Axel de Fersen

Axel de Fersen par Benjamin Warlop

Le 4 septembre 1755

Naissance d’Axel de Fersen à Stockholm.

Il est le fils du feld-maréchal Fredrik Axel de Fersen (1719-1794) et de Hedwige-Catherine de La Gardie (1732-1800), et frère de Sophie Piper (1757-1816) et de la comtesse Klinckowström.

Fredrik Axel de Fersen
Le poisson volant blason des Fersen
Hedwige-Catherine de La Gardie

Le père d’Axel, parlementaire du parti des Hats, est l’homme le plus influent politiquement en Suède à cette époque et aussi l’ un des plus riches du royaume. Il est le seigneur de quatre grandes maisons en Suède: Löfstad [hérité par sa femme], Steninge, Liung et Mälsaker. Il a également des mines, des terre, des forêts et les fonderies de fer en Suède et en Finlande, et il possède une part importante de la Suède East India Company, entreprise la plus rentable du pays jamais.
Axel est aussi le cousin de la maîtresse du futur Roi de Suède et dame d’honneur (Hovmästarinnan) de la Reine Sophie-Madeleine, la comtesse Löwenhielm, née Augusta von Fersen.

En plus de leur intelligence et de leur ambition, les deux familles sont réputées pour leur beauté qui ne laissent pas indifférents les Wasa puis les Holstein-Gottorp, maisons royales de Suède.  Les Fersen, comme les La Gardie sont des membres éminents du parti des Chapeaux, favorables à l’alliance française au contraire des Bonnets pro-russes. La lutte est rude entre les deux partis au sein du sénat suédois, le Riksdag. Les Chapeaux sont largement financés par la France :

«Pour aider ce parti à se maintenir au pouvoir et pour assurer le dévouement de ses membres, le gouvernement français distribue de l’argent en espèces, des pensions et des gratifications diverses à des personnes clefs.»

L’aristocratie suédoise et la France dans la seconde moitié du XVIIIe siècle par Charlotta Wolff

Après des études universitaires poussées en Suède, Fredrick Axel de Fersen entre dans l’armée suédoise en 1737. En 1738, il est autorisé à rejoindre l’armée française en tant que caporal puis capitaine du Royal-Alsace en 1740. En 1741, il devient adjudant du duc de Boufflers, lieutenant de Louis XV des armées de Flandres et du Nord. Il participe au siège de Prague qui met momentanément à mal la reine de Bohême Marie-Thérèse mais qui lui permet à la fin d’assurer sa couronne.

Le Siège de Prague

Le 30 mars 1757

Naissance de la comtesse Eva Sophie von Fersen (1757-1816), future comtesse Piper.

 

Le 7 octobre 1762

Naissance de son frère Fabian Reinhold von Fersen (1762-1818).

Le jeune Axel a été influencée par la culture française, en partie grâce aux services de son père à Louis XV.  Dans son enfance,Fersen apprend plusieurs langues dont le français, le latin, l’ anglais, l’ allemand et l’ italien. Son éducation de jeune homme sera surtout militaire.

Portrait miniature d’Axel de Fersen adolescent par Hall

En 1765

Les Bonnets prennent le pouvoir contre la monarchie et les Chapeaux. Le duc de Choiseul, ministre des Affaires étrangères français, conseille à l’ambassadeur le baron de Breteuil, d’être particulièrement vigilant. Les Bonnets sont pro-Russes et pro-Anglais. 

En 1769

A quatorze ans, Fersen débarque avec son domestique et son précepteur dans le duché de Brunswick.

Charles de Suède
Axel de Fersen miniature anglaise achetée par le musée de Stockholm

Il s’inscrit pour étudier à l’académie.  Sa seule distraction est l’arrivée du prince suédois Charles (1748-1818), frère du prince héritier Gustave (1746-1792).   Fersen sert de guide au prince à travers Brunswick, surtout au musée qu’il connaît à fond .

Le prince, de son côté, aide Fersen à entrer dans la loge maçonnique de Brunswick. En présence du duc Ferdinand et avec le prince Charles pour témoin, il fait à quinze ans son entrée dans la loge.
Il semble n’avoir été qu’à demi rassuré par le cérémonial initiatique, car ensuite, il consigne dans son journal :

« Bien que persuadé que rien de mal ne pourrait m’arriver, j’étais, après la cérémonie de réception, content d’être de retour à la Cour .»

Le 3 Juillet 1770

Fersen fait son premier grand tour de l’Europe destiné à parfaire son éducation. Il a l’intention de voir le monde et ses études dans les académies militaires : Brunswick, Turin, Strasbourg et Lüneburg.

Morphing du visage d'Axel de Fersen d'après ce portrait

C’est l’occasion pour l’adolescent de commencer son dagbok qui finira par atteindre six tomes et plus de vingt mille pages. Il y inscrit les principaux événements de sa vie mais aussi ses conquêtes féminines. 

Tranche Dagbok de Hans Axel de Fersen, Riksarkivet
Dagbok de Fersen, R0000789_000011, Riksarkivet

Le 12 février 1771

L’héritier du trône de Suède alors de séjour à Paris devient Roi sous le nom de Gustave III. Avec le soutien de Louis XV, il entame une révolution absolutiste permettant de reprendre la main sur les Bonnets mais aussi de briser les élans aristocratiques et oligarchiques du comte Fredrick Axel de Fersen. 

Gustave III, Roi de Suède, par Pasch

Celui-ci donne ordre à son fils de croiser la route du jeune souverain en Allemagne afin de lui jurer sa loyauté.  Gustave III déjà amoureux dans sa jeunesse de la comtesse Hedvig tombe sous le charme de ce magnifique jeune homme. Afin d’aider le jeune souverain, Louis XV nomme Charles Gravier de Vergennes (1719-1787) comme nouvel ambassadeur à Stockholm. Celui-ci, sous les ordres du Roi de France, ouvre grands les cordons de la bourse afin d’obtenir le soutien des Chapeaux. 

En Octobre 1771

Axel passe par la Suisse et à Ferney , il rencontre Voltaire (1694-1778), mais avoue ne rien comprendre à la philosophie. En cours, il était plutôt en vadrouille qu’à sa table de travail, malgré le plombs qu’il a dans la cervelle….

Axel de Fersen
Voltaire par Maurice Quentin de La Tour

La visite, Fersen la rapporte avec la franchise et la désinvolture de son âge:

« […]Il nous appointa pour le lendemain, ce qui m’obligea à rester un jour de plus. Nous y allâmes donc et nous causâmes avec lui pendant 2h. Il était habillé d’une veste d’écarlate avec de vieilles boutonnières brodées que son père et Grand-Père avaient portée, une vieille perruque non frisée, des souliers à l’antique, des bas de laine tirés par-dessus les culottes, une vieille robe de chambre, tout ça était d’une harmonie admirable avec sa figure toute ridée dont les yeux sont très beaux et tout l’ensemble de sa figure a un air tout-à-fait satirique. Il avait chez lui le Père Adam, Jésuite, et un valet de chambre qui sait toute la bibliothèque de son maître par cœur. Mr de Vol. fait beaucoup de bien dans son village.»

Voltaire nu ou le vieillard idéal (1776), par Jean-Baptiste Pigalle,  musée du Louvre
Gustaf Philip, comte de Kreutz (1731-1785)
Voltaire s'habillant

En 1772

Un autre danger guette la Suède et son Roi : le démembrement. Frédéric II et Catherine II lorgnent l’un sur la Poméranie, l’autre sur la Finlande. Seul le soutien de la France peuvent arrêter les ambitions des despotes éclairés : en effet celle-ci a permis à Gustave III d’affermir son pouvoir. Ce sera donc la Pologne, beaucoup plus faible politiquement qui assouvira leurs appétits, soutenus par Joseph II qui prendra également sa part.

 

En Novembre 1772

Fersen a continué à Turin, en Italie, où il rend visite au Roi Charles-Emmanuel III (1701-1730-1773).

 

C'est plutôt à cette sculpture par Houdon que ressemblait le vieillard qu'a rencontré Axel de Fersen... à peine âgé de seize ans!
Charles-Emmanuel III

En avril 1773

Après Rome, Axel de Fersen se rend à Naples où il est reçu par la Reine Marie-Caroline (1752-1814).

Marie-Caroline, en 1772, par Anton Raphael Mengs

Il loge chez l’ambassadeur de France, le baron de Breteuil, et sa fille madame de Matignon. Il avait été en poste à Stockholm de 1763 à 1766 où il tissa des liens avec le comte de Fersen père. Le jeune Axel s’y sent rapidement en famille. 

Le 15 novembre 1773

Arrivée à Paris. Fersen loge chez l’ambassadeur de Suède le comte de Creutz à l’hôtel de Bonnac rue de Grenelle.

Emmanuel-Armand de Richelieu, duc d'Aiguillon, école française du XVIIIème siècle, musée d'Agen

Le 18 novembre 1773

Le ministre des Affaires étrangères, le duc d’Aiguillon,  reçoit le jeune homme à souper : son père est un élément essentiel de la diplomatie franco-suédoise.

D’anciens ministres des Affaires étrangères, comme le comte d’Argenson, cultivaient volontiers une réelle amitié avec les ambassadeurs suédois en place. Cette «relation spéciale» est une clé essentielle de la politique française. D’après l’abbé Véri qui sera aux premières loges du pouvoir à la nomination du comte de Maurepas auprès du futur Louis XVI, le duc d’Aiguillon pousse un peu trop loin cette alliance durant cette année :

«A l’égard de la Suède, il fit craindre à la France des effets trop étendus de l’alliance. On parla quelque temps de faire marcher des escadres et des troupes vers la Suède. Il y eut même, dans l’intérieur du royaume, des ordres donnés aux matelots classés pour se rendre dans différents ports. Les citoyens craignirent que ces montres militaires engageassent trop la France. L’événement les rassura. Le fait est que la Russie voulait envoyer des troupes en Finlande, en 1773, pour troubler la révolution de 1772. M. d’Aiguillon menaça de brûler les escadres russes qui étaient dans la Méditerranée et d’envoyer des régiments en Suède. Il était secrètement d’accord avec milord Rochefort, qui lui fit savoir qu’en feignant d’armer aussi puisque la France armait, il lui laisserait le temps de faire son expédition. Cette montre menaçante fit résoudre Catherine II à rester tranquille. Ainsi la révolution de Suède resta dans son entier. Ce fut dans cette révolution que l’autorité passa des mains anarchiques des États dans celles du souverain.»

Journal de l’abbé de Véri, p. 77

C’est dire combien il est important aux yeux du ministre d’accueillir ce jeune seigneur suédois dont le père a une situation politique majeure dans son pays. 

Le 19 novembre 1773

Axel de Fersen est présenté à la famille royale. Et c’est donc à ce moment précis, malgré toutes les mises en scène romantiques, que se voient pour la première fois Marie-Antoinette et Fersen.

Marie-Antoinette l’accueille comme toute autre personne qui compte en Europe et qui a donc sa place à la cour de Versailles. Comme l’accueillent Louis XV, le Dauphin, les comtes de Provence, d’Artois et leurs épouses, Mesdames Filles du Roi et Mesdames Clotilde et Elisabeth, petites-filles de Sa Majesté. C’est tout simplement l’activité quotidienne de la famille royale : recevoir courtisans et visiteurs étrangers de marque. 

En son temps, la Reine Marie Leszczyńska a beaucoup protégé les Suédois et était une amie proche des ambassadeurs Tessin et Carl Scheffer qu’elle recevait volontiers ainsi que leurs protégés venus de Suède.  Il ne faut pas oublier que son père Stanislas Leszczyński est devenu Roi de Pologne par l’entremise du Roi de Suède Charles XII.

Marie Leszczyńska, lisant la Bible (1748) par Jean-Marc Nattier

La famille royale se doit donc de recevoir aimablement tout ce qui a trait à la Suède : non seulement l’alliance politique est majeure depuis longtemps dans le système international mais c’est aussi cette nation qui a permis à la feue Reine d’accéder au statut royal. 

Le 24 novembre 1773

Présentation à madame du Barry qui en tant que favorite compte beaucoup pour la diplomatie.  Le futur Gustave III l’avait bien compris quelques années auparavant.  Fersen dîne ensuite de nouveau avec le duc d’Aiguillon. Le poids diplomatique du jeune homme est indéniable. 

Le 27 novembre 1773

Parmi ses innombrables réceptions (opéras, dîners, soupers, à plusieurs reprises chez le duc d’Aiguillon), il est désormais reçu par la comtesse de Noailles, dame d’honneur de la Dauphine qui appartient au réseau de Creutz. 

Noémie Lvovsky interprète la comtesse de Noailles dans Jeanne du Barry (2023) de Maywenn

Le 4 décembre 1773

Axel prend des cours de danse. Sa visite chez la dame d’honneur de la Dauphine y est sûrement pour quelque chose. 

Le 6 décembre 1773

Bal chez Madame la Dauphine.

Ces bals sont des moments d’étiquette et ne sont pas du tout des lieux d’amusement et de plaisir, obligatoires pour tous les jeunes princes et princesses de la famille royale, et qu’ils prennent pour la plupart comme une corvée à laquelle ils ne peuvent échapper. Ces bals sont d’ailleurs organisés par la comtesse de Noailles et à cette date il y a peu de chances que Marie-Antoinette ait son mot à dire quant aux invités. On comprend mieux du coup les cours de danse de l’avant-veille.

En 1774

Achevant son Grand Tour d’Europe, Axel arrive à la cour de France, où il fait vive impression par son physique avantageux.

Samedi 1er janvier 1774

Le comte de Fersen, accompagné du comte de Kreutz, assiste à la cérémonie de l’Ordre du Saint-Esprit, et fait sa cour au Roi.
Après avoir dîné, il va, avec le comte de Creutz, faire sa visite à la comtesse du Barry. Elle lui parle pour la première fois.

Le comte de Kreutz, ambassadeur de Suède, écrit à son sujet au Roi Gustave III :

« De tous les Suédois qui ont été ici de mon temps, c’est celui qui a été le mieux accueilli dans le grand monde. Il a été extrêmement bien traité dans la famille royale. Il n’est pas possible d’avoir une tenue plus sage et plus décente que celle qu’il a tenue. Avec la plus belle figure et de l’esprit, il ne pouvait manquer de réussir dans la société, aussi l’a-t-il fait complètement

Le dimanche 30 janvier 1774

Après avoir dîné chez madame d’Arville, le comte de Fersen se rend au bal de l’Opéra à une heure. Il y a foule. Parmi celle-ci, il y a la Dauphine, le Dauphin et le comte de Provence. Ils y restent une demi-heure, sans que leur présence soit remarquée. Le comte de Fersen parle à la Dauphine, sans La reconnaître, car il s’agit d’un bal masqué.

Quand Madame la Dauphine se fait connaitre, tout le monde s’empresse au tour d’Elle, et se retire dans sa loge.

Axel de Fersen rencontre la Dauphine Marie-Antoinette au bal de l’Opéra. Son incognito ne fonctionne que pour le suédois : tout le monde reconnaît Sa chevelure blond cendré (plutôt que roux comme le lancera madame du Barry) sous le masque du bal.

Claudio Gora est l'ambassadeur Creutz dans Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy

Le comte de Fersen quitte le bal à trois heures.

fireairshadow: Marie Antoinette (2006) dir. Sofia... - GIOVANE GRIGORIJ

fireairshadow: Marie Antoinette (2006) dir. Sofia... - GIOVANE GRIGORIJ

Le 31 janvier 1774

Le comte de Fersen se rend, à Versailles, à trois heures, pour assister à un nouveau bal. Il y reste jusqu’à huit heures moins le quart, puis retourne à Paris souper chez Madame d’Arville.

Le 10 mai 1774

Mort de Louis XV.

Le Dauphin devient Roi sous le nom de Louis XVI.Marie-Antoinette est la nouvelle Reine de France ! 

Le 12 mai 1774

Visite du château de Chantilly, puis départ pour l’Angleterre.

Louis XV par Armand-Vincent de Montpetit
Louis XVI d'après Duplessis
Marie-Antoinette au Globe (1775) par Jean-Baptiste Gautier-Dagoty

Le 7 juin 1774

La comtesse de Fersen écrit à son époux à propos des succès mondains de leur fils : 

«J’ai été fort aise des éloges que ma soeur donne à notre fils, j’ai aussi reçu une lettre du comte de Creutz, qui me parle beaucoup de lui, et qui, sans nommer madame de Brancas, me parle de liaisons de notre fils dans une des plus grandes maisons de France.»

Alma Söderhjelm, Fersen et Marie-Antoinette,édition de 1930, p. 44

En juin 1774

Le jeune comte est déçu de son séjour londonien. Il est aussi bien reçu par la famille royale britannique et assiste à tous les grands événements aristocratiques mais tout lui apparaît comme vilain comparativement à ce qu’il a vécu de si brillant en France.

«Je fus présenté à la reine qui est très gracieuse et très aimable, mais elle n’est pas du tout jolie.»

Axel de Fersen

Il doit ensuite repasser par la France mais uniquement par Dunkerque et Lille et de là Bruxelles, les Pays-Bas puis Berlin. 

Axel écrit une longue lettre à sa chère Sophie qu’il n’a pas revu depuis quatre ans :

«Ma chère soeur
Il y a bien longtemps que. je n’ai reçu de vos lettres, ma chère soeur, mais j’en conçois maintenant la raison facilement, depuis que je sais que vous êtes dans le grand monde, cela doit vous occuper considérablement et vous laisser peu de temps à vous, d’ailleurs je ne suis pas en droit de vous faire des reproches car je n’ai pas non plus été fort exact à vous donner de mes nouvelles, mais j’espère que ne serez pas moins généreuse que je ne le suis et que vous m’excuserez facilement, car je voyage, et j’ai par conséquent beaucoup à faire et à écrire. Je suis charmé d’apprendre que la robe que j’ai fait faire pour vous sous soit parvenue, je souhaite que vous l’ayez trouvée jolie, au moins c’était mon intention en la faisant faire, j’ai même outrepassé les ordres de ma mère qui m’avait écrit de faire faire une petite robe, mais j’ai pris ce qu’il y avait de plus joli et de plus nouveau, c’est avec une impatience extrême que je désire de vous en voir parée, j’espère que j’aurai ce plaisir à Noël, et je me flatte de ne pas être mal reçu car je suis porteur d’une lettre, devinez de qui ; c’est de mademoiselle Leyel qui est charmante et qui me charge de vous faire un million de compliments, je l’ai vue à Dresde, je les ai laissés il y a neuf jours et je crois qu’elles se mettront bientôt en route pour l’Angleterre. Madame et monsieur de Lövenhielm vous font mille compliments, ils m’ont reçu à merveille, et vous ne sauriez croire ma chère petite soeur tout le bien qu’ils ont dit de vous, que vous étiez grande, jolie, aimable, gaie et que sais-je moi, mille autres jolies choses de façon, m’ont-ils dit, que je ne vous reconnaitrais pas si je vous voyais avec plusieurs autres, mais j’en doute, car mon coeur vous retrouverait toujours. Je suis à Postdam pour voir le roi et c’est demain que je lui serai présenté ensuite je retourne à Berlin pour y rester cinq à six jours, et me mettre en route pour ne plus m’arrêter qu’à Stockholm si Dieu me donne la santé. Je suis en attendant le moment de vous voir votre très affectionné frère 
Axel de Fersen. »

A aucune autre femme il n’exprimera autant de sentiments.

Le jeune homme a fini son éducation, il a énormément appris, sur tous les plans, militaire, intellectuel, scientifique, littéraire, il parle couramment le français, l’allemand, l’italien, l’anglais. Ses succès diplomatiques, mondains et amoureux sont considérables. Il connaît personnellement tous ceux qui comptent en Europe. Il va désormais passer plusieurs années à s’ennuyer chez lui, partagé entre la vie de cour suédoise et sa famille.

Vers 1776

Axel de Fersen est devenu une manière de personnage, amant de la duchesse de Sudermanie Hedvig-Elisabeth-Charlotte (1759-1818), belle-sœur de Gustave III.

Le 24 août 1776

Aux yeux d’Axel, la vie de cour suédoise n’a vraiment pas les agréments de la vie parisienne :

« Pardonnez chère Sophie si je n’ai pu vous remercier plutôt de votre petit billet de Stiernsund, mais nous avons tant à faire ici que j’ai n’ai pu vous écrire. Nous montons à cheval le matin et le soir pendant quatre ou cinq heures nous courons les têtes et les bagues tant que nous pouvons, mais malgré cela je m’ennuie très fort je voudrais être loin d’ici, toutes ces figures de cour me paraissent si vieilles, elles me déplaisent toutes, mais il faut pourtant me résoudre à les voir jusqu’au mois de novembre patience… Notre tournoi est fixé au 27 nous serons tous habillés de fer, j’ai une armure de 40 skâlpund (livres) que je dois porter pendant trois jours depuis deux heures après midi jusqu’à ce que je me couche ; nous devons souper avec nos armures, plaignez un peu mon dos et mes épaules.»

En avril 1778

Il se trouve à Lille en compagnie de ce régiment, entend parler de bruits de guerre (Autriche/Bavière).

La duchesse de Sudermanie Hedvig-Elsabeth-Charlotte par Roslin. Elle deviendra Reine consort de Suède un an avant la mort de Fersen
Hans Axel von Fersen par Gustaf Lundberg (1769)

Le 16 avril 1778

Accompagné de son valet Joseph et de son chien, Axel de Fersen s’embarque pour Londres y courtiser Mademoiselle Leyel, qui concentre sur sa personne toutes les qualités : protestante et immensément riche. Physiquement, au reste, la jeune femme ne lui déplaît pas. Mais les négociations se soldent par un refus : la demoiselle ne veut pas quitter sa famille pour s’établir à l’étranger. 

Des sentiments divers animent Axel : la blessure d’avoir été éconduit, le regret d’avoir déçu son père, mais aussi le soulagement de rester libre. Il se trouve encore jeune, il peut retenter sa chance dans quelques années…

« Le Père Leyel est vieux et maladif, s’il mourrait tout obstacle de sa part cesserait, tout son bien me viendrait tout de suite.»

Axel de Fersen à son père            

Le 20 avril 1778

Naissance de son neveu, Axel Adolph von Piper (1778-1827), à Stockholm.

Le 28 juin 1778

Fersen dit adieu à Marie-Antoinette.

