait semblant de ne s’apercevoir de rien».
Fouquier-Tinville est interprété par Daniel Mesguich dans L’Autrichienne (1990)
Il est jugé et convaincu de trahison, il est condamné à mort par le tribunal révolutionnaire. Michonis «gard(e) le plus profond silence sur le tout ce qui démontre jusqu’à l’évidence qu’il s’entendait avec la veuve Capet et Rougeville.»
Le 17 juin 1794
Jean-Baptiste Michonis est guillotiné en même temps que François Toulan, barrière du Trône. Il a cinquante-neuf ans.
Jean-Baptiste Michonis, ainsi que ses collègues Froidure et Soulès sont des cinquante-quatre condamnés portant la fameuse chemise rouge des «régicides», accusés d’avoir voulu assassiner Collot d’Herbois et Robespierre, mais aussi comme ennemis du peuple en général, conjurés avec l’étranger, trafiquants…
Il est inhumé au cimetière de Picpus.
Sources :
- CASTELOT, André, Marie-Antoinette, Perrin, Paris, 1953, 588 p.
- CAMPARDON, Emile, Marie-Antoinette à la Conciergerie (du 1er août au 16 octobre 1793), archives de l’empire, Jules Gay, Paris, 1863, 352 p. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62159775.texteImage
- LAFONT D’AUSSONNE, Gaspard-Louis, Mémoires secrets et universels des malheurs et de la mort de la reine de France, édition en ligne Gallica, Paris, 1824, 442 p. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k680395/f270.item#
- LENOTRE GOSSELIN, Louis Léon Théodore, Le Vrai Chevalier de Maison-Rouge, A.D.J. Gonzze de Rougeville (1761-1814), librairie académique Perrin, Paris, 1894, 331 p.
- https://histoire-image.org/etudes/halles-paris-travers-histoire
- SAPORI, Michelle, Rougeville de Marie-Antoinette à Alexandre Dumas, Le vrai chevalier de Maison-Rouge, éditions de la Bisquine, Paris, 2016, 383 p.