Morphing du visage d'Axel de Fersen d'après ce portrait :

Le 30 juin 1778

Par contre ses affaires maritales n’avancent pas. Mademoiselle Leyel refuse de quitter Londres pour vivre en Suède. Fersen, blessé, se confie comme toujours à Sophie :

« Tout est fini, ma chère amie, la fille m’a assuré qu’elle ne voulait pas quitter ses parents, et qu’elle ne changerait pas d’avis et elle m’a toujours prié de la mander à son père. J’ai cependant insisté, j’ai dit tout ce que l’amant passionné peut dire mais en vain ; elle m’a assuré qu’elle ne doutait pas que je l’aimasse, je l’ai assurée que je ferais mon unique étude de lui plaire, et de la rendre heureuse, enfin mille autres choses, nonobstant tout cela, elle m’a répondu, que la peine de se séparer de ses parents était trop grande pour elle, qu’elle ne pouvait s’y résoudre. Elle l’a déclaré à son père, il m’en a parlé en me disant qu’il en était bien fâché ;  et me faisant de jolis compliments, il m’a assuré de son amitié et m’a demandé la mienne il compte écrire une lettre à mon Père, et je me vois obligé de lui mander cette nouvelle. J’en suis au désespoir, cela lui fera de la peine, mais j’ai fait tout mon possible. La fille est fort aimable, remplie de talents, bien de figure, elle est charmante et remplie de douceur, je sens la perte que je fais, mais je ne puis m’empêcher de trouver la raison bonne, je sais par moi-même la peine qu’on doit avoir de se séparer pour toujours de ses parents, et d’un endroit où l’on a des amis, je me consolerai de cette perte si je suis sûr, que mon Père soit persuadé que j’ai fait tout ce que j’ai pu pour lui plaire, et obtenir. le consentement de mademoiselle Leyel. Si au contraire, il en doute, j’en serais au désespoir, j’aurais l’âme bien basse, et je serais le plus ingrat des hommes, si pour prix de toutes les bontés qu’il a pour moi, je le trompais. Je luis écris aujourd’hui pour le prier de différer mon retour en Suède, vous savez le plaisir que j’aurais de vous revoir, mais je crois qu’il n’y a que ce seul moyen pour faire un peu oublier ce mariage rompu, et m’éviter le désagrément affreux d’entendre railler et faire des bons mots sur ce sujet, je propose à mon Père, de me laisser aller, ou dans les provinces méridionales de France, ou à Vienne, ou à Paris pour travailler avec Creutz, ou à la guerre et c’est ce dernier parti que je préfèrerais. Mais quelque soit l’intention de mon père, je m’y soumettrais avec plaisir, plaire à un si bon père est tout ce que je veux. Adieu, ma chère et tendre amie, je suis au désespoir d’avoir une si mauvaise nouvelle à mander à mon Père, et inconsolable, s’il soupçonnait qu’il y eut de ma faute.»

Le 25 août 1778

Il revient à la Cour de France. La Reine, qui ne l’a pas oublié, en le voyant dit :

« C’est une vieille connaissance ! »

et toute la Cour note qu’Elle traite avec une attention particulière le jeune homme.

La scène est relatée dans le film de Jean Delannoy (1956)
...et dans celui de Sofia Coppola (2006)

L’un des premiers soins d’Axel après son retour en France, une fois finies les présentations et les visites de courtoisie est de prendre contact avec l’armée française. Dans ce but, il se rend en compagnie de son ami Stedingk, colonel suédois, à l’armée du Nord.

« Je songeais, écrit-il dans son journal, d’aller en Normandie voir le camp qu’il y avait sous les ordres du Maréchal de Broglie. Je proposais à Stedingk d’être du voyage ; il y consentit et il fut résolu, que nous partirions le 10. Nous fîmes faire nos uniformes d’après le nouveau costume. Madame de Boufflers marqua beaucoup de curiosité de les voir et nous allâmes chez elle ainsi habillés une couple de jours avant notre départ. Elle trouva l’habit très leste, mais seulement mon uniforme seul joli ».

Ce voyage dure plus de deux semaines. Axel et Stedingk semblent y prendre grand plaisir.

Le 11 septembre 1778

Ils arrivent à Bayeux et repartent le 12 septembre pour le camp dressé comme une menace face à la côte anglaise. Voici la vivante description qu’Axel a donné de leur arrivée dans son journal :

« Nous descendîmes chez le maréchal au quartier général. Il faisait un temps affreux, une pluie horrible, et un froid très vif. Nous étions fort embarrassés l’un et l’autre de nous présenter ainsi, sans être connus, dans un habillement aussi extraordinaire et notre embarras augmenta considérablement en voyant la quantité de monde qu’il y avait et qui allait nous examiner. Le premier moment, quand nous entrâmes dans la chambre où étaient tous les aides de camp et les officiers fut horrible, et il fallu prendre son parti. Nous trouvâmes tout de suite un des aides de camp de Monsieur de Bois-Rouvray, qui nous accosta, nous lui dîmes que nous étions Suédois et que nous avions des lettres à remettre au Maréchal. Un moment après les portes s’ouvrirent et les officiers entrèrent pour l’ordre. On nous fit entrer aussi et je trouvai un petit homme fort bien mis qui avait l’air fort éveillé. Je lui présentai mes lettres. Après les avoirs lues, il me fit les plus jolis compliments du monde sur mon père, en me disant que mon nom était très connu en France. Le prince de Beauveau et plusieurs autres dirent la même chose. On parla beaucoup de mon père, je reçu beaucoup de compliments sur mon compte, par nombre de personnes qui vinrent me dire qu’elles avaient servi avec lui et me demandèrent de ses nouvelles.
J’étais fort content de ma réception. Le maréchal nous fit tout de suite donner un logement et nous devions y faire porter nos effets. Le lendemain il nous présenta à sa femme, à sa fille, à sa sœur, etc… etc… Nous y dînâmes, il nos fit tout plein de politesses, on nous combla d’amitiés et nous fit promettre que nous entrerions dans notre logement le lendemain ».

Le voyage se poursuit dans d’aussi heureuses conditions. Que le temps soit bon ou mauvais, Fersen n’en paraît pas moins satisfait. Tous les gens qu’il rencontre sont aimables avec lui et son ami. Ils occupent la même chambre que deux jeunes Français, le comte et le marquis de Roquefeuille que Fersen considère comme de bons camarades. Le maréchal ne les reçoit pas moins aimablement, prête ses chevaux aux jeunes Suédois et, pour employer l’expression d’Axel « nous garda toujours à côté de lui, quoi qu’il renvoyât tous les autres ».

Axel trouve les troupes fort belles et bien exercées ; la brigade Allemande-Bavière dans laquelle il doit lui-même servir et la brigade de La Marck sont selon lui les premières tant par la beauté des hommes que par la précision et l’attention dans l’exercice.

Marie-Charlotte Bontemps, comtesse de la Châtre (1762-1848), en 1789, par Elisabeth Vigée le Brun

L’après-midi, entre les manœuvres, on danse pour chasser l’ennui. Les dames dont les maris servent au camp accourent des environs. Voici mesdames de la Châtre, de Simiane, de Navarès, la marquise de Coigny, madame de Villequier. « Madame Decajol et ses trois charmantes filles étaient le principal ornement du bal » nous dit Fersen.

Quelquefois les deux Suédois sont invités à dîner chez le prince de Beauveau et la princesse, « une des femmes qui a le plus d’éloquence, d’esprit et de savoir » plaît beaucoup à Axel.

« Enfin, résume-t-il, tout le monde nous faisait des politesses, on nous regardait comme Français, et j’aurais volontiers passé un couple de mois de cette façon, mais le camp devait finir le 30 septembre et nous avions résolu de nous en aller le 25 ».

Mais des faveurs plus personnelles que celle d’être regardé comme Français lui sont réservées.

Dès son retour à Paris, Marie-Antoinette semble chercher toutes les occasions pour lui montrer l’intérêt qu’Elle lui porte. Il est vrai qu’il ne va pas souvent à Versailles mais chaque visite apporte une nouvelle preuve de la faveur de la Reine à son égard.

Le 1er octobre 1778

Il écrit à son père  :

« … Tout le monde me reçoit si bien et on me parle tant de vous, mon cher père, qu’il me semble que c’est une seconde patrie, ceux même qui ne vous ont pas connu, se font honneur de parler de vous et disent du moins qu’ils vous ont ont vu. Il n’y a pas jusqu’à la Reine qui me fasse politesse et qui ne m’ait parlé de vous ».

Le 15 novembre 1778

Dans une lettre à son père, Fersen parle de Marie-Antoinette.

« La Reine, qui est la plus jolie et la plus aimable princesse que je connaisse, a eu la bonté de s’informer souvent de moi ; elle a demandé à Creutz pourquoi je ne venais pas à son jeu les dimanches, et ayant appris que j’y étais venu un jour, qu’il n’en avait pas, elle m’en a fait une espèce d’excuse. Sa grossesse avance et elle est très visible. »

L’intérêt visant Fersen est dirigé vers son pays et sa famille :

« Tout le monde me reçoit si bien ici et on me parle tant de vous, mon cher Père, qu’il me semble que c’est une seconde patrie, ceux mêmes qui ne vous ont pas connu, se font honneur de parler de vous et disent du moins qu’ils vous ont vus, il n’y a pas jusqu’à la Reine qui ne me fasse politesse et qui ne m’ait parlé de vous.»

Axel de Fersen à son père           

Le 19 novembre 1778

Axel écrit ceci :

« La Reine me traite toujours avec bonté. Je vais souvent lui faire ma cour au jeu, elle me parle toujours. Elle avait entendu parler de mon uniforme et elle témoigna beaucoup d’envie de le voir au lever ; je dois y aller mardi ainsi habillé non pas au lever mais chez la Reine. C’est la princesse la plus aimable que je connaisse ».

C’est le premier témoignage public de l’intérêt que Marie-Antoinette lui porte. Un jeune Suédois, plus tard le célèbre archevêque Lindblom, qui ne connaissait pas personnellement Axel rapporta le fait dans une lettre qu’il écrit de Versailles, le 24 décembre 1778 à un ami en Suède :

Image de Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy
Axel de Fersen dans le costume du Royal Suédois dans lequel Marie-Antoinette souhaita le voir par Benjamin Warlop

« … L’habit Suédois… jugé au point de vue du bon goût n’est en aucune façon inférieur à l’habit français. Le Français qui croit posséder un goût raffiné, le reconnaît volontiers et tout Versailles ne parle que d’un comte Fersen qui est venu à la cour portant l’habit national suédois que la Reine, d’après ce qu’on m’a dit a examiné très soigneusement ».

 

L’habit suédois agrée surtout à la Reine, mis en valeur par celui qui l’ajuste à son élégance, Axel ose, à la Cour, être de son pays, ne pas avoir l’air, comme tout le monde, français. Hardiesse d’originalité ou de dandysme, faite pour séduire Marie-Antoinette.

Le Jeu de la Reine, salon de la Paix, par Benjamin Warlop

Le 15 décembre 1778

On s’amuse follement cet hiver 1778-1779 à Paris.

« Mon séjour ici devient de jour en jour plus agréable, écrit Axel à son père. Je fais à tout moment de nouvelles connaissances au point de ne pouvoir sans me gêner, les cultiver toutes… Toutes les personnes que j’avais connues à mon premier voyage paraissent me revoir avec plaisir… Enfin, c’est un lieu charmant, ou il ne me manque, pour être parfaitement content, que la satisfaction de vous y voir, mon Père ».

Cette dernière phrase ne constitue qu’une formule de politesse car rien certainement ne serait moins désirable pour Axel en ce moment que la présence à Paris de son père ou d’un membre quelconque de sa famille.

Le 19 décembre 1778

Marie-Antoinette donne naissance au premier enfant du couple royal, Marie-Thérèse Charlotte, «Madame Royale ».

Les jeux, les réceptions et les fêtes sont alors interrompus pour quelques temps. Après les quelques semaines qu’exige le rétablissement de la Reine, les plaisirs reprendront de plus belle

Le 23 décembre 1778

Retour de Fersen à Versailles, consécutif à l’abandon du projet d’invasion de l’Angleterre.

Le 24 décembre 1778

Fersen est est invité au réveillon donné pour la Reine chez madame de Lamballe. Il passe plusieurs jours à Versailles avant d’aller à Paris.

« L’habit suédois… jugé au point de vue du bon goût n’est en aucune façon inférieur à l’habit français. Le français qui croit posséder un goût raffiné, le reconnaît volontiers et tout Versailles ne parle que d’un comte Fersen qui est venu à la cour portant l’habit national suédois que la Reine, d’après ce qu’on m’a dit, a examiné très soigneusement »

Un jeune Suédois, plus tard le célèbre archevêque Lindblom à un ami en Suède   

Marie-Antoinette dans le Salon doré par Benjamin Warlop

Au cours de l’hiver 1779

Il devient l’un des familiers de la Reine, et collectionne les conquêtes féminines. Cette «âme brûlante sous une écorce de glace», selon le bon mot d’une de ses amies, passe pour un séducteur impénitent doté d’une nature chevaleresque. C’est une personne assez frivole ! Dans ces cahiers de notes, c’est surtout une succession de descriptions vestimentaires des différentes cours d’Europe, et les noms illustres qu’il a rencontrés et leurs commentaires sur lui-même. 

Mais Fersen rêve également de se battre.

Il exprime son désir de continuer à servir la France. Cette idée n’est pas nouvelle et il l’a déjà formulée à la fin de 1778 ou au début de 1779… Cette décision est donc d’une date bien moins récente qu’on ne le croit généralement et il est probable que ses relations avec Marie Antoinette n’en aient pas été la cause déterminante.

Il demande à rejoindre le corps expéditionnaire français qui part en Amérique. Le Roi de Suède, à qui le comte de Creutz a fait part de l’inclination de Marie-Antoinette, intervient, et Fersen obtient d’être nommé aide de camp du comte de Vaux, qui doit commander les troupes. Finalement, le corps expéditionnaire ne part pas, et Fersen rentre au château de Versailles, très dépité. Il fait le siège du comte de Vergennes et du prince de Montbarrey, ministre de la Guerre.

Fin mars 1779

Image de Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola

Marie-Antoinette attrape une rougeole très douloureuse, cause de violents maux de gorge et d’aphtes. Elle se retire donc à Trianon afin de préserver Sa petite fille et Son mari de tout risque de contagion.

Elle est alors veillée par le comte d’Esterházy (1740-1805), le baron de Besenval (1721-1791) et les ducs de Coigny (1737-1821) et de Guînes (1735-1806).

Et voilà que la riche Germaine Necker (1766-1817) est promise au baron de Staël (le mariage aura lieu en 1786, car la demoiselle n’a que treize ans). Cela ne contrarie pas Axel outre mesure, qui écrit à son père :

Le 11 juillet 1779

« J’ai appris à mon arrivée ici que Mademoiselle Leyelle était mariée, j’en suis fâché, mon cher Père, ce mariage vous aurait fait plaisir. Staël a encore des espérances et depuis qu’il est fait ministre, et sera sans doute ambassadeur elles se sont augmentées, il n’y faut donc plus songer, je n’en connais pas d’autre, qu’importe. Je ne suis pas pressé et je me trouve fort bien de l’état de garçon. Je sens que celui de mariage ne me rendrait pas aussi heureux. Au moins qu’il n’augmentât considérablement ma fortune, ce n’est pas la peine de se marier pour n’avoir que des peines, des embarras et des privations de plus.»

Axel de Fersen à son père           

Le 20 janvier 1780

Fersen est nommé colonel attaché à l’infanterie allemande.
Il s’engage pour la Guerre d’Indépendance en Amérique. Madame de Fitz-James (1753-1812) lui demande alors :

« Quoi! Monsieur, sous abandonnez ainsi votre conquête?
_Si j’en avais fait une, je ne l’abandonnerais pas,
répond Axel, je pars libre et malheureusement sans laisser de regret.»

Marie-Sylvie de Fitz-James           

Armand-Louis de Gontaut-Biron, duc de Lauzun, dessin de Louis-Auguste Brun

 

Le 1er mars 1780

Le duc de Lauzun (1747-1793) est nommé Brigadier de Dragons,  sous les ordres de Rochambeau (1725-1804). Il rencontre alors Axel de Fersen dont il va devenir une référence militaire.

« Je me suis particulièrement lié avec le duc de Lauzun. Les opinions sont partagées sur son compte, vous en entendrez dire du bien et du mal. Les premiers ont raison, les seconds ont tort. S’ils le connaissaient ils changeraient d’avis et rendraient justice à son cœur.»

Axel de Fersen à son père 

Le 23 mars 1780

Il embarque, à Brest, sur le Jason, et part enfin pour les Amériques, où il participe à la guerre d’Indépendance américaine sous les ordres du comte de Rochambeau.

Martijn Lakemeier, un acteur néerlandais, est Fersen dans la série Marie-Antoinette (2022) de Peter Travis pour Canal +
Le comte de Rochambeau
Image de La Guerre des Trônes (2022) de Vanessa Pontet et Eric Le Roux

Le 16 mai 1780

Fersen, à bord du Jason depuis plusieurs semaines, part avec la flotte française pour l’Amérique.

La guerre d’indépendance américaine

Image de Barry Lyndon (1975) de Stanley Kubrick
Jamie Dornan est Fersen dans Marie-Antoinette de Sofia Coppola

jamie dornan GIF

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Le 19 octobre 1781

Il se fait apprécier de Rochambeau qui l’appelle son «premier aide de camp», se lie avec duc de Lauzun qui lui promet le brevet de colonel commandant sa légion, et le marquis de Ségur, qui lui promet également de le nommer colonel en second. Fersen se conduit brillamment au siège de Yorktown en Virginie.

Jean-Yves Berteloot en Axel de Fersen dans La Révolution française de Robert Enrico, 1989
Le comte de Rochambeau
La bataille de Yorktown: On y voit le général Rochambeau avec George Washington d'un côté et son aide de camp de l'autre. qui n'est autre qu'Axel de Fersen, selon Herman Lindqvist

Le 22 octobre 1781

Naissance du Dauphin, Louis-Joseph-Xavier-François (1781-1789).

La naissance du Dauphin Louis-Joseph

En octobre 1782

Grâce à l’intercession de Marie-Antoinette, il obtient  la place de colonel en second du régiment de Royal-Deux-Ponts. Il déclare alors à son père qu’il souhaite rester en Amérique jusqu’à la fin du conflit, et ensuite passer au service de Gustave III.

En juin 1783

A

Fersen rentre des  Etats-Unis avec les troupes françaises. Il a été gratifié de l’ordre de Cincinnatus que Washington lui a remis à son départ ainsi qu’à Stedingk. C’est un souvenir flatteur et mérité pour la part qu’il a prise dans une campagne mémorable où il n’a pas ménagé ses efforts. Après cinq semaines de traversée, il arrive à Paris le 23 juin.

Le 23 juin 1783

Fersen rentre de campagne , et se rend à Versailles où il obtient, toujours par la faveur de Gustave III et de la Reine, le Royal-Suédois en pleine propriété. La rumeur va alors bon train à la Cour. A son retour de la guerre d’Indépendance, Axel est un homme vieilli prématurément. Surtout qu’il est assez hypocondriaque, et a les intestins fragiles, il a beau faire le galant, c’est une petite nature ! 

Habit d'Axel de Fersen

A considérer la silhouette de cet habit d’Axel de Fersen des années 1780, on devine sa haute taille, il devait approcher le 1,90 mètre, mais l’on ne peut que s’étonner de l’étroitesse de ses épaules qui paraissent assez malingres. Malgré l’expérience américaine, on a donc affaire à un courtisan entretenu dans sa forme, plutôt que sportif….

Tyrone Power est Axel de Fersen dans le film de Van Dyke (1938)

Sitôt arrivé à Paris, Fersen multiplie les démarches pour obtenir un régiment. Il demande à Sophie de persuader leur père, et sollicite Gustave III :

« Dans une lettre que j’eus l’honneur de Vous écrire du Cap, Sire, je Vous demande Votre consentement pour accepter la propriété du Régiment de Monsieur le Duc de Lauzun maintenant il se présente une occasion d’avoir celui du Royal-Suédois et si Votre Majesté veut en faire la demande pour moi je suis sure de l’obtenir; je ne m’arrête pas sur les avantages qui résulteraient pour moi d’un pareil arrangement, ils sont fort grands, et Votre Majesté les sent comme moi; malgré cela je n’y aurais jamais songé si cette place avait due me priver du plaisir de faire mon service auprès de la personne de Votre Majesté, et si elle eut due m’empêcher d’avoir l’honneur de lui faire ma cour, mais elle n’exige pas de résidence, et fournit a Votre Majesté le moyen de placer de jeunes gens dans ce Régiment, qui rapporteraient ensuite pour le service de leur patrie les talents et l’expérience qu’ils auraient pu acquérir dans celui de France qui va être plus actif que jamais.
J’ose supplier Votre Majesté en faveur des bontés qu’elle a toujours eu pour moi, de consentir à cet arrangement, et j’ose me flatter que vous voudrez bien, Sire, ajouter a tous Vos bienfaits celui d’y contribuer.
La permission que je Vous avais demandée de ne revenir qu’au printemps, est mal d’accord avec l’impatience extrême que j’ai de Vous faire ma cour, et je viens de proposer a mon Père de passer cet hiver en Suède, et que Votre Majesté veuille me promettre de retourner en France au printemps pour faire mon service d’été au Régiment ou je suis, de passer ensuite l’hiver a Paris pour faire mes arrangements, finir mes affaires, et revenir en Suède au printemps, ce nouveau projet satisferait la grande impatience que j’ai de Vous faire ma cour, Sire. J’ose me flatter et je supplie Votre Majesté de vouloir bien consentir a celui de ces deux projets pour lequel mon Père se décidera, et d’être mon avocat auprès de lui.
Mais le vieux sénateur met aussi tous ses efforts à voir son fils atteindre le poste d’ambassadeur, avec une loyauté qui force le respect :
Staël me traite avec toutes sortes d’égards, je loge chez lui, écrit-il à son père, on ne saurait être mieux dans un palais, qu’il n’est dans celui-ci, il y est aimé de tout le monde. C’est la seule personne que le Roi puisse y envoyer et qui y soit agréable, tout le monde désire le voir ambassadeur et si vous pouviez y contribuer, ce serait une nouvelle preuve de vos bontés pour moi et vous feriez du bien a un sujet, qui le mérite et qui ne serait point ingrat.»

Axel de Fersen à son père            

Jean-Yves Bertheloot interprète Fersen dans Les Années Lumière (1989) de Robert Enrico

Le 31 juillet 1783

Fersen écrit à sa sœur Sophie qu’il ne se mariera jamais, parce qu’il ne peut pas être à la seule personne à qui il voudrait être, à la seule qui l’aime véritablement, ainsi il ne veut être à personne.

« J’ai reçu il y a trois jours une lettre de mon ami Creutz, qui m’a fait le plus grand de tous les plaisirs. Or que je suis heureux ma chère Sophie, il me mande que le Roi et mon Père ont consentis a tout, jugés de mon bonheur. J’en écris aujourd’hui à mon Père pour lui en faire mes remerciements, et lui témoigner toute ma joie. J’ai peine a le croire tant je suis heureux, j’ai plus d’une raison pour cela, que je vous direz quand nous nous verrons.
Je partirai d’ici vers le 13 Sept: et je serai en Suède le 15 oct: que j’aurai de plaisir à vous voire ma chère amie a pouvoir causer avec vous, a vous dire combien je vous aime. Ah ! Soyez toujours sure de l’amitié vive et tendre que je vous porte elle ne finira qu’avec ma vie.
Malgré tout le plaisir que j’aurai à vous voir je ne puis quitter Paris, sans regret. Vous trouverez cela très naturel quand vous en saurés le sujet, je vous le direz car je ne veux avoir rien de caché pour vous.
Je suis bien aise que Mademoiselle Lyell soit mariée, on ne m’en parlera plus et j’espère qu’on n’en trouvera pas d’autre, j’ai pris mon parti je ne veux jamais former le lien conjugal, il est contre nature. Lorsque j’aurai une fois le malheur de perdre mon Père et ma Mère, ce sera vous ma chère amie qui me tiendrez lieu de l’un et de l’autre et même de femme. Vous serez la maîtresse de ma maison, elle sera la vôtre, et nous ne nous quitterons pas. Si cet arrangement vous convient il fera le bonheur de ma vie. Je ne puis pas être a la seule personne a qui je voudrais être la seule qui m’aime véritablement, ainsi je ne veux être à personne.»

Axel de Fersen à sa sœur Sophie Piper          

Cette seule personne à qui il voudrait être n’est-elle pas sa sœur Sophie elle-même et non Marie-Antoinette comme les auteurs qui utiliseront les termes tronqués de cette lettre se plairont à le croire? 

 

Le 25 août 1783

La Cour apprend une nouvelle grossesse de Marie-Antoinette. La Reine en est mécontente et s’enferme dans ses appartements ; ses dames trouvent porte close.

 

Le 20 septembre 1783

Fersen quitte la France pour retourner en Suède. Gustave III le nomme Lieutenant Colonel des Dragons du Roi. Dans sa lettre de remerciements même, Axel revient avec son envie de régiment en France, sollicitant l’intervention personnelle de Gustave auprès de Louis XVI.

Hans Axel de Fersen en 1783, par Peter Adolf Hall

« Recevez Sire tous mes remerciements de la nouvelle marque de bonté que Votre Majesté vient de me donner, en m’accordant la demande que je lui avais faite. Votre consentement Sire a cette affaire a reçu un nouveau prix, par la manière touchante et flatteuse dont Votre Majesté a bien voulue me l’annoncer. La parole que Vous exigez de moi, Sire, de passer six mois en Suède, Vous était donné depuis longtemps, mon cœur Vous en est garant mon plus grand bonheur sera toujours d’être auprès de Vous, et de pouvoir Vous convaincre de toute ma reconnaissance le cours entier de ma vie ne suffirait pas pour m’acquitter envers Vous. Je passerai six mois de l’année auprès de Vous Sire, peut être même davantage, recevez en ma parole d’honneur, et croyez, Sire que j’ai un plaisir extrême à vous la donner. Je n’ai jamais eu l’idée de m’expatrier, quoiqu’on m’en soupçonne peut être, mais je ne le pourrais pas – l’honneur de Vous voir, de Vous faire ma cour, est trop nécessaire à mon bonheur. Vous avés rendu mon existence trop agréable en m’attachant à Votre personne pour n’y pas tenir infiniment, et sans parler de liens de sang qui m’attachent à ma patrie, quel serait mon existence en France, si je quittais Votre service, je rentrerais alors dans la classe de tous les français, dont je n’ambitionne pas le sort; je n’ai de considération et d’agrément ici que par les bontés dont Votre Majesté m’honore; mes sentiments plus encore que mon intérêt Vous sont garants que je consacre mes jours à Votre service, et que j’y mettrai tout le zèle dont je suis capable, puissé-je un jour être assez heureux pour Vous servir utilement, ce sera le plus beau de ma vie.
Je crois remplir encore mieux les vues de Votre Majesté en tachant d’avoir le Régiment Royal Suédois de préférence a tout autre, cela serait plus décent et plus avantageux pour Votre Majesté, en y plaçant de bons sujets, on donnerait de la nation l’idée qu’on doit en avoir en France, et que la manière distinguée dont les officiers de Votre marine sont servis, a déjà si bien établie; j’espère que je réussirai à l’obtenir, et que je parviendrai a tirer ce Régiment des mains des Messieurs de Sparre.»

Axel de Fersen à Gustave III          

Morphing du visage d'Axel de Fersen d'après ce portrait

En 1783, le comte de Fersen obtient, suite à la demande du Roi Gustave III lors de son voyage en France, une pension de 20 000 livres, elle sera réduite en 1788 à 13 000 livres, et cessera tout à fait en 1791.

Et voici la lettre de recommandation que Gustave III écrit à Louis XVI :

« Monsieur, mon frère et cousin, le comte de Fersen, ayant servi dans les armées de Votre Majesté en Amérique avec une approbation générale, et s’étant rendu par là digne de votre bienveillance, je ne crois pas commettre une indiscrétion en vous demandant un régiment – propriétaire pour lui. Sa naissance, sa fortune, la place qu’il occupe auprès de ma personne, la sagesse de sa conduite, les talents et l’exemple de son père, qui a joui auparavant de la même faveur en France, tout m’autorise à croire, que ses services ne pourront qu’être agréables à Votre Majesté, et, comme il restera également attaché au mien et qu’il se partagera entre les devoirs qu’exige son service en France et en Suède je vois avec plaisir, que la confiance que j’accorde au comte de Fersen et la grande existence dont il jouit dans sa patrie étendront encore davantage les rapports qui existent entre les deux nations et prouveront le désir constant que j’ai de cultiver de plus en plus l’amitié qui m’unit à vous, et qui me devient de jour en jour plus chère. C’est avec ces sentiments et ceux de la plus haute considération et de la plus parfaite estime que je suis, monsieur, mon frère et cousin, de Votre Majesté le bon frère, cousin, ami et allié.»

Gustave III           

« Le Roi a consenti tout de suite, et a témoigné la plus grande envie de faire quelque chose qui put être agréable a. Votre Majesté, la Reine a bien voulu s’en mêler, des qu’elle a su que Vous le désiriez, tout va bien, et je crois pouvoir assurer à Votre Majesté que j’aurai le Régiment de Royal Suédois, on a imaginé ici que c’était celui qui ferait le plus de plaisir a Votre Majesté, et celui qui me conviendrait le mieux, on a offert a messieurs de Sparre des avantages assez considérables pour les faire quitter, le comte Ernst a déjà renoncé a sa survivance, et le Comte Alexandre a depuis longtemps témoigné le désir de rendre son Régiment, il s’agit seulement de régler les prétentions exorbitantes qu’il fait. Parmi ces demandes il fait celle du Cordon des Séraphins. Le Comte de Cheffer le lui a presque assuré dans une lettre ou il l’engage a ne pas accepter le Cordon Rouge qu’on lui offrit alors; je n’ose me flatter que les bontés et l’intérêt que Votre Majesté daigne prendre a moi puissent l’engager a lui accorder cette grâce a laquelle il a véritablement les droits tant par sa naissance, que par la promesse du Comte de Cheffer, et s’il consent a me céder son Régiment ce dont je ne doute pas, c’est en grande partie pour plaire a Votre Majesté.»

Fersen à III           

Marie-Antoinette par François Dumont

Voici la lettre de Marie Antoinette à Gustave :

« Monsieur mon frère et cousin, je profite du départ du comte Fersen pour vous renouveler les sentiments qui m’attachent à Votre Majesté; la recommandation qu’elle a faite au roi a été accueillie comme elle devait l’être, venant de vous et en faveur d’un aussi bon sujet. Son père n’est pas oublié ici: les services qu’il a rendus et sa bonne réputation ont été renouvelés par le fils, qui s’est fort distingué dans la guerre d’Amérique, et qui, par son caractère et ses bonnes qualités a mérité l’estime et l’affection de tous ceux qui ont eu l’occasion de le connaître. J’espère, qu’il ne tardera pas à être pourvu d’un régiment. Je n’oublierai rien pour seconder les vues de Votre Majesté et vous donner en cette occasion comme en toute autre des preuves du sincère attachement avec lequel je suis, monsieur mon frère et cousin, votre bonne sœur et cousine.»

Marie-Antoinette   

Franchement, on ne lit que de la civilité entre souverains désireux de se rendre mutuellement service.  Fersen ne parle à sa sœur et confidente Sophie que de ce qui importe réellement pour lui :

« Mon affaire est décidée, ma chère amie, je suis Colonel Propriétaire du Royal Suédois, mais je n’ai pas encore mon brevet, n’en dites rien à mon Père, s’il ne vous en parle pas; il y a encore l’article des 100,000 à arranger avec lui.»

En septembre 1783

Il quitte Versailles et rejoint Gustave III qui se rend incognito en Italie, en tant que capitaine des garde du corps du souverain.

« Le comte de Haga (Gustave III) était tombé à la cour comme une bombe. Le roi était à la chasse à Rambouillet, la reine le fit prévenir en toute hâte. (…) Les valets de chambres ne se rencontrèrent point là quand il le fallut ; ils avaient emporté les clefs, on ne savait où les prendre. Le comte de Haga était déjà chez la reine ; le roi dans sa bonté ne voulait pas le remettre ; des gens de la cour aidèrent Sa Majesté à s’habiller tant bien que mal… On était si pressés que tout fut fait de travers sans qu’on s’en aperçût. Il avait une de ses boucles de souliers en or et l’autre blanche, une veste en velours au mois de juin ! et ses ordres tout à rebours (ses emblèmes royaux à l’envers), il n’était bien poudré que d’un côté et le nœud de son épée ne tenait pas. La reine en fut frappée et se contraria. Quant au roi, au contraire, il en rit beaucoup, et fit rire le comte de Haga.»

La baronne d’Oberkirch             

Le 29 octobre 1783

Axel a pour projet de rentrer en Suède, mais Gustave III décide de l’emmener dans son voyage en Italie. Le sujet rencontre donc son souverain à Erlanger, rencontre dont il rend fièrement compte à son père :

« C’est à Erlang le 16 de ce mois que j’ai joint le Roi, jamais un frère séparé pendant longtemps d’un frère qu’il aime tendrement, n’a été reçu comme je l’ai été par ce charmant monarque, il n’y a pas de paroles qui pussent l’exprimer, il pleurait de joie et de sensibilité, et j’étais très touché depuis ce moment, il n’y a aucune sorte de marques d’amitié et de confiance que je n’éprouve tous les jours.»

Axel de Fersen à son père          

 

Le 8 novembre 1783

Il renchérit  :

« [Le roi Gustave] était encore au lit, quand j’arrivai, il me fit entrer sur le champ, il m’embrassa mille et mille fois, me dit les choses les plus tendres et les plus flatteuses sur le désir et l’impatience qu’il avait eu de me revoir, et sur la manière dont je m’étais conduit en Amérique, il était attendri jusqu’aux larmes, il en versait de joie, et j’étais vivement touché, il me répéta mainte et mainte fois combien il sentait vivement l’étendue du sacrifice que je lui faisais, en ne vous voyant, qu’il concevait la peine que cela vous faisait; qu’il la partageait, et que s’il n’y avait été force, n’ayant aucun autre capitaine de gardes en état de le suivre, il ne m’aurait pas pris avec lui, quelque envie qu’il en eut, et quelque convenable que cela fut, moi étant le seul qui fut fait pour lui faire honneur… enfin il me reçut non en Roi mais en ami tendre et sensible…, Il me distingue de tous les autres en tout et partout.»

Axel de Fersen à son père           

 

A lire cette lettre de Fersen , on croirait plutôt avoir affaire à l’amant du Roi de Suède qu’à «celui» prétendu de la Reine de France…
Au cours de ses pérégrinations, Axel rencontre plusieurs membres de la famille Habsbourg, dont la simplicité lui plaît. Voici ce qu’il nous dit de Marie-Caroline :

« La Reine a de l’esprit; elle est aimable et prévenante comme toute la maison d’Autriche et comme eux elle aime à gouverner et gouverne; elle parle peut-être un peu trop.»

Et sur Joseph II, il écrit :

« La grande simplicité de ses manières de ses discours et de son habillement, contrastait beaucoup avec l’élégance et la frivolité des nôtres; il avait l’air solide et nous léger. Je ne sais pas, si la comparaison a été tout à fait à notre avantage, chez les gens sensés. J’en doute, et je ne crois pas, que nos talons rouges, notre belle coiffure, nos diamants, nos chaînes de montre et nos habits de satin, l’aient emporté sur un bon uniforme de drap, bien propre, un col noir et une bonne épée de cuivre bien dorée; c’était ainsi qu’était vêtu l’Empereur. Il voyageait sans sénateur sans premier gentilhomme de la chambre, sans capitaine des Gardes, sans écuyer etc. etc. il n’y avait pas dans son antichambre 14 personnes, dont les unes devaient reconduire ceux qui venaient, jusqu’à la porte, d’autres au haut de l’escalier et d’autres jusqu’en bas.»

Image de La Guerre des Trônes (2022) de Vanessa Pontet et Eric Le Roux
Gustave III de Suède par Pasch
Gustave III, Roi de Suède, par Pasch

Le 7 juin 1784

Le comte de Haga, c’est-à-dire le Roi Gustave III de Suède, arrive à la Cour de France incognito et à l’improviste. Dans la matinée, il arrive à Paris et descend chez son ambassadeur, le baron de Staël-Holstein, qui n’a pas encore épousé la future romancière. Le Roi de Suède a accepté l’invitation que Louis XVI lui avait adressée en février.

Gustave en personne a fait le compte-rendu de cette réception :

« On a joué sur le petit théâtre le « Dormeur réveillé », par M. de Marmontel, musique de Grétry (c’est « le Dormeur éveillé » de Piccini) avec tout l’appareil des ballets de l’Opéra réunis à la Comédie Italienne. La décoration de diamants termina le spectacle. On soupa dans les pavillons des jardins et, après souper, le jardin anglais fut illuminé. C’était un enchantement parfait. La Reine avait permis de se promener aux personnes honnêtes qui n’étaient pas du souper et on avait prévenu qu’il fallait être habillé en blanc ce qui formait vraiment le spectacle des Champs-Élysées. La Reine ne voulut pas se mettre à table, mais fit les honneurs comme aurait pu faire la maîtresse de la Maison la plus honnête. Elle parla à tous les suédois, et s’occupa d’eux avec un soin et une attention extrêmes. Toute la famille royale y était, les charges de la cour, leurs femmes, les capitaines des gardes du corps, les chefs des autres troupes de la Maison du Roi les ministres et l’ambassadeur de Suède (M. de Staël). La Princesse de Lamballe fut la seule des princesses de sang qui y était. La Reine avait exclu tous les princes, le Roi ayant été mécontent d’eux.»

Appartement prévu pour Gustave III de Suède au château de Versailles
( Texte et illustrations de Christophe Duarte – Versailles Passion )

Un appartement est aménagé au rez-de-chaussée de l’Aile du Midi, attenant à l’Escalier des Princes, appartement affecté à la duchesse de Bourbon.

La visite de Gustave III est organisée à la hâte, le souverain francophile n’ayant annoncé sa visite que tardivement. Selon la tradition établie à Versailles, toute visite princière, fut-elle incognito, conduit à l’aménagement d’un appartement réservé au visiteur et correspondant, par sa richesse, à son véritable rang. Le Garde-Meuble de la Couronne envisage dans un premier temps de commander des ameublements neufs pour la chambre et le grand cabinet du souverain suédois, mais il est finalement décidé, pour cette dernière pièce, d’acheter un meuble sur le marché parisien.

Plan du rez-de-chaussée de l'Aile du Midi

 

Ce mobilier a appartenu au Comte de Gamache qui l’a acheté au marchand parisien François-Charles Darnault en 1778. Composé d’un canapé, de six fauteuils, de deux bergères et d’un écran de cheminée estampillés du menuisier Jean‑Baptiste II Tilliard, il est digne, par la richesse de son décor sculpté et doré, du mobilier royal. Il l’est d’autant plus que le dessinateur et entrepreneur le plus en vue de la Fabrique lyonnaise, Philippe de Lasalle, en a conçu l’étoffe : un «gros de Tours broché fond satin à médaillons et figures, La Bouquetière et le Jardinier», l’une de ses plus célèbres compositions.

Pendule placée sur la cheminée, en bronze doré et patiné représentant l’Enlèvement d’Europe du bronzier Jean-Joseph de Saint-Germain, semblable à celui qui appartenait à Madame Victoire, paire de chenets provenant du grand salon de Mesdames à Bellevue, achetés aux marchands-merciers Darnault en 1784, écran de cheminée du mobilier commandé par le comte de Gamaches en 1778, acheté par le Garde-Meuble de la Couronne en 1784, servant pour l'aménagement de l'appartement de Gustave III lors de sa visite au château de Versailles puis récupéré par Louis XVI pour son Cabinet à Compiègne, photographie de Christophe Duarte, Versailles Passion

Le mobilier comporte des meubles provenant du fonds du Garde-Meuble de la Couronne et d’un ensemble pour la chambre : un lit à quatre colonnes et à impériale avec couronnement sculpté, quatre fauteuils et huit pliants.

Il devait être couvert d’un pékin fond blanc avec la tapisserie du Cabinet de la Reine à Versailles.

Dans le cabinet, un secrétaire, une commode et une table mécanique, qui a été livrée à Marie-Antoinette par Riesener, le 26 janvier 1781 pour Son cabinet intérieur.

Pour le Cabinet, un ensemble de six fauteuils, huit cabriolets et deux bergères ont été achetés pour l’occasion. Un canapé et un écran complètent l’ensemble.

Table mécanique de Riesener

Des meubles d’ébénistes complétaient les sièges : dans la chambre, une commode et une table à écrire.

Considérons à présent les deux pièces connues aujourd’hui comme celles qui auraient été attribuées à Fersen  dans l’attique du château de Versailles.

L’appartement attribué à Fersen
( texte et illustrations de Christophe Duarte ; Versailles -passion )

Première pièce
Plan des cabinets de l'Attique

Axel de Fersen revient plusieurs fois à Versailles. On l’y voit en juin 1783, en juin 1784, en juin 1789 où il assiste impuissant au début de la Révolution.

Nouveau tissage de toile de Jouy qui recouvrira les murs de ces pièces
Cette même pièce du service, dite de Fersen, après les restaurations achevées en 2023

Marie-Antoinette l’a-t-Elle logé dans les deux pièces en enfilade des valets de chambre à l’étage de ses cabinets intérieurs, comme l’affirme le baron de Besenval ?

Seconde pièce

Dans une lettre datée du 8 octobre 1787, Fersen demande à Marie-Antoinette de faire installer un poêle dans son logement : «Qu’elle fasse faire une niche au poêle». Marie-Antoinette fait faire ces modifications dans ses appartements intérieurs qui correspondent aux demandes de Fersen. 

Le 9 octobre 1787, on retire les glaces dans un cabinet du petit appartement de la Reine au deuxième étage, on les replace le 23 octobre et le 18 octobre on livre des tables de marbre pour servir de foyer au poêle.

Une lettre de la Direction générale des bâtiments du Roi confirme que Marie-Antoinette ordonna de faire les travaux nécessaires à l’installation d’un poêle. Loiseleur écrit au Directeur général des bâtiments, le 10 octobre 1787 :

« J’ai l’honneur de rendre compte à M. le Directeur Général des Bâtiments que la Reine a envoyé chercher le poêlier suédois qui a fait des poêles à l’Appartement de Madame et que Sa Majesté lui a ordonné d’en faire un dans ses cabinets intérieurs avec tuyaux de chaleur pour échauffer une petite pièce à côté. La Reine m’a ordonné aussi de faire disposer l’emplacement dudit poêle qui consiste dans la dépose de deux parties de lambris, dans la démolition d’un bout de cloison pour la refaire en briques et de la dépose d’une partie du parquet pour y faire un âtre en brique.»

Evelyn Farr , « Marie-Antoinette et le Comte Fersen – La correspondance secrète »          

L'escalier des Dupes

On est loin du luxe déployé pour la réception éphémère du Roi de Suède ou de celui des appartements de madame de Polignac à ce moment-là ou ceux de mesdames de Pompadour et du Barry. Ce n’est donc pas l’appartement d’un favori. Il s’agit juste là de pièce où déposer ses bagages, une sorte de boudoir-placard où se retirer, mais qui ne présente pas la possibilité de recevoir et faire salon. Fersen n’a pu loger ici, à moins d’y installer son lit de camp… 

Il s’agit d’un pied-à-terre lorsqu’il loge dans un hôtel extérieur à Versailles.

Axel von Fersen (miniature réalisée par Hall)

Le 21 juin 1784

Fête donnée en l’honneur du comte de Haga ( Gustave III ), souper, spectacle et illumination à Trianon.

C’est une soirée fastueuse. Les invités, tout de blanc vêtus selon le désir de la souveraine, commencent par assister au Dormeur éveillé de Marmontel, puis ils se rendent par le parc illuminé jusqu’au temple de l’Amour. Là, une foule est massée, car la Reine a permis «à toutes les personnes honnêtes» d’entrer dans le parc à condition qu’elles aient un habit blanc.

Fersen et la Reine dans le film de Sofia Coppola 
Image de Marie-Antoinette, l'insouciance guillotinée (2022)
Derrière le Temple de l'Amour, en vue de son illumination pour cette fête mémorable entre toutes ( la plus belle de toutes celles que Marie-Antoinette donna à Trianon ) , une tranchée avait été creusée dans laquelle un grand feu consuma le nombre prodigieux de 6400 fagots de bois !
Fête de nuit donnée par la Reine à Trianon d’Hubert Robert, vue sur le Temple de l’Amour

« A la table du Roi, on a servi quatre-vingts entrées et quarante-huit entremets. A la grande table d’honneur quarante-huit entrées et soixante-quatre entremets .  
Menu : oreilles d’agneau à la Provençale, esturgeon à la broche, sauce à la glace, rôt de bif de chevreuil, d’un chevreuil tué par le Roi lui-même, compote de faisans …»

Journal du secrétaire Franc, cité par Félix Moeschlin dans  Le beau Fersen

« Soudain, une flamme s’éleva derrière le Temple et, en quelques secondes, le parc entier parut brûler. Des colonnes d’étincelles montaient vers la cime des arbres et les nuages s’empourprèrent.»

« Après l’embrasement du Temple, on servit un souper dans les pavillons du jardin français. Au petit matin, Gustave III, ravi par cette fête grandiose, remercia Marie-Antoinette. Il ignorait, le pauvre, que, sans l’amour, la France, n’eût certainement pas fait tant d’honneur à son pays.»

Illumination du belvédère et de la grotte au Petit Trianon par Châtelet, 1785

La Reine ne danse point … Elle a l’esprit ailleurs …

Gustave III fait le compte-rendu de cette réception :

« On a joué sur le petit théâtre le « Dormeur réveillé », par M. de Marmontel, musique de Grétry (c’est « le Dormeur éveillé » de Piccini) avec tout l’appareil des ballets de l’Opéra réunis à la Comédie Italienne. La décoration de diamants termina le spectacle. On soupa dans les pavillons des jardins et, après souper, le jardin anglais fut illuminé. C’était un enchantement parfait. La Reine avait permis de se promener aux personnes honnêtes qui n’étaient pas du souper et on avait prévenu qu’il fallait être habillé en blanc ce qui formait vraiment le spectacle des Champs-Élysées. La Reine ne voulut pas se mettre à table, mais fit les honneurs comme aurait pu faire la maîtresse de la Maison la plus honnête. Elle parla à tous les suédois, et s’occupa d’eux avec un soin et une attention extrêmes. Toute la famille royale y était, les charges de la cour, leurs femmes, les capitaines des gardes du corps, les chefs des autres troupes de la Maison du Roi les ministres et l’ambassadeur de Suède (M. de Staël). La princesse de Lamballe fut la seule des princesses de sang qui y était. La Reine avait exclu tous les princes, le Roi ayant été mécontent d’eux.»

Tout en multipliant les conquêtes, Axel entretient une correspondance suivie avec Marie-Antoinette.

En juin 1784

Fersen revient à Versailles, dans l’entourage de Gustave III qui voyage toujours sous le nom de « comte de Haga », et qui ne va pas tarder à le gratifier d’une pension de 20 000 livres annuelles, qui lui permet de mener bon train à la Cour. Lors du voyage en Italie, Fersen écrit à son père combien l’excentricité de Gustave III l’exaspère.

Richard Todd est Axel de Fersen, dans Marie-Antoinette reine de France par Jean Delannoy, 1956

Le 9 novembre 1784

« Mr de Boye. Prie de m’envoyer un chien qui ne fut pas petit, de la taille de ceux qu’avait Monsieur Pollett, dit que c’était pour la Reine de France.»

Journal d’Axel de Fersen        

Le 27 mars 1785

Naissance de Louis-Charles, duc de Normandie, surnommé «Chou d’Amour» par Marie-Antoinette, Dauphin en 1789 et déclaré Roi de France en 1793 par les princes émigrés sous le nom de Louis XVII.

Le 19 juillet 1784

Fersen rentre en Suède pour huit mois.

Le 22 octobre 1784

« Mr de Boye… Que le chien n’est pas arrivé comment je dois faire pour l’avoir.»

Journal d’Axel de Fersen       

Louis-Charles, duc de Normandie par Élisabeth Vigée Le Brun

Le 18 avril 1785

Axel quitte Stockholm pour arriver sans encombres à Paris le 10 mai 1785.

Geneviève Casile (Marie Antoinette) et Henri Deus (comte de Fersen) dans Marie Antoinette de G.-A. Lefranc

« Mais il est 8 h. du soir, il faut que je vous quitte, je suis à Versailles depuis hier, ne dites pas que je vous écris d’ici, car je date mes autres lettres de Paris. Adieu, il faut que j’aille au jeu de la Reine. Adieu.
A 9 h. du soir le même jour.
Je sors dans le moment du jeu de la Reine et n’ai que le temps de finir ma lettre, car je dois aller dans le moment souper chez Madame d’Ossun, dame du Palais, la Reine y sera; au sortir du souper à 1 h. je retourne à Paris, et cette lettre part demain matin à 8 h. Adieu, je vous quitte… »

Axel de Fersen à Sophie Piper          

Axel de Fersen

En mai 1785

Il revient en France prendre possession de son régiment, à Landrecies, près de Valenciennes, et partage son temps entre la Cour et son régiment.

La caserne de Landrecies... aujourd'hui.Axel n'est pas satisfait d'être stationné à Landrecies et dès son arrivée, il s'adresse à Monsieur d'Avrange pour être transporté ailleurs : « … qu'il me fasse avoir Maubeuge, Cambray ou Lesquesnoy... »

Le 8 mai 1785

Retour de Fersen en France. Le registre de lettres fait état de l’existence d’un logement de Fersen à Versailles dans l’hôtel de Luynes.

Le 24 mai 1785

Marie-Antoinette fait Son entrée à Paris pour fêter Ses relevailles. Voici la description qu’en donne Axel :

Nathan Metral est Fersen dans Le Versailles Secret de Marie-Antoinette (2018) de Sylvie Faiveley

« L’entrée de la Reine s’est faite avant-hier. Votre Majesté verra par le journal de Paris l’ordre de la marche, les équipages n’étaient pas très beaux et la reine a été reçue très froidement. Il n’y avait pas une seule acclamation mais un silence parfait, il y avait une foule de monde énorme, le soir, la reine a été fort applaudie à l’Opéra, les applaudissements ont duré près d’un quart d’heure. Le soir, il y a eu quelques illuminations très belles, celle de la place Louis XV était superbe, l’ambassadeur d’Espagne qui loge dans un des pavillons donna un feu d’artifice très joli mais trop petit, la reine fut dans la place pour la voir. L’illumination du baron de Staël était très jolie ; la reine et Madame Elisabeth ont couché aux Tuileries ; hier elles ont été aux Italiens, la reine y a été fort applaudie.
J’ai annoncé ici l’arrivée du comte de Hessenheim pour l’automne, il m’en avait prié, il m’a paru que cela n’a pas fait un extrême plaisir à la duchesse de Polignac, c’était cependant la où il m’avait prié d’en parler, il y a même des gens qui ont fait une petite grimace à cette nouvelle ».

Fersen parle ici ouvertement de l’impopularité de Marie-Antoinette. Pendant cette année, alors qu’Axel était loin de la France, la popularité de la Reine a en effet beaucoup baissé. Aux reproches d’autrefois, son goût pour les plaisirs et sa passion pour le jeu, s’ajoutent d’autres et de plus graves : Son intimité avec le cercle Polignac et l’affaire du collier. 

En 1785

Axel propose à Taube d’intervenir pour lui auprès de Gustave III, pour lui faire offrir l’ambassade de Suède à Paris. Alors Fersen pourrait rester auprès de Marie-Antoinette et il aurait été possible pour sa sœur Sophie de venir faire les honneurs de sa maison.
Mais ce projet ne se réalise pas, parce que le baron de Staël a été créé ambassadeur pour sa vie en 1785 pour faciliter les négociations pour son mariage avec Germaine Necker.

Gustave III offre à Fersen le poste très discret d’envoyé extraordinaire auprès de Louis XVI et Marie-Antoinette personnellement. Il fait explicitement le distinguo entre France le pays révolutionnaire (Staël reste ambassadeur) et la monarchie (Fersen est l’envoyé personnel du Roi de Suède au Roi de France). Fersen touche à une pension diplomatique qui lui permet de rester en France, Gustave explique à son père qu’il a donné à Axel un poste d’une grande importance.

Laurent Le Doyen interprète Fersen dans Marie-Antoinette (1988) de Caroline Huppert

Fersen est de retour à Landrecies. La correspondance reprend avec Marie-Antoinette. Il reste à son régiment jusqu’au 27 septembre 1785.

Le 15 août 1785

Le cardinal de Rohan est arrêté dans la galerie des Glaces, à Versailles, dans le cadre de l’affaire du Collier.

Le 6 septembre 1785

Axel informe Sophie Piper de son prochain départ pour Paris

« … Mon séjour à Landrécies tire à sa fin, je partirai le 27 ou le 28 pour aller à Paris… ».

Entre temps, il s’occupe de trouver un logement à Paris et charge un attaché à l’Ambassade de Suède, Monsieur d’Asp, de cette mission.

Le 9 septembre 1785

Depuis Landrecies :

Louis-René-Édouard, prince de Rohan (1734-1803), cardinal-évêque de Strasbourg et grand aumônier de France

« Je n’ai point parlé à votre majesté de l’affaire du cardinal. Monsieur Staël qui est à Paris et par conséquent plus apporté que moi d’en saisir les détails, les aura sans doute donnés à votre majesté, c’est une infamie dont on aurait encore moins soupçonné un homme qui jouit de douze à quinze cents mille Livres de rente, il est vrai que les affaires sont bien dérangées et qu’il avait sur les bras une bien mauvaise affaire pour l’administration des quinze-vingts où il y avait un déficit de dix huit à dix neuf mille francs, toutes les histoire qu’on débite sur lui et surtout en province sont incroyables, on ne veut pas que ce soit le collier et la signature de la reine contrefaite qui soit la vraie cause de sa détention, on suppose quelques raisons politiques et il n’y en a certainement pas ; à Paris même, on dit que toute cela n’était qu’un jeu entre la reine et le cardinal, qu’il était fort bien avec elle, qu’elle l’avait en effet chargé de lui acheter le collier, et qu’elle se servait de lui pour faire savoir à l’empereur tout ce qui se passait dans le conseil, que c’était pour lui porter ces nouvelles qu’il avait fait le voyage d’Italie, et qu’il l’avait été cherché à Venise, que la reine faisait semblant de ne pas pouvoir le souffrir afin de mieux cacher le jeu, que le roi en avait été informé, qu’il le lui avait reproché, qu’elle s’était trouvée mal et avait fait semblant d’être grosse… »

Fersen à Gustave III         

A la mi-septembre 1785

Axel retrouve son frère, Fabian qui arrive de Londres. Les deux frères se rendent aux bains de Saint-Amand, non loin de Landrecies pour voir le beau-frère de Sophie, le sénateur Scheffer. Axel aurait voulu pousser le voyage jusqu’à Spa, mais y renonce par crainte d’y rencontrer une certaine miss Florence qu’il tient absolument à éviter.

Le 17 septembre 1785

Comme nous le montre son livre de correspondance, Fersen demande à Monsieur d’Asp de voir le logement vis à vis de Madame de La Fare ainsi qu’une écurie et une remise pour son phaéton.

Le 24 septembre 1785

Il indique qu’il prend le petit logement de Madame de La Fare avec les écuries et lui demande d’aller voir.
Ce même jour, il confirme la location par une lettre à Madame de La Fare et lui demande de lui faire avoir également une écurie et une remise en précisant qu’il arrivera le 28 septembre.
Au moment de son départ de Landrecies, Axel ne sait pourtant pas encore si l’arrangement est définitif puisqu’il a mentionné dans une lettre à monsieur d’Asp :

« … Que j’arrive le 30, qu’il me fasse savoir à la barrière où je dois loger ».

L'hôtel de Luynes

Le 30 septembre 1785

Fersen est de retour à la Cour. Il reprend son logement à l’hôtel de Luynes, rue de la Surintendance à Versailles, dans l’appartement de Madame de La Fare. Il dispose également d’un pied-à-terre à Paris.

Le 4 octobre 1785

Retour « officiel » de Fersen à la Cour.

 

En novembre 1785

Fabian de Fersen arrive à Paris et il y restera jusqu’en mars ou avril 1786, mais les lettres qu’il envoie alors à son père ne nous apprennent rien sur son frère Axel.

En janvier 1786

Fersen passe plusieurs jours à son régiment.

Le 14 janvier 1786

Fabian de Fersen assiste au mariage de Staël avec Germaine Necker.

En mars 1786

Annonce de la grossesse de Marie-Antoinette. Ses lettres à Son frère
trahissent Son inquiétude de se trouver encore grosse. L’accouchement est prévu fin juin. Le retour de Fersen en Suède, prévu en mai, est reporté à la fin juin.

Du 2 au 10 juin 1786

Fersen est à son régiment à Valenciennes.

Marie-Antoinette et Fersen dans la pièce Madame Capet, de Marcelle Maurette, 1937

Du 11 au 25 juin 1786

Fersen est auprès de Marie-Antoinette à Versailles.

Le 15 juin 1786

Axel écrit à son ami Taube qu’il ira à Londres pour regagner la Suède. Le même jour, il écrit aussi à Monsieur Grill, consul de France à Gothembourg, pour savoir s’il y a à Londres un navire en partance pour la Suède. Il demeure à Paris jusqu’au 20 juin.

Le 20 juin 1786

Louis XVI part visiter les fortifications à Cherbourg.

Le 25 juin 1786

Départ de Fersen pour la Suède, via l’Angleterre.

Le 9 juillet 1786

Naissance à Versailles de Sophie Hélène Béatrice, fille cadette de Marie-Antoinette et Louis XVI.

Il n’y a de réjouissance que celle des Parisiens qui peuvent boire gratuitement aux buffets des Messieurs. En effet, le peuple souffre souvent de faim. Le Ministre Calonne règne…

Le 26 juillet 1786

Retour de Fersen en Suède, à Helsingborg. Il y reste jusqu’au 15 avril 1787.En 1787

Il part quelques semaines pour accompagner Gustave III dans sa guerre en Finlande contre Catherine II de Russie.

Le 20 avril 1787

« Ce qu’elle doit me trouver pour loger en haut ».

Début de la liaison d’Axel avec Eléonore Sullivan. Il lui écrira sans discontinuité plusieurs fois par semaine pendant dix ans de 1790 à 1800.

A partir de mai 1787

Axel de Fersen est de retour en France. Il fera cependant plusieurs séjours à Valenciennes où se tenait son régiment dont il était colonel.

Du 15 au 20 mai 1787  

Fersen inspecte son régiment à Maubeuge.

Du 21 mai au 24 juin 1787

Fersen est à Versailles au moment de la maladie, puis de la mort de la petite Madame Sophie.

Le 18 juin 1787

La mort de Madame Sophie avant son premier anniversaire, éprouve la Reine qui s’inquiète aussi pour la santé de Son fils aîné.

Le 21 juin 1787

Marie-Antoinette s’enferme seule au Petit Trianon avec Madame Élisabeth, sans suite, pour pleurer Sa fille.

Eléonore Sullivan par Benjamin Warlop d'après Vigée Le Brun
Madame Sophie par Elisabeth Vigée Le Brun

Le 23 juin 1787

Fersen est de retour à Maubeuge.

En août 1787

Fersen passe le mois à Maubeuge.

De septembre au 5 octobre 1787

Fersen est à Paris et Versailles.

Du 5 au 18 octobre 1787

Fersen est à Valenciennes pour y établir son régiment.

Le 8 octobre 1787

« Qu’elle fasse faire une niche au poêle».

Scène de bal dans Les Années Lumière (1989) où Marie-Antoinette ( Jane Seymour) danse avec Axel de Fersen ( Jean-Yves Berthelot)

Le 19 octobre 1787

Fersen est de retour à Paris et chez la Reine à Versailles. Elle a commandé un poêle pour son logement «en haut», au château.

 

Le 27 décembre 1787

 

Axel écrit à Gustave III :

« Madame de Polignac se soutient toujours elle est toujours aussi bien qu’elle était, mais depuis le départ de M. Calonne les individus de sa société ne sont plus rien et n’ont aucun crédit. La Reine est assez généralement détestée, on lui attribue tout le mal qui se fait et on ne lui sait pas gré du bien.
Le choix de M. Necker serait fort bon et l’Archevêque se serait fait beaucoup d’honneur s’il l’avait appelé quand il a été fait ministre principal. On a une grande idée, et avec raison, de l’honnêteté et des talents de cet homme… Le Roi est toujours faible et méfiant, il n’a de confiance qu’en la Reine, aussi il paraît que c’est elle qui fait tout, les ministres y vont beaucoup et l’informent de toutes les affaires, on a beaucoup dit dans le public que le Roi commençait à boire que la Reine entretenait cette passion et profitait de son état pour lui faire signer tout ce qu’elle voulait, rien n’est plus faux il n’a pas le penchant pour la boisson et dans la supposition qu’on fait ce serait un vice trop dangereux pour les suites qu’il, pourrait avoir, car une autre pourrait surprendre au Roi une signature aussi bien que la Reine.
Depuis que l’anglomanie s’est glissée dans tous les esprits, Versailles a été plus désert qu’a 1 ‘ordinaire, pour y ramener du monde on dit, qu’il va y avoir des soupers trois fois par semaine chez la Reine, on doit s’assembler à 9’h. jusqu’à 11h. Je crois que cela n’est pas encore décidé, il y a jeu les samedis et dimanches.»

Vers la fin 1787 se dessine de plus en plus nettement l’imminence d’une guerre entre la Suède et la Russie. Fersen doit servir sa patrie. 

Du 19 octobre 1787 au 15 avril 1788

Fersen passe son temps à Paris et au château de Versailles.

Le 15 avril 1788

Axel quitte la France et rejoint la Suède pour participer à la guerre qui oppose son pays à la Russie. 

De mai 1788 au 24 octobre 1788

Fersen est en Suède, la plupart du temps avec l’état-major de Gustave III, puis en Finlande pour la guerre contre la Russie. Axel prend les armes avec son frère Fabian. Très proche de son souverain pendant toute la campagne, il gardera sur lui la lucidité qu’il avait lors du voyage en Italie, critiquant sans complaisance ses excentricités.

 Le 21 octobre 1788

Axel se remet en route pour la France. Arrivé à Paris, il porte sur les événements un jugement critique :

« La fermentation des esprits est générale, on ne parle que de constitution, les femmes surtout s’en mêlent et vous savez, comme moi l’influence qu’elles ont dans ce pays-ci. C’est un délire; tout le monde est administrateur et ne parle que de progrès; dans les antichambres les laquais sont occupés à lire des brochures qui paraissent, tous les jours il y en a dix ou douze, et je ne comprends pas comment les imprimeries y suffisent; c’est dans ce moment une affaire de mode, et vous savez comme moi, l’empire qu’elle a. »

Axel de Fersen à son père          

Le 4 juillet 1788

Fersen demande que son régiment intègre Valenciennes. C’est là que l’atteint la nouvelle de l’arrestation de son père. Gustave III a fait un véritable coup d’état qui brise sa noblesse frondeuse, à commencer par le vieux sénateur Fersen, chef du parti des chapeaux.

Fredrik de Fersen sera libéré en avril 1789.

Le 6 novembre 1788

Fersen est de retour à Paris.

De novembre 1788 à juin 1789

Comme à son habitude, Fersen partage son temps entre Paris et Versailles, où il loge à l’hôtel de Luynes.Au printemps 1789

Son père est arrêté pour avoir pris parti pour les droits de la noblesse dans le conflit qui oppose Gustave III à son aristocratie, après des revers dans la guerre (que Gustave III menait finalement à terme après la bataille navale à Svensksund). Marie-Antoinette lui ordonne alors de rentrer à Paris.

 Le 5 mai 1789

Ouverture des États-Généraux.

Procession des trois ordres, du Roi et de la Reine qui se rendent dans la Salle des Menus Plaisirs de Versailles.

Y sont réunis tous les protagonistes de la Révolution future…

Marie-Antoinette dans Sa dernière parure de souveraine par Benjamin Warlop

A propos du ministre des finances, Fersen écrit : 

« Monsieur Necker, aussi ignorant en administration qu’on le dit savant en finances et imbu des idées philosophiques, n’a jamais songé qu’il fallait gagner des voix pour le roi. Il a voulu rester honnête homme au milieu des fripons, et il en est resté dupe. Son amour propre démesuré lui a fait croire qu’il les persuaderait, mais l’argent de l’Angleterre avait des arguments plus forts et irrésistibles. M. Necker n’est pas seulement coupable d’ignorance, il l’est encore de trahison. Il a voulu être le ministre du peuple, régner par lui, et forcer le roi de ne jamais pouvoir se passer de son concours: il a sacrifié le roi et l’État à son ambition.»

En juin 1789

Inquiet pour la Reine, il prend un logement à Versailles. Les proches de la famille royale prennent mal l’installation de Fersen près de la Reine, redoutant que cela n’attise la haine des courtisans envers Elle. Fersen devient un favori du couple royal.

Le 4 juin 1789

Mort du Dauphin, Louis-Joseph-Xavier-François, à Meudon.

Mort du Dauphin dans Les Années Lumière de Robert Enrico (1989)

Le 20 juin 1789

Serment du Jeu de paume

A cette époque, Fersen trompe, depuis deux ans, son grand ami Crawfurd avec Eléonore Sullivan sous son propre toit et il s’en amuse dans son Journal.

Quentin Crawford par Benjamin Warlop
Eléonore Sullivan (collection particulière)

Le 14 juillet 1789

Les parisiens prennent la Bastille et en assassinent le gouverneur, monsieur de Launay.

La prise de la Bastille dans Les Années Lumière (1989) de Robert Enrico

« Le lang Fersen a passé son temps à Valenciennes et son régiment de même. Toujours prudent et froid, il voit le bouleversement total de la France, la cour et sa bienfaitrice humiliées, indignement traitées par la canaille, sans sortir de sa position.»

Gustav-Maurice, comte d’Armfelt          

Saint-Priest note que le château de Versailles s’étant vidé de ses courtisans, «il ne resta plus à la reine que le comte de Fersen, lequel continua à jouir d’entrées libres chez elle et d’avoir de fréquents rendez-vous à Trianon.»

Le 16 juillet 1789

Les Polignac suivent le conseil du Roi et de la Reine et prennent la route de l’exil. Le comte d’Artois en fait de même avec ses fils.

Images des Années Lumière (1989) de Robert Enrico
Le départ des Polignac par Benjamin Warlop

A la fin du mois d’août 1789

Fersen est toujours en garnison à Valenciennes.

Le 24 septembre 1789

Axel quitte son régiment de Valenciennes et s’installe à Versailles.

Les 5 et 6 octobre 1789

Films et auteurs prêtent à Axel de Fersen une attitude héroïque en ces jours-là… En réalité, il était parti se coucher fort tard le 5 lorsque le Roi avait sonné le coucher !!!!

 

Il est arrivé par le grand appartement directement dans le salon du conseil, puis dans la chambre du Roi…. il n’était pas présent dans la chambre de la Reine au moment de l’assaut … Pas de fougueux destrier précédant à bride abattue son aimée, donc, mais le train des courtisans de Versailles, comme tout le monde… Il suffit de le lire :

Le matin du 6 octobre 1789 par Benjamin Warlop

« J’ai été témoin de tout et je suis revenu à Paris dans une des voitures de la suite du Roi; nous avons été 6 h 1/2 en chemin. Dieu me préserve de jamais voir un spectacle aussi affligeant que celui de ces deux journées. Le peuple paraît enchanté de voir le roi et sa famille. La reine est fort applaudie, et elle ne peut manquer de l’être quand on la connaîtra, et qu’on rendra justice à son désir du bien et à la bonté de son cœur.»

Axel de Fersen          

Départ du Roi de Versailles, par Joseph Navlet

La famille royale s’installe aux Tuileries et un semblant de vie de Cour se met en place.

Les Tuileries dans Marie-Antoinette (1956) de Jean Delannoy
L'arrivée de la famille royale à Paris le soir du 6 octobre 1789

Et ce commentaire plein d’amertume dans son journal, le 5 octobre 1798 :

« Je me rappelai vivement de ce jour, il y avait neuf ans et de toutes nos angoisses à Versailles, que n’est-on parti et on aurait tout sauvé.»

Fersen loue un logement dans un hôtel parisien au coin de la rue de Matignon et du faubourg Saint-Honoré.

Le 24 octobre 1789

Axel écrit à Sophie :

« Enfin le 24, j’ai passé une journée entière avec Elle.  C’était la première, jugez de ma joie.»

En novembre 1789

Une émeute à Valenciennes oblige Fersen à partir brusquement début novembre  pour rétablir l’ordre dans son régiment.

Le 27 décembre 1789 

« Ma chère amie, votre dernière était du 20 nov: et elle ma fait grand plaisir, il n’y a que l’amitié que je vous porte qui puisse égaler celle que vous avés pour moi, nous avons bien besoin tous deux de cette consolation, ma chère amie. Enfin, le 24 j’ai passé une journée entière avec elle, c’était la première jugés de ma joie, il n’y a que vous qui puissiez le sentir.»

Axel de Fersen à Sophie Piper          

En janvier 1790

Visite de Fersen au baron de Taube, à Aix-la-Chapelle.

Vers le 18 janvier 1790

Axel est de retour à Paris.

Voici comment une descendante d’une de ses sœurs décrit un portrait miniature d’Axel par Pierre Adolphe Hall (1739-1793) :

« L’ensemble n’est point de style scandinave. On devine plutôt un jeune Allemand de grande maison, mais l’expression a je ne sais quel charme français. Il y a plus de finesse et d’aristocratie dans ses traits que de vigueur impérieuse. Les tempes serrées rétrécissent le cerveau. La bouche est d’un arc parfait , son pli volontaire semble expliquer les longs silences ; un demi-sourire un peu triste erre sur les lèvres. Il y a de la douceur dans le regard des yeux bleu d’acier, enfoncés dans l’orbite, grands et beaux, bien que les paupières tombantes les recouvrent à moitié.»

Morphing du visage d'Axel de Fersen d'après ce portrait :
Miniature d'Axel de Fersen par Pierre Adolphe Hall

Le 20 février 1790

Mort de l’Empereur Joseph II, frère de Marie-Antoinette.
Accession au trône impérial de son frère Léopold II, qu’Elle connaît à peine.

En février 1790


Du propre aveu de Fersen, c’est ici que s’ouvre la période la plus intéressante de sa vie. Il jouit de la confiance des souverains français, comme l’atteste cette lettre à son père :

« Ma position est différente de celle de tout le monde. J’ai toujours été traité avec bonté et distinction dans ce pays-ci par les ministres et par le roi et la reine. Votre réputation et vos services ont été mon passeport et ma recommandation; peut-être une conduite sage, mesurée et discrète m’a-t-elle valu l’approbation et l’estime de quelques-uns et quelques succès. Je suis attaché au roi et à la Reine et je le dois par la manière pleine de bonté dont ils m’ont toujours traité, lorsqu’ils le pouvaient, et je serais vil et ingrat, si je les abandonnais quand ils ne peuvent plus rien faire pour moi, et que j’ai l’espoir de leur être utile. A toutes les bontés, dont ils m’ont toujours comblé, ils viennent d’ajouter encore une distinction flatteuse: C’est celle de leur confiance; elle l’est d’autant plus, qu’elle est extrêmement bornée et concentrée entre trois ou quatre personnes, dont je suis le plus jeune, Si nous pouvons les servir, quel plaisir n’aurai-je pas à m’acquitter envers eux d’une partie des obligations, que je leur ai : quelle douce jouissance pour mon cœur d’avoir pu contribuer à leur bonheur ! Le vôtre le sent, mon cher père, et ne peut que m’approuver. Cette conduite est la seule qui soit digne de votre fils, et quoi qu’il puisse vous en coûter, vous serez le premier à me l’ordonner, si j’étais capable d’en avoir une autre. Dans le courant de cet été tous ces événements doivent se développer et se décider, s’ils étaient malheureux et que tout espoir fût perdu, rien ne m’empêcherait de vous aller voir.»

Une lettre pleine de lucidité, une fois de plus : le comte de Fersen constate que la cour de France l’a toujours bien traité, et ce en partie grâce à la réputation de son père. Il s’honore de la confiance dont il est l’objet, et se promet de la payer en retour, en servant tant que faire se peut le roi et la reine. Il sait que, dans ce domaine, son père, aussi chevaleresque que lui, ne peut que l’approuver.

Au printemps de 1790

La vie devient un peu plus facile pour la famille royale qui peut se rendre au château de Saint-Cloud durant la belle saison.

Fersen réside à proximité du château de Saint-Cloud, chez le comte d’Esterhazy à Auteuil ou chez la duchesse de Fitz-James. Il peut donc voir Marie-Antoinette régulièrement.

Marie-Antoinette entame des négociations secrètes avec Mirabeau, officiellement le député le plus puissant de l’Assemblée Nationale, mais qui dorénavant essaye, avec prudence, et contre une belle somme d’argent, de sauver le Roi et sa famille. Son idée est de préserver une sorte de monarchie constitutionnelle.

Axel de son côté, vient s’installer à proximité, à Auteuil chez le comte Esterhazy et le duc de Fitz-James. De leurs propriétés, il peut se rendre au parc de Saint-Cloud.

Le 7 avril 1790

« Ma chère amie, j’ai reçu la votre du 5 et je vous en remercie bien ainsi que tout ce que vous me dites sur le compte de mon amie. Croyez, ma chère Sophie, qu’elle mérite tous les sentiments que vous pouvez avoir pour elle, c’est la créature la plus parfaite que je connaisse et sa conduite qui l’est aussi, lui a gagné tout le monde et j’entend partout son éloge, jugés combien je jouis.»

Axel de Fersen à Sophie Piper         

Le 10 avril 1790

« Je commence a Etre un peu plus heureux car je vois de temps en temps mon amie librement chez elle et cela nous console un peu de tous les maux qu’elle éprouve pauvre femme, c’est un ange pour la conduite, le courage et la sensibilité, jamais on n’a su aimer comme cela. Elle est infiniment sensible à tout ce que vous m’avés dit pour elle et elle en a bien pleurée et elle me charge de vous dire combien elle en a été touchée, elle serait si heureuse de vous voire quelquefois. Elle s’imagine que si notre projet réussissait, vous pourrez alors venir ici et cette idée la rend bien heureuse, en effet cela serait peut être possible alors.»

Axel de Fersen à Sophie Piper

Le 31 mai 1790

« Elle est extrêmement malheureuse, mais très courageuse, c’est un ange je lui ai dit de votre part tout ce dont vous m’avés chargé et cela lui a fait plaisir, je tache de la consoler le plus que je puis, je le lui dois elle est si parfaite, pour moi.»

Axel de Fersen à Sophie Piper     

Le 28 juin 1790

« Le Roi et la Reine sont bien malheureux, et ils ne le méritent pas, la noblesse et le clergé sont détruits enfin on ne rencontre partout que des gens ruinés et qui perdent leur état. Elle aussi est bien malheureuse pauvre femme son courage est au dessus de tout et la rend encore plus intéressante, elle est bien sensible a tout ce que vous dites pour elle, jamais on ne l’a mieux mérité et jamais on n’a été plus parfaite. Mon seul chagrin est de ne pouvoir la consoler entièrement de tous ses malheurs et de ne pas la rendre aussi heureuse quelle mérite de l’être. C’est de chez elle a la campagne que je vous écris.»

Axel de Fersen à Sophie Piper          

Le 14 juillet 1790

 Fête de la Fédération

Le 14 juillet, tout est prêt, y compris un Autel de la Patrie et un arc de Triomphe construit pour l’occasion à l’emplacement actuel de la Tour Eiffel. Les fédérés de toutes la France défilent dessous avec leurs tambours et leurs drapeaux ; ils sont 100 000 (selon les syndicats et 50 000 selon la police – on trouve les deux chiffres dans les sources). La foule des Parisiens prend place sur les talus que l’on a élevés autour de l’esplanade. Louis XVI prend place dans le pavillon dressé devant l’École militaire.

Fersen y accompagne la famille royale dans la loge qui leur est préparée sur le Champ de Mars.

Fersen (Jean-Yves Berthelot) est placé derrière la famille royale dans la tribune qui leur est réservée dans Les Années Lumière (1989) de Robert Enrico

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Jean-François Balmer et Jane Seymour dans Les Années Lumière de Robert Enrico (1989)

L’assemblée entière se lève alors pour prêter le même sentiment de fidélité envers la nation.

De juin à octobre 1790

Fersen loge à Auteuil, d’où il part souvent pour visiter Marie-Antoinette au château de Saint-Cloud.

En novembre 1790

Retour de la Cour aux Tuileries

Du 18 janvier 1790 au 20 juin 1791

Fersen abandonne volontairement l’hôtel de la rue Miromesnil pour habiter rue Matignon, autrement dit Millet, pour ne plus avoir à s’éloigner…

En 1791

Fersen participe aux préparatifs de la fuite à Montmédy:

l’argent est difficile à trouver. Outre la participation de la Reine, Fersen donne tout ce qu’il a, emprunte trois mille livres à son maître d’hôtel, quatre-vingt-treize mille livres à une dame suédoise ( Stegleman) et cent soixante-neuf mille livres à la baronne de Korff. Éléonore Sullivan donne mille livres.

Le 1er février 1791

Fersen écrit à son père :

« … Monsieur de Saint-Priest joint à l’esprit du caractère et de la fermeté, et si l’occasion s’en présentait, c’est le seul sur le lequel le Roi puisse s’appuyer. Je suis fort bien avec lui, sa maison est la mienne, il me comble de bontés, de politesses et de confiance. Je sais par lui ce qui se passe, et souvent même il me consulte. Malgré tout cela, je ne lui dis que ce que je veux et je suis prudent ; la réserve est plus que jamais nécessaire… ».

En février 1791

Dans une seconde lettre adressée à son père, Axel donne un autre témoignage fort bien intéressant sur la situation privilégiée qu’il occupe auprès du couple royal :

« … Ma position est différente de celle de tout le monde. J’ai toujours été traité avec bonté et distinction dans ce pays-ci par les ministres et par le Roi et la Reine. Votre réputation et vos services ont été mon passeport et ma recommandation : peut-être une conduite sage, mesurée et discrète m’a-t-elle valu l’approbation et l’estime de quelques uns et quelques succès. Je suis attaché au Roi et à la Reine et je le dois par la manière pleine de bonté dont ils m’ont toujours traité, lorsqu’ils le pouvaient et je serais vil et ingrat, si je les abandonnais quand ils ne peuvent plus rien faire pour moi et que j’ai l’espoir de leur être utile. A toutes les bontés dont ils m’ont toujours comblé, ils viennent d’ajouter encore une distinction flatteuse : c’est celle de leur confiance ; elle l’est d’autant plus qu’elle est extrêmement bornée et concentrée entre trois ou quatre personnes, dont je suis le plus jeune. Si nous pouvons les servir, quel plaisir n’aurai-je pas à m’acquitter envers eux d’une partie des obligations que je leur ai ; quelle douce jouissance pour mon cœur d’avoir pu contribuer à leur bonheur ! Le vôtre le sent, mon cher père, et ne peut que m’approuver. Cette conduite est la seule qui soit digne de votre fils, et quoi qu’il puisse vous en coûter, vous serez le premier à me l’ordonner, si j’étais capable d’en avoir une autre. Dans le courant de cet été tous ces événements doivent se développer et se décider, s’ils étaient malheureux et que tout espoir fût perdu, rien ne m’empêchera de vous aller voir ».

Une facture d'accessoires de voyage livrés pour la fuite
Gabriel Riqueti de Mirabeau

Le 2 avril 1791

Mirabeau meurt subitement, mettant fin par la même au dernier espoir de la famille royale en une solution politique de la crise. Ses derniers mots auraient été :

« J’emporte avec moi les ruines de la monarchie ».

L’assemblée Nationale ne sait alors encore rien des discussions secrètes avec la famille royale.

Le 11 avril 1791

Fersen écrit à Taube :

« … Le désir du roi sera rempli. Il aura des nouvelles une fois par semaine ; mais représentez-vous qu’étant tout seul, ne pouvant pas même employer un secrétaire, et étant obligé de me montrer dans le monde pour éviter tout soupçon, je suis surchargé d’occupations. Mais la satisfaction de le servir et celle d’être utile au Roi et à la Reine de France me feront trouver tout possible, et si j’y puis réussir, je serai trop récompensé ».

Le 18 avril 1791

La famille royale est empêchée de partir faire Ses Pâques à Saint-Cloud.

Départ de Louis XVI pour Saint-Cloud par Joseph Navlet
Michèle Morgan et Richard Todd dans le film de Jean Delannoy ( 1956)

 

 

Dans la tradition, tout de cette évasion repose sur les épaules de Fersen… Mais les récentes révélations de Geneviève Haroche-Bouzinac, dans son livre sur Madame Campan, montrent que la commande de la berline est faite par Monsieur Pannelier d’Arsonval, beau-frère de Madame Campan.

La nuit du 20 juin 1791

Fersen, déguisé en cocher, escorte lui-même la famille royale  jusqu’à Bondy, mais Louis XVI refusera qu’il les accompagne plus loin.

Image de La guerre des trônes : Fabian Wolfrom incarne Fersen
Costume de Fersen dans le film L'Enfant-Roi (1923) de Jean Kemm, dessiné par Charles Bétout, pour Georges Vaultier
Cape en laine grise dessinée par Gile Steele, portée par Axel Fersen dans les scènes où il assiste le Roi et la Reine dans leur fuite, dans Marie-Antoinette (1938) de Van Dyke
Richard Todd est Fersen dans Marie-Antoinette de Jean Delannoy

L’objectif du Roi étant d’atteindre Montmédy qui se situe en France, au contraire de ce qu’on supposera, il valait mieux qu’il ne soit alors escorté que par des gentilshommes français…

La baronne de Korff,  veuve d’un colonel russe qui se rend à Francfort-sur-le-Main, puis de là en Russie, avec ses deux enfants, est le nom sous lequel voyage madame de Tourzel. On costume le Dauphin en fille, il devient Aglaé , sœur d’Amélie, Madame Royale, leur gouvernante, Sophie Rochet sera la Reine, et Madame Élisabeth tient le rôle de la femme de compagnie de la baronne, Rosalie…

Fersen est supposé rejoindre la place-forte de Montmédy, où se rend la famille royale, en passant par la Belgique. Après l’échec de la fuite et le retour à Paris des fugitifs, Fersen continue à correspondre avec Marie-Antoinette.

Dans la relation du voyage de Varennes de Madame Royale, elle se souvient que «M. de Fersen souhaita le bonsoir à mon père et s’enfuit.»

Il se rend à Vienne pour avertir la Cour de l’Empereur et le décider à l’action. Mais Léopold II temporise, et Fersen, se sentant berné, parle à la Reine de trahison.

Mais lisons plutôt le récit de Fersen :

« L. 20 (Le début manque)… remarque et demanda ce qu’il voulait faire les deux me dirent qu’il n’y avait pas a hésiter et qu’il fallait toujours aller nous convînmes de l’heure etc. etc. que s’ils étaient arrêtés il fallait aller a Brux : et faire agir pour eux etc. etc. en me quittant le Roi me dit mr de F. quoi qu’il puisse m’arriver je n’oublierai tout ce que vous faites pour moi. La Reine pleura beaucoup a 6h : je la quittai elle alla avec les enfants a la promenade pour précautions extraordinaires je rentrai chez moi finir mes affaires à 7 h. chez Sullivan voir si on y avait mené la voit[ure] rentré chzs moi a 8 h. j’écrivis a la Reine pour changer le rendez vous des femmes de chambre et les bien instruire pour me faire dire l’heure exacte par les gardes du C… porté la lettre point de mouvement a 8 3/4 les gardes me joignirent ils me donnèrent la lettre pour Mercy les intruisa rentré faire partir ma chaise leur (les Craufurd) donner mon cocher et mes chevaux pour partir allé prendre la voiture, cru avoir perdu la lettre pour Mercy:a 10 1/4 h : dans la Cour des princes a 11 1/4 les enfants sortis emmenés sans difficulté. La Fayette passé deux fois, a 11 1/4 Me Elisabeth, puis le Roi puis la Reine a 12 h partis joint la voiture Barriere St Martin a 1 1/2 h : a Bondi pris la poste, moi la traverse a 3 h au Bourget et parti.
Le 21. beau tout allait bien retardé dans la traverse entre Maretz et Cateau, le commandant de milice demanda mon nom j’eus peur au Cateau installation d’Ev : passé le Quesnoy par St Vast.»

« Le Roi et toute sa famille quittent Paris, heureusement (sans problème), le 20 à minuit. Je les ai conduits au premier poste. Dieu veuille que la suite de leur voyage soit tout aussi heureuse. J’attends ici Monsieur en ce moment. Je poursuivrai ensuite ma route le long de la frontière, pour rejoindre le Roi à Montmédy, s’il a la chance d’y arriver.» 

Axel de Fersen dans une lettre à son père, 22 juin 1791, depuis Mons

Martin Douaire en comte Axel de Fersen (L'évasion de Louis XVI, Arnaud Sélignac, 2009)

Lui-même sera désorienté par les rumeurs faisant de Barnave l’amant de la Reine.Le 21 juin 1791   La famille royale est arrêtée à Varennes. 

 Fersen arrive à six heures du soir à Mons, où il retrouve Éléonore, Provence et Madame de Balbi.

Damien Jouillerot ( Provence) et Fabian Wolfrom (Fersen) dans La Guerre des Trônes de Vanessa Pontet, Samuel Collardey

« Le 22. beau fait très froid la nuit arrivé a Mons a 6 h : Sullivan, Balbi, Monsieur, beaucoup de français fort contents un moine dans la rue me demande si le Roi était sauvé parti a 11 h : plaine jusqu’à Namur, puis montagnes les Ardennes les forêts depuis March : tout le monde content que le Roi fut sauvé.»

Journal de Fersen          

Le 23 juin 1791

Fersen rencontre Bouillé à Arlon, qui lui annonce l’arrestation de la famille royale.

« Le 23. beau fait froid arrivé à Arlon a 11 h : du soir trouvé Bouillé su que le Roi était pris on ne savait trop bien les détails les détachements pas fait leur devoir le Roi manqué de fermeté et de tête, reposé la.»

Journal de Fersen

Le 24 juin 1791

Désespéré, le Suédois dîne avec Madame Sullivan à Bruxelles. Il reste avec elle à l’hôtel Bellevue jusqu’au 28, s’affichant, selon Emile Dard… 

Outre les indiscrétions diverses (toute l’Europe était au courant, selon Alma Söderhjelm), la décision qu’a prise Louis XVI de se passer de Fersen à partir de Bondy a assurément pesé dans l’échec.

Le 25 juin 1791

La famille royale rentre à Paris sous escorte.

Pendant le voyage du retour, Marie-Antoinette convertit Barnave (1761-1793) à Sa cause.


Le Roi est suspendu.

Le passage de la berline royale devant l'Hôtel de ville de Châlons , par Joseph Navlet
La Reine, le Dauphin, Barnave et le Roi dans la berline du retour de Varennes
Madame Elisabeth, Pétion, Madame de Tourzel et Marie-Thérèse par Benjamin Warlop

Éléonore part en exil avec Crawford et ils réussissent à passer la frontière sans encombre. Elle restera en Angleterre pendant dix ans, se séparera de Fersen qui repartira alors en Suède.

« Ma chère ma bonne ma sensible et bien tendre amie, voici le premier moment de tranquillité que j’ai pu vous donner et mon cœur en a bien besoin; le votre doit sentir tout ce que le mien éprouve de déchirement et je sens en ce moment plus que jamais le besoin d’avoir des amis. Cependant je ne perdrai pas courage et je suis décidé a me sacrifier pour eux et a les servir tant qu’il y aura encore quelque espoir, c’est cette idée seule qui me soutient, et qui me fait supporter patiemment tous mes chagrins. Je resterai ici encore sept a 8 jours j’irai ensuite a Aix la Chapelle et de la a Vienne mais ne parlés pas encore de ce dernier voyage, car je n’en dis rien a mon Père. Adieu ma bien bonne et chère amie aimés moi toujours et croyez que jamais je ne cesserai de vous aimer.»

Axel de Fersen à Sophie Piper          

Page du journal de Fersen, concernant Varennes, écrite de Bruxelles, les 26 27 et 28 juin 1791  ...besogne, grand ordre qui règne à Paris. Commissaires sont allés à la rencontre du Roi. Mout. Voulait qu’ on fit marcher sur le champ des troupes, quantité d’off et de soldats qui désertent. Le Cte d’ Artois arrivé avec Calonne. 27. beau et chaud. Déjeuné Sullivan dîné aussi et passé toute la soirée fait ma cour au Cte d’Artois rien dit parlé à Monsieur suis très réservé et embarrassé tout cela. Madame mauvaise opinion de la chose. Le soir les Pces. reçu tous les off. français dans les apps. de L’archiduchesse il parla de sa reconnaissance. Davares Mr. de la Quenille fort affairés tous comme des fous, mille nouvelles fausses, l’assemblée très radoucie et calme. Reuterwerd arrivé. On me parlait du départ on savait que c’était moi et on me regarda fort à la Cour. nouv. de la paix faite Crawf dit que non. 28. beau et chaud déjeuner dîner et thé chez Sullivan nouvelles de Paris de l’entrée du Roi Barnave et Péthion dans la voiture c’est une horreur point d’applaudissements lettre de Bouillé mauvaise. Crawford offert d’aller en ang. l’archiduc me fit proposer d’aller à Vienne accepte l’assemblée conserve le pouv. exécutif , le Roi en état d’arrestation grande faute, causé avec le Cte. ....

Il sedmble que Fersen et Provence prévoyaient que l’évasion du Roi échoue, puisqu’ils ont planifié en conséquence. Fersen avait en sa possession un brouillon de lettre dans lequel Louis XVI, se déclarant incapable après sa capture, déclarait la régence de Provence et lui donnait tout pouvoir.

L’échec de Montmédy brise la vie de Fersen… et ses ambitions.

Dès lors, il n’a plus qu’une obsession, sauver les souverains français. Deux grands axes à cet ambitieux projet : rassembler les puissances européennes en un congrès armé qui fasse peur aux factieux, et fuir, une fois de plus.

Le 28 juin 1791

Marie-Antoinette envoie une lettre à Mercy avec un billet pour Fersen.

« Je peux vous dire que je vous aime et je n’ai même le temps que de cela. Ne soyez pas inquiet pour moi. Je voudrais bien vous savoir de même. Ecrivez-moi en chiffres par la poste à l’adresse de Mme Brown, dans une enveloppe double pour M. de Gougens. Envoyez  les lettres par votre valet de chambre. Mandez-moi à qui je dois adresser celles que je pourrai vous écrire, car je ne peux vivre sans cela. Adieu, le plus aimé et le plus aimant des hommes. Je vous embrasse de tout coeur. »

Marie-Antoinette à Axel de Fersen

Entre-temps, la fille d’Éléonore et du duc de Wurtemberg les a rejoints à Bruxelles. Elle est âgée de vingt ans et aussi jolie que sa mère . Son père lui a conféré le nom de baronne de Franquemont. Elle épouse un aristocrate émigré, le comte d’Orsay . Ils auront deux enfants : Alfred, l’un des plus grands dandys du XIXe siècle, et Ida, qui épousera le duc de Gramont … petit-fils de Yolande de Polignac (1749-1793).

Du 29 juin au 3 juillet 1791

Fersen, à Aix-la-Chapelle, prend ses ordres de Gustave III, qui veut l’envoyer à Vienne négocier avec l’Empereur Léopold II, frère de Marie-Antoinette.

Gustave III et Fersen (Fabian Wolfrom) à Aix-La-Chapelle ; Image de La Guerre des Trônes de Vanessa Pontet, Samuel Collardey

Début juillet 1791

Marie-Antoinette entame des négociations avec les constitutionnels Barnave, Lameth et Duport, par l’intermédiaire du chevalier de Jarjayes.

Le 3 juillet 1791

Le comte de Fersen arrive à Bruxelles.

Le 4 juillet 1791

Mercy lui remet une lettre de Marie-Antoinette.

Le 17 juillet 1791

Ayant enfin reçu une réponse à la lettre portée à Marie-Antoinette par Reutersvärd, Fersen rend visite au baron de Breteuil, à Gustave III et aux princes à Aix-la-Chapelle, Spa et Coblence, avant de partir pour sa mission à Vienne, le 27 juillet.

Le 1er août 1791

Fersen se donne un coup à la tête qui le fait souffrir pendant plusieurs jours. Lacune dans son journal.

Du 2 août au 26 septembre 1791

Fersen poursuit des négociations infructueuses avec les Autrichiens à Vienne et à Prague.

Le 15 août 1791

Axel de Fersen dîne chez madame de Polignac.

« Elle me parla plus des affaires que de la reine. Elle me dit mille choses ; qu’à l’affaire de Lyon, le roi avait tout approuvé et en avait tout approuvé et avait promis à M. de Rully, chanoine de Lyon, envoyé par la ville au comte d’Artois et envoyé par lui au roi, de partir le 9 ; que le chanoine avait parlé au roi ; que par bonheur le comte d’Artois avait retardé et que dans l’intervalle était arrivée une lettre du roi de Sardaigne, pour empêcher le comte d’Artois d’agir […] Elle désapprouvait la méfiance. »

Le 13 septembre 1791

Suspendu de ses fonctions depuis son arrestation à Varennes, Louis XVI accepte la Constitution rédigée par La Fayette et Barnave. La famille royale regagne un peu de liberté, mais reste étroitement surveillée.

Le 6 octobre 1791

Fersen est de retour à Bruxelles. Il loue un logement, jusqu’alors il n’avait que des logements provisoires. Il fréquente assidûment le baron de Breteuil, Quentin Crawford et Eléonore Sullivan. Il est chargé officiellement de la correspondance du Roi de Suède, ce qui lui permet d’entrer en contact avec de nombreux diplomates.

Reprise d’une correspondance suivie avec Marie-Antoinette. Il demande la permission d’aller La voir à Paris. Son ton, formel au début, se charge d’émotion ; pour la première fois, grâce au projet REX (mis en valeur par le livre d’Isabelle Aristide-Hastir), on l’entend exprimer son sentiment amoureux pour Marie-Antoinette.

D’octobre 1791 à août 1792

Fersen, à Bruxelles, est chargé de la correspondance diplomatique du Roi de Suède. En même temps, il correspond avec Marie-Antoinette  et dirige la diplomatie secrète de Louis XVI avec le baron de Breteuil.

Le 8 octobre 1791

Les Crawford et Fersen se retrouvent à l’hôtel Bellevue, à Bruxelles. Quentin loue une maison qui devient leur quartier général. C’est là que Fersen chiffrera ses lettres à Marie Antoinette et déchiffrera celles qu’il reçoit d’elle. Il correspondra aussi avec Simolin, Breteuil, Mercy Argenteau, toujours dans le même but : sauver la monarchie française.

Le 13 octobre 1791

« Adieu vous que j’aime et que j’adorerai toute ma vie.»

Axel de Fersen à Marie-Antoinette         

Le 19 octobre 1791

Je ne puis vous dire combien je suis touchée de ce qu’a fait ce bon M. Crawfurd pour nous, le roi aussi. Je vous écrirai dans quelques jours ce qu’il faudra lui dire de notre part. Nous serons bien heureux de pouvoir faire quelque chose pour lui. Il y a si peu de gens qui nous témoignent un vrai attachement ! On sait ici qu’il a été mêlé dans nos affaires, et j’ai eu bien peur pour sa maison .»

Marie-Antoinette à Fersen         

Le 26 octobre 1791

« Je ne vis que pour vous aimer, vous adorer.»

Axel de Fersen à Marie-Antoinette           

Le 29 octobre 1791

« Adieu ma tendre amie, je vous aime et vous aimerai toute ma vie à la folie.»

Axel de Fersen à Marie-Antoinette        

Et encore le 31 octobre 1791 :

« J’ai été si pressée la dernière fois que je vous ai écrit, que je n’ai pu vous parler de M. Crawfurd. Dites-lui bien que nous savons la manière parfaite dont il est pour nous, que je me suis toujours plu à croire à son attachement, mais que, dans l’affreuse position où nous sommes, chaque nouvelle preuve d’intérêt est un titre de plus bien doux à notre reconnaissance.»

Marie-Antoinette à Fersen        

Benoît Vallès incarnait Axel de Fersen dans la pièce de Robert Hossein, Je M'appelais Marie-Antoinette (1993)

Gustave III invente un nouveau projet d’évasion. Il veut envoyer Fersen pour le présenter au Roi et à la Reine emprisonnés aux Tuileries.En fait, ce voyage, d’abord refusé par la Reine, souvent différé, n’aura lieu qu’en février 1792, et prendra des allures rocambolesques avant l’heure !

Le 26 novembre 1791

Le comte écrit donc à Marie Antoinette :

« Répondez-moi sur la possibilité de vous aller voir, tout à fait et sans domestique, au cas que j’en reçoive l’ordre du roi; il m’en a déjà lâché quelque chose, sur le désir qu’il en avait.»

Portrait de Sophie von Piper

 

 

En décembre 1791

 

Les rumeurs sur une liaison entre Axel Fersen et Éléonore Sullivan commencent à courir à Bruxelles : Sophie écrit alors à son frère Axel que …

«Tout le monde vous observe et parle de vous ; songez à la malheureuse Elle [Marie-Antoinette], épargnez-lui de toutes les douleurs la plus mortelle ».

 

Le 22 décembre 1791

Axel de Fersen écrit à Marie-Antoinette : 

« … vos intérêts seuls me guident et me guideront toujours ; et quand vous pourriez douter des vues et des projets de M. de Breteuil, j’ai la vanité de penser que ma conduite passée doit vous ôter la possibilité de douter des miennes ; elle doit plutôt vous convaincre de leur pureté, et du zèle, de l’attachement et du dévouement que j’ai mis à votre service. Mon seul désir est de vous servir ; ma plus douce récompense, la seule à laquelle j’aspire, est la gloire d’y réussir ; je n’en veux pas d’autre. Je ne serais que trop récompensé si je pouvais vous savoir heureux et penser que j’ai été assez heureux pour y avoir contribué. »

Le 28 décembre 1791

« M. de Narbonne a eu une idée folle, que je croyais tombée, d’engager le duc de Brunswick à venir commander l’armée. Cette idée est si fort hors de sens que j’ai cru qu’on n’en parlerait plus. Hier, j’ai appris qu’on allait envoyer le petit Custine pour traiter cette affaire . Le comte de Ségur pourrait bien être chargé d’en parler aussi, sans que nous le sachions. Je vous préviens de tout cela, pour n’être pas grondée, et que le baron et vous puissiez prendre vos précautions. Je ne doute pas que le duc refuse, et c’est même nous servir. Adieu. Je n’ai point encore le paquet de M. Crawford .»

Marie-Antoinette à Fersen          

Lettre du 28 décembre 1791 de la Reine à Fersen: photo de l'originale, et fac simile. C'est la seule lettre écrite à l'encre sympathique qui nous soit parvenue.

Fersen essayie de faire pression sur Marie-Antoinette pour qu’Elle oblige Louis XVI à accepter une invasion de la France, et ses lettres montrent sa frustration répétée de voir qu’Elle esquive cela ou exige des réserves (pas d’armées étrangères, ou autorisant cela seulement si la famille royale est réellement retenue captive ou si du mal leur est causé, etc.).

Le comte de Provence, contrairement à Louis XVI, n’a aucun scrupule à provoquer toute sorte d’invasion. Les puissances alliées veulent que Louis XVI accepte les invasions. Son incertitude quant à ce grave choix politique exaspère les alliés de la France monarchique, qui sont donc les ennemis de la nove;le France.

Le 4 janvier 1792

«Le porteur de tous ces papiers ne sait pas, par qui ils me sont venu, et il ne faut pas lui en parler. Le mémoire est bien mal faite et on voit que les genx on peure mais pour notre sureté personnelle il faut encore les ménager; et surtout leurs inspirer confiance par notre conduite icy. on vous expliquera tout cela ainsi que les raisons pourquoi souvent je ne peu pas vous avertire d’avance de ce qu’on va faire. Mon homme n’est pas encore revenu , je voudrais pourtant bien avoir des nouvelles d’où vous êtes. Que veut dire cette déclaration subite de l’emp(ereur) , pourquoi ce silence profond de vienne , et même de Brux(elles) envers moi, je m’y perd, mais ce que je sais bien c’est que si c’est prudence ou politique qui fait qu’on ne me dit rien on a bien tort, et ont m’expose beaucoup puisque personne ne croira que je sois dans cette ignorance , et il seroit pourtant nécessaire que je précise (?) mes propos et ma conduite d’après ce qui se passe, c’est ce que je charge la personne de dire à monsieur de Mercy, je vais finire non pas sans vous dire mon cher et bien tendre ami que Je vous aime à la folie et … jamais jamais je ne peux être un moment sans vous adorer.»

Marie-Antoinette à Axel de Fersen           

Lettre de Marie-Antoinette à Fersen, datée du 4 janvier 1792

Le 11 février 1792

Fersen veut se rendre secrètement à Paris. Il doit remettre à Louis XVI un mémoire de Gustav III et tenter d’organiser une nouvelle fuite. Il quitte donc Bruxelles sans prévenir Crawford.

Le 13 février 1792

Visite clandestine de Fersen aux Tuileries pour tenter d’organiser une autre évasion pour la famille royale. Le Suédois est alors caché par Éléonore Sullivan en utilisant le nom d’Eugen Franchi, son fils illégitime du duc de Wurtemberg.

Image de La guerre des trônes, S7 E3 : Marie-Antoinette, l'Europe pour seul secours de Vanessa Pontet, Samuel Collardey. Fabian Wolfrom y interprète le rôle d'Axel de Fersen

« L. 13. Tres beau et doux. Parti a 9 1/2 h : arreté deux h : a  Louvres pr diner, arrivé sans accident a Paris a 5 1/2 h du soir sans qu’on nous.dise rien. Laisse descendre mon officier a l’hotel des Princes Rue de Richelieu pris un fiacre pour aller ches Gog : rue Pelletier le fiacre ne savoit pas la rue crainte de ne pas la trouver un autre fiacre nous l’indiqua Gog: n’y etoit pas, attendu dans la rue jusqu’a 6 1/2 h : pas venu cela m’inquieta voulu aller prendre Reuters: il navoit pas trouvé place a l’hotel des Princes on ne savoit ou il etoit allé retourné chez Gog: pas rentré pris le parti d’attendre dans la rue enfin a 7 h: arrivé. Ma lettre netoit arrivée que le meme jour a midi et on n’avoit pu le joindre ayant. Alle ches elle passe par mon chemin ordinaire peur des gard: nat: son logement a merveille [resté la].»

Journal de Fersen          

Marie-Antoinette (Marina Delmonde) et Fersen (Fabian Wolfrom) ; Image de La Guerre des Trônes de Vanessa Pontet, Samuel Collardey
Détail de la lettre qui concerne Marie-Antoinette
Cette pharmacie ouverte par Rouvière, un apothicaire de Louis XIV,  dont la célébrité fut grande après avoir procuré un remède efficace à Louis XIV à la fin de sa vie.C'est la plus ancienne pharmacie de Paris ouverte en 1715... Le comte de Fersen y achète «l'encre sympathique» avec laquelle il écrit à Marie-Antoinette.

Le comte suédois rencontre le Roi de France. Fersen propose à Louis XVI et Marie-Antoinette une évasion par la mer et «par des Anglais», le plan étant de sortir de Paris «par les forêts de chasse» et de gagner la frontière, accompagnés par des contrebandiers. Le reste du plan n’est pas détaillé mais il y a eu de nombreux échanges avec Gustave III à ce sujet depuis l’été 1791 : il faudrait gagner un port de la côte (sans doute Ostende) et demander asile à l’Angleterre. Le Roi de Suède ne prévoit que le départ de Louis XVI, mais Fersen souhaite faire évader aussi séparément Marie-Antoinette et le prince royal, ou Marie-Antoinette seule en laissant Madame Royale et Madame Elisabeth. Autant dire que Louis XVI refuse toute autre tentative d’évasion. A neuf heure et demie du soir, Fersen prend congé des souverains, annonce qu’il continue sa mission vers l’Espagne, mais se rend en fait rue de Clichy où il retrouve Éléonore.

Gravure d’une miniature d’Axel de Fersen en 1792

Fersen reste terré dans une petite chambre sous les toits près de la servante Joséphine. Dard précise que c’est parce qu’il ne paraissait pas son âge qu’on a pu faire croire aux domestiques qu’il était le fils de madame Sullivan, elle qui n’a que cinq ans de plus que lui.

Notons la boucle d’oreille. Dans une lettre à sa sœur Sophie Piper de Paris en date du 25 mars 1788, Fersen explique qu’il va se faire percer les oreilles pour améliorer ses problèmes de vue :

« J’ai eu il y a huit jours un peu de faiblesse sur les yeux comme j’en ai quelque fois et tout le monde m’a conseillé de me faire percer les oreilles. Je m’y suis décidé. Il faudra voir ce que cela fera – du moins si  cela ne fait pas de bien, cela ne fera pas de mal. »

Ce traitement est bien sûr inefficace ! Fersen souffrira pour toute sa vie des problèmes de vue (il y en a plusieurs références dans sa correspondance avec sa sœur).

Il commande ses lunettes chez Dollond à Londres.

« Adieu le plus aimé et le plus aimant des hommes.»

Marie-Antoinette à Fersen             

Il faut se méfier de l’emploi de ce verbe au XVIIIe siècle. On «s’aime» beaucoup et à tout propos à cette époque et l’on peut trouver ce verbe sous la plume de deux amies s’écrivant, comme sous celle de deux amis ou sous celle de deux amis de sexe opposé sans pour autant que tous «s’aiment» d’amour et/ou au sens physique du terme…

 

Le 1er mars 1792

Léopold II, le frère de Marie-Antoinette, meurt.

Avènement de Son neveu François II, qui sera couronné empereur le 19 juillet 1792.

Patrice Alexandre interprète Fersen dans Le Gerfaut
Masque mortuaire de Gustave III

Le 29 mars 1792

Mort du Roi Gustave III de Suède, qui avait beaucoup d’amitié pour Marie-Antoinette.

Comme tous les anciens favoris de Gustave III, Fersen se trouve en disgrâce pendant la régence de Charles de Södermanland, futur Charles XIII, frère du feu Roi, de 1792 à 1796.

Image de Marie-Antoinette de Jean Delannoy qui montre comment madame Campan participait pour faire faire passer le courrier secret de la Reine
Image de La guerre des trônes

Le 17 avril 1792

Axel de Fersen écrit à Marie-Antoinette :

« Vous aurez déjà reçu la triste nouvelle de la mort du roi. Vous perdez en lui un ferme appui, un bon allié, et moi un protecteur et un ami. Cette perte est cruelle.»

Jane Seymour dans Les Années Lumière (1989)

Fin avril 1792

Ils sont tous à Bruxelles, les Craufurd, Fersen et la fille d’Éléonore.

Le 20 avril 1792

Déclaration de guerre au Roi de Bohême et de Hongrie, François II.

Le 27 mai 1792

Décret sur la déportation des prêtres réfractaires.

Le 29 mai 1792

Décret supprimant la garde constitutionnelle du Roi.

Le 8 juin 1792

Décret de formation d’un camp de fédérés à Paris.

Le 11 juin 1792

Louis XVI oppose son veto aux décrets des 27 mai et 8 juin.

Lui et la Reine sont désormais surnommés «Monsieur et Madame Veto».

« Oh Dieu ! Que votre situation me peine, mon âme en est vivement et douloureusement affectée.»

Axel de Fersen à Marie-Antoinette             

Le 20 juin 1792

La foule envahit les Tuileries pour faire lever le veto.

Le Roi refuse.

Le peuple de Paris pénétrant dans le palais des Tuileries le 20 juin 1792 par Jan Bulthuis, vers 1800

Le 21 juin 1792

Fersen fait porter à sa maîtresse une lettre annonçant son arrivée. Nous jouâmes bien notre rôle, précise Axel dans son journal, il me crut… Je pris le thé et soupai avec eux.

Fersen retourne à Bruxelles, pendant que les Craufurd prolongent leur séjour à Paris. D’après Gouverneur Morris, Quintin aurait proposé à la Reine, d’accord avec le Roi d’Angleterre, de partir seule avec le Dauphin. En vain.

A Paris, une dame italienne, Madame Toscani, proche ou parente d’Éléonore, s’installe dans la maison de la rue de Clichy. C’est elle qui servira dorénavant d’intermédiaire entre Marie Antoinette et Fersen. Les messages seront dissimulés dans des boîtes de thé, de biscottes, de chocolat, ou dans les doublures de vêtements.

Le dévouement de Madame Élisabeth, prise par la foule pour la Reine, elle ne les détrompe pas pour donner à sa belle-sœur la possibilité de se réfugier et de sauver Sa vie.

Le 22 juin 1792

« Ne vous tourmentez pas trop sur mon compte.»       

Marie-Antoinette à Axel de Fersen        

Martin Douaire en comte Axel de Fersen (L'évasion de Louis XVI, Arnaud Sélignac, 2009)

Le 25 juillet 1792

C’est Fersen qui inspire le « manifeste de Brunswick », ultimatum des armées austro-prussiennes aux révolutionnaires français. Il croit fermement à une victoire rapide de la coalition et imagine même un gouvernement royaliste pour prendre la relève.

Images des Années Lumière (1989) de Robert Enrico : Fersen aide à la rédaction du Manifeste de Brunswick

Le 3 août 1792

Une majorité de sections de Paris demande la déchéance de Louis XVI.

Lettre du 28 juillet 1792

« Je reçois dans ce moment la déclaration du duc de Brunswick, elle est fort bien.
C’est celle de M. de Limon, et c’est lui qui me l’envoie : pour éviter tous les soupçons je ne vous l’envoie pas, mais M. de Cr. [Crawford]  l’envoie à l’ambassade d’Angleterre à milord Kery, il la donnera sûrement à M. de Lamb.[Lambesc]
Voici le moment critique, et mon âme en frémit. Dieu vous conserve tous, c’est mon unique vœu.
S’il était utile que vous vous cachiez jamais, n’hésitez pas, je vous prie, à prendre ce parti ; cela pourrait être nécessaire, pour donner le temps d’arriver à vous.
Dans ce cas, il y a un caveau dans le Louvre, attenant à l’appartement de M. de Laporte ; je le crois peu connu et sûr. Vous pourriez vous en servir.
C’est aujourd’hui que le duc de Brunswick se met en mouvement. Il lui faut huit à dix jours pour être à la frontière. On croit généralement que les Aut [Autrichiens] vont faire une tentative sur Maubeuge.»

Fersen à Marie-Antoinette         

Le 10 août 1792

C’est l’insurrection. Les Tuileries sont envahies et les gardes massacrés.

 

La famille royale quitte les Tuileries pour se réfugier auprès de l’Assemblée Nationale qui siège dans la Salle du Manège.

Le Roi est suspendu de ses fonctions.

La famille royale juste avant le départ des Tuileries : à l'arrière-plan on devine le combat des soldats contre les émeutiers

Le 13 août 1792

La famille royale est transférée au Temple après avoir été logée temporairement aux Feuillants dans des conditions difficiles: quatre pièces du couvent seulement leur étaient dédiées… pendant trois jours.

La Tour du Temple

Le 3 septembre 1792

Assassinat de la princesse de Lamballe (1749-1792) dont la tête, fichée sur une pique, est promenée sous les fenêtres de Marie-Antoinette au Temple. Les massacres de septembre étant la conséquence du manifeste de Brunswick, on pourrait considérer que Marie-Thérèse de Lamballe a été victime des maladresses politiques d’Axel de Fersen …..

Massacre de la princesse de Lamballe

« Madame la Princesse de Lamballe a été martyrisée pendant quatre heures de la manière la plus horrible . La plume se refuse à ces détails ; on lui a arraché le sein avec les dents, et on lui a administré tous les secours possibles , pendant deux heures pour la faire revenir d’un évanouissement afin de lui faire mieux sentir la mort.»

            Axel de Fersen, le 19 septembre 1792

Le 8 novembre 1792

Décès de sa sœur, Hedvig Eleonora (née Fersen en 1753) ,  comtesse Klinckowström.

Repas de la famille royale au Temple entre le 13 août 1792 et le 11 décembre 1792 (film Marie-Antoinette de Jean Delannoy, 1956)
Hedvig Eleonora,  comtesse Klinckowström
Jean-François Balmer est Louis XVI dans Les Années Terribles (1989) de Richard Heffron

Le 20 janvier 1793

Louis XVI revoit sa famille pour la dernière fois.

Les adieux de Louis XVI par Benjamin Warlop

Le 26 janvier 1793

Les trois amis apprennent l’affreuse nouvelle de l’exécution du Roi, doublée de celle, fausse, du massacre du reste de la famille. Éléonore console Fersen.

Le 11 décembre 1792

Louis XVI  comparaît devant la Convention pour la première fois.

Du 16 au 18 janvier 1793

La Convention vote la mort du Roi. Philippe Égalité est l’un de ceux qui ont donné leur voix pour la peine capitale.

Le 21 janvier 1793

Exécution de Louis XVI.

Puisqu’il s’avère que la Reine est sauve, toute l’attention va se concentrer sur Elle. Lorsque Dumouriez s’entend avec le prince de Cobourg, Fersen ne se sent plus : ses armées vont marcher sur Paris et libérer les prisonniers du Temple.

Le régent de Suède constitue Fersen ambassadeur près de Louis XVII. Axel se voit déjà à Paris à la place de Staël. Mieux, d’ailleurs, compte tenu de la confiance dont il jouit auprès de la mère du petit prince, la future régente !

Mais cette éclaircie est de courte durée. Personne ne rentre dans Paris, et Fersen doit se contenter de reprendre sa vie avec ses deux amis dans Bruxelles libérée.

Fersen en 1793 par Pierre Dreuillon de Verneville : son visage est ravagé et soucieux. Un mèche de cheveux blancs. apparaît

En mars 1793

Quand Dumouriez fait défection et rejoint les Autrichiens, Fersen y voit la fin des révolutionnaires, et imagine déjà Marie-Antoinette régente.

Fersen se demande s’il va épouser Éléonore Sullivan et quels seront les membres du gouvernement de Marie-Antoinette régente, sous sa direction.

Le 31 mars 1793

Fersen est à Stockholm, il y reçoit une lettre de la duchesse de Polignac qui lui donne des nouvelles de la santé de la Reine :

« De Vienne le 19 mars 1793

Mr de Nolcken s’est acquitté de votre commission près de moi, Monsieur ; je suis bien reconnaissante de votre aimable souvenir. Si j’avais su plus tôt le lieu que vous habitez je me serais empressée de vous donner des nouvelles de notre malheureuse amie [Marie-Antoinette]. J’en ai eu par un médecin que je n’ose nommer. Sa santé, celle de ses enfants est bonne malgré la douleur profonde dont elle est accablée. J’ai profité de cette même occasion pour lui faire dire que tous ses amis se portaient bien, mais je n’ai pas écris moi-même et je n’ai nommé personne. Cette tendre amie a trouvé aussi le moyen de me faire dire les choses du monde les plus touchantes et les plus sensibles. Je vous laisse à juger de l’impression que cela m’a fait.


Depuis six semaines je suis malade ; il est impossible de résister à tous les genres de peines que nous éprouvons. Je pleure et // pleurerai toute ma vie notre vertueux monarque [Louis XVI], et vous devez juger quels sont mes inquiétudes sur le sort de sa famille ; je vous avoue cependant que depuis ces derniers succès j’espère un peu, mais je n’ose me livrer à cet espoir, et l’inquiétude est le sentiment qui me domine pour le moment. Je suis bien sûre que vous pensez comme moi, et cette certitude m’attache à vous plus que jamais.

Adieu, Monsieur, puisse-je vous revoir dans des temps plus heureux.»

Fersen se hâte de confirmer ces nouvelles. Il note une réponse à madame de Polignac le 6 avril, et le 22 mai 1793 il écrit dans son journal :

 « La Caze a été au Temple. Il a trouvé la R. très peu changée, Madame Elisabeth tellement méconnaissable qu’il ne l’a reconnue que lorsque la R. l’a nommée ‘’ma sœur’’. Elle était dans la chambre en bonnet de nuit, vêtue d’un habit d’indienne très commun. La petite Madame avait tout le corps couvert d’ulcères et était menacée d’une dissolution de sang. La jeunesse et beaucoup de soins pourront la tirer d’affaire. On mandait de Paris que le jeune Roi avait été malade et que la Commune avait refusé le médecin que la R. avait demandé sous prétexte qu’il était aristocrate et en avait envoyé un à sa façon. »

En avril 1793

Marie-Antoinette adresse un dernier message à Jarjayes qu’Elle lui transmet par Toulan qui monte la garde au Temple :

«Dites-moi ce que vous pensez de ce qui se passe ici», griffonne-t-Elle dans la marge.

« e... vous remettra les choses convenues pour ha... l'empreinte que je joins ici est toutte autre chose je desire que vous la remettiez a la personne que vous savez etre venu me voir de Bruxelles l'hiver dernier, et que vous lui disiez en meme temps que la devise n'a jamais été plus vraie.   ( l' «empreinte» est celle d'un pigeon volant, avec une devise «Tutto a te mi guida» [«tout me conduit vers toi»] destinée à Axel de Fersen) Si vous n'etes pas content de h.. allez trouver mon neveu de ma part, vous pourrez aussi si vous voulez voir (septime) qui est ma ton dit a Londres depuis le mois d aoust et lui demander ce que vous avez payé ia pour nous si vous en avez besoin il connoit ma confiance aussi mais s'il est nécessaire vous pourrez lui faire voir ceci et lui dire ce que vous avez fait pour nous il nous est trop attaché pour ne pas en sentir le prix. au reste je m'engage a lui faire tenir compte de ce qu'il vous remettera et j'en fais meme s'il le faut mon affaire prop. Dites moi ce que vous pansez de ce qui se passe ici.»

Toulan remet à Jarjayes le legs que Cléry a caché après la mort du Roi : son anneau de mariage, son cachet ainsi que des cheveux de la Reine et des enfants devront être transmis à Monsieur, qui est à Hamm, en Westphalie.

Marie Antoinette conseille à Jarjayes d’aller voir son neveu, François II ou Septeuil , toujours tracassée par les sommes considérables que Jarjayes a dû payer pour l’organisation de l’évasion manquée. Elle se sent responsable de leur remboursement.

 

Dans la nuit du 2 au 3 août 1793

Marie-Antoinette est transférée de nuit à la Conciergerie. Elle y est traitée avec une certaine bienveillance par une partie du personnel de la prison, dont surtout Rosalie Lamorlière (1768-1848).

Quand il apprend la nouvelle du transfert de la Reine à la Conciergerie, antichambre de la mort, il essaie d’obtenir du prince de Cobourg qu’il marche sur Paris, mais c’est en vain.

Le 13 octobre 1793

Fersen et Éléonore Sullivan ont une conversation décisive, que nous connaissons par le journal du comte. Tous deux se rendent bien compte qu’ils ne peuvent pas continuer comme ça, se suivant mutuellement et suivant Quintin. Il faut qu’une décision se prenne. Mais Éléonore a l’air de faire mieux le tri dans ce qu’elle ne veut plus que dans ce qu’elle désire…

« Éléonore me parla de sa position; elle en est ennuyée à l’excès; elle me dit être résolue à finir cette vie qui lui était insupportable. Elle m’assura qu’elle viendrait avec moi, mais qu’elle ne pouvait aller en Suède, dont le climat était trop froid, et qu’elle ne pouvait rien finir avant que je me fusse décidé.»

Fersen dans son dagbok          

La Veuve Capet par Jean-Louis Prieur
Caroline Sihol incarnait la Reine dans Je m'appelais Marie-Antoinette de Robert Hossein

Le 14 octobre 1793

Marie-Antoinette comparaît devant le président Herman (1759-1795).

Ute Lemper dans L'Autrichienne (1990) de Pierre Granier-Deferre

Le 16 octobre 1793

Exécution de Marie-Antoinette, place de la Révolution .

Quelques jours après ces réflexions où Axel a bien pesé le pour et le contre, il apprend que Marie-Antoinette a été guillotinée, et se lamente. Quelque temps encore, ce trio continue sa vie errante, soudé par la douleur et les souvenirs.

Axel écrit alors à sa chère amie Elizabeth Foster :

« Bruxelles, le 22 octobre 1793 « Je ne croyais pas, aimable Milady, en recevant la vôtre du 10 de ce mois, que ma réponse aurait à vous annoncer une nouvelle aussi affligeante pour mon cœur .   Vous savez sans doute déjà que la Reine de France, le modèle des Reines et des femmes n'est plus. C'est le 16, à 11 heures du matin, que ce crime a été consommé . Il fait frémir la nature et l'humanité, et mon cœur est cruellement déchiré. Le vôtre est trop sensible pour ne pas partager ma douleur.  Elle n'est allégée que par l'idée que, du moins, cette princesse infortunée est délivrée des maux et des chagrins affreux qu'elle éprouvait depuis quatre ans et auxquels sont courage seul pouvait résister.   Mme de Fitz-James est extrêmement affligée, nous pleurons ensemble notre perte commune . Je tâche de la consoler, mais hélas j'ai trop besoin moi-même de consolation pour pouvoir lui en donner. Je n'ai pas la force de vous donner aucun détail sur ce triste événement, d'ailleurs ceux que nous avons sont peu exacts. Adieu, ma chère amie, plaignez-moi, donnez-moi de vos nouvelles et croyez à la tendre amitié que je vous ai vouée. Mille choses à notre bonne et aimable duchesse. Je reçois dans l'instant votre paquet pour le comte Elliot, et je vais remettre votre lettre à la duchesse de Fitz-James. Le comte Elliot est arrivé hier au soir et parti ce matin.»

Chaque 16 octobre, Fersen passera la journée à pleurer celle qui, à ses yeux, incarnait le «modèle des reines et des femmes».

Bess Foster par Joshua Reynolds

Paul et Pierrette Girault de Coursac considèrent qu’Elizabeth Foster fut, si elle ne l’est alors plus, la maîtresse d’Axel, vers 1783.

Le 21 octobre 1793

Regardé par tout le monde comme l’amant de la Reine, ce dont il a soin de ne pas se défendre, le lendemain du jour où il a appris que les «affaires de France» étaient terminées, c’est-à-dire que la malheureuse femme avait été exécutée, il enregistre avec une satisfaction visible :

« Lundi 21. Beau, frais. Je me promenai un peu à cheval. Tous ceux que je rencontrai furent à merveille pour moi ; on ne me disait rien, mais on avait l’air de me plaindre.»

Dagbok de Fersen          

Éléonore a dépassé la quarantaine, elle ressent le besoin de se fixer. Sa fille est venue vivre auprès d’elle pendant que son mari guerroie dans les rangs autrichiens. Quintin goûte toujours la compagnie sereine de ses livres. Mais sa récente nomination en tant que commissaire du gouvernement britannique près de l’armée autrichienne le pose en rival de Fersen, qui le trouve ingrat :

«  … depuis la mort de l’infortunée reine, je n’ai pas à m’en louer, se plaint-il à son journal. Il semble ne m’avoir ménagé que tant que cela pouvait lui être utile. Depuis cette fatale époque il ne m’a jamais parlé des affaires, tandis que c’est à moi qu’il doit d’avoir été assez connu pour pouvoir en être informé et y être employé; encore est-ce à présent d’une manière très subalterne. Mon orgueil en est blessé, mais je regarde au-dessous de moi de le faire paraître.»

En Suède   Rentré en Suède, il se consacre ensuite à sa carrière.  

En janvier 1794

C’est à peine s’il trouve la force d’envoyer des voeux à sa soeur:

« Aimez toujours un frère auquel il ne reste plus de bonheur et qui ne peut trouver de consolation que dans votre amitié…. Je ne vous souhaite pas la bonne année ; il n’y en a plus de bonnes pour nous, après tout ce que nous avons perdu. »

Le 21 janvier 1794

Fersen reçoit la copie d’un billet de Marie-Antoinette à Jarjayes avec une lettre de Jarjayes.

« Il m’apporta une lettre de M. de Jarjayes qui ne me disait pas tout ce que j’espérais. Il m’envoyait seulement un fragment de lettre de la R… à lui, dont voici la copie. C’était écrit par elle-même.
« Vous ne pouvez pas douter du regret que j’éprouve de vous voir partir, mais je sais vos raisons, et votre zèle et votre attachement se montrent encore d’une manière bien touchante pour nous. Nous avons fort approuvé ce qu’on nous a dit de votre part. Vous en voyez la prevue par ce qu’on vous remettra. Il est essentiel de recommander aux personnes que vous allez trouver le plus grand secret. J’ai cru même devoir me réserver de dire un jour moi-même le nom de t… pour vous éviter toute question sur cela, et que vous puissiez dire que vous l’ignorez. Quand vous serez en lieu de sûreté, je voudrais bien que vous puissiez donner de mes nouvelles à mon grand ami qui est venu l’année dernière me voir. Je ne sais où il est, mais ou Mr. Gog: [Goguelat] ou Mr. Crawford, que je crois à Londres, pourront vous l’indiquer. Je n’ose pas lui écrire, mais voila l’empreinte de ma devise. Mandez en l’envoyant que la personne à qui elle appartient sent que jamais elle n’a été plus vrai. »  Cette devise était un cachet portant un pigeon volant avec la devise tutto a te mi guida. Son idée avait été dans le temps de prendre mes armes, et on avait pris le poisson volant pour un oiseau. L’empreinte était sur un morceau de carte, malheureusement la chaleur en avait absolument effacé l’empreinte. Je le conserve malgré cela précieusement dans ma cassette avec la copie du billet et le dessein du cachet.»

Axel de Fersen, journal              

Le 24 avril 1794

Décès de son père Fredrick von Fersen (1719-1794), à l’âge de soixante-quinze ans, à Stockholm. Il laisse une fortune considérable.

En Suède, Axel se sent isolé, désaxé, incompris ; il se croit un étranger :

« J’ai de la peine à me faire à nos manières et à notre petitesse ; les Suédois qui voyagent ne doivent pas pas rester trop longtemps hors de chez eux ; c’est un malheur pour eux.« 

Axel de Fersen dans son dagbok

Il acompagne chaque dimanche sa mère en calèche à l’église, distante de quelques kilomètres du château. A l’arrivée de la comtesse et du fameux colonel qui s’est battu en Amérique, sur qui l’on raconte tant d’histoires extraordinaires, les hommes se découvrent et les femmes font un plongeon. Fersen salue tous les paysans par leur nom ; il les tutoie comme ses soldats et leur serre la main.

En octobre 1794

Les amis doivent abandonner Bruxelles, reprise par les Français. Ils se fixent à Francfort auprès de la famille d’Orsay. Fersen apprend la mort de son père et se voit contraint de rentrer en Suède. Sur les biens considérables dont il va hériter, il prévoit une rente viagère pour Éléonore.

En Suède, la beauté nostalgique de Fersen fait tourner toutes les têtes. Mais aucune de ses adoratrices ne lui paraît préférable à Éléonore. Aussi, après un voyage de quelques mois à Vienne pour y rencontrer la duchesse d’Angoulême, rejoint-il le couple Craufurd à Francfort.

Le 16 octobre 1794

« Ce jour était un jour mémorable pour moi ; c’est celui où j’ai perdu la personne qui m’aimait le plus au monde et qui m’aimait véritablement. Je pleurerai sa perte toute ma vie, et je sens que tout mon sentiment pour El : (Eléonore Sullivan) ne peut me faire oublier tout ce que j’ai perdu.« 

Axel de Fersen dans son dagbok

En 1795

Fersen est de retour au sein du couple Craufurd.

En janvier 1795

« J’ai mis le nouvel uniforme, il s’est avéré très beau et j’ai reçu de nombreux compliments sur la façon dont il me regardait et sur mon apparence. Tout le monde au bal est venu me regarder et, en entrant, les yeux n’étaient que pour moi. … Au souper, plusieurs femmes que je n’avais pas vues la veille ont demandé à me voir dans mes vêtements neufs. Mon estime de moi en profite.»

Axel de Fersen, journal           

Le 8 juin 1795

L’annonce de la mort en prison du fils du défunt Roi Louis XVI âgé de dix ans, Louis XVII pour les royalistes, permet au comte de Provence de devenir le dépositaire légitime de la couronne de France et de se proclamer Roi sous le nom de Louis XVIII. Pour ses partisans, il est le légitime Roi de France.

Le 27 juin 1795

Apprenant la mort de Louis XVII, Fersen saisit l’occasion en laissant clairement entendre que cet enfant pouvait être son fils :

« Samedi 27. Le poste arriva et m’apporta la fatale nouvelle de la mort du jeune roi Louis XVII. Cet événement me fit une peine sensible. C’était le dernier et seul intérêt qui me restait en France. A présent je n’y en ai plus, et tout ce à quoi je tenais n’existe plus, car je tiens peu à Madame et je prévois qu’elle n’existera pas même longtemps, et toute cette famille sera anéantie. Cette idée était bien triste et retraçait toutes mes pertes, elles sont affreuses.»

Dagbok de Fersen          

Si tel avait était le cas, il se serait assurément occupé davantage de la survie de celui qu’il se plaît à reconnaître comme son fils. C’est dire, depuis deux ans que la Reine est morte, combien il a dû goûter au prestige de la réputation que lui faisait la rumeur.
Il s’est surtout vu en conseiller potentiel de la future régente Marie-Antoinette régnant au nom de Louis XVII. Il ne voyait qu’un intérêt politique dans cet enfant.

En été 1795

Fersen quitte la Suède et se rend à Francfort dans un triple but : il désire savoir si Eléonore Sullivan est disposée à l’épouser ; il compte d’autre part obtenir de l’Empereur d’Autriche le remboursement des quelques trois cent mille livres de medames de Korff et de Steglemann ont prêtées en juin 1791 à Louis XVI pour l’achat de la berline et les autres frais du voyage vers Montmédy ; enfin il espère obtenir de l’Empereur le versement du don que Louis XVI et Marie-Antoinette lui avaient fait par ce billet daté de juin 1791 :  

« Nous prions le comte de Mercy de remettre au comte de Fersen tout l’argent qu’il a à nous, à peu près 1 500 000 livres, et nous prions le comte de Fersen de l’accepter comme un témoignage de notre reconnaissance et un dédommagement de tout ce qu’il perd. »

Mercy (décédé le 25 août 1794) avait en effet reçu une forte somme à Bruxelles, ainsi qu’il l’avait relaté au chancelier Kaunitz :

« Hier il m’est arrivé un homme affidé de la reine, mais sans lettre ni avis ; il m’a remis une caisse et plusieurs sacs de louis, dont je n’ai pas encore vérifier la quantité et je suppose d’être environ 20 000 louis avec des lettres de change pour environ 600 000 à 700 0009 francs, sans me demander de reçu pour ces sommes que j’ai d’abord déposées au trésor royal. Tout cela me confirme bien un projet décidé de fuite prochaine. Il me vient dd’ailleuyrs différents meubles et effets de la reine par les voitures publiques. Le dénouement de cette crise est inquiétant.»

 

Le 19 décembre 1795

Marie-Thérèse, l’Orpheline du Temple quitte sa prison vers quatre heures du matin le jour de ses dix-sept ans, escortée d’un détachement de cavalerie afin de se rendre à Bâle, où elle est remise aux envoyés de l’Empereur François II.

Son séjour forcé à Vienne la rend froide et maussade tandis que le comte de Provence, alors en exil à Vérone, ne se résout pas à la voir entre les mains de l’Empereur.

Au moment de la libération de Madame Royale. Fersen suit les tribulations de cette malheureuse princesse de près…

Départ de Marie-Thérèse du Temple
Curt von Stedingk (1746-1837), le meilleur ami d'Axel de Fersen, portrait par Carl Frederick von Freda, 1798
Gustave IV Adolphe

 

En 1796

Quand Gustave IV  monte sur le trône, Fersen retrouve ses offices et dignités.

Le 19 janvier 1796

Fersen part pour Vienne où Madame Royale vient d’arriver, libérée du Temple. Il se rend avec le duc de Guiche pour la voir passer lorsqu’elle rentre de la messe et note : 

« Elle est grande, bien faite, mais elle rappelle plus Madame Elisabeth que la reine.Son visage est plus formé, mais pas changé : elle est blonde, a de jolis pieds, mis marche mal et en dedans. Elle a de la grâce et de la noblesse. En passant, elle rougit, nous salua, et en rentrant chez elle se retourna pour nous regarder encore. A ses manières, je reconnus sa mère, et j’y crus voir l’envie de nous faire politesse et nous dire qu’elle nous reconnaissait. L’impression fut si vive que les larmes me vinrent aux yeux et que mes genoux faiblissaient sous moi en decendant les escaliers. J’avais eu beaucoup de peine et beaucoup de plaisir et j’étais très affecté.»

Le 27 février 1796

Fersen est reçu par Madame Royale.

« Elle a rougie (sic) en me voyant ; elle a dit ensuite qu’elle ne m’avait pas vu depuis l’instant où je l’avais mise en voiture aux Tuileries et elle a pleuré.« 

Il la rencontre parfois sans pouvoir causer avec elle, mais elle murmure : 

« Je suis bien aise de vous savoir en sûreté. »

Le 27 mars 1796

Il revoit Madame en présence de dix-sept personnes. Elle lui parle de la Suède et des souverains.

« On permet au duc de Guiche et à moi de la voir qu’en public. Elle est trop raisonnable et trop grande pour être traitée ainsi en enfant. » 

note-t-il avec amertume….

Le 9 juin 1796

Fersen part à Francfort et confie à son journal :

« J’étais bien aise d’avoir quitté Vienne, mais fâché et affligé d’avoir si mal réussi. L’insensibilité et le peu de noblesse et de générosité et de justice de leur conduite m’avaient outré. La conduite de Madame me choquait et m’affligeait ; la voir et la retrouver bien pour moi aurait été une grande consolation ; le contraire m’était pénible. »

Le régent de Suède, pendant la minorité du Roi Gustave IV Adolphe de 1792 à 1796, le prince Charles, n’a pas de sympathie pour Fersen, et c’est malgré lui , à cause de l’affection de Marie-Antoinette, qu’il lui envoie des lettres de créances comme ambassadeur auprès de Louis XVIII – lettres qui ne purent jamais être présentées.

Le 6 novembre 1796

Gustave IV Adolphe  monte sur le trône et Fersen rentre aussitôt en grâce.

En 1797

Son frère Fabian von Fersen épouse la sœur de son beau-frère, Louise Piper (1777-1849).

Il est envoyé pour représenter son pays au traité de Rastatt, mais la délégation française proteste, et il doit se retirer.

Fabian de Fersen
Louise von Piper par Carl Frederik von Breda

A l’été 1797

Le Roi le nomme  commissaire plénipotentiaire, puis ambassadeur au Congré de Rastatt. La mission suédoise est composée de Fersen, major-général, de monsieur de Bildt, envoyé à la Diète de Ratisbone, plénipotentiaire, et de monsieur de Schotding, chargé d’affaires, secrétaire d’ambassade. On peut se demander si la Suède avait qualité pour participer à ce Congrès et surtout s’il était indiqué  qu’elle se fait alors représentée par l’ami le plus dévoué des souverains exécutés… Le nom de Fersen n’est pas oublié à Paris et, sitôt la nomination connue, une gazette anglaise parle de ce « partisan peu décidé des républiques ». Les journaux de Paris fulminent : le colonel suédois a déserté l’armée française au moment de la Révolution, écrivent-ils ; il s’est mis à la tête d’un parti de mécontents ; il a organisé la tenttive de Varennes ; son nom figure sur la liste des zémigrés et surtout il a été l’amant de Marie-Antoinette. Fersen paraît ne pas prendre ces protestations au sérieux et, s’il hésite d’abord à accepter son mandat, c’est à cause de son ignorance du droit.

Le 15 novembre 1797

L’ambassadeur du Roi de Suède s’installe magnifiquement dans l’hôtel de la belle-soeur de Metternich qu’il a loué à Rastatt.

Le 25 novembre 1797
à sept heures du soir

Bonaparte arrive à Rastatt, auréolé de ses victoires d’Italie et bien décidé à mener tambour battant  les représentants des petits Etats allemands. Fersen fait prendre de ses nouvelles.

Passage de Bonaparte à Lausanne

Le 28 novembre 1797

Fersen rencontre Napoléon, une visite qui le mortifie.

Ses nouvelles fonctions le tiennent de plus en plus éloigné de Francfort. Et puis, une méprise du vieux Simolin va faire exploser définitivement le trio de vaudeville. Une lettre d’Éléonore à Axel atterrit par erreur entre les mains de Quintin.

« Je fus reçu par les aides de camp dans la première antichanbre ; ils m’accompagnèrent jusqu’à la porte du salon  et l’un de ces messieurs annonça « l’ambassadeur de Suède ». Je trouvai Bonaparte avec le général Berthier et deux aides de camp, qui restèrent dans la chambre. Après avoir  présenté M. Bildt comme ministre de Votre Majesté et après les compliments d’usage, il me donna un fautuil de la cheminée ; il m’appela indifféremment « Monsieur », « Escellence » ou « Elle ». Après quelques propos vagues sur son voyage, il me dit que sans doute j’avais été chargés des arrangements relatifs au mariage de Votre Majesté ? Je lui répondis que non, que j’étais nommé ambassadeur du roi au Congrès. Il parla ensuite des grandes alliances de la Maison de Bade et me demanda si nous n’avions pas un chargé d’affaires à Paris ? Ne voulant pas entrer en discussion sur cet objet et ignora nt si ce qu’il avait dit sur le raccommmodement et l’envoi réciproque de ministres était vrai, je répondis simplement que non, que depuis la petite brouillerie qu’il y avait eue entre les deux puissances, les missions de part et d’autre avaient cessé, que des malentendus réciproques l’avaient sans doute occasionnée et que j’espérais que tout serait bientôt aplani. Le général en porit occasion de parler assez longuement sur les intérêts de la Suède et de la République qui devaient, disait-il, être commune, que ces deux puissances avaient travaillé ensemble à l’abaissement de la Maison d’Autriche, qu’elles avaient toujours été et devaient toujours être des alliés naturels ; que ce serait mal entendre ses intérêts que de suivre une conduite différente. Il fit sentir qu’on avait peine à reconnaître la puissance de la République, qui, disait-il, était toujours franche dans sa manière d’agir ; il fit sentir aussi le tort qu’on avait de s’envoyer des personnes désagréables et le droit qu’on avait de les refuser ; et que la République était décidée à n’en recevoir aucune, qui eût une partie directes aux affaires présentes, ou qui est peut-être sur la liste des émigrés. Je ne jugeais pas à propos d’entrer en aucune explication et quand il eut fini, je me contenterai de dire que j’étais persuadé que Sa Majesté le roi désirerait conserver avec la République les relations qui pourraient être avantageuses aux deux nations. Après quoi je me levai et m’en allai. Le général m’accompagna jusu’à la porte du vestibule et ses aides de camp jusqu’au bout de l’escalier. Le tout fut l’affaire d’une demi-heure, et il fut très poli.
Votre Majesté pensera sans doute qu’il est impossible, d’après les détails que j’ai l’honneur de mettre sous ses yeux, d’en rien conclure et tout ce que j’ai vu ne peut m’éclaircir encore, si c’est manque de connaissance des formes et usages, ou bien  si l’occasion de la nomination  de l’ambassadeur est un fait exprès. L’arrivée du comte de Metternich éclaircira ce doute et est attendu dans trois ou quatre jours…
… J’espère que Votre Majesté approuvera la conduite que j’ai tenue en cette occasion ; elle m’a paru nécessaire pour le bien du service de Voitre Majesté.
Je suis dans le plus profond respect, sire, de Viotre Majesté le très soumis et très fidèle serviteur et sujet.
Axel v. Fersen.»

Quoi que Fersen en dise, il paraît certain que Bonaparte l’a mal traité. Si l’ambassadeur de Suède rapporte que le génral « fut très poli« ,il se demande un peu plus loin si « c’est manque de connaisszance des formes et usages ?« 


Le 29 novembre 1797

Fersen écrit d’ailleurs au Roi : 

« Je dois ajouter au récit que j’ai eu l’honneur de mettre sous les yeux de Votre Majesté, de ma visite chez le général Buonaparte, que tout son raisonnement fut débité fort lentement, cependant avec chaleur, mais dans le style, le ton et la manière d’un pavenu, sans noblesse et sans dignité, et comme dans une leçon.»

Le lendemain de l’entrevue, le baron autrichien Edelsheim va voir Bonaparte, Fersen relate cette démarche dns son journal

Le 20 novembre 1797 

« Buonaparte lui parla encore de moi et lui dit qu’il était impossible et que ce serait manquer au Directoire que de traziter ; que j’avais servi en France, et que j’y avais été à la tête du parti le plus violent contre la Révolution. Le baron (Edelesheim), à qui j’en avais parlé hier, répondit qu’il savait effectivement que j’avais été au service mais qu’il croyait avoir entendu que j’avais été réformé et quitté le service en 89 ou 90. Buonaparte lui dit qu’il ne savait pas tout, que j’avais couché avec la la reine. Edelsheim répondit en riant qu’il avait cru que les époques de l’histoire étaient oubliées. Buonaparte répéta ce qu’il avait déjà dit, ajoutant que j’avais toujours agi contre la République et qu’on ne pouvait traiter avec moi …»

Fersen ne se considère pas comme battu. Usant d’une grande courtoisie, il fait le premier une visite aux négociateurs français (un seul la lui rendra) ; il cherche à engager la conversation avec Treilhard, qui était venu dans la loge de Metternich, voisine de la sienne. En l’absence de Bonaparte, qui n’est resté que quelquyes jours à Rastatt, Fersen charge son premier collaborateur de démarches qui surprennent de sa part. Voici ce qu’il écrit le 18 janvier 1798 :

« J’ai déjà convenu avec M. de Bildt…. qu’il chercherait à vaincre leur préjugé (des délgués français) contre moi et je l’avais autorisé de faire de ma part et individuellement toutes les avances possibles et d’assurer que mes principes, mes actions et mes démarches étaient en tout conformes aux intentions de Votre Majesté, et que je mettrai tous mes efforts à cimenter l’union réciproque si avantageuse aux deux nations. J’avais donné à M. de Bildt les détails sur le passé pour qu’il en fit usage et pût détruire toutes les erreurs à cet égard, et je l’avais autorisé à offrir de ma part toute démarche envers ces ministres ou la République qu’on voudra m’indiquer et qui pourrait être compatible avec mon honneur et la dignité de Votre Majesté. Elle verra par la réponse de M. Treilhard qu’il y a peu d’espérance qu’ils changent, à moins que les négociations entamées à Paris ne produisent cet effet. Je ne négligerai cependant pas de saisir toute occasion et de travailler à vaincre leurs préjugés. J’y mettrei xde mon côté toutes les prévenances possibles et je supplie Votre Majesté de croire que je fais de bon coeur ce sacrifice…»

Axel de Fersen par Carl Frederik von Breda, vers 1800

Brusquement, au bout de dix ans, les yeux de doux rêveur de Crawfurd se décillent. C’est la rupture définitive avec le beau Suédois, mais non point avec la muse italienne. Au bout de quelques années, Quintin épousera en effet Éléonore.

Le 6 janvier 1798

« Les gazettes anglaises The Times du 18, 19 et 20 (décembre 1797) parlaient de moi et de Bonaparte ; tout y était inexact ; il y avait cependant du vrai dans ma conversation avec lui, mais on parlait de moi et de l’infortunée reine, ce qui me choqua…»

Dagbok de Fersen

Le 14 mars 1798

Finalement Fersen échoue dans ses démarches de conciliation et transmet ses pouvoirs à monsieur de Bildt, après avoir adressé cent six rapports à Gustave IV Adolphe.

Le 29 mars 1798

Fersen part pour Karlsruhe afin d’échanger les contrats de mariage entre son souverain et la Reine Frédérique, princesse de Bade, mission honorifique qui prouve le désir du Roi de Suède d’atténuer l’affront fait à son ambassadeur. Fersen passe une année à Karlsruhe. Il est reçu à la Cour, s’entretient avec les ministres étrangers agréés à Rastatt, se rend parfois à Francfort, où se trouvent toujours Craufurd et Eléonore Sullivan. Mais Crawfurd reçoit par erreur une lettre que sa maîtresse adressait à Fersen et c’est la cause d’une rupture définitive qui s’annonçait depuis longtemps. La belle comédienne épousera Crawfurd.

Le 16 octobre 1798

« Ce jour est un jour de dévotion pour moi et je ne puis jamais oublier tout ce que j’ai perdu ; mes regrets dureront autant que moi …»

Dagbok de Fersen

Axel von Fersen

Le 24 avril 1800  

Décès de sa mère, Hedvig von Fersen, née de La Guardie, à l’âge de soixante-huit ans.  

En 1801

Il est nommé riksmarskalk (Grand Maréchal du Royaume), ministre, membre de l’Ordre des Séraphins, grand maréchal du royaume et chancelier d’Upsal, mais il perd la faveur royale en s’opposant fermement à l’entrée en guerre de la Suède contre la Prusse, voulue par Gustave IV pour punir celle-ci d’avoir refusé d’envahir la France. Pendant un voyage du Roi, il est membre du Conseil de Régence

Allié aux meilleures familles, propriétaire de plusieurs domaines, le maréchal du royaume est âgé de quarante-six ans en 1801. Intelligent, parlant plusieurs langues, l’esprit enrichi par ses nombreux voyages,, élégant, d’une courtoisie irréprochable, c’est encore un brillanbt parti. Mais l’amitié de sa soeur lui suffit. Il vit aussi retiré que ses fonctions le lui permettent et s’isole dans ses souvenirs, si bien qu’on lui reproche d’être lointain, distant, hautain.

En 1801

Axel fait un voyage en Italie avec Sophie. ils se rendent à Parme, où il est fort bien reçu par Marie-Amélie, la soeur de Marie-Antoinette. Elle lui exprime à plusieurs reprises « sa reconnaissance pour tout ce qu’il a fait pour sa pauvre soeur. »

En 1805

La Suède ouvre les portes de la Poméranie suédoise aux troupes de l’Angleterre, de la Russie et de l’Autriche alliées contre la France. Mais la troisième coalition est écrasée à Austerlitz le 2 décembre 1805 et les armées prussiennes sont anéanties à Iéna et Auerstaede le 14 octobre 1806. Chargé des négociations avec les envoyés des cours étrangères, Fersen conseille vainement à Gustave IV Adolphe de ne pas poursuivre la guerre ; le Roi, qui est fort entêté, en éprouve du ressentiment et prie le maréchal d’accompagner  la Reine en Scanie et de rester auprès d’elle. C’est une demi-disgrâce.

En janvier 1807

La Suède est obligée d’évacuer toute la Poméranie, sauf Stralsund.

En 1808

La Suède perd la Finlande, brusquemenbt envahie par les Russes.

Le 13 mars 1809

Gustave IV Adolphe, qui a mécontenté l’armée et la population par des mesures maladroites ou blessantes, est arrêté au château de Stockholm et déposé; Exilé avec sa famille, il se retire en Suisse, où il mourra en 1837, sous le nom de colonel Gustavason. La famille Fersen est l’alliée du parti gustavien lorsque le Roi Gustave IV Adolphe est déposé et soutient la cause du fils de ce dernier comme héritier du trône.

Quand Gustave IV est chassé par un coup d’État militaire, Fersen ne prend pas parti, mais tout le monde soupçonne ses sympathies pour le jeune prince Gustave, fils de Gustave IV.

Le 29 juin 1809

Couronnement de Charles XIII (1748-1818) , fils du Roi Adolphe-Frédéric de Suède, frère cadet de Gustave III (1771-1792) et oncle de Gustave IV (1792-1809) auquel il succéda au détriment des enfants de ce dernier. Il est le dernier Roi de Suède de la dynastie d’Holstein-Gottorp.

Charles XIII de Suède

Il est l’époux de l’amie de Sophie Piper, Hedwige de Schleswig-Holstein-Gottorp (1759-1818), qui devient donc Reine de Suède.

Le 7 janvier 1810

Christian-Auguste, frère cadet de Frédéric-Christian II, duc de Schleswig-Holstein-Sonderbourg-Augustenbourg, de la branche cadette des souverains du Danemark, est élu prince héritier de Suède. Il prend alors le nom de Charles-Auguste, et est adopté par le nouveau Roi Charles XIII, oncle du Roi déchu.

La Reine Hedwige en 1814
Christian-Auguste d'Augustenbourg

 

Le 28 mai 1810

Le Prince Christian-Auguste meurt d’une attaque quelques mois plus tard. Sa mort accidentelle est due à une chute de cheval. Aussitôt les partisans de Charles-Auguste accusent certaines familles de la haute noblesse d’avoir comploté contre lui et de l’avoir fait empoisonner. Les Fersen sont les premiers visés.

La rumeur accuse Fersen de l’avoir empoisonné.  

Axel von Fersen

Axel de Fersen reçoit cette lettre de menaces : 

« A Axel Fersen !
   Misérable, lis cette lettre et tremble ! Croyez-vous, toi et ta ligue, que deux millions d’hommes permettent à quelques aristocrates de commettre n’importe quelle horreur sans être punis et qu’ils se laissent piétiner par quelques traitres conspirateurs? Ce pays malheureux sera-t-il pour toujours sous la pressionde quelques malfaiteurs audacieux? Crois-tu que la nation ne sait pas tout, tout ?  L’heure de la vengeance viendra ! Quoique ton père infâme, l’ristocrate orgueilleux, ait réussi dans son jeu, quoiqu’il ait volé des richesses immenses par les moyens les plus indignes aux dépens de la patrie, quoique ton long cou qui porte un petit ciboulot sans cervelle ait échappé à la guillotine en France ; quoique ta soeur l’empoisonneuse ait jusqu’à ce jour échappé à la hache de la justice ; quoique votre orgueil sans bornes n’ait pas encore été étouffé, sachez, misérable, que ce qui devait advenir et n’est pas encore advenu peut advenir. C’est affreux une nation en rage et en détresse ! Chez les paysans, on s’est déjà demandé  si l’on voulait mettre le feu à Löfstad et Ljung, car chaque connaît l’infamie des cabales et la vengeance des autres. Monstre cruel, est-ce que le sentiment de la patrie a disparu chez vous? Est-ce que ce vieux royaume doit perdre son indépendance et son existence parmi les nations de l’Europe par l’infidélité, l’infamie et la trahison de la noblesse ? _ Peut-être Napoléon, autrefois si méprisé par toi, connaît-il ta cabale et un mot peut t’écraser, animal aux jambes fines ! _ Créature méprisable, quand tu arrives en ville dans ta grandeur et ta pompe, sache que le dernier des paysans crache devant toi et se sent plus grand et meilleur homme que toi , misérble orgueilleux ! Tremple sur tes grandes jambes fines et sache que cette lettre est la voix de toute la République – et cela devrait être la plus grande vengeance de te voir méprisé par une nation entière pour des canailleries et des plans infirmes d’assassinat. Crois-moi, misérale Axel Fersen, vous serez hantés un jour, toi et ta soeur infâme, quand l’ombre de l’assassiné rôdera autour de vos châteaux isolés. Et si vous n’avez pas perdu tout sentiment de religion et de moralité, vos consciences seules seront vos bourreaux – mais vous en avez besoin d’autre, Charles-Auguste sera vengé.»

Le 20 juin 1810

En vertu de ses fonctions de riksmarskalk, grand maréchal du royaume, Fersen est chargé d’escorter le corps du prince dans Stockholm. En grand apparat, dans son carrosse de gala à six chevaux blancs, surmonté de la couronne d’or, mène la procession. Il s’est refusé à céder à ses proches qui le suppliaient de renoncer, qui lui désignaient la fermentation extraordinaire emplissant la ville. Impassible, solennel, en grand habit de cour, chamarré de décorations, Fersen avance au pas, précédant le char tiré par huit chevaux noirs portant le cercueil recouvert du drapeau, escorté par un escadron de la garde à cheval, suivi par une compagnie de gardes et de drabans (gardes du corps du Roi de Suède) lances baissées, ainsi que de l’escorte de cavalerie de Scanie qui accompagne le cortège, le tout au son des tambours, des marches funèbres ininterrompues et du glas qui se répond d’église en église dans les rues d’une ville en ébullition.  Une émeute se forme ; malgré les patrouilles qui quadrillent la ville, la foule se déchaîne aux abords de Södermalm, à l’entrée sud de la vieille ville, le carrosse est attaqué à coups de pierres. Le cocher est atteint, et l’on voit Fersen, blessé à la tête, très pâle, se rencogner dans son carrosse.

Dans la Stora Nygatan, la Grande Rue Neuve, la foule grossit et sous les huées arrête le carrosse aux vitres brisées, à demi défoncé, détèle les chevaux. Fersen a la force de sortir et de se réfugier au premier étage d’un cabaret où il n’est pas bien reçu : le visage en sang, les habits en lambeaux, décorations arrachées, une main blessée, il est pris violemment et va être défenestré quand intervient le général Silversparre qui parlemente avec les assaillants et finit par leur promettre qu’il va conduire Fersen en prison si on les laisse sortir. Rien n’y fait, Fersen, soutenu pour descendre l’escalier menant à la rue, est aussitôt agressé et jeté à terre, on le perce de coups de canne. Il a les oreilles percées et porte des boucles, on les lui arrache alors qu’il est encore bien vivant. On lui arrache aussi des touffes de cheveux : affaibli, gravement blessé, il se rend compte que sa dernière heure est arrivée et le dit.

Dans les hurlements de la mêlée, Silversparre est frappé à son tour et séparé de Fersen. Les secours mettent du temps à venir. Fersen meurt lapidé et piétiné par la foule, en présence de nombreuses troupes qui n’interviennent pas.

Il est probable que Charles XIII ait saisi l’occasion de se débarrasser aisément de l’un des leaders gustaviens.

Le baron de Silversparre, dont le rôle fut plus qu’ambigu dans ce drame, réapparaît mais trop tard : le cadavre d’Axel de Fersen, à demi-nu, gît sur le pavé ensanglanté, méconnaissable, sauvagement piétiné par les assaillants en délire.

 

Le calvaire aura duré deux heures. «On en frémit», pour reprendre la formule favorite de Fersen devant ce genre de scènes dont Paris lui avait donné un avant-goût. On ne peut , en effet, que penser à la fin tragique de la princesse de Lamballe. Ce jour est d’ailleurs le dix-neuvième anniversaire du départ de la famille royale de France pour Montmédy. On peut donc y voir une expiation pour cet échec historique… aux si dramatiques conséquences .

Le professeur Lodin évoque l’empoisonnement lent. Le Collège des médecins donne le résultat de son enquête dans un long rapport daté du 16 juillet 1810. Ses conclusions sont catégoriques : il n’y a pas eu d’empoisonnement, on n’en trouve aucune trace, rien ne justifie donc un quelconque soupçon. Et le Collège de flétrir avec énergie l’attitude du professeur.

« Je commence actuellement, ma chère amie, à revenir un peu de l’amertume de mon esprit, qui jusqu’à ce moment a été dans une espèce d’engourdissement et incapable de rien entreprendre pendant tous ces jours passés. Jamais, non jamais ma chère amie, mon âme n’a été accablée comme elle l’a été dans cette occasion, jamais regrets n’ont été pour moi aussi vifs que ceux que j’ai ressentis à la perte de notre digne ami Axel. Son image ne me quitte pas, et même j’en suis aise car cela me prouve à moi-même combien je lui étais attaché, et c’est un juste tribut que je paie à sa mémoire. … maintenant on lui rend justice, mais hélas trop tard pour lui et pour
nous, et l’on sait à présent que tout n’était que calomnie.»

Fabian von Fersen à sa sœur Sophie von Piper         

Stockholm, 13 août 1810

« La perte d’un frère et ami n’était pas suffisante pour mettre mes regrets à son comble; l’envie et la méchanceté nous ont encore frappés, mais une justice sûre peut-être tardive restaurera la vertu. C’est l’espoir qui me reste et qui met quelque tranquillité dans mon âme. Il est cruel de voir un frère en butte à des soupçons atroces… qui toute sa vie n’a cherché qu’à rester tranquille et a eu les principes les plus stricts de loyauté et d’équité.»

Fabian von Fersen à sa sœur Sophie von Piper            

Ce 23 août 1810
« Je trouve, ma chère amie, que mon frère n’a besoin d’aucune justification. Sa vie entière est une suite de principes d’honneur et loyauté … Toutes les personnes qui réfléchissent n’ont jamais donné dans les fausses opinions qui ont cours chez le public moins pensant et qui ne connaissaient pas mon frère autrement que de nom, et qui toujours jugent les soi-disant grands seigneurs capables de toutes les horreurs uniquement par la raison qu’ils sont d’une classe supérieure à eux et parce qu’ils approchent de la Cour où ils pensent que rien ne se traite que par intrigues; d’autres n’ont jamais été séduits et rendent justice parfaite à notre infortuné frère, et j’ose dire que l’opinion publique même n’a été séduite qu’un instant, mais malheureusement ce seul moment nous a été fatal par la perte du chef de la famille, qui par ses qualités et ses vertus en faisait un si bel ornement.»

Fabian von Fersen à sa sœur Sophie von Piper           

Le 9 novembre 1810

Dans une proclamation au peuple, le Roi Charles XIII confirme les conclusions du Collège cdes médecins de la manière la plus nette, lavant de tout reproche Axel de Fersen et sa soeur la comtesse von Piper.

Ce 4 décembre 1810

« Dans ce moment, je reviens de l’église et de l’enterrement de notre digne frère et ami. Tout a été avec la plus grande décence et tranquillité, et la cérémonie finie, la bière a été transportée dans le tombeau où la procession l’a suivie. Ainsi finissent les grandeurs de ce monde, ma bonne amie. A nous il reste les regrets, à lui la tranquillité.»

Fabian von Fersen à sa sœur Sophie von Piper         

Si, par Ses mots, Ses lettres, on sait combien Marie-Antoinette aimait Fersen. Il semble clair que de sa part, il s’agit d’une admiration pour la Reine, plus que d’un amour passionnel. Mais les films et les romans ne cesseront d’écrire le conte de Fersen en interprétant les faits historiques à leur guise afin de faire croire à une histoire d’amour rêvée… Allant jusqu’à attribuer au suédois la paternité de Louis-Charles, futur Louis XVII. Ce qui ne ferait plus de lui seulement un amoureux pas à la hauteur de la passion à laquelle il prétend, mais encore un salaud car ce n’est plus que la Reine qu’il aurait laissée périr en France, mais son fils….

En somme, en voulant en faire l’exemple de l’amoureux romantique, les admirateurs de Fersen nuisent à sa mémoire car n’importe quel historien voulant vérifier leurs propos ne peuvent que constater qu’il n’a rien à voir avec cette légende, ce qui le rend décevant, falot, égoïste et même traitre. Il fut un gentilhomme de Cour, attaché aux souverains de la France qui l’accueillit si bien… Il écrivit pourtant :

« Plus je vois de choses dans mon pays, plus je le trouve changé et moins j’ai de goût pour y habiter. J’aurais voulu naître anglais, c’est le pays le plus agréable à vivre. Ici on s’intéresse exclusivement aux faits et gestes d’autrui et il n’y a aucune sorte de vie en société. »

Buste de Fersen sur le mémorial érigé par Sophie Piper à Löfstad

Sources :

  • ARISTIDE-HASTIR Isabelle Marie-Antoinette et Axel de Fersen – Correspondance secrète, Michel Lafon (2021)
  • FARR Evelyn, Marie-Antoinette et le comte de Fersen – La correspondance secrète (2016) ; L’Archipel
  • KERMINA Françoise, Hans-Axel de Fersen, Librairie Académique Perrin (1992)
  • LEVER Evelyne, Marie-Antoinette, Fayard (1991)
  • LEVER Evelyne, Marie-Antoinette Correspondance (1770-1793) ; Tallandier (2005)
  • LEVER Evelyne, Le Grand Amour de Marie-Antoinette, lettres secrètes de la Reine et du comte de Fersen (2020) , Tallandier
  • WAGENER Françoise, L’Enigme Fersen (2016) , Albin Michel

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